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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 44

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 28 mars 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Henri Emmanuelli, Président

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de loi relative à la mise en place d'une véritable responsabilité pour faute de l'administration fiscale et d'un droit général d'indemnisation pour les contribuables (n° 2218) (M. François GOULARD, Rapporteur).



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- Informations relatives à la Commission

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La Commission des finances a procédé, sur le rapport de M. François Goulard, à l'examen de la proposition de loi de MM. François Goulard, José Rossi et les membres du groupe démocratie libérale et indépendants, Jean-Louis Debré et les membres du groupe RPR et apparentés, Philippe Douste-Blazy et les membres du groupe UDF et apparentés, relative à la mise en place d'une véritable responsabilité pour faute de l'administration fiscale et d'un droit général d'indemnisation pour les contribuables (n° 2218).

M. François Goulard, Rapporteur, a expliqué que cette proposition de loi, présentée au nom des trois groupes de l'opposition, tendait principalement, d'une part, à instaurer une véritable responsabilité pour faute de l'administration fiscale et, d'autre part, à diminuer certaines pénalités fiscales. En effet, le nombre annuel de contrôles fiscaux est d'environ 50.000 et les citoyens manifestent une vive sensibilité à ces contrôles, liée à une incompréhension fréquente entre l'administration et les contribuables. Il apparaît que ces relations sont plus amènes dans les pays étrangers.

Le Rapporteur a souligné que le premier point de la proposition tendait à améliorer le régime de mise en jeu de la responsabilité de l'administration fiscale. Il a rappelé que le contentieux fiscal était complexe, compte tenu de l'intervention de deux ordres de juridictions, et que la complexité était encore plus grande en matière de responsabilité. Il a déploré que le contribuable soit démuni pour comprendre ces règles.

La mise en _uvre de la responsabilité de l'administration fiscale est rendue difficile par l'application de l'article L.207 du livre des procédures fiscales, qui empêche le versement de dommages-intérêts dans le cadre du contentieux fiscal ordinaire mais autorise seulement le versement d'intérêts moratoires. Le contribuable, dans son bon droit, doit intenter une action distincte en responsabilité contre l'Etat, ce qui constitue une complication de nature à le décourager. La première mesure proposée est donc de permettre l'attribution de dommages-intérêts dans le cadre du contentieux fiscal ordinaire, et donc de modifier à cette fin l'article L.207 déjà cité.

La deuxième mesure proposée consiste à généraliser le critère de la faute simple pour la mise en _uvre de la responsabilité de l'administration fiscale. En effet, si le contentieux de la responsabilité peut concerner l'ordre judiciaire, c'est surtout le juge administratif qui est compétent et il maintient la distinction entre la faute lourde et la faute simple. Depuis l'arrêt Blanco bien connu de 1873, la jurisprudence administrative reconnaît de plus en plus facilement la responsabilité de l'administration et l'indemnisation des usagers, par exemple en matière hospitalière. On constate toutefois une rigidité de la jurisprudence, s'agissant de la responsabilité des services fiscaux. La faute lourde est exigée en principe, alors que la jurisprudence permet la réparation du préjudice en fait le plus souvent en cas de faute simple, et la proposition tend donc à hâter cette évolution en généralisant le critère de la faute simple. En effet les arguments du Conseil d'Etat en faveur du maintien de l'exigence de la faute lourde sont peu convaincants : la matière fiscale est difficile pour les agents de l'administration, mais elle l'est encore plus pour le contribuable ; l'activité fiscale est régalienne, mais cela ne justifie pas d'empêcher une juste indemnisation, en cas de faute de l'administration.

En effet, les préjudices causés peuvent être extrêmement lourds de conséquences, pour certaines entreprises notamment, et le contrôle fiscal est toujours traumatisant. La généralisation de la faute simple en matière de mise en _uvre de la responsabilité de l'administration fiscale est donc le point principal de la proposition de loi, le but de cette réforme étant d'améliorer les relations avec les contribuables en garantissant une meilleure justice.

Le Rapporteur a ajouté qu'une deuxième catégorie de mesures tendait à diminuer un certain nombre de pénalités. En tout premier lieu, le taux de l'intérêt de retard, fixé à 9% par an en 1987 et inchangé depuis, n'a jamais été aussi éloigné du taux de l'intérêt légal, fixé à 2,74% pour 2000. Ainsi, l'Etat créancier est rémunéré à 9% et l'Etat débiteur rémunère ses créanciers à 2,74%, ce qui est très choquant, alors qu'en 1987, nombre de députés de l'actuelle majorité avaient préconisé d'aligner le taux de l'intérêt de retard sur le taux de base bancaire majoré de 2 points.

Par ailleurs, la proposition de loi tend à diminuer le barème des pénalités d'assiette, et tout particulièrement de la pénalité de 10% qui s'applique dès le premier jour de retard en cas de manquement à l'obligation de dépôt d'une déclaration. Il s'agirait de fixer un taux de 5% pour les quinze premiers jours de retard, puis de maintenir le taux de 10% pour les quinze jours suivants ; les autres taux pour retard de déclaration prévus par l'article 1728 du code général des impôts, fixés à 40% et 80%, seraient respectivement abaissés à 30% et 60%.

Le Rapporteur a présenté une troisième catégorie de mesures consistant à améliorer l'information du Parlement sur le contrôle fiscal. Il a rappelé le sort réservé à l'article 108 de la loi de finances initiale pour 1999, qui prévoit de préciser le rapport sur le contrôle fiscal figurant dans le fascicule des « voies et moyens » annexé chaque année au projet de loi de finances, et qui n'a pas reçu de commencement d'application. Il a donc souhaité la constitution d'une commission chargée du dépouillement d'une enquête statistique sur le taux de non-conformité des déclarations d'impôt, en considérant qu'il fallait bien distinguer les contribuables de bonne foi, qui sont le plus grand nombre, des véritables fraudeurs. Il a estimé que cette aspiration à un meilleur contrôle devrait recevoir un assentiment général au-delà de tout clivage politique.

M. Thierry Carcenac, après avoir observé que les termes retenus par le Rapporteur pour présenter sa proposition de loi différaient heureusement, par leur caractère mesuré, de ceux retenus dans son exposé des motifs, dont il ressortait l'impression d'une forme de harcèlement des contribuables par les fonctionnaires des impôts, a néanmoins regretté qu'en affirmant vouloir instituer une véritable responsabilité de l'État, au titre des services fiscaux, on donne à penser que l'irresponsabilité est la règle actuelle, ce qui ne correspond pas à la réalité.

Le dispositif de sanctions applicable est le corollaire du choix fait d'un système essentiellement déclaratif, les agents publics ayant pour mission de vérifier que tous les contribuables assument correctement leurs obligations déclaratives, les sanctions n'intervenant qu'en cas d'intention manifeste d'éluder l'impôt, soit par l'absence de déclaration, soit en cas de mauvaise foi. Il n'y a donc aucun immobilisme à vouloir maintenir ce système de sanctions. D'importantes garanties sont d'ailleurs reconnues au contribuable contrôlé, en particulier avec la Charte du contribuable vérifié issue des propositions de la commission Aicardi et avec le raccourcissement du délai de répétition.

M. Thierry Carcenac a estimé plus opportun pour la Commission des finances de concentrer ses efforts sur la lutte contre l'évasion fiscale, plutôt que de s'orienter vers un laxisme accru ne pouvant qu'inciter certains contribuables à éluder leurs obligations déclaratives. Les statistiques conduisent d'ailleurs à relativiser la portée de la démonstration du Rapporteur, puisqu'il n'y a chaque année que quelques centaines de cas soumis au juge pénal.

Il a indiqué que permettre à l'administration de n'être pas désarmée devant les fraudeurs concourait, en réalité, à l'égalité devant l'impôt et à la justice fiscale. Il a toutefois mis à part la question de l'intérêt de retard, à propos de laquelle la réflexion pourrait se poursuivre.

Il a donc souhaité que la Commission fasse usage de la faculté qui lui est reconnue par l'article 94 du Règlement de ne pas présenter de conclusions sur cette proposition de loi.

M. Gérard Fuchs a fait siennes les observations de M. Thierry Carcenac, y compris sur la nécessité de réformer les modalités du taux de l'intérêt de retard pour les contribuables de bonne foi. Elles peuvent en effet aboutir à exiger de contribuables modestes le versement de sommes relativement importantes lorsque la procédure a duré plusieurs années.

M. Jean-Pierre Delalande a regretté qu'une fois de plus, l'Assemblée laisse échapper l'occasion d'une attitude neuve et moderne, traduisant, par un travail solidaire de la majorité et de l'opposition, sa capacité à prendre position sur une vraie question, et qu'il y renonce au mauvais prétexte que toute majorité a un devoir de solidarité avec le Gouvernement, alors qu'en réalité, elle se trouve réduite au rôle de relais de l'administration, y compris pour couvrir les turpitudes de cette dernière.

M. Philippe Auberger a souhaité que l'on évitât toute présentation caricaturale de cette proposition de loi. Il a estimé inexact de laisser croire qu'un contribuable qui ne voudrait pas éluder l'impôt ne rencontrerait aucune difficulté pour remplir sa déclaration. Il a pris l'exemple des modifications apportées aux règles fiscales applicables entre la déclaration des revenus faite en 1996 ou 1997 et celle faite en 2000. La complexité de certains changements, par exemple en ce qui concerne le régime du report d'imposition des plus-values, permet qu'on puisse employer, sans être caricatural, le qualificatif de règles incompréhensibles.

En outre, nombreux sont les députés dont l'attention a été attirée sur la situation de contribuables rencontrant les plus grandes difficultés à faire admettre, par les agents locaux, le caractère manifestement justifié de leurs réclamations. La lenteur et la lourdeur de la procédure de rectification peuvent ainsi mettre des petites entreprises dans une situation grave et parfois dramatique.

Après avoir rappelé ses efforts, conduits sans succès depuis deux ans, pour corriger le caractère devenu manifestement excessif de l'intérêt de retard, il a conclu en observant que l'administration avait encore des efforts à faire pour intérioriser le fait que tout contribuable n'est pas un fraudeur en puissance et que, n'étant pas elle-même infaillible, ce qu'on ne saurait lui reprocher, elle doit s'employer à rectifier le plus rapidement possible ses erreurs.

M. Gilbert Gantier a jugé la proposition de loi modérée et pertinente. Il est justifié de vouloir mettre un terme à une tradition séculaire d'inégalité de la situation juridique faite au citoyen par rapport à l'imperium administratif. Il est bon de refuser l'irresponsabilité administrative. Il est raisonnable de subordonner l'indemnisation du contribuable à l'existence d'une faute simple de l'administration. Quant à la réforme de l'intérêt de retard, il a maintes fois proposé de corriger son caractère excessif, qui se traduit par l'application de taux quasi usuraires en période de faibles taux d'intérêt, mais son dernier amendement dans ce sens a encore été rejeté, à la demande du Gouvernement, à l'occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2000.

En réponse aux intervenants, M. François Goulard, Rapporteur, a observé que sa proposition n'avait ni pour objet ni pour effet de remettre en cause les sanctions à l'égard des fraudeurs. Il y est uniquement question de l'indemnisation du préjudice subi par le contribuable en cas de faute de l'administration. Il a même observé que la sévérité de l'administration à l'égard des fraudeurs sera d'autant plus légitimée que celle-ci aura, elle-même, été exemplaire dans la réparation de ses propres fautes, car des dépôts de bilans peuvent résulter d'une faute simple de l'administration. S'agissant de l'intérêt de retard, il a rappelé qu'en cas de prêts relais, le taux de l'usure est actuellement fixé à 8,99 %.

M. Didier Migaud, Rapporteur général, a fait siennes les observations présentées par M. Thierry Carcenac et invité la Commission de ne pas présenter de conclusions en application de l'article 94 du Règlement.

Après avoir dénié toute pertinence à l'assimilation de l'intérêt de retard au taux maximum applicable en cas de prêts relais, le Président Henri Emmanuelli a observé, renvoyant à l'arrêt du Conseil d'État du 29 décembre 1997 « Commune d'Arcueil », que la proposition de loi tendait, en fait, à revenir sur une jurisprudence parfaitement établie du Conseil d'État, qui distingue le cas où les opérations de l'administration fiscale comportent des difficultés particulières d'appréciation de la situation des contribuables, seul cas où une faute lourde est exigée pour engager la responsabilité de l'État. Il a estimé que la ligne de partage tracée par cette jurisprudence est bonne. Cette proposition n'a donc pas lieu d'être, la réflexion sur la question de l'intérêt de retard, soulevée par M. Gérard Fuchs, pouvant se poursuivre à l'occasion de la discussion du prochain collectif budgétaire.

A l'issue de la discussion générale, la Commission a décidé de ne pas procéder à l'examen des articles et, en conséquence, de ne pas formuler de conclusions.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a nommé :

- M. Éric Besson comme rapporteur sur le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques (n° 2250) ;

M. Gérard Fuchs comme rapporteur sur le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à adapter par ordonnance la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs (n° 2236) ;


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