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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N°68

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 29 septembre 1999
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. André Lajoinie, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Thierry Desmarest, président-directeur général de TotalFina

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La commission a entendu M. Thierry Desmarest, président-directeur général de TotalFina.

M. André Lajoinie, président, s'est tout d'abord félicité de la venue devant la commission de la production et des échanges de M. Thierry Desmarest qui prendra prochainement la tête du quatrième groupe pétrolier mondial. Il a souhaité que cette audition permette à M. Desmarest d'éclairer notamment la commission sur le projet industriel envisagé pour le nouveau groupe et sur l'avenir en son sein de l'activité chimique, importante pour la France.

M. André Lajoinie a ensuite précisé qu'il espérait également que cette réunion permettrait d'aborder les conséquences sociales de ce regroupement et d'apaiser les craintes des élus sur les risques de suppressions d'emplois grâce par exemple aux perspectives offertes par la réduction du temps de travail. Il a ensuite souhaité savoir ce qu'il adviendrait de la participation de l'Etat sous forme de « golden-share » dans Elf. M. André Lajoinie a enfin souhaité que la commission soit éclairée sur les perspectives du nouveau groupe en matière de coopération internationale, d'une part, et d'exploration, d'autre part, notamment à la lumière des récentes découvertes importantes réalisées en Iran.

M. Thierry Desmarest, président-directeur général de TotalFina, a indiqué qu'il était particulièrement heureux d'être entendu par la commission de la production et des échanges dans cette période cruciale de réorganisation de l'industrie pétrolière. Il a en effet estimé que le rapprochement, correspondant à un projet industriel et non à une simple logique financière, de TotalFina et d'Elf était indispensable pour que ces entreprises ne soient pas marginalisées dans un secteur se concentrant rapidement à l'échelle mondiale. Il a indiqué qu'il leur permettrait de constituer, ensemble, un groupe mondial de premier plan avec une capitalisation boursière d'environ 600 milliards de francs et un chiffre d'affaires de plus de 400 milliards de francs dont l'objectif est de continuer à se développer dans ses différents métiers, à savoir la production et la transformation du pétrole et du gaz ainsi que la chimie. M. Thierry Desmarest s'est ensuite félicité qu'après que TotalFina eut lancé ce mouvement de manière non sollicitée, faute d'être parvenu à faire partager son sentiment de l'urgence, un accord ait été conclu garantissant que ce rapprochement amical se réalisera dans les meilleurs conditions en préservant en particulier la motivation des équipes.

M. Thierry Desmarest a ensuite précisé que TotalFina avait choisi de réaliser ce rapprochement avec Elf plutôt qu'avec une autre entreprise car ces deux groupes lui semblaient avoir des cultures voisines et sont surtout exceptionnellement complémentaires. Ainsi, pour ce qui concerne l'amont, il a souligné, outre la capacité d'expertise reconnue des deux entreprises dans les technologies de pointe et leur taux de succès élevé dans l'exploration, l'excellente complémentarité géographique de leurs implantations et le large portefeuille de projets à faibles coûts techniques dont elles disposent, rassemblées. Pour l'aval, M. Thierry Desmarest a indiqué que le nouvel ensemble deviendrait un des leaders du raffinage et de la distribution en Europe et en Afrique. Enfin, pour la chimie, il a particulièrement insisté sur les complémentarités dans le domaine des polymères et sur les synergies en chimie de spécialités et des intermédiaires.

M. Thierry Desmarest a ensuite indiqué que le rapprochement lui avait semblé particulièrement urgent afin de ne pas risquer de laisser passer une complémentarité aussi évidente à un moment où, dans ce secteur où la concentration s'accélère, toutes les combinaisons sont étudiées et que donc un autre projet, par exemple entre Elf et l'ENI risquait de compromettre celui de TotalFina.

M. Thierry Desmarest a ensuite rappelé que le rapprochement allait conduire à la constitution du quatrième groupe pétrolier mondial, représentant environ la moitié des réserves et des capacités de production d'hydrocarbures des trois plus grands groupes, les « super-majors », contre seulement un septième de celles-ci pour Total il y a dix ans. Sa capacité de raffinage sera proche de celle des deuxième et troisième groupes mondiaux. La constitution d'un tel groupe lui a semblé constituer un atout pour la France puisque le nouvel ensemble représentera une production équivalant à environ 80 % de la consommation française de pétrole et de gaz.

M. Thierry Desmarest a ensuite noté que le futur groupe disposerait de réserves harmonieusement réparties d'un point de vue géographique entre l'Afrique, l'Europe et le Moyen-Orient, chacune de ces régions disposant du quart environ des réserves totales, le reste des réserves étant situé essentiellement en Extrême-Orient et en Amérique latine. Il a indiqué que ces réserves avaient jusqu'alors crû régulièrement et qu'il était convaincu qu'elles continueront à le faire à un rythme sensiblement plus élevé que celui de la concurrence.

M. Thierry Desmarest a ensuite précisé que le nouveau groupe serait présent pratiquement partout dans le monde : en mer du Nord, sur le continent américain, essentiellement en Amérique latine, en Afrique notamment dans le Golfe de Guinée et en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, berceau historique de Total qui y est le deuxième acteur, en mer Caspienne et enfin en Asie du Sud-Est.

Le futur groupe TotalFina-Elf bénéficiera d'une implantation exceptionnelle sur les bassins pétroliers majeurs : l'Europe constituera sa zone de production la plus importante (de l'ordre de 750 milliers bep/jour), suivie de l'Afrique, du Moyen-Orient, et de zones à fort potentiel en Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud. Il figurera au sein des quatre premiers producteurs mondiaux dans chacune de ces zones à l'exception des Etats-Unis. Ses perspectives de croissance apparaissent remarquables, de l'ordre de 40 % d'ici 2005 sur la base des seuls contrats déjà signés (soit 5 % par an en moyenne, c'est-à-dire un résultat très supérieur à celui attendu des « majors »).

Dans le raffinage et la distribution, le groupe détiendra des positions très solides dans tous les pays européens, alors que TotalFina et Elf disposaient auparavant de certaines positions sous-critiques sur le continent. L'addition des capacités offre de nouvelles opportunités et la possibilité de jouer sur les complémentarités ; elle permet également d'optimiser la liaison entre le raffinage et la pétrochimie. Le rapprochement permet de faire émerger six grands pôles de raffinage compétitifs en Europe, d'améliorer l'organisation logistique interne et, plus généralement, de dégager des économies d'échelle sur l'effort d'investissement. La position occupée en Afrique se situera désormais au premier rang, à parité avec la part de marché détenue par Shell (soit environ 20 %).

Le rapprochement des activités chimiques a suscité durant l'été de nombreuses discussions, mais les projets présentés différaient, pour l'essentiel, sur les modalités financières. Le projet TotalFina repose sur le refus de séparer les activités chimiques des activités pétrolières en raison, d'une part, des synergies qui existent entre ces activités et, d'autre part, de la crainte que le nouveau groupe chimique qui émergerait alors ne dispose que de moyens insuffisants vis-à-vis de ses principaux compétiteurs. Son indépendance serait donc, à terme, menacée. L'appartenance à un groupe intégré doit permettre l'émergence de plates-formes pétrochimiques de premier plan et appelées à une croissance rapide, ainsi qu'un renforcement de l'intégration verticale entre la pétrochimie, la chimie intermédiaire et la chimie de spécialités. Un groupe de travail associant des représentants d'Elf, de Total et de Petrofina va être constitué pour réfléchir à l'optimisation de l'organisation stratégique des activités. Celles-ci s'appuieront notamment sur les sites actuels de Belgique, de Normandie et des Etats-Unis.

Le groupe TotalFina-Elf disposera de positions très fortes en chimie de spécialités : premier rang mondial pour la thiochimie et la fluorochimie, deuxième rang mondial pour la production d'adhésifs, de résines et de polymères fonctionnels, troisième rang mondial pour celle d'acryliques, d'acrylates de spécialités et de peroxyde d'hydrogène.

M. Thierry Desmarest a conclu son propos en exposant les perspectives d'avenir et la stratégie du groupe TotalFina-Elf. La priorité sera donnée au développement des activités situées en amont, afin notamment d'en accroître la rentabilité. Les positions occupées dans le raffinage et la distribution, notamment en Europe et en Afrique, devront être consolidées. Une politique de croissance vigoureuse dans les secteurs à fort potentiel sera engagée dans la chimie. Enfin, le groupe semble appelé à se désengager progressivement du secteur santé, à travers son retrait du groupe Sanofi-Synthelabo.

L'effectif mondial se monte aujourd'hui à environ 130 000 salariés dans le monde, dont 40 % travaillent en France et 55 % dans la chimie. La réduction liée au rapprochement touchera environ 4 000 postes dans le monde, dont la moitié en France. Ces réductions s'étaleront sur trois ans. Elles ne se traduiront par aucun licenciement, puisqu'elles s'appuieront sur les départs naturels, les départs à la retraite anticipés, les mutations à l'intérieur du groupe et tous dispositifs appropriés et concertés avec les représentants du personnel. Dans le même temps, les perspectives de croissance, alliées aux effets de la réduction du temps de travail, doivent permettre au nouveau groupe de continuer à recruter de manière significative, de sorte qu'à terme soient recréés autant de postes qu'il en a été détruit - quoique naturellement, dans des activités différentes.

L'offre publique d'échange modifiée repose sur l'offre de 19 actions TotalFina pour 13 actions Elf (c'est-à-dire une surenchère de 9,6 % par rapport à l'offre initiale du 5 juillet 1999). Sur la base du cours de clôture de TotalFina le 10 septembre 1999, l'action Elf est valorisée à 190 euros et l'entreprise Elf à environ 52 milliards d'euros.

En définitive, le rapprochement de ces deux grands pétroliers repose sur une logique tant industrielle que financière. Leur complémentarité exceptionnelle permet la création d'un opérateur français mondial, dont l'actionnariat diversifié sera majoritairement européen (80 %). Le rapprochement à parité d'équipes dont le professionnalisme est reconnu, constitue le support d'une politique industrielle ambitieuse, qui garantira également aux actionnaires la rentabilité financière qu'ils sont en droit d'attendre.

M. Claude Gaillard a demandé si le mouvement des mégafusions entre compagnies pétrolières initié en 1998 connaîtrait une pause et si la nouvelle entité pétrolière française ne risquait pas de susciter les convoitises des « majors » anglo-saxonnes. Il a également souhaité connaître les conséquences de la fusion pour CEPSA, filiale espagnole d'Elf et savoir si un rapprochement avec le pétrolier italien ENI était envisagé.

Il s'est ensuite interrogé sur les conséquences de la fusion pour les réseaux de distribution d'Elf et de Total : les deux marques vont-elles cohabiter ?  Les parts de marché détenues par les réseaux de marque d'Elf et TotalFina (hors grande distribution) peuvent-elles amener Bruxelles à réagir ?

Il a demandé à M. Thierry Desmarest de préciser l'évolution de l'emploi sur les deux types d'activités semblant plus particulièrement menacées, à savoir les activités des sièges des deux entreprises et le raffinage, et d'indiquer s'il envisageait de délocaliser une partie du siège du nouveau groupe.

Il a ensuite souhaité savoir si la partie chimie du groupe aura une structure intégrée et connaître, après la confirmation du projet de cession de 15,5 % du capital de Sanofi-Synthélabo, quel sera l'avenir de cette filiale dans la nouvelle entité. Il a enfin demandé comment TotalFina-Elf envisage l'ouverture du marché européen du gaz et quel sera le nom du futur groupe.

M. Thierry Desmarest a estimé que les mouvements de concentration ne pourront pas se poursuivre à ce rythme car les nouveaux groupes doivent se réorganiser. En outre, les autorités en charge de la concurrence en Europe et aux Etats-Unis commencent à s'inquiéter de la diminution du nombre des acteurs économiques majeurs. On peut donc estimer que celles-ci connaîtront un ralentissement durable.

Il a ensuite jugé que le nouveau groupe TotalFina-Elf sera à l'abri des convoitises des « super-majors », non seulement en raison de sa dimension financière, mais aussi parce que le rapprochement avec l'un de ces trois groupes poserait des problèmes très difficiles de concurrence. En outre, la « golden share » de l'Etat français dans le capital d'Elf est passée au capital de TotalFina ; or, si le contrôle de l'Etat sur le dépassement des seuils de contrôle capitalistique n'a plus de portée pratique à la suite de l'offre publique d'échange de TotalFina sur le capital d'Elf, cette « golden share » prévoit que, si une société prend le contrôle d'Elf et que le contrôle de celle-là vient à changer, l'autorisation du Gouvernement doit être obtenue pour ce changement.

Vis-à-vis de la CEPSA, filiale espagnole d'Elf, il a indiqué que l'alternative laissée par les Espagnols était, soit de ramener la part de TotalFina-Elf de 44 % à 25 %, soit de faire une offre sur 10 % supplémentaires du capital. Il s'est déclaré plutôt intéressé par un renforcement des positions de TotalFina-Elf dans cette entreprise.

S'agissant de l'ENI, il a rappelé qu'au moment du lancement de l'offre publique d'échange, Elf et l'ENI, dont 36 % du capital sont détenus par l'Etat italien, réfléchissaient à la mise en place d'une structure de rapprochement particulièrement complexe, dans la mesure où elle ne devait pas être contrôlée par l'Etat italien. Les dirigeants de l'ENI ont, depuis, pris contact avec TotalFina et ont été rassurés sur le caractère non hostile à leur égard de la fusion entre TotalFina et Elf. A moyen ou long terme, M. Thierry Desmarest a estimé que l'ENI pouvait être un bon partenaire pour le groupe.

En matière de distribution, il a fait part de son intention de maintenir les deux marques Total et Elf en France. Dans les autres pays, il conviendra peut-être de ne garder qu'une seule marque selon leurs positions respectives.

Il a ensuite indiqué que TotalFina avait déposé un dossier d'analyse de la fusion auprès de la Commission européenne. Il a estimé que seule la situation en France était susceptible de soulever des difficultés. Il a cité le cas des dépôts d'importation, du marché du butane et du propane et du marché de la distribution de l'essence dans les stations-service sur les autoroutes, qui selon lui, ne constitue pas un segment autonome de marché car les véhicules s'approvisionnent de moins en moins sur les autoroutes grâce à la capacité de leur réservoir et leur faible consommation.

En matière d'emplois, il a confirmé qu'il n'y aurait aucune conséquence de la fusion sur l'emploi dans les raffineries qui continueront de fonctionner comme auparavant. En revanche, les sièges sociaux devront être restructurés afin de définir un siège unique. Concernant la question de la délocalisation des centres de décision, Total s'était engagé auprès de Fina à maintenir des centres de décision mondiaux à Bruxelles ; mais la majorité des centres de décision, à commencer par l'Etat-major mondial du groupe, sera basée à Paris.

M. Thierry Desmarest a confirmé que les activités chimiques resteraient à l'intérieur du groupe pétrolier. Un patron unique de ces activités devrait être mis en place vers le mois de mars prochain. La restructuration des activités chimiques pose des problèmes particulièrement complexes à tous les groupes internationaux. En effet, pour certaines activités chimiques, la logistique des plates-formes exige une forte intégration dans le groupe alors que d'autres fonctionnent à la manière d'une fédération d'entreprises et donc exigent une organisation déconcentrée.

Dans le domaine du gaz, la production du groupe restera importante grâce aux champs de la mer du Nord, de l'Algérie, du Moyen-Orient, d'Indonésie et du Nigeria. En aval de la production, il conviendra de développer la présence du groupe, comme Elf l'a fait à Lacq ou comme les deux groupes l'ont fait au Royaume-Uni lors de la libéralisation du secteur gazier. Le partenariat avec Gaz de France pourra être poursuivi.

En dernier lieu, il a indiqué qu'aucune décision n'avait été prise sur le nom du futur groupe. Il a relevé qu'aucune « major » n'avait renoncé à sa marque après une fusion. Dans l'attente, le groupe s'appellera donc TotalFina-Elf.

M. Robert Galley s'est déclaré enthousiasmé par la fusion des deux groupes pétroliers français qui offre de grandes perspectives. Il s'est demandé si une grande structure chimique intégrée, par rapport à une structure filialisée, serait en mesure d'effectuer facilement des opérations sectorielles de rapprochement avec d'autres entreprises, comme par exemple dans le secteur de la peinture ou des acryliques, afin de créer des synergies supplémentaires.

Puis, il a relevé que le prix de production de l'électricité avait tendance à se rapprocher selon les différents procédés (nucléaire, gaz, pétrole, charbon, solaire), exception faite de l'électricité produite dans les centrales nucléaires ayant été amorties. L'électricité tirée du gaz devient ainsi très compétitive et permet d'accroître les utilisations de cette source d'énergie. Or, le prix du baril de pétrole venant de doubler, ne peut-on pas s'attendre à ce que le prix de vente du gaz augmente fortement prochainement, au risque de bouleverser les comportements de consommation ?

En réponse, M. Thierry Desmarest a précisé que « mal aimé », le secteur de la chimie n'en est probablement qu'au début de sa restructuration. La concentration des entreprises engagées dans la chimie et la pharmacie aboutit en effet souvent à abandonner la première activité au profit du seul développement de la seconde. Toutefois, il est certain que les structures économiques du secteur de la chimie vont évoluer au cours des prochaines années. TotalFina-Elf participera à la recomposition de ce paysage industriel. Il appartiendra au groupe de travail récemment mis en place de définir la stratégie du groupe dans ce secteur.

Si TotalFina est surtout connu pour ses activités dans les branches de production de pétrole et de gaz, le groupe est néanmoins présent dans d'autres domaines de l'énergie. Ainsi, convaincu que le nucléaire conservera un rôle dans le futur, il détient une participation au sein de la COGEMA. Il contribue également à l'extraction charbonnière en Afrique du Sud et développe des productions d'énergies renouvelables.

On peut néanmoins considérer qu'à moyen terme, les parts actuelles des différentes énergies se maintiendront au niveau actuel, où le pétrole satisfait 40 % des besoins énergétiques de la planète et le gaz environ 23 ou 24 %.

Les nouvelles techniques utilisées dans la production électrique à partir du gaz, qu'il s'agisse du cycle combiné ou de la cogénération, représentent, avec l'apparition de nouvelles turbines, la solution la plus compétitive pour faire face aux besoins d'accroissement des capacités de production. On peut considérer de ce point de vue qu'à l'échéance de 10 ou 20 ans, il sera possible de disposer d'une production importante à des prix modérés.

S'agissant du pétrole, la remontée actuelle du prix du baril de brut à 23 dollars paraît excessive, même si elle fait suite à un prix, à l'opposé, trop bas. Il est raisonnable d'estimer que les prix devraient se stabiliser autour de 15 dollars le baril. Un tel niveau permettrait à l'industrie pétrolière de pouvoir poursuivre une activité normale. En effet, si les prix actuels se maintenaient, il en résulterait un excès d'investissement et une baisse de la demande aux pays de l'OPEP, ce qui leur poserait des problèmes.

Les prix du gaz, jusqu'ici liés à ceux du pétrole par les formules de calcul contenues dans la majorité des contrats d'achat, commencent à trouver leur autonomie. Déjà en Grande-Bretagne, une déconnexion entre l'évolution des prix des deux énergies est constatée : le prix du gaz, qui n'avait pas suivi celui du pétrole dans sa chute, n'est pas remonté au cours des derniers mois. Cette évolution devrait s'accentuer.

M. Christian Bataille, tout en saluant la constitution d'un grand groupe français dans le secteur de la pétrochimie, s'est cependant interrogé sur la place respective des capitaux nationaux et des investisseurs étrangers, notamment des fonds de pensions américains, au sein du nouvel ensemble. Il a exprimé son inquiétude quant aux risques de dilution accrue des participations que pourraient entraîner de nouvelles intégrations, avec Repsol, l'ENI ou encore des groupes américains de dimension moins importante (tel Conoco). Dans un tel cas de figure, ne risquerait-on pas de voir se réduire excessivement le caractère français du groupe ainsi créé ?

Il a également souhaité savoir si le nouveau groupe poursuivrait la politique conduite par Elf en Afrique.

Enfin, rappelant les récentes déclarations sur les suppressions d'emplois qu'entraînerait la fusion d'Elf et de TotalFina, il a demandé si la dynamique suscitée par la constitution du nouveau groupe pouvait laisser espérer à terme la création de nouveaux postes de travail.

En réponse, M. Thierry Desmarest a précisé que la dimension du marché financier national ne permettait pas de disposer, au sein du nouveau groupe, d'un actionnariat majoritairement français. La capitalisation totale, qui représente environ 600 milliards de francs, est détenue à 40 % par des investisseurs français : l'actionnariat individuel représente 10 % de l'ensemble et les investisseurs institutionnels 15 %, tandis que le personnel détient 4 % du capital et que les actionnaires stables, telle la COGEMA, en possèdent environ 10 %. Il est donc clair qu'une fusion ultérieure entraînerait une dilution accrue de l'actionnariat.

Cependant, les grandes entreprises ne peuvent pas négliger la dimension économique de l'intégration européenne. Sous cet angle, 65 % du capital du nouveau groupe sont détenus au sein de la zone euro. Ce pourcentage atteint 80 % si l'on inclut l'ensemble des quinze Etats membres de la Communauté.

Il convient d'ailleurs de noter que l'autorité publique de tutelle du secteur pétrolier tend de plus en plus à être partagée entre l'Etat national et l'Union européenne. Cette situation s'est particulièrement vérifiée lorsque Total a dû faire face aux pressions américaines qui cherchaient à dissuader l'entreprise de s'implanter en Iran : c'est tant avec le soutien du Gouvernement français que de la Commission européenne qu'il a pu s'opposer à la législation américaine (« loi d'Amato ») sanctionnant les investissements étrangers dans certains pays.

Enfin, il convient de souligner que, quelle que soit sa structure financière, le groupe reste très majoritairement impulsé par une direction française : parmi les neuf membres du comité exécutif, on compte huit Français et un Belge, mais que pour des raisons de culture une évolution sur ce point pourrait être souhaitable.

Il a rappelé que, historiquement, TotalFina est plus implanté au Moyen-Orient, région qui détient les deux tiers des réserves mondiales de pétrole, et Elf en Afrique. Il n'y a pas de raison d'opposer une région par rapport à l'autre et le nouveau groupe pourra ainsi bénéficier d'une forte implantation dans ces deux régions.

S'agissant de la nature des relations que le groupe développera avec les Etats dans lesquels il est installé, il convient de rappeler que TotalFina-Elf est un groupe industriel qui n'entend pas s'immiscer dans les relations diplomatiques entre les Etats ; il s'agit pour lui tout d'abord d'établir des rapports de confiance avec les autorités des Etats où il investit.

M. Claude Billard, après avoir évoqué les 2 000 suppressions de postes en France, liées au rapprochement d'Elf et de TotalFina, ainsi que les perspectives de création de nouveaux emplois à moyen terme, a demandé si le « plan de performance », naguère annoncé par Elf et conduisant à la disparition de 1 300 emplois dans cette entreprise, était toujours d'actualité.

Il a également demandé si le statut des employés d'Elf, dérivé du statut des mineurs, serait maintenu ou étendu.

En réponse, M. Thierry Desmarest a souligné qu'il faut veiller à la compétitivité de l'entreprise sans pour autant se désintéresser des créations d'emplois. Il faut essayer de retrouver par la croissance et la réduction du temps de travail la compensation des suppressions de postes liées au rapprochement. Le groupe TotalFina n'a pas encore en charge la responsabilité d'Elf. Cependant, il est certain que, si l'efficacité et la productivité des deux groupes sont comparables en général, il n'en va pas de même dans le secteur exploration-production, dans lequel le groupe Elf a pris un retard par rapport à l'ensemble de la profession, d'où l'élaboration d'un « plan de performance ». La fusion des deux groupes conduira probablement à ne pas traiter ce problème dans les mêmes termes que ceux définis jusqu'alors, mais la question ne pourra pas être éludée.

Il est normal que chacun soit attaché à ses conditions statutaires d'emploi. Pourtant, force est de constater qu'un statut, calqué sur celui des mineurs, n'est pas le mieux adapté pour employer des pétroliers aux quatre coins du monde. Total a d'ailleurs mis fin il y a 15 ans à un tel statut au sein de son entreprise. S'agissant du personnel d'Elf, il conviendra de se pencher avec attention et prudence sur ce point.

M. Pierre Ducout, rappelant les liens entre le groupe Elf et l'Aquitaine s'est déclaré préoccupé par l'évolution de l'emploi sur certains sites de cette région, en particulier sur celui de Pau. Considérant que cette région devait continuer à disposer d'emplois industriels, il a demandé comment le nouveau groupe pourrait répondre à cet objectif, évoquant une possible diversification de ses activités.

Il a par ailleurs rappelé que les dirigeants de TotalFina avaient attiré, il y a deux ans, l'attention du Gouvernement et du Parlement sur les conséquences de la place occupée en France par la grande distribution dans le secteur pétrolier. Il a demandé dans quelle mesure la fusion entre Elf et TotalFina pouvait contribuer à rééquilibrer cette situation.

Il a également demandé quelles pouvaient être les conséquences d'un accroissement durable des prix du pétrole et du gaz sur la possibilité d'instaurer une écotaxe, ainsi qu'une taxe sur l'élimination du dioxyde de carbone (CO2).

Enfin, évoquant la concentration verticale existant dans le domaine pétrolier, il a souhaité savoir, dans le secteur du gaz, si le nouveau groupe, issu de la fusion de TotalFina et d'Elf, comptait se rapprocher de Gaz de France.

M. Léonce Deprez s'est interrogé sur les perspectives de durée des gisements d'hydrocarbures détenus par Totalfina-Elf et s'est demandé si la croissance prévisible du secteur pétrolier était compatible avec la politique de protection de l'environnement ; il s'est enfin inquiété de l'avenir des sites chimiques du groupe dans le Nord Pas-de-Calais.

M. François Brottes a estimé que la chimie semblait constituer le maillon faible du dispositif de rapprochement d'Elf et TotalFina. Dans cet esprit, il a demandé si la liste des secteurs à fort potentiel du nouveau groupe était exhaustive et si dans ces conditions les autres secteurs seraient conduits à changer d'actionnaires. Il a enfin interrogé M. Thierry Desmarest sur le regard qu'il portait sur l'écotaxe.

M. Jean-Yves Le Déaut a souhaité connaître l'évolution des relations entre TotalFina-Elf et Gaz de France. Abordant le problème de la recherche, il a indiqué que la plupart des concentrations se faisaient au détriment du potentiel de recherche industrielle des nouvelles entités. Il a donc demandé quelle serait la politique du nouveau groupe en matière de recherche. Celle-ci sera-t-elle mondialement intégrée et quels seront les liens entre Totalfina-Elf, les organismes publics de recherche et les universités ?

En réponse aux différents intervenants, M. Thierry Desmarest a apporté les précisions suivantes :

- s'agissant de l'Aquitaine, il est disposé à voir selon quelles modalités TotalFina-Elf peut contribuer au développement économique de cette région ;

- la fusion entre les deux compagnies pétrolières françaises n'a pas changé la problématique de la concurrence avec les grandes surfaces dans le domaine de la distribution des carburants. Celles-ci continuent à utiliser les carburants comme des produits d'appel et leurs parts de marché progressent régulièrement. Les pétroliers maintiennent leur opposition à toute vente à perte et déplorent la faiblesse du soutien apporté sur ce point par les pouvoirs publics et les services chargés de faire respecter le droit de la concurrence ;

- tout en comprenant les motivations liées à l'écotaxe, on constate que le développement inconsidéré de celle-ci est particulièrement préoccupant pour le secteur de la chimie. Dans les projets annoncés par le Gouvernement, le secteur de la chimie serait amené à contribuer pour cinq à sept fois ce qu'il économisera sur les bas salaires. Par ailleurs, il est indispensable que le raffinage bénéficie d'un traitement spécifique en raison de son rôle essentiel en matière de production d'énergie ; l'exemple de l'Allemagne qui a plafonné le supplément de charges en résultant pour certaines industries sensibles est à méditer ;

- les problèmes liés aux pollutions locales sont en passe d'être résolus grâce au durcissement des spécifications imposées par les autorités européennes et nord-américaines aux produits pétroliers ; en revanche, la question du réchauffement climatique demeure en suspens, l'usage du charbon en particulier dans les centrales électriques demeurant toutefois la principale variable permettant de réduire les émissions de gaz carbonique ;

- l'utilisation des produits pétroliers se concentre désormais sur des usages non substituables (carburants et pétrochimie), avec une croissance de la consommation des produits pétroliers inférieure à la croissance économique ;

- les « réserves prouvées » de TotalFina-Elf sont officiellement de treize ans. Cette durée passe à environ vingt-cinq ans si l'on tient compte des « réserves prouvées et probables » ce qui est un chiffre appréciable au regard des portefeuilles miniers des autres compagnies pétrolières ;

- le gaz est une source d'énergie appelée à se développer au cours des prochaines années ; en France, l'organisation fragmentée de ce secteur entre un producteur - TotalFina-Elf - et un transporteur-distributeur -Gaz-de-France - doit conduire ces deux entreprises à collaborer ;

- la chimie ne constitue en rien le maillon faible du nouveau groupe pétrolier ; en étant inséré dans cette nouvelle entité, ce secteur est désormais plus solide qu'il ne l'était dans chacun des deux groupes ; il ne servira pas de variable d'ajustement ; le rapprochement de TotalFina et d'Elf s'inscrit dans un véritable schéma industriel puisque la nouvelle compagnie garde l'intégralité de l'autofinancement des deux groupes, ce qui lui permettra de mener une politique de développement industriel dans l'exploration-production, le raffinage-distribution et la chimie ;

- un très important effort de recherche a été accompli dans l'industrie chimique ; dans le secteur pétrolier, cet effort se traduit plus fréquemment par des coopérations avec d'autres compagnies ou avec des entreprises du secteur parapétrolier. Totalfina-Elf continuera l'effort engagé par chacune de ses composantes dans le domaine de la recherche appliquée et poursuivra, par le biais de conventions de recherche, ses collaborations avec les laboratoires publics du CNRS et des universités dans le domaine de la recherche fondamentale.

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