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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 50

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 22 mai 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Henri Emmanuelli, Président

SOMMAIRE

 

pages

Examen du rapport de la Mission d'évaluation et de contrôle sur la gestion et le financement de l'eau (M. Yves Tavernier, rapporteur).

Information relative à la commission

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Le Président Henri Emmanuelli a tout d'abord informé la Commission de la transmission, par le Gouvernement, d'un décret d'avance lié au financement de diverses dépenses exceptionnelles.

M. Didier Migaud, Rapporteur général, a indiqué que ce décret prévoyait une ouverture de crédits de 3,055 milliards de francs au titre des dépenses ordinaires :

- 2,2 milliards de francs au budget du ministère de l'agriculture pour les dépenses liées aux crises de l'encéphalite spongiforme bovine et de la fièvre aphteuse,

- 600 millions de francs au budget des charges communes, dont 450 millions de subventions aux collectivités locales victimes des récentes inondations et 150 millions pour l'indemnisation des préjudices subis dans le secteur du tourisme, suite au naufrage de l'Erika,

- 250 millions de francs au budget du ministère de la santé et de la solidarité, pour abonder les crédits d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile.

Le décret ouvre également au titre des dépenses en capital une autorisation de programme de 320 millions de francs dont 240 millions pour la réalisation de travaux de sécurité dans des établissements de l'enseignement supérieur et 65 millions de francs de crédits de paiement aux mêmes fins.

Le financement de ce décret d'avance est entièrement assuré par un arrêté annulant des autorisations de programme pour un montant de 1,35 milliard de francs et des crédits de paiement pour un total de 3,12 milliards de francs. Ces annulations sont réparties entre la presque totalité du budget. En particulier, 450 millions de francs sont annulés sur le budget du ministère de l'agriculture. Ces opérations seront validées dans le collectif de fin d'année.

Le Président Henri Emmanuelli a précisé que la communication de ce type de document par le secrétariat d'État au Budget, avant sa publication, répondait à une demande de la Commission et représentait un progrès dans le dialogue avec le Gouvernement.

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* *

La commission a ensuite procédé à l'examen du rapport de M. Yves Tavernier, établi dans le cadre de la Mission d'évaluation et de contrôle, sur la gestion et le financement de l'eau.

Le Rapporteur a d'abord rappelé certaines données chiffrées : 100 milliards de francs, c'est-à-dire autant que pour l'ensemble du réseau routier, dont 30 milliards de francs d'investissements, sont dépensés chaque année pour l'eau. 1.300 milliards de francs de patrimoine lui sont affectés, ce qui en fait un enjeu financier considérable. Chaque ménage dépense annuellement environ 2.000 francs pour la distribution et l'assainissement de l'eau, ce qui représente 6 francs par ménage et par jour et 1,7 centime par litre. En 1999, 42 % de ce prix revenaient à la distribution (puisage, transport, traitement), 31 % à l'assainissement et 27 % à diverses taxes et redevances. Mais ces moyennes cachent, en réalité, de fortes disparités : les prix vont du simple au double selon les régions et même de 1 à 7 selon les communes, le rapport n'étant plus que de 1 à 2 si l'on retire les 10  % des communes les plus éloignées de la moyenne. C'est au cours des années 1990 que le prix de l'eau a enregistré ses plus fortes augmentations.

La distribution et l'assainissement de l'eau relèvent de la responsabilité du maire, ce qui doit faire de ces questions un enjeu majeur de la démocratie locale. Environ 80 % de la population consomment de l'eau distribuée par des délégataires privés, parmi lesquels deux groupes assurent 85 % du marché, la part des régies communales ou intercommunales étant en diminution constante. Selon les sources, le coût des services délégués seraient de 13 % à 22 % plus élevé que celui des services en régie, mais toute comparaison est délicate, la qualité et la difficulté du service pouvant être très variables. De même, il est mal aisé de savoir si, en moyenne, les renouvellements de contrat et les changements de délégataire se traduisent par une hausse ou une baisse du prix de l'eau. Si, jusqu'à la loi « Sapin », premier effort d'encadrement législatif, les collectivités locales étaient encore plus « captives » des délégataires, beaucoup reste encore à faire pour assurer un fonctionnement véritablement concurrentiel de ce marché, comme l'a notamment souligné le rapport particulier de la Cour des comptes de 1997, qui critiquait aussi le médiocre rendement de certaines régies.

Les taxes et redevances sont, en partie, contestables. Les redevances bénéficiant aux agences de l'eau, qui représentent 17  % du prix total, ont fortement augmenté dans les années 1990 alors que la fixation de leur taux, de leur assiette, ainsi que leur mode de recouvrement sont contraires à la Constitution et qu'elles ne respectent pas vraiment le principe pollueur-payeur. Les taxes (TVA, taxe au profit de du Comité de Voies navigables de France et prélèvement au profit du FNDAE) sont également critiquables.

Le renforcement des exigences en matière de qualité de l'eau et les nouvelles contraintes communautaires ne rendent pas envisageable une véritable baisse du prix de l'eau ; il est donc d'autant plus nécessaire et urgent d'améliorer la transparence des conditions dans lesquelles ce prix est établi.

Le Rapporteur a ensuite présenté ses propositions qui s'articulent autour de trois axes : favoriser la maîtrise des services de l'eau par les collectivités, améliorer le fonctionnement du marché et le contenu des contrats, renforcer l'information et la consultation des usagers.

Il apparaît indispensable de rééquilibrer la position des collectivités locales vis-à-vis des délégataires, en améliorant le contrôle et l'expertise. Pour que le rapport annuel du délégataire permette une véritable connaissance du réseau, il convient d'en préciser le contenu par un décret d'application de la loi « Mazeaud », notamment en exigeant un cadre comptable normalisé, la mention d'éléments de bilan et de la marge bénéficiaire réalisée sur chaque contrat, des précisions sur les méthodes de calcul et la certification du rapport par un commissaire aux comptes.

Le Président Henri Emmanuelli a demandé pourquoi aucun décret d'application de la loi « Mazeaud » n'avait encore été pris.

M. Yves Tavernier, rapporteur, a expliqué ce silence par le fait que la loi ne prévoyait pas explicitement un tel décret.

Les délais de présentation des différents rapports sont également critiquables. Alors que le délégataire peut rendre son rapport jusqu'au 1er juin, le maire doit présenter le sien avant le 30 juin, délai réduit de facto par la nécessité de réunir le bureau du conseil municipal et la commission compétente avant cette date. Le maire n'a donc guère le temps de préparer un rapport qui prenne des distances vis-à-vis de celui du délégataire. Une évolution législative sur ce point serait très utile.

Les communes doivent pouvoir disposer d'une meilleure expertise. Les directions départementales de l'agriculture et de la forêt et les directions départementales de l'équipement manquent de moyens et d'indépendance, car elles sont intéressées au volume des investissements réalisés.

Le Président Henri Emmanuelli a souligné la gravité de ce problème.

M. Yves Tavernier, Rapporteur, a estimé que le rôle de conseiller des collectivités locales pourrait être confié, dans ce domaine, aux agences de l'eau. Le contrôle de légalité devrait être plus vigilant et constructif et les chambres régionales des comptes pourraient être plus souvent saisies par le préfet, afin de pouvoir apporter leur aide aux collectivités locales qui négocient un contrat. Le développement de l'intercommunalité est à même de permettre aux communes de rééquilibrer les négociations avec les délégataires.

Le retour à la régie n'est possible que si la collectivité locale connaît bien son réseau et les coûts réels du service. Dans la mesure où l'envisager sérieusement peut permettre d'obtenir une baisse des prix proposés par le délégataire, cette possibilité devrait être toujours étudiée et l'assemblée délibérante devrait être systématiquement consultée sur le principe du retour à la régie avant chaque renouvellement de contrat, comme le propose d'ailleurs le Conseil de la concurrence.

Le marché de l'eau s'avère encore particulièrement peu concurrentiel, notamment à cause de phénomènes d'entente implicite entre grands groupes et de l'existence d'un duopole de fait. L'application de la loi « Sapin » s'avère peu satisfaisante dans la mesure où la phase de négociations qu'elle prévoit à la suite de l'appel d'offres permet aux délégataires sortants de baisser leurs prix au niveau de ceux proposés par leurs concurrents pour conserver le marché. L'ouverture de la concurrence à des entreprises étrangères passe par une meilleure information relative au calendrier de renouvellement des conventions de délégation, mission que pourrait remplir le Haut conseil du service public de l'eau et de l'assainissement dont la création est envisagée par le Gouvernement. Ce Haut conseil sera en position de réaliser des analyses comparatives et de surveiller le fonctionnement du marché, ce qui implique de lui donner la possibilité de saisir le Conseil de la concurrence.

Afin que les collectivités locales soient en mesure de proposer des contrats plus équilibrés à leurs délégataires, l'élaboration d'un nouveau cahier des charges-type s'avère nécessaire. Sur le principe, le travail accompli en ce sens par l'Association des maires de France est positif, même si le projet actuel fait l'objet d'un certain nombre de critiques, notamment liées à l'absence de concertation avec les pouvoirs publics et les consommateurs. Le cahier des charges proposé semble en fait aborder les problèmes essentiels. Il devra bien intégrer les notions de risque, en particulier en matière de qualité, et fixer des indicateurs de performances permettant de faire dépendre le niveau de rémunération de la qualité du service.

En ce qui concerne l'information et la consultation des usagers, la présentation de la facture mériterait d'être plus claire, sa périodicité plus courte, par exemple trimestrielle, et son contenu plus précis, en incorporant les éléments pris en compte dans le calcul de la part fixe, éléments qu'il faut encadrer. Dans la mesure où il existe des compteurs divisionnaires, dont l'installation doit être favorisée, chaque ménage habitant un immeuble collectif devrait connaître le montant de sa consommation et ne payer que le prix correspondant ; la qualité de l'eau distribuée pourrait être affichée dans l'immeuble. Le maintien d'une part fixe, limitée et justifiée, est souhaitable.

Le rapport du maire devrait faire l'objet d'un débat public annuel en présence du délégataire et la commission consultative des services publics locaux doit être effectivement mise en place. Pour cela, il convient de préciser la composition de cette commission et de lui conférer des compétences obligatoires.

Dans la mesure où les redevances des agences de l'eau sont actuellement contraires à la Constitution, il est indispensable que soit adopté un article dans la prochaine loi de finances, afin de régulariser la situation, si le projet de loi sur l'eau n'a pas été discuté avant la prochaine période budgétaire. Si nécessaire, un amendement en ce sens sera déposé.

Usant de la faculté reconnue par l'article 38, alinéa 1er du Règlement, aux députés qui ne sont pas membres d'une commission permanente d'y prendre la parole, M. Daniel Marcovitch, qui représentait devant la MEC la commission de la production et des échanges, a déclaré partager pleinement les analyses et les conclusions présentées par le rapporteur. Quelle que soit l'autorité compétente, commune ou syndicat intercommunal, quel que soit le mode de gestion en régie directe ou en délégation de service public à une société privée, seul le maire est responsable à tous les niveaux du service, du prix et de la qualité de l'eau distribuée aux usagers de sa commune. Quelle que soit l'origine de la ressource, et donc son degré de pollution, eau profonde ou eau de surface, quel que soit le niveau d'investissement prévu pour les réseaux d'adduction ou de collecte, les usines de traitement ou d'assainissement, quelles que soient les aides apportées par les agences de l'eau, la facture finale, qui comporte la totalité de ces investissements est réglée par l'usager. Malgré les sommes en jeu, on sait que tant les élus que les usagers sont le plus souvent tenus à l'écart de l'information réelle sur la gestion des services de l'eau et de l'assainissement. Cette méconnaissance ne permet donc pas une véritable mise en concurrence. Dans les rapports marchands habituels, qui mettent en jeu des producteurs des vendeurs et des consommateurs, la concurrence s'exerce à plusieurs niveaux : entre les producteurs au niveau de la qualité et des prix, au niveau du commerce de détail par le choix des produits mis en vente et le service rendu à la clientèle, au niveau du consommateur par le choix de la boutique où il souhaite se fournir.

Rien de ceci n'existe dans le domaine de l'eau et de l'assainissement, car l'élu qui passe les contrats de délégation de service public ne possède pas les éléments objectifs de choix. Quant à l'usager, il est totalement captif du service unique, pour un bien indispensable, et vital.

La loi d'orientation n° 92-125 du 6 février 1992, relative à l'administration territoriale de la République, a rendu obligatoire la création de commissions consultatives des usagers des services publics locaux. L'eau et l'assainissement sont, bien sûr, concernés par ces dispositions. Or, il serait abusif d'affirmer que ces commissions fonctionnent réellement.

L'avant projet de loi sur l'eau envisage de rendre plus impérative la consultation de la commission, mais que vaudra-t-elle si les membres qui la constituent, en particulier les élus et les représentants des usagers, ne possèdent pas la formation nécessaire à une analyse critique ? Il pourrait revenir aux agences de bassin d'organiser régulièrement des formations pour les membres de ces commissions consultatives.

Ainsi que le montre le rapport, il existe une concentration, laquelle fausse bien évidemment toute forme de concurrence véritable. Le très faible nombre de filiales communes aux grands groupes ne doit pas faire illusion sur la réalité des conflits d'intérêt qui les opposent pour la gestion des services d'eau et d'assainissement. Bien d'autres lieux peuvent être la source de profits importants. Leur absence dans la direction de certaines structures communales ou intercommunales ne les empêche pas d'être les véritables destinataires des investissements.

L'usine d'assainissement de Colombes, récemment mise en service par le Syndicat interdépartemental d'Assainissement de l'Agglomération Parisienne (SIAAP) en est un exemple particulièrement éloquent. Cette structure, véritable vitrine de la technologie de ses constructeurs a été réalisée par trois sociétés : OTV, filiale de Vivendi, Dégremont, filiale de la Lyonnaise des Eaux, et Stéréau, filiale de Bouygues, qui se sont partagé le marché d'environ 2,3 milliards de francs (350 millions d'euros). Cette structure moderne a été totalement payée par les usagers, soit directement par leur facture d'eau, soit à travers les redevances des agences de l'eau, qui ont subventionné presque la moitié de l'investissement.

M. Daniel Marcovitch a ensuite soulevé le problème d'une application peu probable d'une TVA au taux particulier de 2,1%, dont on connaît la nature tout à fait exceptionnelle. L'avant-projet de loi sur l'eau se donne, entre autres objectifs, de rendre conforme à la Constitution les redevances des agences de l'eau, qui sont considérées comme des impositions de toute nature. Lorsque le Parlement votera ces redevances, confirmant de la sorte leur caractère d'imposition, la question restera posée de l'application de la TVA à la totalité de la facture, ce qui reviendra à appliquer une taxe sur un impôt. La directive européenne du 23 octobre 2000 comporte, entre autre, la nécessité de revenir à une teneur en plomb inférieure à 10 µg par litre. Ce résultat ne peut être obtenu qu'en supprimant la totalité des canalisations et des soudures en plomb, qu'elles soient dans le domaine public, dans les immeubles collectifs ou dans les maisons individuelles. Le montant total des travaux est estimé à 90 milliards de francs (13,72 milliards d'euros), dont un tiers pour le domaine public. Ces travaux gigantesques renchériront très certainement le prix de l'eau dans les années à venir.

Le bien-fondé de cette mesure est contestable, car elle signifierait que, jusque dans les années 50, tous les usagers de l'eau, c'est-à-dire tous les français, étaient atteints non pas d'un véritable saturnisme mais d'une intoxication chronique par le plomb, dont on sait qu'elle entraîne une altération des facultés intellectuelles. Pierre et Marie Curie, Marcel Proust, Picasso, le Général De Gaulle et tant d'autres n'étaient donc pas des buveurs d'eau... Cependant, comme il s'agit d'une directive européenne, il conviendra de l'appliquer.

Une partie des travaux du domaine public pourrait être subventionnée par les agences de l'eau, alors que les deux tiers de ces travaux devront être financés par les particuliers, parfois modestes propriétaires de pavillons, souvent petits copropriétaires d'immeubles anciens, voire vétustes. A l'instar de ce qui a été fait pour la mise aux normes des bâtiments agricoles avec le Programme de Maîtrise des Pollutions d'Origine Agricole (PMPOA) qui finance sur fonds publics les deux tiers des travaux, dont un tiers pour l'État et un tiers pour les agences de l'eau, on peut imaginer de créer un Programme de maîtrise du Plomb dans les Eaux domestiques (PMPED), subventionné pour partie par l'État ou les agences de bassin.

Faut-il aller vers une disparition de la part fixe dans le prix de l'eau ? C 'est là certainement un des rares points sur lequel il pourrait y avoir divergence entre les deux rapporteurs. L'avant projet de loi envisage un encadrement et une définition précise du contenu de la part fixe, exception faite des communes à forte variation saisonnière de population et donc de consommation d'eau. Plutôt que de maintenir une part fixe destinée à faire face aux besoins d'investissements pour les périodes de forte consommation, les communes concernées pourraient affecter une part des ressources issues des activités touristiques ou des taxes perçues sur les résidences secondaires pour financer une partie des équipements supplémentaires.

M. Michel Bouvard a demandé quelles étaient ces ressources.

M. Daniel Marcovitch a précisé qu'il souhaitait affecter une part des ressources tirées de l'activité touristique aux investissements précités. Quoi qu'il en soit, seule l'individualisation des consommations, mais surtout de l'abonnement permet à l'usager de maîtriser sa consommation et donc le montant de sa facture. Parallèlement, la maîtrise du bon entretien des canalisations dans les parties communes et dans les parties privatives des immeubles doit permettre de substantielles économies. La charte Solidarité-Eau, lorsqu'elle fonctionne, repose sur la base d'abandons de créance pour les plus démunis et s'assimile plus au principe de l'aumône qu'à l'exercice du droit à l'eau. Seule une aide versée aux familles ou aux distributeurs pour l'eau et l'énergie, peut remplir cette fonction.

En conclusion, le corpus législatif qui encadre la gestion des services de l'eau et de l'assainissement mérite certainement d'être précisé et approfondi, car son application est loin d'être satisfaisante. La mise en concurrence pourrait être améliorée en facilitant le retour à la régie. Le rôle des agences de l'eau se doit d'être confirmé avec de nouvelles missions de formation, d'information et de contrôle. La transparence des prix et de la consommation doit progresser, en particulier par l'individualisation des abonnements et surtout des contrats. Tout ceci confirme l'absolue nécessité d'une nouvelle loi.

M. Jean-Jacques Jégou a salué la qualité du travail du rapporteur et l'apport de M. Daniel Marcovitch à la MEC. Toutefois, le débat ressemble plutôt à celui que suscite un rapport d'information qu'un travail de la MEC. Ainsi, le titre du rapport devrait faire allusion à « la gestion des services de l'eau et de l'assainissement » ou au « prix de l'eau et de l'assainissement », formulations plus exactes par rapport à la réalité. Il n'est pas exact de dire que la qualité se détériore d'année en année. Pour la grande majorité des français, cela n'est pas le cas, bien au contraire. Par ailleurs, dans certaines régions où la qualité se détériore effectivement, comme en Bretagne, la faute ne revient certainement pas aux entreprises ou aux collectivités, mais bien à l'État, qui est pourtant celui qui taxe le plus en matière d'eau.

Le rapport insiste à juste titre sur la transparence et la concurrence en matière de gestion déléguée. Cependant, les critiques à ce sujet sont anciennes, compte tenu des lois intervenues depuis 1990, que ce soit pour la gestion de l'eau ou d'autres délégations de services publics. De même, il ne faut pas confondre la gestion des services de l'eau avec les « scandales » du début des années 90. Certaines expressions du rapport, comme « la jungle des prix », sont totalement excessives et injustifiées. Enfin, les doutes quant au caractère concurrentiel du marché de l'eau sont également injustifiés, surtout lorsqu'on compare ce marché à ce qui se passe pour l'électricité ou le téléphone.

Sur le rôle, la responsabilité et le contrôle des collectivités et des élus locaux, il n'est pas acceptable de lire, dans le rapport, que « la démocratie locale est phagocytée par un système qui transfère le pouvoir réel à des sociétés, qui ont fait de l'opacité l'instrument de leur pouvoir ». Il ne tient qu'aux maires et aux élus de prendre leur responsabilité face à ce type de situation et il est faux de dire qu'ils ont abandonné ce pouvoir auprès des entreprises privées gestionnaires des services de l'eau. En revanche, le manque d'efficience du rôle de l'État est significatif.

En matière de choix de gestion, régie ou service délégué, le rapport cite un écart de prix de 13 % entre les deux modes de gestion. Mais est-on sûr que les choses sont bien égales par ailleurs : niveau d'investissement, renouvellement des conduites, sans parler de la qualité dont le rapporteur se plaît à dire qu'elle ne cesse de se dégrader ?

M. Michel Bouvard a rappelé que certaines régies étaient très bien gérées.

M. Jean-Jacques Jégou a observé que, dans le préambule du rapport, l'État est finalement totalement exonéré de ses incuries, et surtout de sa responsabilité qui débouche sur les dérapages de sur-taxation en matière de gestion de la ressource. La MEC, dont le rôle est de contrôler la dépense et d'en évaluer l'efficacité, n'y retrouve pas son compte.

La part des taxes dans la formation du prix de l'eau est extrêmement importante, ainsi que l'augmentation de ces taxes ces dernières années. En particulier, il ressort que les prélèvements effectués sur les agences de bassin, donc sur ce qui est ponctionné sur le particulier, ne servent qu'à une catégorie de la population, qui n'est pas celle qui paie l'eau le plus cher, bien au contraire ; en outre, le système pose un problème de constitutionnalité. Dans ce cas précis, il s'agit des communes urbaines, qui paient pour les communes rurales, et particulièrement pour la pollution produite par l'agriculture. L'agence de l'eau Seine-Normandie a été ponctionnée, à deux reprises, de 500 millions de francs au profit de l'État. Le véritable scandale réside dans la non application, par les agences de l'eau, du principe pollueur-payeur. Il y a donc là un véritable rééquilibrage à mettre en _uvre. Par ailleurs, vouloir leur conférer un rôle de conseil auprès des collectivités, alors que ce sont elles qui distribuent les subventions ne paraît pas logique. Concernant les différentes taxes, il faudrait en effet revoir l'assiette et le taux de la TVA, qui s'applique sur la totalité de la facture.

Les collectivités ont tout à fait la possibilité de faire contrôler les informations fournies par le délégataire. Quant à imposer une certification des comptes, cela reviendrait à imposer une dépense supplémentaire aux communes, simplement pour s'entendre dire que tout va bien.

Le principe de « menacer les opérateurs privés » d'un retour à la régie n'est certainement pas de bonne politique. Ce n'est pas comme cela que l'on gère des relations avec les entreprises. La situation d'« oligopole » des sociétés gérant l'eau en France, à la supposer établie, n'existe pas uniquement s'agissant de l'eau, mais aussi du gaz, de l'électricité ou du ramassage des ordures ménagères. En toute hypothèse, contrairement à ce qui est dit dans le rapport, le marché se régule de lui-même. Il serait inacceptable d'aider des entreprises émergentes. Le principe de libre concurrence doit jouer, et faire émerger les meilleures. Le nombre très important de renouvellement de contrat chaque année, même s'il n'aboutit pas à un changement de délégataire, permet de faire jouer la concurrence et d'obtenir ainsi de meilleures conditions économiques.

M. Michel Bouvard a indiqué que, malgré le caractère parfois rapide des analyses qu'il comporte et certaines formulations excessives, notamment à l'égard des grandes entreprises concernées, il y a lieu de publier ce rapport. Il faut être conscient de ce que le rééquilibrage, souhaité par tous, de la charge du traitement des pollutions d'origine agricoles, ne pourra pas être mis uniquement à la charge des exploitants agricoles. Les PMPOA, dont le financement et la mise en place sont difficiles, ne suffisent pas aujourd'hui à traiter le problème des zones à relief, et ne concernent guère que les pollutions dues aux grands troupeaux.

Plus généralement, le rapport pose la question du financement de la préservation de la ressource, question la plus cruciale à long terme ; ce financement ne peut être supporté uniquement par les consommateurs et par les agriculteurs, les industriels assumant approximativement, de leur côté, la part dont ils sont responsables. Sur un autre plan, le rapport aurait pu insister sur la nécessité d'un soutien mieux organisé des services déconcentrés de l'État, pour soutenir et conseiller les petites communes, auxquelles cette capacité d'analyse fait défaut, notamment lorsqu'il s'agit des cahiers des charges. La création de cellules d'appui technique aux collectivités locales, regroupant les services de l'Etat compétents, constituerait une solution opportune pour répondre à ce problème essentiel.

M. Gérard Saumade a souligné l'intérêt du rapport, et regretté l'assistance trop peu fournie des commissaires pour un sujet aussi important notamment en terme de gestion locale. L'analyse du marché de l'eau comme oligopole, telle qu'elle ressort du rapport, paraît bien correspondre à la réalité, et on peut même considérer que son autorégulation ne constitue pas la garantie du minimum de concurrence nécessaire. De manière plus générale, il y a toutefois lieu de regretter que le rapporteur, comme M. Daniel Marcovitch dans son intervention, n'aient abordé la question de l'eau que sous l'angle du bien de consommation, et non comme facteur de production, ce qu'elle est pourtant depuis toujours. S'agissant de l'assainissement, il ne paraît pas possible d'envisager de faire peser la totalité de son financement sur les seuls agriculteurs.

On peut également regretter que les services de l'État se concentrent trop exclusivement sur leur mission de contrôle, et ne développent pas assez un rôle de conseil dont les collectivités locales ont pourtant fortement besoin. Deux voies paraissent aujourd'hui de nature à faciliter la tâche des collectivités locales. La première serait la nationalisation de l'eau, ou sa départementalisation, opérations qui transféreraient la maîtrise de la ressource à la collectivité et seraient des solutions efficaces, mais aucune de ces hypothèses n'est jugée actuellement opportune. L'autre solution consisterait à ce que les communes bénéficient, comme cela a été proposé, des conseils des services de l'État, alors qu'aujourd'hui il n'y a, de leur part, qu'un contrôle. Cette situation constitue un effet pervers de la décentralisation. Faute de cet appui, et même en se regroupant dans un cadre intercommunal, les communes n'ont pas les moyens, à elles seules, d'affronter la capacité d'expertise juridique des grands groupes. Même dans le cadre d'un appel d'offre européen, seules quatre ou cinq entreprises sont susceptibles de concourir. Les collectivités locales sont des nains juridiques face à des groupes qui n'hésitent pas à intenter des procès, alors qu'elles-mêmes hésitent beaucoup, car elles ne disposent pas des mêmes structures juridiques. Il ne suffit pas de vouloir améliorer la transparence. Encore faut-il que les collectivités locales soient dotées des moyens nécessaires pour atteindre cet objectif.

M. Jacques Guyard a souhaité, en ce qui concerne le haut conseil dont l'avant-projet de loi sur l'eau prévoit la création, que ce nouvel organisme soit qualifié explicitement d'autorité de régulation, si tel est l'objectif recherché. Les autorités de régulation, dont la mise en place s'avère plutôt satisfaisante pour les secteurs pour lesquels elles ont été prévues, gagneraient en effet, pour la lisibilité de leur mission, à une certaine uniformisation de leurs intitulés. Les services déconcentrés de l'Etat, notamment de l'équipement, ne paraissant pas, en l'état actuel des choses, être susceptibles de rendre les services qui leur sont demandés par les précédents intervenants, la formule de l'autorité de régulation pourrait se révéler une solution adéquate.

M. Thierry Carcenac a remercié le rapporteur pour les éléments de clarification contenus dans son rapport. L'eau est un bien naturel marchandisé, et si le principe mis en avant est que « l'eau paye l'eau », la réalité est différente : dans de nombreux départements, les interventions des conseils généraux permettent de contribuer à abaisser les prix, sous la forme de subventions, au-delà même de la répartition du FNDAE. Les départements peuvent également mettre en place des structures de conseils techniques pour les petites communes, notamment pour la protection de leurs ressources, ou pour la mise en place de stations d'épuration.

Le Président Henri Emmanuelli a exprimé ses doutes quant à l'argument tiré de l'impuissance des collectivités locales face aux grandes sociétés. Cette tonalité est surprenante, et souvent susceptible d'être démentie par les faits. Ainsi la création d'un syndicat mixte chargé de l'eau et de l'assainissement dans le département des Landes a-t-il permis le développement de capacités de contre-expertise dans ce domaine. Il est possible aux collectivités concédantes de peser dans la négociation des appels d'offre, et donc sur les prix. On peut au demeurant rappeler que la situation d'oligopole est la résultante d'une évolution historique à laquelle l'État n'est pas étranger. Le problème est donc bien une certaine passivité des élus locaux. Il faut donc se défier de tout pessimisme : les prix peuvent baisser, pour l'eau comme pour le traitement des déchets.

Le Président Henri Emmanuelli a en outre proposé de saisir l'Office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques de la question de la qualité de l'eau. Si les travaux de la MEC doivent en effet aborder les aspects financiers, notamment la question des disparités des prix de l'eau, il n'est pas pour autant possible d'ignorer les questions plus qualitatives d'assainissement ou de traitement des pollutions. Il paraît donc opportun de saisir l'office de cette question, les commissions pouvant en effet le saisir directement.

Le Rapporteur a fait part de son total accord sur cette suggestion, retenue par la commission. Puis il a répondu aux intervenants en rappelant que le sujet traité est complexe et que, dans le cadre étroit et nécessairement limité de la MEC, il ne prétendait pas en avoir épuisé le champ. Le contexte du rapport est en outre différent des autres sujets traités par la MEC, puisque l'État intervient faiblement dans ce domaine, qui est de la compétence première des collectivités locales. Les agences de l'eau sont des entités distinctes de l'État. Enfin, le Rapporteur a précisé que sa remarque sur la détérioration de la qualité des eaux valait pour la situation des nappes phréatiques et non pour l'eau distribuée.

La Commission a ensuite, en application de l'article 145 du Règlement, autorisé la publication du présent rapport.

Information relative à la Commission

La commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a désigné M. Didier Chouat comme candidat titulaire et M. Charles de Courson, comme candidat suppléant pour siéger au Conseil supérieur des prestations sociales agricoles.

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