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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 17

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 20 décembre 2001
(Séance de 9 heures)

Présidence de M. Alain Tourret

SOMMAIRE

 

pages

- Présentation des conclusions de la mission chargée d'évaluer les conditions de mise en _uvre de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (rapport d'information)



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- Information relative à la Commission

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La Commission a entendu, sur le rapport de Mme Christine Lazerges, les conclusions de la mission chargée d'évaluer les conditions de mise en _uvre de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

Après avoir rappelé que la Commission des lois l'avait chargée, le 27 mars dernier, d'une mission d'information sur l'évaluation des conditions de mise en _uvre de la loi du 15 juin 2000, la rapporteure a précisé que son évaluation ne portait que sur les dispositions concernant directement l'institution judiciaire, le bilan des aspects « police » de la loi ayant été confié récemment, par le Premier ministre, à M. Julien Dray. Elle a indiqué qu'elle avait rencontré, dès le mois de mai, des procureurs de la République, des magistrats, des juges d'instruction et des juges des libertés et de la détention, ainsi que les différentes organisations professionnelles et syndicales représentatives, afin de recueillir leurs observations sur les conditions d'application de la loi, souvent différentes en fonction de la taille et des spécificités de la juridiction dont ils sont issus.

Abordant les aménagements apportés par la loi à la procédure de l'instruction, la rapporteure a observé que le nouveau statut de témoin assisté semblait donner satisfaction, tout en regrettant qu'il soit quasiment uniquement utilisé en matière d'infractions économiques et financières. Elle a noté l'alourdissement de la charge de travail des cabinets d'instruction, constatant que cet alourdissement provenait en partie de la multiplication des demandes d'actes, mais aussi des formalités nouvelles destinées à renforcer l'information des victimes, notamment l'obligation pour le juge d'instruction d'informer ces dernières de leur droit de se constituer partie civile. Elle a fait état des difficultés rencontrées par les greffiers qui, absorbés par la charge de travail que représente l'envoi de ces avis, ne sont plus disponibles pour les interrogatoires ou les auditions organisés par le juge d'instruction. Afin de permettre un fonctionnement plus souple des cabinets d'instruction, elle a proposé, dans les grandes juridictions où le nombre de cabinets d'instruction le justifie, la mise en place de pools de greffiers polyvalents et la généralisation des secrétariats communs.

Evoquant la détention provisoire, la rapporteure a rappelé que l'objectif du législateur était de la faire diminuer, tant en nombre qu'en durée. Elle a constaté que les modalités d'organisation du service du juge des libertés et de la détention étaient largement déterminées par la taille des tribunaux, les petites juridictions ayant recours à la procédure de mutualisation qui permet d'assurer les permanences de fin de semaine. Elle a estimé que le bilan de l'institution du juge des libertés et de la détention était généralement positif, mis à part le peu d'intérêt intellectuel de la fonction, dénoncé par de nombreux magistrats. Afin de remédier à cette difficulté, elle a suggéré que, dans les juridictions où cela est possible, la fonction de JLD ne soit pas exercée à temps plein, observant, par ailleurs, que l'extension de ses compétences au contentieux des libertés, prévue pour le 16 juin 2002, permettra de diversifier cette fonction. Elle a ensuite indiqué que la baisse des détentions provisoires prononcées dans le cadre d'une instruction était de 21 % sur les dix premiers mois de l'année, ajoutant toutefois que les derniers chiffres, postérieurs aux différentes décisions largement médiatisées, montrait une hausse sensible du nombre de ces détentions. Elle a également observé que ces chiffres s'inscrivaient, en tout état de cause, dans une tendance générale à la baisse du nombre de détentions provisoires ordonnées en matière délictuelle. Evoquant, enfin, les quelques affaires récentes, notamment l'affaire Bonnal, elle a tenu à rappeler que celles-ci n'avaient aucun lien avec la loi du 15 juin 2000 qui n'empêchait ni le placement ni le maintien en détention provisoire des personnes concernées.

S'agissant de l'appel des décisions de cour d'assises, la rapporteure a rappelé que cette réforme avait été introduite dans la loi du 15 juin 2000 par voie d'amendements parlementaires, ce qui n'avait pas permis d'anticiper son application. Elle a observé que cette nouvelle procédure fonctionnait dans des conditions relativement satisfaisantes, sauf dans quelques juridictions, le taux d'appel, évalué à 25 %, étant plus faible que prévu. Elle a indiqué que les quelques difficultés matérielles signalées semblaient en voie de résolution, grâce aux efforts d'équipement entrepris par le Gouvernement, sauf dans les juridictions de la région parisienne. Elle a estimé que la seule réelle difficulté, qui, d'ailleurs, lui avait été signalée par la quasi-totalité de ses interlocuteurs, était d'ordre juridique et résidait dans l'impossibilité de faire appel d'une décision d'acquittement, notamment en présence de co-accusés.

Après avoir rappelé que l'entrée en vigueur de la juridictionnalisation de l'application des peines avait été partiellement différée jusqu'en juin 2001, pour permettre l'arrivée de greffiers dans les juridictions et l'aménagement de locaux pour les débats contradictoires, elle a estimé que cette réforme à hauts risques avait été un succès, grâce à l'effort financier engagé par le Gouvernement et aux facultés d'adaptation de l'administration pénitentiaire et des juges de l'application des peines. Elle a observé que la loi avait modifié la conception de l'application des peines, faisant, pour leur plus grande satisfaction, des juges de l'application des peines des magistrats à part entière. Tout en rappelant l'opposition du syndicat de la magistrature à cette disposition, elle s'est félicitée de la tenue des débats contradictoires au sein des établissements pénitentiaires, soulignant que ce dispositif contribuait à « faire entrer le droit dans les prisons ». Elle a indiqué que la motivation des décisions du juge permettait aux condamnés de s'impliquer davantage dans l'évolution de l'exécution de leur peine, puisqu'ils peuvent désormais s'appuyer sur des indications concrètes pour préparer leur dossier. Evoquant les mesures de libération conditionnelle, en constante diminution depuis 1993, elle a annoncé que la réforme apportée par la loi du 15 juin 2000 avait permis d'augmenter leur nombre de près de 11 %, aussi bien pour celles relevant de la compétence du juge de l'application des peines que celles décidées par la juridiction régionale de l'application des peines.

Abordant les moyens humains et matériels mis en _uvre pour accompagner la réforme, la rapporteure a estimé que l'effort financier du Gouvernement avait permis d'éviter le « bogue judiciaire » prédit par certains, sans pouvoir empêcher toutefois la suppression d'audiences civiles ou commerciales dans certains tribunaux. Elle a rappelé que le Gouvernement actuel avait créé en quatre ans plus de postes de magistrats que lors des quinze années précédentes et souligné la nécessité d'accompagner ces créations d'emploi d'une augmentation des moyens de fonctionnement des juridictions.

En conclusion, elle a estimé que le système tricéphale actuel mis en place pour gérer les juridictions, source de lenteur et de conflits, avait montré ses limites. Tout en observant que de nombreuses juridictions étaient tout à fait correctement gérées, elle a considéré que la gestion des ressources humaines ne pouvait pas être organisée aujourd'hui comme au milieu du XIXe siècle. Elle a également regretté que les capacités en management ne soient absolument pas prises en compte par le conseil supérieur de la magistrature lors de la nomination des présidents de juridiction. Elle a alors proposé, que, dans le cadre de la réforme de l'Etat, un corps de fonctionnaires spécialisés dans la gestion des tribunaux soit mis en place, ou, à défaut, que la formation des magistrats aux techniques de management soit sensiblement renforcée. Elle a conclu en indiquant que la loi du 15 juin 2000 pouvait être améliorée par la mise en place de nouvelles méthodes de travail, complétées par des circulaires qui permettraient de lever certaines ambiguïtés, les éventuels aménagements législatifs, qui ne présentent aucun caractère d'urgence, pouvant porter sur l'octroi au parquet de la possibilité de faire appel d'une décision d'acquittement et sur l'aménagement de l'obligation de réaliser une enquête sociale avant tout placement en détention provisoire d'un parent d'un enfant de moins de dix ans, aménagement rendu, en tout état de cause, nécessaire par les modifications apportées au régime de l'autorité parentale par la proposition de loi actuellement en cours de navette.

Après l'exposé de la rapporteure, M. Alain Tourret est intervenu dans la discussion générale.

Il a souligné, en premier lieu, l'effort tout à fait considérable accompli par les avocats, qui ont du mettre en place des permanences astreignantes, afin de pouvoir assurer la défense de leur client dès la première heure de la garde à vue. En revanche, il a émis un jugement plus nuancé sur l'alourdissement de la charge de travail des juges d'instruction, évoqué par la rapporteure : il a estimé, en effet, que, au-delà de l'alourdissement des procédures induit par la loi sur la présomption d'innocence, il fallait tenir compte d'une tendance plus ancienne à la diminution du nombre d'ouvertures d'information au profit des citations directes. Évoquant un rapport très instructif de la Cour des comptes, qui analyse, pour trois cours d'appel, la charge et le nombre d'heures de travail des magistrats, il a considéré qu'il fallait, au vu notamment de ce rapport, relativiser la question de la surcharge des cabinets d'instruction, en raisonnant en termes de temps de travail annuel.

Jugeant ensuite que les difficultés d'application de la loi du 15 juin 2000 relevaient davantage de problèmes de mise en _uvre au niveau local que de malfaçons de la loi, il a insisté sur l'avancée indiscutable que constitue la possibilité de faire appel des arrêts de cour d'assises, tout en relevant que ces appels se traduisaient très souvent, en dernier ressort, par des jugements plus sévères que ceux de première instance. S'agissant de la question très sensible des étrangers en garde à vue, il a souligné que les difficultés rencontrées pour trouver un interprète dans les délais impartis par la loi étaient évoquées de façon récurrente par les policiers dans les entretiens qu'il avait pu avoir sur cette question. Afin de résoudre cette difficulté pratique, il a plaidé, sur ce point très précis, pour un aménagement des délais prévus dans la loi.

S'il a approuvé les conclusions de la rapporteure sur la nécessité de doter les juridictions d'une gestion du personnel plus performante, il a contesté, en revanche, celles concernant la possibilité d'appel des décisions d'acquittement, en objectant que celles-ci constituaient le dernier vestige du principe de souveraineté du jury populaire. Il a rappelé, à ce sujet, les débats très animés qui avaient eu lieu au cours de la réunion de commission mixte paritaire, animés par la farouche opposition de M. Robert Badinter au principe de l'appel par le parquet.

Puis, évoquant les dispositions introduites, à son initiative, sur la détention des personnes ayant la charge d'enfants de moins de dix ans, il a rappelé qu'il entendait initialement ne viser que les mères des enfants de moins de dix ans, cette discrimination reposant à la fois sur les statistiques de la criminalité féminine, infiniment plus faibles que celles de la criminalité masculine, et sur des considérations d'ordre pratique, les mères se trouvant davantage en charge des enfants que les pères. Mais il a ajouté que, convaincu par des arguments d'ordre constitutionnel et paritaire, il avait accepté que cette mesure soit étendue aux deux parents. Tout en insistant sur l'importance de cette disposition pour la sauvegarde de la cellule familiale, il a admis qu'elle puisse à l'avenir être aménagée, du moins en matière de détention provisoire, ajoutant qu'elle conservait, en revanche, toute sa pertinence s'agissant de la libération conditionnelle.

Il a conclu son propos en soulignant le travail tout à fait remarquable accompli par les juges de l'application des peines, rappelant que cette fonction impliquait des responsabilités et une prise de risque importante. Déplorant, à cet égard, une tendance récente à multiplier, sous la pression de l'opinion publique, les enquêtes de l'inspection générale des services judiciaires chaque fois qu'une décision d'un magistrat ne répond pas aux attentes de la population, il a émis la crainte qu'une telle pratique ne se traduise, dans les faits, par une diminution du nombre de libérations conditionnelles octroyées.

En réponse, la rapporteure a indiqué que, s'agissant du droit à un interprète dans le cadre de la garde à vue, M. Julien Dray proposait la systématisation des formulaires écrits de notification des droits dans différentes langues, l'instauration d'un réseau téléphonique national centralisé d'interprètes assermentés, le maintien en garde à vue tant qu'un interprète n'a pas été trouvé et l'établissement d'une liste de langues susceptibles de faire l'objet d'une traduction. Concernant l'enquête sociale obligatoire pour les parents d'enfants de moins de dix ans, elle a suggéré que cette disposition s'applique aux parents exerçant seuls l'autorité parentale, lors du placement en détention provisoire et non plus lors du renouvellement de cette mesure.

La Commission a alors décidé la publication, en application de l'article 145 du Règlement, du rapport de la mission d'information chargée d'évaluer les conditions de mise en _uvre de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. Bruno Le Roux, rapporteur d'information sur l'évaluation de la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne.

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