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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de
l’ADMINISTRATION GÉNÉRALE de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 5

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 14 octobre 1998
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de Mme Catherine Tasca, présidente

SOMMAIRE

 

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– Examen des propositions de loi de M. Jean-Pierre Michel relative au pacte civil de solidarité (no 1118), de M. Jean-Marc Ayrault relative au pacte civil de solidarité (n° 1119), de M. Alain Bocquet et les membres du groupe communiste relative au pacte civil de solidarité (n  1120 ), de M. Guy Hascoët relative au pacte civil de solidarité (n° 1121) et de M. Alain Tourret relative au pacte civil de solidarité (n° 1122) (rapport)


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La Commission a désigné M. Jean-Pierre Michel, rapporteur pour les propositions de loi de M. Jean-Pierre Michel relative au pacte civil de solidarité (n° 1118), de M. Jean-Marc Ayrault relative au pacte civil de solidarité (n° 1119), de M. Alain Bocquet relative au pacte civil de solidarité (n  1120), de M. Guy Hascoët relative au pacte civil de solidarité (n° 1121) et de M. Alain Tourret relative au pacte civil de solidarité (n° 1122), puis procédé à l’examen de ces textes.

Mme Catherine Tasca, présidente, a proposé à la Commission de joindre l’examen des cinq propositions de loi de M. Jean-Pierre Michel, M. Jean-Marc Ayrault, M. Alain Bocquet, M. Guy Hascoët et M. Alain Tourret.

M. Jean-Luc Warsmann est intervenu pour faire valoir qu’il n’était en possession que de deux de ces textes et a donc demandé à bénéficier d’une suspension de séance d’une heure pour en prendre connaissance.

M. Philippe Houillon s’est joint à cette demande.

Après que Mme Catherine Tasca eut insisté sur la nécessité de mener l’examen de ces textes jusqu’à leur terme, la séance a été suspendue.

A la reprise de séance, M. Philippe Houillon a estimé que l’exposé des motifs identique des propositions de loi de M. Jean-Pierre Michel et de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste constituait une insulte à la représentation nationale parce qu’il revenait à considérer que l’adoption d’une exception d’irrecevabilité à l’encontre de la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité n’était pas acceptable. Il a ajouté que, compte tenu des termes de l’article 84, alinéa 3 du Règlement selon lequel les propositions repoussées par l’Assemblée ne peuvent être reproduites avant un délai d’un an, le dépôt de propositions qui, en dépit des affirmations contraires des exposés des motifs, étaient identiques à celles soumises à l’examen de l’Assemblée le vendredi 9 octobre, constituait une violation du Règlement de l’Assemblée et un détournement de procédure. Il a d’ailleurs indiqué que le Président de l’Assemblée nationale avait été saisi de cette question.

Mme Catherine Tasca, présidente, a observé que M. Jean-François Mattei, en soutenant en séance l’exception d’irrecevabilité, avait davantage invoqué des arguments plaidant contre l’opportunité de la proposition de loi que contre sa constitutionnalité. S’agissant de l’application de l’article 84, alinéa 3, du Règlement, elle a estimé qu’en acceptant le dépôt des propositions de loi, le Président de l’Assemblée nationale avait déjà tranché cette question.

M. Robert Pandraud a considéré qu’il serait souhaitable d’attendre la réponse du Président de l’Assemblée nationale avant la poursuite des travaux de la Commission.

Mme Véronique Neiertz a fait remarquer que la cosignature de la proposition de loi du groupe socialiste par M. Laurent Fabius constituait une réponse à sa saisine par l’opposition.

M. Henri Plagnol a contesté la nouveauté des propositions de loi qui étaient présentées, faisant valoir que leur dispositif continuait à avoir sa place dans un titre XII nouveau du livre premier du code civil, insertion dont M. Jean-François Mattei avait souligné l’inconstitutionnalité dans son intervention. Estimant que la seule nouveauté du texte résidait dans l’article 10, qui permet l’application du pacte civil de solidarité à deux frères, deux sœurs ou un frère et une sœur résidant ensemble, il a jugé que cette adjonction, qui apportait la preuve que l’on ne pouvait légiférer sur les couples sans légiférer sur la famille, recelait en elle-même toutes les contradictions du PACS.

M. Renaud Dutreil a estimé que le nouvel examen des dispositions relatives au pacte civil de solidarité bafouait la souveraineté de l’Assemblée nationale. Il a considéré que le fait de redéposer immédiatement une proposition de loi rejetée en séance publique était contraire au Règlement, qui interdit, pendant une période d’un an, un tel dépôt. Comparant cette procédure à celle d’un tribunal revenant sur son jugement, il a jugé que la majorité exprimait son mépris des citoyens en souhaitant faire passer en force un texte incohérent. Il a enfin remarqué que l’existence de cinq propositions de loi traduisait les contradictions de la majorité plurielle sur ce sujet.

M. Jacques Floch a estimé que l’adoption en séance publique de l’exception d’irrecevabilité procédait davantage du jeu des circonstances que d’un réel problème de constitutionnalité. Il a par ailleurs souligné que le Règlement de l’Assemblée nationale ne s’opposait pas au nouveau dépôt de propositions de loi, dès lors que leurs dispositions étaient différentes de celles rejetées en séance publique. A cet égard il a observé que l’enregistrement des propositions par la présidence témoignait de leur parfaite recevabilité. Il s’est enfin étonné que l’opposition ait déposé des motions de procédure alors même qu’elle juge contraire au Règlement le nouvel examen des dispositions relatives au pacte civil de solidarité.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a estimé que l’on ne pouvait pas minimiser la portée du rejet de la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité en séance publique dès lors que ce texte, qui fait partie du programme du Premier ministre, a suscité des tensions au sein du groupe majoritaire et entre celui-ci et le Gouvernement. S’interrogeant sur les raisons qui avaient conduit à écarter le dépôt d’un projet de loi sur ce sujet, il a regretté l’absence d’avis du Conseil d’Etat, jugeant que les dispositions proposées à l’Assemblée nationale souffraient de nombreuses incohérences juridiques. Tout en affirmant qu’il était, d’une manière générale, favorable à l’initiative parlementaire, il a néanmoins considéré qu’il n’était pas satisfaisant, tant du point de vue du Règlement que de la méthode législative, de recourir à nouveau au dépôt de propositions de loi sur un sujet aussi complexe.

Mme Catherine Tasca, Présidente, a insisté sur le sérieux du travail parlementaire effectué sur le pacte civil de solidarité. Elle a notamment fait état des très nombreuses auditions auxquelles les rapporteurs ont procédé ainsi que du travail qu’ils ont effectué en liaison avec la Chancellerie afin de garantir la cohérence juridique du dispositif. Elle a rappelé qu’elle avait veillé à la diffusion auprès de l’ensemble des groupes politiques du texte de la proposition de loi à ses différentes phases d’élaboration.

Considérant qu’il n’y avait pas eu de précipitation dans l’élaboration et l’examen du texte instituant le pacte civil de solidarité, Mme Frédérique Bredin a affirmé que l’opposition n’avait manifestement pas pris connaissance des nouvelles propositions de loi soumises à la commission. Elle a ainsi observé que certaines modifications substantielles avaient été introduites dans ces nouvelles propositions de loi et qu’en conséquence leur nouvel examen n’était pas contraire au Règlement de l’Assemblée nationale. A cet égard elle a cité l’exemple des dispositions relatives aux fratries, dont M. Jean-François Mattei avait déploré l’absence dans le texte initial, pour souligner la validité de ces nouvelles propositions et de leur procédure d’examen.

M. Bernard Roman a pour sa part estimé qu’il était légitime que de nouvelles propositions de loi reprennent l’essentiel des dispositions instituant le pacte civil de solidarité. Qualifiant les arguments de procédure avancés par l’opposition d’arguties juridiques, il a affirmé que le conflit essentiel était de nature politique. Il a ainsi déclaré que l’opposition faisait obstacle à la reconnaissance des couples non mariés et à la sortie des homosexuels de leur ghetto.

Considérant que M. Jean-François Mattei s’était longuement exprimé en séance publique sans pour autant soulever un quelconque problème de constitutionnalité, M. Christophe Caresche a fait observer que l’adoption de l’exception d’irrecevabilité était l’aboutissement d’un détournement de procédure. Il a considéré que la discussion qui se déroulait devant la Commission témoignait de l’absence d’arguments de fond de l’opposition à l’encontre du pacte civil de solidarité.

M. Claude Goasguen a estimé que la convocation de la commission des Lois, si peu de temps après le rejet de la proposition de loi en séance publique, constituait un détournement de procédure dont les conséquences étaient au moins aussi graves que les problèmes soulevés par le texte lui-même. Considérant qu’une participation de l’opposition aux travaux de la Commission reviendrait à avaliser ce qu’il a appelé un « coup de force », il a déclaré que les commissaires membres des groupes de l’opposition se retireraient de la suite des discussions.

M. Guy Hascoët a regretté que, pour régler quelques situations particulières, les nouvelles propositions de loi déposées par M. Jean-Pierre Michel et par le groupe socialiste conduisent à modifier le périmètre du débat, qui concerne désormais à la fois le domaine de la famille et celui du couple.

Contestant l’hypothèse d’un détournement de procédure, M. Alain Tourret a observé que l’Assemblée nationale, en adoptant l’exception d’irrecevabilité, s’était exprimée contre l’ensemble du texte sans qu’une disposition particulière ne soit mise en cause. Dès lors, il a jugé que les modifications apportées par les nouvelles propositions de loi légitimaient un nouveau débat, soulignant que plusieurs d’entre elles comprenaient des dispositions radicalement différentes de celles figurant dans la proposition de loi initialement adoptée par la Commission et soumise à l’Assemblée nationale.

Mme Catherine Tasca, présidente, a considéré que, tous les groupes ayant pu exprimer leur point de vue sur la procédure suivie, il convenait de donner la parole au rapporteur pour que la Commission puisse procéder à l’examen des propositions qui lui étaient soumises.

(Les commissaires membres des groupes R.P.R., U.D.F. et D.L. ont alors quitté la salle de la Commission).

Après avoir souligné qu’aucun élément sérieux d’inconstitutionnalité n’avait été invoqué lors du débat sur l’exception d’irrecevabilité, M. Jean-Pierre Michel, rapporteur, a insisté sur le fait que les nouvelles propositions de loi, tout en s’inspirant du texte soumis à l’Assemblée nationale, comportaient des dispositions différentes. En ce qui concerne les propositions identiques nos 1118 et 1119, il a ainsi précisé que les délais prévus pour bénéficier des droits de mutation allégés, de l’abattement de 250.000 F ou de la reprise du bail étaient supprimés en cas de décès faisant suite à une longue maladie, que la C.N.I.L. serait saisie sur le contenu des registres tenus par les préfectures, que l’attribution préférentielle serait possible dans tous les cas de dissolution du PACS, que seuls rentreraient dans l’indivision les biens acquis à titre onéreux et, surtout, que les fratries pourraient bénéficier de certaines des dispositions de la loi, sans avoir à contracter un PACS, innovation fondamentale infléchissant la philosophie initiale de la proposition de loi.

Il a indiqué que la proposition de loi déposée par M. Guy Hascoët comportait des aménagements de même nature, à l’exception des dispositions relatives aux fratries, et prévoyait en outre la conclusion du PACS à la mairie. S’agissant de la proposition du groupe communiste, il a souligné qu’elle visait à prévoir le versement d’une pension de réversion pour le partenaire survivant d’un PACS, la signature du PACS en mairie et non en préfecture et l’augmentation des abattements applicables aux droits de succession, ajoutant qu’elle ne comportait pas de dispositif sur les fratries. Il a enfin évoqué la proposition de M. Alain Tourret, remarquant qu’elle prévoyait des mesures très différentes telles que la signature du PACS au tribunal d’instance, les modalités de constatation du concubinage quels que soient les sexes, ou l’interdiction de la discrimination pour situation de famille.

En conclusion, après avoir rappelé l’intérêt porté par la majorité de la population et notamment des jeunes à l’égard de ce type de mesures, il a proposé à la Commission de retenir le dispositif des propositions nos 1118 et 1119, suggérant aux auteurs des autres textes de reprendre leurs propositions sous forme d’amendements susceptibles d’être examinés par la Commission au cours de la réunion qu’elle tiendra en application de l’article 88 du Règlement.

Avant d’ouvrir la discussion générale, Madame la présidente Catherine Tasca a déploré le départ des commissaires de l’opposition. Elle a constaté que depuis le début des travaux de la commission des Lois sur le PACS, ils avaient constamment tenté de reporter le débat en invoquant, soit des arguments de fonds fort éloignés du contenu du texte, soit des remarques de forme qui tendaient notamment à nier le droit d’initiative parlementaire. Rappelant qu’elle avait toujours cherché à faire en sorte que la commission des Lois puisse être le lieu d’une confrontation sereine des points de vue, elle a indiqué que, dès avant l’été, elle avait transmis les projets de texte à l’ensemble des groupes de l’opposition et ajouté qu’elle avait tenté d’établir avec eux un contact sans que ceux-ci répondent à cette démarche. Elle a considéré que le départ des commissaires de l’opposition et leur refus de discuter les propositions constituaient une véritable atteinte au bon fonctionnement de la Commission et une négation du travail qu’elle effectue.

Sans revenir sur le fond des textes soumis à la Commission, M. Guy Hascoët a souhaité que la question des fratries soit pleinement évoquée lors des débats en séance publique.

M. Jacques Floch s’est félicité du travail accompli depuis vendredi dernier qui a permis de présenter un nouveau texte à la Commission. Il a considéré que le débat engagé avec l’opposition constituait une véritable question politique concernant à la fois la conception de la société et de son organisation. Jugeant qu’il était temps de mettre un terme à un certain nombre d’injustices qui perturbent le fonctionnement de la République, il a regretté que certains aient tenu à faire de ce grand débat une joute politicienne. Il s’est déclaré choqué qu’une bible ait été brandie dans l’hémicycle, ce qui est lui a paru contraire au principe de laïcité. Par ailleurs, observant que l’évolution du nombre des mariages et des divorces n’était aucunement liée au débat sur le PACS, il a considéré qu’on l’accusait, à tort, de menacer la société de désorganisation. Il s’est associé au rapporteur pour suggérer aux commissaires auteurs des propositions de loi d’en reprendre certaines dispositions sous forme d’amendements. Enfin, il a conclu en affirmant que, contrairement à ce qui était dit dans la presse, ce texte était attendu par un grand nombre de Français, en province tout autant qu’à Paris.

M. Raymond Forni a souhaité qu’un large débat s’ouvre sur le PACS. Il a cependant indiqué qu’il n’était pas favorable à ce que le texte présenté par le rapporteur soit trop considérablement amendé. Il a considéré, en effet, que la multiplication des amendements risquerait d’ajouter à la confusion et de rendre moins lisible aux yeux de l’opinion publique la proposition du groupe socialiste.

M. Alain Tourret s’est élevé contre les propos de M. Raymond Forni, soulignant que son groupe, qui appartient à la majorité plurielle, était en droit de proposer des modifications à un texte qui diffère sur certains sujets de sa propre proposition de loi.

M. Camille Darsières a estimé que certains points de la proposition de loi pouvaient être discutés, notamment le lieu d’enregistrement du PACS qui pourrait être le tribunal de grande instance. Il a regretté que l’accent soit mis sur l’homosexualité, faisant valoir que le texte permettrait également à des personnes âgées de vivre ensemble et contribuerait ainsi à renforcer les liens de solidarité. Il a enfin félicité la présidente pour sa détermination dans la défense de la proposition de loi et la clarté avec laquelle elle l’a défendue tant à l’Assemblée que devant les médias.

Le rapporteur a souligné que le texte concernait dès l’origine les personnes âgées qui souhaitaient vivre ensemble et a fait valoir que c’était l’opposition qui se focalisait sur l’homosexualité. Il a également remercié Mme Catherine Tasca pour sa détermination sans laquelle – a-t-il estimé – ce texte, qui fait honneur à la majorité plurielle, n’aurait pas pu voir le jour.

La Commission a rejeté l’exception d’irrecevabilité n° 1 présentée par M. José Rossi et la question préalable n° 1 présentée par M. Jean-Louis Debré.

Elle est ensuite passée à l’examen des articles de la proposition de loi statuant, suivant les propositions du rapporteur, sur le texte des propositions de loi nos 1118 et 1119.

M. Alain Tourret ayant indiqué qu’il s’abstenait sur l’article premier qui prévoit l’enregistrement du PACS à la préfecture, la Commission a adopté successivement les articles, puis l’ensemble de la proposition de loi dans le texte proposé par le rapporteur.


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