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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 16

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 12 décembre 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de Mme Nicole Feidt, vice-présidente

SOMMAIRE

 

pages

- Propositions de loi organique : de M. Georges Sarre et plusieurs de ses collègues relative à l'antériorité de l'élection présidentielle par rapport à l'élection législative (n° 2602) ; de M. Bernard Charles et plusieurs de ses collègues visant à modifier l'article L.O. 121 du code électoral en vue de la concomitance de l'élection présidentielle et des élections législatives (n° 2665) ; de M. Raymond Barre modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale (n° 2741) ; de M. Hervé de Charette relative à l'organisation des élections présidentielles et législatives (n° 2756) ; de M. Gérard Gouzes relative à la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale (n° 2757) et de M. Jean-Marc Ayrault modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale (n° 2773) (rapport)









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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Bernard Roman, les propositions de loi organique de M. Georges Sarre et plusieurs de ses collègues relative à l'antériorité de l'élection présidentielle par rapport à l'élection législative (n° 2602) ; de M. Bernard Charles et plusieurs de ses collègues visant à modifier l'article L.O. 121 du code électoral en vue de la concomitance de l'élection présidentielle et des élections législatives (n° 2665) ; de M. Raymond Barre modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale (n° 2741) ; de M. Hervé de Charette relative à l'organisation des élections présidentielles et législatives (n° 2756) ; de M. Gérard Gouzes relative à la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale (n° 2757) et de M. Jean-Marc Ayrault modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale (n° 2773).

Constatant que la séquence électorale inédite de 2002, les élections législatives précédant de quelques semaines le scrutin présidentiel, était née du hasard, M. Bernard Roman, rapporteur, a souhaité d'abord que le débat soit dédramatisé. Il a relevé que les propositions de loi soumises à la Commission, issues d'initiatives pluralistes, visaient toutes, hormis celle présentée par M. Bernard Charles, à rétablir le calendrier de 2002 dans sa cohérence et non, comme certains le laissent entendre, à l'inverser. Il a indiqué que les propositions de MM. Raymond Barre, Gérard Gouzes et Jean-Marc Ayrault prolongeant les pouvoirs de l'Assemblée nationale jusqu'au 15 juin de la cinquième année qui suit son élection étaient identiques, la proposition de M. Georges Sarre ayant le même objet sous une rédaction différente, tandis que la proposition de M. Hervé de Charette maintenait le calendrier actuel de renouvellement de l'Assemblée pour ne prévoir l'organisation des élections législatives après le scrutin présidentiel que dans le cas où les hasards du calendrier conduiraient normalement à ce qu'elles aient lieu dans les six mois qui précèdent la désignation du Chef de l'Etat. Au-delà de ces différences d'approche, il a considéré que toutes ces propositions témoignaient de la nécessité de rétablir le calendrier de 2002, en dehors de toute spéculation sur le résultat des élections, soulignant qu'il serait d'ailleurs présomptueux d'oser des prévisions électorales pour 2002, des expériences récentes ayant mis en lumière la nécessité de faire preuve d'humilité en la matière.

Observant qu'à côté de ceux qui s'opposent à ces propositions pour le seul motif qu'ils dénoncent une manipulation, d'autres les récusent en s'appuyant, au contraire, sur des convictions profondes, il a insisté sur la nécessité de privilégier la volonté politique de réformer les institutions, sans accepter le coup de force du hasard. A cet égard, constatant que les partisans d'un renforcement de la place du Parlement dans les institutions exprimaient la crainte que le rétablissement du calendrier ne conduise à un renforcement de la dérive présidentialiste du régime, il a estimé qu'il serait cependant aléatoire de considérer que le simple fait d'élire les députés avant le Chef de l'Etat suffirait à restaurer la fonction parlementaire, soulignant que la marginalisation du Parlement dans les institutions était née de nombreuses causes, comme, par exemple, l'immixtion du droit international dans notre système juridique ; il a souhaité que soient recherchés de nouveaux modes d'action qui feraient du Parlement une institution plus moderne et plus efficace.

Il a estimé que le seul hasard d'un calendrier favorable ne pouvait inverser une tendance profonde des démocraties modernes, ajoutant qu'attendre d'un événement accidentel, comme de la justice immanente, le rétablissement de l'équilibre institutionnel, était, en tout état de cause, discutable en termes de principe. Il s'est, en effet, interrogé sur la légitimité qu'aurait un infléchissement de la nature de notre régime, s'il résultait seulement du maintien de l'ordre des élections en 2002, sans qu'un débat clair n'ait eu lieu sur ce sujet, à l'occasion duquel nos concitoyens auraient été appelés à s'exprimer. Il a vivement souhaité, au contraire, qu'un tel débat se déroule à l'occasion des élections de 2002, pour que le régime actuel qui, à bien des égards, est à bout de souffle, connaisse des mutations profondes, grâce à des réformes d'envergure. Rappelant que certaines de ces réformes avaient déjà été adoptées, comme la parité, le quinquennat ou la limitation du cumul des mandats - encore trop timide à son goût - il a exprimé sa conviction que les prochaines élections présidentielle et législatives seraient l'occasion de débattre clairement de ces questions devant les Français.

Puis, le rapporteur a justifié également le rétablissement du calendrier électoral de 2002 par l'absolue nécessité de faire prévaloir la clarté démocratique face aux incertitudes, notamment juridiques, qui naîtraient du chevauchement des deux campagnes, des difficultés dans l'organisation du parrainage des candidats au scrutin présidentiel ou dans la désignation du Gouvernement pour la période intérimaire. Il a souhaité que le risque de troubler, de la sorte, un rendez-vous démocratique important soit écarté.

Constatant que l'esprit de la Ve République était parfois invoqué pour justifier le rétablissement du calendrier électoral, le rapporteur a souligné que cette notion ambiguë pouvait faire l'objet d'interprétations diverses et même contradictoires et a donc jugé préférable de faire référence au « principe de fonctionnement » de nos institutions, qu'il convient de préserver. Observant que le principal apport de la Ve République était l'alliance de la stabilité et du pluralisme, sous le contrôle et par la volonté du peuple, il a imputé cette avancée institutionnelle au fait majoritaire. Rappelant que la France n'avait jamais pu être durablement gouvernée autrement que par une coalition, il a souligné que ce pluralisme, s'il constituait une richesse, le débat se nourrissant d'opinions différentes et de nuances, représentait également un obstacle à la stabilité gouvernementale, comme l'ont montré les deux Républiques précédentes. Considérant que le grand mérite de la Ve République tenait à la préservation d'un équilibre entre cette pluralité des opinions et l'indispensable continuité de l'Etat, il a insisté sur le fait que le mécanisme puissant qui avait permis d'atteindre cet objectif était, sans nul doute, l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, le second tour de cette élection permettant de fédérer les forces politiques sur la base d'un message clair faisant figure de contrat entre le futur Président de la République, le peuple et l'ensemble des partis qui le soutiennent.

En conclusion, le rapporteur a donc proposé l'adoption d'un texte reprenant la rédaction des trois propositions de loi organique qui fixent la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale au 15 juin de la cinquième année suivant l'élection de cette assemblée, cette disposition s'appliquant à la présente législature.

Après avoir souligné, à titre préliminaire, que le débat sur le calendrier électoral ne pouvait être abordé indépendamment de la conception que chacun a des institutions de la Ve République, M. Pierre Albertini a estimé que l'élection du Président de la République au suffrage universel direct était l'élément fondamental commandant le bon fonctionnement des institutions, précisant que cette conviction ne l'empêchait pas de souhaiter un renforcement du pouvoir de contrôle du Parlement, lequel ne repose pas uniquement sur des mesures de nature constitutionnelle.

Considérant, d'une part, que l'inversion de l'ordre des élections ne suffirait pas à modifier la nature du régime et, d'autre part, qu'il était difficile de faire des prévisions sur les conditions politiques qui entoureraient les futures élections, il a envisagé deux scénarios possibles dans le cas où le calendrier électoral resterait inchangé : soit une majorité claire, de droite ou de gauche, se dégage des élections législatives et le résultat de l'élection présidentielle, intervenant juste quelques semaines plus tard, est alors faussé ; soit aucune majorité claire ne se dessine et l'on entre dans une période de confusion, le Président n'osant pas dissoudre une assemblée élue dans une période normale, sans conflit particulier. Faisant valoir que l'élection des députés avant celle du Président de la République présentait deux risques contradictoires, il a d'abord exprimé la crainte qu'elle ne conduise à un affaiblissement de la fonction présidentielle résultant du moindre rôle joué par l'élection du Président de la République dans la vie politique, qui perdrait son effet de « coagulation », de l'alignement de la durée des mandats présidentiel et législatif et de l'affaiblissement du droit de dissolution. Par ailleurs, il a estimé que les élections législatives risqueraient d'être faussées, les électeurs se déterminant en fonction du Président de la République qu'ils souhaiteraient élire. Il a conclu son propos en estimant que la proposition de loi présentée par M. Hervé de Charrette, qui prévoit que les élections législatives, lorsqu'elles doivent avoir lieu dans les six mois précédant l'élection du Président de la République, sont reportées quarante-cinq jours après cette dernière élection, constituait la meilleure solution pour régler, de façon pérenne, le problème posé.

Après avoir souligné qu'il était regrettable que l'Assemblée se préoccupe des conditions de sa réélection, alors que d'autres sujets mériteraient toute son attention, M. Jean-Luc Warsmann a estimé que les différentes propositions présentées traduisaient la volonté d'obtenir un calendrier électoral politiquement plus favorable pour leurs auteurs. Il a fait valoir que pour fixer de manière pérenne l'élection présidentielle avant les élections législatives, il serait, ni plus ni moins, nécessaire d'instituer un vice-président et de supprimer le droit de dissolution.

Indiquant qu'il s'exprimait au nom des députés verts, M. Noël Mamère s'est déclaré opposé à l'adoption d'une proposition de loi visant à modifier le calendrier des élections présidentielle et législatives. En effet, il a considéré qu'une telle réforme accentuerait encore, au détriment du Parlement, le poids du Président de la République dans la vie institutionnelle et politique française. Soulignant que cette tendance, qu'il a qualifiée de « dérive », résultait à la fois de l'élection du Président de la République au suffrage universel direct et des conditions dans lesquelles les chefs d'Etat successifs - y compris François Mitterrand - ont exercé la fonction présidentielle, il a estimé que les différentes révisions constitutionnelles n'avaient pas empêché le Parlement de perdre progressivement son pouvoir d'initiative et de contrôle. Il a évoqué, à cet égard, l'institution des séances mensuelles d'initiative parlementaire, jugeant significatif qu'elles soient qualifiées de « niches ». Tout en reconnaissant que les travaux conduits par les commissions d'enquête constituées depuis 1997 ont permis d'améliorer la qualité du contrôle parlementaire, il a cependant considéré qu'il n'était pas comparable à celui qu'exercent les parlements des pays anglo-saxons et n'assurait pas la vitalité de notre système démocratique.

Il a rappelé que c'était la raison pour laquelle son parti souhaitait une réforme institutionnelle permettant au Parlement de retrouver de véritables pouvoirs d'initiative et de contrôle. Constatant, pour en souligner le paradoxe, que l'actuel Président de la République « tuait » le gaullisme, tandis que le Premier ministre devenait « le premier gaulliste de France », il a estimé que l'inversion du calendrier électoral ne répondait en fait qu'à des considérations circonstancielles. Il a enfin observé que la réforme proposée conduisait à modifier les règles peu avant des échéances électorales, alors que le Gouvernement, encore récemment, s'y était opposé lorsque les Verts avaient demandé une modification du mode de scrutin législatif.

Rappelant que la Constitution ne précisait pas l'ordre dans lequel doivent se dérouler les élections législatives et présidentielle, M. Richard Cazenave a, tout d'abord, considéré qu'évoquer le « rétablissement » du calendrier électoral constituait un véritable « hold-up sémantique ». Faisant observer que les institutions de la Ve République étaient, avant tout, un compromis entre les aspirations du Général de Gaulle, soucieux d'assurer la prééminence du Chef de l'Etat, et celles de Michel Debré, favorable à la mise en place d'un parlementarisme rénové, il a mis en garde contre toute interprétation « révisionniste » de la Constitution et rappelé que le fait majoritaire procédait de l'élection des députés. Après avoir souligné que, pour sa part, il avait toujours défendu les institutions de la Ve République, il a considéré que l'adoption d'une proposition de loi modifiant le calendrier électoral, loin d'être justifiée par la nécessité de respecter la logique institutionnelle de la Ve République, répondait à de pures considérations d'opportunité, fondées sur l'idée que M. Lionel Jospin remporterait difficilement l'élection présidentielle si la gauche perdait auparavant les élections législatives, et jugé que l'opinion publique ne serait pas dupe de cette man_uvre qu'il a qualifiée de politicienne. Enfin, il s'est interrogé sur la possibilité d'organiser, le même jour, des élections devant normalement se dérouler à quelques semaines d'intervalle.

M. Gérard Gouzes a fait observer que le calendrier électoral actuel s'expliquait par le hasard, puisque la date de l'élection présidentielle trouvait son origine dans celle du décès du président Georges Pompidou, tandis que celle des élections législatives était due à la dernière dissolution. Il a, en conséquence, jugé qu'il fallait remédier à cette logique purement mécanique, rappelant, d'une part, que le Conseil constitutionnel avait souligné les difficultés que présenterait le maintien du calendrier actuel en matière de parrainage des candidats à l'élection présidentielle et, d'autre part, que les sondages créditaient le rétablissement du calendrier électoral classique d'une opinion majoritairement favorable. Constatant qu'à la différence des régimes précédents, sous la Ve République le Président de la République ne procédait plus, pour son élection, du Parlement, il a estimé qu'il était logique que celui-ci soit élu après le Chef de l'Etat, dès lors que l'élection législative avait pour objectif principal de dégager une majorité présidentielle. Commentant le refus d'une partie de l'opposition de modifier l'ordre des élections, il a considéré qu'il s'expliquait par un calcul politique trahissant un manque de confiance de celle-ci à l'égard de son candidat à l'élection présidentielle. Jugeant, par ailleurs, que l'opposition des Verts à cette réforme n'avait d'autre explication que le souci de cette formation politique d'accroître le nombre de ses députés aux prochaines élections législatives, il a, cependant, indiqué qu'il partageait leur volonté de voir les instruments du parlementarisme rationalisé remis en cause, tout en estimant que cette réforme devait intervenir ultérieurement.

Intervenant au titre de l'article 38, alinéa 1er, du Règlement, M. Jean-Pierre Soisson a estimé que l'inversion du calendrier électoral constituait une opération politique. S'interrogeant sur les conséquences de l'opposition des Verts et du groupe communiste à cette réforme, il a fait observer que son adoption nécessitait donc le soutien de la formation centriste, soulignant que cette situation n'était pas sans rappeler la politique d'ouverture conduite sous le gouvernement de M. Michel Rocard.

Après avoir rappelé que les députés du Mouvement des citoyens avaient été à l'origine de la proposition d'inversion du calendrier électoral, M. Jean-Pierre Michel a considéré qu'elle constituait le meilleur moyen de mettre fin à la cohabitation, dont il a jugé les conséquences désastreuses, tant en matière de politique intérieure, que sur la scène internationale. Il a ensuite indiqué qu'il était favorable à des réformes institutionnelles de plus grande ampleur, tendant à supprimer l'actuelle dyarchie de l'exécutif et à renforcer les pouvoirs du Parlement, notamment en supprimant le droit de dissolution. Il a, en outre, estimé que l'introduction du scrutin proportionnel pour l'élection législative serait actuellement prématurée, jugeant qu'elle ne pourrait être utilement mise en _uvre qu'une fois ce nouvel équilibre institutionnel mis en place.

Estimant qu'un tel débat ne souffrait pas la caricature et jugeant donc vain de chercher, derrière les déclarations des uns ou des autres, des intentions inavouées, M. Alain Vidalies a admis que la question de la modification du calendrier électoral n'allait pas de soi pour les parlementaires socialistes, qui font traditionnellement plus volontiers référence au régime parlementaire qu'au régime hérité de la mise en place des institutions en 1958 et 1962. Reconnaissant néanmoins l'attachement populaire à l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, il a considéré qu'un calendrier électoral qui maintiendrait les élections législatives avant l'élection présidentielle heurterait profondément la conception que les Français ont de leurs institutions. S'interrogeant sur les possibilités de concilier l'élection au suffrage universel direct du Président de la République et un renforcement des droits du Parlement, il a estimé difficile, en restant dans l'architecture actuelle des institutions, de procéder à une réforme qui reviendrait à limiter les initiatives du Chef de l'Etat et plaidé en conclusion pour l'instauration d'un régime présidentiel.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a observé, en préambule, que de nombreux arguments développés par les opposants à la réforme du calendrier paraissaient, finalement, contradictoires les uns avec les autres. Il a ainsi fait part de son étonnement de voir réunis, dans un même refus, les députés verts contestant ce qu'ils considèrent comme une dérive présidentialiste des institutions, et les députés gaullistes. Constatant que l'élection au suffrage universel direct du Président de la République était une donnée désormais incontournable du débat institutionnel, rares étant ceux qui proposent sa suppression, il a estimé que la question de l'équilibre de l'architecture institutionnelle et de la place du Parlement était une vraie question, et a ajouté qu'il serait illusoire de vouloir la régler au gré de hasards du calendrier. Rappelant qu'un calendrier laissant la primauté aux élections législatives susciterait de véritables difficultés juridiques, dues notamment aux délais qu'il imposerait pour le parrainage des candidatures aux élections présidentielles, il a exprimé la crainte que le maintien du dispositif en l'état ne se traduise par un débat anarchique et dépourvu de clarté, à l'image du spectacle actuel de l'imbroglio électoral américain.

Evoquant le phénomène décrit par M. Pierre Albertini de regroupement des formations politiques au deuxième tour des élections présidentielles, le rapporteur a fait valoir que cette « coagulation » du deuxième tour favorisait le système bipolaire qui caractérise les institutions de la Ve République. Il a observé que ce phénomène n'avait pu se produire pour la majorité de l'époque lors de l'élection présidentielle de 1995 du fait de l'absence de dissolution, tandis que la coagulation avait, en revanche, parfaitement fonctionné pour les formations de gauche autour de la candidature de Lionel Jospin. Répondant aux inquiétudes de M. Noël Mamère sur l'avenir des petits partis politiques au sein des institutions de la Ve République, il a considéré qu'une réponse pourrait être apportée par l'introduction d'une dose de proportionnelle aux élections législatives ; il a, en outre, fait valoir que le scrutin présidentiel constituait également une véritable opportunité pour les petites formations, leur permettant d'exposer, sans aucune contrainte, l'ensemble de leur programme.

Il a conclu en réfutant les arguments selon lesquels la réforme engagée répondrait à des logiques politiques personnelles, estimant peu crédible de faire peser un tel soupçon sur des personnalités aussi diverses que Valéry Giscard d'Estaing, Michel Rocard ou Raymond Barre, qui se sont toutes publiquement exprimées en faveur de la réforme.

La Commission a rejeté l'exception d'irrecevabilité n° 1 et la question préalable n° 1 présentées par M. Jean-Louis Debré.

Puis elle a procédé à l'examen des articles.

Article premier [art. L.O. 121 du code électoral] : Prolongation des pouvoirs de l'Assemblée nationale.

La Commission a rejeté deux amendements de suppression de cet article présentés par MM. Jean-Luc Warsmann et Claude Goasguen.

Elle a ensuite examiné un amendement de M. Pascal Clément tendant à prévoir que, lorsque les élections législatives ont lieu dans les six mois qui précèdent ou qui suivent l'élection du Président de la République, les deux consultations sont organisées le même jour.

M. Pascal Clément a déclaré que le dépôt de cet amendement traduisait, de sa part, une évolution quant à sa vision des institutions. Indiquant, en effet, qu'en cohérence avec ses convictions gaullistes, il avait été longtemps partisan d'une distinction nette entre l'élection des députés et celle du Chef de l'Etat, il a observé que la répétition des cohabitations montrait combien l'esprit originel des institutions de la Ve République a été modifié par la pratique ; il a donc jugé qu'il était temps d'en tirer toutes les conséquences. A cet effet, il a considéré que l'organisation simultanée des deux élections devrait limiter les risques de cohabitation. Il a précisé, toutefois, que l'objet de son amendement était d'abord d'éviter que le cadre qui structure l'expression de la volonté populaire ne puisse être modifié, d'un scrutin à l'autre, par des événements exceptionnels, susceptibles de survenir entre les deux élections. Soulignant les paradoxes du contexte actuel, dans lequel les socialistes, longtemps favorables à une vision parlementariste des institutions, qui justifiait d'ailleurs leur acceptation de la cohabitation, défendent la primauté du Président de la République contre des gaullistes, qui ont évolué en sens inverse depuis 1986, il a estimé que les représentants de la nation devraient pouvoir se retrouver autour d'une solution de synthèse consistant à coupler les deux élections. Il a observé, au demeurant, que cette réforme serait également respectueuse de l'opinion des Français, qui ont manifesté, implicitement, à l'occasion du référendum sur le quinquennat, qu'ils voulaient en finir avec la cohabitation. Il a, en outre, jugé que cette démarche aurait une autre signification que celle initiée par le groupe socialiste, dont le caractère strictement politique est démontré par l'absence de référence à une inversion du calendrier électoral dans le discours de politique générale du Premier ministre, ainsi que dans ses déclarations postérieures, toutes hostiles à une telle éventualité.

Après avoir également considéré que la non-concordance des deux têtes de l'exécutif nuit à la qualité du gouvernement de la France, le rapporteur a jugé que l'idée de réunir les deux élections pour limiter les risques de cohabitation n'était pas dénuée de pertinence. Observant cependant que les modalités du scrutin pour l'élection des députés et du Président de la République n'étaient pas identiques, il a souligné qu'en raison du décalage possible entre le nombre de voix et le nombre de sièges pour les élections législatives, que l'on a d'ailleurs constaté en 1997, la concomitance des dates ne garantissait pas l'unicité des résultats. M. Gérard Gouzes s'est déclaré opposé à la simultanéité des élections législatives et présidentielle. Il a jugé qu'il était préférable de faire confiance au peuple pour la désignation de ses représentants, une fois son choix éclairé par les résultats antérieurs du scrutin présidentiel.

M. Richard Cazenave a estimé que l'organisation simultanée des deux élections serait de nature à limiter les risques de cohabitation. A cet égard et répondant au rapporteur, il a observé qu'en 1997, l'élection d'une majorité de gauche à l'Assemblée nationale avait résulté de facteurs en partie conjoncturels, liés, notamment, à la forte présence de candidats du Front national. A contrario, il a considéré que l'organisation de l'élection présidentielle avant celle des députés ne garantissait pas l'absence de cohabitation car, dans un tel contexte, les Français ont montré qu'ils pouvaient préférer s'inscrire dans une logique de rééquilibrage des pouvoirs. M. Jérôme Lambert a estimé, pour sa part, que les élections présidentielle et législatives n'étaient pas de même nature. Considérant que les députés étaient les véritables représentants du peuple, il a estimé que, dans l'intérêt même du Parlement, il était préférable qu'ils soient élus de façon distincte par rapport au Chef de l'Etat.

Fondant son raisonnement sur les précédents de 1962, 1981 et 1988, M. René Dosière a observé que, lorsque le Président de la République obtenait, par la voie du référendum ou d'une élection au suffrage universel, une approbation directe, par le peuple, de ses orientations, les électeurs lui donnaient ensuite, à travers une majorité parlementaire, les moyens de mettre en _uvre sa politique. Il a rappelé qu'à l'inverse, en 1997, lorsque le Président de la République avait organisé, de façon inopinée, une élection législative isolée, il n'avait pas obtenu de majorité. Au regard de ces faits, il a donc considéré que l'organisation de l'élection présidentielle avant celle des députés était bien de nature à réduire les risques de cohabitation. A l'issue de ce débat, la Commission a rejeté l'amendement de M. Pascal Clément.

Elle a également rejeté un amendement présenté par M. Pierre Albertini tendant à prévoir que, lorsque les élections générales doivent avoir lieu dans les six mois qui précèdent celle du Président de la République, elles sont organisées dans les quarante-cinq jours qui suivent la proclamation des résultats de cette dernière par le Conseil constitutionnel.

Puis la Commission a examiné un second amendement de M. Pierre Albertini proposant que les pouvoirs de l'Assemblée désignée en 1997 expirent non pas le 15, mais le 30 juin, afin de laisser au Président de la République nouvellement élu le temps nécessaire à la formation d'un Gouvernement. M. Gérard Gouzes a convenu que la date du 15 juin ne réglait pas nécessairement toutes les difficultés. Après avoir toutefois observé que le 30 juin correspondait à la clôture de la session parlementaire, conformément à l'article 28 de la Constitution, le rapporteur a considéré que la réflexion pouvait se poursuivre sur la question de la date. La Commission a rejeté cet amendement.

Puis elle a adopté l'article premier sans modification.

Article 2 : Application à la législature en cours :

La commission a rejeté deux amendements tendant à la suppression de cet article l'un présenté par M. Jean-Luc Warsmann et l'autre par M. Claude Goasguen.

Puis, elle a été saisie d'un amendement de M. Noël Mamère instituant, pour les élections législatives, un mode de scrutin mixte, la première moitié des députés étant élus dans le cadre de circonscriptions, selon un scrutin uninominal majoritaire à deux tours, tandis que la seconde moitié le serait dans un cadre régional, à la représentation proportionnelle. Observant que cette proposition s'inspirait du régime électoral en vigueur en Allemagne, M. Noël Mamère a souligné que son adoption devrait permettre d'améliorer, au sein de l'Assemblée nationale, la représentation des petites formations politiques, tout en garantissant, par ailleurs, la stabilité du Gouvernement. Rappelant que le principe de l'introduction d'une dose de proportionnelle dans le mode de scrutin applicable pour l'élection des députés figurait dans le texte de l'accord conclu entre le Parti socialiste et les Verts lors de la préparation des élections législatives de juin 1997, il a formulé le v_u que la mise en _uvre de cette réforme ne connaisse par le même sort que celle tendant à accorder le droit de vote aux étrangers non-ressortissants d'un pays membre de l'Union européenne aux élections municipales qui, bien qu'inscrite parmi les 101 propositions du candidat victorieux à l'élection présidentielle de 1981, n'avait toujours pas abouti à ce jour.

Tout en reconnaissant que le dispositif proposé par cet amendement justifiait un véritable débat, M. Gérard Gouzes a observé qu'il ne possédait aucun lien avec l'objet du texte en discussion et a, en conséquence, estimé qu'il devait être rejeté, pour être examiné à nouveau dans d'autres circonstances. Soulignant que l'amélioration de la représentation à l'Assemblée nationale des différents courants de pensée politique devait être conciliée avec la volonté d'assurer au Gouvernement le soutien d'une majorité stable, le rapporteur a estimé que la conclusion d'accords d'investiture entre les différents partis politiques constituait une première réponse à la volonté d'assurer une meilleure représentation des petites formations. Tout en admettant que l'accord conclu entre le Parti socialiste et les Verts en 1997 faisait référence à l'introduction d'une dose de proportionnelle pour l'élection des députés, il a observé que la situation économique et sociale prévalant en France à l'époque avait conduit le Gouvernement à aborder d'autres questions en priorité et a ajouté que les échéances électorales semblaient désormais trop proches pour qu'une telle réforme, de toute autre nature que la modification de la date des élections législatives, puisse être envisagée, sans apparaître comme une man_uvre politicienne du Gouvernement. Puis, indiquant qu'à titre personnel il s'était toujours prononcé en faveur de l'introduction d'une dose de proportionnelle dans le mode de scrutin des élections législatives, il a considéré que le dispositif proposé par l'amendement, s'inspirant de façon excessive du système électoral en vigueur en Allemagne, semblait mieux adapté pour assurer la représentation de différentes régions que la diversité des formations politiques. La Commission a ensuite rejeté cet amendement puis elle a adopté l'article 2 sans modification.

La Commission a adopté la proposition de loi organique dans une rédaction identique à celles des propositions nos 2741, 2757 et 2773.

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