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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 43

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 27 juin 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul QUILÈS, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Armand Carlier, Président Directeur général d'Astrium

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La Commission a entendu M. Armand Carlier, Président Directeur général d'Astrium.

Le Président Paul Quilès a souligné l'intérêt que présentait, pour les travaux de la Commission, la présentation de la stratégie et des perspectives de développement d'Astrium. Astrium couvre en effet l'ensemble des métiers spatiaux, depuis les systèmes au sol jusqu'aux satellites et aux lanceurs, et donne un exemple majeur de regroupement industriel européen, puisque son capital sera détenu pour 75 % par EADS et 25 % par BAe Systems.

M. Armand Carlier a indiqué que la création d'Astrium s'inscrivait dans les restructurations actuelles des industries aérospatiales et de défense et qu'elle résultait de la fusion récente des sociétés Matra-Marconi Space, elle-même filiale des sociétés BAe Systems et Aérospatiale-Matra, et des activités spatiales de Dasa. Il a ajouté que le capital d'Astrium, actuellement détenu par Aérospatiale-Matra, BAe Systems et Dasa, allait être bientôt réparti entre EADS, pour 75 %, et BAe Systems, pour 25 %, comme l'avait relevé le Président Paul Quilès, précisant que son chiffre d'affaires était de 2 milliards d'euros, qu'elle employait 8 000 personnes en France, en Grande Bretagne et en Allemagne et qu'elle était la troisième société mondiale du secteur après Boeing (8 milliards de dollars de chiffre d'affaires après l'intégration de Hughes) et Lockheed-Martin (entre 4 et 5 milliards de dollars) et avant Alcatel (1,4 milliard d'euros).

Il a ajouté qu'Astrium disposait de compétences dans les trois domaines d'activité du secteur spatial, les lanceurs, les satellites d'observation, notamment en orbite basse, et les télécommunications par satellites, où la répartition est de 30 % pour le militaire et 70 % pour le civil.

Il a ajouté qu'Astrium avait devant elle trois chantiers : intégrer l'activité spatiale de CASA, négocier un rapprochement avec la filiale de Finmeccanica spécialisée dans les métiers de l'espace (Alenia-Spazio) et enfin procéder aux réorganisations nécessaires pour incorporer le pôle de production de lanceurs d'Aérospatiale.

Ensuite, indiquant qu'Astrium se proposait de nouer des alliances avec des industriels américains, il a souligné la nécessité de cette démarche sans laquelle il n'était pas possible de jouer un rôle important dans le secteur spatial. Il a alors exposé que les restructurations en Europe avaient été un préalable nécessaire à l'établissement d'alliances transatlantiques sur des bases équilibrées.

M. Armand Carlier a ensuite mis en relief l'apport de l'espace dans le domaine militaire, tout particulièrement en matière de télécommunications et de reconnaissance. Après avoir rappelé que s'assurer de communications sûres était une préoccupation permanente des armées et notamment des marines, qui opèrent souvent en milieu isolé, difficilement accessible ou hostile, il a souligné que les réseaux de télécommunications spatiales apportaient une réponse parfaitement adaptée à ce besoin, ajoutant qu'aujourd'hui, l'espace offrait également des capacités indispensables pour la navigation - c'est l'objet du programme européen Galileo qui doit donner à l'Europe les moyens de son autonomie dans le positionnement par satellite. Il a indiqué que ce recours à l'espace était amené à s'amplifier, dans la mesure où les systèmes de communication par satellites sont au c_ur des techniques de « numérisation du champ de bataille » qui permettent de traiter les informations de manière synthétique et immédiate.

S'agissant de la fonction de reconnaissance spatiale, il a indiqué qu'elle englobait non seulement l'observation optique, pour laquelle la France a été pionnière avec le satellite Hélios, mais aussi l'observation infrarouge, qu'Hélios II assurera à partir de 2003, en complément d'une résolution optique très fine, ainsi que l'observation radar et les dispositifs d'alerte avancée permettant notamment la détection des tirs de missiles balistiques, de plus en plus nécessaire avec le développement de programmes balistiques par certains Etats proliférants.

Il a souligné que, comme le conflit du Kosovo l'avait montré, le combat moderne livré dans un but de gestion des crises allait être de plus en plus utilisateur de moyens spatiaux.

M. Armand Carlier a alors fait observer que les dépenses d'équipement spatial militaire des pays de l'Union européenne ne correspondaient pas à la contribution essentielle que l'espace pouvait apporter à la Défense, puisque aujourd'hui, avec 500 millions d'euros par an, assurés pour l'essentiel par la France et, dans une moindre mesure la Grande-Bretagne, ces dépenses ne représentaient que 0,3 % des budgets d'équipement des armées, la France se distinguant avec un ratio de 2,5 %. M. Armand Carlier a opposé cette situation avec celle des Etats-Unis où les dépenses d'équipement spatial militaire s'élèvent à 14 milliards de dollars, soit 10 % du budget d'équipement de la Défense américain.

Il a estimé que ce contraste révélait un véritable retard doctrinal de l'Europe par rapport aux Etats-Unis dans l'utilisation militaire de l'espace. Il a attribué ce retard à l'attention particulière prêtée par les Etats-Unis à l'espace, eu égard sans doute à leur situation de grande puissance, fière de son programme spatial de conquête de la Lune, jamais envahie et éloignée des zones de crises, soucieuse de maintenir sa supériorité ou au moins de rester au niveau le plus élevé dans le développement des hautes technologies et recherchant, dans le domaine militaire, tous les moyens technologiques permettant de parvenir à l'objectif de « zéro mort » au combat.

Il a fait remarquer que, même si certains états-majors européens pouvaient être tentés de baisser les bras devant l'ampleur de l'écart avec les Etats-Unis, la France et l'Europe avaient très largement les moyens de se doter d'une panoplie d'équipements assurant une couverture minimale des besoins dans le domaine de l'espace militaire, au prix d'un accroissement raisonnable des crédits, alors que, dans ce domaine, le budget d'équipement français était passé de 4 à 2 milliards de francs en dix ans. Il a considéré que cet objectif pourrait être atteint avec un budget de l'ordre de 3 milliards de francs, grâce aux progrès technologiques, au double usage civil et militaire des matériels, à des coopérations internationales et à des partenariats entre le secteur privé et le secteur public.

S'agissant de l'impact des progrès technologiques, il a indiqué que les satellites de reconnaissance en orbite basse étaient aujourd'hui, à résolution égale, beaucoup plus légers et moins chers à fabriquer et à lancer, les économies pouvant atteindre la moitié des coûts des matériels de la génération précédente.

En matière de dualité, il a exposé que seuls les satellites dont la résolution est supérieure à un mètre peuvent être considérés comme à usage exclusivement militaire. Des satellites de moindre résolution pouvant faire l'objet de programmes civils, comme le programme Pléiade, les militaires ont la possibilité de réduire leurs dépenses en achetant des images à ces systèmes.

Evoquant l'intérêt des coopérations internationales, et notamment européennes, M. Armand Carlier a souligné qu'elles pouvaient désormais s'appuyer sur des sociétés transnationales comme Astrium. Il a fait valoir que la nature transnationale d'Astrium lui permettait de favoriser le lancement de programmes de coopération internationale, par exemple pour le renouvellement des flottes de satellites de télécommunications de la France, de la Grande-Bretagne ou encore de l'OTAN. Il a également évoqué la possibilité d'accords de fourniture croisée d'images satellitaires, la France fournissant à l'Allemagne des images optiques en échange d'images radar allemandes, ou encore la perspective de mise en commun de moyens d'observation par satellite dans le cadre de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l'Union européenne, le « système de surveillance globale de l'environnement et de la sécurité » (GMES) pouvant constituer une première réalisation en ce sens.

Abordant la nouvelle politique de partenariat entre secteur public et secteur privé, aujourd'hui suivie en Grande-Bretagne, M. Armand Carlier a indiqué que le Gouvernement britannique avait décidé, non pas de remplacer à l'avenir son réseau de satellites dédiés pour répondre à son besoin de télécommunications militaires, mais de louer à cet effet des capacités satellitaires à des opérateurs commerciaux privés. Il a relevé que cette solution intéressait également le gouvernement français et qu'elle pouvait être étendue à d'autres pays.

M. Armand Carlier a conclu que ces diverses évolutions pouvaient permettre à l'Europe d'envisager une politique moderne d'équipement spatial, destinée à améliorer ses capacités de gestion des crises, sans y consacrer les crédits considérables qu'y avaient affectés les Etats-Unis.

Le Président Paul Quilès a souhaité savoir dans quel esprit de concurrence ou de coopération, la société Astrium envisageait ses relations avec le groupe Alcatel, en particulier dans le domaine des télécommunications et de l'observation par satellites.

Après avoir rappelé l'importance du domaine spatial militaire pour l'indépendance nationale, M. Bernard Grasset a estimé que les dotations du budget de la Défense consacrées en 1999 à l'espace étaient à la limite du raisonnable. Il a observé que les annulations récentes de crédits intervenant dans le domaine spatial semblaient porter pour une large part sur les systèmes d'information régimentaire de l'armée de Terre. Concernant la décision britannique de location, à des fins militaires, de satellites de télécommunications à des opérateurs privés, il a demandé à M. Armand Carlier dans quelle mesure ces satellites seraient durcis et quelles capacités seraient réservées aux armées. Il lui a également demandé la situation de la coopération européenne en matière de satellites d'observation radar.

Mme Martine Lignières-Cassou a demandé si les réserves traditionnelles de l'Union européenne à l'égard de l'utilisation militaire des systèmes spatiaux ne constituaient pas un handicap pour le développement des programmes à vocation duale. Elle a également souhaité connaître la situation actuelle du programme Galileo, se demandant si la décision finale sur son financement n'était pas liée au succès du projet GMES.

M. Alain Moyne-Bressand a interrogé M. Armand Carlier sur les éventuelles acquisitions ou associations prévues par la société Astrium en Europe ou aux Etats-Unis. Après lui avoir demandé quelle appréciation il portait sur le niveau de la Russie en matière de recherche et de technologie spatiales, il l'a interrogé sur les possibilités de partenariats d'Astrium avec des entreprises russes.

M. Jean-Louis Bernard, évoquant les activités du groupe de travail de la Commission sur le système Echelon, a demandé à M. Armand Carlier des précisions sur l'écoute électromagnétique, l'interrogeant sur l'origine des communications surveillées, leur nature ainsi que sur les méthodes de stockage et de tri des informations. Il a également souhaité connaître l'appréciation de M. Armand Carlier sur l'efficacité respective du cryptage et du décryptage.

Le Président Paul Quilès s'est interrogé sur la coïncidence entre la décision américaine d'ouvrir plus largement les capacités du système GPS aux utilisations civiles et les discussions européennes en cours concernant le lancement du programme Galileo.

M. Armand Carlier a apporté les éléments de réponse suivants :

- Alcatel Space est le principal concurrent d'Astrium en Europe. La Commission européenne veille d'ailleurs au maintien de la concurrence dans le secteur spatial civil. Quant à la DGA, elle a pour politique de mettre en concurrence les entreprises du secteur spatial militaire pour l'acquisition de systèmes par le ministère de la Défense français. Pour l'avenir, diverses évolutions sont envisageables selon les marchés. Pour ce qui concerne le marché mondial des télécommunications civiles, il est difficile de prévoir si Astrium et Alcatel Space s'orienteront vers un partenariat commun ou vers des partenariats transatlantiques. S'agissant de la reconnaissance et de l'observation spatiales militaires pour lesquelles le marché est beaucoup plus restreint, il sera difficile de maintenir une concurrence entre plusieurs industriels européens, d'autant que pour certains programmes comme Hélios, Astrium et Alcatel ont commencé à coopérer et à se spécialiser ;

- les satellites qui font l'objet du programme britannique de télécommunications militaires Skynet, associant des partenaires publics et privés, seront durcis de manière à résister notamment à des flashes nucléaires en orbite. La disponibilité de ces satellites strictement militaires n'utilisant que des bandes de fréquence militaires et équipés d'antennes antibrouillage sera entièrement contractuelle. Les capacités supplémentaires qu'Astrium y installe à ses risques ne pourront être louées que sur autorisation des autorités britanniques ;

- il existe un projet de satellite d'observation radar franco-italien à moyenne résolution, toujours en discussion entre la France et l'Italie. Mais la récente décision du Gouvernement allemand de mettre en chantier le système à haute résolution SAR-Lupe modifie les données de la coopération européenne. La coopération franco-allemande autour des programmes Hélios II et SAR-Lupe ne pourra cependant pas donner lieu à des retours industriels en raison du caractère tardif du lancement du projet de satellite allemand, d'un coût toutefois nettement inférieur à celui du système Horus précédemment envisagé ;

- le fait que l'Union européenne et l'Agence spatiale européenne (ESA) se soient vu interdire pendant longtemps toute réflexion militaire a été particulièrement pénalisant pour les programmes spatiaux pouvant intéresser la Défense. Mais cette situation évolue puisque l'Union européenne se préoccupe de défense. Pour l'élaboration du programme Galileo, avec une première phase d'étude de 40 millions d'euros, l'Union européenne coordonne ses travaux avec l'ESA, sur la base d'un financement à parité.

Il appartiendra au Conseil des ministres des transports de l'Union européenne de prendre en décembre la décision d'engager la phase de validation du programme Galileo pour un coût estimé à 700 millions d'euros. Un consortium industriel réunissant Astrium, Alenia-Spazio et Alcatel s'est constitué à cet effet. Quant à la phase finale du programme Galileo, son coût est évalué à 2 milliards d'euros. Il est d'un intérêt primordial pour l'Europe de bâtir un système équivalent au GPS américain, qui représente un enjeu de souveraineté.

Mais, à l'inverse des Américains qui ont conçu un système prioritairement militaire sur lequel ont été greffées des applications commerciales, l'Europe aborde le sujet sous un angle entièrement civil et sans justification militaire, ce qui nuit au projet. En outre, la gratuité du système GPS dont une gamme accrue de services vient d'être offerte pour des usages civils représente un grand obstacle à une utilisation commerciale de Galileo ;

- les Américains se déclarent particulièrement ouverts aux partenariats transatlantiques, mais le caractère restrictif de leur législation sur les transferts de technologie sensible, même dans les domaines civils, incite à la prudence.

En outre, la maîtrise d'_uvre des projets militaires américains devant être confiée à une entreprise américaine, Astrium ne peut être présent sur ce marché que par le jeu de la sous-traitance, en particulier par l'intermédiaire de sa composante britannique, indiscutablement favorisée par rapport aux entreprises issues d'autres pays européens ;

- la Russie, mais aussi l'Ukraine, développent un savoir-faire remarquable dans le domaine des moteurs de fusées. Astrium a signé avec des entreprises de ces pays des contrats qui lui ont permis de développer la société Starsem, qui commercialise des lanceurs Soyouz, complémentaires d'Ariane, depuis Baïkonour. Astrium a, en outre, noué avec une entreprise russe, dénommée Eurockot, un partenariat dont l'objectif est d'utiliser des lanceurs balistiques SS-19 rebaptisés Rockot, également complémentaires d'Ariane ;

- en matière d'écoutes, le constructeur n'opère pas mais est maître d'_uvre ; c'est le cas d'Astrium, pour ce qui est du renseignement Comint et Elint relatif respectivement aux communications et aux signaux électroniques.

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