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Session ordinaire de 1999-2000

COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION
ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE

RÉUNION DU MERCREDI 20 OCTOBRE 1999

Projet de loi de finances pour 2000

Audition de Mme Elisabeth Guigou, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux
sur les crédits de son ministère

PRÉSIDENCE de Mme Catherine TASCA

La séance est ouverte à neuf heures dix.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - Nous inaugurons la nouvelle procédure d'examen mise au point par le groupe de travail présidé par Laurent Fabius. Cette réforme a pour objectifs de rendre la discussion budgétaire plus vivante et d'éviter la répétition systématique, en séance publique, des débats de la commission.

Nous allons entendre le rapporteur spécial de la commission des finances, le rapporteur pour avis et tous les députés qui souhaiteront participer à cette discussion. La séance publique, quant à elle, aura lieu le 9 novembre : il n'y aura qu'un orateur par groupe. La procédure d'examen simplifié est ainsi appliquée à la discussion budgétaire.

Pour les questions les plus ponctuelles, je vous demande d'utiliser la procédure des questions écrites, celles-ci pouvant être déposées jusqu'à demain midi, soit quinze jours avant la séance publique.

La procédure des commissions élargies ne sera un succès que si nos débats conservent le caractère direct, vivant, du travail en commission, ce qui nous impose à tous d'être concis. Je n'ai pas de moyens de coercition, mais l'intérêt même de notre débat est en jeu.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Je suis heureuse d'inaugurer avec vous cette nouvelle procédure. Cette expérience valorisera le travail des commissions et nous permettra d'avoir un échange plus direct qu'en séance.

Le budget de la justice pour l'an 2000 est un très bon budget, pour la troisième année consécutive. Les crédits de mon ministère progressent en effet de 3,9 % soit une hausse d'un milliard. On enregistre 1 237 créations de postes : c'est encore plus que les années précédentes, puisque on en comptait 930 en 1999 et 762 en 1998.

Les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse augmentent dans une proportion historique.

Les crédits de fonctionnement des services progressent de 5,15 %.

Nous bénéficierons en outre de 1,5 milliard d'autorisations de programme pour la construction et la rénovation des palais de justice et des établissements pénitentiaires.

Sur les trois premiers budgets de la législature, les crédits de mon ministère auront donc progressé de 3,4 milliards, soit un gain de 14 %, et les effectifs auront gagné près de 3 000 postes. Nous rompons donc avec la vieille habitude des budgets « feux de paille ».

Les services judiciaires gagneront 382 emplois, 450 millions de crédits de fonctionnement et d'intervention et 805 millions d'autorisations de programme. Cet effort vise à améliorer le fonctionnement de la justice au quotidien et à mettre en _uvre les réformes entreprises.

Nous comptons aussi 212 créations de postes de magistrats judiciaires : c'est le plus haut niveau atteint depuis vingt ans. En trois ans, nous aurons créé 422 postes de magistrats judiciaires, c'est-à-dire davantage que pendant les dix ans qui ont précédé 1997.

S'agissant de la répartition de ces postes, cent iront à la mixité des tribunaux de commerce : il s'agit d'une réforme que je présenterai prochainement au Parlement, mais qui est d'ores et déjà financée. Quarante-huit postes sont prévus pour le contentieux de la liberté : 62 ont déjà été créés en 1999. Suite au dernier conseil de la sécurité intérieure, il a été décidé de consacrer 25 postes aux juges et substituts des mineurs. Trente-quatre postes serviront à la résorption des stocks, 4 à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et un poste est prévu pour l'état civil de Mayotte.

Nous avons aussi besoin de postes administratifs et c'est pourquoi nous créerons l'an prochain 145 postes de greffiers, contre 122 cette année. Si, en 2000, nous recrutons plus de magistrats que de fonctionnaires, c'est que les tribunaux de commerce ont déjà leurs greffes. Par ailleurs, nous renforcerons les moyens des tribunaux d'instance pour la mise en _uvre du Pacs.

Pour accompagner la déconcentration des services, nous allons créer 25 postes administratifs et techniques. Par ailleurs, seront recrutés 100 assistants de justice supplémentaires -ce qui nous permettra d'atteindre un total de 1 050- et 1 000 emplois-jeunes pour l'accueil du public.

Au plan statutaire, une provision de 20 millions sera constituée pour la réforme des carrières. Elle s'ajoutera aux 18 millions provisionnés en 1999. Dès que le Congrès se sera réuni, je pourrai vous présenter mon projet de loi organique relatif au statut des magistrats. Une fois de plus, il s'agit d'une réforme financée dès maintenant.

Au plan indemnitaire, une enveloppe de 17 millions ira aux agents de catégorie C et aux fonctionnaires des greffes.

Le fonctionnement courant n'est pas oublié avec 26 millions de plus pour les juridictions, ce qui permettra de financer la déconcentration, la mise en service de nouveaux bâtiments et la constitution des pôles de lutte contre la délinquance économique. A cet égard, nous avons déjà reçu 15 agents du ministère des finances. Les pôles de Paris, Bastia, Lyon, Marseille sont déjà constitués. Douze devraient être créés à terme.

Ces moyens supplémentaires seront aussi consacrés aux conseils départementaux d'accès au droit et aux maisons de la justice et du droit. Nous avons engagé une politique de partenariat avec les collectivités locales, qu'il s'agisse des contrats locaux de sécurité, des maisons de la justice ou des contrats de plan Etat-régions. Sur ce dernier point les crédits de mon ministère ont augmenté de manière spectaculaire.

Si la dotation des frais de justice augmente de 109 millions, cette hausse ne servira pas à financer une dérive des coûts mais à soutenir des mesures nouvelles. Ainsi, conformément à la loi sur la présomption d'innocence, 30 millions iront à l'indemnisation des personnes abusivement détenues. : conséquence d'un amendement adopté par votre Assemblée à l'initiative de M. Tourret. Suite à l'adoption de la loi du 18 juin 1999 relative à la sécurité routière, présentée par Jean-Claude Gayssot, 19 millions seront consacrés au dépistage de l'usage de stupéfiants dans les accidents mortels de la circulation. Dix millions financeront le recrutement de 200 délégués du procureur décidé lors du conseil de sécurité intérieure et 41 millions garantiront la couverture sociale des collaborateurs occasionnels du service public de la justice.

D'un montant de 1,54 milliard, l'aide juridictionnelle est en hausse de 100 millions, dont 47 millions pour renforcer la présomption d'innocence en garantissant l'intervention de l'avocat dès la première heure de garde à vue. En outre, 17 millions sont prévus pour revaloriser l'unité de valeur, ce qui s'ajoute à la hausse de l'année précédente.

Par ailleurs, 805 millions sont inscrits en autorisations de programme, ce qui permettra de lancer la construction des palais de justice de Pontoise, Cahors, Laval, Bobigny, Versailles ainsi que le désamiantage de Nanterre. En 1999 ont été réalisés les palais de Rennes, Nice, Grasse et ce sera bientôt le tour de Nantes. L'an 2000 devrait voir l'achèvement des chantiers de Grenoble et d'Avignon.

Un effort important est consenti en faveur des juridictions administratives : 83 créations de postes, dont 40 magistrats, contre 61 en 1999, dont seulement 20 magistrats. L'investissement sera renforcé grâce à une nouvelle tranche de 50 millions d'autorisations de programme, ce qui permettra de financer la restauration du Conseil d'État et l'ouverture des chantiers de Cergy-Pontoise et de Rouen.

Publique, la répartition des moyens s'est traduite par la mise au point d'un véritable plan d'urgence pour les cours d'appel, qui ont augmenté de 10 % leurs effectifs.

Je souhaite par ailleurs évaluer dans de meilleures conditions la qualité du service public de la justice, ce qui implique l'amélioration des statistiques, les indicateurs actuels étant trop grossiers.

La justice a fait un gros effort de productivité depuis vingt ans. Alors que le nombre des affaires est passé d'un million en 1979 à 2 millions aujourd'hui, les délais n'ont augmenté que de 25 % tandis que l'effectif des magistrats ne s'est accru que dans la même proportion.

Les frais de justice ont connu une augmentation spectaculaire, puisqu'ils sont passés de 1,1 milliard en 1993 à 1,6 milliard en 1998 : 100 millions par an en moyenne ! Nous avons donc pris des mesures réglementaires dès 1999, comme le contrôle des devis des expertises par le Parquet ou la révision du tarif des fourrières, et nous avons passé des contrats de gestion avec les cours d'appel : ces contrats consistent à verser aux juridictions un complément de crédits de fonctionnement à proportion des économies qu'elles réalisent sur les frais de justice. Les résultats sont là, puisque depuis neuf mois, le montant en volume des frais de justice s'est stabilisé.

S'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, notre politique a trois objectifs : se donner les moyens de répondre systématiquement aux actes de primo-délinquance, renforcer les dispositifs d'hébergement et développer les mesures de réparation.

Quels sont les moyens mis en _uvre ? Nous changeons d'échelle pour les créations d'emplois avec 380 postes nouveaux contre 150 en 1999, soit un saut quantitatif très important. En outre, par anticipation sur le plan décidé par le CSI, nous aurons l'an prochain l'autorisation de lancer des concours exceptionnels pour 300 postes supplémentaires ce qui portera à 680 les recrutements effectifs de l'an 2000. Quand on sait que le total des postes est actuellement de 6 000, on mesure l'effort du Gouvernement.

Les crédits de fonctionnement de la protection judiciaire de la jeunesse augmenteront de 67 millions de francs, soit 22 %, et ceux du secteur associatif habilité de 234 millions de francs, soit 19 %. Au total les moyens des services de la protection judiciaire de la jeunesse progresseront de 16 %.

Nous avons engagé la création de 100 centres éducatifs renforcés et de 50 centres de placement immédiat ; les deux tiers de ces CPI seront opérationnels fin 2000.

Nous renforçons également le service de protection de la jeunesse par de 600 emplois-jeunes, par l'affectation d'éducateurs dans les classes relais et les maisons de justice et par l'augmentation des effectifs des délégués du Procureur. Tous ces efforts vont nous permettre d'augmenter la prise en charge des jeunes délinquants. Le chiffre des mesures de réparation ordonnées par les juges est passé de 7 500 en 1998 à plus de 10 000 en 1999 et devrait atteindre 12 000 l'an prochain. C'est la façon la plus efficace de traiter la primo-délinquance.

Des mesures indemnitaires sont également prévues pour un total de 9,1 millions de francs, en particulier pour revaloriser les primes du travail du dimanche et des jours fériés du personnel de protection de la jeunesse.

En ce qui concerne l'administration pénitentiaire, elle reçoit 386 emplois, 434 millions de francs de crédits supplémentaires et 611 millions de francs d'autorisation de programmes nouvelles.

173 emplois serviront, première priorité, à améliorer les conditions de travail et de sécurité des personnels ; 122 emplois de surveillants sont ainsi prévus pour les actions sanitaires (douches des détenus, escortes pour les consultations médicales) et 51 pour le renforcement de l'encadrement, de la gestion et de la formation.

Deuxième priorité, 85 postes, dont 40 surveillants, sont créés pour améliorer la prise en charge des détenus notamment en détention provisoire, pour préparer le réinsertion et développer les projets d'exécution de peine, les alternatives à l'incarcération, les unités de visite familiale et pour achever la réforme des services pénitentiaires d'insertion et de probation.

Troisième priorité, 128 emplois, dont 118 personnels de surveillance, doivent améliorer la détention des mineurs, effort complété par 30 millions de francs de crédits d'équipement pour rénover une vingtaine de quartiers de mineurs et créer des quartiers supplémentaires. L'objectif est qu'il y ait pas plus de 15 ou 20 mineurs par quartier.

Des mesures indemnitaires sont également prévues pour l'administration pénitentiaire, notamment pour les primes du dimanche et des jours fériés.

En ce qui concerne la construction et la rénovation des prisons, le programme 4000 permettra la construction de six établissements nouveaux. Une première tranche (Toulouse, Lille et Avignon) a déjà été engagée, une seconde (Toulon, Meaux et Liancourt) va l'être, grâce à 150 millions supplémentaires en l'an 2000.

Au total 1,65 milliard d'autorisations de programme auront été ouvertes entre 1998 et 2000, pour un programme d'environ 2 milliards de francs, alors que seulement 350 millions de crédit étaient inscrits fin 1997. Après les chantiers routiers et autoroutiers, c'est le plus grand programme d'équipement civil de l'Etat.

Les travaux de réhabilitation courante seront menés à un bon rythme. J'ai lancé un programme de rénovation lourde des cinq plus grandes maisons d'arrêt (Fresnes, Fleury-Mérogis, la Santé, les Baumettes et Loos).

Enfin, 21 millions sont consacrés à l'aménagement de zones protégées pour les détenus dans plusieurs hôpitaux.

Je terminerai par les mesures générales. Un effort supplémentaire de 25 millions est prévu pour les associations qui apportent leur concours au service public de la Justice. Les crédits d'action sociale du ministère (restaurant, aide au logement, colonies de vacances) connaissent une nouvelle progression, de sorte qu'ils auront été revalorisés de 30 % en trois ans.

L'inspection générale du casier judiciaire bénéficie de quatre créations de poste, après cinq en 1999, soit un quasi doublement en deux ans. Vous savez l'importance que j'attache au renforcement des contrôles internes, non seulement pour le casier judiciaire mais aussi pour l'ensemble du service du ministère.

En conclusion, ce budget nous permettra de moderniser l'équipement, de poursuivre la rénovation des méthodes de travail, de simplifier les procédures et de renforcer les outils de contrôle.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - Nous sommes extrêmement sensibles à la constance de vos efforts et de ceux du Gouvernement pour améliorer les crédits de la justice. Nous allons maintenant entrer dans le détail des masses budgétaires. Je profite de l'occasion pour saluer la présence parmi nous de M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances, et M. Didier Migaud , rapporteur général du budget, qui a beaucoup contribué à la mise en place de cette nouvelle procédure.

Avant de donner la parole à M . Patrick Devedjian, je signale qu'il a souhaité, à titre personnel, que son rapport soit mis dès aujourd'hui à la disposition des parlementaires.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial de la commission des finances - Je me contenterai d'éclairer quelques points essentiels de ce budget.

Je voudrais d'abord décerner un satisfecit aux services du ministère qui, pour la première fois, m'ont donné des réponses complètes.

C'est un bon budget en termes quantitatifs puisque les crédits augmentent de 3,91 %, représentant 1,62 % du budget général. Cette évolution s'inscrit d'ailleurs dans un effort continu de tous les gouvernements successifs en faveur du budget de la Justice, puisqu'il a augmenté de 84 % depuis 1988. Je n'aurai pas l'audace de réclamer davantage, sachant ce que sont les disponibilités budgétaires.

Mais il faut voir aussi l'aspect qualitatif. A quoi servent de bons chiffres de crédit si le taux de consommation n'est pas satisfaisant ? Or il s'est fortement dégradé. Pour les dépenses en capital, la consommation des crédits de paiement est passée de 79 % à 64 % et les autorisations de programme de 81 % à 51 % ; même pour les dépenses ordinaires, le taux a légèrement baissé : 96 % contre 98 %. Certes les dépenses de fonctionnement augmentent, mais les dépenses d'investissement baissent de 9,27 %.

En outre, les délais de jugement se sont encore allongés, passant de 16,6 à 17,4 mois en cour d'appel et de 9,1 à 9,3 mois dans les tribunaux de grande instance.

Je vous félicite d'avoir augmenté le nombre de places en maison d'arrêt, mais la surpopulation carcérale n'en reste pas moins un problème lancinant. La gauche avait réduit le programme de 15 000 places lancé par M. Chalandon et il faut maintenant rattraper ce retard. Cette surpopulation carcérale est un vrai drame.

La réorganisation générale de la justice n'est pas assez abordée dans ce budget. En particulier le réforme de la carte judiciaire n'avance que très lentement. Certes vous avez supprimé cet été 36 tribunaux de commerce et vous avez bien fait. Mais pour les autres juridictions l'indispensable remise en ordre de la carte judiciaire ne progresse guère. Je sais que c'est une réforme difficile et impopulaire car tous les conservatismes, ceux des élus locaux, des avocats, des magistrats se conjuguent pour ne rien changer dans leur ressort. Pourtant la réforme concernant le juge de la détention provisoire, par exemple, ne pourra se faire que dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire.

Le ministère a besoin, lui aussi, d'une réforme. Vous vous y êtes attelée mais là aussi les choses vont trop lentement. Les observations de la Cour des comptes en 1997 n'ont pas eu de suite. Le régime particulier fait aux juridictions administratives ne se justifie pas. L'informatisation progresse et la dotation correspondante aussi, mais celle-ci reste inférieure à celle de 1993 ; en particulier l'informatique pénale reste fragmentaire et l'informatique civile est en retard. Est en revanche très positive l'informatisation du système de gestion des détenus.

Vous avez détaillé les recrutements de magistrats. Mais il faut bien voir que les contraintes de la pyramide des âges obligent à recruter de toute façon. Je regrette qu'il n'y ait pas nouveaux magistrats temporaires et pas de recrutements latéraux. Le productivité des magistrats se heurte à de grandes carences : à Paris, les trois quart des magistrats du siège n'ont pas de bureaux. Et alors que nous avons de plus en plus besoin de magistrats spécialisés, le système d'avancement les pénalise. Il faudrait une réforme sur ce point.

Les assistants de justice sont une bonne institution mais il faudrait une évaluation, un statut plus clair, peut-être des perspectives d'intégration. L'expérience du pôle financier de Paris est très instructive : c'est un progrès indéniable, mais qui ne représente qu'un ballon d'oxygène. On voit déjà poindre des difficultés et interrogations : le parquet reste coupé en deux, ce qui fait perdre beaucoup de temps dans les déplacements.

Et l'on voit bien en effet que le seul moyen d'assurer l'avenir de ce pôle financier est, comme vous semblez d'ailleurs vous-même y songer, de créer un nouveau tribunal de grande instance à Paris afin de restaurer l'unité physique du Parquet. Je souhaite donc que vous preniez rapidement cette mesure, qui permettrait en outre aux magistrats du siège de disposer des bureaux que le Palais de justice actuel ne peut leur offrir. On gagnerait en efficacité, d'autant que la juridiction de Paris est la plus importante de France.

Je m'interroge sur l'intérêt qu'il y a à multiplier les pôles financiers : après tout, la grande délinquance financière est elle-même concentrée à l'échelle nationale, tandis que les juges hautement qualifiés dans cette matière sont relativement rares. On pourrait par conséquent imaginer, comme en matière de terrorisme, une juridiction de compétence nationale. Bien que je sois député des Hauts-de-Seine, je me demande par exemple s'il s'imposait de créer un pôle à Nanterre : si près de Paris, cela ne peut conduire qu'à une dilution des moyens.

J'en ai terminé avec les coups de projecteur que j'annonçais. Au total, ce budget est un bon budget en termes quantitatifs, mais il ne dispensera pas des réformes toujours indispensables, qu'il s'agisse de réduire les délais de jugement ou de lutter contre la surpopulation carcérale, notamment.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis de la commission des lois - Madame la Garde des Sceaux, je ne vais certainement pas contredire M. Devedjian lorsqu'il constate que ce budget est à bien des égards en amélioration. De fait, ces crédits vous permettront de mener une politique intelligente et de financer les réformes nécessaires. Cependant, pour porter une bonne appréciation, il importe de considérer le fonctionnement de votre ministère et, plus généralement, le fonctionnement de la justice en France.

Ces dix dernières années, le budget de la justice a connu un accroissement considérable, de plus de dix milliards, ce qui nous permet d'espérer franchir en 2002 la barre des 30 milliards dont on se contentait de rêver il y a quelques années. Il importe toutefois de se demander à propos de tous ces crédits : pour quoi faire, et avec qui ? Le rôle de votre ministère est aujourd'hui mieux reconnu mais cela vous oblige à tout faire pour que votre département puisse rendre à la société le service qu'elle en attend, dans les meilleures conditions possibles. Comme je l'ai déjà dit l'an dernier, un tiers de nos concitoyens, soit près de vingt millions de personnes, ont, à un moment ou à un autre, affaire à la justice. Or beaucoup se plaignent de retards, ou regrettent l'insuffisance des crédits ou le manque d'activité des juridictions. Leur principal reproche est celui dont a fait état M. Devedjian : il a trait à la longueur excessive des procédures. Des progrès considérables ont été enregistrés ces dernières années, grâce au ministère, au Parlement qui a voté les budgets nécessaires, ainsi qu'à l'ensemble des personnels. En étant à mon dix-huitième budget de la justice... (Exclamations sur divers bancs)

M. Renaud Donnedieu de Vabres - C'est trop ! Vous êtes mûr pour le Sénat ! (Sourires)

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis - ... Je puis témoigner que tous ces efforts commencent à porter leurs fruits, mais qu'il reste encore beaucoup à faire.

La justice administrative fonctionne relativement vite, grâce à une transformation importante. On pourrait même considérer que, grâce au timbre à 100 francs, nos concitoyens ont un accès trop facile à ces juridictions de sorte qu'on s'adresse à elles pour tout et rien. Faut-il pour autant revenir sur cette mesure et relever ce droit ? Ce serait reconstituer la barrière de l'argent... Par ailleurs, cette justice n'est pas non plus à l'abri de lenteurs : à Paris, les 3 800 dossiers de reconduite à la frontière sont traités en un an, alors qu'ils devraient l'être en 48 heures.

Reste que la justice administrative actuelle permet aux Français de se faire mieux entendre, ce qui lui garantit d'être mieux reconnue.

M. Devedjian a jugé insuffisantes les autorisations de programme mais je crois que c'est à juste titre que vous avez souligné l'effort fait en ce domaine, en le comparant à celui dont bénéficiaient les programmes routiers et autoroutiers. Il me semble même que les dépenses prévues commencent à dessiner la nouvelle carte judiciaire : lorsque l'on consacre un million de francs à des travaux dans un tribunal, ce n'est certainement pas pour fermer celui-ci. On peut donc se féliciter de la concordance entre les crédits de ce budget et la carte qui m'a été communiquée en réponse à mes questions. Les études menées sur ce point doivent à tout prix être poursuivies, d'autant que la réforme des tribunaux de commerce a été bien accueillie.

J'ouvre une parenthèse pour remercier vos services d'avoir répondu à toutes les questions que j'avais posées en juillet,... sauf une -mais il est vrai qu'elle avait un caractère insidieux, sinon méchant : je demandais quel était le coût des erreurs de procédure, qui obligent à recommencer un travail déjà fait. Des économies seraient sans doute possible dans ce domaine.

S'agissant maintenant des emplois, vous avez raison d'insister sur l'accroissement des effectifs de magistrats et de fonctionnaires, mais il importerait de savoir précisément qui fait quoi, pour préciser les recrutements nécessaires. Les organisations syndicales que j'ai reçues parlent de supplétifs à propos des emplois temporaires. Il importerait donc de déterminer le rôle, ainsi que l'avenir, des agents de justice : la question est ici la même que pour les emplois jeunes. Quant aux assistants de justice, la plupart des magistrats se félicitent de leur création, mais il importerait de dresser un bilan et d'examiner si certains n'ont pas été conduits à outrepasser leurs fonctions, voire à rédiger des arrêts. Enfin on oublie le rôle des délégués des procureurs et, là aussi, un bilan s'imposerait.

Ces 27 milliards, tels qu'ils sont répartis, vous autorisent à mener une véritable politique de la justice et permettent d'espérer une amélioration de ses conditions de fonctionnement. Cependant, il importerait de mettre aussi l'accent sur la formation des personnels. Il faudrait aussi résoudre le problème des magistrats spécialisés, obligés par leur carrière de quitter le service pour lequel ils ont été formés. Il est dommage que l'effort ainsi consenti par la société soit perdu. Peut-être la loi sur le statut des magistrats permettra-t-elle d'y remédier -et il est d'autant plus urgent que nous nous rendions à Versailles afin de mettre en place un nouveau Conseil supérieur !

Au total, ce budget contribuera à la modernisation de la justice. Certains pourront critiquer telle ou telle insuffisance, mais pour ma part, je conclurai qu'il n'est pas si mal que ça !

M. André Gerin, rapporteur pour avis de la commission des lois - Je veux dire d'entrée de jeu que ce budget, quantitativement intéressant, augure d'une politique ambitieuse. Toutefois, l'effort devra encore être amplifié. On constate en effet trop souvent un décalage entre les décisions et leur mise en _uvre, décalage qui s'explique en partie par la façon dont fonctionne l'administration, en partie par des réticences du personnel, souvent dues à l'insuffisance de la concertation.

Cet effort qualitatif qui justifie mon avis très positif se heurte cependant aux retards accumulés ces vingt dernières années.

Il y a bien diminution de la surpopulation carcérale, mais elle reste insuffisante : le taux d'occupation des prisons est passé de 114 % en 1998 à 107 % en 1999. La politique de prévention du suicide qui a été mise en place doit être renforcée. Une réforme est en cours pour mieux préparer la sortie de prison. Il faut se soucier en particulier des unités de vie familiale et de la liberté conditionnelle.

En ce qui concerne le personnel pénitentiaire, l'action est sensible même si elle reste incomplète, avec des créations d'emplois, des mesures statutaires et indemnitaires et un effort de formation. L'élaboration d'un code de déontologie contribue également à un meilleur contrôle de l'administration pénitentiaire. Enfin, vous avez annoncé un effort de rénovation et de construction des établissements. Je souligne en particulier la situation insupportable de la prison de Saint-Denis de la Réunion.

S'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, l'augmentation des moyens en personnel est sans précédent. Cet effort devra être complété par des mesures de revalorisation statutaire et indemnitaire, par un effort pour le recrutement et la formation des délégués du Procureur, une meilleure prise en compte des situations d'urgence grâce à une coordination accrue. On a décidé une prise en charge immédiate dans les vingt six départements prioritaires, elle est effective dans neuf d'entre eux. Même si elle se heurte à des difficultés, la mise en place des centres de placement immédiat est une réelle innovation.

Vous manifestez la volonté politique de diversifier les réponses judiciaires. Ce n'est pas facile de la faire entrer dans les faits. On prend un plus grand nombre de mesures de réparation, mais beaucoup sont en attente d'application. Les centres d'éducation renforcée se développent, pour un coût certes élevé, leur bilan est positif. Les mineurs incarcérés sont mieux suivis, mais on peut regretter que leur nombre augmente.

Ayant rendu hommage sans complaisance à l'effort engagé, j'insisterai sur le dialogue social : il est fondamental pour la mise en _uvre de vos décisions. On s'efforce d'améliorer l'état du parc, mais comment rattraper le retard accumulé ? Il faut aussi que la création des unités de vie familiale prenne tout son sens et que la concertation soit meilleure avec le personnel concerné. En ce qui concerne l'exécution des peines, on a pris des mesures pour mieux gérer les longs séjours mais il en faudrait d'autres pour lutter contre leur caractère criminogène. D'autre part, il faut se soucier des effectifs du personnel de surveillance et notamment des départs à la retraite. En 1999, on a rattrapé une partie du retard mais qu'en sera-t-il en 2000 ? J'insiste encore sur le fait que 5 400 mesures judiciaires concernant les mineurs sont en attente d'exécution. En ce qui concerne les emplois-jeunes, la question fondamentale est leur pérennisation.

L'enfermement n'est pas une finalité en soi, et ce n'est pas notre philosophie. La question des mineurs délinquants -dans l'agglomération lyonnaise ils constituent 30 % du total- mérite tous les efforts. Le Gouvernement les a entrepris, communes et départements, doivent y participer.

Définir clairement les missions du service public de la justice pose un problème réel dans le personnel comme pour la société. A mes yeux, le service public doit être un service au public, dans une démarche véritablement républicaine.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - Avant d'ouvrir le débat, j'exprimerai deux préoccupations.

La première : l'extrême dénuement des établissements pénitentiaires de femmes et de l'outre-mer. Alors que nous abordons les droits des femmes non plus avec commisération mais avec une réelle volonté d'agir partagée par le Gouvernement. Il faut offrir aux femmes incarcérées des conditions dignes de notre temps. S'agissant de l'outre-mer, M. Gerin a mentionné le cas de Saint-Denis de la Réunion. Je sais que vous y êtes attentive. Nous sommes engagés dans la rénovation des relations entre l'outremer et la République et une loi d'orientation est en cours d'élaboration. Elle doit concerner l'institution pénitentiaire qui fait partie de l'image de la République et a souffert jusqu'ici d'un très grand abandon.

En second lieu, je me préoccupe de la formation de l'encadrement, en ce qui concerne les mineurs délinquants. Un obstacle à la mise en _uvre de votre politique est le nombre insuffisant d'animateurs et d'éducateurs compétents. Pour ouvrir des centres d'un type nouveau, il faut aussi du personnel d'un type nouveau. Quelles actions concrètes le Gouvernement envisage-t-il ?

M. Louis Mermaz - Après les rapporteurs, je salue à mon tour les efforts que vous déployez pour la troisième année afin que les moyens financiers soient à la hauteur des réformes. Néanmoins, comme l'a souligné M. Devedjian, il y a un problème de consommation des crédits d'investissement.

Vous affirmez l'ambition de rattraper le retard accumulé pendant tant d'années et de consacrer de nouveaux moyens à la mise en _uvre de réformes portant sur l'accès au droit, la procédure pénale, l'alternative aux poursuites, la présomption d'innocence, la médiation et les maisons de justice, l'aide judiciaire, l'indemnisation des victimes, la prévention de la délinquance des mineurs et les conditions de leur détention. Nous espérons que toutes ces réformes seront bientôt couronnées par celles du Conseil supérieur de la magistrature.

Il suffit d'écouter la radio pour constater la judiciarisation croissante de notre société. Ce matin encore, certains procès en cours tenaient plus de place que les 35 heures ou la mort de Nathalie Sarraute. On indiquait également que le tribunal de grande instance de Toulouse est extrêmement embouteillé. On parle surtout des affaires pénales, on parle moins du civil, où la situation est plus critique. C'est le cas en particulier pour le droit du travail ; il faut plusieurs années pour que la Cour d'appel se prononce sur un jugement prud'homal.

Nous vivons dans un climat sécuritaire. Pour l'opinion, il n'y a jamais assez de gens en prison. On finit par songer à Harpagon, qui voulait se donner la question à lui-même ! Ces comportements influencent parfois les élus. Or il faut aussi se préoccuper des droits de l'homme, de l'habeas corpus. Je suis sûr que vous le faites. On peut par exemple réfléchir à l'excellente idée de M. Toubon de créer un appel pour les jugements de Cour d'assises.

Le juge de la détention représente un progrès, mais bien des magistrats seraient prêts à aller vers la collégialité prônée par M. Badinter.

Le problème de la détention provisoire est immense. A l'occasion de l'examen d'une proposition de loi de M. Tourret, en avril 1998, nous nous étions penchés sur l'échelle des délits et des peines, totalement inadaptée à une société moderne. Le dépoussiérage du code pénal s'impose. Récemment un magistrat de rang élevé me disait qu'il y a 20 000 personnes de trop en prison ; revoir l'échelle des peines réglerait des difficultés, sans dispenser bien sûr de moderniser les établissements.

Lequel d'entre nous n'a pas été frappé en prenant le train, de voir un prévenu menotté, traîné en laisse par deux gendarmes tout aussi gênés que lui et que les voyageurs ? Le Garde des Sceaux Pierre Méhaignerie avait dit que l'usage des menottes devait être exceptionnel. Tout le monde n'a pas le caractère d'un José Bové brandissant ses menottes avant de devenir un héros national qui va aider le Gouvernement à se battre à Seattle... Une justice humaine ne saurait tolérer davantage un procédé moyenâgeux.

M. Jean-Luc Warsmann - L'examen de ce budget nous donne chaque année l'occasion de faire le point sur le fonctionnement du service public de la justice.

Force est de constater que des retards déjà colossaux ne cessent de s'accroître. Tous les délais s'allongent : devant les tribunaux d'instance, ils sont passés de 5 mois à 5,1, devant les tribunaux de grande instance, de 8,9 à 9,3 mois et, devant les cours d'appel, soit après les délais précédents, ils sont aujourd'hui de plus de 17 mois. Et si l'affaire va en cassation, un nouveau délai s'ajoute encore. Cela conduit dans un très grand nombre de cas à de véritables dénis de justice. Cela vaut particulièrement, on l'a dit, en matière de droit du travail, au mépris de l'égalité entre les parties car ce sont les salariés qui ont intérêt à un jugement rapide.

Les affaires en stock forment un océan : 579 000 devant les TGI pour les seules procédures civiles, 321 000 en appel, 111 000 en correctionnel. La résorption du stock doit être notre première priorité, c'est là que l'argent doit aller d'abord. Or, parmi les affectations de postes, la résorption du retard ne vient qu'en troisième position, avec 34 créations, soit un agent pour 7 cours ou tribunaux. Celui-ci sera certes le bienvenu mais vos choix, Madame la Garde des Sceaux, montrent votre méconnaissance des priorités. Chaque fois que vous faites voter une nouvelle loi, vous annoncez qu'elle sera financée : soit, mais, du coup, il n'y a presque plus de moyens pour la résorption.

Dans le secteur pénitentiaire, les conditions de travail des personnels et les conditions de détention sont indignes. Il y a eu, en un an, 118 suicides dans nos prisons et 278 agressions contre les personnels. Comment s'étonner que tous les syndicats critiquent votre projet de budget en parlant de « bricolage », de « résultats très insuffisants », ou, comme la fédération de la justice CFDT, en se demandant « à quoi servent les grands discours devant les parlementaires ? » Il y a quelque distance entre votre autosatisfaction et des dysfonctionnements de plus en plus mal vécus.

Les dépenses diminuent de 9,27 %, et surtout le taux d'exécution des autorisations de programme tombe à 51 %. Aussi parlons-nous d'effet d'affichage. Les moyens doivent être effectivement affectés à l'amélioration du fonctionnement du service public de la justice et des conditions de vie et de travail dans les services pénitentiaires. Je m'associe pleinement aux propos de Mme Tasca sur les établissements, en particulier celui de Saint-Denis de la Réunion. Le Vaucluse et Avignon sont, eux, particulièrement chanceux puisqu'ils ont bénéficié de la construction d'un nouveau palais de justice, pour un coût de 212 millions, d'un nouveau centre pénitentiaire doté de 122 emplois, pour un coût de 270 millions et du renforcement du TGI. Je souhaite que le dynamisme de ce département s'étende à toute la France...

M. Georges Hage - Les chiffres de ce budget montrent que l'effort destiné à répondre aux besoins de justice de nos concitoyens se poursuit. Si je fais confiance à la dialectique du quantitatif, pour autant je suis saisi par l'accroissement du nombre des affaires ainsi que du besoin de justice de nos concitoyens. Cela vaut particulièrement devant les prud'hommes et en matière de justice pénale. Je me demande donc si ce budget remédiera enfin à la lenteur du règlement des affaires. Bien sûr, je me félicite des créations d'emplois annoncées, mais le retard est si considérable !

Il faut donner un véritable statut aux auxiliaires et aux vacataires.

Je me félicite du recrutement de 680 agents et de 600 adjoints de justice. J'aimerais toutefois avoir des précisions sur la formation dont ils bénéficieront et sur leur intégration au sein des équipes.

Les incarcérations injustifiées ne sont pas acceptables dans un régime républicain. Si on les évitait, les prisons seraient plus confortables et le travail des surveillants serait plus facile. C'est à juste titre que l'on a insisté sur la situation dans les DOM. Dans tous ces domaines, il convient de réfléchir aux alternatives à l'incarcération et de renforcer les textes sur la présomption d'innocence.

Je m'interroge sur les efforts qui pourraient être accomplis pour faciliter la réinsertion des détenus libérés, car qui a péché risque de retomber dans le péché...

Les représentants syndicaux que j'ai rencontrés souhaiteraient, Madame la Garde des Sceaux, dialoguer davantage avec vous.

Enfin, le plafond requis pour l'obtention de l'aide juridictionnelle ne permet pas, me semble-t-il, de satisfaire au principe d'égalité d'accès au droit.

Mon groupe votera ce budget.

Un mot encore. Comment, quand on parle de justice, ne pas penser au sort réservé à Abu Jamal ? Je souhaiterais une intervention de votre part à ce propos.

M. Jean-Antoine Léonetti - Madame la Garde des Sceaux, vous vous réjouissiez que ce budget augmente de 3,9 %, soit trois fois plus vite que celui de l'Etat. Mais n'aviez-vous pas affirmé devant notre commission que la comparaison entre le budget de la justice et celui de l'Etat n'était pas pertinente... M. Floch a dit : ce n'est pas si mal que cela. Je dirai plutôt : ce n'est pas si bien que cela. Tout dépend en fait si l'on regarde d'où l'on vient ou les chantiers qui demeurent.

Certes 1 237 emplois sont créés, mais le Gouvernement nous dit qu'ils seront essentiellement affectés aux nouvelles réformes -juges de la détention et juges professionnels dans les tribunaux de commerce. Les retards ne seront donc pas comblés.

M. Mermaz a rappelé à juste titre que nos concitoyens demandent de plus en plus de justice et une justice de plus en plus sévère. Mais il faut plus de moyens. Comment ne pas voir, un an après le vote de la loi sur la délinquance sexuelle, qu'ils ne sont toujours pas suffisants pour procéder aux enregistrements des enfants.

L'augmentation de la population carcérale peut réjouir si on la voit avec les yeux du ministre de l'intérieur, mais on peut la déplorer quand on sait que les prisons sont surpeuplées et que des innocents peuvent être incarcérés.

La création d'un nouvel espace judiciaire européen va augmenter les besoins.

Par ailleurs, la délinquance des mineurs ne fait que s'aggraver : elle représente 50% de la violence de rue et jusqu'à un tiers des délits dans certaines agglomérations. Cette explosion de la délinquance juvénile devrait vous inciter à revoir l'ordonnance de 1945 plutôt que de créer des postes dont l'utilité est douteuse.

Au quotidien, la situation de la justice reste misérable. Sa lenteur a été soulignée par tous. Les délais ont augmenté de 25 % : « seulement 25 % », avez-vous dit. Nos concitoyens retiennent que la justice est de plus en plus lente.

Les greffes manquent de moyens, l'informatique est en retard et dans les prisons, on incarcère des personnes présumées innocentes, sans pour autant parvenir à réduire le taux de récidive. Dans l'esprit des Français, le doute persiste, d'autant que des dossiers disparaissent, du fait des sectes ou, à Nice, nous dit-on, d'un réseau maçonnique...

S'agissant du procès Papon, le Gouvernement nous a indiqué hier que vous vous étiez personnellement impliquée, afin que M. Papon soit condamné à la peine qu'il mérite. Je note donc qu'il n'est pas inutile que le Garde des Sceaux intervienne individuellement dans certaines affaires (Sourires).

Le ministère de la justice est celui qui crée le plus d'emplois précaires. Les personnes recrutées en emploi-jeune rempliront nécessairement des missions techniques en remplacement des fonctionnaires indispensables.

Le partenariat avec les collectivités locales, sympathique en apparence, est surtout inquiétant. Les maisons de la justice et du droit devront-elles toutes être fournies par les communes ? La rénovation des tribunaux de commerce devra-t-elle être financée par les municipalités ? Nous assistons à un nouveau transfert financier en direction des collectivités locales, alors que c'est une fonction régalienne de l'Etat qui est en cause.

Au lieu d'engager des réformes médiatiques, il aurait mieux valu répondre aux préoccupations des Français, par exemple en déposant un projet de loi de programme sur les fonctions régaliennes de l'Etat. Vous me répondrez que de telles lois trouvent rarement une traduction budgétaire ; cependant, vous semblez envisager les choses dans la durée, puisque vous programmez des investissements jusqu'en 2004. Mieux vaudrait définir des priorités et agir de manière globale plutôt que de saupoudrer.

Sur une augmentation de 3,9 % des crédits, moins d'un point servira à améliorer la justice au quotidien. Vous ne répondez pas à l'attente des Français.

M. Alain Tourret - A l'aube de l'an 2000, la France commence enfin à disposer d'une justice suffisamment pourvue en emplois et moyens.

Les Français attendaient un signal fort. Ils l'ont avec ce budget qui s'inscrit dans la continuité des deux précédents et, par rapport à ceux-ci, est même en progression. Il s'agit à la fois d'améliorer le fonctionnement quotidien de la justice et de mettre en _uvre les réformes votées. C'est donc un satisfecit que je vous donne.

Vous créez 1237 emplois, ce qui est exceptionnel : c'est grâce à votre ministère que le solde des emplois dans la fonction publique sera positif. Il faudra cependant s'interroger sur la courbe des âges. En effet, 750 000 fonctionnaires partiront en retraite dans les 15 ans à venir : il faudra éviter de les remplacer par à-coups.

Le dispositif de l'aide juridictionnelle devra être revu pour les procès de longue durée. Cela existe déjà en cour d'assises, mais pas en correctionnelle, si bien qu'on ne peut rémunérer les avocats. Il faut remédier à ce problème.

S'agissant des établissements pénitentiaires, celui de Saint-Denis de la Réunion est une honte pour la République. La France sera fatalement condamnée par les juridictions internationales. On enferme dans un véritable mouroir des personnes qui ne devraient qu'être privées de leur liberté. Il faut prendre immédiatement des mesures.

Plus largement, nous devrons réfléchir à la fonction même de l'emprisonnement. Les condamnés à perpétuité n'ont aucun espoir de voir leur situation s'améliorer : on place ainsi de la dynamite dans nos établissements pénitentiaires.

L'assignation à domicile n'a pratiquement jamais lieu. Par ailleurs, je trouve anormale la présence de jeunes mères de famille dans les centres de détention. Leur situation est insupportable, d'autant qu'on leur enlève leur enfant dès qu'il atteint ses 18 mois. L'Italie a su résoudre ce problème.

M. Devedjian a parlé de la carte judiciaire. Il s'agit là d'une réforme inscrite dans la loi : elle doit intervenir dans les deux années qui suivront le vote de la loi sur la présomption d'innocence. Ce ne sera pas simple. En outre, il ne faudra pas se contenter de mesures de suppression, mais réadapter le dispositif, par exemple en créant des chambres déléguées.

L'utilisation des vidéo-conférences reste insuffisante, alors que de nombreux magistrats ont déjà réfléchi à ce sujet. On pourrait par cette technique moderniser notre justice.

Nos concitoyens réclament une justice plus rapide. L'exécution provisoire doit être de plein droit dans tous les dossiers -sauf dans les affaires touchant à l'état des personnes- sous le contrôle des premiers présidents. Actuellement, l'exécution provisoire reste l'exception et c'est pourquoi notre justice traîne.

Madame la Garde des Sceaux, votre budget est remarquable. Les Français ont un besoin toujours plus fort de justice. N'est-ce pas une société moderne qu'une société qui a confiance en ses juges ?

M. Pascal Clément - Analysé quantitativement, ce budget se caractérise par une hausse importante. Mais je voudrais me placer dans une autre perspective : comme l'a dit M. Tourret, notre société, parce qu'elle est moderne, fait de plus en plus appel à la justice, si bien que vos efforts budgétaires ne suffiront pas à supprimer le décalage qui persiste entre les moyens dont elle dispose et son rôle actuel dans notre société. Nous sommes même loin du compte. Aucun gouvernement n'a pris en compte ce changement de dimension.

Sur 212 postes de magistrats créés, 100 iront aux tribunaux de commerce et les autres serviront à mettre en _uvre la réforme de la détention provisoire. Au total, le nombre des juges restera donc inchangé dans les autres juridictions.

S'agissant de la délinquance économique, vous nous dites que 15 agents des finances ont été mis à la disposition de votre ministère. Leur compétence technique sera bien venue, mais compte tenu de la faiblesse de la formation économique des magistrats, est-ce suffisant ? Ce le sera d'autant moins que nous allons vers l'échevinage dans les tribunaux de commerce.

Il faut aussi rationaliser la décision dans les jugements d'assises, mais personne n'a pris la décision politique de prévoir un effort budgétaire supplémentaire en vue d'instituer un double degré de juridiction.

Pour réprimer la délinquance des mineurs, 10 millions sont consacrés à augmenter le nombre des délégués du procureur. Compte tenu des statistiques, en particulier dans la région parisienne, c'est tout à fait dérisoire.

Oui, c'est un bon budget comparativement aux autres, mais c'est un mauvais budget si on considère la place qu'a prise la justice dans notre société.

Mme la Garde des Sceaux - Je trouve cet échange très intéressant et je remercie les rapporteurs et intervenants qui ont salué l'effort budgétaire accompli depuis trois ans. C'est vrai qu'un bon budget ne résoud pas tous les problèmes : les délais de jugement, la qualité du travail, la situation des prisons restent des difficultés majeures. Je voudrais donc maintenant être plus explicite sur la politique que nous menons pour améliorer les performances quantitatives et qualitatives de ce grand ministère.

M. Devedjian s'est interrogé sur la consommation des crédits. C'est une question à laquelle je suis très attentive. Nous constatons un bon taux de consommation pour les dépenses de fonctionnement, des progrès pour les vacances d'emploi. C'est vrai qu'il y a un retard en ce qui concerne l'administration pénitentiaire, mais c'est l'effet du coup de frein donné en 1996 et 1997. Par exemple, pour le programme de construction de prisons, 2 milliards de francs ont été inscrits en 1995, mais seulement 350 millions en 1996. C'est moi qui ai sauvé ce programme en inscrivant 800 millions de francs d'autorisations de programme en 1998 et 700 millions en 1999. Il faudrait éviter ce genre de coups d'accordéon pour les programmes de construction. Mieux vaut annoncer moins et tenir le rythme. Nous avons maintenant lancé la procédure de concours mais il est certain que le taux de consommation des crédits serait meilleur s'il n'y avait pas eu de rupture pendant deux ou trois ans. Pour le programme 4000, la consommation des crédits est actuellement très bonne.

Vous avez à juste titre appelé l'attention sur le grave problème des délais. C'est peut-être le sujet qui me préoccupe le plus. En moyenne le délai de jugement s'élevait en 1998 à un peu plus de 9 mois dans les tribunaux de grande instance, à 16 mois dans les juridictions pénales et à 17 mois dans les cours d'appel. Je rappelle que nous avons connu des délais analogues dans les cours d'appel au début des années 80 ; puis il y a eu une réduction des délais avant qu'ils ne remontent à nouveau.

Les statistiques de 1998 ne peuvent pas refléter l'augmentation de moyens réalisée en 1998-1999 : les premiers magistrats supplémentaires sont arrivés dans les tribunaux en juin 1999, grâce au concours exceptionnel. Auparavant, pardonnez-moi, mais on a géré la pénurie, même si cela vous fait sourire, Monsieur Warsmann !

M. Jean-Luc Warsmann - L'an prochain, ce sera plus dur d'argumenter comme cela !

Mme la Garde des Sceaux - Le décalage entre les moyens budgétaires et les résultats est inévitable.

Dans les tribunaux de grande instance, on observe des disparités importantes selon les contentieux : par exemple le délai moyen pour le divorce pour faute est de 15 mois, celui pour le divorce simple est de 9 mois. C'est la preuve que les réformes déjà engagées concernant le divorce, comme celles à venir, font diminuer les délais. Quand les procédures sont interminables et tendent à aggraver les conflits, les délais augmentent.

Toujours dans les tribunaux de grande instance, la moitié des affaires civiles se règlent en moins de six mois, les trois-quarts en moins de neuf mois. Ce sont les 10 % d'affaires très longues qui font remonter la moyenne. Cette longueur tient en partie à la complexité de ces affaires, mais on observe aussi de grandes disparités selon les tribunaux ; c'est pourquoi je m'efforce d'améliorer l'information interne sur les procédures et pratiques qui réduisent les délais, par des notes et par le réseau intranet. Les contrats de juridiction amènent également des progrès.

Cette question n'est pas simple à résoudre, car il faut également être attentif à la qualité des jugements : un tribunal de grande instance juge un divorce en six ou sept mois, mais crée des conflits qui se poursuivent après le divorce alors qu'un autre peut prendre neuf mois, mais régler tous les problèmes.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial - Il y a aussi ceux qui sont plus longs et qui ne règlent rien ! (Rires)

Mme la Garde des Sceaux - On ne peut donc pas se contenter d'une approche purement quantitative. L'augmentation des moyens peut servir aussi à améliorer la qualité du service rendu.

Néanmoins je pense qu'il faut une action plus forte pour réduire les délais de jugement et c'est pourquoi j'ai développé les contrats de gestion : par exemple, nous avons donné à la cour d'appel de Douai des emplois en surnombre contre l'engagement de résorber le retard accumulé en cour d'assises ; résultat, en 18 mois le délai de jugement est passé de deux ans à six-huit mois. Nous avons fait la même chose avec la cour d'appel d'Aix : l'effectif de la chambre sociale a été renforcé de façon à créer une deuxième section et cela a permis de stabiliser les stocks d'affaires en cours.

La réduction des délais passe aussi par une modification des règles de procédure -j'y reviendrai.

Plusieurs d'entre vous ont souligné qu'il faudrait affecter plus de moyens à la résorption des délais et des stocks, et moins aux réformes. Mais je note certaines contradictions dans vos propos car M. Léonetti, par exemple, a réclamé en même temps la réforme de la cour d'assises prévue par M. Toubon, qui mobiliserait 100 magistrats par an !

M. Jean-Antoine Léonetti - Je n'ai pas dit cela !

Mme la Garde des Sceaux - Excusez-moi, c'est M. Clément.

Les réformes en cours devraient aboutir à une réduction des délais. Ainsi la création d'un juge de la détention provisoire et la réforme de la présomption d'innocence sont de nature à diminuer le nombre des détenus. La réforme des tribunaux de commerce devrait également éviter un certain nombre de détresses sociales qui génèrent des contentieux.

Il ne faut donc pas avoir une vue mécanique des choses. Les réformes qualitatives sont nécessaires à la fois pour améliorer la justice et pour réduire les délais. M. Mermaz a cité les lois sur l'accès au droit et la simplification de la procédure pénale qui, sans mobiliser de moyens très importants, vont permettre de désencombrer les juridictions en remplaçant le recours au tribunal par la transaction, la médiation et l'arbitrage.

Nous allons poursuivre le travail entamé avec les chefs de cours d'appel en vue de la déconcentration. Le fait de créer des postes de chefs de service administratifs régionaux auprès des présidents de cour d'appel va leur permettre de mieux répartir les moyens et d'améliorer la gestion des juridictions.

Ceci dit, il faut être toujours prudent avant de parler de réduction des délais car il est vrai que l'allongement actuel vient aussi de l'augmentation considérable du contentieux. C'est un phénomène de société important et je n'ai pas la prétention de le contenir.

En ce qui concerne l'informatisation, pour répondre aux questions posées par M. Devedjian, je précise que le logiciel civil a été labellisé en 1998 et qu'il équipe les deux tiers des cours d'appels et la moitié des tribunaux de grande instance. C'est un réel succès. A Paris, une chaîne informatique civile sera introduite en janvier 2000 et son déploiement devrait être achevé en mars.

A propos de la carte judiciaire, je voudrais rappeler quelques faits simples. Au cours de ce siècle, il n'y a eu que deux réformes, la réforme Poincaré et la réforme Debré.

M. Jacques Floch - Il va y avoir la réforme Guigou !

Mme la Garde des Sceaux - Ce ne sera que la troisième réforme du siècle et ce sera la première à toucher à la carte judiciaire. Cela devient urgent.

M. Pascal Clément - Bon courage !

M. Robert Pandraud - Il vous faudrait des ordonnances !

Mme la Garde des Sceaux - Ce serait plus facile mais les temps ont changé, Monsieur Pandraud.

M. Robert Pandraud - Alors, parlons de décrets-lois !

Mme la Garde des Sceaux - Je préfère jouer sur le partenariat.

Cela prendra sans doute beaucoup plus de temps que si l'on procédait par ordonnance ou par décret loi, mais la réforme sera beaucoup mieux acceptée !

Nous allons donc poursuivre sur la voie engagée. S'agissant des tribunaux de commerce, la réforme devrait être achevée à la fin de l'année ; un nouveau décret va paraître, car le premier ne concernait, je le rappelle, que les six circonscriptions les plus encombrées. Pour la suite, j'entends m'en tenir à une méthode fondée sur la concertation et le partenariat car il est indispensable d'obtenir l'accord des élus locaux et des barreaux, qui sont concernés autant que les magistrats. Comme l'a dit M. Tourret, il ne faut pas raisonner seulement en termes de suppressions, il faut recourir à des moyens multiples tels que les chambres détachées ou les audiences foraines. La justice peut en effet être rendue efficacement ailleurs qu'entre les murs des tribunaux. Déjà, dans la mesure où il ne pourra y avoir un juge de la détention provisoire dans chaque TGI, la réforme de la détention provisoire nous incite à renouveler notre approche.

Faute de comptabilité analytique et parce que les dépenses ne sont pas organisées en fonction de l'utilisation des moyens, il est bien difficile de répondre à la question de M. Floch sur le coût d'un procès. Nous allons cependant essayer d'apprécier plus finement l'activité des juridictions. Cela suppose d'étudier préalablement les questions de méthodologie.

S'agissant des assistants de justice, la direction des services judiciaires est en train de dresser un bilan. J'ai demandé des rapports à tous les chefs de cour et j'ai l'intention de rédiger une circulaire à ce sujet avant la fin de l'année, pour préciser les choses. Pour moi, -et c'est d'ailleurs conforme à la conception traditionnelle-, ces assistants ne sont pas destinés à se substituer aux fonctionnaires ; ils ne sont là que pour assister les magistrats en faisant pour eux des recherches documentaires...

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial - Les pratiques sont très diverses.

Mme la Garde des Sceaux - En effet, mais il faut rappeler qu'il s'agit d'étudiants en fin de cursus. Ils trouvent là le moyen d'une formation pratique, mais tous ne sont pas destinés à être magistrats et ce stage n'est pas non plus la voie d'accès privilégiée aux concours de la magistrature.

Il existe actuellement quatre pôles financiers, mais le besoin s'est fait sentir d'en créer d'autres. Je n'ai pas encore pris de décision sur leur localisation mais on peut penser à Bordeaux, par exemple. Et s'il est vrai, Monsieur Devedjian, qu'on peut s'interroger sur la nécessité de celui de Nanterre, je vous ferai observer que les affaires de délinquance économique et financière sont aussi nombreuses dans la circonscription de Versailles que dans celle de Paris. Quant à la centralisation, je ne crois pas qu'elle soit opportune en l'occurrence. D'ailleurs, comme j'ai pu le constater en Corse, les différents pôles commencent à travailler en collaboration. Surtout, cette centralisation ferait courir le risque d'une déresponsabilisation des juridictions. J'estime donc préférable de disposer de dix ou douze de ces pôles sur l'ensemble du territoire.

Par ailleurs, il importe de se garder d'un excès de spécialisation. Les magistrats doivent rester des généralistes et, même si je ne discute pas la nécessité d'une meilleure formation aux matières économiques et financières, ils n'ont pas à devenir eux-mêmes des experts. Il suffit qu'ils sachent et puissent recourir à des experts extérieurs, ce qui leur permettra de garder la hauteur de vue indispensable à leur mission.

Pour ce qui est de la pénitentiaire, nous allons expérimenter les unités de vie familiale dans trois établissements dont la liste est encore à établir. Parmi les trois, figurera sans aucun doute un établissement pour femmes : celui de Rennes certainement. Pour les autres, une concertation avec les personnels est indispensable.

Afin de lutter contre la délinquance des mineurs, je me suis engagée à ouvrir d'ici à 2001, cinquante centres de placement immédiat. Il est vrai que l'opération a commencé difficilement, le budget précédent ne comportant pas de moyens supplémentaires à cet effet -il a fallu demander un effort au personnel. Cependant, tout devrait s'arranger l'an prochain compte tenu de l'importance des crédits prévus. Plusieurs de ces centres vont être créés avant la fin de l'année : ainsi à Villeneuve-d'Ascq et à Bruay la Buissière, à Savigny, à Coulonges au Mont-d'Or, à Saint-Genis, à Saint-Etienne, à Perpignan, à Toulon et à Schoelcher, à la Martinique. Dans beaucoup de cas, il ne s'agira en fait que de transformations, mais il devrait y avoir aussi de véritables créations, dont une dans la Seine-Saint-Denis, en liaison avec le secteur associatif. Cinq transformations devraient avoir lieu d'ici à la fin du mois et trois créations d'ici à la fin de l'année : à Toulon, à Chartres et en Seine-Saint-Denis. Les derniers arbitrages vont être rendus et la liste sera publiée prochainement.

Vous avez raison, le suicide dans les établissements pénitentiaires représente un vrai drame. On en a constaté 118 l'an passé, ce qui était moins que l'année précédente, mais le nombre en a augmenté à un rythme inquiétant cette année malgré la vigilance accrue des personnels et la circulaire que j'ai adressée l'an dernier aux chefs d'établissements pour leur demander d'être particulièrement attentifs aux moments les plus cruciaux : le retour de garde à vue et l'entrée dans les quartiers d'isolement. L'action doit être multiforme : il faut améliorer les conditions d'hygiène, rompre l'isolement de ceux qui ne reçoivent aucune visite, lutter contre l'indigence...

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial - La période la plus dangereuse se situe à l'arrivée en prison, qui représente un véritable choc.

Mme la Garde des Sceaux - En effet, surtout si cette entrée se fait en pleine nuit. Dans la circulaire de mai 1998, j'ai donc insisté pour que les intéressés puissent prendre rapidement une douche, après ces deux jours passés sans pouvoir se laver. Mais j'ai aussi appelé l'attention sur les détenus dépressifs, en souhaitant une prise en charge individualisée. Pour cette opération de vigilance, j'ai désigné des sites pilotes et nous avons ainsi pu sauver plusieurs vies.

Mme la Présidente de la commission - Tous ces efforts sont sans doute indispensables mais il me semble que l'essentiel est d'améliorer globalement les conditions de détention, comme vous essayez de le faire. Je ne nie pas l'intérêt d'un suivi individidualisé, par exemple, mais je ne suis pas convaincue que ceux qui se tuent aient été prédisposés au suicide : ce qui joue surtout, c'est le choc produit par l'arrivée en détention.

Mme la Garde des Sceaux - En ce qui concerne les prisons les plus dégradées, je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit des crédits de construction et de rénovation, et je répondrai simplement à la question posée par plusieurs d'entre vous à propos de Saint-Denis. Comme je l'ai déjà dit en réponse à une question orale, des crédits ont été dégagés pour essayer de remédier à la surpopulation, pour accroître la capacité d'accueil du centre du Port et pour réaménager les cuisines. J'ai aussi demandé au préfet d'étudier les possibilités d'achat de terrain. Les problèmes les plus préoccupants devraient donc être réglés.

Il y a sans doute trop de mineurs en détention mais je pense que la loi sur la détention provisoire permettra d'en réduire le nombre. D'autre part, il convient de construire de nouveaux centres de détention et d'assurer une meilleure prise en charge de ces jeunes détenus, en désignant un surveillant référent. Cela demande des moyens supplémentaires mais j'espère que nous y parviendrons l'an prochain.

Au passage j'indique que si des mesures concernant les mineurs sont en attente d'exécution, leur nombre diminue. Nous espérons résoudre ce problème grâce à l'affectation des moyens supplémentaires, et notamment d'éducateurs, prévus au budget.

Le dialogue social est l'une de mes premières préoccupations. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine. Au ministère, je m'efforce de le mener avec les syndicats. Il faut faire des progrès dans les juridictions. J'ai demandé un effort aux chefs de cour. Les choses avancent, mais il y avait beaucoup d'habitudes et toute une culture à changer. Cela prend du temps.

Pour ce qui est des emplois-jeunes, en l'occurrence les agents de justice, nous sommes très attentifs à leur formation. Dans les juridictions nous avons mis en place une formation initiale d'adaptation à l'emploi en 4 à 6 semaines ainsi qu'une formation continue, et nous nous attachons à faciliter l'accès aux concours administratifs. Nous procédons de même dans l'administration pénitentiaire, avec notamment un livret de suivi du jeune.

J'ai déjà répondu sur les prisons d'outre-mer dont Mme Tasca s'est également préoccupée. Depuis quelques années, nous avons construit de nouveaux établissements à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane. Restent les deux établissements de Saint-Denis et de Nouméa où la situation est effectivement déplorable. J'espère que nous pourrons y remédier sans tarder.

Le nombre de femmes incarcérées est stationnaire. Il est encore plus important dans leur cas de préparer et d'améliorer les conditions de sortie car leur réinsertion professionnelle est plus difficile. Des programmes de formation sont en cours, dans des établissements comme celui de Rennes. Nous sommes attentifs en particulier à l'accueil des enfants. Il est vrai qu'il est déchirant de les faire partir entre 18 mois et 2 ans, mais les psychologues disent bien qu'ils ne peuvent rester en milieu clos. Grâce aux cellules ouvertes, nous veillons à une première forme de socialisation. Le contact avec le père pose également problème, notamment quand les deux parents sont détenus. Nous cherchons à placer les enfants dans des familles qui ne soient pas trop éloignées de l'établissement afin de maintenir le contact.

Enfin j'ai conscience de l'importance de la déontologie. Un code est en cours d'élaboration et la commission Canivet fera un rapport sur le contrôle externe. Il faut rendre plus claires les missions du service public de la justice. Nous nous y efforçons en particulier avec les maisons de justice et du droit. Il y en avait 16 à mon arrivée, il devrait y en avoir une centaine à la fin de l'année prochaine.

M. Mermaz a raison, on porte beaucoup d'attention au pénal et peut-être pas assez au civil. Je n'oublie pas la réforme de la cour d'assises qu'il a mentionnée, mais il faut arbitrer sur l'affectation des moyens. J'espère progresser sur la mise au point du système tournant, -sans pouvoir prendre d'engagement puisque cela ne dépend pas que de moi-, et disposer des moyens nécessaires en 2001.

M. Mermaz a évoqué également les droits de l'homme. S'agissant du juge de la détention, la collégialité était prévue dans la réforme Badinter, elle ne l'était plus dans la réforme Vauzelle. Là encore ce sera une question de moyens. Voyons d'abord comment fonctionne le système. S'il fonctionne bien, mieux vaut affecter les moyens qui nous restent à réduire les délais. En ce qui concerne l'utilisation des menottes, l'article 803 du nouveau code de procédure pénale fixe déjà des conditions précises. Mais l'escorteur, qui est un gardien sur lequel pèse toute la responsabilité, prend des précautions parfois excessives. Le débat sur la présomption d'innocence permettra de parler de nouveau de ce problème et, j'espère, d'aller dans le bon sens.

M. Louis Mermaz - Il y a également les transferts en train...

Mme la Garde des Sceaux - et en avion, c'est certain. Lorsque l'usage des menottes est inévitable, je préfère qu'au moins, on ne prenne pas de photos.

M. Warsmann est intervenu sur un ton plus polémique...

M. Patrick Devedjian - Il est dans l'opposition !

Mme la Garde des Sceaux - Vous aussi, et vous n'êtes pas intervenu sur ce ton... cette fois (Rires). Il a parlé d'Avignon, ma terre d'élection. Je suis heureuse de confirmer que la livraison du palais de justice d'Avignon aura bien lieu début 2000, si tout va bien, et que celle de la nouvelle prison du Pontet -dont le maire est RPR- qui remplacera celle d'Avignon, devrait avoir lieu en 2001. A mon arrivée j'ai trouvé des dossiers techniques tout prêts concernant la prison et le palais de justice d'Avignon ; il ne manquait que le financement.

M. Patrick Devedjian - Encore l'héritage !

Mme la Garde des Sceaux - J'ai débloqué le financement. Je pense que tout le monde ne peut que s'en réjouir.

M. Pascal Clément - Nous sommes dans une autre conjoncture économique !

Mme la Garde des Sceaux - M. Hage m'a interrogée sur la résorption de l'emploi précaire. Sur 611 personnes à titulariser après les concours particuliers, 89 l'ont été en 1997, 138 en 1998, 157 en 1999, soit 384 au total. Nous devrions titulariser les 227 qui restent en l'an 2000.

Des moyens ont été dégagés sur le budget 1999 pour mettre en _uvre la loi relative à la délinquance sexuelle. Mais cela ne concerne pas le seul ministère de la justice.

En ce qui concerne le palais de justice de Paris, tout le monde est maintenant d'accord pour dire que de la cour d'appel, de la cour de cassation et du tribunal de grande instance c'est ce dernier qui quittera l'île de la Cité. Sur les 90 000 m2 du site, il en occupe 40 000 et il en manque 60 000. Les magistrats travaillent dans des locaux extérieurs loués qui sont coûteux et où la sécurité est insuffisante. J'ai étudié la question avec les magistrats et mon collègue du Budget. Nous avons plusieurs sites en vue, dont la ZAC du XIIIème arrondissement, envisagée par mon prédécesseur (Rires). Dans ce cas également il y avait des études techniques mais pas de financement.

M. Patrick Devedjian - Nous étions pauvres.

Mme la Garde des Sceaux - Je ne peux évidemment prendre une décision sur une opération de plusieurs milliards. Je travaille dans la perspective du prochain collectif budgétaire et j'ai bon espoir d'aboutir.

M. Patrick Devedjian - S'agit-il bien de 2 milliards ?

Mme la Garde des Sceaux - 2 milliards à 2,5 milliards. Ce qui coûte cher la première année c'est le foncier. Nous avons donc cherché des terrains appartenant à l'État pour diminuer cette charge. Par la suite, nous pourrons assurer plus facilement le financement sur les crédits du ministère, avec un étalement.

M. Pascal Clément - Quelles sont les différentes hypothèses ?

Mme la Garde des Sceaux - Il y en a plusieurs -pas beaucoup d'ailleurs. Vous comprendrez que je réserve ma réponse. Ce choix ne différera d'ailleurs pas la décision, et je le répète, j'espère obtenir une décision dans la prochaine loi de finances.

M. Georges Sarre - J'ai deux questions portant sur la prison, en commençant par la sortie. Lors d'une visite de nuit avec le SAMU social de Paris, j'ai constaté qu'il était fréquent qu'on libère des prisonniers la nuit, notamment des jeunes, avec tous les problèmes que vous pouvez imaginer. Ce n'est pas acceptable. Comment y remédier et dans quels délais ?

S'agissant de l'entrée en prison, je voudrais évoquer le cas du citoyen Papon. Comment a-t-on pu en arriver là ? Pourquoi n'a-t-il pas été placé sous contrôle judiciaire ce qui permettrait de savoir où il se trouve ? Les associations d'anciens résistants et de déportés s'inquiètent. Serge et Arno Klarsfeld ont fait plusieurs démarches. Je m'étonne que le dossier soit resté pendant.

D'autre part, concernant le fichier ADN, je trouve légitime de prendre toutes les précautions pour que des sadiques et des détraqués ne retrouvent pas la liberté sans que leur nom soit inscrit dans un fichier. Presque tous les pays ont adopté cette méthode et en sont satisfaits. Mais c'est une mauvaise façon de défendre les droits de l'homme. Il faut les protéger. Je souhaite que le Gouvernement prenne une décision dans ce domaine et je ne doute pas que le Parlement le suivra.

M. Jacky Darne - Vous avez déjà répondu, Madame la Garde des Sceaux à la plupart de mes préoccupations, mais je veux revenir sur le système pénitentiaire. En effet, quand on rencontre les représentants des syndicats et les responsables de l'observatoire international des prisons, quand on visite les établissements, on ne peut manquer de relever un certain nombre de problèmes.

Tout d'abord, l'organisation des visites de familles et leur accueil ne sont pas satisfaisants. Par ailleurs, les conditions du cantinage et des travaux confiés aux prisonniers varient considérablement d'un établissement à l'autre de même que les moyens destinés à préparer la sortie, notamment la formation professionnelle, dont on sait pourtant qu'ils sont primordiaux. On peut également regretter l'insuffisance de l'encadrement au moment où les détenus quittent la prison et retournent, le plus souvent, vers leur territoire d'origine. Un travail social renforcé éviterait sans doute les récidives. Les surveillants se déclarent souvent incapables d'accueillir les jeunes des quartiers difficiles. Une véritable formation s'imposerait donc, afin qu'ils puissent s'adapter aux nouveaux types de délinquants.

On peut regretter les changements d'affectation trop fréquents des juges des enfants, souvent sans qu'ils l'aient demandé et après deux ans seulement dans un poste ; cela ne facilite pas leur travail. Ces juges doivent en outre traiter un trop grand nombre de dossiers, ce qui les empêche de les suivre dans de bonnes conditions.

Je déplore, comme d'autres, les délais d'attente trop longs devant la chambre sociale de la cour d'appel comme devant les conseils de prud'homme. En effet, des décisions trop tardives ne peuvent être exécutées.

Il me semble par ailleurs qu'un trop grand nombre de ministères est souvent appelé à intervenir. Cela se vérifie en particulier dans l'obtention des documents d'identité pour les personnes d'origine étrangère, mais aussi dans les enquêtes sur le blanchiment d'argent. La multiplication des intervenants nuit à l'efficacité de la politique pénale.

M. Robert Pandraud - Ne pourriez-vous, Madame la Garde des Sceaux, revoir en profondeur les modalités d'obtention des certificats de nationalité. Il s'agit en effet aujourd'hui d'un véritable parcours du combattant, d'autant que nul ne sait où sont situés les greffes des tribunaux d'instance. Pourquoi ne pas confier cette tâche aux préfets, représentants du Gouvernement, bien sûr sous votre autorité ?

J'aimerais par ailleurs connaître le nombre de magistrats qui sont actuellement en congé de longue durée et en congé de maternité, ce qui fait perdre de nombreuses heures de travail, ainsi que le nombre de congés liés à des maladies mentales, précision qui contribuerait à l'étude psychologique de cette catégorie socio-professionnelle.

Enfin je regrette que trop d'instructions et de procès soient conduits sans que l'on mesure leur impact financier. Le souci de ne pas gaspiller l'argent des contribuables semble trop peu présent. Saura-t-on un jour ce qu'à coûté l'affaire des paillotes, à coup d'envois d'experts sur les lieux et de transferts des prévenus de Paris à Ajaccio ? Sans doute y aurait-il de quoi construire dix très beaux restaurants en Corse ou de quoi payer le traitement du juge d'instruction pendant des années...Vraiment, l'argent public pourrait être mieux utilisé qu'à de telles parodies.

Mme Nicole Feidt - Vous nous avez fait part, Madame la Garde des Sceaux, de vos intentions en matière de construction et de rénovation des établissements. J'aimerais savoir si la gestion des établissements publics pourra être mixte entre privé et public et à qui incombera la compétence de la santé.

On sait que le fait de côtoyer, au cours de leur incarcération, des délinquants confirmés accroît le risque de récidive chez les primo-délinquants. Il me semble donc que les peines aménagées comme la semi-liberté, les chantiers extérieurs, le placement sous surveillance ne sont pas assez développées. Les moyens qui leur sont consacrés sont-ils suffisants ? Les centres de détention pour mineurs sont souvent utilisés par la protection judiciaire de la jeunesse en matière pénale, mais il semble que l'on n'y recourre pas suffisamment en matière civile. Il faut pourtant absolument rechercher toutes les solutions alternatives à l'incarcération. Le partenariat entre la protection judiciaire de la jeunesse et l'aide sociale à l'enfance des départements progresse-t-il ?

M. Jean Pontier - Je souhaite insister sur les problèmes de la protection judiciaire. Bien sûr, des moyens exceptionnels sont dégagés pour faire face à l'urgence sociale qu'est la délinquance des mineurs, mais un temps d'adaptation sera nécessaire avant qu'ils soient effectivement déployés. Ne pourrait-on imaginer, comme on l'a fait dans les années 1950 pour l'éducation surveillée, d'embaucher comme contractuels des gens de talent, peut-être sous diplômés, mais capables de rendre service immédiatement et qui pourraient être intégrés ultérieurement par la voie de la formation ?

Je souhaiterais par ailleurs que l'on fasse un point complet sur les unités à encadrement éducatif renforcé et sur les centres de placement immédiat. Plus globalement, où en sont les départements en matière de protection judiciaire ? L'Observatoire a en effet montré une judiciarisation du système de protection de l'enfance avec 189 849 mesures judiciaires d'action éducative en milieu ouvert.

M. Claude Hoarau - Tous les collègues ont salué l'augmentation de ce budget et j'aurais envie de me joindre à l'enthousiasme du vote solennel. Mais une question demeure : quand fermera-t-on l'immonde prison de Saint-Denis de la Réunion qui est une honte pour la République ? Quand construira-t-on un nouvel établissement ?

Vous annoncez, Madame la Garde des Sceaux, cinq prisons nouvelles pour l'an prochain, mais pourquoi celle-ci n'est-elle pas une priorité ? Dès 1995, les services d'hygiène du ministère concluaient à la nécessité  de la fermer. Il y a un an, vous répondiez à M. Tamaya que la reconstruction ne figurait pas dans le programme actuel. L'urgence a été soulignée l'an dernier mais cette priorité n'a pas été retenue, l'urgence est à nouveau soulignée cette année et la priorité n'est toujours pas retenue.

Un terrain avait été choisi, situé à quinze minutes de la cour d'appel et de la cour d'assises, mais les atermoiements devraient conduire à en choisir un autre.

Pourquoi accepte-t-on à la Réunion ce que l'on n'accepte pour la population carcérale de la métropole ? Existe-t-il des citoyens de la République de seconde zone ? Cette honte doit disparaître. Il faut que vous engagiez de toute urgence la construction de la nouvelle prison de Saint-Denis.

J'ai entendu la réponse que vous avez faite il y a quelques jours à Huguette Bello. Cette dernière visite encore aujourd'hui, en compagnie d'Elie Hoarau, les prisons de la Réunion afin que soit prise en compte la demande des Réunionnais et du personnel qui n'en peut plus. J'ai pris acte de votre volonté d'avancer mais j'attends maintenant la programmation rapide de la construction. Nos collègues de la commission des lois qui se sont déplacés à la Réunion nous ont apporté leur soutien. J'aimerais que notre ténacité soit récompensée dans les meilleurs délais.

M. Jérôme Lambert - Les délais sont toujours trop longs, de plus certains jugements mis en délibéré sont rendus avant même d'avoir été rédigés, ce qui est contraire à la loi.

Malgré les importants moyens apportés par le Gouvernement actuel, la justice doit faire face à l'accroissement des affaires. Celui-ci n'étant pas lié à l'augmentation de la population, quelles raisons voyez-vous, Madame la Garde des Sceaux, à cette judiciarisation de la vie et des rapports humains ? Y discernez-vous une dérive qui pourrait trouver réponse hors du champ de votre ministère ?

M. André Gerin - L'ordonnance de 1945 relative à la délinquance des mineurs avait cette vertu fondamentale qu'elle s'inscrivait dans une démarche éducative. Elle n'a jamais été appliquée dans sa totalité. Il faut résister au harcèlement textuel et judiciaire, c'est-à-dire rechercher des solutions alternatives à la détention. Les mineurs délinquants, notamment les récidivistes, doivent être pris en charge dans des conditions plus humaines, afin de favoriser leur réinsertion dans la société.

Les collectivités doivent s'engager au plus près du terrain sur cette question, sans quoi nous préparons des lendemains douloureux.

Se pose aussi la question des parents, des institutions, de l'exemplarité. Il faut combattre l'individualisme, et penser en termes éducatifs, afin que ces jeunes fassent l'apprentissage de la responsabilité.

M. René Dosière - J'apprécie votre préoccupation, Madame la ministre, d'améliorer le fonctionnement de la justice, et j'approuve le renforcement de l'inspection générale. Comme dans toute administration, on constate des dysfonctionnements : des dossiers se perdent, certains magistrats ont une activité réduite... Mais les dysfonctionnements de votre administration sont plus médiatisés que les autres, si bien que l'opinion a l'impression qu'ils ne sont pas corrigés. D'ailleurs, qui est responsable ? Le Procureur général, les juges, les greffiers ? Comment allez-vous remédier à ces problèmes ?

M. Bruno Le Roux - Des décisions ont été prises au cours des conseils de la sécurité intérieure de juin 1998 et de janvier 1999. Je m'interroge sur leur mise en _uvre. Existe-t-il des obstacles qui pourraient vous empêcher d'atteindre vos objectifs ? Par ailleurs, ce sont en général les communes qui ont plus besoin de moyens supplémentaires qui peuvent le moins participer aux efforts budgétaires.

S'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, il sera difficile de recruter, de former et d'installer des fonctionnaires dans un délai court. Avez-vous constitué une structure de pilotage ?

Mme la Présidente de la commission - Cet échange, Madame la Garde des Sceaux, montre la satisfaction des parlementaires quant à votre budget, mais aussi les attentes accrues que nourrit l'augmentation des moyens.

Mme la Garde des Sceaux - Je n'ai pas répondu tout à l'heure à M. Tourret sur l'exécution de plein droit : nous allons réactiver le groupe de travail que présidait M. Canivet avant de changer d'attributions.

M. Sarre a évoqué le problème des libérations tardives. En théorie, les personnes concernées peuvent rester dans les établissements pénitentiaires, mais ce n'est évidemment pas une solution (Sourires). Nous préparons donc une convention avec la Croix Rouge pour l'accueil de ces personnes.

S'agissant de la délinquance sexuelle, le fichier ADN a été transmis à la CNIL. Dès que celle-ci aura rendu son avis, le Conseil d'Etat sera saisi et le décret publié. Il nous a fallu réaliser un important travail interministériel et j'ai bon espoir qu'il aboutisse rapidement.

J'en viens à l'affaire Papon. Quelques jours après le début du procès, la cour d'assises de la Gironde a décidé de mettre M. Papon en liberté, ce qui a ensuite interdit de le placer sous contrôle judiciaire, cette procédure étant une alternative à la détention provisoire. Il semble que M. Papon ne se constituera pas prisonnier. Dans ce cas, son pourvoi en cassation tombera et nous disposerons d'une base légale pour faire exécuter le jugement qui le condamne à dix ans de réclusion criminelle pour crime contre l'humanité.

Inutile de dire que j'ai déjà envoyé des instructions au procureur général de Bordeaux qui devra, dans l'hypothèse que j'évoque, agir avec la plus grande diligence. M. Léonetti en a profité pour souligner que, moi aussi, je donnais des instructions aux magistrats. Ne confondons pas tout : il ne s'agit pas en l'occurrence de dévier le cours de la justice, mais de faire exécuter un jugement. Il y a quelques mois, par exemple, j'ai ordonné à un procureur de mettre en liberté quelqu'un qui était maintenu en prison à tort.

Dans l'affaire Papon, la Cour de cassation rendra sa décision demain matin, sauf si elle accepte d'entrer dans le débat ouvert par la Cour européenne de justice, pour laquelle on ne peut demander, comme nous le faisons en France, aux justiciables de se constituer prisonniers. Les avocats de M. Papon ont introduit un recours sur ce point, mais un tel recours n'est pas suspensif, non plus qu'une demande de grâce présidentielle. Dans tous les cas, la décision sera notifiée à M. Papon. S'il n'est pas là, l'ordre de l'arrêter sera diffusé au plan national et international. Il serait particulièrement choquant que M. Papon puisse se soustraire à la justice, lui qui a bâti son système de défense sur l'argument qu'il avait « servi l'Etat ».

Jacky Darne a évoqué la détention des mineurs. Il faut s'en tenir à l'ordonnance de 1945, qui comporte certes un volet éducatif, mais qui autorise aussi la détention : en matière criminelle pour les 13-16 ans et en matière correctionnelle également pour les 16-18 ans. Il faut améliorer la prise en charge des mineurs, et c'est pourquoi nous tâcherons d'augmenter les crédits des centres de placement immédiat et des centres d'éducation des mineurs.

Lutter contre le blanchiment des capitaux, j'y travaille depuis deux ans. Avant que M. Strauss-Kahn et moi-même abordions ensemble ce problème, la justice n'utilisait pas les informations dont disposent les établissements financiers, tenus de se montrer vigilants à l'égard des dépôts anonymes.

Hier, à Moscou, s'est tenue la réunion du G8, au cours de laquelle j'ai abordé cette question. Notre priorité est l'adoption définitive de la convention de Vienne relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux, qui donnera à tous les pays signataires une définition commune du crime organisé et un système analogue de sanctions. Les décisions prises au sommet de Tampere sont bonnes. Il nous faut bâtir Europol.

Avec la Grande-Bretagne, nous avons décidé hier de mettre en place un groupe de travail réunissant les ministères de la justice, de l'intérieur et des finances des deux pays. Les Américains, quant à eux, ont beaucoup évolué sur cette question. Ils nous soupçonnaient de vouloir réglementer de manière déguisée les marchés internationaux. Mais je leur ai indiqué qu'on ne pourrait lutter efficacement contre le crime organisé sans le frapper au c_ur, c'est-à-dire empêcher le blanchiment ;

A Tampere, la France a proposé de renforcer le contrôle des centres offshore, d'établir une liste des territoires délinquants et d'étudier comment certains instruments juridiques et commerciaux ont pu être dévoyés. En outre, une réunion des ministres de la justice, de l'intérieur et des finances doit être organisée au niveau de l'Union européenne. Il faudra la préparer soigneusement.

Comme l'ont indiqué MM. Darne et Pandraud, les certificats de nationalité nous posent de gros problèmes. Nous avons décidé d'inscrire la nationalité en marge des actes d'état civil.

J'ai diffusé fin 1998 une circulaire aux juridictions pour les amener à tenir compte de la possession d'état de Français -par la carte d'électeur, l'accomplissement du service national, le statut de fonctionnaire, etc.- plutôt que d'obliger à rechercher les actes civils des parents et grands-parents, ce qui est particulièrement difficile quand ils sont nés à l'étranger. L'application de cette circulaire devrait éviter des recherches interminables qui aboutissent à des situations absurdes.

M. Robert Pandraud - Le citoyen de base ne sait pas toujours où sont les tribunaux d'instance et les greffes !

Mme la Garde des Sceaux - On ne peut pas fonctionner uniquement avec les préfectures et les sous-préfectures.

En ce qui concerne le coût des procédures judiciaires, les procédures les plus spectaculaires ne sont pas forcément les plus onéreuses. Les déplacements de magistrats et de greffiers ne représentent que 0,25 % des frais de justice pénale et sont en baisse régulière. Nous ne voulons pas de justice expéditive, surtout dans ce domaine.

Madame Feidt, nous avons demandé un rapport à M. Pradier sur la gestion des services de santé pénitentiaire : il a conclu en faveur de la gestion mixte et, avec ma collègue Dominique Gillot, nous nous orientons plutôt vers cette solution.

Monsieur Pontier, nous avons recruté 50 contractuels ; on ne peut pas aller trop loin car il faut pouvoir ensuite intégrer ces personnes.

En ce qui concerne la prison de Saint-Denis, le problème est que d'autres établissements pénitentiaires sont dans une situation comparable. On ne peut pas résoudre tout à la fois.

M. Gerin a eu raison de rappeler le principe de l'ordonnance de 1945 et la nécessité d'élargir la responsabilité à tous les acteurs.

La judiciarisation évoquée par M. Lambert est un fait réel. Nous travaillons à développer la conciliation, la médiation, la transaction. Je reviendrai plus longuement sur la responsabilité pénale des élus à l'occasion d'un autre débat ; j'ai demandé à une commission spécialisée de me fournir un rapport d'ici la fin de l'année.

M. Léonetti a évoqué les préoccupantes pertes de documents dans certaines juridictions. Je ne laisserai pas ces événements sans suite. A Marseille, nous savons qu'il y a eu une erreur des services et j'ai demandé au procureur de prendre toutes les dispositions nécessaires pour qu'elle ne se renouvelle pas. A Nice, beaucoup de rumeurs courent depuis des années ; deux enquêtes préliminaires de la police n'ont pas donné de résultat et l'inspection des services judiciaires n'a pas non plus découvert de preuves. Il a fallu l'arrivée d'un nouveau procureur pour que nous ayons des indications plus précises. Je l'ai reçu et, sur la base de son rapport écrit, des moyens seront donnés pour remédier aux dysfonctionnements et prendre d'éventuelles mesures disciplinaires.

Sur la question de la responsabilité des magistrats soulevée par M. Dosière, je pense que nous devons progresser. Déjà l'ensemble des textes que j'ai présentés contiennent des dispositions qui facilitent la mise en jeu de la responsabilité professionnelle des magistrats.

En ce qui concerne leur responsabilité disciplinaire et déontologique, la loi organique sur le statut de la magistrature contiendra plusieurs dispositions : création d'une commission d'examen des plaintes des justiciables, limitation du temps d'exercice de la fonction du chef de juridiction, mobilité accrue, possibilité de saisine du CSM, publicité des audiences disciplinaires du CSM, redéfinition des sanctions, responsabilité financière de l'Etat en cas de dysfonctionnement de la justice -nous en discutons avec Bercy- réforme de l'inspection générale des services judiciaires. En un an, j'ai saisi 15 fois le CSM sur des faits très divers, allant de la conduite en état d'ivresse au non-respect du secret professionnel, à l'utilisation abusive de la liberté de parole pour attaquer des tiers, etc. Je l'ai fait souvent sur le rapport des chefs de cour, qui ont eux-mêmes lancé une cinquantaine d'avertissements. C'est donc une question que nous suivons de très près.

Mme la Présidente de la commission - Merci beaucoup, Madame la Garde des Sceaux.

Nous allons procéder au vote sur les crédits de l'administration pénitentiaire et des services judiciaires.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis - Je propose à la commission des lois de donner un avis favorable.

M. André Gerin, rapporteur pour avis - J'émets un avis très favorable.

Mme la Présidente de la commission - Le vote se fera à main levée.

La commission émet un vote favorable à l'adoption des crédits des services judiciaires et un vote favorable à l'adoption des crédits des services pénitentiaires.

La séance est levée à 13 heures 5.

Le Directeur du service
des comptes rendus analytiques,

Jacques BOUFFIER

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Mercredi 20 octobre 1999
(séance de 9 heures)

Audition de Mme Elisabeth Guigou, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux
sur les crédits de son ministère


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