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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N° 12

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 8 novembre 2000
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. André Lajoinie, président

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport d'information de M. André LAJOINIE sur une mission effectuée au Canada du 10 au 18 septembre 2000

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La commission a examiné le rapport d'information de M. André Lajoinie en conclusion des travaux d'une mission effectuée au Canada du 10 au 18 septembre 2000.

M. André Lajoinie, président, a tout d'abord présenté les grandes lignes de son rapport, qui s'articule autour de trois axes : les relations entre le Canada et les Etats-Unis, les relations entre la France et le Canada, et la politique canadienne de soutien aux PME-PMI.

Il a rappelé que la mission qu'il avait conduite était en outre composée de MM. Jean-Claude Daniel, Nicolas Forissier et Patrick Rimbert. Elle a eu l'occasion de rencontrer de nombreuses personnalités politiques, tant de la Fédération que des provinces visitées, ainsi que des industriels, des responsables d'entreprises et de banques ; elle s'est également rendue dans des pépinières d'entreprises spécialisées dans le secteur des nouvelles technologies. Le succès de cette mission a été rendu possible notamment grâce à l'efficacité et à la disponibilité de l'ambassadeur de France au Canada, ainsi que des consuls généraux de Montréal, Québec, Toronto et Vancouver, des chefs de poste d'expansion économique et de l'ensemble des personnels placés sous leur autorité. Les membres de la mission ont constaté à cette occasion que les visites de parlementaires français à l'étranger favorisaient les contacts entre les postes français et leurs interlocuteurs sur place.

Abordant le premier point examiné dans le rapport, M. André Lajoinie, président, a indiqué que les relations très étroites qu'entretenait le Canada avec les Etats-Unis aboutissaient à une intégration économique des provinces, prises individuellement, avec les Etats mitoyens des Etats-Unis. Ainsi, chaque province du Canada commerce davantage avec les régions américaines dont elle est proche qu'avec les autres provinces de sa propre fédération. La balance commerciale de ces échanges est globalement positive pour le Canada, dont 87 % des exportations sont à destination des Etats-Unis. Dans l'autre sens, 67 % des importations du Canada proviennent de son voisin du Sud. Par ailleurs, les Etats-Unis sont les premiers investisseurs étrangers au Canada, même si leur part relative diminue actuellement. En revanche, les investissements canadiens aux Etats-Unis sont aujourd'hui en progression. La dépendance économique vis-à-vis des Etats-Unis qui en résulte pour le Canada entraîne de ce fait l'expression de positions communes entre les deux Etats dans la plupart des forums de négociations multilatérales. Ces relations étroites entre les deux voisins, encore approfondies depuis l'accord de libre-échange américano-canadien (ALE) et l'accord de libre-échange nord-américain (ALENA), ne sont pourtant pas exemptes de difficultés et de tensions, comme par exemple dans les secteurs des bois d'ouvrage, de la viande et des céréales. Les procédures de négociation préétablies n'empêchent pas l'existence de relations parfois chaotiques entre les deux partenaires ; les pays tiers peuvent d'ailleurs chercher à tirer parti de ces divergences. Néanmoins, compte tenu de la disproportion évidente entre le Canada et les Etats-Unis, ce dernier parvient toujours à faire prévaloir son point de vue lorsqu'il considère que ses intérêts essentiels sont en cause.

M. André Lajoinie, président, a déclaré que, dans ce cadre extrêmement déséquilibré, il avait été d'autant plus surpris de pouvoir constater que le Canada réussissait pourtant à préserver et développer son identité, notamment dans les domaines sociaux et culturels. Ainsi, le Canada dispose, à la différence des Etats-Unis où 50 millions de personnes sont exclues de l'assurance maladie, d'un système public étatisé de protection sociale et de santé, inspiré du National health service britannique, dont bénéficient l'ensemble des résidents du pays.

Abordant la deuxième partie de son rapport, il a indiqué que le Canada représentait, pour les investisseurs français, une porte d'entrée vers le marché nord-américain. Il a rappelé que les échanges entre ce pays et la France étaient stables, la balance commerciale penchant en notre faveur puisque le taux de couverture de nos importations en provenance du Canada atteignait 194 %, représentant un solde positif de 9,1 milliards de francs. Il a relevé que le Canada entendait sortir rapidement d'une économie encore trop dépendante des activités primaires et souligné sa forte volonté de se développer dans les secteurs des nouvelles technologies, ce qui est un facteur de renforcement de la coopération entre nos deux pays, qui se caractérise par un accroissement sensible des financements croisés de part et d'autre de l'Atlantique (Nortel, Seagram et Vivendi, Bombardier, Cascade, Caisse des dépôts du Québec...)

M. André Lajoinie, président, a enfin abordé le dernier point de son exposé, relatif aux systèmes d'aides mis en place au Canada pour favoriser la création de PME-PMI. Il a insisté sur le caractère volontariste des démarches publiques visant à encourager la création et la survie de nouvelles entreprises. Cette action est d'autant plus importante que 85% des emplois nouveaux créés au Canada au cours des dix dernières années l'ont été dans les PME-PMI. Si les modalités d'aide à la création d'entreprise ressemblent beaucoup à celles qui existent en France, des différences importantes peuvent être cependant relevées. Les programmes mis en place au Canada, tant par l'Etat fédéral que par les provinces ou les communes, apparaissent plus simples et plus « lisibles » pour les entrepreneurs, qu'en France. S'il existe une coordination entre les différents niveaux d'interventions, il n'y a pas comme chez nous de financements ou de décisions impliquant simultanément plusieurs niveaux publics, ce qui facilite la prise de décision et limite les formalités. L'accès à l'information est plus aisé qu'en France (au guichet, par téléphone, par internet) et les conseils pratiques donnés aux créateurs d'entreprises, par les collectivités ou par les banques, contribuent à l'amélioration de la gestion des jeunes entreprises et limite considérablement le pourcentage d'échecs et de faillites. En outre, il existe des programmes spécifiques d'aide à la création d'entreprise, au profit des femmes ou des populations autochtones.

M. André Lajoinie, président, a fait observer que l'ensemble des structures d'aide à la création d'entreprises crée au Canada un environnement favorable, dont pourraient davantage profiter les PME-PMI françaises : Montréal et le Québec permettent de prendre pied sur le continent nord-américain et d'y acquérir une expérience, dans un cadre linguistique francophone, tandis que Toronto et l'Ontario offrent des conditions d'immersion dans un environnement très similaire à celui des Etats-Unis, mais cependant plus adapté à la culture européenne, à proximité immédiate des Etats industriels de la zone des grands lacs. Le Canada peut ainsi constituer une intéressante tête de pont pour une entreprise souhaitant s'ouvrir au marché américain.

Pour conclure, M. André Lajoinie, président, a souligné que le Canada n'était pas seulement la porte d'entrée d'un continent, mais était aussi un pays pleinement ouvert à la coopération bilatérale, en effet, l'accord de libre échange et l'ALENA ne constituent pas des embryons d'un marché unique avec les Etats-Unis et le Mexique. En outre, la sécurité juridique des relations économiques avec ce pays fournit un important atout de développement pour des entreprises françaises qui peuvent saisir l'occasion d'une diversification économique, souhaitée par les autorités canadiennes dans les secteurs de l'innovation et des nouvelles technologies.

M. Jean-Marc Nudant a souligné la grande qualité dont font preuve nos diplomates et regretté que des moyens satisfaisants ne leur soient pas accordés, comme le montrait le débat tenu le 7 novembre à l'Assemblée nationale sur le budget des Affaires étrangères. Il a souhaité avoir des informations sur le fonctionnement concret de l'ALENA, qui réunit le Canada, les Etats-Unis et le Mexique. Notant qu'au Canada 87 % des créations d'emplois étaient le fait des PME, il a demandé de quelles aides bénéficiaient ces entreprises, si la semaine de 35 heures était applicable au Canada et quelle était la durée moyenne d'une carrière professionnelle dans ce pays.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a observé que le marché canadien constituait, en matière d'investissements, une véritable « porte ouverte » sur l'Amérique du Nord. S'appuyant sur des exemples pris dans son département et notamment sur celui d'une entreprise de 25 salariés qui avait pu passer sans problèmes à la semaine de 35 heures sans pertes de salaires, elle a estimé que les facilités offertes au Canada aux investissements européens tenaient sans doute tout à la fois à la convivialité du pays, à son caractère francophone et à la simplicité des normes administratives applicables. Elle a manifesté ensuite son intérêt pour la discrimination positive opérée au Canada en faveur des femmes qui créent une entreprise. Rappelant les débats tenus à l'Assemblée nationale sur la parité et sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, elle s'est demandé si cette formule de la discrimination positive, qui est appliquée aussi aux Etats-Unis, ne pourrait être reprise en France.

M. Pierre Ducout s'est félicité d'une évolution qu'il a pu personnellement enregistrer depuis une vingtaine d'années, où l'on voit les diplomates français assumer de plus en plus, au-delà de fonctions culturelles ou de représentations certes utiles, des missions économiques et prendre ainsi en compte les questions que posent les échanges internationaux ou les aides aux investissements.

M. Patrick Rimbert a fait part de trois impressions tirées de cette mission au Canada, estimant ainsi que l'entité canadienne relevait avant tout d'une logique confédérale, que le Canada était profondément lié au bassin américain, mais aussi que, tout en se rapprochant du modèle offert par les Etats-Unis, il présentait en quelque sorte de nombreuses « connotations européennes » : en matière, par exemple, de niveau des salaires, de qualité de vie ou de protection sociale. M. Patrick Rimbert a noté également avec intérêt que, dans les villes canadiennes, à la différence de la situation qui prévaut dans de nombreuses villes américaines, la violence est réduite, comme l'est d'ailleurs la présence policière. Il a souligné la grande lisibilité du système canadien des aides aux entreprises ; la gestion de ces dernières s'opère, par ailleurs, a-t-il précisé, suivant un « fonctionnement en réseau » associant sous l'autorité d'un chef de réseau les différents partenaires et donne lieu la plupart du temps à des évaluations. N'y a-t-il pas là un modèle intéressant pour notre pays où, à l'inverse, l'on observe plutôt une véritable sédimentation des aides qui ne donnent très souvent pas lieu à une évaluation ?

M. Jean-Claude Daniel a entendu souligner la simplicité des techniques d'encouragement économique appliquées au Canada et insisté à son tour sur le fait que l'on n'observait pas, comme en France, de sédimentation des aides. Il a fait remarquer que les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) constituaient un secteur vital de l'économie canadienne, puisque leur nombre s'élève à 2,4 millions alors que la population de ce pays est deux fois inférieure à la nôtre. M. Jean-Claude Daniel a indiqué ensuite que la politique suivie en matière économique par les autorités canadiennes témoignait d'une véritable confiance dans l'avenir : l'allégement fiscal y est le principal instrument d'action et l'argent versé peut être considéré d'une certaine façon comme bonifié par la réussite. Le souci de préserver toutes les formes de diversité est une autre caractéristique intéressante du modèle canadien, bien loin de l'impression d'un « monolithisme américain » que l'on a pu avoir parfois, notamment lors des négociations au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). M. Jean-Claude Daniel a souligné ensuite l'intérêt des incubateurs à la mode canadienne et fait ressortir l'ampleur des échanges existant entre les laboratoires et les universités, comme l'avait plus particulièrement révélé un déplacement de la mission à l'Université de Laval. Il a souhaité enfin que les postes d'expansion économique et ceux de la délégation à l'aménagement du territoire (DATAR), dont les efforts sont aujourd'hui dispersés, travaillent dans l'avenir plus en synergie.

M. Nicolas Forissier a tenu à remercier les services diplomatiques et consulaires qui avaient rendu possible le très bon déroulement de la mission parlementaire. Il a également mis l'accent sur l'esprit consensuel qui avait régné entre les membres de la mission parlementaire, s'incarnant plus particulièrement dans l'attachement à une forme de « libéralisme tempéré ».

Estimant à son tour que le système français d'aide aux PME était « très éclaté », il a signalé qu'il existait bien au Canada différents niveaux d'intervention, mais que ceux-ci faisaient l'objet d'une vraie coordination : il n'y a pas ainsi de dispersion des informations données aux chefs d'entreprises. M. Nicolas Forissier a donné l'exemple d'un « guichet d'accueil » que la mission avait pu visiter à Vancouver, qui apportait aux créateurs d'entreprises au c_ur même de cette ville, les informations et les conseils nécessaires. Il s'est demandé si un tel système de soutien à la création d'entreprises, qui privilégie simplicité et clarté des mécanismes, ne pourrait inspirer les autorités françaises. Et ce, d'autant plus que ce système met en avant la responsabilité personnelle de l'entrepreneur ; des informations sont certes apportées à ce dernier, mais c'est lui qui en définitive décide et prend des risques : n'est-ce pas précisément ce que demandent nos créateurs d'entreprises ? Le modèle canadien est intéressant aussi parce qu'il donne la priorité, toujours pour mieux promouvoir l'autonomie de l'entrepreneur, aux réductions fiscales par rapport au versement de subventions et que les charges pèsent moins sur les entreprises que sur les ménages. L'objectif principal qui est retenu est évidemment de faciliter les créations d'entreprises et de favoriser par des programmes spécifiques l'introduction de nouvelles technologies.

S'agissant enfin des exportations, M. Nicolas Forissier a noté que les échanges commerciaux du Canada s'effectuaient pour l'essentiel avec les Etats-Unis et que les programmes existants d'aide aux PME concernaient surtout les échanges avec les autres Etats du continent américain ; il a souhaité qu'une diversification s'opère, offrant ainsi de réelles opportunités d'échanges pour les Européens.

En réponse aux différents intervenants, M. André Lajoinie, président, a apporté les précisions suivantes :

- il est vrai que les postes français à l'étranger, qu'il s'agisse des ambassades ou des consulats, s'intéressent plus qu'auparavant aux problèmes économiques. Ils nouent des contacts avec les entreprises des pays où ils sont implantés et facilitent de ce fait l'accès au marché local des entreprises françaises ;

- certaines destinations de mission sont négligées par les parlementaires. Ainsi, la délégation a pu apprendre que, hormis une visite d'une délégation du Sénat, le poste de Vancouver, en Colombie Britannique, n'avait pas reçu depuis dix ans environ de délégation de la représentation nationale ;

- les conditions de travail et d'emploi relèvent en général au Canada de la négociation collective beaucoup plus que de la loi. S'agissant de la nature des aides existant au Canada au profit des PME-PMI, celles-ci prennent plus la forme de réductions d'impôt que de subventions directes. Les aides proviennent essentiellement des provinces et de l'Etat fédéral ; il n'existe pas cependant de financements croisés. Les taux d'imposition à l'impôt sur les sociétés sont bas, tant au niveau fédéral qu'au niveau provincial et, en contrepartie, les impôts sur les revenus des personnes sont très élevés. Il est cependant difficile d'établir des comparaisons entre les taux français et canadiens, car dans ce dernier pays, le système de santé étant étatisé, est entièrement financé par l'impôt et non par des cotisations sociales.

Le système public de santé canadien est directement inspiré du National health service britannique ; il semble pourtant plus performant que celui-ci, même si des listes d'attente existent pour bénéficier de soins spécialisés. Les Canadiens paraissent très attachés à leur régime de santé. Cela a pu être constaté au cours de la mission, étant donné le grand intérêt porté par la presse et la population en général pour une réunion des Premiers ministres de la Fédération et des provinces qui s'est tenue à Ottawa le 11 septembre dernier sur le niveau de la contribution fédérale au budget de la santé de chacune d'entre elles. L'existence de ce régime général et public de santé distingue le Canada des Etats-Unis, où l'administration Clinton n'a pas réussi au terme de son second mandat à mettre en pratique cet engagement électoral de 1992. Le maintien du régime canadien de santé, malgré l'intégration économique de plus en plus poussée du pays dans l'économie des Etats-Unis, dénote une résistance intéressante pour le maintien de la diversité entre les Etats ;

- l'accord de libre échange (ALE), pas plus que l'ALENA, ne peuvent être comparés à l'Union européenne. Il ne s'agit nullement d'un marché unique et les contrôles douaniers demeurent très présents aux frontières entre les deux pays. Les barrières non tarifaires aux échanges sont nombreuses et portent essentiellement sur les normes des produits. En outre, à la différence de l'Union européenne, il n'existe pas plus dans l'ALENA que dans l'ALE de structure communautaire définissant des directives qui s'imposent aux Etats ;

- il est probable qu'une meilleure coordination entre les structures des postes d'expansion économique et les bureaux de la DATAR à l'étranger permettrait à ces derniers de mieux jouer leur rôle et favoriserait, par l'apport d'investissements extérieurs, la création d'emplois nouveaux en France ;

- la tranquillité, qui caractérise les villes canadiennes par rapport à la violence qui peut être constatée aux Etats-Unis, tient probablement à plusieurs raisons. L'une des principales est l'existence d'un système de protection sociale qui limite l'exclusion. De plus, le poids des communautés, que favorise la reconnaissance de la double nationalité par le Canada, pèse en faveur de la stabilité. Ce système ne pourrait être transposé en France, où l'institutionnalisation des communautés heurte notre concept d'intégration, mais il faut tenir compte de la spécificité de chaque société ;

- la reconnaissance par le Canada de la double nationalité de certains de ses citoyens crée certaines tensions entre ce pays et son puissant voisin. Les Etats-Unis tirent en effet argument de cette possibilité pour interdire aux entreprises canadiennes de soumissionner dans le cadre d'appels d'offres de la défense nationale, contrairement aux accords de libre-échange qui lient les deux Etats.

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La commission a ensuite autorisé à l'unanimité, en application de l'article 145 du Règlement, la publication du rapport d'information.

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