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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 34

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 13 décembre 2001
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Henri Emmanuelli, Président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen du rapport d'information sur la rémunération pour copie privée (M. Didier Migaud, Rapporteur général)


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La Commission de l'économie, des finances et de l'industrie a examiné le rapport d'information de M. Didier Migaud, Rapporteur général, sur la rémunération pour copie privée.

Le Rapporteur général a rappelé qu'en janvier dernier, la commission dite de la copie privée avait décidé d'étendre l'assiette et de majorer les taux de la rémunération pour copie privée, ce qui avait attiré l'attention sur ce prélèvement original et peu connu. Ce prélèvement représente une masse financière non négligeable, dont le montant est déterminé par une commission entièrement indépendante, sans que le Gouvernement ni le Parlement n'aient à en connaître. Il est de surcroît susceptible d'être étendu à tout type de support d'enregistrement, amovible ou inamovible.

Il a noté qu'il avait déjà déposé un amendement sur cette question à l'occasion de la discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel et qu'il avait procédé par la suite à l'audition de l'ensemble des représentants des intérêts concernés, afin de mieux percevoir les enjeux et les positions respectives des différents acteurs.

Le cadre juridique de la rémunération pour copie privée a été fixé par la loi du 3 juillet 1985 qui a reconnu, au bénéfice des auteurs, des artistes-interprètes et des producteurs, une rémunération à raison de la copie privée des phonogrammes et des vidéogrammes.

Cette rémunération trouve son fondement juridique international dans la convention de Berne pour la protection des _uvres littéraires et artistiques. En effet, contrairement à une opinion répandue, la copie à usage privé d'un disque ou d'un film est parfaitement légale. En la matière, la loi a institué un système de « licence légale ». La copie privée est donc absolument distincte du piratage, qui est un délit. Bien évidemment, ce droit reconnu au « consommateur » d'_uvres constitue un préjudice pour les ayants droit des _uvres concernées, dans la mesure où la copie se substitue à l'achat d'un exemplaire commercial. De la licence légale naît donc un droit légitime à compensation. Les redevables de cette rémunération sont les fabricants et importateurs des supports d'enregistrement, la rémunération ainsi acquitté étant de fait répercutable sur le prix de détail.

La loi de 1985 a retenu le principe d'une délégation à une commission paritaire du pouvoir de déterminer le montant du nouveau prélèvement. Celle-ci est composée pour moitié par les représentants des ayants droit, pour un quart par ceux des importateurs et fabriquants et pour un quart par les représentants des consommateurs. Elle est présidée par un représentant de l'Etat nommé par arrêté du ministre chargé de la culture. Ce président joue un rôle important dans la conduite des travaux et des débats de la commission. En cas de partage des voix, il dispose d'une voix prépondérante. Par ailleurs, il peut demander une seconde délibération, pouvoir dont ne dispose pas le ministre. La commission se détermine à la majorité des membres présents et ses décisions sont publiées au Journal officiel.

Il s'agit donc d'une commission à laquelle est consentie une très large indépendance, d'autant plus significative que sa mission consiste à déterminer « les types de support, le taux de rémunération et les modalités de versement » du prélèvement que représente la rémunération pour copie privée, c'est-à-dire son assiette, son taux et ses modalités de recouvrement.

La rémunération pour copie privée est perçue pour le compte des ayants droit par une ou plusieurs sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD). Cette perception est assurée par deux sociétés distinctes, la société pour la rémunération de la copie privée sonore (SORECOP), s'agissant des phonogrammes, et la société pour la rémunération de la copie privée audiovisuelle (COPIE FRANCE), s'agissant des vidéogrammes.

La répartition des sommes collectées par ces deux sociétés obéit tout d'abord à une clé de répartition fixée par la loi : 50% pour les auteurs, 25% pour les artistes-interprètes et 25% pour les producteurs. S'agissant de la rémunération des vidéogrammes, elle est servie à parts égales aux trois catégories précitées. Au sein des différents collèges ainsi définis, les règles de partage sont différentes et fonction des accords passés entre les SPRD chargés de la répartition.

Enfin, les sommes ainsi versées aux SPRD ne sont pas réparties de façon discrétionnaire par ces dernières. En effet, 25% des sommes provenant de la rémunération pour copie privée doivent être utilisées « à des actions d'aide et de création, à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation des artistes ». Il s'agit là d'une disposition particulièrement importante, qui contribue à une forme de redistribution au profit d'actions d'intérêt général des sommes recouvrées au titre de la copie privée. Cela représente un montant de crédits non négligeable (133 millions de francs environ en 2000).

Le Rapporteur général a considéré que cette affectation et ce système de gestion collective des droits avaient fait leurs preuves et qu'en matière de rémunération pour copie privée, les principales questions soulevées par les évolutions récentes ne se situaient pas autour du problème de la répartition des sommes collectées mais bien autour de celui de la définition de l'assiette et des taux de ce prélèvement.

Il a rappelé que la première décision de la commission de la copie privée date du 30 juin 1986. Elle était révélatrice d'une volonté de n'assujettir que les supports spécifiquement utilisables à des fins de copie privée. La poursuite de cet objectif était facilitée par le caractère relativement simple des supports analogiques, pratiquement dédiés à telle ou telle utilisation.

Depuis cette première décision de 1986, quatorze années se sont écoulées sans que la commission de la copie privée siège. Assiette et taux sont ainsi restés inchangés. L'érosion des recettes s'est pourtant manifestée à partir de 1995 et n'a cessé depuis de se confirmer. Ainsi, après avoir atteint 806 millions de francs en 1994, la rémunération pour copie privée a représenté 539 millions de francs en 2000. Les CDR audio et les DVD, non taxés jusqu'en 2001, se sont en effet rapidement substitués aux supports analogiques.

Le phénomène est significatif puisque, au total, de 1994 à 2000, les recettes encaissées ont été réduites d'un tiers.

Il a toutefois noté qu'en 1999, les sommes collectées au titre du prélèvement pour copie privée étaient notablement supérieures aux montants encaissés dans les Etats européens ayant instauré des systèmes analogues. Selon les données fournies par le Groupement européen des sociétés d'auteurs et de compositeurs, la France arrive loin en tête des vingt Etats recensés s'agissant des prélèvements opérés. Seule l'Allemagne peut être comparée à la situation française, avec 64,1 millions d'euros encaissés en 1999 (contre 83,85 millions d'euros en France). Parmi les pays comparables, en termes de population et, sans doute, de pratiques de copie privée, l'Italie arrive loin derrière, avec seulement 7,52 millions d'euros prélevés. Si les taux horaires retenus en France ne sont pas les plus hauts, ils figurent toutefois dans le tiers supérieur des tarifs retenus par l'ensemble des Etats européens pratiquant la copie privée. Ainsi, le taux en vigueur en France en 1999 sur les cassettes audio et vidéo analogiques était presque quatre fois supérieur à celui retenu en Allemagne.

Face à l'érosion des recettes et à la disparition programmée et progressive des supports analogiques, les ayants droit ont réagi en demandant une reformation de la commission de la copie privée et une extension de l'assiette de la rémunération aux nouveaux supports d'enregistrement numériques.

Un nouveau cycle de négociations s'est donc engagé.

Comme l'ont indiqué la plupart des personnes auditionnées dans le cadre de la préparation du rapport, il s'agit d'une discussion difficile. Les positions de départ des ayants droit et des redevables étaient très éloignées et les industriels et importateurs ont ralenti, autant que faire ce pouvait, le rythme des travaux, afin de repousser au maximum la prise d'une décision de toute façon pratiquement inéluctable en raison de la composition même de la commission et de ses règles de fonctionnement.

Le 4 janvier 2001, la commission de la copie privée a finalement adopté une décision très importante, parue au Journal officiel du 7 janvier 2001. La première caractéristique de cette décision est qu'il s'agit avant tout d'une décision de principe, annonçant que l'ensemble des supports d'enregistrement susceptibles d'être utilisés à des fins de copie privée sont éligibles à la rémunération pour copie privée. La commission s'appuie à cet égard sur la loi et sur un avis du Conseil d'Etat du 10 octobre 2000. La complexité des questions soulevées par la plupart de ces supports intégrés, ainsi sans doute que les réactions suscitées par cette perspective d'élargissement de l'assiette, ont différé à ce jour la prise de décision en ce qui concerne les supports d'enregistrement intégrés dans les matériels grand public, même si les travaux de la commission ont continué à un rythme soutenu.

Le second volet de la décision réside dans la fixation de nouveaux taux, qu'il s'agisse de l'actualisation de ceux concernant les supports analogiques ou de ceux portant sur les supports numériques, désormais inclus dans l'assiette de la rémunération pour copie privée.

Les effets de la décision du 4 janvier 2001 se situent à un double niveau. D'une part, cette décision est destinée à avoir des conséquences à la fois sur l'évolution des prix au détail des supports taxés et sur les perceptions enregistrées par la SORECOP et COPIE FRANCE.

S'agissant de l'effet prix de la décision, il apparaît que les grossistes avaient constitué de très importants stocks de CD vierges avant que la commission de la copie privée n'ait statué, en janvier, ce qui a différé les répercussions sur les prix au détail. Si pour 2001, une somme d'un milliard de francs était anticipée, les prévisions de perceptions sont désormais plus modestes et la rémunération pour copie privée au titre de 2001 était désormais évaluée à 795 millions de francs (+47,5% par rapport à 2000).

Le deuxième effet de la décision du 4 janvier 2001, singulièrement plus profond, a sans doute été d'appeler l'attention sur un prélèvement peu connu et de révéler, par la même occasion, l'ampleur des problèmes soulevés par la copie privée. A cet égard, si les représentants des ayants droit ont manifesté leur attachement au système actuel, les vertus du paritarisme ne sont, semble-t-il, pas perçues de la même manière par les organisations représentatives des consommateurs ou des redevables.

Par ailleurs, les bénéficiaires de la rémunération pour copie privée sont appelés à s'accroître à mesure que les capacités des nouveaux supports numériques s'étendent à de nouvelles catégories d'_uvres.

De ce point de vue, la composition actuelle de la commission de la copie privée ne répond plus aux exigences de représentativité dans la mesure où les nouveaux ayants droit au titre de l'article 15 de la loi du 17 juillet 2001 n'y figurent pas. Une réforme de sa composition, au moins dans un premier temps par voie réglementaire, apparaît donc indispensable.

Le Rapporteur général a relevé que la volonté affichée d'étendre l'assiette de la rémunération pour copie privée aux disques durs des micro-ordinateurs, évoquée ouvertement par les représentants des ayants droit, conduirait naturellement à s'interroger sur l'impact qu'aurait cette décision sur un secteur économique désormais extrêmement important, tant par l'ampleur du nombre de machines vendues au public chaque année que par celle des investissements informatiques réalisés par les entreprises. Par delà les implications économiques, ce sont des questions proprement politiques qui sont dès lors posées, notamment celle de l'égalité d'accès à la société de l'information. De plus, l'évocation d'une taxation des disques durs d'ordinateurs, supports par essence hybride, pose le problème de la légitimité d'un prélèvement portant sur des supports non dédiés à la copie privée. C'était certes déjà le cas s'agissant de bien des supports numériques amovibles, assujettis à compter de la décision du 4 janvier 2001, mais la question des disques durs d'ordinateurs met en lumière brutalement les interrogations qui peuvent se porter sur la nature juridique de la rémunération pour copie privée et sur son éventuelle évolution.

La nature juridique actuelle de la copie privée ne fait aucun doute : il s'agit clairement d'un prélèvement à caractère privé, même s'il présente des originalités très marquées.

L'essentiel réside toutefois dans le fait que la nécessité de compenser le préjudice privé résultant de la copie ne conduit pas de façon automatique à instaurer un prélèvement de nature privée.

Si la loi de 1985 avait fait le choix pertinent d'un prélèvement de nature privée, cette décision s'expliquait largement par les caractéristiques des supports d'enregistrement disponibles à l'époque. Dans la mesure où les supports analogiques étaient en pratique dédiés à la copie privée, d'une certaine manière, le consommateur acceptait, par un contrat tacite, de payer la rémunération répercutée sur le prix au détail, sachant qu'elle était légitime, car véritablement liée à une pratique reconnue de copie.

Cette approche a toutefois été largement remise en question par l'apparition et de développement des supports numériques, par nature de plus en plus hybrides. Par exemple, les CDR permettent, certes, de fixer de la musique, mais ont également beaucoup d'autres applications, notamment d'archivage, privé ou public. Les réactions hostiles qui ont pu se manifester à l'évocation d'une extension de l'assiette de la rémunération pour copie privée témoignent d'une réticence à accepter un prélèvement de nature privée sur des matériels dont la destination n'est plus que potentiellement la copie privée. Or, la rémunération pour copie privée est précisément fondée sur la présomption d'une telle utilisation. Les études et sondages sur lesquels s'appuient les travaux de la commission de la copie privée ne suffisent pas à donner un fondement légitime au fait que des utilisateurs de supports doivent acquitter un prélèvement alors même qu'ils ne procèdent à aucune copie privée. Du fait de l'écart croissant pouvant exister entre la copie privée au sens strict et le potentiel technique très varié des supports et matériels assujettis, le prélèvement s'éloigne de plus en plus d'une rémunération privée et ressemble davantage à une imposition spécifique, entrant dans la catégorie des impositions de toute nature.

Le Rapporteur général a relevé que si la directive du 22 mai 2001 sur les droits d'auteurs reconnaissait le principe d'une compensation du préjudice subi, elle n'en fixait en aucune manière les modalités précises. De fait, sur les vingt Etats recensés par l'étude du GESAC, au moins douze ont choisi de fixer le prélèvement par la voie législative et trois par la voie réglementaire.

Il n'y a donc pas d'obstacle juridique empêchant que la rémunération pour copie privée soit fixée d'une manière différente de celle en vigueur depuis la loi de 1985, pourvu que la compensation du préjudice soit équitable.

La vraie question est donc de savoir si le choix opéré à l'époque par le législateur reste valable au regard des bouleversements entraînés par le développement extrêmement rapide du numérique. De ce point de vue, il apparaît que le système de fixation par une commission indépendante n'est plus guère satisfaisant.

D'une part, la composition de la commission, qui n'est plus en adéquation avec l'exigence d'une représentation équilibrée des diverses parties, et l'inexistence de ses moyens propres d'évaluation ont fortement érodé sa crédibilité. Sa capacité à prendre des décisions rapides et emportant une adhésion suffisante est désormais en question.

D'autre part, c'est la légitimité même de la commission qui fait défaut lorsqu'il s'agit de trancher des questions qui vont bien au-delà des seuls choix relatifs aux modalités de compensation des préjudices subis du fait de la copie privée. C'est sans doute l'un des meilleurs moyens pour assurer la pérennité de la copie privée, concept européen équilibré, auxquels sont en fait attachés l'ensemble des intervenants entendus.

Le Rapporteur général a indiqué que quatre séries de changements doivent donc être envisagées.

Il convient tout d'abord d'élargir les exemptions pour usage professionnel. Si la question est certes délicate, il n'en reste pas moins qu'un élargissement des possibilités de déduction est des plus nécessaires.

Ensuite, revoir la composition de la commission de la copie privée apparaît indispensable. Outre l'adaptation de sa composition à l'élargissement des ayants droit opéré par de la loi du 17 juillet, il faut modifier plus largement la composition de la commission, afin que les préoccupations d'intérêt général puissent y être davantage prises en considération. De ce point de vue, l'Etat doit jouer pleinement son rôle. La commission gagnerait en légitimité si son président était nommé directement par le Premier ministre. Des représentants des ministères concernés, à savoir le ministère de la culture, le secrétariat d'Etat à l'industrie et le secrétariat d'Etat chargé de la consommation, devraient également participer à ses travaux.

Une transparence accrue de la commission de la copie privée doit être assurée, de même qu'il est nécessaire de lui fournir des moyens à la hauteur de sa tâche. Il est souhaitable de prévoir une publication des procès verbaux des séances et des votes nominatifs. Un rapport annuel au Premier ministre et au Parlement, faisant le point sur l'évolution des travaux en cours, peut être utile. S'agissant des moyens, l'affectation d'un pourcentage limité des sommes perçues au fonctionnement de la commission est envisageable, notamment en vue du financement d'études indépendantes ou pour indemniser les représentants - bénévoles - des consommateurs.

Enfin, en raison des changements des caractéristiques des supports d'enregistrement, seul le Parlement peut légitimement décider de l'ampleur du prélèvement. Toutefois, la complexité des questions liées aux évolutions des technologies numériques nécessite un lieu d'expertise et de discussion, afin d'éclairer le Parlement dans ses choix. La commission de la copie privée, élargie et renforcée, assurera efficacement ce rôle, et ce d'autant plus qu'elle ne sera plus un simple lieu de « marchandage » mais bien le siège d'un débat de plus grande ampleur. Il reviendrait donc à la commission de la copie privée de formuler publiquement ses propositions, à charge pour le Gouvernement d'en saisir le Parlement ou à ce dernier de s'en saisir directement, par le biais d'amendements ou de propositions de loi. Conformément à la Constitution, et comme chez la plupart de nos partenaires, c'est au législateur qu'il appartient de fixer l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement d'un prélèvement actuellement privé et très original que l'évolution technique a fait basculer dans la catégorie des impositions de toute nature.

En revanche, il convient de ne pas de remettre en cause l'affectation de ce prélèvement, ses modalités de répartition, ni la part réservée aux actions d'intérêt général.

M. Michel Bouvard a souhaité savoir pourquoi la Grande-Bretagne n'apparaissait pas dans la liste des pays recourant à la copie privée.

Répondant à une question similaire du Président Henri Emmanuelli, le Rapporteur général a indiqué que la Grande-Bretagne, comme l'Irlande et le Luxembourg, ne reconnaissaient pas de droit à copie privée et s'en remettaient exclusivement au système du copyright.

Puis, la Commission a autorisé, conformément à l'article 145 du Règlement, la publication de ce rapport.

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