Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (1998-1999)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES, de la LÉGISLATION et de l’ADMINISTRATION GÉNÉRALE de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 18

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 2 décembre 1998

(Séance de 9 heures 30)

Présidence de Mme Catherine Tasca, présidente,

puis de Mme Christine Lazerges, vice-présidente

SOMMAIRE

 

pages

– Projet de loi relatif à l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits (n° 1179) (deuxième lecture)


2

– Projet de loi constitutionnelle relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes (n° 985) (rapport)


3

– Informations relatives à la Commission

12

La Commission a examiné en deuxième lecture, sur le rapport de M. Jacques Brunhes, le projet de loi relatif à l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits (n° 1179).

Présentant le bilan de la deuxième lecture au Sénat, le rapporteur a souligné que, s’agissant de l’aide juridictionnelle, de l’aide à l'accès au droit, de l’aide à l’intervention de l’avocat en matière de médiation pénale ou des maisons de justice et du droit, les deux assemblées avaient approuvé les orientations et les principes sous-tendant le projet du Gouvernement, considérant, pour le reste, que, si l’opportunité de certains amendements adoptés par le Sénat pouvait être discutée, leur portée limitée ne justifiait pas la poursuite de la navette.

Evoquant les dispositions relative à l’aide juridique, le rapporteur a indiqué qu’en matière d’aide juridictionnelle, outre des changements purement rédactionnels, le Sénat avait apporté deux modifications acceptables par l’Assemblée, à savoir, d’une part, la réduction d’un an à six mois du délai pendant lequel l’avocat doit justifier de l’importance et du sérieux des diligences accomplies pour bénéficier de la rétribution, qui lui est due lorsque l’aide a été accordée en vue de parvenir à une transaction avant l’introduction de l’instance et qu’une transaction n’a pu être conclue et, d’autre part, le bénéfice de l’aide juridictionnelle, sans condition de ressources, pour les personnes formulant une demande devant les juridictions compétentes en matière de pensions militaires. En ce qui concerne l’aide à l’accès au droit, il a fait valoir que la plupart des modifications étaient rédactionnelles ou tenaient à la dénomination de l’organisme chargé de développer la politique d’aide à l'accès au droit dans le département. Ainsi, il a fait observer qu’alors que le projet transformait l’actuel « conseil départemental de l’aide juridique » en « conseil départemental de l’accès au droit et de la résolution amiable des litiges », le Sénat avait raccourci cette appellation dans un souci de commodité, comme l’avait d’ailleurs suggéré la commission des Lois. Il a ajouté qu’il avait supprimé deux alinéas de l’article 8 explicitant les buts poursuivis par la politique d’aide à l'accès au droit, estimant que ces dispositions, n’étant pas de nature législative, ainsi qu’une disposition de l’article 9 pour les mêmes motifs. Il a reconnu que des divergences subsistaient quant à la composition du conseil départemental, l’Assemblée souhaitant que les chambres départementales des huissiers et des notaires y siègent en qualité de membre associé tandis que le Sénat prévoyait qu’elles devaient conserver leur statut de membre de droit, les sénateurs ayant ajouté, au titre des membre de droit, la chambre de discipline des avoués et l’association départementale des maires, alors même que des communes ou groupements de communes du département peuvent être appelés par le président à siéger avec voix consultative.

Le rapporteur a ensuite précisé que pour l’aide à l’intervention de l’avocat en matière de médiation pénale, le Sénat avait complété l’article 14 afin d’étendre ce dispositif à l’intervention de l’avocat dans le cadre des mesures prévues par l’article 12-1 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante et indiqué qu’en matière de dispositions diverses et transitoires, il avait adopté sans modification l’article 15 procédant à diverses abrogations, supprimé l’article 15 bis de portée rédactionnelle, limité à cinq ans les dispositions transitoires relatives aux conseils départementaux de l'aide juridique déjà constitués lors de l’entrée en vigueur de la présente loi et adopté deux articles additionnels prolongeant le recrutement complémentaire de magistrats administratifs et validant certaines décisions prises pour la détermination de l’ancienneté des fonctionnaires du Sénat au moment de leur titularisation.

Après avoir souligné que le Sénat avait souscrit à l’institutionnalisation des maisons de justice et du droit et accepté, moyennant différentes coordinations, les articles du projet relatifs à l’aide juridique dans la collectivité territoriale de Mayotte et dans les territoires d’outre-mer, le rapporteur a conclu son propos en estimant possible un accord global entre les deux assemblées, ce qui permettrait de raccourcir la navette parlementaire et, partant, d’accélérer l’entrée en vigueur de la première loi ressortissant de la réforme de la justice ; il a fait part, en conséquence, de son intention de ne présenter aucun amendement.

Après que M. Philippe Houillon eut annoncé qu’il retirait les amendements qu’il avait déposé sur les articles, la Commission a adopté sans modification tous les articles restant en discussion, puis l’ensemble du projet de loi dans le texte du Sénat.

*

* *

La Commission a ensuite examiné, sur le rapport de Mme Catherine Tasca, le projet de loi constitutionnelle relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes (n° 985).

Après avoir rappelé que le projet de loi constitutionnelle complétait l’article 3 de la Constitution par un alinéa indiquant que la loi doit favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions, Mme Catherine Tasca, rapporteur, a observé que ce texte répondait au souci de faire progresser la France vers une égalité réelle entre les femmes et les hommes, en particulier dans la vie publique. Constatant que la fonction de représentation était, en 1998, encore largement monopolisée, tant à l’échelon national que local, par la gent masculine, même si la situation s’améliorait quelque peu, elle a fait valoir qu’il s’agissait d’une exception française, dont il était difficile d’être fier et souligné que peu de personnes contestaient la nécessité de modifier cet état de fait.

Elle a alors rappelé que lors de la précédente législature, les femmes représentaient seulement 6 % des députés et que, si l’on a pu observer une progression notable de la représentation féminine aux dernières élections législatives, force est de constater que seules 61 femmes sont actuellement présentes à l’Assemblée nationale, soit 10 % des élus. Après avoir souligné que la situation au Sénat était encore plus accablante puisque, sur 321 sénateurs, on compte seulement 19 femmes, elle a indiqué que les femmes ne représentaient que 8 % des conseillers généraux, même si ce chiffre est passé à 25 % au niveau régional depuis les dernières élections. Après avoir précisé que les conseils municipaux issus des élections de 1995 se composaient de 21 % de femmes, mais que seuls 7,6 % des maires n’étaient pas des hommes, elle a rappelé que la représentation française au Parlement européen comptait 30 % de femmes, principalement grâce à la décision du parti socialiste de présenter une liste paritaire. Evoquant la situation dans les autres pays occidentaux, elle a souligné que seule la Grèce faisait moins bien que la France, alors que les pays scandinaves comptent 30, voire 40 %, de parlementaires féminines, avant d’ajouter que de nombreux pays en voie de développement avaient une représentation féminine dans les assemblées plus importante qu’en France.

Le rapporteur a ensuite fait valoir qu’en dehors du champ strictement politique, il était tout à fait possible pour le législateur d’organiser des mesures de promotion des femmes, puisque l’alinéa 3 du préambule de la Constitution de 1946 dispose que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ». Après avoir souligné que cette disposition était appliquée dans la fonction publique, qui peut organiser des concours différents pour les femmes et pour les hommes, elle a rappelé que le Conseil constitutionnel avait néanmoins limité sa portée dans le domaine politique, évoquant la décision du 18 novembre 1982 dans laquelle la haute juridiction a estimé que la limitation à 75 % des candidats d’un même sexe dans les listes municipales était contraire à l’article 3 de la Constitution et à l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme. Rappelant que le Conseil considérait que le principe d’indivisibilité de la souveraineté s’opposait à toute division des électeurs et des personnes éligibles par catégorie, elle a néanmoins considéré qu’il n’était pas possible d’assimiler les femmes, qui représentent la moitié de l’humanité, à une catégorie.

Mme Catherine Tasca a alors affirmé que le projet de loi permettait de lever cet obstacle constitutionnel, en introduisant dans l’article 3 de la Constitution une disposition qui autorise le législateur à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions. Elle a relevé que la rédaction proposée par le Gouvernement avait suscité des critiques, tant de la part des associations féminines que des constitutionnalistes, le verbe « favoriser » étant en retrait par rapport aux attentes exprimées par les milieux prônant la parité, qui souhaitaient le remplacer par le verbe « garantir ». Après avoir fait part des inquiétudes de certains sur l’absence du mot « parité » dans le dispositif du projet de loi, alors qu’il apparaît dans l’exposé des motifs, elle a considéré que l’objectif poursuivi restait néanmoins celui de l’égalité réelle des hommes et des femmes dans tous les domaines de la vie sociale et estimé que la parité dans les élections était sans doute un moyen efficace pour atteindre cet objectif égalitaire, mais qu’il demeurait un instrument parmi d’autres dont l’utilité, il faut l’espérer, sera seulement transitoire.

Tout en considérant que le projet de loi autorisait le législateur à organiser cette transition, elle a estimé que sa rédaction devait sans doute être précisée et renforcée, avant d’évoquer l’amendement en ce sens qu’elle proposerait lors de la discussion des articles, dont l’objet est d’affirmer fortement la valeur du principe et de permettre au législateur d’organiser concrètement et souverainement l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions.

En conclusion, Mme Catherine Tasca a souligné que ce projet de loi constitutionnelle était une étape nécessaire, mais pas suffisante, pour atteindre l’objectif souhaité. Elle a indiqué que, une fois la révision constitutionnelle achevée, il serait nécessaire d’introduire dans la législation électorale des dispositions tendant à l’égalité réelle des hommes et des femmes, comme cela a été fait dans le projet de loi relatif aux conseils régionaux. Elle a observé que cette démarche supposait de faire preuve d’imagination et d’explorer toutes les voies qui, dans un souci de stricte justice, permettront aux femmes d’accéder aux fonctions de représentation politique dans les mêmes conditions que les hommes.

Plusieurs commissaires sont ensuite intervenus dans la discussion générale.

Après avoir estimé que l’enjeu de ce débat était plus politique que juridique, M. Claude Goasguen a souligné que le retard de la France dans l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions politiques s’expliquait non seulement par la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982, mais également par l’inaptitude des partis politiques à prendre la mesure des évolutions de la société. Tout en convenant que ce handicap, partagé avec la Grèce, constituait un inconvénient majeur, M. Claude Goasguen a considéré que le projet ne répondait pas de manière satisfaisante au problème posé. Il a en particulier exprimé la crainte qu’en mettant l’accent sur les seuls mandats et fonctions politiques, le texte ne soit contradictoire avec le préambule de la Constitution de 1946, ce qui pourrait susciter de nombreux recours devant le Conseil constitutionnel. S’interrogeant également sur l’opportunité de l’ancrage de cette réforme à l’article 3 de la Constitution, qui traite de l’exercice de la souveraineté, il a estimé que le dispositif proposé trouverait mieux sa place à l’article 4. Evoquant ses répercussions sur la loi électorale, il a observé que la prise en compte de cette nouvelle exigence constitutionnelle, facile à mettre en œuvre dans le cadre d’un scrutin de liste, ne manquerait pas de se heurter à des difficultés insurmontables, s’agissant du scrutin majoritaire, sauf à introduire une part de proportionnelle ou à substituer purement et simplement un scrutin proportionnel au scrutin majoritaire. Il a conclu son propos en indiquant que le groupe Démocratie libérale, s’il jugeait impossible de s’opposer à ce texte, ne pouvait cependant y adhérer, tant que les incertitudes sur l’évolution du mode de scrutin ne seraient pas dissipées.

Mme Nicole Feidt a rappelé que ce projet de réforme constitutionnelle correspondait à la fois à un engagement du Premier ministre et au souci exprimé par le Président de la République de moderniser la vie politique. Elle a déclaré souscrire à cette réforme, soulignant que, compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982, toute loi simple tendant à la parité serait frappée d’inconstitutionnalité. Elle a, par ailleurs, justifié l’emplacement retenu dans le projet de loi constitutionnelle, en faisant observer que l’article 3 de la Constitution portait sur les modalités de représentation du peuple.

Exprimant, en revanche, la crainte que le libellé choisi, selon lequel « la loi favorise l’égal accès » ne soit trop neutre, elle s’est montrée favorable à une rédaction qui impose une obligation plus effective. Après avoir souligné que le texte constitutionnel devait être appréhendé comme un socle sur lequel s’édifierait une législation appelée à concrétiser le principe posé, elle a plaidé pour l’élaboration d’un statut des élus, particulièrement nécessaire pour les femmes titulaires de mandats et de fonctions, ajoutant que la limitation actuelle des cumuls de mandats était insuffisante pour faciliter l’accès des femmes dans les assemblées politiques.

Tout en adhérant à l’objectif poursuivi par le projet de révision constitutionnelle, M. Michel Hunault a exprimé des doutes sur son efficacité. Il a considéré que l’objectif de parité ne pourrait être atteint que dans les seuls scrutins de liste et indiqué qu’il déposerait un amendement tendant à limiter à ceux-ci l’application de la révision constitutionnelle.

Mme Véronique Neiertz a considéré que plusieurs événements étaient à l’origine de ce projet de révision constitutionnelle. Elle a rappelé que la question de la parité des femmes et des hommes dans la vie politique avait d’abord été évoquée au cours de la dernière campagne pour les élections présidentielles, soulignant que les conditions dans lesquelles M. Alain Juppé s’était séparé de plusieurs femmes ministres et secrétaire d’Etat et les réactions fortes suscitées par cet événement avaient marqué une seconde étape dans l’évolution des mentalités sur cette question. Elle a constaté que l’Observatoire de la parité, mis en place par le précédent Gouvernement, ne pouvait apporter une réponse satisfaisante au problème, puis a relevé que la majorité avait, lors des dernières élections, largement favorisé l’accès des femmes à l’Assemblée nationale, le nombre de candidates et de femmes élues n’ayant jamais été aussi élevé.

Rappelant que l’obstacle jurisprudentiel du Conseil constitutionnel ne pouvait être contourné par une loi simple, elle a affirmé que les femmes ne pouvaient cependant être perçues comme une catégorie du genre humain. Elle a insisté sur la responsabilité qui incomberait au législateur pour la mise en œuvre de la réforme constitutionnelle et souligné qu’il s’y était déjà attelé, en inscrivant, dans le projet de loi relatif au mode d’élection des conseillers régionaux, une disposition imposant la parité des femmes et des hommes sur les listes. Tout en convenant qu’il était plus facile de le faire dans le cadre d’un scrutin proportionnel, elle a souligné que l’existence du scrutin majoritaire n’empêchait pas cependant la présence de nombreuses élues dans les parlements de nos voisins européens.

Considérant que le retard de notre pays en matière de représentation des femmes dans la vie publique ne l’honorait pas, elle a regretté qu’une partie de l’opposition – au risque d’apparaître ne représenter que les hommes – ne vote pas ce projet de loi.

Constatant que la France n’était pas parvenue à organiser un égal accès des femmes et des hommes dans la vie publique, M. Jean-Luc Warsmann a rappelé qu’il revenait au Général de Gaulle d’avoir imposé le vote des femmes par l’ordonnance du 21 avril 1944, la première assemblée constituante comptant 39 femmes dans ses rangs.

Ajoutant que le Président de la République avait créé un Observatoire de la parité, il a fait valoir que, si l’actuelle opposition était restée au pouvoir, elle aurait sans nul doute déposé un texte voisin devant le Parlement. Considérant, dès lors, que le projet de loi constitutionnelle ne devait pas susciter de controverses entre la droite et la gauche, il a indiqué que s’il ne partageait pas les réserves exprimées par M. Claude Goasguen, il le rejoignait dans ses interrogations sur l’avenir de la loi électorale. Précisant qu’en tout état de cause, son vote n’était pas subordonné à ce problème, il a cependant souhaité que la noble cause de la parité ne soit pas mise à profit par la majorité pour se livrer à des manœuvres politiciennes et souhaité recevoir à ce sujet des assurances du rapporteur.

Après avoir indiqué qu’il voterait le projet de révision constitutionnelle, M. Robert Pandraud a néanmoins estimé que celle-ci n’était pas le meilleur moyen de favoriser dans les faits la mise en place de la parité. Il a ainsi considéré que la modulation de l’aide financière de l’Etat aux partis politiques en fonction du nombre de femmes élues et l’amélioration du statut de l’élu seraient des moyens plus efficaces pour atteindre ce but. Rappelant que le Conseil constitutionnel n’était pas la troisième assemblée souveraine du pays, il a jugé légitime que les parlementaires puissent infirmer sa jurisprudence. Il a cependant déploré que le mécanisme traditionnel de la navette parlementaire en matière de révision constitutionnelle permette au Sénat d’imposer, une fois de plus, son point de vue. A cet égard, il a considéré que le mode de scrutin aux élections sénatoriales y rendrait difficile la mise en œuvre de la parité dans la mesure où coexistent des circonscriptions soumises au scrutin proportionnel et d’autres au scrutin majoritaire.

Après avoir souligné le rôle des femmes dans l’histoire de la France au vingtième siècle, M. Gérard Gouzes a estimé que la gauche avait toujours été en pointe dans le combat pour l’égalité des sexes. Il a ainsi rappelé que François Mitterrand avait été le premier Président de la République à désigner une femme Premier ministre et que Michel Rocard avait conduit une liste aux précédentes élections européennes, composée alternativement d’un homme et d’une femme. Il a par ailleurs considéré qu’il fallait en finir avec la tradition machiste cantonnant les femmes dans la sphère domestique, afin de leur permettre l’égal accès aux mandats et fonctions. Il a déclaré qu’il lui semblait opportun de réviser l’article 3 de la Constitution dans la mesure où celui-ci porte sur l’expression des suffrages, tout en regrettant que l’expression de « parité représentative » ne soit pas préférée à la notion d’égal accès. Enfin, il a indiqué qu’il conviendrait également de revoir la rédaction du projet de loi afin de remédier au caractère insuffisamment contraignant de l’expression « la loi favorise ».

Tout en s’interrogeant sur l’efficacité de la loi dès lors qu’il s’agit de faire évoluer les mœurs et les questions de société, M. Michel Crépeau a indiqué qu’il voterait le projet de révision. Estimant que des actes de volonté tels que la décision de M. Lionel Jospin de présenter un tiers de candidates aux dernières élections législatives, étaient sans doute plus importants qu’une modification de la Constitution, il a jugé nécessaire de rompre avec la tradition écartant les femmes de la vie publique. Rappelant que dans le droit romain les femmes mariées se rangeaient, au côté des enfants et des fous, dans la catégorie des incapables, il a, par ailleurs, évoqué le poids de la tradition catholique interdisant aux femmes de donner la communion et d’exercer le sacerdoce. Observant que les radicaux socialistes s’étaient longtemps opposés au vote des femmes par crainte de l’influence de l’Eglise dans la vie politique, il a reconnu que les temps avaient changé. A cet égard, il a expliqué que la participation croissante des femmes à la vie professionnelle et l’augmentation du nombre de familles monoparentales constituaient un frein, en l’absence d’un véritable statut de l’élu, à leur accès aux responsabilités publiques. Enfin, il s’est interrogé sur les conditions de mise en oeuvre du principe de la parité pour les élections présidentielles et législatives, en observant que, dans ce domaine, seule la volonté des formations politiques pouvait faire avancer les choses.

M. Jérôme Lambert a estimé qu’il était urgent de favoriser une plus grande participation des femmes à la vie politique et qu’il convenait de faire entrer dans les faits le principe de parité. En réponse aux interrogations de M. Claude Goasguen sur les intentions du Gouvernement en matière de modification du mode de scrutin des élections législatives, il a fait remarquer qu’il n’était pas nécessaire de réviser la Constitution pour entreprendre une telle réforme. Il a par ailleurs approuvé l’idée de moduler le financement des partis politiques en fonction du nombre de femmes élues dans leurs rangs, mais a estimé qu’un tel dispositif nécessitait une révision préalable de la Constitution.

M. François Colcombet a évoqué, en préambule, les méfaits du modèle catholique traditionnel qui concourt à favoriser un modèle d’organisation fortement centralisé peu propice à l’accès des femmes aux responsabilités, puis a rappelé que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ne contenait aucune référence explicite aux droits des femmes. Il a ensuite fait observer que le texte fondateur en la matière était le préambule de la Constitution de 1946, sur lequel le Conseil constitutionnel aurait dû asseoir sa jurisprudence, aux termes duquel la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits identiques à ceux des hommes et a souligné que, sur ce point particulier, la Constitution de 1958 était en retrait. Ayant rappelé que, depuis 1946, le combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes avait essentiellement porté sur le droit de la famille, il a constaté que le retard restait cependant considérable en matière politique. Analysant le texte du projet de loi constitutionnelle, il a insisté sur les termes de « mandats » et « fonctions », jugeant que la révision devrait avoir une portée qui dépasse le domaine strictement politique, afin de généraliser le principe de l’égal accès, par exemple pour la désignation des jurys d’assises, où les femmes sont trop peu présentes ou, en sens inverse, pour l’organisation des juridictions familiales, presqu’exclusivement composées de femmes. Mettant l’accent sur la nécessité de s’en tenir à l’organisation de l’égal accès et non pas de rechercher une parité mathématique difficile à mettre en œuvre, il a considéré que le texte de la révision constitutionnelle devrait laisser au Parlement une marge de manœuvre significative lui permettant d’adopter, le cas échéant, des mesures de discrimination positive au profit des femmes, sans que le Conseil constitutionnel soit incité à annuler des lois trop facilement.

M. Richard Cazenave a, en premier lieu, regretté que le Conseil constitutionnel ait adressé, en 1982, un signal négatif aux femmes, tout en considérant que le débat devait porter uniquement sur la question de l’égal accès et non pas sur celle des discriminations positives, concept de nature à favoriser l’émergence du communautarisme. Après avoir estimé que le Conseil constitutionnel aurait dû fonder sa jurisprudence sur l’article premier de la Constitution, selon lequel la République assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, il a fait observer que si le texte de la révision constitutionnelle se limitait aux seuls mandats et fonctions électifs, il serait préférable de l’insérer à l’article 4 de la Constitution, et non pas à l’article 3, lequel concerne l’exercice de la souveraineté nationale. Critiquant la rédaction du projet de loi, il a noté que celle-ci était trop imprécise et qu’elle abandonnait une marge d’appréciation trop importante au Conseil constitutionnel, puis a fait part de son accord pour l’adoption d’un amendement prévoyant que la loi « détermine » l’égal accès aux fonctions et mandats électifs. Considérant que, d’une manière générale, l’insuffisante représentation des femmes dans la vie politique s’expliquait largement par des considérations pratiques, il a souhaité, afin d’éviter que la révision constitutionnelle ne se limite à un simple effet d’annonce, qu’un vaste chantier de réflexion soit ouvert, notamment en ce qui concerne le statut des élus.

Mme Nicole Catala a tout d’abord mis l’accent sur la situation française, estimant que celle-ci constituait une exception dans le temps, puisque la proportion des femmes parlementaires en 1997 était identique à celle observée en 1945, mais aussi dans l’espace, dans la mesure où cette même proportion, de l’ordre de 6 %, était nettement inférieure à la moyenne européenne qui s’établit à 16 %, voire à la moyenne mondiale qui atteint près de 12 %. Après avoir contesté que la gauche soit à l’origine de la promotion des femmes dans la vie politique et souligné le rôle éminent du Général de Gaulle en la matière, elle a rappelé qu’en dépit de la ratification de multiples conventions demandant aux signataires d’adopter des mesures d’action positive en faveur des femmes, aucune disposition contraignante n’avait été mise en œuvre en France pour assurer l’égal accès aux fonctions et mandats électifs. Rappelant la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1982 qui a invalidé une mesure de discrimination positive, elle a évoqué, en parallèle, une décision de la Cour de justice des Communautés européennes jugeant non conformes au droit communautaire des mesures de discrimination positive en matière de droit du travail, indiquant toutefois que cette jurisprudence avait été infléchie récemment. Après avoir précisé que le principe de l’égalité des droits avait été mis en oeuvre progressivement, notamment dans la fonction publique, elle a abordé l’examen du texte du projet de loi, jugeant que l’emploi du terme « favorise » était ambigu puisqu’il permettrait au juge constitutionnel de maintenir sa jurisprudence et a considéré préférable d’inscrire dans la Constitution que la loi « assure » l’égal accès aux fonctions et mandats électifs, si l’on souhaite retenir une option contraignante ou que la loi « peut assurer » cet égal accès si l’on opte pour une version facultative. Après s’être interrogée sur la nature des mandats et fonctions visés par la rédaction proposée, elle a fait part de ses réticences vis-à-vis de l’adoption du projet de loi constitutionnelle, si celui-ci avait pour objet de justifier une réforme future du mode de scrutin législatif. Rappelant les propos tenus par M. Robert Pandraud, elle a conclu son propos en notant que la solution la plus efficace serait de prévoir une modulation des aides financières aux partis politiques de manière à les inciter concrètement à favoriser l’accès des femmes aux fonctions politiques, option qui ne remettrait pas en cause les droits fondamentaux des citoyens.

Intervenant en application de l’article 38 du Règlement, M. Didier Julia a estimé que l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, aux termes duquel tous les citoyens sont admissibles à toute dignité, place et emploi public sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents, suffit pour garantir l’égal accès aux fonctions et mandats électifs. Il a ajouté qu’il défendrait son exception d’irrecevabilité en séance publique.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

—  Au-delà de l’égal accès à la vie publique, il est nécessaire de créer des conditions économiques et sociales destinées à favoriser la participation des femmes ; à cet égard, il convient de noter que l’exposé des motifs du projet de loi évoque l’objectif d’égalité dans l’ensemble des composantes de la vie du pays et pas uniquement dans la sphère politique.

—  La réforme est indispensable pour contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel, même si la pertinence de cette dernière est contestée par certains juristes.

—  Dans la mesure où il renouvelle l’affirmation d’un principe qui existe déjà, le projet de loi ne prendra tout son sens que lorsque les textes d’application seront adoptés. Ceux-ci risquent d’ailleurs de poser quelques difficultés, le scrutin uninominal majoritaire étant notamment difficilement compatible avec le principe de l’égal accès des hommes ou des femmes. A ce propos, bien que la ministre ait affirmé que la réforme constitutionnelle n’entraînera pas de modification du scrutin législatif, il apparaît nécessaire d’évoquer cette question en séance publique. En tout état de cause, la mise en oeuvre de ce principe devra se faire par étape, le texte sur les conseils régionaux, le statut de l’élu ou la limitation du cumul des mandats pouvant constituer les premières pistes de réflexion.

—  L’ajout de l’adjectif « politiques » aux mandats et fonctions ne semble pas utile dans la mesure où il est proposé d’insérer le dispositif au sein de l’article 3 de la Constitution. De même, la notion « d’égal accès » proposée par le texte est préférable à celle de « parité », puisqu’elle se rattache aux grands principes républicains alors que la parité renvoie à un déterminisme mathématique impossible à mettre en œuvre ; en tout état de cause, même si ce terme symbolique a été un élément moteur dans le changement des mentalités, il ne pourra être appliqué qu’au cas par cas dans les différents textes à venir. Il reste néanmoins que le projet de loi présente certaines insuffisances terminologiques, le verbe « favoriser » ne donnant notamment pas au législateur les armes suffisantes pour contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce dernier risquant de lui reprocher d’en faire trop ou pas assez ; aussi semble-t-il préférable de le remplacer par le verbe « organiser » qui traduit la force de l’engagement sur le principe de l’égal accès tout en laissant au législateur la responsabilité d’inventer, au cas par cas, les modalités d’application. A cet égard, il semble utile de reprendre l’idée formulée par M. Guy Carcassonne selon laquelle il convient de spécifier que la loi détermine les conditions de l’égal accès, ce qui permettrait d’effectuer un partage clair des responsabilités entre le législateur et le Conseil constitutionnel.

La Commission a rejeté l’exception d’irrecevabilité de M. Didier Julia.

Elle est ensuite passée à l’examen de l’article unique.

Article unique :

La Commission a examiné un amendement de M. Richard Cazenave visant à intégrer le texte du projet de loi à la fin de l’article premier de la Constitution en lieu et place de l’article 3. Il a indiqué que, le rapporteur ayant précisé que le projet de loi s’appliquait aux seuls mandats et fonctions politiques, son amendement ne présentait plus d’intérêt puisqu’il visait à élargir le champ de la révision au-delà de la sphère politique. Constatant que le projet de loi ne s’intégrait pas dans cette logique, il a retiré son amendement.

La Commission a ensuite été saisie de deux amendements identiques, l’un de M. Richard Cazenave et l’autre de M. Claude Goasguen tendant à placer le texte du projet de loi à l’article 4 de la Constitution. M. Richard Cazenave a considéré que son amendement donnerait plus de cohérence à la révision en modifiant l’article 4 relatif aux partis politiques, dès lors que l’objet du projet de loi se limite aux mandats et fonctions politiques. M. Claude Goasguen a estimé qu’il était d’une grande importance de bien déterminer l’article de la Constitution où devait s’intégrer le projet de loi, observant qu’en amendant l’article 3, on adopterait une réforme de portée beaucoup plus générale qui modifierait les termes mêmes de la souveraineté nationale. Le rapporteur a fait valoir que l’inscription dans l’article 3 était la conséquence logique de la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1982 qui avait censuré la disposition relative aux quotas pour les élections municipales en invoquant ce même article. Elle a ajouté qu’intégrer la révision constitutionnelle dans cet article était un moyen d’éclairer le sens de la notion de souveraineté, puis a insisté sur le fait que le projet de loi ne contredisait pas le principe de l’indivisibilité de la souveraineté mais en explicitait plutôt les termes. La Commission a repoussé les deux amendements.

Elle a ensuite examiné deux amendements de Mme Nicole Catala, substituant au terme « favorise », pour le premier, l’expression « peut favoriser » et, pour le second, le verbe « assure » et ajoutant après « mandats et fonctions » le qualificatif « politiques ». Après que M. Robert Pandraud eut fait connaître sa préférence pour le terme « électif » et que le rapporteur eut exprimé son opposition à ces deux amendements estimant, pour le premier, qu’il était trop en retrait par rapport à l’objectif poursuivi et, pour le second, qu’il risquait de donner prise à un contentieux constitutionnel parce qu’il était trop contraignant pour le législateur, la Commission a repoussé ces deux amendements.

Elle a, en revanche, adopté un amendement du rapporteur, rédigeant le projet de loi sous la forme suivante : « La loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions ». Mme Catherine Tasca a souligné qu’il s’agissait d’affirmer le rôle du législateur en la matière et de renforcer l’engagement pris en faveur de l’égalité réelle des femmes et des hommes. Elle a ajouté que cet alinéa complétant l’article 3 de la Constitution relatif au suffrage renvoyait clairement aux mandats électoraux et aux fonctions électives et a jugé qu’il n’était pas alors nécessaire de le préciser. M. Claude Goasguen s’est déclaré favorable à la rédaction proposée parce qu’elle permet d’écarter les risques de contentieux constitutionnel et donne une plus grande sécurité juridique à cette disposition. Tout en rappelant qu’il était préférable de réviser l’article 4 de la Constitution, M. Richard Cazenave s’est réjoui de la convergence des points de vue sur la rédaction même de l’alinéa, puis a souhaité que la majorité reprenne cependant l’amendement précisant la nature des mandats et fonctions.

Un amendement de M. Claude Goasguen ajoutant au terme « mandats » l’adjectif « électoraux » et à celui de « fonctions » l’adjectif « électives » est devenu sans objet du fait de l’adoption de l’amendement du rapporteur donnant au deuxième alinéa de l’article une nouvelle rédaction.

La Commission a été saisie d’un amendement de M. Claude Goasguen précisant qu’il appartient à la loi de déterminer les conditions dans lesquelles est organisé l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions. Constatant que son amendement était satisfait, M. Claude Goasguen l’a retiré.

Enfin, la Commission a été saisie un amendement de M. Michel Hunault prévoyant la parité des candidatures dans les scrutins de liste. M. Michel Hunault a observé que l’on disposait dès aujourd’hui des moyens de concrétiser le principe d’égal accès et que rien n’interdisait de compléter le projet de loi constitutionnelle en ce sens. Mme Catherine Tasca a fait connaître qu’elle n’était pas opposée à cette disposition sur le fond puisqu’elle l’avait elle-même soutenue dans le cadre du projet de loi modifiant le mode de scrutin régional, observant néanmoins que l’insérer dans la Constitution serait donner une lecture restrictive du projet de loi constitutionnelle. Elle a jugé que la mesure proposée par M. Michel Hunault était d’ordre législatif et pourrait être mise en œuvre très rapidement après la révision de la Constitution, puis a ajouté que la proposition de M. Robert Pandraud sur les modulations du financement des partis politiques en fonction de la place des femmes dans les listes, était également d’ordre législatif. M. Claude Goasguen, estimant que l’amendement proposé n’était effectivement pas d’ordre constitutionnel, a réitéré sa demande que le Gouvernement s’engage solennellement à ne pas profiter de cette révision pour amorcer une modification du mode de scrutin avec des arrière-pensées électorales. Il a conclu en indiquant que son groupe s’abstiendrait sur ce projet de loi tant qu’il n’aurait pas obtenu de la part du Gouvernement une réponse à cette question. Mme Nicole Catala s’est associée, à titre personnel, à cette intervention. La Commission a repoussé l’amendement.

La Commission a adopté l’article unique du projet de loi constitutionnelle ainsi modifié.

La réunion de la Commission ayant été levée, Mme Nicole Catala a regretté que la Commission ait été conduite à examiner un texte aussi important quelques heures seulement après la fin d’une séance consacrée à un texte relevant également de la compétence de la Commission. Elle s’est en outre étonnée que la Garde des Sceaux n’ait pas été entendue par la commission des Lois sur ce projet de loi constitutionnelle.

*

* *

Informations relatives à la Commission

La Commission a procédé à la nomination de rapporteurs. Ont été désignés :

—  M. Gérard Gouzes, pour le projet de loi relatif à l’organisation urbaine et à la simplification de la coopération intercommunale (n° 1155) ;

—  M. Jérôme Lambert, pour le projet de loi portant ratification des ordonnances n° 98-580 du 8 juillet 1998, n° 98-582 du 8 juillet 1998, n° 98-728 du 20 août 1998, n° 98-729 du 20 août 1998, n° 98-730 du 20 août 1998, n° 98-732 du 20 août 1998, n° 98-774 du 2 septembre 1998 prises en application de la loi n° 98-145 du 6 mars 1998 portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l’actualisation et à l’adaptation du droit applicable outre-mer (n° 1174) ;

—  Mme Nicole Feidt, pour la proposition de loi modifiant la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé.

——fpfp——


© Assemblée nationale