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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 62

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 8 septembre 1999
(Séance de 15 heures)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport d'information de M. Yves Tavernier sur les moyens des services des visas

- Examen du rapport d'information de M. Jean-Pierre Brard sur la fraude et l'évasion fiscales

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La Commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a d'abord examiné, sur le rapport de M. Yves Tavernier, un rapport d'information sur les moyens des services des visas.

M. Yves Tavernier, rapporteur, a tout d'abord indiqué que deux constats avaient motivé sa démarche. En premier lieu, il s'agit de comprendre les raisons pour lesquelles le budget du ministère des affaires étrangères a connu au cours de la dernière décennie une réduction drastique de ses moyens, tant en personnel qu'en capacité d'intervention, alors même que les postes diplomatiques représentent à l'étranger l'ensemble des ministères. En deuxième lieu, il était utile de saisir, sur le terrain, la pertinence des appréhensions du ministère chargé du budget qui considère que le Quai d'Orsay dispose de moyens suffisants, mais qu'il les emploie mal, et en qu'en conséquence il doit procéder par redéploiements.

S'intéresser plus précisément au service des visas permet d'éclairer cette problématique sous un angle particulièrement pertinent : premier poste de contrôle d'une grande partie de l'immigration clandestine, ce service est la vitrine de la France à l'étranger et constitue un domaine d'observation pertinent sur la présence française à l'étranger et un cadre d'évaluation idoine des moyens et de leur coût. En outre, il s'avère que la délivrance de visas est souvent source de conflit avec les populations intéressées.

Le rapport est fondé sur une centaine d'auditions de responsables des Affaires étrangères, d'autres ministères et de pays étrangers, et sur une enquête réalisée auprès des 230 postes consulaires. Enfin, plusieurs déplacements, en province (dans les services délocalisés des Affaires étrangères) et à l'étranger (notamment en Chine, au Mali et en Algérie), ont permis d'examiner la réalité sur le terrain, non seulement dans les représentations françaises, mais également britanniques et allemandes, ce qui a conduit à des comparaisons utiles.

L'observation de l'importance politique des décisions prises par les services des visas, de la complexité des législations et réglementations applicables et des moyens dérisoires pour la réalisation de ces missions conduit à un constat global d'insuffisance.

En premier lieu, l'enquête et les investigations sur le terrain amènent à dénoncer une politique du personnel inadaptée, dangereuse et parfois choquante, comme le révèlent les chiffres : en 1998, 494 agents ont traité 2,5 millions de demandes de visas, soit un ratio moyen de 5 000 dossiers par agent et par an ; ce ratio est en progression constante et forte ; ainsi, la charge de travail a augmenté de 18 % entre 1997 et 1998. Par ailleurs, les trois quarts des agents affectés dans les services sont des recrutés locaux, dont près d'un tiers de nationalité étrangère. Seuls quelques postes disposent d'un agent d'encadrement de catégorie B, tandis que le manque de professionnalisation est criant. En effet, dans les postes difficiles où les agents sont des autochtones, les risques de corruption sont évidents et posent un problème majeur de crédibilité et de moralité du consulat. C'est pourquoi il convient de renforcer de manière substantielle l'encadrement du service des visas et d'en assurer le renouvellement biannuel. Il manque, au strict minimum, 10 agents de catégorie B et 30 agents de catégorie C. Le sous-effectif dont souffre la sous-direction de la circulation des étrangers à Nantes est admis par tous. Le sujet est suffisamment sensible pour que le Gouvernement et le Parlement consentent un effort significatif. Le personnel doit croître en quantité, mais il doit aussi être mieux formé. L'évolution des législations nationales, européennes et celles des pays concernés impose un effort constant. Par ailleurs, le personnel doit bénéficier de la compétence et de l'expérience du ministère de l'Intérieur en matière de contrôle des frontières, de lutte contre l'immigration irrégulière ou de détection des documents falsifiés. Ainsi, les représentants des services compétents du ministère de l'Intérieur devraient régulièrement être envoyés dans les pays sensibles. Dans les pays très sensibles, un spécialiste de l'Intérieur pourrait utilement être intégré dans le service des visas.

En deuxième lieu, trois mesures permettraient de renforcer les moyens matériels des services des visas. Il pourrait être envisagé de percevoir des droits de chancellerie dès le dépôt de la demande. Ces droits pourraient, en cas de refus, être non remboursables, comme dans le système britannique, ou remboursables pour moitié, comme dans le système allemand. Des frais de dossiers pourraient être perçus en sus des droits de chancellerie. En tout état de cause, il faudrait assurer un retour aux services consulaires du produit des droits de chancellerie perçus par les services des visas. En effet, il faut souligner que le Consulat, parent pauvre de la diplomatie, n'ayant pas les moyens pour remplir ses missions, fournit au budget de l'État des recettes très importantes. La délivrance des visas proprement dite a rapporté 287 millions de francs en 1998, soit 600.000 francs par agent. L'ensemble des recettes de chancellerie a atteint plus de 322 millions de francs, soit une progression de 16 % entre 1997 et 1998. Une part des recettes des visas alimente un fonds de concours destiné aux dépenses immobilières et informatiques du ministère des Affaires étrangères. Ainsi, 30 % des recettes sont attribuées au Quai d'Orsay. Cette procédure prendra fin l'an prochain. Il faut que le fonds de concours soit pérennisé et que soit appliquée aux consulats la pratique des missions économiques et financières du ministère de l'Économie, qui bénéficient d'une ristourne égale à la moitié du montant des prestations qu'elles ont effectuées.

L'affectation de l'ensemble du produit des droits de chancellerie au budget du ministère des Affaires étrangères permettrait d'équiper les postes à risques d'un matériel de détection de faux documents, pour un coût modique d'environ 2 000 francs par poste, et d'améliorer la qualité des locaux d'accueil.

En troisième lieu, les procédures mériteraient d'être améliorées. Il conviendrait de créer un guichet « visas Schengen » unique et d'uniformiser les formulaires demandés par les pays Schengen. Ensuite, il faut supprimer le droit de timbre sur les requêtes adressées de l'étranger à l'encontre des décisions de refus de visas. Tout recours est assujetti à un droit de timbre de 100 francs. Sans timbre il est irrecevable. Or, depuis une réforme récente de la comptabilité publique à l'étranger, les chancelleries ne peuvent plus vendre de timbres. Aussi un requérant chinois doit-il se procurer le timbre fiscal en France pour pouvoir y introduire une requête, ce qui est quasiment impossible. Enfin, une politique d'évaluation du fonctionnement des consulats et des services des visas par l'Inspection Générale des Affaires étrangères et, sur certains dossiers, conjointement avec l'Inspection des Finances, mériterait d'être mise en place.

M. Alain Rodet a demandé si le manque de moyens des consulats n'est pas lié à la professionnalisation de l'armée et à la diminution du nombre des volontaires du service national affectés à la délivrance des visas.

M. Dominique Baert a félicité le Rapporteur pour la netteté de ses propos et a estimé que les visas doivent être attribués dans les meilleures conditions de clarté et de précision. D'après plusieurs témoignages, l'octroi des visas reste en effet aléatoire et certains employés de consulats sont même soupçonnés de pratiquer la vente pour des sommes allant parfois jusqu'à plusieurs dizaines de milliers de francs.

M. Jean-Jacques Jegou a souligné l'intérêt des travaux du Rapporteur. Les méthodes utilisées par les services des visas sont en effet surprenantes, les conditions d'octroi ne semblant pas suivre des règles claires et donnant parfois lieu à des investigations quasi policières de la part des agents chargés de leur délivrance, qui excèdent parfois leurs compétences. Il ne faut en revanche pas surestimer les risques liés à la présence de ressortissants locaux en poste dans les services consulaires, dans la mesure où seul le consul garde la délégation de signature. L'affectation des droits pourrait effectivement être une méthode susceptible de palier l'insuffisance des moyens. Par ailleurs, des redéploiements entre services pourraient corriger le manque de personnel des catégories B et C.

Après avoir souligné l'intérêt du thème choisi par le Rapporteur, M. Alain Barrau a souhaité connaître la manière dont pourrait s'effectuer le redéploiement des 230 postes consulaires actuellement existants. Il a également estimé que l'instauration d'un mécanisme d'autofinancement se heurterait à la difficulté de trouver une péréquation entre les pays. Il a par ailleurs souhaité connaître l'évolution des conditions d'attribution des visas en Algérie pour lesquels, depuis la centralisation du traitement des dossiers à Nantes, le dépôt d'une demande requiert un délai d'un mois. Il a enfin souhaité connaître les économies qui pourraient être réalisées par des regroupements de services entre les États signataires des accords de Schengen.

M. Gilbert Gantier a estimé que les accords de Schengen soulèvent des difficultés d'application importantes, un visa octroyé par un pays signataire ayant en effet valeur dans l'ensemble de la zone. L'instauration d'un mécanisme d'autofinancement des postes consulaires doit par ailleurs s'effectuer avec prudence, un système d'affectation des droits de chancellerie à chaque poste risquant de déboucher sur une incitation à la délivrance des visas.

M. Yves Tavernier a précisé que, dans les consulats sur lesquels il a centré son enquête, aucun poste n'est occupé par un appelé et que, par conséquent, les moyens affectés au service des visas restent indépendants de la réforme du service national.

Les administrations centrales du quai d'Orsay et du ministère des Finances s'accordent pour reconnaître que les consulats ne fonctionnent pas dans des conditions satisfaisantes. Malgré ce constat général, les consulats sont considérés comme des services d'intendance et leur réforme se heurte notamment au sens de la hiérarchie qui règne au sein de l'administration des affaires étrangères. Les possibilités de redéploiements existent mais sont entravées par les différentes interventions qui s'opposent aux projets de suppression de postes consulaires. L'instauration d'un mécanisme d'autofinancement des services des visas pourrait s'inspirer de la solution en vigueur à la direction des Relations économiques et extérieures (DREE) où 50 % du produit des services rendus restent affectés aux postes à l'étranger. Le nombre de visas accordés à des ressortissants algériens est passé de 900.000 en 1990 à 50.000 en 1996 ; pour 1999, il devrait s'établir entre 150.000 ou 200.000. La réouverture des consulats d'Annaba et d'Oran vient d'être envisagée, mais se heurte à des problèmes de sécurité. Elle pourrait, à terme, permettre de raccourcir les délais d'examen des demandes, d'ores et déjà améliorés par la création d'une boite postale à Alger. D'autre part, la coopération entre les États signataires des accords de Schengen s'est instaurée, même si elle pose un problème de fond dans la mesure où elle risque d'empêcher chaque Etat de conserver une politique d'immigration autonome. Un ressortissant étranger qui s'est vu opposer un refus de visa de la part de la France peut en effet s'adresser à un autre État de la zone Schengen et éventuellement obtenir ainsi un droit d'entrée dans l'ensemble de cette dernière. Nombre de demandeurs, évincés par un pays, s'adressent ainsi à un autre. Il existe une instruction générale des visas, document très détaillé mais confidentiel pour des raisons de sécurité. Le contentieux issu des refus de visas pose des problèmes administratifs considérables, les services de la sous-direction de la circulation des étrangers n'ayant pas les moyens de rédiger tous les mémoires en réponse, et les juridictions administratives étant submergées par les recours. Enfin, l'absence de ressortissants de nationalité française en poste dans certains consulats met en cause la crédibilité de ces derniers et pose un problème général d'accueil des étrangers en France.

Les accords de Schengen fonctionnent bien pour les ressortissants des pays considérés comme sensibles pour lesquels les demandes de visas requièrent l'accord des pays signataires de la convention d'application.

La Commission a ensuite autorisé, conformément à l'article 146 du Règlement, la publication du rapport d'information.

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La Commission a ensuite examiné, sur le rapport de M. Jean-Pierre Brard, un rapport d'information sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

Après avoir insisté sur le nombre et la diversité des personnes qu'il avait rencontrées dans le cadre de la préparation de son rapport, M. Jean-Pierre Brard, Rapporteur, a rappelé, à titre liminaire, que sa mission lui avait permis de procéder à plusieurs constats : la nécessité de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales non seulement d'un point de vue moral et citoyen, mais également d'un point de vue économique, afin de respecter les principes essentiels du fonctionnement d'une économie saine ; l'impossibilité d'établir de manière rigoureuse une estimation fiable de la fraude fiscale ; l'intérêt de garantir la clarté, la simplicité et la neutralité de la loi fiscale, afin d'éviter les comportements d'évasion fiscale ; la nécessité d'instaurer en France une stabilité de la règle fiscale de manière à faire cesser le sentiment d'insécurité qui affecte l'ensemble des contribuables, quel que soit le niveau de leurs revenus. Il a ensuite insisté sur l'efficacité de l'administration fiscale française, au sein de laquelle on observe un excellent esprit de service, un grand dévouement et un remarquable sens de l'Etat.

Puis, M. Jean-Pierre Brard a indiqué que les propositions du rapport tendaient à prévenir trois risques principaux de fraude et d'évasion fiscales, évoqués par ordre d'importance décroissante : la fraude et l'évasion internationales reposant sur l'utilisation de structures implantées dans plusieurs pays, notamment dans les paradis fiscaux ; la fraude à la TVA intracommunautaire, notamment la fraude tournante de type « carrousel » ; certains procédés internes de fraude ou d'évasion fiscales encore insuffisamment sanctionnés ou contenus.

Avant d'évoquer le détail des mesures proposées, il a indiqué qu'elles étaient d'importance inégale et qu'il convenait de distinguer celles relevant d'une action à moyen terme de celles, plus ponctuelles, susceptibles de faire rapidement l'objet d'une traduction législative.

S'agissant de la lutte contre la grande fraude internationale, le Rapporteur a indiqué qu'il convenait en premier lieu de soutenir la participation de la France aux initiatives multilatérales menées tant à l'échelon communautaire qu'au niveau de l'OCDE et dans le cadre des structures de coopération internationale de lutte contre le blanchiment de capitaux frauduleux, afin de démanteler les paradis fiscaux comme les régimes fiscaux préférentiels générateurs d'une concurrence fiscale dommageable. Au-delà, a-t-il ajouté, il convient d'avoir pour objectif la réalisation, sur le plan européen pour le moins, d'un espace de coopération judiciaire et fiscale sans entrave. Cet espace devrait couvrir non seulement les pays membres de l'Union européenne, mais également certains états sensibles tels que la Suisse, Andorre et Monaco, ainsi que les territoires dépendant de la Couronne britannique : îles anglo-normandes et île de Man. La réalisation de cet objectif conduit inéluctablement à poser le problème d'une convergence maîtrisée de la fiscalité des différents Etats membres de l'Union, et, par voie de conséquence, à suggérer une modification des règles de prise de décision en matière fiscale, un dispositif de majorité qualifiée devant se substituer à la règle de l'unanimité.

Le Rapporteur a ensuite rappelé le contenu de ses propositions susceptibles d'être adoptées rapidement, de manière à marquer la volonté de la France de lutter contre les paradis fiscaux, insistant notamment sur la nécessité de supprimer les aides au développement versées aux paradis fiscaux, de prévoir pour les contribuables une obligation de déclarer les cartes de crédit ou cartes de paiement dont le compte d'imputation est ouvert dans les écritures d'un établissement bancaire ou financier étranger, ainsi que d'adopter diverses mesures restreignant la déductibilité des versements des entreprises dans les paradis fiscaux et renforçant les moyens de contrôle de l'administration fiscale sur les transactions correspondantes. De même, l'article L. 80 C du livre des procédures fiscales prévoyant la nullité de toute procédure de redressement fiscal à l'occasion de laquelle le fonctionnaire d'une administration étrangère est intervenu directement auprès du contribuable, disposition qui provient d'un amendement adopté en 1987 à l'initiative du groupe du Front national, doit être abrogée. En outre, le renforcement des postes d'attaché fiscal et d'attaché douanier et l'amélioration du réseau des conventions fiscales et des conventions d'entraide en matière pénale doivent être envisagés. Ce souci d'amélioration vise notamment les conventions conclues avec Monaco.

En ce qui concerne la lutte contre la fraude à la TVA intracommunautaire, M. Jean-Pierre Brard a insisté sur la nécessité de renforcer au plan national les moyens de lutte contre les fraudes tournantes de type « carrousel » (déduction répercutée sur les acquéreurs successifs d'une TVA non versée au fisc par un précédent vendeur), insistant sur l'ampleur du phénomène et sur l'importance des bénéfices que ce procédé de fraude peut procurer à ses instigateurs. L'objectif doit être de créer, au sein du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, un service spécialisé disposant, sous le contrôle du juge, de pouvoirs de police judiciaire, comme le National Investigation Service (NIS) britannique.

Relevant qu'il s'agissait d'une mesure particulièrement novatrice, il a jugé préférable de procéder par étapes et de se limiter, dans un premier temps, à un renforcement des peines prévues à l'article 312-2 du code pénal pour les escroqueries à la TVA en bande organisée. Les sanctions actuelles de cinq ans d'emprisonnement et de 5 millions de francs d'amende devraient être portées respectivement à dix ans d'emprisonnement et 50 millions de francs d'amende. Dans la perspective d'une deuxième étape, il convient de demander au Gouvernement un rapport sur la création du service spécialisé précédemment mentionné, sur la séparation, sur le plan juridique, de l'infraction d'escroquerie à la TVA en bande organisée et de l'infraction d'escroquerie de droit commun, ainsi que sur la création, à titre complémentaire, d'une peine automatique de publicité des condamnations prononcées contre les enseignes commerciales reconnues complices de fraude à la TVA de type « carrousel ». De telles complicités peuvent être, parfois, révélées par des prix d'achat anormalement bas.

Sur le plan communautaire, le Rapporteur a insisté sur la nécessité d'améliorer les modalités de contrôle et de coopération, notamment grâce à la création d'un document d'accompagnement des marchandises transportées et à l'organisation d'opérations coordonnées de contrôles simultanés dans plusieurs Etats.

Toujours sur la TVA, le Rapporteur a indiqué qu'il souhaitait l'abrogation du moratoire dit « Sarkozy », sur la base duquel les prestations et fournitures relatives aux navires de plaisance, ainsi que dans certains cas, la coque, bénéficient d'une exonération de TVA, sans base légale, sur la Côte d'Azur.

S'agissant des mesures destinées à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales au plan interne, le Rapporteur a d'abord insisté sur la nécessité de créer un Observatoire de la fraude afin d'améliorer la capacité de réaction de l'administration vis-à-vis des nouveaux risques fiscaux et financiers et de remédier au cloisonnement des administrations, avant de rappeler qu'il convenait de restreindre encore les possibilités de paiement en espèces et de réduire ainsi de 50.000 francs à 20.000 francs le seuil de l'obligation de paiement par chèques ou par carte, d'appliquer cette limite au paiement des primes d'assurance-vie et d'instituer une amende fiscale de 50% en cas de vente sans facture. Dans le même esprit, le seuil de l'évaluation forfaitaire minimale du revenu doit être abaissé de 308.510 francs à 200.000 francs et il convient de prévoir l'information des représentants du personnel lorsque des dépenses manifestement personnelles sont imputées sur les comptes d'une entreprise.

S'agissant du renforcement des modalités du contrôle fiscal, le Rapporteur a jugé nécessaire plusieurs mesures, notamment l'enregistrement des cessions de polices d'assurance-vie, l'obligation de déclarer à l'administration fiscale l'ensemble des dons manuels, cette proposition rejoignant les préoccupations exprimées dans le cadre du rapport n° 1687 sur les sectes et l'argent, et le renforcement de l'information de l'administration fiscale sur les sociétés civiles et les sociétés à prépondérance immobilière. De même, l'accès des fonctionnaires des impôts aux clés de décryptage des documents cryptés, lors des opérations de contrôle fiscal, l'exclusion des sociétés holdings du champ d'application de la disposition limitant à trois mois la durée de vérification de comptabilité de certaines entreprises, laquelle doit être réservée aux seules petites entreprises, et le renforcement des obligations et responsabilités des sociétés de domiciliation, doivent être envisagés.

Afin de renforcer l'efficacité et la portée du contrôle fiscal, le Rapporteur a d'abord indiqué qu'il proposait de réduire à 0,5% par mois, soit 6% l'an, contre 0,75% par mois, soit 9% l'an actuellement, le taux de l'intérêt de retard, et en contrepartie, de supprimer de toute déductibilité de cet intérêt. Au-delà, le plafonnement de l'effet de la tolérance légale à 20 millions de francs pour l'imposition des bénéfices des sociétés, la suppression du bénéfice de la tolérance légale pour les contribuables reconnus comme étant de mauvaise foi, le dépôt systématique d'une plainte de l'administration fiscale pour les redressements importants, ainsi que le renversement de la charge de la preuve, au pénal, pour les revenus d'origine indéterminée, qui seraient ainsi réputés de source frauduleuse jusqu'à ce que le contribuable apporte la preuve contraire, doivent être envisagés. Il convient également d'appliquer la procédure de redressement contradictoire aux cas de fraude à la taxe professionnelle, ce qui permettra l'application des pénalités de droit commun, alors qu'actuellement aucune pénalité ne peut être infligée aux entreprises qui ont omis de déclarer certains éléments destinés à établir cet impôt.

Evoquant ensuite la nécessité de mettre fin à certaines pratiques d'optimisation fiscale, le Rapporteur a jugé nécessaire de supprimer la possibilité pour les contribuables de procéder à une déclaration séparée pour leurs enfants mineurs non émancipés, cette mesure ne bénéficiant qu'aux foyers fortunés, de mettre fin à la déductibilité des intérêts des emprunts contractés par les sociétés holdings dans le but de réduire les coûts d'acquisition des filiales et d'interdire la remontée des déficits des filiales des entreprises constituées sous la forme de sociétés de personnes, lorsque ces dernières ont des activités étrangères à l'activité de la société mère ou des activités de location, et représentent des investissements passifs.

Enfin, le Rapporteur a insisté sur le fait qu'il lui avait été difficile de ne pas conclure à la nécessité de procéder à une réforme d'ensemble des grands impôts de fiscalité personnelle. Ainsi, une réforme de l'impôt sur le revenu devrait permettre d'éviter les possibilités de cumuls des réductions d'impôt et exonérations, ainsi que de régler la question de l'avoir fiscal, dans un sens qui préserverait cependant les intérêts des petits épargnants. En ce qui concerne l'ISF, sa légitimité peut être consolidée grâce à l'élargissement de son assiette s'agissant des biens professionnels comme des _uvres d'art, à la réduction de ses taux, au relèvement du seuil d'exonération et à la suppression de la limitation du plafonnement instituée par le Gouvernement de M. Alain Juppé. S'agissant des droits de mutation à titre gratuit, il convient de clarifier et de moraliser les modalités de la taxation de la transmission en ligne directe.

Concluant son intervention, M. Jean-Pierre Brard a indiqué qu'il souhaitait que la Commission puisse procéder, pour ce rapport et aussi pour d'autres rapports d'information, à un bilan des suites données à ses propositions, dans la perspective de la loi de finances pour 2002.

M. Didier Migaud, Rapporteur général a félicité le Rapporteur pour l'importance et la qualité de son travail, dont il a souligné qu'il avait, avec l'accord du Président de la Commission, dépassé son cadre initial. Sa méthode de travail, privilégiant la discrétion, devrait, paradoxalement, permettre au présent rapport de « faire du bruit », puisque, pour la première fois, peut-être, un parlementaire a pu mener des investigations au centre même des circuits de la fraude internationale. De nombreuses propositions mériteront ainsi d'être examinées par la Commission dès la discussion du prochain projet de loi de finances, mais il convient d'observer, d'une part, que certaines mesures, notamment celles concernant l'impôt de solidarité sur la fortune, ont déjà fait l'objet d'arbitrages l'année dernière et que, d'autre part, certaines propositions ne pourront être mises en _uvre que dans le cadre d'un renforcement de la coordination internationale, déjà engagé grâce à la forte détermination du Gouvernement. Nombre de propositions sont fort intéressantes. Il apparaît effectivement inadmissible que des subventions soient accordées pour aider les paradis fiscaux à s'équiper.

M. Maurice Adevah-Poeuf, après avoir félicité également le Rapporteur, a souhaité formuler deux remarques. En premier lieu, il convient de ne pas se disperser et de bien distinguer la très grande fraude et les petites « combines ». En second lieu, une grande prudence doit être observée, car le contribuable de base, dans son immense majorité, est honnête. Dès lors, toute modification du droit positif, même justifiée par la lutte contre la fraude, peut avoir des répercussions importantes sur des contribuables qui se verront infliger des peines disproportionnées, comme le montre l'histoire judiciaire de ces dernières années. A titre d'exemple, étendre la notion de complicité à l'achat d'un bien à un prix anormalement bas constituerait une innovation juridique extraordinairement dangereuse, de même que le renversement systématique de la charge de la preuve au détriment du contribuable.

M. Jérôme Cahuzac a également jugé préférable de se concentrer sur la très grande fraude, ne serait-ce que du point de vue de la rentabilité des actions engagées. Il a ensuite formulé deux remarques. En premier lieu, la charge de la preuve devrait incomber au contribuable lorsque l'administration a un doute sur l'origine d'un patrimoine. Ensuite, il serait plus pertinent que les primes des agents de l'administration fiscale soient calculées à partir des sommes recouvrées et non pas à partir des sommes notifiées, ce qui peut conduire à une certaine facilité. Enfin, il a souhaité obtenir plus de détails sur les mécanismes de fraude tournante de type « carrousel ».

M. Gilbert Gantier a constaté que l'ensemble des membres de la Commission s'accordaient sur la nécessité de lutter contre la fraude, mais que l'on se heurte à certaines limites dans l'efficacité de l'action anti-fraude. D'une part, les problèmes de souveraineté réduisent la portée des mesures adoptées au plan national, comme le prouve la relative inefficacité de l'action des Etats-Unis en matière de drogue et de blanchiment de capitaux. Ensuite, s'il existe des paradis fiscaux, il ne faut pas oublier qu'il existe également ce que le cinéaste suédois Ingmar Bergman appelait les « enfers fiscaux ». Dès lors, la lutte contre la fraude passe également par la mise en _uvre d'une fiscalité raisonnable, ce qui n'est pas le cas en France, comme le montre le départ de nombreux jeunes Français pour le Royaume-Uni. Enfin, a-t-il ajouté, certaines mesures fiscales doivent tenir compte de la réalité économique, comme la fiscalité de l'assurance-vie, qui est adaptée aux nécessités de collecter une épargne abondante.

En réponse aux interventions des commissaires, le Rapporteur a apporté plusieurs précisions.

Il n'est pas illégitime de mettre en cause la collecte d'une épargne liquide d'origine inconnue. Le débat « théologique » opposant « enfer fiscal » et « paradis fiscal » n'est pas à l'ordre du jour. Cependant, si l'objectif final est la réduction des écarts entre les fiscalités des différents pays, il convient d'éviter le moins-disant fiscal qui débouche toujours sur le moins-disant social.

Le rapport est bien centré sur la lutte contre la grande fraude. Ce souci n'interdit pas d'évoquer notamment les cartes de crédit, qui peuvent être utilisées dans le cadre de procédés extrêmement sophistiqués. Par ailleurs, la mise en vente de produits à des prix très inférieurs au marché peut constituer la preuve d'une fraude.

Le Rapporteur est ensuite convenu qu'il fallait trouver un juste équilibre entre les droits du contribuable et l'efficacité de la répression des fraudes, mais, lorsqu'il y a doute sur l'origine légale d'un revenu, c'est au bénéficiaire qu'il appartient de faire la preuve que celui-ci n'est pas d'origine frauduleuse.

S'agissant des primes perçues par les fonctionnaires des impôts, une réponse identique a été fournie par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et les syndicats : celles-ci ne sont pas calculées en fonction des performances des agents.

Les « carrousels » sont des procédés de fraude destinés à éluder la TVA en utilisant les règles relatives aux échanges intracommunautaires. Des échanges de marchandises, parfois fictifs, entre des entreprises implantées dans plusieurs Etats membres sont organisés de manière que le non-paiement de la TVA par un vendeur permette de réduire, en aval de la chaîne de distribution, le prix de vente des produits concernés sans pour autant compromettre le bénéfice commercial de l'ensemble de l'opération. Ce type de fraude concerne essentiellement les produits à très forte valeur ajoutée, aisément transportables, tels que les composants électroniques, les téléphones portables et les micro-ordinateurs. Le secteur du textile est également affecté. L'organisation de « carrousels » menace directement les industriels des branches concernées, car elle réduit artificiellement les prix de vente des produits mis sur le marché.

Après que le Président Augustin Bonrepaux eut souligné que les travaux du Rapporteur, aboutissement de près de deux années d'investigation, présentaient un diagnostic très complet et nombre de propositions intéressantes, la Commission a autorisé, conformément à l'article 145 du Règlement, la publication du rapport d'information sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

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Evoquant les réflexions en cours sur la fiscalité en Corse, Mme Nicole Bricq a souhaité que la Commission soit vigilante au sujet de l'application effective des dispositions de l'article 21 de la loi de finances pour 1999 rétablissant le régime de droit commun pour les successions ouvertes dans cette région à compter du 1er janvier 2000.

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