Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (1998-1999)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES, de la LÉGISLATION et de l’ADMINISTRATION GÉNÉRALE de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 55

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 1er juin 1999

(Séance de 16 heures 30)

Présidence de Mme Catherine Tasca, présidente

SOMMAIRE

 

pages

– Audition de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, garde des sceaux, sur :

– le projet de loi relatif à l’action publique en matière pénale et modifiant le code de procédure pénale (n° 957)

– l’évolution des moyens, les résultats et les perspectives de l’action des services de l’Etat pour assurer le respect de l’Etat de droit en Corse


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La Commission a procédé à l’audition de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, garde des sceaux, sur le projet de loi relatif à l’action publique en matière pénale et modifiant le code de procédure pénale (n° 957).

La Garde des sceaux a tout d’abord souligné que le projet de loi marquait une rupture avec la tradition de soumission du parquet au pouvoir politique. Elle a insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas cependant de couper le lien entre la Chancellerie et le parquet mais de donner une plus grande transparence à l’action publique, tout en responsabilisant davantage les magistrats du parquet.

Abordant en premier lieu le thème de la transparence, elle a rappelé que, depuis deux ans, aucune instruction individuelle n’avait été adressée aux procureurs et observé que le projet de loi avait donc pour objet d’inscrire cette politique dans le code de procédure pénale. Elle a ensuite précisé que le texte confiait au garde des sceaux la mise en œuvre de la politique pénale définie par le Gouvernement par le biais d’orientations générales ayant un caractère public et destinées à être mises en œuvre par les magistrats du parquet. Elle a fait observer que, depuis deux ans, la politique pénale était conduite au travers de circulaires, précisant qu’elle en avait adressé 5 en 1997, 26 en 1998 et 5 au 30 avril pour l’année 1999. Elle a notamment mentionné la circulaire concernant la politique pénale en matière de délinquance juvénile du 5 juillet 1998, celles relatives à l’aide aux victimes du 13 juillet 1998 et à l’incitation à participer à la conclusion des contrats locaux de sécurité des 5 janvier et 9 mars 1998. Elle a également évoqué des actions plus ponctuelles, concernant l’organisation de la coupe du monde ou les violences urbaines et souligné qu’une bonne articulation entre les interventions des services de police et l’action des procureurs avaient produit des résultats très satisfaisants.

S’agissant toujours de la transparence, elle a également insisté sur le devoir d’information que le projet de loi impose aux procureurs généraux et aux procureurs vis-à-vis du garde des sceaux. Précisant qu’elle avait institué cette pratique depuis deux ans, elle a observé qu’elle constituait une rupture avec la situation antérieure dans laquelle l’information de la Chancellerie, liée à ses interventions dans les affaires individuelles, présentait un caractère aléatoire. Elle a souligné que les parquets généraux devaient procéder à l’analyse, à l’évaluation et à la synthèse des informations communiquées par les procureurs, pour qu’elles puissent être utilisées par la Chancellerie, afin d’élaborer une politique pénale adaptée. A cet égard, elle a évoqué l’adoption d’une seconde directive sur les contrats locaux de sécurité, à la suite des informations communiquées par les parquets généraux. Elle a également noté que les analyses adressées par les parquets sur les actes de violence urbaines, à la suite des premiers incidents de Strasbourg en 1997, l’avaient conduit à prendre la directive du 23 décembre 1998, qui s’était traduite par des résultats probants dans le domaine de la sécurité, le renouvellement des violences urbaines à Strasbourg en 1998 ayant donné lieu à des interpellations, contrairement à ce qui s’était passé en 1997.

La Ministre a ensuite indiqué que le projet de loi donnait au garde des sceaux le droit d’agir directement en saisissant une juridiction lorsque l’intérêt général commandait des poursuites alors que le procureur, ou la partie lésée, n’avait pas mis en mouvement l’action publique. Elle a souligné que le texte prévoyait que le Parlement serait informé chaque année par le garde des sceaux de la mise en œuvre des orientations générales de la politique pénale et de l’exercice du droit d’action et ajouté qu’il imposait aux procureurs et aux procureurs généraux de rendre publique les conditions de mise en œuvre des orientations générales.

Abordant le volet de la responsabilité des procureurs, la Garde des sceaux a évoqué le renforcement de l’autorité du procureur général sur les procureurs de son ressort et indiqué que les procureurs de la République seraient tenus d’exécuter les instructions écrites données par les procureurs généraux dans le cadre de la mise en œuvre des orientations générales de politique pénale. Elle a remarqué que la responsabilisation passait aussi par l’institution de nouvelles obligations des procureurs vis-à-vis des justiciables et précisé, à ce titre, que les victimes devraient être avisées des décisions de classement sans suite du procureur de la République, que ces décisions devraient être motivées, que les victimes devraient être informées de leurs droits, les personnes intéressées n’ayant pas la possibilité de se constituer partie civile pouvant former un recours devant le procureur général, puis devant une commission des recours.

La Ministre a, par ailleurs, indiqué que le projet de loi donnait aux autorités judiciaires un véritable droit de regard sur l’affectation des effectifs de police judiciaire lors des enquêtes, soulignant que l’indépendance des magistrats du parquet supposait qu’ils disposent d’un réel pouvoir de contrôle sur la police judiciaire. A cet égard, elle a souligné que, dans le cadre d’une affaire complexe ou d’une certaine durée, le procureur ou le juge d’instruction définiraient avec le responsable du service de police judiciaire les moyens devant être mobilisés. Elle a ajouté que le procureur pourrait fixer le délai d’exécution de l’enquête, dans le cadre d’une enquête préliminaire et devrait être informé par les enquêteurs dès que l’auteur présumé de l’infraction serait identifié et, plus généralement, être informé par la police judiciaire de l’état de l’avancement de la procédure au bout d’un délai d’un an.

Poursuivant la réflexion sur les thèmes de l’indépendance et de la responsabilité, la Garde des sceaux a indiqué que le projet de loi n’abordait pas la question de l’indépendance des magistrats du siège, observant que cette indépendance était garantie depuis 1808 par le code de l’instruction criminelle. Elle a souligné qu’il garantissait, en revanche, l’indépendance des magistrats du parquet, tout en instituant une véritable contrepartie, par le biais de leur responsabilisation. Elle a remarqué, en effet, qu’à la responsabilité pénale, civile et disciplinaire des magistrats devait s’ajouter une responsabilité fondée sur un système de relations plus transparentes entre le parquet et la Chancellerie, estimant que cette transparence permettrait de sanctionner plus facilement les magistrats ayant failli à leurs devoirs. Elle a ainsi considéré que la mise en place d’un système de recours contre les décisions de classement sans suite était susceptible de prévenir des comportements désinvoltes de la part des magistrats. Elle a estimé, en outre, que le projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature devait apporter toutes les garanties en ce qui concerne l’indépendance de l’ensemble des magistrats, rappelant que ce projet élargissait les compétences du Conseil supérieur de la magistrature et sa composition par la présence majoritaire de non magistrats. Elle a ajouté que les deux projets de loi organique qui devaient suivre la révision constitutionnelle, l’un relatif aux modalités de désignation des membres du Conseil supérieur de la magistrature, l’autre relatif au statut des magistrats, permettraient de renforcer cette évolution, précisant qu’ils étaient prêts. Rappelant que la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, adoptée par les deux assemblées, devait maintenant être approuvée par le Congrès, elle a exprimé le souhait que celui-ci soit convoqué à l’automne pour que les projets de loi organique puissent être examinés par les deux assemblées.

En conclusion, la Garde des sceaux a insisté sur le fait que le projet de loi s’inscrivait dans un mouvement général de réforme de la justice, tendant à rendre celle-ci plus indépendante, plus proche des citoyens et plus responsable. Elle a rappelé que le projet de loi relatif à la présomption d’innocence introduisait des délais stricts en matière de détention provisoire, pour mettre fin à des situations d’autant plus abusives qu’elles pouvaient se terminer par un non-lieu. Elle a également évoqué la loi du 18 décembre 1998 destinée à faciliter l’accès à la justice. Elle a considéré que l’ensemble de ces textes devait permettre aux différents acteurs du système judiciaire de jouer leur rôle et d’être plus responsables. Evoquant enfin la réforme des tribunaux de commerce et du droit de la famille, la Ministre a souligné que le Gouvernement respectait depuis dix-huit mois le calendrier qu’il s’était fixé en matière de réforme de la justice.

Rappelant que ce texte changerait les conditions de nomination des magistrats du parquet en assurant leur indépendance, Mme Catherine Tasca, présidente, a également souhaité que le projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature, qui doit marquer une étape essentielle dans la mise en œuvre de la réforme proposée par la Garde des sceaux, puisse être rapidement soumis au Congrès.

M. André Vallini a demandé à la Garde des sceaux si elle serait favorable à la création, à terme, de deux corps de magistrats, l’un ayant pour fonction d’exercer l’action publique et l’autre de juger, prenant acte du fait qu’une telle perspective n’apparaissait pas dans le projet de loi présenté par le Gouvernement. Observant que la Garde des sceaux ne recourait pas aux instructions individuelles écrites et que le projet de loi entendait prohiber cette pratique, il a souhaité savoir si les prédécesseurs de Mme Elisabeth Guigou avaient recouru à de telles instructions écrites, versées au dossier de la procédure, et quels avaient été leurs effets. Il a également demandé à la Garde des sceaux de fournir quelques exemples de cas dans lesquels l’intérêt général pourrait justifier l’action propre du ministre de la justice, ce droit d’action étant une novation juridique proposée par le projet de loi. Il s’est également interrogé sur les modalités de la mise en œuvre de ce droit d’action qui pourrait incomber à un avocat, à un procureur ad hoc ou au directeur des affaires criminelles et des grâces comme certains ont pu le suggérer. Puis il a souhaité savoir si des projections avaient été réalisées pour estimer le nombre de décisions de classement sans suite susceptibles de faire l’objet d’un recours. Enfin, constatant que le projet améliorait le contrôle de la police judiciaire par l’autorité judiciaire, il a demandé le sentiment de la Garde des sceaux sur l’idée de créer des brigades de police judiciaire rattachées au procureur général dans le ressort de chaque cour d’appel.

M. Claude Goasguen s’est interrogé sur la compatibilité du projet de loi avec les articles 20 et 21 de la Constitution. Il a, en effet, estimé que la politique de la Nation, qui relève du Gouvernement, ne devait pas seulement se traduire par des directives de portée générale mais également par des décisions individuelles, en particulier en matière pénale. Illustrant son propos par l’exemple de la condamnation de terroristes qui pourrait entraîner des représailles contre la France, il s’est demandé si, dans une telle hypothèse, il serait illégitime que le Gouvernement puisse intervenir. Il a, en outre, rappelé que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 3 août 1993, avait annulé, comme contraire à l’article 20 de la Constitution, une disposition limitant la faculté pour le Gouvernement de donner des instructions à la Banque de France. Il s’est ensuite interrogé sur la nature juridique des orientations générales de la politique pénale qui seraient arrêtées par le ministre de la justice. Il a souhaité savoir quelles sanctions s’appliqueraient si, dans ces orientations générales, apparaissaient en fait des instructions individuelles, soulignant qu’aucune autorité ne serait compétente pour examiner la légalité de la décision ministérielle qui aurait le caractère d’un acte de Gouvernement insusceptible de recours. Observant que le projet de loi n’apportait nulle réponse à ce problème, il a critiqué le caractère flou du dispositif en la matière. Il a également souhaité savoir ce qui se passerait dans l’hypothèse où le procureur de la République refuserait de déférer à la demande d’explications du Garde des sceaux. Concernant les relations entre la police et la justice, il a observé que des conflits pourraient apparaître lors d’une enquête entre le procureur et le commissaire de police et s’est interrogé sur la manière dont ils pourraient se résoudre, alors qu’il appartient au ministre de l’intérieur de gérer les effectifs de police et que le projet de loi reconnaît au procureur, désormais indépendant, un pouvoir accru sur la police judiciaire.

Après avoir rappelé que, dès le début de l’année 1997, le Président de la République avait évoqué la nécessité de trancher le « cordon » entre le parquet et le ministère de la justice, puis chargé une commission conduite par M. Truche de réfléchir à la réforme de la justice, M. Gérard Gouzes a constaté que le projet de loi s’inspirait en grande partie des conclusions de cette commission. Il a considéré qu’il était normal que le Garde des sceaux puisse définir des orientations générales en matière pénale, prenant l’exemple de la politique à mener pour la poursuite des actes à caractère raciste, dans un contexte où certains n’hésitent pas à prononcer en public des discours relevant de cette définition. Constatant que les justiciables demandaient avec insistance que le Gouvernement fasse avant tout appliquer la loi, il a souligné que l’opinion publique ne distinguait pas toujours cependant le rôle respectif des différents acteurs et leurs responsabilités. Il s’est ensuite demandé si l’on ne pourrait distinguer de l’instruction générale, « l’instruction de partialité », qui permettrait au Garde des sceaux de demander le traitement exceptionnel d’un dossier, soulignant, par ailleurs, que lorsqu’un procureur n’avait pas souhaité engager de poursuite, il était difficile d’envisager qu’il le fasse à la demande de la Chancellerie. Il a appelé à éviter le double écueil d’un encadrement trop rigide de l’action du parquet et d’un abandon par le Garde des sceaux de son autorité sur la justice, précisant qu’il lui semblait difficile de ne pas imaginer, à terme, une séparation totale du parquet et du siège. Enfin, il a insisté sur la nécessité d’organiser une plus grande transparence dans le domaine pénal et s’est félicité que le projet de loi poursuive cet objectif.

Qualifiant le texte de « trompe l’œil », M. Pascal Clément a regretté, qu’il ne soit pas plus clair sur les intentions du Gouvernement en matière de relations entre la Chancellerie et le parquet ; il a ainsi considéré qu’en permettant au procureur d’évoquer une question auprès de la Chancellerie et au garde des sceaux de demander des renseignements sur une affaire, le texte n’établissait pas de rupture claire entre le parquet et l’exécutif. Rappelant que les procureurs généraux étaient le plus souvent demandeurs d’instructions individuelles, il a estimé que l’interdiction en la matière pourrait en outre toujours être contournée. A cet égard, il a mentionné des propos tenus par le président de la Conférence nationale des procureurs généraux, lors du déplacement de la Commission à la cour d’appel de Grenoble, évoquant une situation dans laquelle le ministère public de Toulon, n’ayant pas obtenu de réponse à des demandes répétées d’instructions, avait cependant constaté qu’une circulaire d’ordre général avait fini par répondre implicitement à ces questions. Il a, par ailleurs, considéré que le texte, en renforçant les responsabilités du procureur, tout en lui garantissant une plus grande indépendance, était contradictoire. Observant que les formations politiques étaient divisées sur la question du lien entre la police judiciaire et les juges, il a estimé qu’un renforcement de ces liens, qui passerait par exemple par un droit de regard du procureur sur les effectifs de la police judiciaire, relèverait du vœu pieux. Concluant que le texte présenté par la Garde des sceaux n’était qu’un nouvel habillage des dispositions existantes, il a souhaité qu’une réflexion approfondie soit engagée sur la justice, exprimant sa préférence personnelle pour un système dans lequel les magistrats du parquet relèveraient plus étroitement de l’exécutif et pourraient, à ce titre, mieux défendre les valeurs de la République, tandis que l’indépendance des juges du siège serait accrue.

Se félicitant que le projet de loi instaure un réel équilibre dans les relations entre la Chancellerie et le parquet, M. Jacques Brunhes a exprimé son opposition à l’égard de toute disposition qui marquerait une rupture complète en la matière. Il a souligné que le garde des sceaux conserverait ses compétences puisqu’il pourrait émettre des observations générales, pour la définition des grandes orientations de la politique judiciaire et notamment de la politique pénale, et aurait toujours la possibilité de mettre en œuvre l’action publique. Constatant par ailleurs que ce projet donnait lieu à des critiques, portant en particulier sur les pouvoirs des procureurs généraux, qualifiés par certains de « préfets judiciaires », M. Jacques Brunhes s’est inquiété de certaines modalités pratiques d’application, souhaitant savoir, notamment, si, comme l’évoquait M. Gérard Gouzes, la politique suivie en matière de poursuites contre le racisme relèverait effectivement d’observations générales dans le cadre de la définition de la politique judiciaire. Concernant la question de l’indépendance du procureur, il a constaté que celle-ci ne pourrait être absolue, dans la mesure où elle restait encadrée par les orientations générales données par le garde des sceaux. Concluant sur un problème connexe à ceux évoqués par le projet de loi, M. Jacques Brunhes a suggéré qu’une réflexion approfondie puisse avoir lieu sur la présomption d’innocence et la détention provisoire.

Observant en premier lieu que ce texte ne permettait pas une réelle clarification des liens entre Chancellerie et parquet, M. Renaud Donnedieu de Vabres a souligné qu’il était en fait motivé par une suspicion permanente à l’égard des instructions individuelles données par le garde des sceaux. Considérant que ce type d’instructions étaient plus aisément contrôlables lorsqu’elles devaient être écrites et motivées, il a fait observer que l’équilibre entre le parquet et la Chancellerie apparaissait alors plus clairement. Admettant qu’il y avait pu y avoir des événements provoquant la suspicion, il a regretté néanmoins qu’une législation soit construite sur la seule base de la constatation de quelques dysfonctionnements. Il a également insisté sur le fait que l’exécutif avait des responsabilités en matière judiciaire qu’il se devait d’assumer, soulignant qu’il revenait ensuite au juge du siège de se prononcer en toute indépendance. Considérant que, dans la pratique, le garde des sceaux ne pourrait se priver de donner des instructions, il a noté que le texte comportait sur ce point une ambiguïté évidente, puisqu’il permettait à la Chancellerie d’obtenir des informations sur une affaire. Concluant sur la nécessité pour l’exécutif d’assumer ses responsabilités, M. Donnedieu de Vabres a estimé que le texte n’aurait d’autre effet que d’autoriser, de manière plus déguisée, des pratiques que le Gouvernement affirme pourtant combattre.

Observant que le projet de loi devait être perçu comme un long et patient travail de reconstitution de la crédibilité de l’institution judiciaire, M. Arnaud Montebourg s’est réjoui que l’exécutif ne puisse plus manipuler le cours de la justice, ou même être soupçonné de le faire. Il s’est néanmoins interrogé sur certaines modalités prévues par le texte, évoquant notamment le droit d’action propre conféré au garde des sceaux lorsque l’intérêt général ou la carence de l’institution judiciaire le requièrent, et le cas où le garde des sceaux décide d’intervenir en son nom propre, sans possibilité de délégation de signature.

M. Robert Pandraud s’est interrogé sur les responsabilités qui seraient engagées en matière de respect de l’ordre public, exprimant la crainte que l’intervention du procureur, auparavant sollicité en cas de manifestation ou de menaces à l’ordre public, ne soit amenée à disparaître, compte tenu de la coupure instaurée entre police judiciaire et police administrative. Il s’est également inquiété du fait que le garde des sceaux ne puisse répondre convenablement à la sollicitation de gouvernements étrangers sur des affaires délicates, au motif qu’il ne pourrait plus donner d’instructions.

En réponse aux commissaires, la Ministre a apporté les précisions suivantes :

û En votant, en termes identiques, le projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature, les deux assemblées ont choisi de maintenir un corps unique de magistrats. Revenir sur ce principe supposerait, à terme, un changement complet de la procédure pénale.

û Il apparaît préférable que les membres du ministère public conservent la qualité de magistrat, l’autorité judiciaire étant gardienne de la liberté individuelle, car ils contrôlent la police judiciaire et exercent l’action publique. Néanmoins, il n’est pas interdit de réfléchir aux modalités de passage du siège au parquet, en particulier à l’intérieur d’une même juridiction.

— Si des instructions écrites et versées au dossier de la procédure ont été données sous la législature précédente, sur le fondement de la loi du 24 août 1993, il n’a pas été possible d’en trouver trace à la Chancellerie. Toutefois, la consultation de dossiers remontant à une période bien plus lointaine montre que les instructions pouvaient s’apparenter à des règlements de comptes politiques. Quoi qu’il en soit, depuis l’arrivée en fonction du gouvernement de M. Lionel Jospin, aucune instruction, écrite ou orale, sous quelque forme que ce soit, n’a été donnée ; cette pratique claire et constante a été parfaitement assimilée par les parquets généraux après quelques mois d’adaptation.

û Le garde des sceaux peut déjà saisir une juridiction, la Cour de cassation, dans l’intérêt de la loi. Conditionnée et légitimée par l’absence de poursuites pénales et la défense de l’intérêt général, la mise en mouvement de l’action publique par le ministre sera exceptionnelle et engagera sa responsabilité politique, car il devra en rendre compte devant le Parlement. Il s’agit d’une soupape de sécurité qui pourra être utile, par exemple, dans des affaires concernant la défense des intérêts nationaux, la défense nationale, les crimes contre l’humanité, le terrorisme, le racisme ou l’environnement. Si à la fin de la procédure, la juridiction ne suit pas le garde des sceaux, cela ne sera pas plus problématique que lorsque le Conseil d’Etat annule une décision prise par un ministre. Des améliorations techniques peuvent être recherchées sur les modalités de mise en mouvement de l’action publique, dès lors qu’elles ne donnent pas au garde des sceaux la qualité de partie à la procédure – même par personne interposée – ou un droit d’intervention en cours de procédure, ce qui reviendrait à réintroduire les instructions dans les affaires individuelles.

û La motivation des classements sans suite devrait concerner environ 80 000 procédures et les moyens des parquets seront renforcés pour faire face à cette obligation nouvelle.

û Si, dans l’idéal, un rattachement de la police judiciaire à l’autorité judiciaire peut paraître souhaitable, il se heurte à des difficultés tenant notamment aux perspectives matérielles, moins favorables, que le ministère de la justice peut offrir aux policiers ou aux gendarmes. Le projet privilégie d’autres moyens de parvenir, en pratique, à une amélioration du contrôle de la police judiciaire par les magistrats : l’attribution, le maintien et le redéploiement des effectifs affectés aux investigations et l’information sur l’état d’avancement de l’enquête.

û La loi du 24 août 1993 ne garantit pas l’obéissance absolue aux instructions données par le ministre, car un procureur est toujours libre d’exprimer son désaccord à l’audience. Par ailleurs, si un membre du ministère public viole la loi, notamment celle qui lui fera à l’avenir obligation de mettre en œuvre les orientations générales de la politique pénale, il est passible d’une procédure disciplinaire. En outre, un procureur qui aurait de façon évidente méconnu ces orientations générales dans la conduite de l’action publique ne peut pas espérer, dans la suite de sa carrière, voir sa nomination proposée par le garde des sceaux au Conseil supérieur de la magistrature.

û Le projet donne au Gouvernement la possibilité de déterminer et de conduire sa politique pénale sans le caractère aléatoire qu’introduisaient les instructions dans les affaires individuelles. Le renoncement à toute instruction est une option fondamentale, car c’est le seul moyen de mettre fin au soupçon d’intervention politique : or, maintenir la possibilité de donner des instructions, même « justifiées », revient à légitimer le principe même des instructions. Par ailleurs, il n’y a pas d’incohérence à donner des directives générales de politique pénale et aucune instruction dans les affaires individuelles, comme le prouve une pratique persévérante et constante depuis deux ans, période qui n’a pas été exempte de crises graves ou de conflits sociaux et pendant laquelle la justice a agi en toute indépendance, sans que cela pose problème. Il est donc souhaitable de consacrer dans la loi cette approche de l’action publique, qui garantit, dans la transparence, une meilleure application de la politique pénale et une meilleure défense de l’intérêt général. Cette approche présente, en outre, l’avantage de permettre au garde des sceaux de consacrer son énergie, non pas à la gestion quotidienne de l’action publique, mais aux nombreux problèmes que connaît l’institution judiciaire.

û Les demandes d’information sont légitimes, dès lors qu’elles ne sont pas prétexte à envoi d’instructions. Le garde des sceaux doit être informé le plus précisément possible sur l’état d’une procédure quand il le juge utile.

û Le Gouvernement n’a pas varié dans son analyse des rapports entre le ministre de la justice et l’organisation hiérarchique du ministère public depuis la communication sur la réforme de la justice présentée en Conseil des ministres, le 29 octobre 1997, suivie d’un débat au Parlement en janvier 1998.

—  Il n’est pas admissible qu’un membre du ministère public puisse laisser entendre que des instructions déguisées parviennent au parquet. En conséquence, il sera demandé au procureur général, qui aurait indiqué devant des membres de la commission des Lois que des instructions concernant une affaire individuelle auraient été données par le détour d’une circulaire, de rendre compte de ses propos. En ce qui concerne le magistrat de Toulon condamné au plan pénal, la seule action du garde des sceaux a consisté, après l’intervention de l’inspection générale des services judiciaires, à demander au Conseil supérieur de la magistrature de le condamner au plan disciplinaire pour connivence et violation du secret de l’instruction au profit du Front national.

Soulignant la grande disponibilité de la Garde des sceaux depuis le début de la réforme de la justice, la présidente a considéré que les relations constructives entretenues avec la commission des Lois donnaient aux parlementaires la possibilité de participer utilement à l’élaboration d’une réforme fondamentale.

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La Commission a ensuite poursuivi l’audition de la Garde des sceaux, sur l’évolution des moyens, les résultats et les perspectives de l’action des services de l’Etat pour assurer le respect de l’Etat de droit en Corse.

Après avoir rappelé que les événements récents qui se sont déroulés en Corse seraient traités dans le cadre de la commission d’enquête récemment créée, Mme Catherine Tasca, présidente, a indiqué que la commission des Lois avait souhaité entendre la Garde des sceaux afin d’être informée, au-delà de ces événements ponctuels, sur les moyens d’action mis en œuvre, les résultats obtenus et les perspectives de l’action des services de l’Etat pour assurer le respect de l’Etat de droit en Corse.

Ayant observé que, conformément aux recommandations du rapport de la commission d’enquête présidée par M. Jean Glavany, l’action du Gouvernement en Corse avait porté en priorité sur le renforcement et le renouvellement des services judiciaires, la Garde des sceaux a indiqué, d’une part, que 48 magistrats étaient actuellement en poste dans cette région, pour 44 postes budgétaires, dont 21 en fonction depuis moins de deux ans et que, d’autre part, les structures avaient été renforcées par la nomination de 2 magistrats en 1998 comme procureurs adjoints à Bastia et Ajaccio et par l’augmentation du nombre de chambres du tribunal de grande instance d’Ajaccio, porté de une à deux. Elle a ensuite fait état de deux affectations de fonctionnaires de greffes en surnombre et de l’existence de 16 assistants de justice et de 3 assistants spécialisés, avant d’observer qu’un effort particulier avait été fait en matière d’informatique puisque tous les postes de travail étaient maintenant informatisés grâce à une dotation de 1,3 millions de francs.

Evoquant les travaux de la commission d’enquête qui estimait indispensable de casser le système pré-mafieux et de lutter contre la délinquance économique et financière qui freine le développement de la Corse, la Ministre a annoncé que les assistants spécialisés du pôle financier de Bastia, clés de voûte de cette nouvelle politique, étaient installés aujourd’hui même et précisé que des moyens spécifiques avaient été mis en place avec le recrutement d’un juge d’instruction supplémentaire, la création d’un poste de greffier et l’affectation de quatre assistants de justice et de trois assistants spécialisés. S’agissant de la restauration de l’Etat de droit, la Garde des sceaux a annoncé la réactivation de la commission mixte sur le statut fiscal de l’indivision, puis elle a évoqué le renforcement de la formation des professionnels du droit, citant le centre interprofessionnel de formation continue juridique financé par les collectivités locales et les ordres professionnels, le ministère de la justice mettant à sa disposition deux assistants de justice.

S’appuyant sur les premiers résultats obtenus, la Garde des sceaux a constaté que les attentats étaient passés de 574 en 1996 à 198 en 1998, celui des assassinats et des homicides volontaires de 36 en 1995 à 20 en 1998 et, enfin, celui des vols à main armée de 150 en 1996 à 63 en 1998. Rappelant que le Gouvernement avait fait de la lutte contre la délinquance économique et financière une priorité, elle a indiqué que des résultats probants avaient été obtenus puisque actuellement 64 procédures étaient en cours et que sur les 46 affaires nouvelles enregistrées depuis deux ans, 12 étaient déjà jugées ou audiencées. Elle a, en outre, fait valoir que des condamnations exemplaires avaient été prononcées, citant notamment plusieurs décisions des tribunaux correctionnels de Bastia et d’Ajaccio et de la cour d’appel de Bastia. Après avoir rappelé qu’entre 1988 et 1998, 21 % des accusés avaient été acquittés en Corse, contre une moyenne de 4,9 % au niveau national et que les crimes de sang et les vols criminels étaient cinq fois supérieurs à la moyenne nationale avec un taux d’élucidation inférieur de 20 %, elle a indiqué qu’une commission locale avait, à sa demande, été mise en place afin de faire des suggestions pour améliorer la justice criminelle, notamment grâce à l’audition de témoins sous x, l’enregistrement des auditions et le renforcement des moyens techniques et de médecine légale. En matière de lutte contre le terrorisme, elle a précisé que le nombre d’interpellations était passé de 104 en 1996 à 430 en 1998, celui des personnes écrouées augmentant, quant à lui, de 37 à 55, ajoutant que 107 affaires étaient en cours pour 74 personnes mises en examen et 24 détenues. Elle a enfin tenu à souligner que la justice poursuivait son œuvre de restauration dans des domaines moins connus comme la protection judiciaire de la jeunesse, où la Chancellerie applique les orientations décidées par les conseils de sécurité intérieure du 8 juin 1998 et du 29 janvier 1999, ou de la justice administrative. Concluant sur cette présentation générale de l’action du ministère de la justice en Corse, elle a estimé que, même s’il restait encore beaucoup de choses à faire, le chemin parcouru depuis le constat dressé par la commission d’enquête était considérable.

La Garde des sceaux a ensuite souhaité revenir sur la question du placement en détention provisoire du préfet Bonnet. Après avoir rappelé que toute décision en la matière devait respecter un équilibre entre les nécessités de l’enquête et la protection de la liberté individuelle, elle a jugé qu’en l’espèce les nécessités de l’enquête et la nature de l’infraction, commise en bande organisée, semblaient justifier la mise en détention du préfet, un contrôle judiciaire, même approfondi, n’étant pas suffisant pour interdire notamment les contacts téléphoniques. Insistant sur le fait que la pratique de la détention provisoire devait être la même pour tous, elle a observé que l’on ne pouvait demander à la fois la libération du préfet Bonnet et un durcissement de la politique à l’égard des mineurs délinquants. Tout en espérant que la poursuite des investigations permette une libération rapide du préfet, elle a tenu à souligner que la décision d’incarcération avait été prise par un juge indépendant et fait valoir que le projet de loi relatif à la protection de la présomption d’innocence permettrait, à l’avenir, grâce à l’intervention de deux magistrats du siège, d’instaurer un minimum de dialogue pour une décision aussi grave.

Mme Catherine Tasca, présidente, a indiqué qu’il ne serait évidemment pas acceptable de mettre à l’abri de la détention provisoire une catégorie spécifique de la population, tout en évoquant les réflexions récurrentes de nombreux parlementaires sur la nécessité de définir des bornes temporelles à la détention provisoire et de garantir la proportionnalité entre cette mesure privative de liberté et la gravité des faits incriminés, considérant qu’il reviendrait au texte relatif à la présomption d’innocence de répondre à ces préoccupations. Elle s’est cependant interrogée sur le point de savoir si les nécessités de l’enquête justifiaient réellement le maintien en détention du préfet Bonnet, s’interrogeant sur la pertinence de la qualification de crime commis en bande organisée retenue en l’espèce.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a souhaité obtenir des précisions sur la mise en œuvre du principe de la présomption d’innocence en cas de poursuites mettant en cause des fonctionnaires de l’Etat. A cet égard, il s’est étonné que le ministre de l’intérieur prenne en charge les frais d’avocat de ses fonctionnaires, alors que le ministère de la défense avait adopté la position contraire. Evoquant l’affaire de la paillote, il a regretté que la Garde des sceaux ne donne plus d’instructions au parquet, soulignant que cette pratique permettrait de connaître la doctrine du Gouvernement en matière d’égalité entre les justiciables. Abordant enfin la question de la « corsisation » des personnels de l’Etat en charge de la sécurité dans l’île, il a demandé quel était le point de vue du Gouvernement sur les pratiques divergentes entre la gendarmerie et la police nationale.

M. Raymond Forni a indiqué, en préambule, qu’il reviendrait à la commission d’enquête sur le fonctionnement des forces de sécurité en Corse d’étudier les pratiques des forces de police et de gendarmerie dans l’île. Après avoir jugé peu pertinent de poser le problème de la détention provisoire à travers le cas du préfet Bonnet, notamment parce qu’une majorité de l’opinion publique ne semblait guère choquée par cette mesure, il a interrogé la Ministre sur le point de savoir si les relations entre les services de police et de gendarmerie et la justice en Corse s’étaient améliorées depuis l’arrivée du nouveau gouvernement. Ayant souhaité que la Ministre dresse un bilan des difficultés rencontrées par les magistrats sur le terrain, il a fait part de ses doutes face aux responsabilités énormes pesant sur certains juges d’instruction n’ayant pas toujours l’expérience nécessaire, attirant l’attention sur le fait que l’exercice solitaire et excessif de pouvoirs considérables pouvait, dans certains cas, comporter des risques de dérives dangereuses pour la démocratie.

M. Michel Hunault a contesté les propos de M. Raymond Forni selon lesquels l’opinion publique serait favorable au placement en détention provisoire du préfet Bonnet, constatant, en revanche, qu’elle ne comprenait pas la reconstruction, autorisée par le Gouvernement, d’une paillote construite illégalement. Il a par ailleurs jugé que le cas du préfet Bonnet était intéressant pour évoquer de manière plus large les abus en matière de détention provisoire et les pouvoirs exorbitants reconnus au juge d’instruction, indiquant que de nombreux membres de la Commission s’interrogeaient périodiquement sur le recours systématique à une incarcération qui n’était pas toujours justifiée par les nécessités de l’enquête.

M. Pascal Clément a fait part de l’inefficacité du système des permanences des juges d’instruction dans les juridictions, se demandant s’il n’était pas envisageable de saisir le doyen des juges d’instruction pour les affaires les plus importantes, afin d’éviter qu’un jeune magistrat sans expérience ne soit conduit à se prononcer par hasard sur une affaire d’Etat.

M. Christian Paul a estimé que la Garde des sceaux était fondée à ne pas critiquer la décision d’un magistrat de placer un prévenu d’importance en détention provisoire mais que, dans le cas du préfet Bonnet, la décision du juge d’instruction mettait en cause l’honneur d’un homme plutôt qu’elle n’était imposée par les nécessités de l’enquête. Faisant état du bilan dressé par la commission d’enquête, il a souligné les progrès accomplis en Corse depuis deux ans au regard des moyens à la disposition de la justice, observant que le travail des magistrats dans l’île était rendu difficile par le climat d’intimidation qui y règne. Partant du cas pratique corse, il a ensuite interrogé la Ministre sur les orientations qu’elle souhaitait définir en matière de politique pénale et sur les améliorations qu’elle souhaitait apporter afin que les services de police judiciaire puissent travailler plus efficacement sous l’autorité des magistrats.

Réagissant à ces propos, M. Michel Hunault a regretté le ton polémique adopté par M. Christian Paul, qui laisse de côté la politique et les actions de la justice menées sous le Gouvernement précédent.

Mme Catherine Tasca, présidente, a reconnu que la situation existant en Corse s’était installée progressivement et a jugé qu’il n’était pas opportun de faire reposer les responsabilités de cette situation une période trop courte.

Après avoir rappelé que le travail d’enquête policière était théoriquement placé sous la direction exclusive du juge, M. Arnaud Montebourg, s’est tout d’abord interrogé sur le contraste apparu depuis l’élucidation de l’assassinat du préfet Erignac entre, d’une part, la valorisation du travail effectué par les renseignements généraux et la direction nationale anti-terroriste et, d’autre part, la relative discrétion de l’autorité judiciaire, estimant que le travail effectué par cette dernière mériterait d’être reconnu à sa juste valeur. Rappelant les allégations selon lesquelles le préfet Bonnet aurait précocement transmis certaines informations nominatives à l’autorité judiciaire, il a ensuite souhaité savoir quelle utilisation en avait été faite par les juges chargés du dossier. Enfin, évoquant le rôle clef prétendument joué par la direction centrale des renseignements généraux dans cette affaire, il a demandé à la Ministre sur quels fondement juridiques cette même direction avait collaboré à l’enquête.

Mme Catherine Tasca, présidente a fait observer que la commission était réunie pour évoquer les moyens dont dispose la justice en Corse et non le fond d’une affaire faisant, de surcroît, l’objet de poursuites judiciaires, estimant, par ailleurs, qu’il ne lui revenait pas d’accorder des satisfecits à tel ou tel service ou administration de l’Etat.

En réponse aux intervenants, la Garde des sceaux a apporté les précisions suivantes :

—  En ce qui concerne la question de la prise en charge des frais de justice exposés par un agent public, la tradition veut que l’on distingue le cas de la faute non détachable du service, dans lequel cette prise en charge est possible, de celui de la faute détachable, hypothèse dans laquelle elle ne l’est pas. En l’espèce, le Ministre de la défense a considéré que la faute commise par les gendarmes était détachable, interprétation que le Ministre de l’intérieur ne partage pas en ce qui concerne les actions du préfet mais qu’il admet, en revanche, pour les agissements du directeur de cabinet du préfet de région que celui-ci a reconnus.

—  S’agissant de l’affectation des magistrats en Corse, le Gouvernement a décidé de ne pas y nommer de très jeunes juges au sortir de l’Ecole nationale de la magistrature, démarche soutenue par le CSM. De surcroît, le renforcement des obligations de mobilité permet de limiter l’impact des pressions auxquelles peuvent être exposés les magistrats en poste dans l’île.

—  D’une manière générale, le procureur général de Bastia n’a pas fait état de difficultés particulières en ce qui concerne les relations entre magistrats et officiers de police judiciaire en Corse. Cela étant, il convient de rappeler que l’évaluation des services et des effectifs déclenchée à la suite de l’assassinat du préfet Erignac a conduit à la mutation d’un certain nombre de hauts-fonctionnaires de police. Par ailleurs, s’agissant de la gendarmerie, il faut insister sur le fait que la mission confiée par le Gouvernement à l’inspection générale de cette arme, à la suite de l’incendie de la « paillote », n’a rencontré aucun obstacle.

—  Les réserves exprimées à l’égard du placement en détention provisoire du préfet Bonnet fondées sur le défaut de proportionnalité de cette décision ne tiennent pas compte du fait que les agissements reprochés à ce dernier relèvent, en principe, de la Cour d’assises. En outre, le parquet de Corse a considéré que cette mesure était justifiée par les besoins de l’enquête, étant entendu que, en tout état de cause, la décision d’incarcération a été prise par un magistrat indépendant. Si des interrogations sur l’opportunité de maintenir M. Bonnet en détention provisoire à ce stade de l’enquête sont acceptables, le ton employé par le président de l’association du corps préfectoral pour critiquer cette décision apparaît, en revanche, excessif. D’une manière générale, il convient de mettre en exergue le fait que les critiques formulées, de part et d’autre, sur cette décision de justice conduisent, ni plus ni moins, à remettre en cause l’indépendance du magistrat qui en est l’auteur.

—  Contrairement à ce qu’avancent certains, le juge d’instruction en charge de l’affaire n’est pas seul puisque 3 magistrats interviennent sur ce dossier, effectuant ainsi un véritable travail d’équipe.

—  S’il est exact que les magistrats ne font pas publiquement état de leur rôle dans l’élucidation de l’assassinat du préfet Erignac, il n’en reste pas moins que celui-ci a été essentiel, l’autorité judiciaire restant fortement impliquée dans le déroulement de l’enquête. Moyennant quoi, on peut regretter que le rôle des juges du tribunal de grande instance de Paris chargés de l’enquête n’aient pas été plus équitablement reconnus par les commentateurs.

—  Il est fréquent que les fonctionnaires des renseignements généraux livrent des informations aux officiers de police judiciaire, mais la question essentielle est de savoir comment ces informations sont ensuite traitées afin d’éviter qu’elles n’alimentent d’éventuelles enquêtes parallèles.

—  La rapide reconstruction de la « paillote » incendiée peut apparaître choquante, mais il convient de rappeler que, dès le 3 mai, le préfet Bonnet en avait autorisé le principe, sachant que le sursis à exécution de la décision de démolition prend fin le 30 octobre prochain.

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