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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 42

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 21 juin 2000
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

Pages

- Examen du rapport d'information sur les actions destinées à renforcer le lien entre la Nation et son Armée.

2

- Information relative à la Commission

7

La Commission a procédé à l'examen du rapport d'information de MM. Bernard Grasset et Charles Cova sur les actions destinées à renforcer le lien entre la Nation et son armée.

Le Président Paul Quilès a rappelé que ce rapport d'information s'inscrivait dans la continuité d'un travail engagé par M. Bernard Grasset sur la question des relations entre la communauté militaire et le monde civil.

Ce travail a déjà donné lieu à un premier rapport d'information sur les relations entre la Nation et son armée, dont la publication a été autorisée par la Commission le 10 février 1999. M. Charles Cova s'étant associé à la démarche de M. Bernard Grasset, les deux rapporteurs ont mené auprès de nombreuses unités des trois armées et de la Gendarmerie une enquête précise et détaillée sur les conditions de vie et de travail des militaires et leurs relations avec le monde civil.

M. Bernard Grasset, rapporteur d'information, a rappelé que la mission qu'il conduisait avec M. Charles Cova répondait à une interrogation sur l'évolution de l'institution militaire, dans le nouveau contexte de la professionnalisation des armées et de la suspension du service militaire. Parmi les thèmes qui avaient retenu l'attention des rapporteurs, il a évoqué des points de vue annonçant la prochaine irruption du syndicalisme dans les armées, dont une association d'anciens militaires s'était fait l'écho devant la Commission au cours d'une audition.

Après avoir souligné qu'après leur nomination par la Commission le 22 juin 1999, les deux rapporteurs d'information s'étaient « immergés » dans le milieu militaire, en allant à la rencontre d'une quarantaine d'unités des trois armées et de la Gendarmerie, il a rappelé la communication qu'ils avaient présentée à la Commission le 21 mars dernier sur l'état de leurs travaux. Cette communication leur avait permis de faire part à la Commission de leurs premières observations sur les regards croisés que se portent les militaires et les civils, mais aussi sur les lacunes de la concertation, du dialogue et de la communication au sein des armées.

Il a brièvement rappelé que, si les militaires considèrent qu'ils sont plutôt bien perçus par la société civile, notamment grâce aux missions de projection intérieure qu'ils assurent (Vigipirate, marée noire, tempête...), ils s'estiment moins appréciés par les autorités politiques. Ils jugent en particulier que les dépenses militaires représentent pour ces autorités une variable d'ajustement budgétaire commode. Quant aux rapports hiérarchiques, très différenciés d'une armée à l'autre, s'ils apparaissent satisfaisants et détendus dans l'armée de Terre et dans l'armée de l'Air, il semblent source de certaines difficultés dans la Gendarmerie et la Marine.

M. Bernard Grasset a ensuite présenté quelques-unes des propositions auxquelles la mission d'information a abouti :

Une première proposition porte sur l'instauration d'un médiateur qui offrirait au personnel militaire une voie de recours supplémentaire. En effet, les rapporteurs estiment que le recours auprès des supérieurs directs ou des inspecteurs généraux est trop marqué par le poids de la hiérarchie pour être efficacement utilisé par un militaire du rang ou un sous-officier. Par ailleurs, le recours devant les tribunaux administratifs peut apparaître comme trop lourd, voire pénalisant, pour nombre de militaires.

L'expérience d'autres pays (Allemagne, Norvège, Suède, Canada...) montre que le médiateur du personnel militaire répond bien à une demande, la hiérarchie militaire elle-même étant, dans ces pays, très attachée à cette institution dans la mesure où elle permet d'éviter des malentendus nuisibles à tous.

Le médiateur proposé, qui n'appartiendrait pas au ministère de la Défense, pourrait être, conformément aux traditions administratives françaises, nommé en Conseil des ministres, pour un mandat non renouvelable, en gage d'indépendance. Il aurait le pouvoir de formuler, de manière non publique, des recommandations ou des avis d'ordre individuel au ministre de la Défense. Il établirait également un rapport annuel public où il ferait le bilan de ses activités et pourrait suggérer toute modification des textes législatifs ou réglementaires visant à améliorer la condition militaire.

Ce médiateur ne pourrait être saisi que par des militaires, afin de ne pas introduire de distorsion entre les fonctionnaires civils du ministère de la Défense et ceux dépendant d'autres administrations. La situation des civils ne nécessite d'ailleurs pas qu'ils puissent s'adresser à un médiateur, dans la mesure où ils sont soumis à des statuts très différents de ceux des militaires avec des droits (syndicalisation, grève...) dont l'exercice est interdit à ces derniers.

A l'exception des décisions relatives à l'emploi opérationnel des forces qui dépendent du seul pouvoir politique, la compétence du médiateur porterait sur tous les aspects de la gestion du personnel militaire, notamment la discipline, l'avancement ou les mutations... En effet, les militaires ne comprendraient pas que les domaines qui les intéressent le plus soient exclus des attributions du médiateur, alors que, par ailleurs, les tribunaux administratifs, dont les pouvoirs sont autrement plus étendus, ont, eux aussi, une compétence large.

Une deuxième proposition consiste à revaloriser la fonction de président de catégorie en généralisant l'élection de leurs titulaires par leur pairs, procédure déjà appliquée dans la Gendarmerie et qui semble donner satisfaction. Le chef de corps conserverait néanmoins la faculté de récuser les candidatures par décision motivée. M. Bernard Grasset a expliqué que la revalorisation du rôle des présidents de catégorie passait également par une augmentation des décharges de service, partielles ou totales selon les cas, qui leur sont accordées ainsi que par un accroissement des moyens matériels mis à leur disposition et par une formation accrue.

Enfin, il a attiré l'attention sur la nécessité d'harmoniser la réglementation interarmées, alors que, de plus en plus souvent, les militaires des différentes armées sont appelés à travailler ensemble pour des raisons d'efficacité et de coût. La disparité des règlements en vigueur dans chacune des armées entraîne inévitablement des comparaisons d'autant plus malsaines que chacun ne retient généralement que les aspects positifs de la situation de ses collègues en occultant les sujétions correspondantes.

En conclusion, M. Bernard Grasset a insisté sur la nécessité de trouver un équilibre entre la spécificité du métier des armes et le nécessaire rapprochement de la situation des militaires avec celle des autres citoyens : on ne dirigera plus, au XXIème siècle, une armée projetable, entièrement professionnalisée et d'une très haute technicité de la même manière qu'on commandait aux XIXème ou au XXème siècles des masses de conscrits destinées à arrêter les invasions aux frontières.

M. Charles Cova a, pour sa part, présenté les propositions de la mission destinées à revaloriser le rôle des Conseils de la fonction militaire (CFM) et du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), après avoir regretté qu'un contexte budgétaire peu favorable, dû notamment aux annulations de crédits en cours d'exercice, donne souvent le sentiment aux militaires que leur rôle dans la Nation n'est pas suffisamment reconnu. Il a fait ressortir l'inadaptation de l'actuel système de désignation des membres du CFM représentant les personnels par tirage au sort parmi des volontaires. Les rapporteurs proposent en conséquence de lui substituer un système de désignation, également par tirage au sort, mais parmi les présidents et vice-présidents de catégorie, dont ils préconisent par ailleurs l'élection systématique. Les représentants des personnels militaires au CSFM seraient en outre élus par ceux des CFM. M. Charles Cova a souligné à ce propos que les différentes élections envisagées par les rapporteurs excluaient toute campagne électorale et tout mandat impératif, les candidatures n'étant présentées qu'à titre individuel.

M. Charles Cova a ensuite présenté plusieurs propositions de modification du statut général des militaires. L'une de ces propositions consiste à supprimer l'autorisation préalable du ministre, aujourd'hui nécessaire pour qu'un militaire puisse s'exprimer publiquement sur certaines questions. Il a jugé que cette exigence paraissait aujourd'hui inutilement contraignante et préjudiciable à l'enrichissement de la pensée militaire. De plus, il devient de moins en moins compréhensible d'imposer aux militaires des contraintes plus strictes qu'aux civils, dont le nombre s'accroît dans les unités, en particulier lorsque ces deux catégories de personnels exercent des activités et des responsabilités très voisines.

Une autre proposition tend à supprimer une disposition du statut général des militaires soumettant à autorisation ministérielle préalable l'exercice, par un militaire, de responsabilités dans une association où sa participation est pourtant licite dès lors qu'elle n'a aucun caractère syndical ou professionnel.

M. Charles Cova a alors indiqué que Bernard Grasset et lui-même restaient en désaccord sur l'opportunité d'un éventuel assouplissement des dispositions concernant l'adhésion des militaires à des associations à caractère professionnel. M. Charles Cova estime en effet souhaitable de reconnaître aux militaires d'active le droit d'adhérer à des associations d'anciens. Il considère que cette réforme mettrait fin à une situation ambiguë dans laquelle certains militaires adhèrent déjà de fait à ce type d'associations ou s'abonnent à leurs revues, ce qui a souvent, en pratique, le même effet. M. Charles Cova a indiqué que M. Bernard Grasset restait, pour sa part, opposé à cette évolution, parce qu'il considérait qu'elle conduirait rapidement à transformer les associations d'anciens militaires en syndicats de fait.

M. Charles Cova a ensuite présenté deux autres mesures jugées également souhaitables par les deux rapporteurs : la substitution, à l'autorisation ministérielle de mariage, d'une simple obligation de déclaration, pour les militaires souhaitant épouser un conjoint étranger et la suppression de l'interdiction faite aux militaires d'appartenir aux jurys de cours d'assises.

Enfin, une dernière proposition commune aux deux rapporteurs vise à accroître le rôle joué par les commissions permanentes du Parlement compétentes pour les questions de défense dans le débat sur l'évolution de la condition militaire. Elle prévoit des déplacements plus fréquents de délégations de ces commissions dans les unités, ainsi que des auditions de militaires en activité n'exerçant pas de hautes fonctions de commandement.

M. Robert Poujade, après s'être félicité de l'esprit de cohabitation fraternelle qui avait présidé à l'élaboration du rapport d'information, a jugé que les armées devaient adapter leurs modes de fonctionnement pour tenir compte non seulement des conséquences de leur professionnalisation mais aussi de l'évolution de l'esprit public. Reconnaissant qu'elles devaient s'ouvrir aux exigences de la société civile, il a néanmoins demandé que cette ouverture s'accomplisse avec précaution en raison des débordements auxquels elle pouvait donner lieu. S'agissant de la proposition d'instituer un médiateur militaire, il a déclaré n'y être pas opposé a priori, soulignant le succès de ce type d'institutions dans des pays comme la Suède. Il a cependant fait part de ses réticences devant la perspective d'une saisine sans restriction de ce médiateur, exprimant la crainte de le voir débordé par un torrent de récriminations. Il s'est alors demandé s'il ne faudrait pas prévoir un dispositif de filtrage des demandes adressées au médiateur. Il s'est également interrogé sur la compatibilité de ses interventions avec le respect du secret de la défense nationale.

Il a par ailleurs observé que l'adhésion de militaires d'active à des associations d'anciens militaires revêtirait un caractère paradoxal, des personnels en activité choisissant, pour promouvoir leurs intérêts professionnels, une organisation défendant ceux des retraités. Estimant qu'une fois ouvertes aux militaires d'active, les associations d'anciens militaires deviendraient, en droit sinon en fait, des quasi-syndicats, il a exprimé son inquiétude à l'égard de la situation équivoque qui en résulterait.

Après s'être déclaré d'accord avec les rapporteurs d'information sur le caractère dépassé de certaines obligations comme celle de solliciter l'autorisation du ministre, préalablement à un mariage avec un conjoint étranger, il a relevé que le rapport d'information traitait plus de la vie interne des armées que de l'attitude de la Nation à leur égard. Il a, à ce propos, estimé nécessaire de rechercher de nouveaux lieux de rencontres entre les armées et la Nation, soulignant que le risque principal auquel était exposée une force professionnalisée résidait dans son éloignement de la société civile, l'appel de préparation à la défense (APD), aussi bref que sommaire, n'étant pas de nature à réduire ce risque de manière significative.

Le Président Paul Quilès a alors rappelé que le premier rapport d'information présenté par M. Bernard Grasset avait proposé diverses mesures destinées à rapprocher la Nation des armées, ajoutant que la Commission avait décidé qu'un bilan de leur prise en compte par le ministère de la Défense serait établi.

Après avoir estimé qu'il serait hasardeux de faire référence à la baisse des crédits de la défense, la Commission ayant toujours approuvé les projets de budget présentés par le Gouvernement, quelle que soit la majorité en place, M. Didier Boulaud a proposé une audition du Chef du Contrôle général des armées en raison de l'autorité et de l'expérience qui s'attachent à cette fonction.

M. André Vauchez, s'interrogeant sur l'ouverture des armées à la société civile, a proposé un développement en leur sein des instances de concertation et de médiation. Il s'est par ailleurs demandé si les militaires de carrière en activité souhaitaient maintenir de manière générale l'incompatibilité de leur situation professionnelle avec le mandat de conseiller municipal. Il a néanmoins reconnu que cette incompatibilité restait nécessaire dans certains cas, comme celui des gendarmes, dans la zone où ils exercent leurs fonctions.

M. Charles Cova a apporté les éléments de réponse suivants :

- dans la mesure où les questions qui seront portées devant le médiateur concerneront des situations individuelles, elles ne paraissent pas susceptibles, en règle générale, d'être couvertes par le secret de la Défense nationale ;

- l'interdiction actuelle faite aux militaires d'active d'adhérer à des associations de militaires de réserve ou retraités n'a pas empêché le développement d'une situation équivoque. Les revues de ces associations sont en effet lues et commentées par les militaires d'active, y compris sur les lieux de cantonnement et de travail ; autoriser les militaires d'active à adhérer à ces associations aurait l'avantage de la clarification ;

- la baisse continue des budgets consacrés à la défense depuis une dizaine d'années résulte de décisions prises par l'ensemble des gouvernements qui se sont succédés au cours de cette période. C'est également un phénomène général dans les pays industrialisés. Il est cependant logique que cette baisse préoccupe les militaires et qu'ils en aient fait part aux rapporteurs ;

- la condition militaire est aujourd'hui objectivement peu compatible avec l'exercice d'un mandat d'élu local. En effet, soit les militaires sont affectés en un point du territoire pour une courte période, de deux ou trois ans, et alors cette brièveté les empêche de faire valoir utilement une candidature, soit, notamment dans la Gendarmerie, ils sont affectés pour une période longue, et alors c'est la nature de leurs fonctions qui s'oppose généralement à l'exercice d'un mandat d'élu local.

M. Bernard Grasset a ajouté les éléments d'information suivants :

- l'expression publique par les militaires d'une opinion politique est ressentie comme problématique, ce qui rend difficile leur participation à une élection locale. Cependant, c'est moins le fait de ne pouvoir être candidat que celui de ne pas participer à la vie municipale qui préoccupe le plus les militaires. Les modes de participation à développer relèvent donc sans doute de modèles comme les commissions extramunicipales, permettant d'établir une relation entre le conseil municipal et des délégations de l'unité concernée, de façon à ce que les souhaits des militaires en matière de vie locale puissent être pris en compte ;

- le risque d'un afflux de saisines du médiateur n'a pas échappé aux rapporteurs, mais ils se sont heurtés à la difficulté de définir de manière pleinement satisfaisante le filtre qui pourrait être institué pour en réduire le nombre. Il convient, en tout état de cause, de s'en remettre à l'expérience pour vérifier la nécessité de ce filtrage ;

- il y a un point de désaccord entre les deux rapporteurs sur la participation des militaires d'active aux associations d'anciens militaires. On peut en effet se demander, quelle différence il peut y avoir entre une association à caractère professionnel et un syndicat, dès lors que l'exercice du droit de grève est prohibé. Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer l'éventualité d'une multiplication des associations professionnelles dans l'hypothèse où les militaires d'active seraient autorisés à y adhérer et surtout le risque de création d'organisations pour les différentes catégories de grade, à l'instar de ce qui se passe dans la police.

MM. Bernard Grasset et Charles Cova ont souligné que l'attribution du rapport d'information à deux députés, l'un membre de la majorité, l'autre de l'opposition, et non pas à un seul, membre de l'une ou de l'autre, avait été perçue de manière très positive par leurs interlocuteurs, les militaires rencontrés ayant vu dans cette décision une garantie d'objectivité et de sincérité dans le compte rendu et le traitement qui serait fait de leurs propos.

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Information relative à la Commission

La Commission a nommé M. Bernard Cazeneuve rapporteur d'information sur la réforme de la coopération militaire.

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