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Session ordinaire de 2001-2002

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

RÉUNION DU JEUDI 8 NOVEMBRE 2001

Projet de loi de finances pour 2002

Audition de Monsieur Roger-Gérard Schwartzenberg, Ministre de la Recherche
sur les crédits de son ministère

PRÉSIDENCE de Monsieur Jean-Paul CHARIÉ
vice-président de la commission

La séance est ouverte à neuf heures.

M. le Président - Merci, Monsieur le ministre, d'avoir bien voulu venir présenter votre budget devant trois commissions réunies : les commissions de la production, des finances et des affaires culturelles.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche - Permettez-moi de dire le plaisir que j'ai à retrouver ces commissions. Je me sens encore plus parlementaire que ministre, l'ayant été pendant 14 ans, et je me réjouis de mener une discussion franche et loyale avec l'ensemble des groupes de l'Assemblée.

Le projet de budget civil pour la recherche et le développement s'élève pour 2002 à 57,2 milliards de francs en dépenses ordinaires et crédits de paiement, soit, comme l'année dernière, une augmentation de 2,2 %. C'est dire que pour la deuxième année consécutive, l'effort est soutenu alors qu'entre 1998 et 2000, la progression annuelle moyenne avait été de 1,5 % et, entre 1993 et 1997, de 0,9 %.

Ce projet est fondé sur cinq grands axes. Ma priorité essentielle, ainsi que je l'avais dit en prenant mes fonctions, est de conduire une politique de l'emploi scientifique qui permette de rajeunir la recherche pour lui donner un nouveau dynamisme. Le rapport de MM. Cohen et Le Déaut a bien montré un phénomène paradoxal. On constate en effet à la fois un vieillissement de l'âge moyen des chercheurs et une file d'attente de plus en plus longue de jeunes docteurs de grande qualité qui n'arrivent pas à s'insérer dans l'appareil de recherche publique. Ces jeunes chercheurs sont conduits soit à supporter une situation contractuelle durable, soit à s'expatrier. Le rapport parle à juste titre d'exil forcé des cerveaux. Or l'Etat consacre des sommes importantes à la formation de ces jeunes chercheurs. La France n'a pas la vocation d'être un institut de formation et encore moins un mécène qui fournit gratuitement des atouts à ses concurrents dans la compétition internationale. La décennie en cours est un moment privilégié pour mettre en _uvre une gestion prévisionnelle de l'emploi scientifique, puisque d'importants départs à la retraite la marqueront. J'ai d'ailleurs présenté un plan décennal pour l'emploi scientifique il y a quinze jours au conseil des ministres. Il s'agit de créer un nombre important d'emplois, à la fois pour absorber les jeunes docteurs sans poste et pour renforcer durablement l'appareil de recherche. En 2002, 500 emplois vont être créés, dont 463 dans les établissements publics scientifiques et techniques : 100 emplois de chercheurs et 363 d'ingénieurs et techniciens pour renforcer l'accompagnement de la recherche. Le taux de recrutement des EPST est ainsi porté à 5 %, contre 3 % en 2000 et 2 % en 1997.

Il faut rapporter ces 500 nouveaux emplois aux créations d'emplois des années précédentes - 150 en 1999, 18 en 2000 et 305 en 2001 -, et se rappeler que les budgets pour 1996 et 1997 prévoyaient la suppression de 791 emplois. Le CNRS se verra attribuer 140 postes, l'INRIA 110, l'INRA 100, l'INSERM 80, l'IRD 20, l'INRETS 7...

Le Gouvernement prend par ailleurs diverses mesures visant à améliorer la carrière des chercheurs, ce qui représentera une dépense de 65,3 millions de francs, contre 29 millions en 2000.

Les mesures d'incitation en direction des jeunes scientifiques visent à rajeunir la recherche pour en assurer le dynamisme. A cette fin, les allocations de recherche seront revalorisées. Jusqu'à présent, l'effort avait porté sur le nombre des allocataires qui, de 3 600 en 1996, était passé à 4 000 à la rentrée 2001. Au total, 11 900 jeunes scientifiques bénéficieront d'une allocation de recherche en 2002. Mais, comme je l'ai dit, l'effort portera également sur le montant des allocations, augmenté de 5,5 %. La revalorisation est certes assez faible, et chacun - moi le premier - souhaiterait faire davantage, mais c'est une première étape. Le coût de cette mesure est de 95 millions de francs et l'allocation mensuelle passera ainsi de 7 400 F à 7 800 F.

J'ajoute que les deux tiers des jeunes scientifiques sont aussi moniteurs et qu'ils perçoivent, en contrepartie d'un service d'enseignement de 64 heures par an, une rémunération de 2 200 F, ce qui porte leur rémunération mensuelle à un total nettement plus confortable de 10 000 F. Le Gouvernement souhaite généraliser l'allocation de monitorat et charger les jeunes scientifiques de diffuser la science et la technique hors de l'Université. Quant aux conventions CIFRE, elles rencontrent un succès croissant, et les jeunes thésards sont très souvent embauchés par l'entreprise dans laquelle ils ont conduit leurs travaux de recherche. En 2002, 820 jeunes chercheurs bénéficieront de telles conventions, soit 220 de plus qu'en 1997 et ils seront, au total, 2 337.

Le Gouvernement souhaite encore renforcer les moyens de fonctionnement et d'investissement de la recherche publique, pour éviter une situation trop bien connue : le décalage entre la courbe de l'emploi dans la recherche et celle des moyens alloués aux laboratoires. En effet, rien ne sert d'augmenter les emplois si les chercheurs n'ont pas les moyens de travailler ! Aussi, les autorisations de programme des EPST progressent de 6,3 % en 2002, ce qui leur permettra de moderniser l'appareil de recherche, et, notamment, de développer le synchrotron SOLEIL de troisième génération auquel M. Cuvilliez est particulièrement attaché. L'effort en faveur de la recherche universitaire, qui m'est chère, s'amplifiera, avec des autorisations de programme en progression de 19,3 %.

Le Gouvernement souhaite aussi développer les champs disciplinaires prioritaires que sont les sciences du vivant, les sciences de l'environnement et de l'énergie et les sciences et technologies de l'information et de la communication. La priorité est donnée aux sciences du vivant, auxquelles sont consacrés 14,6 milliards de francs soit environ un quart des moyens du BCRD. L'INRA bénéficie de 100 créations d'emplois et voit ses moyens de fonctionnement et d'investissement augmenter de 9 %, soit + 19 % en deux ans. L'INSERM, qui bénéficiera de 80 créations d'emplois, verra ses moyens de fonctionnement et d'investissement augmenter de 10 %, soit 28 % en deux ans.

Les recherches sur l'environnement, l'énergie et le développement durable disposeront en 2002 de 9,478 milliards de francs. Elles représenteront désormais le deuxième poste de dépense du BCRD, dont 16 % des crédits leur seront consacrés. Par ailleurs, la dotation du BCRD au ministère de l'environnement augmentera de 17 %.

Quant aux moyens attribués aux recherches sur les STIC, ils progresseront de 7,1 % en 2002 pour s'établir à 5,4 milliards de francs. Ces crédits serviront notamment à remplir les termes du contrat quadriennal passé avec l'INRIA et à développer le département des sciences de l'information et de la communication créé en octobre 2000 au sein du CNRS, ainsi qu'à renforcer l'équipement de l'IDRIS et à mettre en place le réseau RENATER de troisième génération.

Enfin, le Gouvernement entend soutenir activement l'innovation et la recherche industrielle, car chacun le sait, la recherche est devenue le principal moteur de la compétitivité, de la croissance et de l'emploi. Le projet consacre donc un effort particulier au fonds de la recherche et de la technologie, qui disposera d'un milliard de francs d'autorisations de programme. Ces crédits permettront de financer les réseaux de recherche et d'innovation technologique associant entreprises et organismes de recherche publique. Quinze de ces réseaux existent déjà, et ils seront bientôt seize. Je souligne que la répartition des bénéficiaires du FRT a fortement évolué : les grands groupes, qui recevaient 49 % des subventions en 1995 n'en recevaient plus que 8 % en 2000. A l'inverse, les PME-PMI, qui recevaient seulement 6 % des subventions en 1995, en recevaient 51 % en 2000. Cette évolution traduit un souci d'équité et montre que l'innovation et la recherche sont beaucoup mieux diffusées dans le tissu économique qu'elles ne l'étaient auparavant.

Les crédits consacrés au programmes aéronautique civil progressent de 10,1 % pour atteindre 1,75 milliard de francs. Quant à la politique spatiale, qui doit demeurer l'une de nos priorités, elle bénéficiera de 9,371 milliards de francs en 2002 car la France doit demeurer le moteur de l'Europe spatiale. Le budget du CNES sera stabilisé à 8,8 milliards de francs, l'effort se répartissant de manière équilibrée entre les programmes réalisés dans le cadre de l'agence spatiale européenne et le programme national.

La part ESA comprend 2 milliards pour les moyens de lancement - développement d'Ariane 5 et financement du centre guyanais -, 1 milliard pour l'ISS, 600 millions pour les programmes d'observation de la terre et 300 millions pour les satellites de télécommunications et pour Galiléo. La part nationale du budget du CNES est consacrée au lancement de projets majeurs en coopération avec d'autres Etats.

Tels sont les axes principaux de ce projet de budget qu'il vous appartient à présent de faire passer de l'état virtuel à la réalité.

M. Christian Cuvilliez, rapporteur spécial de la commission des finances pour les crédits de la recherche - Dans un contexte de mondialisation capitaliste croissante, les prérogatives des Etats nationaux ne cessent de s'affaiblir et alors que la prégnance des marchés se renforce partout, il convient d'inventer de nouvelles formes de démocratie. La recherche scientifique, moteur du progrès humain, est aussi devenue un facteur essentiel de compétition économique. Dans ce contexte radicalisé, plusieurs indicateurs doivent être appréhendés.

Ainsi, le ratio des dépenses intérieures de recherche et de développement par rapport au PIB, qui a augmenté continûment entre 1960 et 1980 - passant de 1,15 % à 2,42 % -, décroît depuis vingt ans puisqu'il n'a représenté en 2000 que 2,17 %. De même, la part de financement de l'Etat dans les DIRD est passée de plus de 70 % dans les années 1970 à moins de 50 % aujourd'hui. Parallèlement, la contribution des entreprises aux DIRD progresse. Facteur aggravant, la part des financements publics dans les DIRD diminue depuis 1993 de manière plus sensible en France que dans les autres pays industriels.

Comme vous l'avez vous-même relevé, notre pays accuse un retard aggravé en matière de STIC et de biotechnologie et les EPST comme les universités manquent de crédits d'investissement directement destinés à la recherche. Les emplois de chercheurs et d'ITA y ont été au mieux stabilisés, sans considération du vieillissement de leurs effectifs et de l'effet dissuasif de cette stagnation sur les filières de formations scientifiques.

Depuis 1995, la contribution des entreprises à l'effort national de recherche est devenue supérieure à celle de l'Etat. Cependant, le volume de RD pris en charge par les entreprises n'augmente plus depuis 1992 et il reste très concentré sur les applications industrielles : aéronautique et spatial, automobile, pharmacie, chimie. En outre, le recours au système de contrats avec les EPST masque souvent un désengagement des entreprises par rapport à leurs propres laboratoires.

Devenue un facteur décisif de la compétition économique, la recherche est ouverte à toutes les spéculations. L'homme n'est plus la valeur de référence, mais, souvent, une simple variable d'ajustement des coûts. Un seul exemple, la situation faite au personnel des laboratoires d'Aventis de Romainville.

A mesure que nous avançons dans la connaissance et dans le dévoilement de l'infiniment complexe, les arbitrages rendus entre ce qui est immédiatement rentable et ce qui est durablement utile deviennent cruciaux. A ce titre, je déplore que soient constamment différés les débats nécessaires, qu'il s'agisse de la bioéthique, des manipulations génétiques, de la brevetabilité du vivant, des risques de confiscation à des fins militaires ou terroristes de l'innovation, de la dérive eugéniste toujours possible ou de la préservation de l'environnement, laquelle passe, notamment, par l'application des résolutions de Rio et de Kyoto.

Ces considérations d'ordre général ne visent pas, Monsieur le ministre, à mettre en cause vos initiatives. Bien au contraire ! Elles tendent simplement à les situer dans leur contexte et à insister sur l'absolue nécessité d'une démarche volontariste en faveur d'une recherche scientifique au service de l'homme. N'oublions pas, en effet, que dans la période 1993-1997, les pouvoirs publics l'ont trop facilement abandonnée à la logique des marchés financiers et de la concurrence débridée. Certes, votre prédécesseur a fourni de réels efforts pour défendre l'intérêt général contre le libéralisme, mais son action a été d'autant moins comprise que les budgets des années 1998-2000 n'étaient pas à la hauteur des objectifs proclamés.

Tel n'est pas le cas aujourd'hui, et je rends hommage à votre volonté d'innovation comme à votre sens de la concertation. Vous nous présentez aujourd'hui des lignes de force budgétaires résolument orientées à la hausse. Malgré vos efforts en matière de dialogue avec la communauté scientifique, les chercheurs s'estiment cependant encore trop contraints par des modes d'encadrement quelque peu technocratiques. Plus largement, comme le sénateur René TREGOUET et moi-même le préconisions dans notre rapport sur les très grands équipements, l'organisation d'assises de la recherche pour le XXIe siècle serait très appréciée.

J'approuve votre décision de lancer - enfin ! - une politique pluriannuelle de recrutement de chercheurs et d'ITA pour les dix ans à venir. Il fallait en finir avec le fallacieux prétexte de l'annualité budgétaire. Merci d'avoir eu le courage de le faire, mais il faut, à présent, évaluer de manière objective et dynamique les besoins de recrutement.

L'effort public en faveur de la recherche a donc véritablement redémarré en 2001 avec des priorités clairement définies : sciences et technologies de l'information et de la communication, sciences du vivant, sciences humaines et sociales, énergie-environnement.

Votre projet de budget progresse ainsi de 2,2 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2001. En autorisations de programme, le BCRD augmente de 2,9 %. Mais je vois une faiblesse dans la différence d'évolution entre les autorisations de programme d'une part, les dépenses ordinaires et les crédits de paiement d'autre part.

Vous prévoyez 500 créations d'emplois, ce qui est supérieur aux années précédentes : il y en avait eu 140 en 1999, 18 en 2000 et 265 en 2001. Ces créations de postes ont un triple objectif : améliorer la gestion prévisionnelle de l'emploi scientifique, offrir davantage de débouchés aux jeunes docteurs et renforcer les effectifs dans les disciplines prioritaires. Il faudra toutefois veiller à éviter des réductions d'emplois dans les autres disciplines. Ces mesures permettront d'améliorer le pyramidage des corps et de poursuivre la requalification des emplois d'ingénieur et de technicien.

Cependant, même si votre ministère n'est pas seul dans ce cas, vous ne prenez pas en compte toutes les conséquences de la réduction du temps de travail. Passer de 39 à 35 heures pour 44 000 chercheurs suppose, en équation simple, de recruter 4 400 personnes. Même en équation composée, avec des temps modifiés, il faudrait un recrutement conséquent.

Les crédits consacrés aux allocations de recherche augmentent de 14,565 millions d'euros, ce qui est important pour les jeunes chercheurs.

M. le Président - Veuillez conclure.

M. le Rapporteur spécial - Je demande votre indulgence, Monsieur le Président : les développements qui suivent m'éviteront de poser des questions.

Les autorisations de programme augmentent de plus de 5 %. En sus de leurs dotations, les laboratoires peuvent bénéficier des soutiens du fonds national de la science et du fonds de la recherche technologique. Mais les intéressés continuent de s'interroger sur la légitimité de ces deux conseils directement liés à votre ministère.

Il faudrait par ailleurs régler les problèmes que pose la nouvelle réglementation des marchés publics pour éviter que la consommation des crédits soit freinée.

Je ne peux pas ne pas dire un mot du projet SOLEIL. En 2002 débutera la construction de ce synchrotron de nouvelle génération sur le plateau de Saclay.

L'IFREMER va recevoir un nouveau bateau.

Les dotations du CEA et de l'IPSN augmentent de 2 %. Par ailleurs, la constitution d'un consortium par le CEA et Framatome va modifier les conditions de l'intervention publique.

Au CNES, les responsables s'inquiètent de voir leurs crédits se stabiliser. Même s'ils ont les moyens de prendre part aux programmes engagés par l'agence européenne, ils craignent de payer pendant longtemps les dysfonctionnements constatés dans le passé.

Le financement des contrats de plan sera assuré.

Un mot encore sur le projet SOLEIL : les statuts d'une société civile viennent d'être déposés. On peut s'interroger sur la prolifération de telles sociétés : s'agit-il seulement d'assouplir la gestion ou va-t-on réduire les moyens des établissements publics ?

J'exprimerai enfin quelques v_ux. Le premier, c'est que la recherche redevienne une priorité nationale préservée des aléas de la conjoncture.

Le deuxième, qu'on s'efforce d'intéresser le citoyen au progrès de la recherche. L'opinion publique est taraudée par des peurs dont certaines relèvent du fantasme. Il faut lui permettre de découvrir et d'interroger le monde de la recherche scientifique en créant non un instrument de censure, mais un instrument de mesure.

Je souhaite aussi que la recherche s'organise au niveau européen. L'absence de toute politique communautaire dans ce domaine nous est préjudiciable. Mais l'Europe de la science ne peut devenir une réalité qu'à la condition de renoncer au dogme libéral.

Enfin, j'ai cette espérance que la recherche, malgré le « choc des civilisations » aggravé par la mondialisation, nous permette de construire une société planétaire composite et pacifiée. Même à leur insu, tous les chercheurs y contribuent. Et les politiques, quoique leur démarche ne soit pas toujours scientifique, peuvent quelquefois être rangés dans la catégorie des chercheurs.

M. le Président - Vous avez dépassé votre temps de parole, mais je reconnais que nous entendons rarement des exposés d'une telle qualité.

M. Pierre Cohen, rapporteur pour avis de la commission de la production - Je ne serai pas aussi brillant car, au contraire de M. Cuvilliez, je m'en tiendrai au budget.

Je me félicite que, pour la deuxième année consécutive, le BCRD soit en augmentation. J'aurais aimé qu'il fasse partie des budgets prioritaires, mais je sais, Monsieur le ministre, que c'est aussi votre souhait. Notons tout de même que le BCRD augmente plus vite que le budget de l'Etat : 2,2 % contre 1,7 %.

Mais mon principal motif de satisfaction réside dans l'annonce d'un programme pluriannuel de création de postes, comme M. Le Déaut et moi l'avions préconisé dans notre rapport. N'oublions pas que les grands progrès technologiques résultent tous des recherches menées dans les laboratoires. Or il faut entre dix et quinze ans pour former un chercheur et lui confier des responsabilités. En outre, les départs en retraite vont libérer la moitié des postes actuels dans les cinq à huit années qui viennent.

Mais vous ne vous contentez pas d'un effet d'affichage, vous créez vraiment des postes - 500 cette fois -, pour la deuxième année consécutive. Je me réjouis particulièrement, après la réduction sensible du nombre de postes d'ITA de 1993 à 1997, qu'un mouvement inverse soit aujourd'hui engagé, car ces personnels ont un rôle éminent à jouer, aux côtés des chercheurs.

A ces créations s'ajoute, même si cela ne relève pas de votre ministère, l'augmentation sensible du nombre d'enseignants dans le supérieur. On sait la place que prennent les maîtres de conférences dans la recherche. Au total, en deux ans, plus de 4 000 postes auront été créés pour renforcer la capacité de recherche.

Les mesures destinées à attirer les jeunes vers les carrières scientifiques constituent le deuxième pôle fort de ce budget. Il convenait, en effet, de remédier à la désaffection constatée au cours de la période de croissance, qui a attiré de nombreux jeunes vers des emplois à haute technologie, bien rémunérés, dans le public comme dans le privé. Pour cela, vous augmentez l'allocation recherche de 5,5 %. C'est très bien, mais, s'agissant de la seule indemnité qui n'a pas augmenté depuis dix ans, il faudrait aller plus loin et prévoir un rattrapage pluriannuel du coût de la vie. Afin que les allocataires disposent d'un salaire décent, vous ouvrez aussi aux doctorants la possibilité de devenir moniteurs et de percevoir ainsi une rémunération complémentaire. Il sera également fort utile d'élargir ainsi leur mission.

Bien sûr, vous nous avez montré que, dans vos budgets, les crédits de paiement engagés correspondaient bien aux autorisations de programme antérieures, mais il faudra demeurer vigilant sur ce point car le monde de la recherche a été échaudé par les annulations intervenues antérieurement, sous tous les gouvernements.

On ne peut que se réjouir que le Gouvernement continue à fixer comme priorités les sciences du vivant, les sciences et technologies de l'information et de la communication, l'environnement. Les débats autour de ces sujets et les difficultés rencontrées dans le monde entier montrent bien l'opportunité de ces choix. Grâce à l'action de votre prédécesseur, le fonds national de la science et le fonds de la recherche et de la technologie ont été effectivement orientés vers ces priorités. De même, il est vrai à la suite d'un dialogue houleux, les organismes de recherche jouent désormais parfaitement le jeu. Les contrats de plan Etat-région sont également des relais efficaces pour le dynamisme des laboratoires et pour l'aménagement du territoire, le schéma de services collectifs enseignement-recherche ayant montré la difficulté d'une bonne répartition dans l'ensemble du pays.

Pour les orientations relatives à la recherche industrielle, les fonds régionaux jouent un rôle important. En tant que Toulousain, je me félicite de la place réservée à l'espace et à l'aéronautique. Quand un budget a été en diminution depuis des années, on peut se réjouir, Monsieur Cuvilliez, qu'il soit cette année stabilisé. Ce qui me semble surtout préoccupant, car on ne peut raisonner que dans un cadre européen, c'est la volonté de certains pays de se désengager de ces secteurs au profit des entreprises qui, elles, ne sont pas toujours prêtes à investir à long terme. C'est pourquoi je considère que l'Etat doit jouer pleinement son rôle, en particulier pour certains projets essentiels comme le lanceur européen, Galileo et le GMES.

Dans l'espace européen qui doit devenir une réalité, il est plus que jamais nécessaire de faire de la recherche une vraie priorité budgétaire. Cela suppose que le pari de l'emploi scientifique soit gagné en quelques années, que les carrières soient effectivement revalorisées et que l'image et le rôle des chercheurs soient nettement améliorés. Il est vrai que les chercheurs ont été quelque peu discrédités ces dernières années. Ainsi, alors que l'on disposait de tous les arguments nécessaires, on n'a pas su remporter le débat médiatique sur les OGM. On ne peut se permettre de tels échecs si l'on veut que les jeunes soient attirés vers les carrières scientifiques.

Améliorer l'image exige aussi que l'on fasse officiellement de la culture scientifique et technologique une mission de service public, qu'elle soit accessible à tous les citoyens et qu'elle entre dans la formation initiale, du primaire jusqu'au baccalauréat. Cela me paraît un enjeu très important dans l'obscurantisme ambiant.

Le nouveau code des marchés publics préoccupe beaucoup les chercheurs.

Enfin, je voudrais quelques précisions sur le bilan de la loi sur l'innovation. Si elle a été très positive sur certains points, on ne connaît pas encore ses résultats en matière de mobilité par exemple.

M. Pierre Lasbordes, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles - Etant pour la première fois rapporteur pour avis de ce budget, j'ai souhaité faire preuve de pragmatisme et m'en tenir plus aux chiffres qu'aux déclarations d'intention, même si je dois par là atténuer l'enthousiasme des deux autres rapporteurs. J'ai aussi consulté environ 45 personnalités de la recherche tant privée que publique et me permettrai de formuler quelques propositions. En effet, les outils de la recherche française sont de qualité, mais ils pourraient être mieux utilisés au prix de quelques réformes de structure.

Les crédits de la recherche pour 2002 ont été rejetés par la commission des affaires culturelles.

M. le Président - Pouvez-vous répéter, je vous prie ?

M. Pierre Lasbordes, rapporteur pour avis - Ils ont été rejetés par la commission. En effet, la petite augmentation de 0,9 % qui nous a été annoncée, correspond, en fait, compte tenu de la hausse des prix, à une petite réduction de 0,7 %. Il ne s'agit même pas d'une reconduction. Monsieur le ministre, votre présentation n'est pas très objective : l'évolution du BCRD ne serait bonne que depuis 1997. En réalité, on assiste à une diminution constante depuis 1991, quel que soit le gouvernement. La recherche ne constitue pas une priorité nationale et la France fait moins bien que ses concurrents. Depuis 1995, les crédits ont augmenté de 0,6 % en France, à comparer à 3 % pour l'ensemble de l'Union européenne, 4,1 % pour le Japon et 5,5 % pour les Etats-Unis. La France est aussi en queue de peloton pour le nombre des chercheurs. Vous nous annoncez des créations de postes, mais qui sont limitées à 0,6 % pour les EPST et à 1,3 % pour leur personnel ITA, et budgétisées seulement à partir du 1er septembre 2002. Les moyens budgétaires des EPST n'en subissent pas moins une diminution équivalente, dès le 1er janvier ! En outre, les annulations de crédits de 2001 se montent déjà à 18,2 millions d'euros. Surtout, le plan décennal de la gestion prévisionnelle de l'emploi scientifique n'est pas à la hauteur des besoins. Il n'anticipe pas suffisamment les départs en retraite, compte tenu des délais de recrutement. Le profil des postes créés risque aussi d'entraîner des goulets d'étranglement. Un simple plan n'est pas suffisant : c'est une loi de programmation pluriannuelle qui est nécessaire. Un débat sur les perspectives de la recherche pourrait ainsi avoir lieu.

Attirer les jeunes vers la recherche est indispensable, et je me réjouis que l'allocation de recherche soit augmentée de 5,5 %. Mais cela ne suffira pas à combler le retard accumulé. Il conviendrait plutôt de l'indexer sur le point de la fonction publique. Il faut également aider les doctorants à préparer leur parcours professionnel, par exemple en ouvrant le monitorat à d'autres tâches que l'enseignement. Des incitations financières et des salaires revalorisés doivent attirer les jeunes étudiants qui ont quitté le territoire national : on parle « d'exil doré ». On pourrait aussi créer des postes d'attaché temporaire de recherche, sur le modèle des ATER, pour les post doctorants, en complément des programmes d'échanges européens existants.

Le présent projet ne permet pas aux laboratoires publics de recherche de maintenir un effort de recherche et développement digne de ce nom. Certains ne verront même pas leurs subventions reconduites à l'identique. Depuis 1998, les dotations versées aux EPIC ont diminué de 6 %. Par ailleurs, les organismes de recherche français sont lourdement pénalisés dans la compétition internationale, par la lourdeur des modes de passation des marchés publics. Un régime dérogatoire devrait au moins exister pour les achats inférieurs à 10 000 euros des EPST, un contrôle a posteriori étant bien entendu maintenu. Cela ferait partie de la culture de confiance qu'il faut développer.

Vous annoncez, Monsieur le ministre, une progression des crédits pour financer vos priorités. Toutefois, la part du budget consacrée à l'environnement et à l'énergie n'a pas bougé, celle des sciences de la vie n'a augmenté que de 0,1 % et les STIC de 0,3 %, tandis que celle de l'espace diminuait de 0,5 %. Les changements procèdent pour l'essentiel de redéploiements. Les emplois créés sont compensés par d'autres qui ne sont pas remplacés dans des disciplines plus traditionnelles, comme les mathématiques ou la physique, dont le potentiel est ainsi amoindri. Vous souhaitez aussi soutenir la recherche industrielle et l'innovation. La loi du 12 juillet 1999 relative à l'innovation et à la recherche donne de bons résultats, mais la mise en place des SAIC est encore suspendue à l'aboutissement des consultations. Un exemple : le secteur des biotechnologies. Pour combler le retard de la France, il faut accroître les incitations fiscales : création de FCPI, participation plus soutenue de l'ANVAR, prêts bancaires garantis par exemple. Mais je suis très satisfait que le projet SOLEIL démarre dans de bonnes conditions.

L'ensemble de ces réflexions souligne la nécessité de conduire un débat approfondi avec la communauté scientifique. Je regrette, Monsieur le ministre, que vous n'ayez pas profité de ces deux années pour le lancer, d'autant que vous dites dans la presse vouloir intéresser les élus à la recherche. C'est sans doute pour réclamer un tel débat que la commission des affaires culturelles a donné un avis défavorable. Pour que la recherche soit plus performante, il faut lui en donner les moyens. Du moins pouvons-nous constater que vous avez voulu favoriser une inflexion dans ce sens.

M. le Président - Il y aura tout de même eu quelques compliments ! Monsieur le ministre, M. Bourg-Broc m'a fait remarquer que la lettre politique et parlementaire qui a publié 1 000 sigles, définit les STIC comme des « systèmes de traitement des infractions constatées »...

M. le Ministre - C'est une abréviation que nous utilisons depuis des années, et je suis sûr que M. Vaillant me permettra de la lui emprunter !

Pour répondre à M. Cuvilliez, je dirai que la France se caractérise depuis longtemps par un rôle très important de la recherche publique, qui y a été promue du Front populaire à aujourd'hui en passant par le général de Gaulle et Pierre Mendès-France. À la différence d'autres pays, nous considérons, la recherche comme une fonction quasiment régalienne car elle a des conséquences sur la vie quotidienne et l'avenir de chacun. Il ne faut donc pas relâcher l'effort budgétaire. M. Cuvilliez et M. Lasbordes ont évoqué le pourcentage de la dépense intérieure de recherche et développement par rapport au PIB. Des nuances s'imposent. En effet, la France est, de tous les pays membres de l'OCDE, celui dont l'effort de dépense publique en faveur de la recherche, rapporté au PIB, est le plus important. En revanche, nous sommes loin derrière les Etats-Unis et le Japon si l'on considère l'effort de recherche privé ; c'est ce qui explique un pourcentage total de dépense plus faible que ce qu'il pourrait être.

Pour autant, la situation n'est pas aussi préoccupante qu'il y paraît, car la différence est faible. Ainsi, les dernières statistiques connues montrent que l'effort total était, en 1999, de 2,19 % du PIB en France, et de 2,46 % aux Etats-Unis. Certains objecteront qu'il conviendrait de prendre en considération la dépense en valeur absolue, mais cet argument n'est pas recevable, car l'on ne peut attendre de la France un effort aussi important que celui que peuvent consentir les Etats-Unis, forts d'une population cinq fois plus nombreuse. La différence est plus forte avec le Japon, où le pourcentage est de 3,04 %, et chacun souhaitera évidemment que nous fassions davantage. J'insiste cependant sur le fait que, contrairement à ce que certains orateurs ont exposé, notre dépense progresse - faiblement, certes, mais elle progresse, puisqu'elle était de 2,17 % en 1998 et de 2,19 % en 1999... Alors, Français, encore un effort ! On ajoutera que, comme l'a dit M. Cohen, la recherche en matière de défense a régressé, parce que l'art de la prévision est un art difficile... On observe également que les dépenses de recherche des entreprises progressent notablement, ce qui démontre l'effet de levier du fonds de la recherche et de la technologie, créé par Claude Allègre. Un article publié récemment par Le Monde indique d'ailleurs que les dépenses de recherche et de développement des grands groupes installés en France ont progressé de 11 %, ce qui va dans le bon sens. Je suis donc désolé de devoir vous contredire, Monsieur Lasbordes : nous remontons la pente, ce qui serait d'ailleurs moins difficile si l'effort avait été plus soutenu et si les entreprises - et notamment les plus grandes - ne s'en étaient pas si longtemps remises à la recherche publique. J'ai été particulièrement sensible aux remarques de M. Cuvilliez à cet égard, et je considère comme lui que nous devons exercer une vigilance sans faille à l'égard d'Aventis, qui doit respecter ses engagements.

S'agissant de la bioéthique, je crois savoir que l'examen du projet de révision de la loi sera inscrit à l'ordre du jour de votre assemblée aux environs du 15 janvier prochain, ce dont je me félicite. Plus rapidement le texte sera adopté, plus rapidement les biologistes français pourront, à l'instar de leurs confrères américains ou allemands, conduire des recherches sur les cellules souches embryonnaires, pour le plus grand bien de la santé publique. Le consensus ne devrait pas faire de doute, puisque la dissension portait sur le clonage thérapeutique, volet qui n'a pas été retenu dans le projet pour tenir compte de l'avis du Conseil d'Etat. Pour le reste, le Président de la République et le Premier ministre s'accordent sur la nécessité d'utiliser, à des fins de recherche, les cellules souches résultant d'embryons surnuméraires, dans des conditions strictement encadrées.

D'autre part, le projet visant à transposer en droit interne la directive du 6 juin 1998 sera soumis prochainement à votre assemblée. Le Gouvernement a décidé que le texte ne prévoirait pas de transposer l'article 5 de la directive, dont la rédaction ambiguë semble autoriser la brevetabilité du vivant.

La question m'a également été posée de l'accueil réservé par les personnels au plan décennal de gestion prévisionnelle de l'emploi scientifique. Que l'on se rassure : la concertation a conduit à un avis favorablement unanime, en octobre. Le plan décennal garantira au minimum le maintien des effectifs dans chaque discipline, et parfois leur augmentation. C'est dire que ni la physique, ni la chimie, ni les sciences humaines et sociales ne sont menacées.

Je confirme d'autre part que les assises de la culture scientifique et technique se dérouleront sous peu.

S'agissant de la couverture des autorisations de programme, Pierre Cohen a remarqué à juste titre que le taux de couverture sera infiniment meilleur cette année qu'il ne l'a été au cours des années précédentes.

Les crédits du CNES sont stabilisés, ce qui constitue en soi un progrès par rapport aux exercices précédents. Le Centre, qui fêtera le mois prochain son quarantième anniversaire, a impérativement besoin d'un contrat d'objectif pluriannuel car l'activité spatiale ne peut se concevoir que dans le long terme.

Je remercie une nouvelle fois M. Cohen pour son intervention et je partage avec lui le souhait que le BCRD soit un jour considéré comme prioritaire. J'observe cependant que quatre départements ministériels seulement - éducation nationale, intérieur, justice, environnement - bénéficient cette année de ce classement pour des raisons qui se comprennent aisément. Nous en sommes pour notre part à un stade « intermédiaire », puisque notre budget bénéficie d'un effort tout particulier.

Le plan décennal de recrutement concrétise une idée très activement soutenue de M. Le Déaut. Il a été difficile à obtenir, le ministère du budget étant peu séduit, et c'est un euphémisme, par une programmation des crédits sur dix ans ! J'ajoute que la contribution du ministre de la fonction publique au lancement de ce projet a été décisive et je l'en remercie.

S'agissant des ITA, je souscris pleinement à l'analyse de M. Cohen : il faut encore renforcer les effectifs. Les diminutions drastiques décidées dans la période 1993-1997 avaient plongé les laboratoires dans des situations parfois critiques.

L'idée d'attirer les jeunes dans les filières scientifiques grâce au monitorat me semble très saine et j'ai demandé au ministre de l'éducation nationale que des postes de moniteur soient spécialement affectés à la diffusion de la culture scientifique dans le grand public.

J'ai souhaité inclure l'environnement dans les priorités budgétaires car les besoins de la société en matière de préservation du cadre de vie, de lutte contre l'effet de serre ou plus globalement de protection de l'environnement ne cessent de s'affirmer. En outre, nous disposons dans ces disciplines d'excellents experts, tels Gérard Mégie, président du CNRS.

Je suis comme vous, Monsieur Cohen, très attaché au développement du secteur aéronautique et je crois à l'avenir du supersonique dans des applications plus variées que Concorde. Je me réjouis cependant de sa remise en service et je rappelle que nous avons lancé avec M. Gayssot en décembre 2000 un programme de recherche sur le supersonique du futur.

En matière d'environnement, le système GMES - Global Monitoring Environment Security - fonctionne bien et Ariane 5 mettra prochainement sur orbite le satellite ENVISAT, véritable _il de l'Europe sur l'environnement, chargé notamment de veiller à la bonne application par les Etats qui les ont ratifiées des normes d'émission de gaz à effet de serre.

S'agissant des OGM, il est urgent d'organiser un débat citoyen, pluraliste et équilibré où les arguments de raison l'emportent enfin sur le passionnel. Je considère pour ma part, depuis longtemps, qu'il ne faut ni les idéaliser - comme sont parfois tentées de le faire certaines grandes firmes de l'agroalimentaire -, ni les diaboliser. Le discours des militants anti-OGM est partiel et fragmentaire. Les perspectives ouvertes en matière de résistance des cultures n'y sont en effet jamais évoquées, non plus que les applications thérapeutiques éventuelles, pourtant prometteuses. Du reste, la recherche publique n'a pas vocation à s'ériger en procureur contre telle ou telle pratique mais à apporter des éclairages scientifiquement fondés. A ce titre, la contribution de l'INRA sur les risques éventuels des OGM pour l'environnement est précieuse. L'état actuel des connaissances nous conduit à rester fidèles au moratoire européen visant à interdire la mise en culture commerciale d'OGM tant que les résultats des études en cours ne sont pas finalisés. Notre démarche tend à appliquer strictement le principe de précaution, qui, rappelons-le, crée une obligation de recherche pour sortir de l'incertitude et décider en pleine connaissance de cause. Nous avons collectivement laissé les militants anti-OGM diffuser dans la société une vision par trop simplificatrice de ce problème complexe qui mérite, je le répète, un large débat citoyen.

Je répondrai plus longuement tout à l'heure à vos observations sur la culture scientifique et sur les marchés publics. Je partage sur ces sujets l'essentiel des propos qui ont été tenus.

Dans le cadre de la loi innovation-recherche, nous mettons tout en _uvre pour développer la mobilité : l'accueil d'universitaires dans les structures de recherche et, de manière quasi symétrique, de chercheurs à l'Université est plus que jamais favorisé. Parallèlement, le nombre de chercheurs créant une entreprise pour valoriser le fruit de leurs travaux a été multiplié par cinq depuis la publication de la loi Allègre.

M. Lasbordes nous a fait part du rejet par la commission des affaires culturelles de ce projet de budget. Je veux croire pour ma part que cette décision ne constitue pas une marque de défiance des commissaires à l'égard du budget de la recherche. Sans doute est-elle liée à la composition de l'instance à ce moment précis. Il faut bien que l'assiduité soit récompensée !

Vous avez évoqué l'article de M. Postel-Vinay dans le journal La Recherche. La presse, toujours attentive aux dysfonctionnements, s'intéresse moins aux mesures prises pour y remédier. Quand M. Postel-Vinay déclare que la progression de l'emploi scientifique n'est pas satisfaisante, je me dis : comme ce saint homme a raison ! Sans lui, je n'aurais sans doute pas eu l'idée d'un plan décennal pour rattraper le retard pris entre 1995 et 1997, quand l'emploi scientifique ne s'accroissait que de 1,2 % (Sourires).

Entre 1991 et 2000, 522 emplois ont été créés. Il y en aura 1 200 entre 2001 et 2004, les créations de postes étant concentrées sur les premières années du plan décennal. D'ailleurs, la moitié de ces postes est déjà inscrite dans les lois de finances pour 2001 et 2002. C'est un effort sans précédent depuis 1982. Encore ne s'agissait-il à l'époque que de titularisations. J'annonce pour ma part 1 000 créations nettes, plus 200 titularisations en vue de résorber la précarité.

M. Lasbordes a déploré notre retard dans l'attribution des allocations de recherche. Mais leur nombre avait considérablement diminué entre 1993 et 1997. Nous augmentons de manière significative le nombre des allocataires. Dans les disciplines traditionnelles, pour lesquelles il existe une certaine complémentarité entre l'éducation nationale et la recherche, nous veillons à ce qu'il n'y ait aucune réduction d'effectifs dans la décennie.

M. le Président - Je vous remercie. Plusieurs députés souhaitent maintenant vous interroger.

M. Claude Birraux - J'observe une inflexion dans ce budget. Faut-il en conclure à une rupture avec la politique de votre prédécesseur, qui avait déclaré haut et fort que la recherche ne serait pas sa priorité tant qu'elle ne se serait pas réformée ? On a commencé par réformer votre prédécesseur...

La procédure de passation des marchés publics est devenue un casse-tête. Que comptez-vous faire pour éviter des retards dans la réalisation des équipements ?

S'agissant de la réduction du temps de travail, quel sens une telle réforme peut-elle avoir dans la recherche ? La rendre contraignante serait le plus sûr moyen de désorganiser nos équipes de chercheurs. Vous le savez, quand une équipe est sur le point de publier, les samedis, les dimanches, les soirées se passent au laboratoire.

Les établissements publics de recherche ont déjà procédé à des redéploiements en faveur des disciplines considérées comme prioritaires. Il faut veiller à ce que d'autres disciplines ne soient pas complètement démantelées.

Nous allons ratifier la directive sur la brevetabilité sans l'article 5. Certains pays ne l'ont pas ratifiée, d'autres ont engagé des procédures devant la Cour européenne. Sans vouloir vous mettre en difficulté avec votre collègue des Affaires étrangères, j'aimerais savoir si, à votre avis, il ne serait pas plus sage d'attendre. Je m'interroge aussi sur le processus de décision, mais je sais que vous ne pouvez me répondre sur ce point sans entrer en guerre avec le quai d'Orsay.

La revalorisation des allocations de recherche est un progrès. Il est utile que des post-doctorants travaillent à l'étranger, à condition toutefois qu'ils reviennent. Que peut-on faire pour mieux les accueillir à leur retour ?

Je m'interroge sur l'articulation entre l'Agence spatiale européenne et le CNES. On dit qu'une réussite d'Ariane est un regret pour le CNES et qu'un échec le rend encore plus triste... (Sourires) Cette parcellisation ne cause-t-elle pas de pertes en ligne ? Que faire pour rendre la recherche plus cohérente ?

Une de mes questions écrites est restée sans réponse. Elle portait sur les grands équipements, dont le CERN, qui est le résultat d'un effort exemplaire de coopération mondiale. C'est au CERN qu'a été inventé Internet. Cet organisme est en train de construire le LHC, le plus grand accélérateur de particules du monde. Le coût de cette opération avait été estimé à 3 milliards de francs suisses en 1995, mais le dépassement est déjà de 20 %. Est-ce extravagant d'ailleurs, pour un tel équipement ? Les crédits alloués au CERN sont inscrits au budget des affaires étrangères, mais vous avez certainement votre mot à dire. La France prendra-t-elle sa part au financement du surcoût ? Fera-t-elle les mêmes efforts que l'Espagne et l'Italie ? Si le siège social du CERN est à Genève, la plupart des installations se trouvent en territoire français : des emplois sont en jeu, ainsi que l'avenir des sociétés sous-traitantes.

En 1994, quand l'Allemagne avait voulu créer un nouveau centre à Hambourg, souhaitant profiter des scientifiques venus de l'ex-RDA pour faire concurrence au CERN, le gouvernement français avait demandé aux collectivités locales de mettre la main à la poche. Elles l'ont fait. Aujourd'hui, il n'y a plus guère que les élus locaux et les parlementaires de la région pour croire encore en l'avenir de ce formidable instrument.

M. Claude Gatignol - Nos choix en matière de recherche conditionnent notre position dans le monde. Or la France accuse un certain retard, les ratios que vous avez cités ayant le défaut de se rapporter au PIB.

Même s'il progresse, votre budget ne permettra pas de combler ce retard. Comment s'articule-t-il avec l'effort de recherche européen ?

Vous faites de l'emploi scientifique une priorité, ce qui est nécessaire compte tenu des nombreux départs en retraite attendus entre 2004 et 2010. Vous annoncez 500 emplois pour 2002, dont 100 postes de chercheurs. Mais il s'agit moins de créations que de transformations de postes, visant à résorber l'emploi précaire. De plus, ces mesures bénéficient essentiellement aux disciplines considérées comme prioritaires par votre gouvernement : les sciences du vivant, les technologies de l'information et l'environnement. En revanche, les effectifs des biologistes n'augmentent pas, alors que la recherche sur les biotechnologies fait partie de vos priorités. Il ne faudrait pas que l'effort consenti porte préjudice aux disciplines classiques ou à la filière nucléaire. Dans ce secteur, nous disposons d'un corps d'experts internationalement reconnu. Il n'en faut pas moins renouveler les effectifs de chercheurs pour renforcer la sûreté du parc existant et concevoir les systèmes nucléaires du futur.

L'augmentation de l'allocation de recherche des jeunes doctorants va dans le bon sens, mais elle demeure insuffisante pour enrayer la fuite des cerveaux et la désaffection des jeunes pour les filières scientifiques. Le nombre des monitorats doit aussi être augmenté et votre ministère doit lancer de fortes actions pour inciter les jeunes à se lancer dans les études et dans les carrières scientifiques.

Il faut également engager une réflexion sur la pertinence des grands choix stratégiques, sur l'évaluation des programmes et des projets et sur l'émergence de nouveaux champs disciplinaires. On a cité le général de Gaulle qui disait, je crois, « je porte beaucoup d'attention aux chercheurs, j'aime beaucoup les chercheurs qui trouvent ». Pour cela, il convient de favoriser, dès à présent, le développement des énergies du futur afin d'assurer notre indépendance énergétique. Cela passe par le développement de la recherche, en particulier pour l'hydrogène, qui pourrait bien être l'énergie du XXIème siècle. Vous étiez présent, Monsieur le ministre, au colloque qui s'est tenu ici même il y a 48 heures sur l'avenir énergétique international et vous y avez entendu, comme moi, ce qui y a été dit des multiples avantages des piles à combustibles, que nous avons aussi mis en avant, avec Robert Galley, dans notre rapport de l'office parlementaire. Ces piles peuvent être un formidable atout pour notre économie : pour la conquête spatiale, pour les sous-marins, pour la voiture de demain, pour l'alimentation d'un téléphone ou d'un ordinateur portables, il y a une pile qui convient. Les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédées ont confirmé les immenses espoirs portés par ce générateur électrochimique. Il reste toutefois à le sortir des laboratoires d'essais, à passer du prototype à la série industrielle, à réduire les coûts, à améliorer la fiabilité et à maîtriser tout ce qui touche à l'hydrogène.

Or force est de constater un certain retard de la France. Le CEA, qui a des compétences en ce domaine, doit accroître les moyens qu'il consacre à ces recherches. Le réseau pile à combustible doit aussi être réformé. Le contrat d'objectifs que le CEA vient de signer avec l'Etat prévoit un triplement du budget consacré à cette pile entre 2001 et 2004. Comment pourrait-il tenir cet objectif avec un budget en stagnation et avec un accroissement de ses charges et, surtout, de ses domaines de compétence - recherche nucléaire et prion notamment ? Il ne faudrait pas que cela le conduise à renoncer à ses efforts en faveur des technologies du futur.

Parallèlement à la recherche publique, l'innovation dans le privé est déterminante pour le développement de nos entreprises, donc pour l'emploi. Il faut accompagner les PME dans leur démarche innovante et je me réjouis que votre gouvernement ait repris le texte préparé par François d'Aubert lorsqu'il était ministre de la recherche. Cette loi répond à un besoin, mais les entreprises sont aussi soumises à de nombreuses contraintes fiscales, sociales et réglementaires. Je pense en particulier au coût de la réduction du temps de travail, qui se révèle un dangereux outil de désorganisation, dont les effets seront encore aggravés par la récession qui s'annonce. Dans ces conditions, votre effort en faveur des entreprises innovantes pour favoriser la recherche dans le privé paraît trop timide. Allez-vous nous proposer des dérogations à la RTT ?

Il faut aussi encourager le partenariat entre la recherche publique et les entreprises et favoriser les dépôts de brevets, afin de préserver nos positions à l'exportation.

L'espace a été longuement évoqué, je n'y insisterai donc pas. Je note simplement que l'activité va quintupler d'ici à 2009 et que la France ne pourra conserver son leadership que grâce à une coopération renforcée entre les Etats. Notre industrie spatiale doit être assurée d'un engagement financier pérenne.

Les laboratoires sont confrontés à de grandes difficultés en raison de l'application tatillonne du nouveau code des marchés publics, qui s'applique aussi bien aux produits consommables et au petit matériel qu'aux gros équipements scientifiques. Bien sûr, les responsables des laboratoires sont favorables à la mise en compétition des fournisseurs, mais cette réglementation semble inadaptée, elle est source de gaspillage des fonds publics, elle entraîne une quasi-paralysie des laboratoires. Ainsi, 30 % des crédits ne sont pas consommés en raison des problèmes pour passer les commandes. C'est inadmissible ! Quelles solutions comptez-vous apporter ?

M. Daniel Chevallier - Je veux d'abord vous féliciter, Monsieur le ministre, ainsi que vos services, pour la qualité des documents qui nous ont été transmis, qui permettent une vue synthétique et agréable de votre budget.

A l'évidence, les orientations données à la politique de recherche depuis deux ans vont dans le bon sens, même si une bonne part de l'effort est destinée à rattraper la faiblesse des crédits entre 1993 et 1997. Il est vrai qu'il faudrait faire un peu plus pour que la recherche soit une vraie priorité budgétaire, car elle contribue plus que tout autre département ministériel à bâtir la société de demain.

Mais je ne ferai pas la fine bouche, je me réjouis des moyens dégagés en faveur des laboratoires et des équipes de recherche, du FNS et du FRT, du recrutement de chercheurs et d'ITA, de la revalorisation de l'allocation de recherche. Il faut veiller toutefois à ce que tout ce qui est fait pour favoriser l'investissement dans la recherche ne soit pas contrarié par des obstacles administratifs, je pense en particulier à l'application du code des marchés publics.

Vos choix rejoignent totalement les aspirations des acteurs et des élus locaux, on le voit avec les crédits destinés aux contrats de plan Etat-région et avec le renforcement du soutien à la recherche dans les PME. Ils coïncident aussi avec l'intérêt croissant de nos concitoyens pour ce qui se passe dans les laboratoires. Les événements récents, les grands débats, notamment sur l'ESB et sur le prion, qui ont animé notre société ont concerné à la fois le grand public et la recherche de pointe. On est là au c_ur du principe de précaution qui, pour moi, doit allier la prudence et l'effort de recherche. Je sais que vous y êtes très attentif, pourtant, la bataille médiatique a été perdue dans le dossier des OGM. Pour tout ce qui touche aux sciences de la vie, nous devons nous montrer plus didactiques, plus explicites, plus transparents. Il faut aussi que les choix résultent d'une évaluation plus rigoureuse de leur intérêt pour l'ensemble de la collectivité. Il convient enfin de renforcer le dialogue et le débat démocratique, afin que l'importance de la recherche pour l'avenir de la société soit comprise non seulement par vous et par nous, mais par tous nos concitoyens.

Il faut donc instaurer un dialogue. Des structures doivent, au niveau départemental, expliquer notre politique aux citoyens qui ne disposent, pour l'instant, que de l'information des médias classiques. Que comptez-vous faire pour améliorer la transparence dans ce domaine ? Ce serait franchir un pas décisif pour le développement de la recherche.

Je ne m'étendrai pas sur votre plan pour l'emploi. Comment comptez-vous intégrer la masse des docteurs sans poste et rentabiliser, même si le terme est peu adapté, cet immense potentiel intellectuel ?

Ma troisième question concerne la recherche biomédicale. Alain Claeys, spécialiste des problèmes de la bioéthique, salue nombre de nos réalisations dans ce domaine. Il me suffira de citer le Centre national de séquençage. Les sciences de la vie disposent du quart de vos moyens budgétaires. C'est à la mesure des enjeux. La Cour de justice des communautés européennes a précisé le 9 octobre le champ de la brevetabilité du vivant. Elle n'a ainsi pas apuré tous les problèmes, comme le montrent certains brevets récemment accordés, mais a éclairci l'horizon. Comment s'inscrit la stratégie française dans ce contexte ?

M. Bruno Bourg-Broc - Monsieur le ministre, je ne partage pas votre optimisme. J'ai même des réserves à exprimer sur les perspectives de la recherche française. L'excellent rapport de M. Lasbordes ne s'en est pas tenu à une approche comptable de votre budget. Il s'interroge de façon responsable sur les améliorations à y apporter. C'est sans doute cette analyse qui a conduit la commission des affaires culturelles à rejeter vos crédits. La progression de 2,2 % de vos moyens est à saluer, mais le paysage scientifique n'est pas satisfaisant. Nous ne pouvons que faire le constat douloureux de l'affaiblissement de notre recherche. La preuve en est la chute des dépôts de brevets français tant dans l'Union européenne qu'aux Etats-Unis et le faible développement de produits innovants français. Cette chute de notre potentiel menace la compétitivité française. Nous sommes en panne de science. Malgré des crédits affichés en progression régulière, l'Etat se désengage. Quoi que vous ayez dit, le ratio de la DIRD dans le PIB est tombé à 2,1 %, soit le plus bas niveau depuis les années 1980, ce qui nous place au septième rang mondial. Depuis quatre ans, la progression moyenne des crédits publics de la recherche et du développement est inférieure à celle des autres dépenses de l'Etat. Le retour de la croissance n'aura pas été généreux avec la recherche scientifique ! Pourquoi le ministère des finances ferait-il d'ailleurs plus puisque la science est totalement absente non pas de votre discours, mais de celui du Gouvernement en général ?

Si l'Etat se désengage, les investissements privés ne prennent pas le relais, même s'ils ont une légère tendance à augmenter. Or l'engagement pour la recherche et le développement a été une des priorités des trois dernières campagnes présidentielles aux Etats-Unis. La Grande-Bretagne, le Japon et les pays scandinaves investissent aussi sur le futur. Ainsi, la Grande-Bretagne a pris des mesures importantes pour rénover ses infrastructures de recherche et éviter la fuite des cerveaux avec des salaires attractifs. Et que dire du Canada, où treize instituts de recherche en santé ont été créés en 2001 ! Plus préoccupante encore est la diminution du nombre d'étudiants dans les filières scientifiques. L'an dernier l'Académie des sciences avait vu dans ce phénomène l'attrait des jeunes pour des secteurs plus rémunérateurs et bénéficiant d'une meilleure image. Le ministère de l'éducation nationale a sans doute engagé depuis trois ans une rénovation des DEUG scientifiques, mais dont on ne mesure pas encore l'impact. Je n'oublie pas votre plan décennal de l'emploi scientifique qui doit anticiper les départs en retraite de 2005-2010, rajeunir l'appareil de recherche publique et le réorienter vers les sciences du vivant, les STIC et l'environnement. Mais que ne l'avez-vous fait plus tôt ! Les chercheurs, les établissements publics et l'Académie des sciences tirent la sonnette d'alarme. Dans certaines disciplines, la moitié des effectifs vont partir en retraite dans les prochaines années. Ils craignent donc une baisse de la qualité du recrutement. Vous avez donné l'impression de prendre le taureau par les cornes avec une politique systématique d'embauche, strictement quantitative, sans vous soucier des failles du système, telles que la faible valorisation des projets. Cette réaction vient un peu tard. Serait-elle liée au calendrier électoral ?

Rien n'est fait en revanche pour les post-doctorants. Il y a peu de bourses et le recrutement est compliqué. Les plus entreprenants partent donc à l'étranger. Le plus souvent hélas, ils semblent y rester. Une étude du CEREC table sur un retour en France au bout de trois ans en moyenne. Dispose-t-on d'informations plus précises ? Le risque n'est-il pas croissant que les diplômés que nous formons profitent durablement aux économies d'autres Etats ? Il est indispensable d'encourager la mobilité, mais il faut parallèlement favoriser le retour en France, d'autant que nos laboratoires accueillent de moins en moins les chercheurs étrangers. Il est vrai que l'espace européen de la recherche n'est qu'en gestation. Mais vous n'allez pas au fond des choses, et vous refusez d'admettre le retard de la France par rapport aux autres pays de l'Union européenne.

Pour toutes ces raisons, le groupe RPR votera contre ce budget.

M. Claude Billard - Les 14 et 15 novembre se tiendra à Edimbourg le conseil des ministres de l'Agence spatiale européenne, qui traitera de l'avenir d'Arianespace et donc de l'avenir de l'industrie aéronautique européenne. Vous avez dit, Monsieur le ministre, que l'industrie spatiale demeurait l'une des priorités du Gouvernement. Cependant, le personnel et les organisations syndicales des entreprises concernées s'émeuvent des perspectives de modification du statut du consortium Arianespace et de l'éventuelle privatisation de l'ONERA ou du CNES. Ils s'inquiètent également de l'avenir d'Ariane 4 et d'Ariane 5 si la base de Kourou sert au lancement du Soyouz, sous l'égide d'un conglomérat constitué par EADS et l'Agence spatiale russe. Cette coopération est certes utile, mais il faut veiller à ce qu'elle ne remette pas en cause le potentiel humain et industriel qui a concouru aux succès d'Ariane jusqu'à ce jour. Quelles orientations le Gouvernement défendra-t-il lors du sommet d'Edimbourg, et quelles garanties peut-il donner à tous ceux qui sont légitimement préoccupés ?

M. Guy Lengagne - Le groupe RCV votera sans hésitation votre budget. Je traiterai de questions particulières, et en premier lieu, de l'IFREMER. La France est théoriquement le deuxième pays maritime du monde, depuis que, par une révolution pacifique, le droit international a admis le principe de porter les zones économiques exclusives à 200 miles. Malheureusement, la recherche française demeure très largement insuffisante en matière maritime, et un grand effort s'impose.

Par ailleurs, la France est une grande nation de mathématiciens, comme en témoigne le nombre très important de médailles Field qu'elle a remportées. Pourtant, on a peu parlé des mathématiques ; entendez-vous favoriser la recherche en ce domaine ?

J'en viens enfin à la culture scientifique. Lorsque Mme Lebranchu s'occupait du commerce et de l'artisanat, elle avait organisé des réunions sur les OGM, un peu partout dans le pays. Les participants, généralement violemment hostiles aux OGM, interrogeaient les chercheurs de l'INRA présents sur le nombre de maladies et de morts dont ces organismes avaient été responsables depuis leur apparition, il y a une quinzaine d'années. La réponse était « aucun ! ».

M. le Président - La même réponse vaut pour les nitrates !

M. Guy Lengagne - On nage donc dans l'irrationnel, et il est donc urgent de développer la culture scientifique. Mon collègue Bruno Bourg-Broc a fait état de la désaffection que connaissent les études scientifiques, laquelle s'explique principalement par le fait que ces études sont plus difficiles que d'autres... Pourtant, que nous le voulions ou non, nous baignons dans une culture scientifique. Je trouve donc particulièrement inquiétant que les postes de responsabilité soient, pour la plupart, occupés par des gens qui n'ont aucune culture scientifique, sauf inclination personnelle. On peut même dire que l'ENA est une machine à décerveler, puisque ses critères d'admission font l'impasse sur les connaissances scientifiques des candidats. Il est temps de réviser cette conception.

M. Alain Gouriou - Ce propos demande à être nuancé, car beaucoup d'élèves de Polytechnique et d'autres écoles scientifiques deviennent élèves de l'ENA. Pour ma part, je traiterai des télécommunications. Les graves difficultés que connaît ce secteur rendent l'effort de recherche plus que jamais nécessaire. L'année dernière déjà, j'avais demandé l'élaboration d'une carte des sites de recherche, privés et publics, en ce domaine, dont j'espère qu'elle sera prochainement publiée. Nombreuses sont en effet les administrations publiques et les entreprises privées concernées : France Télécom Recherche et Développement, les universités, les laboratoires des grandes écoles, Alcatel, Sagem, Mitsubishi, Motorola, Nortel, Siemens... La recherche publique française a été restructurée autour du groupe des écoles de télécommunications, dont le budget a augmenté de plus de 13 % et qui forme un nombre de diplômés en forte croissance. Le réseau national de recherche en télécommunications ne recueille que des éloges, largement mérités, puisqu'il _uvre avec succès en faveur du transfert constant de compétences entre la recherche et l'industrie. C'est ainsi que 166 projets ont vu le jour, pour 330 millions d'euros. Certains trouvent ces moyens insuffisants, mais d'autres déplorent que tous les crédits n'aient pas été consommés. Selon moi, le financement de ces recherches doit sans doute être renforcé, à condition que le processus de mise au point des projets soit simplifié. Enfin, la constitution de réseaux à haut débit et la mise au point de nouveaux services de télécommunications font l'objet d'une compétition internationale acharnée. Dans ces conditions, ne pensez-vous pas, Monsieur le ministre, que des projets européens s'imposent, qui trouveront ensuite une traduction industrielle ?

Il ne faudrait pas renouveler l'expérience cafouilleuse de l'attribution des licences UMTS au niveau européen !

M. le Président - Monsieur le ministre, vous dont la culture scientifique s'est essentiellement développée dans le droit, je vous donne la parole (Sourires).

M. le Ministre - Je souscris, Monsieur Lengagne, à votre analyse : les scientifiques ne sont pas assez nombreux dans la classe politique et je plaide moi-même coupable puisque j'ai remplacé au Gouvernement un chercheur éminent ! Pour autant, le débat est ancien : faut-il être spécialiste d'un secteur pour l'animer ?

M. Birraux a abordé de manière intéressante la question de la brevetabilité et de l'application de l'article 5 de la directive européenne afférente. La CJCE a retenu une interprétation qui me semble assez favorable à la nôtre en décidant que ne peuvent donner lieu à brevets que les découvertes par voie expérimentale de la fonction d'un gène. Si cette interprétation prévaut plus largement, nous transposerons sans réserve l'article 5.

S'agissant des « post-docs », nous assistons avec satisfaction à un certain « retour au pays » des jeunes chercheurs français qui s'étaient expatriés.

Les moyens du CERN, qui fait l'objet de soins très attentifs, sont garantis jusqu'en 2008. Cet établissement est le fruit d'une coopération intergouvernementale efficace et novatrice. A tous égards, le CERN est un exemple de réussite.

Nous sommes, Monsieur Gatignol, très conscients de la nécessité de renforcer les effectifs dans le secteur de la biologie et le budget de l'INSERM pour 2002 en témoigne. Parallèlement, les disciplines classiques ne sont pas abandonnées : chacune d'entre elles voit son potentiel maintenu.

Le CEA disposera, dans le cadre d'un contrat quadriennal, de ressources garanties. Et encore faut-il noter que cette stabilisation succède à une période de très forte augmentation de ses moyens. Le CEA travaille bien, dans toutes les disciplines de son champ de compétence. Ainsi, son département des sciences du vivant a créé le test le plus sensible pour la détection de l'ESB et un laboratoire très performant de recherche sur les prions a été récemment inauguré - en présence de M. Lasbordes - à Saclay.

Je remercie M. Chevallier d'avoir relevé nos efforts en matière de recrutement de chercheurs et d'ITA. Pour ce qui concerne les évolutions du code des marchés publics, auxquelles je sais que nombre d'entre vous sont très attentifs, je répondrai précisément tout à l'heure.

Comme vous le savez, dans les actuels contrats de plan Etat-région, les collectivités sont devenues partie prenante de l'effort de recherche. Il y a tout lieu de s'en féliciter. Je pense notamment aux efforts de la région Ile-de-France, et, en particulier, du département de l'Essonne.

M. le Président - Le Loiret fait aussi beaucoup !

M. le Ministre - Je souscris pleinement aux propos de M. Chevallier sur la place de la science et de la recherche au sein de la société. Il est impératif que nos concitoyens trouvent dans la recherche l'expression de leurs attentes : mieux se soigner, bénéficier d'un environnement protégé et d'un haut degré de sécurité alimentaire. A ce titre, nous avons tout intérêt à agir avec la plus grande transparence pour éviter toute caricature sur les chercheurs.

Pour répondre à la question de M. Claeys dont M. Chevallier a bien voulu se faire l'interprète, le texte sur la bioéthique sera porté à l'ordre du jour du 15 janvier prochain.

En matière de génomique, vous avez eu raison de souligner les efforts accomplis. Un huitième génopole sera créé pour les régions de l'Ouest de la France au début de l'année prochaine.

M. Bourg-Broc, comme M. Lasbordes, a indiqué que la commission des affaires culturelles avait rejeté ce projet de budget à la majorité de 4 voix contre 3. Je gage que ces éléments pourront un jour s'inverser (Sourires). Il a également fait état d'une chute des dépôts de brevets. Je parlerais pour ma part plutôt d'un certain recul au classement et il faut en effet tout faire pour diffuser au sein de la communauté scientifique une véritable culture du dépôt de brevet. Souvenons-nous que Louis Pasteur en déposait beaucoup et que l'institut qui porte son nom a longtemps fonctionné grâce à ces ressources.

Je ne crois pas, Monsieur Bourg-Broc, que votre assertion selon laquelle l'Etat se désengagerait en matière de recherche soit réellement fondée. Peut-être était-ce vrai il y a quelques années, mais force est d'admettre que nous avons assisté à un véritable réengagement de l'Etat. Du reste, s'il est bon que l'Etat se réengage, il faudrait aussi que les entreprises privées participent un peu plus. Si ce message pouvait leur être transmis...

Vous avez évoqué les régulations budgétaires : tous les ministères en subissent. Celles qui ont été décidées en 2001 tenaient à des retards de recrutement au CNRS. Quand les crédits sont inutilisés, le ministère des finances s'en aperçoit.

M. Bourg-Broc a cité le rapport de l'Académie des sciences. C'est pour remédier au problème signalé que nous lançons un plan décennal. Pourquoi ne pas l'avoir fait plus tôt ? Parce que la question ne se posera qu'entre 2005 et 2010. Nous agissons donc à temps. En outre, grâce à vous, j'ai commencé à recruter sans attendre le plan décennal, puisque le budget pour 2001 créait 265 emplois. Je ne suis en fonction que depuis mars 2000. Mon prédécesseur déjà avait créé de nombreux postes dans le budget pour 1998. D'autres auraient pu faire de même avant lui, mais ils ne l'ont pas fait.

Selon l'enquête du centre d'études et de recherche en qualification, 7 % des post-doctorants qui vont à l'étranger ne rentrent pas à l'issue de leur formation. C'est moins qu'on le croit généralement, mais cela me paraît beaucoup trop... Il est vrai que la décision de rester à l'étranger résulte souvent d'un mariage.

M. le Président - Il faudrait leur interdire de se marier... (Sourires)

M. le Ministre - Le Conseil constitutionnel censurerait probablement cette disposition... (Sourires) Même si le pourcentage est peu élevé, ce sont souvent les meilleurs qui restent à l'étranger. Les Etats-Unis, qui ne font pas eux-mêmes un gros effort de recherche, excellent à nous piquer nos chercheurs.

Si on rapporte l'effort de recherche au PIB, la France est la première en Europe, pour ainsi dire ex-æquo avec l'Allemagne. Nous sommes au premier rang des grands pays de l'OCDE. Il y a certes le cas de la Suède, dont le ratio est le plus élevé du monde, mais il s'agit d'un pays très particulier.

Claude Billard m'a interrogé sur la conférence ministérielle d'Edimbourg qui va réunir les partenaires de l'Agence spatiale européenne. Nous y aborderons des sujets importants qui conditionnent l'avenir de la filière Ariane. Nous avons en effet décidé d'améliorer les performances techniques de notre lanceur, de plus en plus concurrencé par les Américains. Ariane a deux ans d'avance technologique : il faut conserver cet atout. C'est pourquoi nous voulons lancer un programme Ariane 5 Plus qui augmente la charge emportée à dix tonnes fin 2002 et à douze tonnes fin 2006. Le succès d'Ariane, numéro un mondial, tient à ce que ce lanceur peut emporter deux satellites à la fois. Or le poids des satellites de télécommunications ne cesse d'augmenter, atteignant de plus en plus souvent les six tonnes. Il est donc impératif de pouvoir, à terme, mettre douze tonnes en orbite.

Nous discuterons aussi du programme Infra, qui vise à demander une contribution complémentaire aux Etats-membres. Arianespace en effet entretient deux pas de tir, celui d'Ariane 4 et celui d'Ariane 5, ce qui lui coûte cher, alors que les Etats-Unis mettent presque gratuitement leurs bases militaires à la disposition de leurs lanceurs commerciaux. Il faut mettre fin à cette distorsion. J'ai rencontré à ce sujet ma collègue allemande. Les négociations ont été serrées, car nous attendons de l'Allemagne une contribution de 250 millions d'euros.

Pour rassurer Claude Billard, je vous confirme que je ne souhaite aucune modification dans le capital d'Arianespace. Le CNES est l'actionnaire principal devant EADS et il doit le rester. Il n'est pas plus question de privatiser le CNES. Si l'Europe a réussi en matière spatiale, c'est parce qu'il existe de tels organismes de recherche.

J'ai parlé de l'implantation de Soyouz à Kourou au Premier ministre lors de son déplacement à Moscou. La formule a pour principal inconvénient que Soyouz ferait concurrence à Ariane pour les petits satellites. Si nous refusons ce partenariat, toutefois, les Etats-Unis risquent de commercialiser le lanceur russe, ce qui isolerait l'Europe. Je vois nos amis russes tous les deux mois. L'opération ne peut être équitable qu'à quatre conditions. En premier lieu, il faut qu'Arianespace soit l'opérateur unique qui commercialise les deux lanceurs : cette condition est acceptée par les Russes. Il faudrait aussi que les Russes participent à l'investissement que représente la construction d'un nouveau pas de tir, investissement dont le montant est estimé à 250 millions de dollars. Ils ne l'ont pas encore accepté alors que nous ne leur demandons que de contribuer pour un tiers. Troisième condition, nous devons nous entendre sur le prix de cession : Soyouz nous est proposé à 20 millions de dollars pièce, mais nous souhaitons un prix moins élevé. La quatrième condition porte sur une exclusivité véritable, y compris pour les dérivés de Soyouz. Pour l'instant, une seule de ces conditions est remplie, il faudra obtenir des réponses précises sur les trois autres pour pouvoir décider au sommet d'Edimbourg.

M. Lengagne m'a interrogé sur l'IFREMER, qu'il connaît mieux que quiconque, en tant que maire de Boulogne et ancien ministre de la mer. Je souhaite, bien évidemment, que le centre de Boulogne se développe et je note d'ailleurs que la progression de ses effectifs est conforme à la moyenne nationale. L'IFREMER cherche à regrouper ses équipes et à resserrer ses services administratifs, mais cela ne devrait pas avoir de conséquences négatives, pas plus que l'obligation de mobilité géographique et thématique, qui concerne, chaque année, 5 % de ses salariés. Je resterai très attentif à la situation de Boulogne, d'autant que je connais la qualité de son bassin d'essais et de son centre d'études pour la valorisation des produits de la mer.

J'ai déjà répondu en ce qui concerne les mathématiciens, nous en avons d'excellents. On dit qu'il n'y a pas de prix Nobel de mathématiques parce que la compagne de Nobel avait pour amant un mathématicien...

Enfin, sur la culture scientifique, je partage le souci de Guy Lengagne.

On connaît l'attachement d'Alain Gouriou à la recherche en télécommunications. Quatre réseaux s'occupent des nouvelles technologies de l'information et de la télécommunication, dont un, créé en 2001, des industries de l'audiovisuel et du multimédia. Le réseau national de recherche en télécommunications poursuit l'effort public en la matière. Depuis son lancement, il y a consacré 2,2 milliards, dont 900 millions d'aides de l'Etat.

M. Alain Gouriou - Le chiffre de 2,2 milliards me paraît excessif, il faudra vérifier.

M. le Ministre - Il est nécessaire de développer ces réseaux, de financer des actions incitatives, de soutenir l'action des quatre centres nationaux, en particulier celui de Rennes. Par ailleurs, le crédit impôt recherche bénéficie beaucoup à ce secteur, qui profitera aussi d'un grand nombre des créations d'emplois programmées.

M. le Président - Je vous remercie et je me réjouis de la grande qualité de ce débat.

J'invite maintenant les seuls membres de la commission de la production à se prononcer sur l'adoption des crédits de la recherche.

M. Pierre Cohen, rapporteur pour avis de la commission de la production - A l'issue de ce débat et après les réponses du ministre, je ne puis que demander à la commission de donner un avis favorable à ce budget.

Les crédits, mis aux voix, sont adoptés.

La séance est levée à 12 heures 40.

Le Directeur du service
des comptes rendus analytiques,

Jacques BOUFFIER

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Jeudi 8 novembre 2001
(Séance de 9 heures)

Projet de loi de finances pour 2002 :
Audition de Monsieur Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la Recherche sur les crédits de son ministère.


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