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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES, de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 7

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 9 novembre 2000
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Bernard Roman, président

SOMMAIRE

 

pages

Projet de loi de finances pour 2001 : Justice

- Audition de Mme Marylise Lebranchu, garde des Sceaux, ministre de la justice

- Avis : Administration centrale et services judiciaires

Services pénitentiaires et protection judiciaire de la jeunesse

- Echange de vues sur les conclusions du rapport de la commission d'enquête sur les prisons

- Création d'une mission d'information

- Information relative à la Commission

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La Commission a procédé à l'audition de Mme Marylise Lebranchu, garde des Sceaux, ministre de la justice, sur les crédits de son ministère pour 2001.

M. Bernard Roman, président, a souhaité la bienvenue à la ministre de la justice, exprimant le v_u que le travail engagé avec celle qui l'a précédée soit poursuivi dans un esprit aussi constructif que celui qui a présidé jusqu'alors.

Après s'être déclarée impressionnée par la qualité du travail parlementaire accompli avec Mme Elisabeth Guigou et avoir fait part de son entière disponibilité à l'égard des députés, Mme Marylise Lebranchu, garde des Sceaux, ministre de la justice, rappelant qu'elle n'avait pas elle-même préparé le projet de budget de la justice pour 2001, a considéré qu'elle pouvait d'autant plus facilement souligner que c'était le meilleur budget dans ce domaine depuis quatre ans. Elle a insisté sur trois chiffres marquant la priorité accordée à la justice en 2001 : 1 550 postes créés, soit la plus forte hausse des effectifs depuis quatre années, les créations de postes ayant été de 762 en 1998, 930 en 1999 et 1 239 en 2000 ; 1 milliard de francs de crédits supplémentaires pour des mesures nouvelles, soit le plus fort montant depuis quatre ans, puisque les mesures nouvelles s'élevaient à 587 millions de francs en 1998, 764 millions de francs en 1999 et 865 millions de francs en 2000 ; 1,75 milliard de francs d'autorisations de programme pour de nouveaux investissements, soit le montant le plus important en loi de finances initiale depuis dix années. Elle a indiqué que, sur les quatre premiers budgets de la législature, le ministère de la justice aura ainsi créé 4 481 emplois, ses crédits progressant de 4,2 milliards de francs, soit une hausse de 17,8 %.

Pour les crédits des services judiciaires, la ministre a annoncé la création de 525 postes dont 307 de magistrats et 218 de greffiers, auxquels s'ajoutent 8 emplois pour l'Ecole nationale de la magistrature. Elle a constaté qu'on atteindrait ainsi, en 2001, un niveau jamais connu sous la Vème République, puisqu'en quatre ans 529 postes de magistrats auront été créés, soit autant que pour la période 1981-1997, tandis que les postes de greffiers et de greffiers en chef connaîtront une progression identique, avec 218 postes nouveaux contre 145 l'an passé.

Par ailleurs, évoquant le financement des réformes votées par le Parlement, auquel celui-ci est légitimement attentif, la ministre a souhaité donner des assurances, en particulier pour la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. Elle a indiqué ainsi que, pour 2001, 75 magistrats et 36 greffiers seraient en charge de la procédure d'appel des cours d'assises, 85 magistrats et 55 greffiers affectés dans les juridictions afin de permettre le respect des délais de jugement en assises et 77 magistrats et 44 greffiers dédiés à la nouvelle procédure d'application des peines. Rappelant également qu'en 1999 et 2000, 108 postes de magistrats avaient été créés pour l'instauration d'un juge des libertés et de la détention, ainsi que 108 postes de greffiers, avant même que la loi sur la présomption d'innocence ne soit votée, elle a conclu qu'au total, sur trois exercices budgétaires, 588 emplois nouveaux, 345 de magistrats et 243 de greffiers, avaient été dégagés pour l'application de cette réforme. Elle a également souligné que 350 millions de francs de crédits supplémentaires seraient, en outre, mobilisés pour la mise en _uvre de la loi sur la présomption d'innocence : 72,7 millions de francs de crédits d'aide juridique pour l'assistance des prévenus devant les cours d'assises et les juges d'application des peines ; une dernière tranche de 15 millions de francs d'aide juridique qui vient compléter la provision de 67 millions de francs inscrite en 1999 et 2000 pour l'intervention des avocats lors de la première heure de garde à vue ; 157 millions de francs de frais de justice destinés aux indemnités journalières des jurés d'assises, à l'indemnisation des personnes abusivement détenues et aux enquêtes en faveur des victimes. Elle a ajouté que ces crédits étaient complétés par 40 millions de francs pour le fonctionnement des juridictions. Constatant que, par le passé, peu de réformes avaient mobilisé autant de moyens, elle a estimé que d'éventuelles surenchères sur ce sujet seraient bien malvenues.

La garde des Sceaux s'est, ensuite, inscrite en faux contre certaines déclarations selon lesquelles il faudrait un délai de trois ans pour pourvoir les nouveaux postes de magistrats. Constatant que, chaque année, l'Ecole nationale de la magistrature formait une nouvelle promotion de 200 magistrats grâce à l'accélération des recrutements engagée dès 1998, elle a relevé, au contraire, que l'augmentation nette des effectifs avait été très importante depuis trois années, du fait même de la faiblesse des départs en retraite, puisque les effectifs réels auront augmenté de plus de 500 magistrats entre le 1er janvier 1998 et le 31 décembre 2000, pour 422 postes créés. Elle a insisté sur le fait qu'avaient été pourvus, non seulement les postes correspondant à des emplois budgétaires, mais également ceux laissés vacants par les différents ministres de la justice avant 1997. Avec 200 magistrats supplémentaires en 2001, pour seulement 50 départs à la retraite, elle a observé que, entre 1998 et 2001, 650 arrivées sur le terrain auront eu lieu pour 729 postes créés et a jugé que ces chiffres démontraient que la gestion prévisionnelle avait été bien menée, même s'il est vrai que les innovations apportées par la loi du 15 juin 2000, grâce au travail fructueux des parlementaires, plus amples que prévu, n'avaient donc pu être anticipées. Elle a ajouté que 140 postes correspondaient à la réforme des tribunaux de commerce, qui n'entrera pas, cependant, en application en 2001.

Précisant, en outre, que les cours d'assises avaient, pour la plupart, déjà fixé leurs rôles jusqu'à l'été 2001, elle a souligné que les problèmes de l'arrivée effective des magistrats et des locaux ne se poseraient pas dès le début de l'année prochaine. Jugeant qu'une période d'adaptation et de réorganisation serait nécessaire pour de nombreuses juridictions, elle a considéré que le premier semestre 2001 pourrait voir surgir certaines difficultés, qui doivent cependant être ramenées à de justes proportions puisque, dans la plupart de ces juridictions, un seul magistrat est susceptible de manquer pendant quelques mois. Elle a donc considéré qu'il ne fallait pas avoir une vision alarmiste de la situation.

La ministre a ensuite insisté sur l'effort budgétaire mené en faveur de l'Ecole nationale de la magistrature, qui bénéficiera de la création exceptionnelle de 8 emplois et d'une augmentation de 7,5 % des crédits, qui porte l'effort sur quatre ans à + 40 %. Elle a ajouté que cette école accueillerait désormais des promotions portées à 190 auditeurs, au lieu de 140 en 1997. Rappelant la nécessité de préparer l'avenir et d'anticiper sur les importants besoins de recrutement, elle a considéré que la gestion prévisionnelle des ressources humaines était une priorité pour le ministère de la justice.

Abordant la question de la revalorisation de la carrière des magistrats, elle a indiqué qu'une provision de 40 millions de francs serait inscrite au budget, permettant ainsi l'alignement des carrières des magistrats judiciaires sur leurs homologues des juridictions administratives et financières, ces mesures donnant également une plus forte attractivité au corps judiciaire. Elle a insisté sur la nécessité de recruter dans la magistrature des cadres de haut niveau, alors même que le marché de l'emploi suscite une compétition de plus en plus vive. Elle a noté que celle-ci serait exacerbée d'ici quelques années par l'obligation de faire face à des départs à la retraite massifs à partir de 2007-2008.

Présentant les mesures relatives à l'administration pénitentiaire, la garde des Sceaux a d'abord souligné l'importance des créations d'emplois et insisté sur le fait que les 530 postes nouveaux, dont 330 postes de surveillants, participeraient directement à l'amélioration des conditions de travail dans les prisons et à l'allégement des tâches des surveillants. Concernant les dépenses de personnel, elle a annoncé que le Gouvernement présentera un amendement destiné à augmenter les crédits indemnitaires de 58 millions de francs pour respecter le protocole d'accord signé avec les syndicats le 18 octobre dernier. Elle a précisé que, sur cette somme, 39 millions seront destinés à l'augmentation de l'indemnité pour charges pénitentiaires, qui sera portée à 1 700 francs par an, 10 millions consacrés à l'augmentation de l'indemnité de nuit en semaine, qui passera de 48,70 francs à 75 francs, tandis que 7 millions permettront de répondre à une très ancienne revendication, en finançant l'extension aux personnels administratifs de la prime de sujétion spéciale, qui compense la privation du droit de grève de ces personnels et est, contrairement aux autres primes, intégrée dans le calcul des droits à la retraite. Abordant les dépenses de formation, la ministre a indiqué que l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire (ENAP), qui a été délocalisée à Agen et sera transformée en établissement public administratif à partir du 1er janvier 2001, bénéficiera de la création de 15 emplois en 2001 et d'une augmentation de son budget de 30,8 millions de francs, afin de mieux assurer ses missions de formations et de faire face aux nombreux départs à la retraite.

Abordant les crédits d'investissement, la ministre a d'abord présenté le grand programme de rénovation pénitentiaire, annoncé la veille par le Premier ministre lors de l'inauguration de l'ENAP à Agen, pour répondre aux critiques des rapports parlementaires sur l'état du parc immobilier et aux exigences de la loi du 15 juin 2000 sur le placement en cellule individuelle. Après avoir souligné que ce programme de 10 milliards de francs sur six ans permettra notamment de remettre à plat la carte pénitentiaire et d'adapter le parc immobilier aux besoins en adoptant une démarche d'ensemble pour les établissements anciens, elle a indiqué qu'il s'accompagnera de la création d'un établissement public pour piloter de façon transparente les opérations immobilières et accélérer leur réalisation. Soulignant que le projet de loi de finances pour 2001 était déjà très favorable en matière d'investissement, la ministre a indiqué que les autorisations de programmes étaient portées à 844 millions de francs, marquant ainsi une hausse de 37,5 % par rapport aux crédits votés en 2000, tandis que les crédits de paiement atteignaient 429 millions de francs, destinés, pour l'essentiel, à la rénovation des grandes maisons d'arrêts, telles que Fleury Mérogis, Fresnes, La Santé, les Baumettes et Loos.

Présentant les mesures relatives à la protection judiciaire de la jeunesse, la ministre a souligné que le budget 2001 confirmait le changement d'échelle engagé en 2000. Elle a d'abord fait observer que 380 créations d'emplois étaient prévues, dont 230 postes pour les éducateurs, ce qui permettra d'augmenter la capacité de prise en charge des mesures de réparations ordonnées par les juges, qui ont augmenté de 72 % depuis 1997. Elle a ensuite souligné que les crédits des centres d'accueil augmenteront sensiblement, les crédits de fonctionnement du secteur public s'accroissant de 28 millions de francs et ceux du secteur associatif habilité de 150 millions de francs. Observant que le rythme des ouvertures de centres s'était accéléré, elle a confirmé que 50 centres de placement immédiat (CPI) et 100 centres éducatifs renforcés (CER) devraient être ouverts fin 2001.

Concernant les mesures générales, la ministre s'est félicitée de la baisse du chapitre relatif aux frais de justice, qui résulte de la politique engagée depuis trois ans et notamment de la mise en place de contrats de gestion avec les juridictions à partir de 1998. Elle a observé que les mesures nouvelles pour 2001 seraient financées sur les 200 millions de francs d'économie attendue en 2001. Enfin, elle a annoncé une revalorisation de 4,2 % des plafonds d'admission à l'aide juridictionnelle, estimant que cette mesure pourrait concerner 50 000 foyers et déboucher sur 15 000 dossiers supplémentaires en 2001, pour un coût de 30 millions de francs.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis des crédits de l'administration centrale et des services judiciaires, a considéré que le projet de loi de finances pour 2001 traduisait bien la priorité donnée par le Gouvernement à la justice. Se félicitant que le pari fait en début de législature de porter les crédits de la justice à 30 milliards de francs soit gagné, il a souhaité que l'effort soit poursuivi afin que le budget passe à 35 milliards de francs d'ici quelques années et permette ainsi la mise en _uvre des dernières réformes législatives adoptées et l'amélioration du fonctionnement quotidien de la justice.

Soulignant que le souci de garantir à tous les citoyens l'accès à la justice supposait notamment que soient octroyés aux avocats les moyens de défendre convenablement les justiciables les plus démunis, il a pris acte, avec satisfaction, des discussions engagées entre le Gouvernement et les représentants des avocats sur une réforme de l'aide juridictionnelle. Faisant référence aux tentatives antérieures qu'il avait pu connaître, il a souhaité que la réforme à venir soit globale. Il a, en effet, exprimé ses inquiétudes face au mouvement de contestation des avocats, rappelant que ceux-ci ne demandent pas une simple revalorisation de l'unité de valeur de référence, mais une véritable refonte de l'aide juridictionnelle.

Evoquant l'entrée en application de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, il a souligné que ce texte devrait permettre, non seulement de donner de nouveaux droits aux justiciables, mais aussi de rénover l'image de la justice et de combler le fossé qui semble se creuser entre l'institution judiciaire et des citoyens qui condamnent souvent la lenteur, le coût ou même « l'injustice » du service public de la justice. Faisant référence à la crainte exprimée par certains magistrats de ne pas disposer des moyens nécessaires pour appliquer la loi et tout en admettant que certains d'entre eux pourraient ne pas être immédiatement effectifs, il a considéré que le moindre report de l'application de cette loi serait inadmissible. Il a, d'ailleurs, observé que celle-ci serait facilitée par le repyramidage du corps des magistrats, ainsi que par une modification du statut de la magistrature, qui devrait permettre à un président de cour d'appel d'affecter dans une autre juridiction un vice-président de tribunal de grande instance.

Faisant observer que les services judiciaires, dont il a souligné la grande compétence, ont longtemps souffert d'un manque de crédits, M. Jacques Floch a jugé indispensable, maintenant que ces moyens existent, de les répartir équitablement et, pour ce faire, de poursuivre la réforme de la carte judiciaire. En effet, il a indiqué que la carte actuelle entraînait une dispersion des moyens entre des juridictions, dont l'implantation sur le territoire ne reflète plus la répartition de la population et de l'activité humaine et conduit entre les juridictions à des écarts de productivité qu'il a jugés choquants. Dans le même esprit, il a insisté sur la nécessité de disposer d'une comptabilité analytique du service rendu par les institutions judiciaires.

Saluant les efforts budgétaires considérables consentis en faveur de la justice, M. Jacques Floch a, enfin, précisé qu'il demanderait à la Commission de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la justice pour 2001.

M. Jacques Brunhes, suppléant M. André Gerin rapporteur pour avis des crédits de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, a tout d'abord rappelé que, en visitant la quasi-totalité des établissements pénitentiaires dans le cadre des travaux de la commission d'enquête sur la situation des prisons en France, les députés avaient pu prendre pleinement conscience des conditions dégradées de détention qui y règnent, de la vétusté des locaux, mais aussi du besoin de reconnaissance des personnels pénitentiaires. Il a ajouté que les travaux menés par la commission l'avaient conduit à aller au-delà de la dénonciation de la situation prévalant dans les prisons en plaidant pour l'organisation d'une réflexion d'ensemble sur le sens de la peine et la place de la prison dans la société française. C'est pourquoi, tout en se réjouissant des annonces faites, hier à Agen, par le Premier ministre à l'occasion de l'inauguration de l'école nationale de l'administration pénitentiaire, il a estimé que la construction de nouveaux établissements pénitentiaires ne pouvait constituer l'unique réponse politique aux difficultés rencontrées dans les prisons. Il a considéré, à ce titre, qu'il convenait de favoriser davantage les mesures pénales alternatives à l'incarcération. Evoquant l'annonce du Premier ministre relative à l'élaboration d'un projet de loi pénitentiaire, qui devrait être présenté en conseil des ministres avant l'été 2001, il a souligné qu'elle correspondait à un engagement et répondait au v_u exprimé par les parlementaires ; il a également émis le souhait que ce texte soit accompagné de moyens suffisants, clairement identifiés dans le cadre d'une loi de programme.

Abordant ensuite le budget de l'administration pénitentiaire pour 2001 et relevant qu'il bénéficiait d'une augmentation globale de 0,4 % à structure constante, il a, cependant, noté que les dépenses en capital connaissaient des évolutions contrastées puisque les autorisations de programme étaient en hausse, tandis que les crédits de paiement diminuaient. Il s'est demandé si la sous-consommation des crédits de paiement de l'administration pénitentiaire au cours des années précédentes constituait la justification de ces mouvements. Puis, il a relevé que les mesures indemnitaires en faveur des personnels de l'administration pénitentiaire permettaient une revalorisation substantielle de leur pouvoir d'achat. Concernant les créations de postes, il s'est réjoui de l'effort consenti en faveur du recrutement de personnels d'insertion, évoquant notamment les 105 créations d'emplois d'éducateurs prévues pour 2001 et s'est interrogé sur d'éventuelles mesures nouvelles qui pourraient être la conséquence des annonces faites la veille par le Premier ministre.

S'agissant des crédits alloués aux services de la protection judiciaire de la jeunesse, il a souligné l'ampleur de l'effort budgétaire consenti pour 2001, observant que les dépenses en capital connaissaient, cependant, la même évolution contrastée que celle observée au sein du budget de l'administration pénitentiaire. En outre, il a indiqué qu'en dépit des 380 créations d'emplois inscrites au budget, de nombreuses structures d'accueil des jeunes continueraient à rencontrer des difficultés quotidiennes de fonctionnement provoquées par les sous effectifs chroniques dont elles souffrent. A cet égard, il a regretté le recours croissant de la part de l'administration de la protection judiciaire de la jeunesse aux emplois précaires, qu'il s'agisse d'emplois jeunes ou de vacataires. En conclusion, il a demandé à la ministre si ses services disposaient d'une étude comparable à celle menée par l'administration pénitentiaire pour estimer ses besoins en termes de personnels administratifs et techniques, communément appelée audit EVA, qui porterait sur l'ensemble des besoins en personnels de la protection judiciaire de la jeunesse.

M. Bernard Roman, président, a estimé que les améliorations matérielles rendues possibles par l'augmentation des crédits ne suffiraient pas à résoudre les problèmes posés par la situation actuelle des prisons françaises et a donc souligné l'importance de la grande loi pénitentiaire annoncée. Il a également regretté la faible consommation des crédits, s'interrogeant sur les moyens à mettre en _uvre pour remédier à cette situation.

Après avoir observé que les trois précédents budgets ne faisaient que rattraper les retards accumulés ces dernières années, M. Alain Tourret a souligné l'ampleur des besoins générés par les récentes réformes votées par le Parlement. Prenant tout d'abord l'exemple de la justice civile, il a regretté l'importance des délais de jugement, deux ans étant souvent nécessaires pour obtenir une décision en matière de divorce. Il a donc proposé de simplifier la procédure en cas de divorce par consentement mutuel, en prévoyant une consultation a posteriori de l'administration fiscale. Evoquant la loi relative à la présomption d'innocence, il a souhaité être destinataire des projets de décrets d'application. Il s'est, à cet égard, interrogé sur le lieu où se tiendrait l'examen des appels des décisions du juge de l'application des peines, estimant qu'un déplacement des magistrats sur les lieux de détention serait une perte de temps considérable pour la justice. Appuyant les propos de M. Jacques Floch, il a considéré que les besoins en magistrats induits par les différentes réformes rendaient nécessaire l'établissement d'un état des lieux complet ainsi qu'une éventuelle révision de la carte judiciaire. Il a également jugé indispensable d'augmenter les moyens accordés à la justice économique et financière en renforçant les pôles financiers. Il s'est ensuite interrogé sur l'affirmation du précédent ministre de la justice selon laquelle les nouveaux seuils de placement en détention provisoire permettraient de libérer 5 000 places de prison, souhaitant savoir si ce chiffre était toujours d'actualité. Il a, enfin, demandé s'il était possible de renforcer le corps des magistrats en autorisant les professeurs de droit à exercer, à temps partiel, les fonctions de juge, sur le modèle de ce qu'avait fait M. Robert Debré en 1959 avec le corps des professeurs de médecine « bi-appartenant », qui, à la fois, enseignaient et soignaient les malades.

Tout en reconnaissant que le budget de la justice était en augmentation, M. Philippe Houillon a souligné que les moyens consacrés à ce secteur restaient faibles en comparaison de ceux des autres pays européens. Il a estimé qu'une véritable protection de la présomption d'innocence passait, avant tout, par une augmentation sensible des crédits, et jugé que le budget proposé ne permettait pas de répondre à cette attente. Il a, en outre, regretté l'absence de formation économique et financière des magistrats et la lenteur de la révision de la carte judiciaire. Tout en se félicitant de la volonté affichée par la chancellerie de revaloriser le statut des magistrats, il a estimé que les moyens mis en _uvre étaient largement insuffisants. Il a, par ailleurs, souhaité connaître la réaction de la garde des Sceaux aux propos tenus par un parlementaire de la majorité, qui mettent en cause le procureur général près la Cour de cassation. Evoquant enfin la rémunération des avocats, il a regretté la faiblesse des moyens financiers consacrés à l'aide juridictionnelle et fait valoir qu'une réforme était indispensable pour assurer le succès de l'accès au droit. A cet égard, il a indiqué qu'il avait déposé un amendement demandant l'élaboration d'un décret pour permettre la revalorisation de l'unité de valeur de référence.

M. Louis Mermaz a considéré que le budget proposé permettrait une application effective de la loi sur la présomption d'innocence. Il a, néanmoins, estimé qu'il serait souhaitable d'en améliorer certains aspects, notamment l'aide juridictionnelle, dont le fonctionnement actuel ne permet pas aux avocats commis d'office d'être présents dans les prisons ; il s'est également inquiété des procédures de comparution immédiate, jugeant qu'elles s'apparentaient de plus en plus à de la « justice d'abattage ». Tout en reconnaissant que les magistrats prononcent moins de peines de prison ferme depuis quelques années, il a souhaité que les mesures alternatives à l'incarcération se développent, jugeant celles-ci encore insuffisantes. Il s'est également inquiété des délais entre la fin de la formation des personnels issus de l'ENAP et leur prise effective de fonction, rappelant qu'il existait actuellement près de 700 emplois vacants dans l'administration pénitentiaire. Il a estimé que l'amélioration du niveau de formation faciliterait un changement de mentalité des personnels, indispensable au succès de la réforme des prisons. M. Louis Mermaz s'est, ensuite, félicité des moyens consacrés aux services d'insertion et de probation, tout en souhaitant que les municipalités s'impliquent davantage dans ce domaine essentiel pour la prévention de la récidive. Evoquant les moyens consacrés à la protection judiciaire de la jeunesse, il a souligné la nécessité de développer les centres éducatifs renforcés en augmentant notamment le nombre de médecins et de psychologues vacataires. Après avoir rappelé que la construction de nouveaux établissements ne devait pas se traduire par une augmentation du nombre de prisonniers, mais uniquement par une amélioration de leurs conditions de vie, il a souligné l'importance du placement en cellule individuelle, estimant toutefois qu'il ne fallait pas l'imposer aux détenus. Il s'est, ensuite, inquiété de la faiblesse de la consommation des crédits de paiement, citant le chiffre de 22 % au 31 août dernier. A cet égard, il a estimé que l'annonce par le Premier ministre de la création d'un établissement public chargé de la construction des nouveaux établissements pénitentiaires permettrait de réduire les délais entre l'annonce de la décision et la construction effective de l'établissement. Il a jugé cette réduction des délais d'autant plus nécessaire que la situation dans certains établissements, comme ceux de Saint-Denis de la Réunion ou de Basse-Terre en Guadeloupe, était indigne d'une démocratie comme la France.

Intervenant en application de l'article 38, alinéa 1er, du Règlement, Mme Christine Boutin a exprimé sa vive satisfaction devant l'annonce faite par le Premier ministre de l'ouverture de dotations supplémentaires de 10 milliards de francs sur six ans en faveur de l'administration pénitentiaire. Elle a notamment pleinement souscrit au projet annoncé de création d'un établissement public destiné à gérer au mieux ces nouveaux crédits. S'agissant de la situation pénitentiaire actuelle, elle a plaidé pour une mise en place rapide du respect du principe du placement en cellule individuelle, ajoutant qu'il convenait, néanmoins, de tenir compte des souhaits exprimés par certains détenus préférant être placés dans des cellules collectives.

Estimant que la réforme du système pénitentiaire ne pouvait se réduire à un simple enjeu immobilier, Mme Christine Boutin a plaidé pour une réflexion globale qui porterait sur le sens de la peine, la réinsertion, la durée de la peine et l'environnement familial des détenus. Sur ce dernier point, elle a émis le souhait que les projets immobiliers prennent en compte l'ensemble des aspects de la détention et prévoient notamment la présence, dans les nouveaux établissements, d'unités de visites familiales. Reconnaissant que la mise en place de telles structures exigeait qu'un effort d'explication soit fait auprès du personnel pénitentiaire, notamment des surveillants, elle a ajouté que cette politique de communication devrait être plus générale, en direction de tous, afin que les Français acceptent culturellement l'univers de la prison.

Intervenant également au titre de l'article 38 précité, M. Georges Hage a déploré, en premier lieu, la place budgétaire restreinte accordée à la justice, qui est pourtant l'une des premières fonctions régaliennes, rappelant que les crédits qui y sont affectés ne représentent, cette année encore, que 1,7 % du budget de la Nation. Indiquant qu'il avait pris connaissance de nombreuses difficultés de personnels touchant les tribunaux et les cours d'appel, il a fait état de l'inquiétude des magistrats en ce qui concerne la mise en _uvre de la loi sur la présomption d'innocence ; citant une motion récente des magistrats de Bobigny, il a émis la crainte que cette mise en _uvre ne se fasse finalement au détriment des autres missions assignées aux magistrats. Il a également déploré la situation de précarité d'une partie importante des personnels : il a ainsi estimé que les assistants de justice devraient avoir un accès facilité aux carrières de magistrats et espéré que les nombreux emplois-jeunes puissent être intégrés dans une réflexion sur la pérennisation de leur emploi. S'agissant de l'administration pénitentiaire, il a constaté que les prisons n'étaient que le reflet de l'état de notre société telle qu'une analyse sociologique pourrait la faire ressortir, et une traduction des inégalités fondamentales qui subsistent encore. Il a estimé que la loi pénitentiaire devrait être l'occasion de dépasser les termes du débat entre incarcération ou libération totale.

M. Jacky Darne a souhaité, en préambule, analyser avec prudence la croissance annoncée du budget, soulignant qu'une grande partie de la progression des crédits, notamment pour la protection judiciaire de la jeunesse, serait en fait absorbée par l'augmentation de la délinquance. Il a plaidé pour une politique transversale qui permettrait de mener une réflexion allant de la prévention jusqu'à la sanction, et estimé que, dans cette réflexion, une place spécifique devrait être accordée au problème de la délinquance des mineurs. Il a rappelé, à cet égard, qu'il était reconnu que les quartiers des mineurs dans les établissements pénitentiaires posaient davantage de problèmes que les autres. S'agissant de la construction de nouveaux établissements pénitentiaires, il a émis le souhait que soit enfin instaurée une concertation entre l'administration centrale et les interlocuteurs sur le terrain. Citant l'exemple de Villefranche-sur-Saône, où le personnel n'a pas été associé à la construction du nouvel établissement, ou l'exemple de Lyon, pour lequel les projets de reconstruction butent sur l'hostilité des élus locaux, il a proposé que soit créé, au moins peut-être pour le département du Rhône, un comité consultatif associant le personnel, l'administration centrale, les associations travaillant avec les établissements pénitentiaires, le barreau, le parquet et les élus.

S'agissant de la question de l'aide juridictionnelle, il a estimé que l'ensemble des plafonds d'admission devaient être revalorisés, constatant que les justiciables les plus modestes sont souvent les plus mal traités, notamment dans les contentieux qui les touchent plus particulièrement, comme le surendettement.

M. Jean-Luc Warsmann a, tout d'abord, tenu à dénoncer le caractère parcellaire des informations contenues dans le document budgétaire retraçant les crédits de la justice en soulignant le nombre élevé des données figurant comme « indisponibles ». Il a ajouté que, ni le décompte des suicides de détenus, ni les statistiques relatives aux agressions commises à l'encontre des personnels de surveillance, ne figuraient dans le document mis à la disposition des députés. C'est pourquoi, il a demandé à la garde des Sceaux de bien vouloir procéder à l'élaboration d'un nouveau « bleu », afin que la représentation nationale bénéficie d'une information complète et satisfaisante. Puis, abordant la question du budget de la justice pour 2001, il a exprimé son désaccord sur la présentation élogieuse qu'en avait faite la ministre. Il a, en effet, estimé que la justice se trouvait aujourd'hui dans une situation critique, confinant à « l'explosion ». Il a ajouté que l'augmentation continue des délais d'audiencement, qui atteignent, en moyenne, 9 mois devant les tribunaux d'instance, alors même que le nombre des affaires nouvelles diminue sensiblement, témoignait du dysfonctionnement du service public de la justice dont la principale conséquence était de dissuader les citoyens d'y avoir recours.

Rappelant que les créations de postes de magistrats inscrites au budget 2001 ne pouvaient se traduire, dans l'immédiat, par le renforcement du nombre des juges présents dans les juridictions en raison de la durée de la formation dispensée à l'école nationale de la magistrature, M. Jean-Luc Warsmann a déploré que le Gouvernement persiste, néanmoins, à prévoir la mise en _uvre au 1er janvier 2001, de la loi du 15 juin 2000 relative au renforcement de la présomption d'innocence, alors même que chacun sait que les moyens nécessaires feront défaut. Evoquant, à cet égard, l'instauration d'un appel des décisions des cours d'assises, il a indiqué que cette nouvelle disposition augmenterait nécessairement les délais d'audiencement, pourtant déjà supérieurs à un an en matière criminelle. Soulignant que, lors de la discussion devant le Parlement du projet de loi renforçant la présomption d'innocence, la précédente Garde des sceaux avait estimé que le taux d'appel des décisions des cours d'assises de première instance n'excéderait vraisemblablement pas 20 %, il a jugé que cette prévision sous-estimait très certainement l'ampleur d'un phénomène qui conduirait inévitablement à l'accroissement des dysfonctionnements actuels. Puis, après avoir pris acte des annonces faites la veille par le Premier ministre dans le domaine de la politique pénitentiaire, il s'est interrogé, au vu des informations contenues dans le rapport spécial de M. Patrick Devedjian sur les crédits de la justice pour 2001, sur les motifs exacts de la sous-consommation des crédits de paiement en capital alloués à l'administration pénitentiaire. Enfin, après avoir demandé à la ministre des informations sur l'état d'avancement de la mise en place des centres éducatifs renforcés, il s'est également interrogé sur l'existence, au sein de la Chancellerie, de statistiques nationales relatives à l'exécution des décisions de justice.

Evoquant le recours aux nouvelles technologies de communication pour améliorer le fonctionnement du service public de la justice, M. Jean-Yves Caullet a estimé que l'isolement de certains établissements pénitentiaires, qui est aussi préjudiciable aux personnels qu'au maintien des liens entre les détenus et leur famille, devrait inciter à accroître leur utilisation. Faisant état de la localisation, à l'écart de la ville et des principaux axes de communication, du centre de détention situé dans sa circonscription, il a estimé que les nouvelles technologies permettraient de remédier à cet isolement, soulignant qu'elles étaient d'ores et déjà utilisées au Canada et que le droit français, en reconnaissant la validité juridique de la signature électronique, permettait désormais de recourir en toute sécurité à ces procédés novateurs.

Evoquant, tout d'abord, les crédits consacrés à l'administration pénitentiaire, M. Hervé Morin a estimé que l'effort consenti en faveur de l'investissement immobilier, s'il était nécessaire, ne devait pas cependant constituer le seul axe de réforme du milieu carcéral, insistant, en outre, sur la nécessité de ne pas négliger les établissements pénitentiaires de petite taille. Exprimant le souhait qu'une réflexion soit engagée sur le traitement psychiatrique des détenus, il a, par ailleurs, jugé nécessaire que les magistrats se rendent plus fréquemment dans les prisons, avant de faire observer que les visites des parlementaires ou du garde des Sceaux dans ces établissements gagneraient en crédibilité si elles étaient impromptues. Stigmatisant l'absence de gestion prévisionnelle des personnels pénitentiaires, il a ensuite suggéré de confier à un établissement public la gestion du parc immobilier et du personnel pénitentiaire, tout en convenant que cette évolution nécessiterait du temps et une concertation avec les acteurs du monde pénitentiaire.

Par ailleurs, M. Hervé Morin a considéré que, malgré leur importance, les efforts consentis en faveur des services judiciaires ne seraient pas suffisants pour assurer l'application des réformes adoptées, qui risquent donc de ralentir encore le cours de la justice. Il a, en outre, considéré que la loi relative à la présomption d'innocence, dès lors qu'elle prévoit un recours accru aux avocats, justifie une augmentation des crédits consacrés à l'aide juridictionnelle, pour qu'une véritable inégalité des citoyens dans l'accès au droit ne se trouve pas créée. Après avoir rappelé la faiblesse des rémunérations perçues par les avocats commis d'office, il a jugé souhaitable de recentrer les magistrats sur leurs activités juridictionnelles, puis a fait observer que les recrutements de magistrats prévus dans le projet de loi de finances pour 2001 ne seront pas immédiatement effectifs.

M. Emile Blessig a regretté que la présentation du budget ne permette pas de distinguer les efforts consentis pour améliorer le fonctionnement quotidien de la justice, qu'il a jugés indispensables, des crédits consacrés à la mise en _uvre des réformes législatives adoptées ou en cours d'examen. Exprimant sa conviction qu'une réforme importante de l'administration pénitentiaire pouvait être menée à bien, il a appelé à la mise en place d'une gestion prévisionnelle des personnels pénitentiaires, afin de tenir compte du délai de formation des surveillants, des risques de pénurie de recrutement, de la perspective de nombreux départs à la retraite et de l'aménagement du temps de travail. Faisant valoir que, d'après les informations fournies dans le fascicule budgétaire consacré aux crédits de la justice pour 2001, un même agent de probation devrait suivre 120 personnes, il a estimé que l'insuffisance des effectifs des services d'insertion et de probation empêchait, de fait, le développement des peines alternatives à l'emprisonnement. Enfin, il s'est demandé si la centralisation des prises de décision de l'administration pénitentiaire, notamment en matière d'investissement, n'était pas à l'origine de la sous-consommation des crédits, et a considéré que la prochaine loi pénitentiaire pourrait être l'occasion de définir des critères d'attribution des crédits entre les établissements pénitentiaires.

Faisant état de son expérience professionnelle, M. Alain Vidalies a précisé que le système actuel d'aide juridictionnelle rendait difficile l'exercice de la défense des personnes défavorisées. Considérant que la revalorisation de la rémunération des avocats au titre de l'aide juridictionnelle était indispensable, il a cependant souligné que l'augmentation du montant de l'unité de valeur ne constituait pas, à elle seule, une réponse suffisante. Tout en se félicitant de l'accroissement des moyens prévus par le projet de loi de finances pour 2001, il a ensuite fait remarquer qu'il convenait de mieux distinguer les fonctions de jugement des fonctions de gestion au sein des juridictions, afin de permettre une meilleure utilisation des moyens alloués. Il a ainsi regretté qu'un nombre croissant de magistrats soient occupés à des fonctions de représentation et d'administration, alors même que les juridictions souffrent d'un manque de juges. Il s'est également inquiété du mauvais fonctionnement de l'administration centrale du ministère de la Justice, notamment en matière immobilière, évoquant l'acquisition par la chancellerie de deux terrains dans le département des Landes, l'un en 1979, l'autre en 1992, sans qu'aucune construction n'y ait à ce jour été effectuée. Regrettant que la programmation immobilière des services centraux privilégie les grands établissements judiciaires et les juridictions les plus importantes, il a, par ailleurs, souhaité une meilleure répartition des crédits.

En réponse aux différents intervenants, la garde des Sceaux a apporté les réponses suivantes :

- Pour l'année 1999, l'aide juridictionnelle a concerné environ 700 000 personnes, dont 56 % pour des affaires civiles et 40 % pour des affaires pénales. Les estimations les plus défavorables de la rémunération horaire moyenne des avocats dans le cadre de l'aide juridictionnelle sont injustifiées, parce qu'elles reposent sur un calcul fondé sur la durée totale de la procédure judiciaire, ce qui n'a évidemment aucun sens ; les avocats estiment, en fait, que la rémunération horaire moyenne versée dans le cadre de l'aide juridictionnelle serait d'environ 100 francs. Toutefois, la seule revalorisation de l'unité de valeur ne suffirait pas à régler ce problème, car elle ne résoudrait pas la question des inégalités de traitement résultant du barème actuellement en vigueur et des différences existant entre les barreaux en fonction du nombre d'affaires à traiter et du nombre d'avocats qui y sont inscrits. Au-delà de toute modification relative à l'unité de valeur de référence, une concertation sur l'ensemble du dispositif d'aide juridictionnelle doit être entreprise, afin de mettre en _uvre une réforme globale d'un système qui date de 1991 et n'est donc plus adapté aux réalités actuelles. Dans ce cadre, les frais de déplacement des avocats, qui vont augmenter du fait des nouveaux droits accordés aux détenus, devront également être pris en charge.

- La réforme de la carte judiciaire a, d'ores et déjà, été entamée pour les tribunaux de commerce, puisque 36 juridictions consulaires ont été supprimées dans le but de rationaliser leur implantation. Pour les juridictions judiciaires, cette réforme sera conduite, après une concertation approfondie, notamment avec les élus concernés, dans un souci de dialogue et de pragmatisme.

- Les inégalités devant le service public judiciaire demeurent et doivent être résorbées. Alors que la durée moyenne de jugement est satisfaisante au niveau national, puisqu'elle est de 5 mois devant les tribunaux d'instance et de 9 mois devant les tribunaux de grande instance, elle varie fortement selon les différents ressorts ; il convient, par conséquent, d'homogénéiser la durée de traitement des affaires sur l'ensemble du territoire. Par ailleurs, il faut souligner que la création, dans les cours d'appel, de 100 postes supplémentaires de magistrats pour les années 1998 et 1999 a permis de diminuer le stock des affaires en attente de jugement.

- S'agissant des moyens nouveaux, ceux-ci ont été dégagés à la fois pour mettre en _uvre les mesures législatives nouvelles, notamment la loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d'innocence, et pour améliorer la réponse aux besoins existants. A cet égard, le nombre de créations de postes de magistrats est éloquent, puisqu'ils ont constamment progressé depuis 1995 : 55 nouveaux postes en 1995, 58 en 1996, 140 en 1999, 212 en 2000, 307 en 2001. Cette progression permet notamment de pourvoir les postes de juge de la détention provisoire et des libertés qui doivent être créés en application de la loi relative à la présomption d'innocence et de procéder à un repyramidage du corps des magistrats. L'inspection générale des services judiciaires va, par ailleurs, procéder à une évaluation détaillée des besoins, juridiction par juridiction, afin de réduire les inégalités actuellement constatées entre les différents ressorts en procédant à une affectation optimale des nouveaux postes de magistrat.

-  Quatre pôles économiques et financiers existent aujourd'hui en France ainsi que des juridictions spécialisées dans ce type de dossiers à Bordeaux, Fort-de-France et Nanterre. L'objectif est d'instituer, à moyen terme, un total de dix à douze pôles financiers.

- L'accès des professeurs à la magistrature est actuellement possible en application de l'ordonnance du 22 décembre 1958, qui prévoit une intégration hors hiérarchie de ces magistrats. Le cumul des fonctions de magistrat et de professeur n'est, en revanche, pas prévu par les textes en vigueur et soulèverait, sans doute, quelques difficultés, notamment au regard de la disponibilité requise dans chacune de ces fonctions.

-  Il est important de rappeler que les vacances de postes de magistrats n'ont jamais été aussi peu nombreuses qu'aujourd'hui. Sur ce sujet, ainsi que sur les priorités d'affectation dans le cadre de la mise en _uvre de la loi du 15 juin 2000, le ministère pourrait présenter un rapport d'étape en 2001 devant la commission des Lois.

-  La comparaison du nombre de magistrats entre les pays européens est difficile, dans la mesure où les systèmes juridiques sont très différents. Par exemple, en Grande-Bretagne, il existe de nombreux juges non professionnels, alors qu'en Allemagne les magistrats sont nécessairement très nombreux, puisque le principe de l'opportunité des poursuites n'existe pas et qu'il est donc impossible de classer des dossiers sans suite.

- Le coût moyen pour le contribuable a été estimé à 3 540 francs pour une procédure civile devant un tribunal de grande instance, tandis qu'il se situerait entre 40 000 et 70 000 francs pour le prononcé d'un arrêt d'assises. La charge la plus importante provient, en fait, des mesures d'application des peines et notamment du coût engendré par l'incarcération.

-  D'un point de vue purement comptable, on observe effectivement que la consommation des crédits d'équipement n'est pas assez élevée, puisqu'elle reste sur une tendance annuelle d'1,1 milliard de francs alors que le budget global s'accroît. Il s'agit là d'un phénomène classique caractérisé par la faiblesse des dépenses au début d'une période pluriannuelle de programmation. En effet, il faut d'abord préparer les dossiers et lancer les consultations en respectant la réglementation des marchés publics, tandis que l'exécution des opérations, et donc la consommation des crédits, s'accélèrent à la fin de la période de programmation. La création d'un établissement public spécialisé, annoncée par le Premier ministre, permettra d'éviter, dans toute la mesure du possible, cette difficulté pour les grands programmes de construction. Il faut, cependant, être conscient que les retards observés peuvent résulter d'opérations particulières comme le déflocage de l'amiante, les fouilles archéologiques...

-  Sur la question des outils d'évaluation du ministère de la justice qui ne sont pas aujourd'hui satisfaisants, le président du tribunal de grande instance d'Evry doit prochainement présenter les résultats d'une étude.

-  La contribution des assistants de justice au fonctionnement de la justice est très significative. Toutefois, dès lors qu'ils sont recrutés sur le fondement de contrats de deux ans renouvelables, il n'est pas possible d'envisager leur titularisation en dehors de toute procédure légale.

-  Sur les 350 millions de francs de crédits supplémentaires prévus pour l'application de la loi relative à la présomption d'innocence, 157 millions seront consacrés aux frais de justice, ce qui montre que cet aspect de la réforme n'a pas été négligé. Un groupe de suivi pour l'application de cette loi a d'ailleurs été mis en place, dont le fonctionnement est satisfaisant, l'ensemble des syndicats étant, par ailleurs, consultés.

-  Il est également essentiel de permettre un meilleur respect des droits de la défense lors des comparutions immédiates. Ce dossier mérite d'être réexaminé au fond.

- La juridictionnalisation de l'application des peines prévue par les dispositions de la loi relative à la présomption d'innocence, ayant pour conséquence de systématiser les déplacements des magistrats dans les établissements pénitentiaires, ne doit pas être interprétée comme un transfert de charges des services de police sur les services judiciaires. Elle constitue, en revanche, une mesure pragmatique visant à éviter la multiplication des déplacements sécurisés des prisons vers les palais de justice. Cette mesure sera accompagnée des aménagements nécessaires des locaux pénitentiaires.

-  Le projet de loi pénitentiaire sera présenté en juillet 2001, c'est-à-dire dans un délai très court après la remise des conclusions des commissions d'enquêtes parlementaires. Dans ce cadre, il ne s'agira pas de prévoir seulement un budget par cellule. Il faudra également engager une réflexion sur l'ensemble du dispositif pénitentiaire : la réinsertion et la protection de la société, les services médicaux, les formations pour les détenus ... La proposition faite par M. Louis Mermaz de mettre en relation les services culturels des villes avec les établissements pénitentiaires mérite d'être étudiée puisqu'elle s'inscrit tout à fait dans la conception, qui sera défendue par la prochaine loi, d'un service pénitentiaire plus ouvert. Il pourrait être envisagé d'instituer, à côté de l'établissement public, un conseil d'orientation où siégeraient notamment des médecins, des psychiatres, des responsables culturels, mais également des parlementaires, afin d'assurer un contrôle permanent et de participer à la définition des politiques en ce domaine.

-  Un amendement gouvernemental sera présenté pour abonder les autorisations de programme à hauteur d'1 milliard de francs au bénéfice des prisons.

-  Il est effectivement souhaitable que les projets d'implantation d'établissements pénitentiaires soient précédés d'une large concertation au niveau local. Toutefois, il convient également de prendre en compte, en toute hypothèse, les impératifs inhérents à la carte pénitentiaire. Le programme de construction et de rénovation des établissements pénitentiaires doit, en outre, inclure des projets afférents à des structures de petite taille.

-  Par ailleurs, il existe de véritables problèmes de gestion des personnels pénitentiaires, notamment dus à l'absence de direction des ressources humaines dans les établissements ou les directions régionales. L'accent sera mis à l'école nationale de l'administration pénitentiaire sur la formation continue à destination de l'ensemble des personnels.

-  Des efforts doivent également être accomplis en matière d'application des peines, même si des premiers résultats ont été obtenus. Si le bracelet électronique peut être une solution novatrice, il faut être conscient de ses limites. En effet, un détenu ne peut bénéficier de ce dispositif que s'il dispose d'un logement et d'un travail. On observe là une inégalité de fait entre les détenus, dont il faut être conscient.

-  Concernant le nombre des détenus, il faut saluer l'action poursuivie par Mme Elisabeth Guigou, qui a permis de passer de 53 000 détenus en 1998 à 48 000 en 2000.

-  L'expérience des centres éducatifs renforcés est concluante. Cent centres ont été ouverts en trois ans et quarante cette année. Il en est prévu dix-huit au printemps 2001, alors que dix sont à l'étude. Depuis 1998, 600 mineurs sont passés par ces centres, qui leur permettent de mieux se réinsérer.

-  Il faut observer que la mise en cause de magistrats par un parlementaire n'a suscité aucune requête de leur part auprès de la garde des Sceaux, qui entend leur laisser une totale liberté de jugement sur cette affaire ; elle est cependant prête à les écouter s'ils le souhaitent. En la matière, la ministre a déjà eu l'occasion de manifester, à deux reprises, sa solidarité par écrit à des magistrats qui avaient été mis en cause publiquement et de manière grave.

-  Les critiques émises par M. Jean-Luc Warsmann sur la présentation du budget dans le fascicule bleu consacré aux crédits du ministère de la justice ne sont pas infondées. Pour permettre aux membres de la commission des Lois de mieux analyser ces crédits, des documents complémentaires leur seront adressés d'ici l'examen en séance publique.

Remerciant la ministre pour la clarté de ses propos, M. Bernard Roman, président, a souligné qu'elle avait ainsi démontré à la Commission la maîtrise qu'elle avait acquise en quelques semaines des problèmes essentiels et des enjeux majeurs de son département ministériel. Il s'est prononcé en faveur du principe d'un rapport d'étape sur la mise en _uvre de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, et a souhaité que cette procédure soit étendue au suivi du programme de construction et de rénovation de l'appareil pénitentiaire français.

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Après le départ de la ministre, la Commission a procédé à l'examen pour avis des crédits du ministère de la justice pour 2001.

Conformément aux conclusions de ses rapporteurs pour avis, MM. Jacques Floch, pour l'administration centrale et les services judiciaires, et Jacques Brunhes, suppléant André Gerin, pour les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse, elle a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du ministère de la justice pour 2001 : administration centrale et services judiciaires et services pénitentiaires et protection judiciaire de la jeunesse.

Article 61 : Revalorisation des plafonds d'admission à l'aide juridictionnelle :

La Commission a examiné un amendement présenté par M. Philippe Houillon précisant qu'un décret fixera le montant de la revalorisation de l'unité de valeur de référence, qui détermine la rétribution des avocats dans le cadre de l'aide juridictionnelle. M. Jacques Floch, rapporteur, a considéré que cet amendement créait une dépense nouvelle pour le budget de l'Etat et risquait, à ce titre, d'être déclaré irrecevable. Il a également relevé l'incompétence du pouvoir réglementaire pour fixer le montant de l'unité de valeur, qui doit être déterminé en loi de finances, et a estimé qu'il convenait plutôt de réfléchir à une réforme globale de l'aide juridictionnelle, qui semble souhaitée par l'ensemble des acteurs du monde judiciaire. M. Jean-Luc Warsmann a contesté ces arguments en considérant, notamment, que le renvoi à une loi de finances pour la détermination de l'unité de valeur de référence résultait d'une loi du 10 juillet 1991 qui peut donc être modifiée par une autre loi postérieure. La Commission a rejeté cet amendement puis a émis un avis favorable sur l'article 61.

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La Commission a ensuite procédé à un échange de vues sur les conclusions du rapport de la commission d'enquête sur la situation dans les prisons.

Constatant que le thème de la prison et du système pénitentiaire français avait déjà été largement abordé lors de la discussion des crédits de la justice, M. Bernard Roman, président, a limité son propos à la question du suivi pratique des travaux de la commission d'enquête ; il a exprimé sa satisfaction à l'égard d'une des premières réponses apportées par la Chancellerie au constat sévère dressé par les parlementaires, consistant à créer une structure souple, sous la forme d'un établissement public, destiné à gérer les créations d'établissements que la dotation supplémentaire de 10 milliards de francs doit permettre. Estimant néanmoins que, sans attendre la création de cet établissement, il était nécessaire que les parlementaires prennent eux-mêmes l'initiative d'un contrôle, il a invité le président et le rapporteur de la commission d'enquête à élaborer un suivi spécifique de l'administration pénitentiaire, de ses crédits, et proposé que des communications régulières soient faites sur le sujet.

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M. Bernard Roman, président, a proposé la mise en place d'une mission d'information sur la Corse. Il a justifié cette initiative en considérant que le Parlement devait se saisir de ce dossier en amont de la discussion du futur projet de loi sur l'organisation et les compétences de la collectivité territoriale corse. Il a ajouté que cette formule permettrait également aux parlementaires ne plus dépendre des médias pour leur information, contrairement à ce qui s'est passé pendant l'intersession, lorsque les accords dits de Matignon ont été scellés entre les élus de l'île et le Gouvernement. Il a précisé, enfin, qu'une telle procédure visait aussi à prendre en compte le caractère très particulier de l'élaboration de ce projet de loi, dont un avant projet fera d'abord l'objet d'un avis de la collectivité territoriale les 7 et 8 décembre prochains, avant d'être soumis au Conseil d'Etat puis au Conseil des ministres au début de l'année prochaine. Il a suggéré que M. Bruno Le Roux soit nommé rapporteur de cette mission, au sein de laquelle siégeraient également, pour le groupe socialiste, MM. Jean-Yves Caullet et André Vallini, chaque formation politique pouvant, par ailleurs, désigner un représentant. En réponse à une question de M. Jean-Pierre Michel, il a précisé que cette formule permettrait effectivement aux trois composantes du groupe RCV d'être représentées. Il a proposé, enfin, que la mission se réunisse pour la première fois le 14 novembre prochain à 14 h 30, et qu'elle se rende en Corse les 22, 23 et 24 novembre. M. Jean-Luc Warsmann a annoncé que son groupe examinerait la question de sa représentation à l'occasion de la prochaine réunion de son bureau. Il s'est toutefois inquiété d'un risque de mélange des genres entre le Gouvernement, à qui il appartient de prendre les initiatives, et le Parlement, qui a pour mission d'examiner consécutivement les textes qui lui sont présentés. M. Bernard Roman, président, ayant précisé qu'il s'agissait de préparer la discussion du projet de loi et non de participer à son élaboration, la Commission a approuvé le principe de la création de cette mission d'information.

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. Jacques Floch, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en _uvre certaines dispositions du droit communautaire (n° 2691).

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