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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 63

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 14 septembre 1999
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen du rapport d'information de M. Éric Besson sur la création d'entreprises en France

2

- Information relative à la Commission

7

La Commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a examiné, sur le rapport de M. Éric Besson, un rapport d'information sur la création d'entreprises en France.

M. Eric Besson, rapporteur, a tout d'abord présenté un diagnostic de la création d'entreprises en France en constatant que jamais le désir d'entreprendre n'a été aussi fort en France. Ainsi, 1,2 million de Français déclaraient avoir un projet de création d'entreprise en 1998, contre 700.000 en 1992. Malgré cette volonté, on constate une baisse régulière du nombre d'entreprises créées chaque année, avec un niveau actuel de 166.000 entreprises nouvelles contre 204.000 en 1989. Cette baisse paraît, en outre, structurelle, puisque la courbe du nombre d'entreprises créées n'épouse désormais plus celle du taux de croissance.

Ce diagnostic préoccupant doit être mis en regard des enjeux politiques et économiques que recouvre la création d'entreprise. Enjeux politiques, tout d'abord, en raison de l'inégalité d'accès à la création d'entreprise, qui conduit à considérer la liberté d'entreprendre comme une liberté, en réalité, formelle. En outre, plusieurs lacunes dans l'environnement du créateur d'entreprise doivent être soulignées, que ce soit au niveau de la couverture sociale dont il bénéficie, de l'accompagnement qui lui est proposé pour la réalisation de son projet ou des possibilités d'accès au financement. Enjeux économiques, ensuite, dans la mesure où la création d'entreprises est assurément le fait de très petites structures : 99 % des entreprises créées chaque année comptent moins de dix salariés et 80 % de ces entreprises nouvelles n'ont aucun salarié. La contribution des très petites entreprises à la création d'emploi est conséquente puisqu'elle a permis l'émergence de 288.000 emplois nouveaux en 1998. Ces emplois sont en outre pérennes : d'après une estimation de l'INSEE, pour cent emplois créés en année n, 85  demeurent en année n+3. On peut donc estimer approximativement le déficit d'emplois lié à la baisse des créations d'entreprise à environ 50.000 emplois par an, donc un manque à gagner d'environ 500.000 emplois en dix ans.

Face à ce diagnostic critique, on peut s'interroger sur le trop faible intérêt des pouvoirs publics pour la création de ces petites entités. Certes, la loi du 11 février 1994 relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle a prévu certaines dispositions en leur faveur. Surtout, depuis juin 1997, un programme cohérent de mesures a été mis en place par le Gouvernement, en direction des PME, en particulier celles à fort potentiel de croissance. Sur les préconisations de M. Dominique Baert, des mesures importantes de simplification administrative ont, par exemple, été initiées.

Pour autant, les très petites entreprises apparaissent comme le parent pauvre de l'effort en faveur de la création d'entreprise, actuellement plus tourné vers le secteur de l'innovation. Il est cependant nécessaire qu'en matière de création d'entreprises la France marche sur deux jambes, celle des entreprises innovantes aussi bien que celle des entreprises à moins fort potentiel. Trop souvent, en effet, les petites structures sont assimilées aux « petits boulots », alors que leur réussite repose sur la compétence et le professionnalisme de leur créateur. En outre, le chiffre selon lequel la moitié d'entre elles disparaît au bout de cinq ans doit être fortement nuancé au regard de l'incertitude « statistique » qui pèse sur 30 % de ces entreprises, dont l'arrêt peut être volontaire ou lié à un motif qui ne relève pas d'une logique d'échec. Le faible intérêt pour les petites structures peut également s'expliquer du fait qu'un créateur sur deux est, au départ, un chômeur. Alors que ce constat devrait conduire à une attitude bienveillante à leur égard, la situation inverse s'est présentée, comme en témoigne la suppression de la subvention « ACCRE » (aide aux chômeurs créateurs ou repreneurs d'entreprises), qui n'a malheureusement été que partiellement rétablie.

Ce diagnostic et les enjeux que représentent les créations d'entreprise en termes économiques comme en termes de développement local militent en faveur de l'adoption d'un plan d'urgence d'aide à la création de très petites entreprises. Un consensus semble se dessiner sur cette question malgré l'existence de divergences idéologiques parfois fortes, au départ. S'agissant du rôle de l'État dans ce domaine, les termes du débat paraissent surprenants si l'on compare notamment la situation de la France avec celle des États-Unis qui, paradoxalement, ont mis en place un plan ambitieux d'aide aux PME et s'avèrent finalement beaucoup plus interventionnistes que la France. Une intervention de l'État apparaît donc nécessaire afin de faciliter le développement des entreprises et de permettre de partager le risque lié à la création d'entreprise. Cette intervention doit avoir pour objectif de retrouver un niveau de 200.000 entreprises nouvelles par an, en veillant à ce que 80 % au moins d'entre elles survivent au bout de cinq ans.

Pour atteindre ces objectifs, le plan d'urgence d'aide à la création d'entreprise doit s'attaquer à trois verrous. En premier lieu, il importe que l'appui offert aux créateurs d'entreprises soit facilité, coordonné, harmonisé et qualifié afin de permettre un accès de tous à l'information et à une aide efficace. Dans cette perspective, la création de « maisons de l'entrepreneur » est préconisée afin de remédier aux faiblesses actuelles de l'organisation des réseaux d'appui, en particulier un maillage insuffisant du territoire. Ces maisons seraient conçues comme des espaces d'accueil des entrepreneurs, mis en place dans toutes les Chambres de Commerce et d'Industrie et les Chambres des Métiers. Il s'agit de favoriser l'institution de points uniques d'entrée sur tout le territoire, au sein desquels les différents partenaires de la création d'entreprise seraient regroupés dans un « comité local des partenaires de l'entrepreneur ». L'ensemble du dispositif doit naturellement être évalué afin de garantir une qualification certifiée. Cette évaluation pourrait être confiée à l'Agence pour la création d'entreprise dont les moyens devront être substantiellement augmentés à cette fin.

En deuxième lieu, il est indispensable d'assurer à l'entrepreneur une sécurité minimale au moment où il est le plus vulnérable. Plusieurs mesures sont susceptibles d'aller dans ce sens. Ainsi, au moment du démarrage de l'entreprise, le chômeur-créateur pourrait bénéficier du cumul de ses revenus avec le maintien de l'allocation unique dégressive, pendant un délai de six mois. Durant la même période, le salarié qui démissionne pour créer une entreprise pourrait se voir reconnaître des droits à l'assurance chômage, en admettant la légitimité du motif de sa démission. Dans le même esprit, il est indispensable d'aider le créateur en cas d'échec de son projet en lui offrant une couverture sociale minimale. Enfin, un effort est nécessaire en matière d'allégement et surtout de progressivité des charges sociales qui pèsent sur les nouveaux entrepreneurs, en début d'activité. La rédaction de ce rapport a permis d'apprécier l'attitude bienveillante des partenaires sociaux sur ces sujets. A titre d'exemple, M. Denis Gautier-Sauvagnac, Président de l'UNEDIC, s'exprimant en son nom personnel, a approuvé l'idée de reconnaître certains droits, dans des conditions à déterminer, au chômeur qui crée sa propre entreprise ou au salarié qui démissionne pour la même raison.

Enfin, l'accès des créateurs au financement mérite une attention particulière. Tout d'abord, il convient de s'efforcer de lever le verrou des 100.000 premiers francs d'apport, les plus difficiles à trouver parce que les offreurs sont rares et prudents. Cette difficulté est en effet très lourde pour les créateurs dont le projet n'a pas de contenu innovant particulier. C'est pourquoi un dispositif est présenté dans le rapport, qui comprend trois étages successifs. Il repose, d'une part, sur l'octroi d'une subvention de 20.000 francs aux personnes les plus démunies, sur le modèle de la subvention « ACCRE ». Ce dispositif est complété, d'autre part, par un prêt d'honneur de 40.000 francs, dont l'attribution est décidée par le « comité local des partenaires de l'entrepreneur », après instruction du dossier par une structure d'appui, et dont le versement est réalisé par une banque à laquelle le créateur bénéficiaire présenterait un « bon » lui ouvrant droit au prêt d'honneur. Il s'agit d'encourager de la sorte ce que les spécialistes des réseaux appellent la « bancarisation ». Enfin, le dispositif ouvre la possibilité d'accéder plus facilement à un crédit bancaire classique en prévoyant une garantie publique, à hauteur de 40.000 francs, pour les prêts complémentaires que la banque accepterait de consentir. Les trois étages de ce dispositif visent donc à faciliter l'accès aux 100.000 premiers francs d'apport, tout en encourageant une relation plus constructive entre le créateur d'entreprise et le banquier. En outre, il est nécessaire d'encourager les particuliers à investir en fonds propres dans de petites entreprises en création. A cette fin, un dispositif, similaire au mécanisme institué par la loi du 11 février 1994, est proposé, avec un plafond plus élevé -identique à celui des fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI)- et exclusivement destiné à la création d'entreprise. Ce dispositif encouragerait également l'investissement des particuliers, par le biais d'une structure d'intermédiation, comme des « Fonds de capital-risque solidaires » dont la création est également préconisée dans le rapport. Ces fonds permettraient de mobiliser une épargne de proximité en faveur de la réalisation de projets sur une petite échelle. Ils se caractériseraient par un taux de rentabilité inférieur à celui attendu dans les Fonds pour l'innovation, sans toutefois exclure la prise de risque.

Par ailleurs, afin d'encourager les personnes disposant d'un fort patrimoine à investir dans la création de petites entreprises, un aménagement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) est préconisé. Il permettrait d'exonérer de l'assiette de l'impôt le montant de l'investissement réalisé en faveur d'une petite entreprise de moins de cinquante salariés, en création, dans la limite de 100.000 francs par entreprise et pour un montant total maximal d'un million de francs par contribuable.

Enfin, le développement des pratiques d'« essaimage à froid » est recommandé en permettant aux entreprises « essaimeuses » de déduire de leurs bénéfices imposables les sommes qu'elles mettent à la disposition des créateurs.

M. Dominique Baert a souligné l'intérêt du rapport, notamment ses deux grandes idées : d'une part favoriser la création d'entreprise et d'autre part favoriser les plus petites d'entre elles. Les entreprises de zéro à neuf salariés constituent en effet la très grande majorité des entreprises alors que la densité des très petites entreprises est moins forte en France qu'à l'étranger. Dans le cadre de la politique de la ville, il convient de favoriser leur création en ayant à l'esprit que celle-ci peut favoriser l'emploi au c_ur des quartiers défavorisés. La politique en faveur des très petites entreprises doit comporter trois axes. En premier lieu, il convient de simplifier les procédures de création. L'idée des « maisons de l'entrepreneur », conçues comme des centres uniques, mérite d'être mise en _uvre à cette fin bien qu'elle puisse conduire à des problèmes de transfert de compétences, notamment de celles qui relèvent des greffes des tribunaux de commerce. Le tutorat doit accompagner la création des entreprises. Le deuxième axe de la politique en faveur de la création d'entreprises doit être d'alléger les conditions de gestion des très petites unités. La loi de finances pour 1999 a ainsi aménagé le régime fiscal de la micro-entreprise, afin de simplifier les obligations fiscales et comptables de très petites entreprises. Il faut poursuivre dans cette voie et faciliter l'embauche du premier salarié qui constitue un seuil psychologique important. Enfin, le troisième axe est de ne pas abandonner les petites entreprises dont la taille augmente. Le passage de neuf à dix salariés constitue un seuil financier important et s'avère en effet délicat pour nombre d'entre elles. Il est donc indispensable de lisser les différents seuils sociaux et financiers.

M. Jean-Jacques Jegou a considéré que l'exercice qui consiste à commenter un rapport à peine disponible était évidemment difficile et il a souhaité que les rapports puissent être distribués à l'avance. Pour d'aborder un tel sujet il convient de balayer toute idéologie. Les ultra-libéraux ne sont pas toujours des créateurs d'entreprises, loin s'en faut. A gauche, une évolution semble se dessiner ; d'ailleurs le Premier ministre a fait observer que tout ne peut être décidé par des lois. En France, c'est surtout et d'abord la culture d'entreprise qui fait défaut. Ainsi, il n'y a qu'1 à 2 % des élèves diplômés des grandes écoles de commerce qui créent des entreprises. Pourtant créer une très petite entreprise n'est nullement « ringard ». C'est toute une politique de formation et toute une culture qu'il convient de revoir pour aller à l'encontre de cette idée. Il faut donc valoriser l'idée d'entreprendre, encourager le parrainage et le tutorat, ainsi que le temps de travail partagé entre plusieurs entreprises. La difficulté de la mise en _uvre des mesures en faveur de la création d'entreprise réside en outre dans l'identification de projets pertinents. L'ACCRE n'a que très peu aidé à créer une véritable entreprise, mais souvent à assumer quelques investissements. Elle a suscité de nombreux espoirs qui, malheureusement, ont été souvent déçus. L'objectif de dégager les 100.000 premiers francs d'apports pour la création des entreprises est pertinent. Mais les outils fiscaux ne sont, bien entendu, pas à négliger. Des aides fiscales orientant l'épargne de proximité vers la création d'entreprises sont à développer. Enfin, les plans d'affaires et la recherche d'investisseurs providentiels -qui font souvent preuve d'un réel dynamisme- peuvent utilement compléter ces mécanismes.

M. Michel Destot a estimé que trois conditions étaient nécessaires à la réussite de la création d'entreprise :

- une volonté du porteur de projet ;

- des modalités de financement adaptées ;

- et la capacité de sélectionner de véritables entrepreneurs, puisque de nombreux projets étaient voués à l'échec dès le départ en raison de la personnalité de leur animateur, ce qui devait encourager la réflexion sur les dispositifs de formation et de sélection. Il convient aussi d'adapter le dispositif d'aide à la dimension et au potentiel de croissance du projet d'entreprise et savoir différencier les actions en fonction de ces critères. On peut ainsi s'interroger sur la composition des conseils d'administration. Il y a enfin un clivage entre les institutions relevant de la sphère économique et financière comme les Directions Régionales de l'Industrie, de la Recherche et de l'Environnement (DRIRE) ou l'ANVAR et ceux appartenant aux sphères sociale et de l'insertion professionnelle, dont les moyens d'action sont moins importants. Le rôle et les moyens de l'État doivent être indéniablement revus.

M. François Baroin a indiqué qu'il ne fallait pas mélanger les très petites entreprises et les PME classiques. Dans ce domaine l'idéologie n'est pas de mise, même si l'on peut se demander si le rôle de l'État n'est pas de lever les obstacles à la création d'entreprise plutôt que de mettre en place des structures plus ou moins redondantes. Par ailleurs, l'État entend-t-il se substituer aux collectivités territoriales défaillantes dans ce domaine ou à d'autres acteurs ? L'exemple des plates-formes d'initiative locale vaut-il constat général de la carence des chambres de commerce et d'industrie dans le dispositif de soutien ?

En réponse aux différents intervenants, M. Éric Besson, rapporteur, a remarqué que le transfert de certaines formalités des préfectures vers les centres de formalités des entreprises présents dans les chambres de commerce et d'industrie était également préconisé dans un récent rapport de l'Inspection générale des Finances. Cette proposition va dans le sens d'un regroupement des initiatives en faveur de la création d'entreprises au sein des maisons de l'entrepreneur. L'accompagnement de la création d'entreprise présente des faiblesses en France, tant en amont, c'est-à-dire lors de l'accueil du porteur de projet, qu'en aval, où il était quasiment inexistant, à la différence du Québec où ont lieu des expériences intéressantes, comme celles du tutorat.

Si l'on peut identifier de nombreux points d'accord avec M. Jean-Jacques Jegou, car dans l'action immédiate il convient effectivement de dépasser les clivages politiques, il n'en reste pas moins que des enjeux politiques surgissent parfois sur ce thème, comme par exemple dans la distinction entre la liberté formelle d'entreprendre et la liberté réelle, qui implique de reconnaître ce droit à chacun, quel que soit l'état de ses finances.

La sphère économique est en effet distincte de l'économie sociale qui relève d'un autre débat et dont la valeur n'est pas mise en cause. Si les mesures présentées dans le rapport ne sont pas radicalement originales pour la plupart d'entre elles, en revanche leur mise en _uvre constituerait une réelle innovation. S'agissant de l'ACCRE, si des dérives ont été constatées en raison notamment du caractère quasi automatique de son octroi, il serait excessif de charger ce mécanisme de tous les maux puisque, selon une étude de l'INSEE, 57 % des chômeurs bénéficiaires de cette aide au premier trimestre 1994 étaient toujours à la tête de leur entreprise à la fin de 1997.

Les investisseurs providentiels doivent être organisés et encouragés, notamment par le biais d'un aménagement de l'ISF en leur faveur. La sélection des chefs d'entreprise est un travail difficile mais il convient de favoriser l'adéquation maximale entre un homme et un projet sans se prononcer sur les qualités intrinsèques de l'individu. Ceci est la base de l'aide au montage d'entreprise, qui pose la question des moyens des chambres de commerce.

Au sein des très petites entreprises, il faut distinguer les véritables innovateurs de ceux qui interviennent dans un secteur technologiquement évolué comme celui du commerce électronique, sans pour autant faire appel à une technologie innovante. S'agissant des plates-formes, il n'est pas question d'empiler les strates des dispositifs d'aide mais simplement d'agréer quatre ou cinq réseaux nationaux dont font partie les plates-formes d'initiative locale, afin de permettre de les identifier clairement dans les « maisons de l'entrepreneur ».

Après que le Président Augustin Bonrepaux ait souhaité que le rapport d'information soit suivi d'effets concrets, la Commission a autorisé, conformément à l'article 145 du Règlement, sa publication.

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Information relative à la Commission

La commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a désigné M. Michel Bouvard comme candidat suppléant pour siéger au Conseil national de la montagne.

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