Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des finances, de l'économie générale et du plan (1998-1999)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 55

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 15 juin 1999
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

SOMMAIRE

 

pages

– Table ronde en vue du débat d’orientation budgétaire avec MM. Philippe Bouyoux, sous-directeur des synthèses macroéconomiques à la Direction de la Prévision du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, Michel Didier, directeur de Rexecode et André Gauron, membre du Conseil d’analyse économique

2

– Informations relatives à la Commission

11

Le Président Augustin Bonrepaux, après avoir évoqué le relatif optimisme qui caractérise l’appréciation portée sur les finances publiques, a affirmé retirer du rapport sur l’évolution de l’économie nationale et des finances publiques, remis par le Gouvernement, trois conclusions principales :

– un rythme de croissance prévisionnel de 2,5 % à 3 % ;

– une situation de l’emploi qui montre des perspectives encourageantes, puisque 270.000 emplois devraient être créés en 1999 ;

– un déficit budgétaire contenu grâce à la maîtrise des dépenses de l’État.

Il a posé trois séries de questions aux intervenants : sur l’évolution de la conjoncture de l’économie française et européenne dans les mois à venir, sur les répercussions de cette évolution conjoncturelle sur les grands équilibres des finances publiques et sur les marges de manœuvres que ces évolutions confèrent aux pouvoirs publics en ce qui concerne la réduction des déficits publics, le développement de la politique de l’emploi et la diminution du poids de la fiscalité.

M. Philippe Bouyoux, sous-directeur des synthèses macro-économiques à la Direction de la Prévision du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, a tout d’abord expliqué que si le relatif optimisme évoqué par le Président Augustin Bonrepaux s’appliquait au dynamisme actuel de la conjoncture, il fallait revenir sur un début d’année moins favorable : en effet, après un taux de croissance faible de 0,3 % au premier trimestre de l’année, suivant les comptes trimestriels de l’INSEE, les prévisions pour 1999 laissent apparaître un ralentissement du taux de croissance annuel qui pourrait conduire à réviser à la baisse le chiffre initialement retenu lors de l’élaboration de la loi de finances pour 1999.

Il a ensuite décrit les causes et les conséquences du ralentissement économique observé au premier trimestre, dû à la crise subie par les pays émergents et provoquant un choc sur les secteurs exposés à la concurrence internationale, et en particulier l’industrie. Il a indiqué que ce « trou d’air » avait pourtant eu des effets limités dans le temps – grâce à l’amélioration de la situation économique des pays émergents et des États–Unis comme le prouvent les dernières enquêtes de conjoncture réalisées par la Banque de France et par l’INSEE – comme dans l’ampleur de la crise, puisque le poids des secteurs abrités dans l’économie française, le maintien à un haut niveau de la confiance des ménages grâce aux résultats favorables du marché du travail, ainsi que la réaction adéquate de la Banque centrale européenne, ont limité l’impact du ralentissement économique.

M. Philippe Bouyoux a rappelé que les comptes trimestriels de l’INSEE montraient qu’après une certaine déprime de l’investissement des entreprises en octobre dernier, cet indicateur avait retrouvé un bon niveau, malgré un ajustement effectué sur les stocks, réaction cohérente avec la nature transitoire du choc. Il a ensuite souligné que les enquêtes de l’INSEE montraient une amélioration particulière des perspectives de production industrielle. Il a attribué la sortie du « trou d’air » à l’amélioration de l’environnement économique mondial et à la bonne coordination, dans la zone euro, entre la politique budgétaire, marquée par une baisse des charges d’intérêt contribuant à améliorer les soldes budgétaires structurels sans impact restrictif, et une politique monétaire aboutissant à des niveaux favorables des taux de change et d’intérêt réels.

Il a précisé qu’un scénario consensuel fixait le niveau de la croissance pour l’année 1999 à un chiffre compris entre 2,2 et 2,5 % en moyenne annuelle, et que l’accélération observée au deuxième semestre porterait le taux de croissance pour 2000 à un chiffre compris entre 2,5 et 3 %. Il a expliqué que le socle de cette croissance était une demande intérieure soutenue, alimentée par la consommation des ménages et l’investissement des entreprises. En ce qui concerne les créations d’emplois, après une année 1998 particulièrement favorable, le nombre de créations d’emplois pour 1999 se situerait à 270.000 et à 400.000 en 2000. Il a souligné que les modèles utilisés, dont les paramètres se fondent sur les données passées, n’arrivaient cependant pas à expliquer le niveau actuel des créations d’emplois.

Il a conclu en soulignant que la croissance française avait comparativement mieux résisté au « trou d’air » que ses partenaires européens, grâce à la situation favorable du marché du travail.

M. Michel Didier, directeur de Rexecode, a évoqué les opportunités existant actuellement dans l’économie européenne mais il a insisté sur les dix-huit mois de ralentissement qu’elle traversait, le taux de croissance ayant chuté de 4 % au deuxième trimestre 1997 à 2 % au premier trimestre 1999, ce qui constitue une performance très modeste par rapport à la situation observée outre-atlantique. Parce que des freins ralentissent la croissance européenne, il convient de s’interroger sur son évolution future.

Il a posé la question d’une éventuelle fin du phénomène de « trou d’air » que connaît l’économie française depuis plusieurs mois, alors que les années 1997-1998 avaient été marquées par une situation internationale exceptionnelle, à l’origine d’une forte croissance des exportations. M. Michel Didier a indiqué que les données les plus récentes montraient effectivement la fin de la dégradation de la conjoncture, comme l’atteste la situation dans différents secteurs : la construction est située à son plus haut niveau depuis dix ans, même si un reflux est prévu en 2000 ; la fin de la dégradation dans l’industrie est probable, quoique les stocks demeurent élevés, que les effectifs régressent toujours et que les prix n’augmentent pas. Dans les services, la croissance est positive et fait l’objet d’anticipations favorables, malgré un taux modéré au premier trimestre 1999. Ces données ne semblent pourtant pas de nature à signaler une nouvelle accélération de la croissance : alors que la loi de finances initiale misait sur un taux de 2,7 %, les prévisions de Rexecode étaient de 2,1 à 2,3 %, chiffre qui se confirme.

Afin d’évaluer la tendance qui va succéder au « trou d’air », M. Michel Didier a analysé l’environnement économique actuel. Il a d’abord mis l’accent sur les risques relatifs aux pays émergents : si la croissance doit repartir, ce sera à un niveau inférieur à celui qui était atteint avant la crise asiatique, puisque celle-ci avait pour origine des flux de capitaux dont le retour ne peut être que progressif et parce que le prix des matières premières ne devrait pas connaître de fort rebond. Il s’est, de plus, inquiété de la tenue du yuan chinois et de la situation en Amérique latine, en particulier en Argentine et au Brésil.

Il s’est ensuite intéressé à l’exceptionnelle croissance américaine et à ses perspectives. Il a présenté deux possibilités : un ralentissement spontané jusqu’à 2 % de croissance, sans inflation, qui entraînerait une baisse des taux d’intérêt, ou la persistance d’une croissance haute qui provoquerait une hausse des taux d’intérêt, une chute de la valeur des titres, voire une récession. Le premier scénario apparaît à la fois plus probable et plus souhaitable, dans la mesure où il conduirait à une baisse des taux et du dollar.

Il a souligné le fait que la croissance des années 1997-1998 en Europe avait été impulsée par la demande mondiale et la diminution des taux d’intérêt, mais qu’elle ne lui semblait pas durable : il est préférable de parler d’un retour à une tendance longue de croissance qui se situe autour de 2 % par an.

Pour ce qui est de la France, M. Michel Didier a rappelé que le taux de croissance moyenne annuelle a été de 1,4 % dans les années 1990, et de 2,2 % pour les vingt-cinq dernières années. Il a jugé que la croissance des années 1990 avait été perturbée par les fluctuations monétaires et par la croissance américaine. Sauf changement structurel peu probable, la croissance tendancielle devrait s’établir à environ 2,2 %, taux prévisible pour 2000. Néanmoins, il n’a pas exclu la possibilité de mouvements conjoncturels et s’est inquiété des conséquences du passage aux trente-cinq heures qui constituera un « choc de coût », lequel sera plus ou moins amorti selon le partage qui sera établi entre gains de productivité, modération salariale et pressions sur la production. Dans un scénario optimiste, on peut s’attendre à un choc atténué et étalé dans le temps ; dans le cas contraire, il a craint une chute de la production et de l’emploi. Si ses prévisions reposent sur le premier scénario, il a déclaré attendre de connaître le contenu de la nouvelle loi pour pouvoir se prononcer plus sûrement et a mis l’accent sur le fait que seule la négociation pourrait empêcher qu’un cercle vicieux ne s’enclenche.

M. André Gauron, membre du Conseil d’analyse économique, a tout d’abord décrit l’évolution récente des finances publiques : le déficit public a diminué de 20 milliards de francs par rapport à celui de 1997 et de 10 milliards de francs par rapport à la loi de finances initiale. Mais il a noté que le solde primaire demeure négatif, même s’il diminue. Il a attribué cette amélioration de la situation au dynamisme des recettes totales et fiscales, et à une augmentation de la dépense publique plus lente que la croissance du PIB en valeur, tout en déplorant que ce ralentissement se soit opéré au détriment des dépenses en capital. Il en a conclu que l’amélioration était fragile et plutôt due à la conjoncture économique qu’à une politique volontariste.

Il a estimé que la crise asiatique avait moins influencé la conjoncture française en 1999 que ne l’avait fait le ralentissement conjoncturel en Allemagne et en Italie, ralentissement lié à la crise asiatique, mais aussi à des facteurs internes. Il a donc mis en avant la nécessité de la définition d’une réelle politique économique européenne dans la zone euro, qui prenne en compte l’ensemble du continent.

M. André Gauron a insisté sur la nécessité d’utiliser les marges de manœuvre de l’économie française pour renforcer sa politique de l’offre. Si nos économies ne sont peut-être pas entrées dans une nouvelle ère économique, elles sont néanmoins confrontées à un important changement structurel, notamment en raison de l’introduction des nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui ont d’importantes conséquences sur les structures de l’offre et de la demande. Il a fait observer que l’Europe était à cet égard dans une situation particulière car, contrairement aux États-Unis, elle produisait trop peu de ces nouvelles technologies. Dès lors, elle risque de cumuler les contraintes issues de l’adaptation de son appareil productif et des suppressions d’emplois qui en découlent, sans pour autant bénéficier de créations d’emplois dans ces secteurs. Il a donc plaidé pour que les mesures visant à soutenir ces secteurs deviennent un axe central de la politique économique de notre pays.

Observant que la plupart des scénarios macro-économiques pour l’horizon 1999-2000 prévoyaient une amélioration globale de l’économie mondiale, un regain de croissance dans la zone euro et un « atterrissage en douceur » des États-Unis, M. Didier Migaud, rapporteur général, s’est interrogé sur les risques qui pèsent sur un tel scénario et sur les conséquences qu’aurait un éventuel éclatement de la bulle financière aux États-Unis. Il s’est également inquiété des répercussions sur les perspectives de croissance en France et des faibles performances économiques de l’Italie et de l’Allemagne. Il a demandé aux économistes s’ils jugent fondés les reproches formulés par plusieurs organismes, dont l’OCDE, sur la rigidité et la segmentation du marché du travail français et sur les risques que l’absence de réformes structurelles profondes ferait peser sur la croissance à long terme. Il s’est enfin interrogé sur les facteurs qui pourraient compromettre, à l’horizon 2000, la mécanique vertueuse de la confiance, de la consommation et du revenu observée pour les ménages depuis plusieurs trimestres, ainsi que sur la pérennité de l’actuel système de « policy mix ».

M. Philippe Bouyoux a rappelé que l’économie française enregistrait, dans les années 90, un rythme de croissance compris entre 1 et 1,5 %. Si l’on prend en considération les 25 dernières années, ce rythme s’élevait alors à environ 2,2 % l’an. Il a considéré que certains éléments pouvaient laisser penser que ce rythme pourrait atteindre à l’avenir 2,5 ou 3 %. Dès lors, l’hypothèse d’une croissance potentielle de 2,2 % est une hypothèse prudente. Il a insisté sur le fait qu’il fallait distinguer entre la croissance potentielle et la croissance possible : en effet, si l’économie française a connu une croissance inférieure à son potentiel pendant plusieurs années, elle a en quelque sorte accumulé un déficit de croissance autorisant un rattrapage et donc une croissance plus rapide, sans que les équilibres macro-économiques soient, de ce fait, menacés.

S’agissant de l’équilibre budgétaire, il a indiqué que le solde primaire serait presque nul en 1999 et qu’un excédent devrait apparaître en l’an 2000.

Il a confirmé que l’Allemagne et l’Italie avaient connu une croissance plus faible que celle de l’économie française et que tout laissait à penser que cette situation perdurerait au moins jusqu’à la fin de cette année. Selon lui, cet écart s’explique d’abord par la spécialisation différente du commerce extérieur de ces deux pays, tant géographique – l’Allemagne étant plus engagée vis-à-vis de la Russie et des pays de l’Est – que sectorielle, l’Italie étant spécialisée sur des secteurs où la concurrence des pays émergents est forte. Dès lors, si la croissance des pays émergents se résout, on peut s’attendre à un rebond de la croissance allemande ou italienne. En second lieu, il faut observer que l’évolution de la demande a été, en Allemagne et en Italie, deux fois plus faible que celle observée en France au cours des deux dernières années, l’augmentation constatée dans notre pays s’expliquant par la forte croissance des revenus d’activité, et, donc, par une meilleure tenue du marché du travail. Enfin, il a attiré l’attention sur le fait que le « policy mix » a été très différent en Italie, puisque ce pays a mené un ajustement budgétaire à marche forcée pour intégrer la zone euro.

M. Michel Didier a estimé que la notion de déficit de croissance devait être maniée avec prudence car il n’est pas exclu, comme cela a d’ailleurs été le cas dans les années 70, que la croissance ait changé de pente et qu’il n’y aurait donc, dès lors, plus de rattrapage possible.

S’interrogeant sur la possibilité de parler effectivement de bulle financière aux États-Unis, il a reconnu que la valeur des actifs financiers nets détenus par les ménages américains avait fortement augmenté au cours des dernières années : alors qu’elle représentait trois ans de revenus disponibles jusqu’en 1994, elle en représente aujourd’hui quatre. Il s’agit là d’un gain considérable. S’agissant des perspectives d’évolution, il a indiqué qu’il ne fallait pas surestimer la bulle financière constituée par les valeurs liées à l’Internet. Celle-ci ne représente en effet qu’une faible partie de la capitalisation boursière totale : le NASDAQ ne représente qu’une capitalisation de 2.000 milliards de dollars sur un total de 12.000 milliards de dollars et la part des valeurs informatiques n’y est que de 35 %. Ainsi, si les valeurs liées à l’Internet diminuaient de 20 %, la capitalisation boursière américaine globale ne diminuerait que de 2 %. Même s’il existe une surestimation générale des valeurs boursières, un reflux de 20 % laisserait néanmoins de considérables plus-values constituant un important élément amortisseur. Il a également relativisé les conséquences qu’un tel reflux aurait sur l’Europe, estimant qu’à moyen terme on observerait une déconnexion assez rapide des marchés boursiers de part et d’autre de l’Atlantique.

Abordant la question de la situation conjoncturelle de l’Allemagne et de l’Italie, il a jugé que celle-ci s’expliquait par des causes temporelles et circonstancielles, même s’il est vrai que l’Allemagne est confrontée au problème plus durable de la baisse de sa productivité moyenne.

S’agissant des éléments qui constituent des rigidités économiques, il faut souligner que la France est toujours un peu hors norme par rapport à ses voisins. En la matière, il n’y a pas que les rigidités du marché du travail et l’on peut évoquer aussi la part du secteur géré selon des normes publiques, sur lequel un certain nombre de stimulants économiques demeurent sans effet.

En ce qui concerne le développement des nouvelles technologies, il a insisté sur le fait que l’Europe affichait un important retard par rapport aux États-Unis. Si le PIB de la zone euro représente 75 % du PIB américain, la production de logiciels en Europe ne représente plus que la moitié de la production américaine et la production de nouvelles technologies de l’information et de la communication seulement 40 % de la production américaine. Dès lors, il a estimé que si l’Europe ne se constituait pas une offre dans ces secteurs, alors que les investissements dans ces technologies sont indispensables, elle contribuera à accélérer la croissance aux États-Unis et non pas dans son champ géographique.

Rappelant que la confiance des ménages constitue un indicateur peu prédictif, il a jugé qu’elle devrait reculer très lentement car les ménages n’ont pas encore intégré le ralentissement de l’économie ; toutefois cela a peu d’importance à court terme, car ce degré de confiance est très élevé aujourd’hui.

Il a fait observer que la pérennité actuelle du « policy mix » ne dépendait pas des économistes mais des choix politiques des différents États européens. Il a fait observer que la réduction progressive des déficits publics était indispensable pour permettre à la Banque centrale européenne de maintenir de faibles taux d’intérêt.

Évoquant la situation aux États–Unis, M. André Gauron a souligné que l’économie de ce pays était en réalité soutenue par les économies du monde entier, en particulier grâce à la demande de nouvelles technologies de l’information et de la communication et, surtout, en raison du financement de son déficit par le système monétaire international. Il a ajouté que cette année se caractérisant par une échéance électorale, la situation n’était sans doute pas susceptible d’évoluer.

Il a ensuite abordé la question de l’euro en insistant sur l’attention qui devait être portée à la situation en Allemagne à la suite notamment des derniers résultats électoraux qui y ont parfois été interprétés comme un signe de mécontentement à l’égard de la faiblesse de l’euro par rapport au mark. Dans ces conditions, il a estimé qu’un durcissement de la politique monétaire et a fortiori qu’une absence de baisse des taux d’intérêt en Europe au cours des douze prochains mois étaient prévisibles.

S’agissant enfin de la situation de la France, il a considéré que l’incertitude liée aux modalités d’application du passage aux 35 heures pourrait avoir des effets négatifs. Il a notamment insisté sur la nécessité de déterminer, dans les meilleurs délais, le niveau du SMIC, élément crucial pour les entreprises embauchant des personnes à bas salaires, et de régler le problème des heures supplémentaires, afin de permettre ainsi les embauches attendues.

M. Gérard Saumade a appelé l’attention sur la difficulté d’avoir des prévisions fiables. Il a insisté sur la tension existant actuellement dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, soulignant qu’il était désormais rare qu’une procédure d’appel d’offres ne soit pas déclarée infructueuse et conduise à recourir à des marchés négociés, ce qui est à l’origine d’une hausse des prix préoccupante. Au regard de ces éléments, il s’est interrogé sur le risque d’une extension de cette augmentation à d’autres secteurs de l’économie. Il s’est par ailleurs demandé si cette situation ne rendait pas nécessaire une importation de main d’oeuvre, afin de disposer d’emplois adaptés aux besoins de l’économie.

Il s’est, en outre, déclaré préoccupé par l’avenir prévisible de l’Union européenne en soulignant que la France allait progressivement évoluer d’une position de « receveur » dans le cas de la politique agricole commune ou des fonds structurels, par exemple, à une position de fournisseur de capitaux. Dans un tel contexte, il s’est interrogé sur la possibilité d’articuler ces facteurs d’évolution avec les perspectives que ne manquerait pas d’ouvrir l’effort de reconstruction en ex-Yougoslavie.

Déplorant l’absence de diffusion des comptes de la Nation pour l’année 1998 alors même que leurs bases de référence ont été modifiées, M. Philippe Auberger a souhaité que ces documents soient adressés dans les meilleurs délais à la représentation nationale, qui doit en être le destinataire prioritaire.

Évoquant une déclaration du ministre de l’Économie se félicitant d’un taux de croissance en France plus élevé que celui de ses trois principaux voisins, il a estimé qu’il convenait davantage de se référer au taux de croissance moyen de l’ensemble des pays européens qui se situait, d’après les prévisions de la Commission européenne, à environ 2,2 %, ce qui plaçait la France exactement dans cette moyenne. Il a considéré qu’il importait en effet de situer l’économie française au sein de l’ensemble de la zone euro plutôt que par rapport à celle de ses trois voisins et, ce, d’autant que l’Allemagne était confrontée à des problèmes particuliers en raison de ses liens privilégiés avec la Russie, et que l’Italie avait cherché à entrer à marche forcée dans la zone euro, orientation ayant eu des effets restrictifs sur son économie.

S’agissant de la situation de l’emploi en France, il a relevé que l’économie connaissait certes un rythme de croissance des emplois, mais que les créations correspondantes bénéficiaient inégalement aux différentes tranches d’âge de la population, un allongement de la durée du chômage pouvant être observé chez les plus de 50 ans, ainsi qu’un moindre bénéfice de cette croissance pour les jeunes de moins de 25 ans. Il a en outre insisté sur le fait que ces embauches se faisaient le plus souvent par contrat à durée déterminée ou par interim, ce qui a d’ailleurs incité le ministre de l’Emploi et de la Solidarité à envisager une limitation du recours à ces formes d’embauche.

Enfin, il s’est interrogé sur les effets des « contrats de meilleure gestion » prévus dans les ministères qui constituaient en réalité, selon lui, de véritables gels de crédits. Estimant que ces gels avaient porté sur environ 15 milliards de francs de dépenses budgétaires, il a demandé quelles pouvaient être leurs conséquences sur la croissance et comment on avait pu parvenir à un tel montant alors même qu’une augmentation de 1 % des dépenses en volume avait été décidée.

M. Pierre Méhaignerie s’est inquiété des conséquences de la mise en place des 35 heures sur la situation de l’emploi, alors même que des goulots d’étranglement existent non seulement dans le secteur du BTP mais également dans de nombreux autres secteurs d’activité, comme l’agro-alimentaire ou la restauration.

Se référant à un article de presse, il a indiqué que le ministre de l’Économie et des Finances avait déclaré que la différence entre les économies des pays européens se jouait à plus ou moins un demi point de croissance. Il a souhaité connaître les raisons pour lesquelles l’économie française avait connu une croissance supérieure d’un demi point par rapport à celle de ses voisins, durant la période 60-70, puis une croissance inférieure du même taux au cours des années 80-90, soit un écart sur la période d’un point de croissance. S’agissant de la mise en place des 35 heures, il s’est interrogé sur les conséquences de l’application de ce dispositif dans le secteur public, caractérisé, selon lui, par de faibles marges de productivité et a souhaité recueillir l’avis de différents experts sur l’impact prévisible de cette mesure dans ce secteur.

M. Gérard Fuchs a tout d’abord souligné que la comparaison de la situation économique française avec celle de ses trois principaux voisins se justifiait par le niveau comparable de leur développement. Il a ensuite mis l’accent sur la priorité accordée par le Gouvernement à l’emploi des jeunes notamment à travers le dispositif des emplois jeunes. Enfin, s’il a admis que la mise en place de la loi sur les 35 heures pouvait provoquer un choc des coûts, il a estimé qu’elle ne manquerait pas, dans le même temps, de susciter d’importantes réorganisations permettant aux entreprises d’embaucher.

Puis il a posé deux questions portant, l’une sur la « surveillance mutuelle » entre les États membres, prévue par le Traité sur l’Union européenne, en vue de parvenir à une croissance plus forte, qui pourrait être dépassée au profit d’une véritable coopération économique dont l’objectif serait une relance de la croissance et sur la possibilité de faire jouer au budget communautaire un rôle plus dynamique en prévoyant un transfert de certaines compétences actuellement dévolues aux États par exemple, dans le domaine des réseaux de télécommunications ou des biotechnologies, afin de permettre non plus une simple adaptation aux évolutions du marché, mais une production autonome, génératrice d’emplois.

S’inquiétant de la détérioration du déficit primaire, M. Gilles Carrez a souhaité savoir si cette tendance n’était pas liée à une rigidité des dépenses, susceptible d’être accrue en 2000 en raison de l’effet, en année pleine, de la revalorisation des traitements dans la fonction publique, ainsi que de la mise en place des 35 heures et du dispositif des emplois jeunes.

M. Edmond Hervé a tenu à souligner que la Cour des comptes, dans son rapport préliminaire sur l’exécution des lois de finances pour 1998, avait souligné l’existence d’une baisse de 14 % des dépenses en capital consacrées aux interventions publiques. Il a, par ailleurs, jugé que le niveau quasi nul de l’inflation, l’excellence de la profitabilité des entreprises et de leur capacité d’investissement n’étaient pas assez présents dans les débats actuels sur la croissance. Enfin, il a estimé que les ménages n’avaient que très peu profité du partage de la valeur ajoutée ces dernières années.

En réponse, M. André Gauron a fait observer que, pour réduire les dépenses, il convenait de peser non seulement sur les dépenses de personnel qui représentaient environ 40 % du budget, mais surtout sur les dépenses d’intervention et la charge de la dette. Il a précisé qu’à ce titre, une gestion plus active de la dette, à l’exemple de ce qui se pratiquait aux États-Unis, et une réduction des exonérations fiscales qui constituaient, en fait, des dépenses déguisées, accompagneraient utilement des négociations globales avec les organisations syndicales sur la question des effectifs, de la durée du travail et des retraites. Il a constaté que l’affaiblissement de la contrainte extérieure par le biais de la contrainte monétaire, imposée par des politiques plus restrictives au début des années quatre-vingts, constituait sans doute l’un des événements majeurs de l’histoire économique récente. Il a ajouté que la nouvelle donne monétaire, marquée par le passage du système de Bretton-Woods à un mécanisme de changes flottants généralisé, avait été à l’origine d’une révolution dans le pilotage de l’économie mondiale, grâce à laquelle les États-Unis s’étaient défait de la contrainte extérieure.

Il a ensuite fait remarquer qu’une croissance moindre dans des pays partenaires tels que l’Allemagne et l’Italie aurait, à terme, des conséquences négatives sur la croissance de l’économie française, ce qui justifiait le passage de la simple coordination des politiques économiques des États membres de l’Union à une véritable coopération. Il a noté que cette politique pouvait buter, notamment, sur l’innovation, qui constituait pour les pays européens moins une question budgétaire qu’une question d’accès au financement, souvent difficile.

Enfin, il a fait observer que la flexibilité économique, dans les pays européens, se faisait moins par les prix que par le développement d’une organisation du travail fondée sur la multiplication des contrats à durée déterminée et le développement du travail à temps partiel, tous deux sources de précarité.

M. Philippe Bouyoux a indiqué que les hypothèses de croissance de l’économie américaine tendent à montrer que celle-ci bénéficie de ressorts internes, indépendants de l’évolution, plus timide, de l’économie européenne.

Puis, après avoir souligné qu’il n’existait pas de tensions inflationnistes dans l’économie en général, il a indiqué qu’il convenait de ne pas anticiper les risques de surchauffe et d’inflation liés à l’amélioration forte que connaissait le secteur du bâtiment et des travaux publics, qui était due à la fois à des raisons durables, telles que la baisse des taux d’intérêt, et à des causes plus temporaires, telles que des dispositions fiscales.

Il a précisé que les chiffres de l’INSEE, fondés sur le nouveau système européen de comptes, avaient d’ores et déjà été publiés, avant de rappeler que la croissance pour 1998 serait inchangée par rapport aux prévisions, et que le besoin de financement des administrations publiques s’établirait à 2,8 % du PIB. Il a fait savoir que le Rapport sur les comptes de la Nation devrait être rendu public le 18 juin.

Par ailleurs, il a expliqué que la croissance française, fixée à 2,1 % pour 1999, se situerait dans la moyenne de la zone euro, et serait plus forte que celle de l’Italie et de l’Allemagne, mais plus faible que la croissance tendancielle de l’Espagne ou de l’Irlande.

Enfin, il a justifié la signature de contrats de gestion entre le ministère chargé du budget et les ministères dits « gestionnaires » par la nécessité que soient prises en compte le fait que les objectifs contenus dans le programme pluriannuel étaient fixés en volume, ce qui impliquait de prendre en compte les différences entre les prévisions d’inflation, établies à 1,3 % dans le projet de loi de finances, et les révisions à 0,5 %, effectuées en avril.

Après avoir rappelé qu’il avait proposé de déconnecter les prévisions budgétaires proprement dites des objectifs de croissance fixés par le Gouvernement, M. Michel Didier a jugé nécessaire de modifier, en conséquence, la procédure d’élaboration du budget. Il a fait observer que la France se situe dans la moyenne de croissance économique de la zone euro depuis longtemps et qu’il conviendrait de mettre en place de grands programmes de moyen terme, au-delà du développement des seules nouvelles technologies de l’information et de la communication, domaines dans lequel l’Europe a déjà accumulé un retard important.

Enfin, il a tenu à faire état de l’ensemble des hypothèses qui sous-tendent les prévisions de Rexecode sur le passage aux trente-cinq heures. Ainsi, il a considéré que l’étape que représente l’an 2000 devait être passée avec le minimum de contraintes, ce qui suppose un contingent d’heures supplémentaires beaucoup plus fort qu’il ne l’est actuellement, un abaissement des majorations pour heures complémentaires, une stabilisation en valeur de la dépense publique durable qui permettrait d’assurer une certaine souplesse dans le partage du revenu national, comme l’a montré l’exemple des Pays-Bas, et enfin la mise en œuvre d’une transition longue, sous peine de voir certains secteurs, tels que l’industrie ou le bâtiment, éprouver des difficultés à trouver les effectifs adaptés à la demande. Il a conclu qu’un resserrement de la main-d’œuvre pourrait entraîner des pertes de production, et in fine un risque de décrochage de la croissance française par rapport à la tendance européenne.

*

* *

Informations relatives à la Commission

La commission des Finances, de l’Économie générale et du Plan a procédé aux désignations suivantes :

– M. Didier Migaud, rapporteur général, comme rapporteur sur la proposition de résolution (n° 1676) de M. Gérard Fuchs, sur l’avant-projet de budget général des Communautés européennes pour l’exercice 2000 (n° E 1253) ;

– M. Jérôme Cahuzac comme rapporteur pour avis sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.

——fpfp——


© Assemblée nationale