Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (1998-1999)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de
l’ADMINISTRATION GÉNÉRALE de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 52

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 13 mai 1998
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de Mme Catherine Tasca, présidente.

SOMMAIRE

 

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– Audition de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’intérieur, sur le projet de loi organique (n° 827) et sur le projet de loi (n° 828) tendant à limiter le cumul de certains mandats électoraux et fonctions électives et discussion générale des projets de loi ............................................................


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La Commission a procédé à l’audition de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’intérieur, sur le projet de loi organique (n° 827) et sur le projet de loi (n° 828) tendant à limiter le cumul de certains mandats électoraux et fonctions électives et discussion générale des projets de loi.

Mme la présidente : Monsieur le ministre, la commission des lois a déjà commencé à travailler sur les projets de loi tendant à limiter le cumul de certains mandats électoraux et fonctions électives avant même de vous accueillir.

Deux auditions ont déjà eu lieu en présence de la presse. La première le 8 avril 1998, au cours de laquelle nous avons entendu des professeurs de droit et la seconde le 22 avril 1998, qui nous a permis d’entendre M. Jean-Paul Delevoye, président de l’Association des maires de France et M. Robert Savy qui représentait l’Association des présidents de conseils régionaux.

M. le ministre de l’intérieur : Je me réjouis de vous voir très nombreux pour cette réunion de travail autour d’un dispositif limitant les possibilités de cumuls de mandats et de fonctions que M. le Premier ministre avait annoncé lors de son discours de politique générale le 19 juin 1997.

Nos concitoyens souhaitent légitimement que les élus se consacrent pleinement à leurs mandats et on les entend souvent se plaindre de ne pas pouvoir les rencontrer. La recherche d’un meilleur fonctionnement de notre vie publique doit donc nous conduire à aller au devant de leurs aspirations et, en même temps, à favoriser l’accession de nouveaux élus aux responsabilités politiques, je pense tout particulièrement aux femmes. La limitation du cumul des mandats est un des outils qui permet de répondre à ces aspirations.

Plus que toute autre, cette réforme doit tenir compte de la réalité historique et politique de la France, qui n’est pas un Etat fédéral mais forme un unique espace politique. Le sentiment d’une continuité des mandats, du local au régional et au national, du conseil municipal au conseil général, puis au Parlement, puise à l’évidence dans la manière dont s’est constituée historiquement notre nation. Il serait vain de vouloir nier ces réalités qui font partie de notre histoire. Pour réussir, une réforme doit tenir un compte de la situation actuelle, de ses origines, de ses causes.

Dans cet esprit, le Premier ministre a consulté les responsables des principales formations politiques et a recueilli leur sentiment. J’ai moi-même reçu les responsables des grandes associations d’élus, l’Association des maires de France – l’Assemblée des présidents de conseils généraux, l’Association des présidents de conseils régionaux – pour m’entretenir avec eux de ces projets.

La limitation du cumul des mandats proposée par le Gouvernement, loin d’être dogmatique, fixe donc des objectifs susceptibles d’être atteints. La loi de 1985, vous vous en souvenez puisque vous vous y conformez, avait déjà limité à deux mandats le cumul possible. Cependant, les maires des villes de moins de 20.000 habitants n’étaient pas concernés, les parlementaires pouvaient diriger des exécutifs locaux importants, les fonctions de représentant au Parlement européen pouvaient se cumuler avec celles de parlementaire français. Autant de lacunes que laissait subsister le dispositif de 1985, lequel avait marqué, toutefois, il faut le reconnaître avec le recul, une importante avancée.

Je voudrais vous présenter succinctement les différentes mesures envisagées.

Tout d’abord, un projet de loi constitutionnelle. Préparé par le Garde des sceaux, il vise à interdire aux membres du Gouvernement les fonctions de président de conseil général, régional, de maire, de même que la présidence du conseil exécutif de Corse ou la présidence des instances exécutives des territoires d’outre-mer : présidence du gouvernement de la Polynésie française, présidence d’une assemblée de province du territoire de Nouvelle-Calédonie et, le cas échéant, d’autres exécutifs. Cette disposition peut être instaurée par l’usage – c’est ce qui se fait depuis le mois de juin dernier – mais, si nous voulons qu’elle prenne racine, il est souhaitable d’aller vers une réforme de la Constitution. De ce point de vue, le calendrier de l’examen du projet de loi doit être établi d’un commun accord par le président de la République et le Premier ministre et tenir compte des nombreuses autres modifications constitutionnelles envisagées.

Ensuite, les deux projets de loi soumis aujourd’hui à votre examen traitent de la limitation du cumul des mandats exercés par les parlementaires d’une part, par les autres élus d’autre part.

Le projet de loi organique traite en premier lieu des limitations de cumul applicables aux députés et aux sénateurs. L’article L.O. 297 du code électoral indique que les incompatibilités opposables aux sénateurs sont celles qui sont opposables aux députés. La question est donc tranchée : c’est un régime identique qui doit prévaloir pour les sénateurs et pour les députés.

Une loi organique était doublement nécessaire : parce qu’il s’agit du statut des parlementaires d’une part, parce que ce régime vaudra pour les territoires d’outre-mer dont les dispositions institutionnelles revêtent un caractère organique en vertu de l’article 74 de notre Constitution d’autre part.

D’abord, le mandat de représentant au Parlement européen ne pourra désormais plus être cumulé avec celui de député ou de sénateur. Le régime des sessions du Parlement européen, l’éloignement du siège à Strasbourg, quand il y siège, ou des lieux de travail à Bruxelles, quand les parlementaires y travaillent, rendent particulièrement difficile l’exercice simultané des mandats de parlementaire national et de représentant au Parlement européen.

M. Pascal Clément : Vous avez raison.

M. le ministre de l’intérieur : Ce point a fait l’unanimité des personnalités consultées.

Certes, l’article 5 de l’acte européen du 20 septembre 1976 organisant les élections au Parlement européen indique que le mandat de représentant au Parlement européen est compatible avec celui de parlementaire national, mais il ne s’agit que d’une indication. Valide du point de vue de l’Union, il ne fait pas obstacle à ce que les Etats membres édictent pour leur compte des règles de non-cumul. Cinq pays l’ont fait postérieurement à l’acte de 1976, sans que jamais une procédure en manquement n’ait été introduite, ce qui a conduit le Gouvernement à retenir cette règle.

Ensuite, le mandat de député ou de sénateur deviendra incompatible avec les fonctions de président d’un conseil général, président d’un conseil régional ou maire, président du conseil exécutif de Corse, président du gouvernement de Polynésie française, président d’une assemblée de province du territoire de Nouvelle-Calédonie. Il s’agit d’éviter le cumul avec une fonction exécutive. Le critère retenu, vous en jugerez, est celui de chef d’un exécutif local.

Par ailleurs, un parlementaire ne pourra détenir plus de deux mandats, c’est-à-dire qu’en plus de celui de député ou de sénateur, il ne pourra en détenir qu’un seul autre parmi ceux de conseiller régional, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller à l’assemblée de Corse et conseiller municipal. Cela ne l’empêcherait pas d’être adjoint au maire, comme c’est le cas de certains ministres qui ne peuvent plus être maire, mais qui restent adjoint au maire.

Ceux qui ne sont pas favorables à une telle réforme objectent le plus souvent qu’elle risque de priver le Parlement de l’expérience acquise dans les assemblées locales, craignant ainsi une césure entre le terrain et le Parlement. Ce que je viens de vous dire montre que ce risque peut être limité. L’argument n’est guère fondé, dès lors que les députés et les sénateurs pourront être conseillers municipaux, conseillers généraux ou régionaux, vice-présidents d’un conseil régional ou général, adjoints au maire. Ils pourront continuer de participer activement aux assemblées locales, départementales ou régionales, y exercer des responsabilités et demeurer, s’ils le souhaitent, au contact des citoyens.

La continuité de l’espace politique français est donc préservée, mais la direction de l’exécutif, qui requiert un engagement constant et complet ne pourra plus être cumulée avec l’exercice d’un mandat parlementaire, sauf si vous deviez en décider autrement.

Un régime transitoire souple est mis en oeuvre. C’est lors du prochain renouvellement de l’un des mandats les plaçant en situation de cumul prohibé que les parlementaires concernés auront à se mettre en règle avec le nouveau régime des incompatibilités. Ils seront autorisés à poursuivre leur mandat jusqu'au prochain renouvellement. Progressivement, à l’image de ce qui fut la règle à partir de 1985, le nouveau système des incompatibilités se mettra en place. Lorsque nous serons entrés en régime de croisière, les modalités selon lesquelles chaque élu devra tirer les conséquences d’une situation d’incompatibilité se trouveront en partie modifiées par rapport à la loi de 1985. Ainsi, à l’avenir, un parlementaire élu à une fonction incompatible disposera de quinze jours pour choisir le mandat auquel il renonce, notez bien ce délai de quinze jours. Passé ce délai, c’est le mandat acquis le plus anciennement qui sera réputé abandonné ; ainsi se trouvera affichée la volonté de mieux respecter le choix des électeurs qui voyaient parfois le nouvel élu démissionner de ses nouvelles fonctions aussitôt après le scrutin, ce qui ne pouvait manquer d’entraîner quelque incompréhension.

Soulignons que ces dispositions ne s’appliquent que dans le seul cas où l’élu concerné n’aurait pas opté pour le mandat de son choix dans le délai imparti.

J’en viens maintenant au projet de loi ordinaire qui concerne les représentants au Parlement européen qui ne relèvent pas de la loi organique et les élus non-parlementaires.

S’agissant des représentants au Parlement européen, leur statut sera du point de vue du cumul des mandats identique à celui des parlementaires nationaux. J’ai déjà exposé les raisons qui ont conduit le Gouvernement à interpréter en ce sens les dispositions de l’acte européen du 20 septembre 1976. Les représentants au Parlement européen ne pourront ainsi plus exercer simultanément les fonctions de président de conseil régional, de président de conseil général, de maire ou de président d’une instance exécutive outre-mer. A fortiori ils ne pourront exercer qu’un seul mandat supplémentaire, à choisir parmi ceux de conseiller régional, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller à l’assemblée de Corse ou conseiller municipal.

Le projet de loi ordinaire régit également les incompatibilités visant les élus non-parlementaires. La règle retenue fixe à deux mandats seulement le cumul autorisé. Ainsi, un maire pourra être en même temps, soit conseiller général, soit conseiller régional. Il ne pourra cependant cumuler sa fonction de maire avec la direction d’un autre exécutif local élu au suffrage universel direct ; par exemple, il ne pourra pas présider un conseil régional ou un conseil général. Les dispositions actuellement en vigueur interdisant déjà à un président de conseil régional de présider un conseil général, elles resteront en vigueur. De surcroît, un président de conseil régional ne pourra simultanément être maire d’une commune, sauf si vous en décidiez autrement. Un président de conseil général ne pourra pas diriger non plus une région ou une commune, mais bien entendu, dans l’esprit de ce que j’ai rappelé au début de mon intervention, le chef d’un exécutif local pourra exercer simultanément un mandat de conseiller, qu’il soit général, régional ou municipal.

Le même système transitoire que celui prévu par la loi organique est adopté pour la loi ordinaire. Les élus concernés par une incompatibilité à la date de promulgation de la loi pourront continuer à exercer leur mandat jusqu’au prochain renouvellement. Le régime de croisière sera cependant plus strict : le maire, le président de conseil général, le président de conseil régional ou le représentant au Parlement européen qui serait élu à une fonction nouvelle le plaçant en situation d’incompatibilité cesserait aussitôt d’exercer son premier mandat ; il n’aurait pas le délai de quinze jours accordé aux parlementaires. C’est donc l’expression la plus récente du suffrage universel qui l’emportera.

Enfin, le dispositif sera applicable dans les territoires d’outre-mer et les collectivités territoriales d’outre-mer à statut particulier, en assimilant à des mandats et fonctions métropolitains certains des mandats de nature exécutive propres à ces territoires et collectivités, selon une formule déjà retenue par la loi organique du 30 décembre 1985.

Avant de conclure, je voudrais traiter de deux objections qui sont parfois soulevées.

La première tient au fait que ces projets ne concernent pas les établissement publics de coopération intercommunale. Il s’agit, de la part du Gouvernement, d’une volonté délibérée. Nous avons tous le devoir d’encourager l’intercommunalité qui concerne environ 33 millions de Français, c’est-à-dire plus de la moitié de la population. Si elle a progressé dans les zones rurales et dans les petites villes, elle reste très en retard dans les zones urbaines et est même dramatiquement insuffisante dans les agglomérations, là où elle est pourtant le plus nécessaire.

Sans intercommunalité, nous prenons le risque de voir se développer les inégalités, les ségrégations urbaines et sociales. Pour y faire face, il est indispensable de faire qu’au niveau des agglomérations se mettent en place des assemblées capables de définir et de mettre en œuvre des politiques dans le domaine de l’habitat, du développement économique, de l’aménagement de l’espace, des grands services urbains de l’eau, de l’assainissement, de la collecte et du traitement des déchets, des transports publics... J’aurai sans doute l’occasion de revenir devant vous pour présenter un projet de loi traitant de l’organisation de l’espace urbain et des progrès qu’il reste à réaliser en matière d’intercommunalité, un sujet auquel M. Dominique Perben avait déjà travaillé et que j’ai repris, en considérant qu’il est très important. Il s’agit en effet, selon moi, d’une réponse à la ségrégation sociale et au modèle d’apartheid vers lequel nous nous acheminons. Sans l’intercommunalité, nous prendrions en otage les populations les plus pauvres, nous les reléguerions en périphérie, nous verrions les communes-centre s’enrichir. Des communes périphériques s’appauvrissent, des déséquilibres fiscaux se créent et on assiste à des compétitions malsaines pour la taxe professionnelle.

Le Gouvernement est donc résolu à encourager l’intercommunalité et je pense que le Parlement sera vraisemblablement saisi cet automne ou, au plus tard, au début de l’année 1999, des projets de lois. Dans cette perspective, il n’était pas souhaitable que nous donnions un signal contradictoire et incompréhensible, car on ne peut pas vouloir d’un côté encourager le développement de l’intercommunalité et, en même temps, y donner un coup de frein en incluant les fonctions liées à l’intercommunalité dans les règles de non-cumul. Il nous faut réussir à faire travailler ensemble nos communes et nos maires.

J’ajoute que si la règle limitant à deux le nombre de mandats pouvant être exercés simultanément s’appliquait aux fonctions liées à l’intercommunalité, elle aboutirait à enfermer un maire président de Syndicat intercommunal à vocation multiple dans sa commune, car elle lui interdirait de devenir conseiller général ou conseiller régional.

Le législateur de 1985 avait, d’autre part, achoppé sur un obstacle d’une autre nature. Il est difficile de distinguer parmi ces établissements publics de coopération intercommunale ceux qui véritablement peuvent être concernés par la règle de non-cumul du fait de l’importance de leurs ressources. Devant cette difficulté majeure, les établissements publics intercommunaux avaient été écartés du dispositif de 1985. On ne peut exclure qu’un jour ils le réintègrent, notamment s’ils venaient à être dirigés par des instances élues au suffrage universel direct ; mais c’est aujourd’hui prématuré et contraire à l’objectif principal que nous voulons atteindre.

J’en viens à la deuxième objection. Beaucoup d’entre vous souhaitent qu’un statut de l’élu accompagne la limitation des cumuls de mandats et de fonctions. Je n’ignore pas la situation de certains élus, en particulier des maires qui souhaitent pouvoir exercer à plein temps leur mandat, mais cette affaire ne peut pas être tranchée à l’occasion d’un texte relatif à la limitation des cumuls de mandats. Le cumul du mandat de maire avec celui de parlementaire, par exemple, n’est pas fondamentalement lié à la question du régime indemnitaire des maires ; d’ailleurs, il ne concerne aujourd’hui que 490 cas sur 36.700.

Une évolution favorable du régime indemnitaire serait sans aucun doute de nature à encourager le mouvement que nous appelons de nos voeux afin d’appeler aux responsabilités électives une nouvelle génération d’hommes et de femmes.

Vis-à-vis de nos concitoyens, il me paraît sage de clairement distinguer les règles de non-cumul, d’une part, et le régime indemnitaire des élus, d’autre part, afin de ne pas inspirer de commentaires désagréables sur le fait que la loi compenserait par un régime indemnitaire amélioré les règles de non-cumul qu’elle édicterait. Selon les hypothèses, nous pourrions aboutir à des chiffres très importants qui ne seraient pas acceptés. Le ministre de l’intérieur ne peut que souhaiter une évolution favorable du statut de l’élu portant sur les indemnités, sur la formation, sur la réinsertion professionnelle à l’issue du mandat ; mais la sagesse commande de distinguer clairement la limitation des cumuls et cette évolution nécessaire.

Telle est rapidement présentée l’économie des projets de loi portant limitation du cumul des mandats ; ils expriment un point de vue net de la part du Gouvernement. Le Premier ministre a indiqué que ces projets appelaient un débat approfondi au Parlement. Je crois que votre éclairage sera important et votre rapporteur connaît bien tous les éléments de cette question. Je suis sûr que la représentation nationale saura comprendre les aspirations de nos concitoyens qui souhaitent une clarification des règles afin que leurs élus se consacrent à leurs mandats, tout en intégrant la spécificité de la France et la manière dont la nation s’est formée historiquement.

Voilà la perspective que vous ouvre le Gouvernement ; reste, mesdames et messieurs les députés, à en discuter.

M. Bernard Roman, rapporteur : Je souhaiterais, à l’occasion de cette séance de la commission des lois, dire quelques mots sur l’état d’esprit dans lequel nous pourrions aborder ce débat, et, sans évoquer l’ensemble des questions soulevées par ces deux textes, rebondir sur deux problèmes que le ministre a évoqués en conclusion de son intervention.

Tout d’abord, je crois que nous pouvons nous mettre d’accord sur un diagnostic, repris par le Président de la République, le Premier ministre et toutes les personnalités que nous avons entendues, qu’il s’agisse des juristes ou des représentants d’élus. Ce diagnostic, c’est celui d’une certaine forme de crise de la politique, du politique, de la représentation politique dans notre pays. Dès lors que ce diagnostic est établi, il revient à la représentation nationale, avec le concours du Gouvernement, d’assumer son devoir de proposition.

Si je dis cela, c’est parce que je souhaiterais que l’on puisse aborder cette question complexe – le premier ministre a évoqué l’image du fil qui, lorsqu’on le tire, entraîne le reste de la pelote – d’une manière qui ne soit pas excessivement passionnelle. Elle est forcément passionnée. Car il y a, dans l’exercice des mandats, dans la culture du cumul, qui est une culture propre à la Vème République...

M. Pascal Clément : N’est-elle pas plutôt liée à la IVème ?

M. Bernard Roman, rapporteur : Je regrette, mais les chiffres sont parlants : c’est sous la Vème République que la pratique du cumul des mandats s’est accélérée dans notre pays. Nous sommes passés de 30 % des députés en situation de cumul sous la IIIème République, à 43 % sous la IVème, et à près de 75 % aujourd’hui. J’ajoute que si l’on tient compte des fonctions qui ne constituent pas des mandats électifs au sens strict, ce chiffre atteint 90%. Seuls 10 % d’entre nous n’exercent que leur mandat parlementaire, à l’exclusion de tout autre mandat ou fonction.

Cela dit, je tiens à l’affirmer dès le début de notre débat, il ne s’agit pas de faire le procès des « cumulards ». Je regrette d’ailleurs le caractère péjoratif de ce terme qu’il faudrait peut-être remplacer par « cumuleurs », comme certains le proposent. Il s’agit, en fait, d’envisager la possibilité, à partir des textes proposés par le Gouvernement, d’apporter une réponse à la crise de la représentation politique que nous constatons aujourd’hui dans notre pays. Si nous pouvons avancer d’une manière qui ne soit pas excessivement passionnelle, je crois que nous aurons grandement contribué à résoudre cette crise.

Les auditions auxquelles nous avons procédé le montrent : derrière la question du cumul des mandats, se posent une multitude de questions, sur le rôle du Parlement, sur l’évolution des institutions, de la décentralisation, sur les modes d’élection ou la durée des mandats... Bref, ce qui est en jeu, c’est la construction institutionnelle que nous devons proposer à la France du vingt-et-unième siècle. Et, dans ce but, le Gouvernement nous propose de limiter drastiquement le cumul des fonctions et des mandats.

Cette limitation est basée sur deux principes simples et lisibles, que l’on retrouve dans les deux textes. Le premier est la disponibilité. Il faut que les élus soient disponibles, qu’ils consacrent leur temps à l’exercice du mandat qui leur a été confié par les électeurs. Le deuxième principe, sur lequel les professeurs de droit constitutionnel que nous avons reçus ont beaucoup insisté, qui est respecté chez tous nos voisins européens, c’est la limitation des risques de conflits d’intérêt entre les différentes fonctions. La coupure définitive entre fonction législative et fonction exécutive locale, est une illustration de ce principe. L’impossibilité de cumuler deux fonctions exécutives locales en est une autre.

Ces deux principes constituent le fil conducteur des projets du Gouvernement qui, me semble-t-il, témoignent d’une grande cohérence et d’une grande clarté politiques. Ils peuvent constituer un message en direction des citoyens et une première réponse à la crise du politique, ce qui me semble essentiel.

Il est vrai, néanmoins, que dans l’état actuel de ces textes, un certain nombre de questions subsistent. Je voudrais plus particulièrement revenir sur deux problèmes évoqués par le ministre et tenter d’y apporter une réponse.

Le premier est celui du statut de l’élu. Là encore, la terminologie représente un handicap et je crois qu’il serait préférable d’évoquer, plutôt, une mise en cohérence de la situation des maires avec le principe de la limitation du cumul. Il est clair que le maire est le grand oublié des différentes lois sur le statut de l’élu ; si sa situation n’est pas revalorisée, aucun choix objectif ne pourra être effectué entre le mandat parlementaire et la fonction de maire. Il serait regrettable, au moment où l’on cherche à ouvrir la fonction élective à un plus grand nombre de citoyens, de réserver la fonction de maire à ceux qui en ont les moyens, qui peuvent se consacrer pleinement à leur mission sans avoir besoin de gagner leur vie par ailleurs.

Sur le plan de l’intercommunalité, je partage totalement l’argumentation du ministre qui me paraît très cohérente. Il ne faut pas conduire les maires à se refermer sur leur commune. Il faut, au contraire, les inviter à participer au mouvement de développement de l’intercommunalité. Mais cela doit-il interdire d’intégrer les fonctions exécutives exercées dans un cadre intercommunal dans la limitation du cumul prévue par la loi organique ? Serait-il logique d’interdire à un parlementaire d’exercer un mandat de maire, même dans une petite commune et de l’autoriser à être président d’une communauté urbaine de 600.000, 700.000 ou un million d’habitants ? Une telle différence de traitement serait bien peu compréhensible. Intégrer les fonctions exécutives intercommunales dans le dispositif de la loi organique et les écarter dans le cadre de la loi ordinaire me semble la meilleure façon de concilier la poursuite du mouvement d’intercommunalité et la nécessité de limiter le cumul des mandats.

Mme Frédérique Bredin : Je voudrais tenter de tracer les contours et l’enjeu de notre débat. La réforme proposée n’a pas pour seul objet d’instituer de nouvelles incompatibilités, ce qui en limiterait la portée, mais de constituer une première étape vers un rééquilibrage réel et profond de nos institutions que le Gouvernement, comme le Parlement, appellent de leurs vœux.

La Constitution de la Vème République ne donne pas au Parlement les pouvoirs qu’il devrait pouvoir exercer. Elle a été, au moins dans sa pratique, la source de nombreuses déceptions. Il s’agit donc de rééquilibrer les institutions, de les moderniser, en renforçant notamment le rôle du Parlement. C’est à cela que tend la limitation du cumul des mandats et des fonctions.

Je souhaiterais interroger le ministre sur certains aspects de la réforme proposée. Contrairement aux lois de 1985, les projets de loi ne comportent pas de seuil pour l’application aux maires de la limitation du cumul. Cela me semble compréhensible, mais j’aimerais, sur ce point, entendre les arguments du ministre.

Par ailleurs, la définition de la fonction exécutive suscite un débat parmi les députés. Faut-il la limiter au seul mandat de maire ou de président d’assemblée départementale ou régionale, ou doit-on y inclure les fonctions d’adjoint, de conseiller délégué ou de vice-président dans les conseils généraux ou régionaux ?

En ce qui concerne les fonctions exercées dans un cadre intercommunal, sans doute peut-on envisager de les intégrer dans la limitation du cumul prévue par la loi organique, alors qu’elles seraient écartées du cadre de la loi ordinaire, ce qui serait une façon de répondre au souci légitime de ne pas nuire au développement de l’intercommunalité, que personne ne souhaite entraver.

Enfin, je souhaiterais souligner qu’il y a non pas des oublis, mais quelques silences qu’il faut évoquer.

Le premier concerne le statut des élus. Même si cette expression comporte une connotation corporatiste, je pense qu’il serait paradoxal qu’un texte, dont le but est de donner à chaque élu le temps et les moyens d’exercer convenablement le mandat qui lui a été confié, n’aborde pas cette question. Nous savons, en effet, que beaucoup de maires détiennent un autre mandat pour disposer des moyens nécessaires à l’exercice de leurs fonctions. Ne serait-il pas, dès lors, nécessaire d’améliorer la situation des maires ? Je crois qu’il est important que la loi que nous allons voter n’apporte pas seulement des limitations, des contraintes supplémentaires, mais permette d’accroître les moyens d’action des élus, en particulier locaux, afin qu’ils puissent travailler convenablement.

Le deuxième silence des projets de loi concerne les incompatibilités professionnelles. Si les principes conduisant à limiter le cumul des mandats et des fonctions sont la disponibilité et le souci d’éviter les conflits d’intérêt, ne faut-il pas prendre en compte également les activités professionnelles privées ?

Enfin, le Gouvernement envisage-t-il de donner au Parlement des signes pour le convaincre que ces textes vont dans le sens d’une modernisation de nos institutions et d’un renforcement du rôle du Parlement ?

M. Jean-Luc Warsmann : Je souhaiterais que M. le ministre m’explique les raisons de certaines lacunes que comportent les projets de loi qui nous sont soumis.

Premièrement, aucune limite d’âge n’est prévue pour se présenter à une élection. Est-ce volontaire ? Quels sont les arguments qui plaident pour cette solution ?

Deuxièmement, tous les mandats de chef d’un exécutif local sont visés, quelle que soit la taille de la collectivité concernée, alors qu’aucune limite au cumul n’est prévue s’agissant des vice-présidences et des délégations. N’est-ce pas paradoxal ?

Pour illustrer le problème que soulève ce choix, je prendrais l’exemple des ministres. Pensez-vous que les Français soient dupes lorsqu’ils apprennent qu’un ministre démissionne de son mandat de maire pour devenir premier adjoint, parfois avec délégation ? On m’a rapporté que, dans certains cas, le ministre et l’ancien premier adjoint avaient conservé leur bureau, se contentant de changer les plaques sur la porte !

M. le ministre de l’intérieur : Venez chez moi, vous verrez qu’il n’en est rien !

M. Jean-Luc Warsmann : Quoi qu’il en soit, ne craignez-vous pas qu’en écartant de la limitation du cumul les vice-présidences et les fonctions d'adjoints, on ne se limite à un effet d’annonce sans conséquence sur la réalité ?

Troisièmement, je voudrais en revenir à la question des structures intercommunales. Je ne suis pas convaincu que pour favoriser l’intercommunalité, ce qui est effectivement une nécessité, il faut éviter de décourager les candidatures à des présidences d’organismes intercommunaux, et donc exclure celles-ci de la limitation du cumul. Cet argument ne me semble pas très cohérent. Croyez-vous que les dispositions des projets relatives aux mandats de président de conseil général, de président de conseil régional ou de maire vont décourager les candidatures à ces postes ? J’ai tendance à penser qu’il y aura toujours assez de candidats ! D’ailleurs, le raisonnement peut très bien se retourner. On peut considérer que le fait de ne pas intégrer dans la loi les fonctions intercommunales signifie qu’on ne leur attache qu’une importance secondaire.

Quoi qu’il en soit, je crois que ce sujet mérite une réflexion. Est-il satisfaisant de pouvoir être, tout à la fois, vice-président d’un exécutif local, délégué, président d’un office d’H.L.M., président d’une société d’économie mixte...

Enfin, le débat sur le cumul des mandats et des fonctions reste assez technique. Ne serait-il pas plus urgent d’engager une réforme de la répartition des compétences entre les différentes collectivités ? Voilà un problème qui concerne directement les Français.

Mme la Présidente : La parole est à M. Louis Mermaz.

M. Louis Mermaz : M. le ministre de l’intérieur, premier adjoint au maire de Belfort, a présenté avec beaucoup de distinction et d’élégance des textes qui, sur de nombreux points nous satisfont. Qui pourrait être opposé à des dispositions interdisant d’être à la fois député et parlementaire européen, président d’un conseil général et d’un conseil régional ? C’est le bon sens, et cela constitue un progrès certain par rapport aux lois précédentes.

En revanche, dans le contexte politique actuel, je suis très réservé sur le fait de vouloir séparer complètement les fonctions exécutives locales du mandat de parlementaire. Quand on voit l’évolution de la société française, les problèmes de sécurité qui se posent dans les communes, la montée du Front national et les collusions qui se préparent, je crois qu’il ne faut pas démanteler le pouvoir des maires démocrates...

Bien sûr, si l’on faisait réaliser un sondage, les Français seraient majoritairement en faveur de la limitation la plus drastique, parce que, pour eux, cumuler les mandats et les fonctions, c’est additionner les indemnités et les avantages.

Ma première question concerne la loi organique qui doit être votée en termes identiques par les deux assemblées du Parlement. Si le Sénat ne suivait pas l’Assemblée nationale, que se passerait-il ? Les élus qui continueraient à pratiquer le cumul seraient montrés du doigt et considérés comme des conservateurs accrochés à leurs mandats !

Dans les discussions préparatoires que nous avons eues sur ce sujet, on a dit que la limitation du cumul des mandats était la première marche d’un escalier qui mènerait à la modernisation et à la démocratisation de notre vie publique. Soit. Mais pour changer la constitution de la Vème République, il faut l’accord de nombreux partenaires. Or, je ne suis pas sûr que le Président de la République soit favorable à une révision constitutionnelle qui donnerait au Parlement français des pouvoirs comparables à ceux que détiennent les parlements modernes. Si l’on compare les pouvoirs de notre Assemblée avec ceux de la Chambre des Communes, du Bundestag, des assemblées italienne, espagnole ou américaine, on constate qu’ils sont loin d’être les mêmes, que ce soit dans les textes ou dans la pratique. Je crains fort qu’après avoir gravi la première marche, nous en restions là !

J’en viens donc à ma deuxième question : ne faut-il pas modifier la pratique gouvernementale ? Ce n’est pas seulement le Gouvernement actuel que je mets en cause, car il existe une constante dans la conduite des gouvernements, qu’ils soient de gauche comme de droite. J’en prendrai pour exemple la différence qui existe entre le budget voté par nos assemblées et celui qui est exécuté après la régulation budgétaire ! On se bat pendant des semaines pour déplacer cinq milliards de francs sur un total de 1.300 milliards et la régulation budgétaire fait tomber ou gèle des dizaines de milliards !

Nous votons les lois, mais leur exécution dépend des décrets d’application qui sortent ou ne sortent pas. Le rapporteur du projet de loi sur l’immigration ne souhaiterait-il pas être associé à l’élaboration de ses décrets d’application ? Le Parlement ne devrait-il pas exercer son pouvoir de contrôle en aval du vote qu’il émet ?

Sans doute serait-il souhaitable de limiter drastiquement le cumul des mandats à condition que les 577 députés aient quelque chose à faire, et ne se contentent pas d’un rôle de figurant.

On a créé les « niches parlementaires ». Comme l’a très bien expliqué le président de l’Assemblée nationale, ce n’est pas suffisant pour rendre des pouvoirs au Parlement. D’ailleurs, le Petit Robert nous apprend qu’une niche est « une anfractuosité d’un rocher dans laquelle on place un objet décoratif. » Quel sens a le droit d’initiative de l’Assemblée nationale dès lors qu’il ne peut s’exercer que le vendredi, lorsque la plupart des députés sont dans leur circonscription.

On pourrait évoquer le vote bloqué, ou l’article 49-3 de la Constitution. Sans même remettre en cause fondamentalement les institutions, car leur réforme prendra du temps, il serait déjà souhaitable, si l’on veut qu’une limitation du cumul des mandats soit efficace, de s’orienter vers une autre pratique des relations entre le Gouvernement et le Parlement.

M. Dominique Perben : Je voudrais intervenir sur le seul aspect des projets de loi qui me semble véritablement important du point de vue politique : l’incompatibilité qu’il est proposé d’instituer entre le mandat parlementaire et les fonctions de président d’un exécutif local. Le reste ne changera pas grand chose au fonctionnement des institutions de la République.

Je voudrais vous faire part, Monsieur le ministre, d’une réflexion à laquelle m’ont conduit les différentes fonctions que j’ai pu exercer dans le passé. J’ai observé que dans notre pays, qui, je le rappelle, est une république unitaire, les relations entre l’Etat et les collectivités territoriales se régulent au sein du Parlement.

Vous aurez l’occasion de le découvrir, après d’autres ministres chargés de la décentralisation, dont j’ai été, lorsque, par exemple, vous nous proposerez la réforme de la dotation globale de fonctionnement (D.G.F.), sur laquelle il me semble que vous travaillez. C’est un aspect très important du débat.

On a évoqué les pays voisins de la France. Je me permets de souligner que ceux dans lesquels les fonctions de parlementaire et les fonctions exécutives locales sont incompatibles sont, en général, des pays à structure fédérale. Et ce n’est pas un hasard. En méconnaissant cette réalité, on risque de faire évoluer sensiblement le fonctionnement de nos institutions sans en mesurer tout à fait les conséquences. Si la régulation de la relation entre l’Etat et les collectivités territoriales cesse de se faire au Parlement, elle se fera ailleurs, de façon informelle, à travers des structures associatives plus ou moins légitimes. On risque alors d’aboutir à une confrontation plus vive alors que dans le système actuel, il existe un relatif consensus politique, même si la tonalité du débat est différente selon que l’on se trouve à l’Assemblée nationale ou au Sénat.

C’est pourquoi je suis assez réservé sur l’incompatibilité qu’il est proposé d’instituer entre mandat parlementaire et fonction exécutive locale. Ce peut être un processus dangereux, sauf à vouloir s’orienter vers un système fédéral, ce qu’il faudrait affirmer clairement. Mais je doute que ce soit réellement votre intention, Monsieur le ministre.

M. le ministre de l’intérieur : Votre rapporteur m’a d’abord interrogé sur la mise en cohérence de la situation des maires avec les dispositions prévues par les textes que je vous ai présentés. Il pose au fond la question de savoir si un choix véritable entre une fonction de parlementaire et une fonction de maire sera offert aux élus.

Je vais présenter quelques hypothèses sur lesquelles nous avons travaillé. Je rappellerai d’abord que 299 maires sont députés et 144 sénateurs. 180 sénateurs seraient concernés par les deux projets de loi, si l’on ajoute les 34 présidents de conseil général et les 2 présidents de conseil régional qui siègent au Sénat. Quant aux députés concernés, avec 2 représentants au parlement européen, 10 présidents de conseil régional ou assimilés, 15 présidents de conseil général, on arrive au nombre de 326.

S’agissant de la possibilité de choix entre la fonction de maire et celle de député ou de sénateur, nous avons fait quatre simulations en fonction des indemnités des maires.

La première hypothèse viserait à aligner la rémunération des maires avec le traitement du fonctionnaire le mieux rémunéré de la mairie. Le coût total serait de 14,1 milliards de francs, ce qui est beaucoup.

La deuxième hypothèse tendrait à revaloriser l’indemnité des maires de l’ensemble des communes, jusqu’à atteindre, pour ceux des villes de plus de 100.000 habitants, le niveau de l’indemnité parlementaire. Le coût ne serait que de 2,2 milliards de francs, ce qui n’est pas négligeable.

Dans la troisième hypothèse, l’indemnité des maires correspondrait à une fraction de celle des parlementaires, variant en fonction du nombre d’habitants, de sorte que les maires des communes de plus de 10.000 habitants recevraient 17.000 francs mensuels bruts pour un mandat à temps plein. Le coût serait de 2,3 milliards de francs.

Enfin, la quatrième hypothèse consisterait à réévaluer l’indemnité des maires des communes de moins de 20.000 habitants et, à partir de 20.000 habitants, à leur attribuer une rémunération égale à l’indemnité parlementaire pour que, sur la base du critère financier, qui n’est évidemment pas le seul, le choix soit totalement libre entre mandat parlementaire et fonctions de maire. Dans cette dernière hypothèse, le coût serait de 2,5 milliards de francs.

Il est bon que vous disposiez de ces éléments pour votre information.

J’en viens à la question de l’intercommunalité. Très franchement, elle progresse difficilement. Depuis 1992, il ne s’est constitué que 5 communautés de villes en milieu urbain, et 1.041 communautés de communes en milieu rural ou dans des petites villes. Nous ne pouvons et nous ne devons donc pas freiner les progrès de l’intercommunalité. C’est un impératif catégorique si nous voulons nous doter d’outils pertinents pour mener une politique de la ville, notamment pour assurer sa mixité sociale. En d’autres termes, nous ne devons rien faire, dans les vingt ou trente prochaines années, qui puisse aller à l’encontre de la nécessité d’organiser notre tissu urbain et périurbain. J’ajouterai que les établissements publics de coopération intercommunale sont d’une grande diversité et qu’il serait difficile de placer le curseur au bon endroit. Je crois donc qu’il faut bien réfléchir avant d’empêcher les députés ou les sénateurs d’exercer des fonctions exécutives intercommunales, ce qui pourrait priver celles-ci d’un certain prestige, susceptible d’entraîner des élus plus réticents sur la voie d’une intercommunalité réelle, avec une fiscalité propre, une taxe professionnelle d’agglomération unique, des compétences significatives et une politique d’agglomération qui ait un sens.

Je ferai, en outre, observer que, si une telle option devait être retenue, il serait cohérent d’en étendre l’application aux parlementaires européens, qui ne sont pas visés par la loi organique.

Mme Frédérique Bredin a évoqué le rééquilibrage de nos institutions. C’est un vaste sujet, qui dépasse évidemment la question des incompatibilités des mandats et des fonctions. J’observerai tout d’abord que l’évolution de toutes les grandes démocraties va dans le sens d’une grande concentration des pouvoirs entre les mains de l’exécutif. C’est vrai en Allemagne, en Italie, dans tous les pays. Le seul contrepoids réel à cette évolution vient de la décentralisation.

Cela dit, les pouvoirs du Parlement tiennent aussi à ceux qui les exercent. Existe-t-il beaucoup de Mirabeau, de Robespierre, de Clémenceau, de Gambetta aujourd’hui ? Peut-être appartient-il aux parlementaires de se saisir des pouvoirs qu’ils détiennent ! Je prends la liberté de le dire, parce que j’ai plusieurs fois observé que, sur des sujets essentiels, dans des cas où la Constitution prévoit que le Parlement doit se prononcer, celui-ci a consenti à se taire. J’ai longtemps été parlementaire et je crois qu’il faut parfois savoir s’affranchir d’une trop grande discipline.

Si le principe des seuils a été écarté, c’est parce qu’ils sont, par nature, arbitraires. Si l’on fixe le seuil à 20.000 habitants, est-il satisfaisant que le cumul soit possible dans une ville de 19.000 habitants, alors qu’il serait interdit pour une ville en comptant 21.000 ? Le même raisonnement s’impose pour le seuil de 100.000 habitants, que proposent certains responsables d’une formation politique nationale...

Quoi qu’il en soit, le Premier ministre a été très clair : c’est au Parlement qu’il appartient d’en discuter ; le Gouvernement ne s’opposera pas à une proposition qui aurait été réellement mûrie. Cependant, à titre personnel, une interdiction générale me semble préférable à l’établissement d’un seuil.

En ce qui concerne la définition de la fonction exécutive, il est clair que l’on pourrait choisir de pourchasser tout exercice de responsabilité. Mais chacun sait que l’exercice d’un mandat local est aussi une école de responsabilité qui contribue à ne pas donner à notre vie politique un caractère purement idéologique ; s’il est bon que celle-ci soit animée par des philosophies concurrentes – c’est ce qui fait son charme – il est également souhaitable que les élus gardent la tête près du bonnet, et l’exercice de responsabilités locales y contribue.

Lorsqu’une incompatibilité survient, l’élu concerné, tout en abandonnant ses fonctions de premier responsable de l’exécutif peut garder un œil sur quelques dossiers. Cela me semble parfaitement compatible avec un fonctionnement sain de la démocratie. Telle est ma conviction, mais ce sujet peut évidemment être débattu.

S’agissant du problème des incompatibilités professionnelles, il ne peut pas, à mon avis, être traité dans le cadre de ce débat qu’il faut tout de même circonscrire.

M. Jean-Luc Warsmann se demande pourquoi les projets de loi n’imposent pas de limite d’âge aux candidats. La réponse est simple : ce serait inconstitutionnel ; dès lors que le suffrage universel décide qu’un candidat âgé de 80 ans peut être un bon député, la loi ne peut s’y opposer.

Par ailleurs, M. Jean-Luc Warsmann estime qu’il y aura toujours assez de candidats pour exercer des responsabilités au sein de structures intercommunales. Certes, mais le problème n’est pas là. La question est de faire progresser l’intercommunalité qui est absente sur la moitié de notre territoire, tandis qu’en milieu urbain, 85 % des structures intercommunales n’ont pas de taxe professionnelle d’agglomération. Cet objectif est d’autant plus difficile à atteindre que nous avons choisi la voie de la conviction, qui est celle de la décentralisation : l’intercommunalité ne s’impose pas.

Quant à l’évolution des compétences entre les collectivités territoriales, ce n’est pas le sujet aujourd’hui. M. Emile Zuccarelli doit présenter prochainement un projet de loi tendant à plafonner et rationaliser les interventions économiques des collectivités locales.

M. Louis Mermaz pense qu’il faut éviter de déstabiliser les maires démocrates. Les maires démocrates sont évidemment ceux qui sont en place. Je connais bien M. Louis Mermaz. Il est très décentralisateur à Paris, mais, dans l’Isère, il est jacobin et ce n’est pas par hasard que la Révolution a commencé à Vizille !

S’agissant de la démocratisation de la Vème République, beaucoup de réformes constitutionnelles ont été faites ou sont en cours. Je ne vous cache pas, par ailleurs, que j’ai été choqué, et je suis encore choqué en siégeant au Gouvernement, par les régulations budgétaires. Quant au contrôle de l’application des lois, les commissions d’enquête sont là pour cela et il appartient au Parlement de les utiliser. Je serai moins critique à l’égard des « niches » parlementaires qui permettent des débats extrêmement utiles.

M. Dominique Perben fait remarquer que la France étant une république unitaire, c’est au sein du Parlement que se cristallisent les équilibres régissant les rapports entre l’Etat et les collectivités locales. Il a raison, mais rien n’interdit qu’un comité des finances locales rassemble des élus dont certains pourraient être des parlementaires, d’autres des présidents de conseils régionaux ou encore des maires.

Sans doute la France n’est-elle pas un pays à structure fédérale, mais la Grande-Bretagne ne l’est pas davantage et pratique pourtant une stricte limitation du cumul des mandats.

S’agissant enfin du renouvellement de nos élus, il pourra être favorisé par la loi nouvelle, si elle est sagement élaborée.

M. Bernard Roman, rapporteur : Je voudrais apporter une précision sur le coût du statut de l’élu. Il représente aujourd’hui 1,8 milliard, de telle sorte que lorsque le ministre fait mention pour la dernière solution évoquée d’un coût de 2,6 milliards, la différence n’est que de 800 millions de francs.

M. Pierre Albertini : J’ai relevé un paradoxe dans les propos du ministre de l’intérieur lorsqu’il défendait avec fougue le projet de loi tout en donnant aux parlementaires le conseil d’user de leur initiative et de leur responsabilité. J’observe, en effet, que la Constitution, élaborée dans un contexte très différent de celui d’aujourd’hui, a cherché à brimer l’initiative parlementaire plutôt qu’à l’encourager.

Nous sommes par principe favorables à la modernisation de la vie politique et donc à une restriction plus forte des cumuls à condition qu’elle soit réaliste et cohérente. Or, il me semble que le projet n’est pas cohérent, ne serait-ce que parce qu’il intervient alors que la décentralisation n’est pas achevée et que la répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités locales n’est pas clarifiée.

Sa première incohérence tient au fait que la situation des ministres ne sera traitée qu’ultérieurement par un projet de loi constitutionnelle. Or, si l’on raisonne en termes de disponibilité, c’est celle qui aurait dû être réglée en priorité.

Le projet est, en outre, hypocrite parce qu’il ne tient pas compte des délégations qui sont de pratique courante dans les assemblées délibérantes – qu’il s’agisse des conseils municipaux, des conseils généraux ou des conseils régionaux. L’étude d’impact qui y est jointe souligne pourtant que les contraintes pesant sur les élus pourraient à terme se traduire par un renforcement de l’utilisation des délégations permettant de pallier, voire de contrecarrer les effets de la législation.

Aucune disposition sur l’intercommunalité n’étant, en outre, prévue, il pourrait donc être possible d’être à la fois parlementaire, vice-président d’un conseil régional disposant d’une délégation très large et président d’une communauté urbaine de plusieurs centaines de milliers d’habitants alors qu’il serait impossible d’être maire d’une commune de cinq cents habitants et président d’un conseil général !

D’ailleurs, si ce projet était tellement bon, faudrait-il prévoir un régime transitoire aussi long ? Sa mise en œuvre ne prendra fin qu’en 2004. Il semble paradoxal de mettre les « cumulards » au ban de la République, tout en leur permettant de rester aussi longtemps en fonctions.

J’espère que la discussion parlementaire permettra d’améliorer un texte dont le principe est bon, mais dont les modalités me semblent critiquables.

M. Jacques Brunhes : Je crois que la limitation du cumul des mandats est une nécessité, parce qu’il existe, aujourd’hui, un doute, au sein de l’opinion publique, sur l’efficacité de la représentation politique.

Mais je voudrais dire à notre rapporteur que si le débat ne doit pas être abordé de manière passionnelle, il ne doit pas davantage l'être de manière pointilliste.

Je crois qu’il faut appréhender les problèmes dans leur ensemble, ce qui implique que l’on ne se contente pas d’une nouvelle adaptation fonctionnelle, sans modifier le rôle et la place du Parlement.

Nous avons déjà l’exemple de la session unique qui devait rendre les députés plus disponibles. Il n’en a rien été et l’absentéisme n’est pas moins important aujourd’hui.

Il nous faut donc apporter une réponse aux problèmes de fond et d’abord à celui de la place du Parlement. A cet égard, nous pouvons nous reporter aux débats qui ont eu lieu au sein de la commission présidée par le Doyen Vedel.

Pour reprendre une expression fameuse de l’actuel président de l’Assemblée nationale, si l’on compare le budget de la nation à une automobile, après deux mois de discussions, nous ne pouvons guère que déplacer l’équivalent d’un enjoliveur !

Je rappelle que nous sommes totalement corsetés par les articles 40 et 49-3, que l’initiative parlementaire est réduite à sa plus simple expression, que l’ordre du jour dépend du Gouvernement. Il faut rééquilibrer nos institutions au profit du pouvoir législatif, c’est cela l’essentiel.

D’autres projets d’ordre institutionnel nous préoccupent, en outre, beaucoup. Il s’agit, d’abord, de la réforme du scrutin régional, mais, surtout, de la mise en place du quinquennat, avec la perspective d’une simultanéité entre l’élection présidentielle et les élections législatives. Cela nous conduirait vers un système à l’américaine et une bipolarisation de la vie politique, ce qui serait très dangereux.

La question du cumul des mandats, même si elle est importante, ne me semble donc pas essentielle. Je crois, en outre, qu’il serait difficilement compréhensible que nous n’abordions pas, dans ce cadre, le sujet des incompatibilités professionnelles. Est-il concevable que l’on puisse être en même temps avionneur, président d’une très grande compagnie aérienne et voter le budget des transports en qualité de député, alors que l’on ne pourrait pas être en même temps parlementaire et maire d’une commune de 50 ou de 100 habitants ?

S’agissant du statut des maires, la question n’est pas seulement celle de leur indemnisation, mais celle aussi de leurs conditions de travail, de leur réintégration dans la vie professionnelle au terme de leur mandat. Des progrès ont sans doute été accomplis, mais il reste bien des choses à faire.

Je suis donc d’accord pour que nous réformions nos pratiques, mais il faut également rééquilibrer les institutions, et je ne suis pas sûr que nous agissons dans le bon ordre. Le problème du cumul des mandats ne peut être isolé !

M. Guy Hascoët : La réforme qui nous est proposée constitue effectivement la première étape d’une véritable révolution culturelle dans nos pratiques politiques.

Quand on parle de disponibilité, c’est bien d’une évolution de la citoyenneté qu’il s’agit. Nous assistons, en effet, en raison du cumul des mandats et de la complexité croissante de nos sociétés, à une dépossession du politique au profit des technostructures. Il est temps que le politique reprenne sa place.

On a parlé du statut de l’élu. Je crois effectivement que les conditions d’exercice d’un mandat local, qui exige une très grande quantité de temps et d’énergie, doivent être améliorées.

Mais d’autres problèmes concrets se posent, notamment celui de la distorsion entre la représentation politique et la société française. Il suffirait d’interdire aux membres de quatre ou cinq professions de siéger à l’Assemblée nationale pour vider la moitié de ses travées. L'éventail des catégories socioprofessionnelles est quand même plus diversifié dans le pays !

C’est pourquoi le problème du statut de l’élu doit être également examiné au regard du code du travail, de la protection sociale, des conditions de sortie du mandat, si l’on veut permettre à des personnes d’origines sociales diverses de s’impliquer dans la vie politique et citoyenne. Il est vrai que l’une des ambitions des lois sur le cumul est de promouvoir une nouvelle génération politique : il ne faudrait pas qu’elle ne soit composée que de cadres appartenant à la catégorie A de la fonction publique, d’avocats ou de médecins.

Sur le problème de l’intercommunalité, puisque l’on est d’accord pour reconnaître qu’elle permet une meilleure gestion sur le long terme, à travers les contrats d’agglomérations ou de pays, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de la logique, gagner du temps sur l’histoire, et sans attendre que les 36.000 maires daignent faire preuve de plus d’audace pour se regrouper, voter une loi favorisant les structures intercommunales ? Pourquoi attendre puisque c’est un élément essentiel pour la politique de la ville ? Pourquoi laisser se développer des phénomènes, tels que la violence urbaine ou le déséquilibre démographique, avant que de se décider à agir contre les égoïsmes municipaux ?

En ce qui concerne les collectivités territoriales, je ne crois pas, si l’on est décentralisateur, qu’il soit possible d’exercer de manière sérieuse une fonction telle que vice-président d’une grande collectivité régionale, à raison d’une journée par semaine. J’en ai fait l’expérience.

Enfin, si l’on souhaite combattre le vice et encourager la vertu, il faut modifier les conditions d’exercice des mandats uniques, notamment au regard des relations avec les administrations. Je constate que les maires de ma circonscription savent où en est le plan emploi-jeunes, parce que le rectorat leur envoie des informations, alors qu’en ma qualité de député, je ne reçois rien, ce qui est tout à fait anormal.

M. Robert Pandraud : Je rappelle que lorsqu’il y a dix ans, avec Pierre Mazeaud, j’avais déposé des amendements interdisant certains cumuls – nous fûmes les premiers – nous n’avions recueilli que deux voix, puis, l’année suivante trois, Raymond Barre nous ayant rejoint. C’est dire que des progrès ont été faits !

Ne serait-il pas souhaitable que la limitation du cumul s’accompagne d’une réforme du contentieux électoral ? En faisant déposer un recours, un élu peut utiliser les lenteurs de la procédure pour se maintenir dans des fonctions incompatibles.

Par ailleurs, tout en étant favorable à l’interdiction des cumuls, je m’interroge sur l’opportunité de les proscrire pour les représentants au Parlement européen. Ne sont-ils pas utiles pour éviter des conflits entre cette assemblée et les institutions nationales, pour garantir une cohérence interne particulièrement souhaitable ? Bien souvent, les représentants au Parlement européen ne représentent qu’eux-mêmes ou le parti qui les a désignés et se sentent tenus d’être plus européens que les membres de la commission de Bruxelles. Le cumul peut permettre de conserver un lien avec les intérêts des Français.

Sans doute, un statut des élus est-il nécessaire. On évoque les difficultés des maires, mais il faudrait également mettre en lumière celles des députés qui ne sont pas maires : le maire d’une commune moyenne ou importante dispose d’une logistique que n’a pas le député.

Enfin, et c’est le plus important, le délai prévu pour l’entrée en application de la réforme me semble excessif. Il risque de la fragiliser en donnant aux groupes de pression le temps pour agir. J’aurais préféré que vous alliez plus vite.

M. le ministre de l’intérieur : En réponse à M. Pierre Albertini, je voudrais souligner que, pour légiférer sur le cumul des mandats, nous ne pouvons attendre d’avoir achevé la décentralisation, surtout si le terme qu’il fixe à cette réforme est l’instauration d’un régime fédéral auquel nous ne souhaitons nullement aboutir. En fait, la coopération entre les différentes collectivités s’est déjà développée grâce aux contrats de plan, aux financements croisés...

En ce qui concerne les ministres, la logique commande effectivement qu’ils donnent l’exemple de la limitation du cumul. C’est ce qui s'est passé dans les faits. Objectivement, c’est la première fois qu'il en est ainsi. Il n’y a plus de ministre, maire ou président de conseil général.

Peut-être ne faut-il pas traiter de la même façon un président de conseil général qui serait par ailleurs maire d’une petite commune et un député qui serait vice-président d’un conseil général, président d’un grand établissement public de coopération intercommunale comme d’une communauté urbaine. Rien n’interdit au Parlement d’affiner le dispositif proposé ; le Premier ministre a été très clair à ce sujet.

Il est également possible de réduire la durée du régime transitoire qui, effectivement, s’étend jusqu’à l’an 2004 pour les conseils généraux. C’est également un sujet sur lequel le Gouvernement est très ouvert.

M. Jacques Brunhes a soulevé des problèmes bien réels. Il est vrai que les projets de lois que nous proposons n’ont qu’un objet limité : le non - cumul. Je voudrais cependant vous mettre en garde ; si l’on veut embrasser un domaine plus large, le risque est de ne rien étreindre. Sans doute peut-on amender ou compléter la loi, mais il faut néanmoins s’en tenir à son objet principal.

Il est vrai que la session unique n’a pas apporté une réponse à la hauteur des problèmes posés. Peut-être en ira-t-il de même avec la limitation du cumul. Rien n’exclut qu’une réflexion plus globale soit conduite. Le Parlement et la commission des Lois sont là pour ça.

Je ne saurais trop vous recommander de réfléchir à ce qui pourrait permettre une amélioration de la démocratie, et notamment de la représentativité des élus. Cela passe par des questions très concrètes : comment un élu peut-il retrouver un emploi à la fin de son mandat ? Comment peut-on se consacrer à sa fonction lorsqu’on est par ailleurs salarié d’une entreprise privée ?

Le problème de fond est évidemment celui de la place du Parlement, mais je voudrais vous faire observer que nous sommes dans un régime parlementaire. Beaucoup de constitutionnalistes l’ont relevé. Et nous vivons justement une période dans l’histoire de la Vème République, dans laquelle le Gouvernement n’existe que parce qu’il dispose d’une majorité pour le soutenir à l’Assemblée nationale, ce qui est précisément la définition du régime parlementaire. Jamais cette nature profonde de notre régime n’a paru aussi évidente : le Gouvernement n’a pas utilisé l’article 49-3 de la Constitution, même pour faciliter l’adoption de textes dont la discussion a été pourtant difficile, je pense notamment à la loi R.E.S.E.D.A., qui vient d’entrer en vigueur.

S’agissant du quinquennat, je rappelle qu’il impliquerait une réforme de la Constitution. Sur le problème des incompatibilités professionnelles, j’observe que le cas évoqué par M. Jacques Brunhes a été tranché par le Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, le Gouvernement est prêt à entendre toutes les propositions qui lui seront faites pour revaloriser le rôle du Parlement.

M. Guy Hascoët a évoqué une véritable révolution des mentalités. Je sais que le mouvement politique auquel il appartient a instauré des mécanismes permettant l’exercice tournant de la responsabilité. Pourquoi ne pas les transposer à l’Assemblée nationale ? Sans doute cela irait-il dans le sens d’une meilleure répartition des responsabilités, mais prenons garde à ce que le politique qui est, par nature, de passage, ne se trouve dessaisi par la technostructure. Les élus qui maîtrisent certains sujets constituent un contrepoids démocratique, je rejoins là le point de vue exprimé M. Louis Mermaz. L’exercice d’une fonction exécutive confère une expérience, une autorité, un poids réel, légitimés par le suffrage universel.

S’agissant des délais en matière de contentieux électoral, je ne peux donner aucune assurance, puisqu’ils dépendent du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel.

Quant au Parlement européen, je suis très conscient du fait qu’en l’absence d’un peuple européen qui aurait une identité politique fondant sa légitimité, il ne peut être qu’un forum très utile, dans la meilleure hypothèse.

Pour conclure, il me semble que si chacun y met du sien, les projets de loi pourront être adoptés dans le courant de l’année 1999. Il appartiendra, bien sûr, au Parlement de fixer la date de leur entrée en vigueur. A l’orée du siècle prochain, nous pourrons ainsi avoir une démocratie renouvelée, rajeunie et féminisée.


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