Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission de la production et des échanges (1999-2000)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N°10

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 26 octobre 1999
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Patrick Rimbert, secrétaire

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de M. Claude ALLÈGRE, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, sur les crédits de la recherche pour 2000 ;


2

- Examen pour avis des crédits pour 2000 :

 

_ recherche et technologie (M. Daniel CHEVALLIER, rapporteur pour avis)

13

   
   

La commission a entendu M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, sur les crédits de la recherche pour 2000.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, a annoncé en préambule que, dans un rapport récemment publié par l'OCDE, la France est placée en deuxième position derrière la Suède (mais devant les Etats-Unis) au classement des pays engageant le plus de dépenses en faveur de la connaissance (notion regroupant les dépenses d'enseignement, de recherche et celles liées aux nouvelles technologies de l'information et de la communication).

Il a ensuite indiqué que le budget civil de la recherche-développement (BCRD) pour 2000 s'élevait à 54,646 milliards de francs en moyens de paiement, soit une progression de 1,3 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1999. Quant aux autorisations de programme elles s'élèvent à 22,844 milliards de francs affichant ainsi, à structure constante, une hausse de 2,2 %. Au sein du BCRD, le projet de budget de la recherche et de la technologie s'élève pour 2000 à 39,861 milliards de francs en moyens de paiement (+ 1,1 % par rapport à 1999) et à 13,465 milliards de francs en autorisations de programme (+ 3,6 % à structure constante).

Il a rappelé qu'il avait trouvé à son arrivée un budget à la structure alarmante, grevé par l'importance des subventions directes allouées aux grandes entreprises. Selon le rapport Guillaume, huit groupes seulement se partageaient 90 % de ces subventions ce qui induisait un véritable gâchis financier car, quand une entreprise ne trouve pas d'intérêt à financer la recherche, elle n'en utilise pas les résultats. La subvention aux grands groupes baisse donc de 60 % dans le projet de loi de finances pour 2000.

A l'inverse, la création d'entreprises innovantes était peu soutenue. Un dispositif a donc été mis en place avec le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, fondé sur un fonds de capital-risque doté de 600 millions de francs. Dans le même esprit, un concours national d'incubateurs et de fonds d'amorçage (doté de 200 millions de francs) et un concours de créations d'entreprises innovantes (doté de 100 millions de francs) ont été lancés. Ceux-ci ont connu un grand succès. Pour le concours de créations d'entreprises par exemple, alors que les lauréats devaient trouver 2 francs quand l'Etat leur en donnait un, 2 000 demandes ont été déposées, 800 ont été jugées intéressantes par le jury et 244 ont été finalement retenues. Parmi celles-ci, 64 ont abouti à une création immédiate d'entreprise, les 180 projets restants devant donner naissance à une entreprise en janvier prochain. Il a rappelé qu'en dix ans, la recherche publique n'avait donné lieu qu'à 342 créations d'entreprises. Les grandes entreprises ont admis cette réorientation budgétaire et ont cofinancé différents réseaux de recherche (réseaux génome humain, génoplante, pile à combustible).

Il a ensuite déploré la dérive constante des coûts liés aux grands équipements de recherche, indiquant qu'aujourd'hui la moitié de l'augmentation du budget de son département ministériel est affectée au fonctionnement desdits équipements et qu'il lui est impossible d'infléchir cette tendance, car ces crédits résultent souvent d'accords internationaux. Il a ainsi signalé que le budget de l'ensemble des laboratoires du CNRS s'élevait à 1,5 milliard de francs, que la recherche universitaire mobilisait 1,2 milliard de francs et que les grands équipements consommaient pour leur part 4,5 milliards de francs de crédits. Selon lui, il faut aujourd'hui, qu'à l'instar du centre européen pour la recherche nucléaire (CERN) de Genève, les grands équipements de recherche soient européens.

S'agissant du CNRS, il a indiqué que les salaires représentaient une part de plus en plus importante de son budget (85 % en 2000) et qu'en 2015, on risquait de ne plus pouvoir dégager de crédits pour poursuivre ses missions de recherche. Aujourd'hui, le CNRS contribue à une sorte « d'auto-reproduction » de notre recherche. En effet, 85 % de ses moyens sont partagés entre onze universités, certaines universités très performantes telles celles de Lille, Rennes ou Caen ne pouvant dans ces conditions bénéficier de moyens suffisants. Il s'est étonné également qu'il n'y ait pas au CNRS de direction compétente en matière de nouvelles technologies de la communication et de l'information et que l'institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ne finance pas de programmes consacrés à la chirurgie assistée par ordinateur ou à la télémédecine.

S'inspirant de la méthode retenue par le premier gouvernement du Général de Gaulle, dirigé par M. Michel Debré, il a décidé de développer des actions incitatives avec le soutien de fonds nationaux (Fonds national de la science, Fonds de la recherche technologique).

Il a ensuite fait remarquer que pour la première fois, les crédits affectés à la médecine et à la biologie étaient supérieurs à ceux alloués aux autres disciplines scientifiques. Ainsi, sur les deux cents créations de postes de chercheurs prévues pour 2000 au CNRS, cent portent sur des postes de biologistes et dix seulement concernent des postes affectés à l'Institut national de physique nucléaire et de physique des particules.

Il importe également de se préoccuper des nuisances que peut éventuellement causer le progrès scientifique. Dans cet esprit, il a plaidé pour une exploitation utile de l'espace, pour le développement d'études portant sur l'écologie quantitative et de programmes mesurant l'impact des organismes génétiquement modifiés sur l'environnement.

Il a indiqué qu'en 2000, la priorité sera à nouveau donnée au concours de créations d'entreprises et au concours pour la création d'équipes scientifiques par des jeunes. Le soutien aux jeunes chercheurs et aux jeunes créateurs d'entreprises innovantes sera donc un axe central de la politique du Gouvernement en matière de recherche. La loi n° 99-587 du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche, en autorisant les chercheurs sous statut à intégrer ou à créer des entreprises innovantes, va également dans ce sens.

Il a enfin insisté sur la nécessité de rétablir les crédits de certains laboratoires qui connaissent aujourd'hui de graves difficultés. 300 millions de francs environ devraient être inscrits en loi de finances rectificative pour anticiper le plan d'équipement des laboratoires et combler ainsi notre retard sur les autres pays européens. Les équipements lourds devraient à l'avenir être partagés entre les laboratoires d'une même région.

Après avoir remercié le ministre d'être venu s'exprimer devant la commission de la production et des échanges, commission dont il a rappelé qu'elle s'intéressait plus particulièrement à la recherche technologique, M. Daniel Chevallier, rapporteur pour avis des crédits de la recherche, a estimé qu'avec ce budget, on savait où on allait et comment on y allait mais que, comme toujours, on aimerait y aller un peu plus vite. Il a ensuite indiqué que

le BCRD qui avait progressé au total de 4,5 % depuis 1997 connaîtrait cette année une croissance, à structure constante, de 1,3 % en moyens de paiement et de 2,2 % en autorisations de programme, soit une progression plus rapide que celle des dépenses totales de l'Etat.

M. Daniel Chevallier a estimé que ce budget se caractérisait par sa cohérence avec le renforcement de la capacité d'intervention du ministère via le Fonds national de la science (FNS) et le Fonds de la recherche technologique (FRT), l'effort particulier consenti en faveur de la recherche universitaire dont les crédits augmentent de 3,1 % et surtout un soutien réaffirmé à l'innovation technologique. Il a noté que celui-ci se traduisait tout d'abord par l'augmentation des moyens de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) dont l'activité est au c_ur de la révolution des nouvelles technologies de l'information et de la communication et qui participe à plusieurs des projets conduits dans les secteurs définis comme prioritaires par le dernier comité interministériel de la recherche scientifique et technique. Il a ensuite estimé que cette préoccupation se traduisait également dans l'augmentation des moyens du Fonds de la recherche technologique qui disposera d'autorisations de programme en progression de 34 %, l'évolution moins favorable des crédits de paiement s'expliquant par l'achèvement progressif de l'apurement du décalage entre les autorisations de programme et les crédits de paiement qu'a connu ce fonds par le passé. Il a remarqué que l'action du Fonds de la recherche technologique notamment pour soutenir la mise en place de réseaux de recherche et d'innovation technologique et pour financer le concours de création d'entreprises innovantes était en pleine cohérence avec la volonté du Gouvernement, cohérence qu'il s'est félicité de retrouver également entre les priorités nationales et européennes retenues en matière de recherche.

M. Daniel Chevallier a ensuite souligné que ce budget, en lui-même satisfaisant de par son orientation marquée en faveur de la technologie, s'inscrivait dans le cadre plus large de l'action du Gouvernement en faveur de l'innovation. Il a rappelé que celle-ci s'appuyait sur la loi du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche, qui met en place les moyens juridiques nécessaires pour renforcer les transferts de technologie vers nos entreprises. Il a estimé que la combinaison de ce projet de budget, du nouveau cadre juridique issu de la loi du 12 juillet 1999, des divers instruments mis en place tels les incubateurs d'entreprises, les fonds d'amorçage et les fonds communs de placement pour l'innovation et du renforcement du crédit d'impôt-recherche, constituait une panoplie cohérente dont les résultats ne devraient pas se faire attendre.

M. Daniel Chevallier a ensuite souhaité que le ministre apporte des précisions sur les points suivants :

- le concours de création d'entreprises innovantes qui a été un succès sera reconduit en 2000. Quel avenir connaîtra-t-il par la suite ? Sa pérennisation est-elle envisagée et, le cas échéant, selon quelle périodicité ?

- le projet de budget pour 2000 permet un taux de renouvellement des chercheurs de 3 %. Quelles sont les orientations retenues à plus long terme en matière de gestion des emplois scientifiques ?

- le Fonds national de la science et le Fonds de la recherche technologique permettent au Gouvernement de mieux orienter la recherche publique vers les domaines prioritaires et constituent donc des innovations utiles. L'évaluation de leurs interventions doit être assurée. Quels mécanismes existent ou seront mis en place à cet effet ?

- la technologie a une image très mauvaise dans l'enseignement et, dans les collèges, elle constitue parfois la voie vers laquelle on oriente les élèves les moins doués. Il s'agit pourtant d'un domaine essentiel pour notre économie. Quelles solutions sont envisagées pour revaloriser l'enseignement technologique ?

- en 1999, un crédit de 50 millions de francs a été attribué en faveur de l'insertion professionnelle des post-doctorants. Quelles sont les perspectives à cet égard et quel a été le bilan de cette mesure ?

- afin de développer la culture scientifique de nos concitoyens, des actions, telles les conférences sur les organismes génétiquement modifiés et la semaine de la science qui vient de s'achever, ont été conduites. Il convient de les renforcer. Quelles mesures sont prévues à cet égard ?

En réponse au rapporteur pour avis, M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, a apporté les précisions suivantes :

Le concours de création d'entreprises innovantes sera reconduit en 2000 mais le ministre a indiqué qu'il attendait de la représentation nationale des suggestions pour l'avenir et que de nombreux sénateurs, responsables d'exécutifs locaux, lui avait fait part de leur volonté de voir leurs collectivités s'y associer. De nouveaux moyens seront donc consacrés à ce concours mais il a noté qu'en revanche les pouvoirs publics avaient fait un effort pour contribuer à l'essor du capital-risque et que le relais devait maintenant être pris par le secteur privé. En ce qui concerne la pérennisation de ce concours, le ministre a estimé qu'il était trop tôt pour dire si les 2000 projets présentés constituaient un flux susceptible de se renouveler ou un stock accumulé et appelé à s'épuiser. Il a noté que le prochain concours permettrait d'apporter des réponses à cet égard. Enfin, il a précisé que des grandes entreprises avaient exprimé leur intérêt pour ce concours et qu'elles pourraient à l'avenir contribuer à son financement.

Le développement de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) constitue effectivement une priorité. Un plan de recrutement de contractuels, statut souhaité par la direction de l'institut qui connaît une rotation de personnel importante, sera mis en _uvre et le renforcement du site du Rennes ainsi qu'une nouvelle implantation à Lille seront encouragés. Toutefois, la disparition de fait du Centre national d'études des télécommunications (CNET) doit conduire l'INRIA à élargir sa compétence reconnue en matière de mathématiques appliquées à la prise en charge des technologies liées au numérique et aux télécommunications.

L'informatique et les technologies de la communication, qui ne constituent aujourd'hui qu'une ramification du département des sciences pour l'ingénieur, doivent être érigées en département de plein exercice au sein du CNRS.

La baisse des crédits de paiement accordés au Fonds de la recherche technologique (FRT) résulte d'effets mécaniques et de l'extinction, en 2000, de soldes budgétaires à apurer, liés à des choix de gestion antérieurs.

L'ouverture au recrutement de 3 000 postes de maîtres de conférence décidée en 1998 sera reconduite en 1999 et 2000. Le ministre a également indiqué que la proposition formulée par MM. Jean-Yves Le Déaut et Pierre Cohen de décharger les maîtres de conférence débutants d'une partie de leurs tâches d'enseignement était actuellement examinée favorablement par le ministère. Il a ensuite remarqué que, conformément à ses engagements, le renouvellement des chercheurs était assuré et s'est interrogé sur les possibilités de redéploiement de postes entre organismes.

En ce qui concerne l'évaluation des interventions du Fonds national de la science et du Fonds de la recherche technologique, il a indiqué qu'un relevé des décisions d'attributions des crédits serait rendu public afin de garantir la plus grande transparence et qu'il envisageait en outre de faire procéder tous les trois à quatre ans à une évaluation d'ensemble par un comité extérieur.

Évoquant la question de la revalorisation de la technologie, le ministre a estimé que la science était une activité qui consistait à rechercher les lois de la nature alors que la technologie consistait pour sa part en la fabrication d'objets dont il s'agissait, paradoxalement ensuite, de comprendre le fonctionnement. Aussi, a-t-il indiqué que certaines disciplines scientifiques telle la biologie devenaient des technologies. Le ministre a donc jugé que malgré les réticences de certains, la technologie devait avoir la même dignité que la science et qu'il entendait s'y employer.

En ce qui concerne les post-doctorants, le ministre a indiqué qu'en 1998, 24 avaient été accueillis dans des PME et 97 dans des établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) et qu'en 1999, 120 devraient être accueillis dans des PME et autant dans des EPIC. Il a précisé qu'une réflexion était en cours pour déterminer si le système devait être ouvert aux post-doctorants français souhaitant travailler dans des laboratoires universitaires en France, ce qui ne lui semblait en première analyse pas souhaitable, ou s'il devait continuer à être réservé aux étrangers venant en France et aux français partant à l'étranger malgré les difficultés souvent rencontrées dans ces hypothèses.

Évoquant la diffusion de la culture scientifique, le ministre a indiqué qu'une mission de la culture et de l'information scientifique, dotée d'un conseil scientifique présidé par M. Lévy-Leblond avait été créée et que dans le cadre des rencontres Europe-Asie tenues récemment à Pékin, il avait invité ses homologues à tenir à Paris une réunion sur le thème « science et société » à laquelle il a estimé souhaitable que la représentation nationale s'associe.

Le ministre a ensuite jugé nécessaire de développer des rencontres citoyennes sur des thèmes scientifiques et a noté qu'elles pourraient être organisées conjointement par le Parlement et les chercheurs avec l'assistance logistique du Gouvernement. Les questions liées à la bioéthique lui semblent particulièrement mériter d'être examinées ainsi que celles liées aux organismes génétiquement modifiés (OGM), vis-à-vis desquels l'ignorance est profonde et dangereuse ainsi que l'atteste la destruction récente de plantations du centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) représentant trois années de travail pour améliorer des espèces utiles.

M. Pierre Cohen a salué la troisième année consécutive de progression du budget de la recherche, même si des attentes insatisfaites demeurent encore. Il a ensuite indiqué que la réorientation des aides en faveur des PME-PMI était judicieuse mais qu'il serait souhaitable d'en dresser rapidement le bilan.

Notant que la mise en place de dispositifs de soutien à l'innovation s'opère aujourd'hui notamment dans le cadre des contrats de plan Etat-régions, il a estimé que cela soulevait des interrogations notamment quant au renforcement des liens avec les universités et les chambres de commerce et d'industrie.

L'allégement des contraintes pesant sur les jeunes maîtres de conférence doit également être salué, car il doit permettre une transition harmonieuse vers les carrières universitaires. Il reste néanmoins à renforcer l'effort en direction des équipes les plus jeunes afin de leur démontrer l'attractivité des carrières liées à la recherche. L'octroi d'aides directes aux laboratoires est fondamentale afin de se prémunir d'une recherche trop dépendante des fonds distribués par l'Europe ou par des entreprises privées.

En revanche, la politique menée en matière d'emplois scientifiques peut soulever des problèmes d'insuffisance de moyens dans les années futures. De ce point de vue, la présentation de perspectives pluri-annuelles serait souhaitable.

Il a ensuite estimé que les actions conduites pour assurer le développement de la culture scientifique devraient être relayées localement ce qui nécessite l'octroi de moyens supplémentaires dans le cadre des contrats de plan Etat-régions.

Il a enfin souhaité des éclaircissements sur la réduction de 160 millions de francs des crédits accordés à l'espace.

M. Claude Birraux a estimé que l'évolution du budget de la recherche pouvait être résumée par le titre récent d'un grand quotidien : « Vaches maigres pour la recherche ». Il a précisé que l'article relevait notamment l'absence de création de postes pour la recherche ainsi que la forte hausse de la « cagnotte ministérielle », constituée par le Fonds national de la science (FNS) et par le Fonds de la recherche technologique (FRT), qui aboutissait à une recentralisation de fait. M. Claude Birraux s'est, à cet égard, interrogé sur la cohérence des positions d'un ministre qui, en tant que ministre de l'éducation nationale, défendait la décentralisation et qui, parallèlement comme ministre de la recherche, recentralisait.

Il a ensuite noté que la satisfaction liée à la progression des autorisations de programme ne doit pas faire oublier que la réalité de l'action publique repose d'abord sur l'évolution des crédits de paiement et que les évolutions des unes et des autres ne sont pas nécessairement concomitantes.

Puis, il a estimé que la concentration des aides à la recherche au bénéfice de quelques grands groupes n'était que la conséquence d'une politique qui a trop longtemps consacré la prééminence du secteur public sur les entreprises privées.

Evoquant le concours de création d'entreprises innovantes, il a regretté que le versement des subventions promises, très attendues par les jeunes créateurs d'entreprises, soit étalé sur plusieurs années. Il a noté que les moyens affectés au soutien de l'innovation restaient fort modestes en regard des expériences étrangères puisque la seule université de Louvain consacre 200 millions de francs aux fonds d'amorçage chaque année.

M. Claude Allègre a alors noté que les résultats obtenus en matière de création d'entreprises par l'université de Louvain étaient inférieurs à ceux obtenus à Sophia-Antipolis, ce qu'a contesté M. Claude Birraux au regard des résultats sur une période de 25 ans.

Evoquant le centre européen pour la recherche nucléaire (CERN), M. Claude Birraux a estimé qu'il ne pouvait être présenté comme un exemple de coopération au sein de l'Union européenne, dans la mesure où son cadre la dépasse largement. La présence française y est insuffisante : au regard du montant élevé de notre participation, le retour en termes de contrats ou de présence au sein de l'encadrement apparaît particulièrement médiocre. Il s'est également inquiété de l'activité des chercheurs de ce centre au cours des deux années d'inactivité forcée liée à la mise en place du LHC (Large Hadron Collider) et a estimé que le projet italien d'études des neutrinos au Gran Sasso pouvait constituer, à cet égard, une solution d'un coût modeste puisque la participation demandée à la France ne s'élevait qu'à 20 millions de francs.

En ce qui concerne le projet de synchrotron Soleil, M. Claude Birraux a déclaré ne pas comprendre la décision du ministre. Tout en reconnaissant la pertinence d'une mutualisation européenne des grands équipements, il a estimé étonnant que la France renonce à ce projet qui a reçu de nombreux avis favorables qu'il a énumérés.

M. Claude Allègre lui a répondu que ces avis émanaient de comités techniques évidemment partisans du projet et que la décision était, elle, stratégique et budgétaire. Le ministre a d'ailleurs noté que MM. Edouard Balladur et Alain Juppé n'avaient pas arbitré en faveur de ce projet.

M. Claude Birraux a estimé qu'ils ne pouvaient le faire puisque le projet n'était pas alors prêt, ce que le ministre a contesté, M. Claude Birraux a alors regretté que tous les éléments techniques relatifs à ce projet n'aient pas été rendus publics.

M. Claude Allègre ayant répété qu'il s'agissait d'une décision budgétaire pleinement assumée de ne pas consacrer 2 milliards de francs sur les 4,5 milliards disponibles pour les contrats de plan à ce projet, M. Claude Birraux a noté que 2,5 milliards de francs seraient en revanche consacrés au programme franco-américain de retour des échantillons de Mars.

M. Claude Allègre lui a rétorqué que ce programme serait financé sur les crédits du Centre national des études spatiales (CNES) et qu'il s'agissait, à l'intérieur de ces crédits, d'un arbitrage entre ce programme et les vols habités. Le ministre a ensuite réaffirmé assumer sa décision de ne pas consacrer 2 milliards de francs à un domaine pour lequel la France dépense déjà 300 millions de francs par an avec des résultats fort modestes.

M. Claude Birraux, après avoir rappelé le rôle privilégié de la France dans le financement de l'agence spatiale européenne (ESA), a regretté que le financement de la recherche spatiale ne soit pas mieux partagé avec nos partenaires européens.

M. Alain Gouriou a rappelé qu'au mois de juin dernier, M. Claude Allègre avait déploré, en matière de nouvelles technologies de l'information, le morcellement et l'insuffisance de l'appareil de recherche français ainsi que les carences qui existaient en matière de transfert de technologies. Puis il a noté que si la France détenait une bonne position dans le domaine des télécommunications, elle était peu compétitive en matière d'informatique, de composants électroniques ou de logiciels. Il a souhaité que le ministre apporte des précisions sur les perspectives de coordination de la recherche dans ces domaines.

Il a ensuite indiqué que si les résultats du réseau national de la recherche en télécommunications étaient encourageants, les moyens qui y étaient destinés étaient encore insuffisants. Il s'est ensuite interrogé sur le délai de mise en place du comité de coordination des sciences et technologies de l'information et de la communication. M. Claude Allègre ayant fait remarquer que la mise en place du comité avait déjà eu lieu, M. Alain Gouriou a déploré qu'elle n'ait donné lieu à aucune publicité.

M. Jean-Yves Le Déaut a noté que sur 11 000 nouveaux docteurs chaque année, seuls 1 500 travaillaient dans le secteur privé. Il a estimé que, si ce nombre constituait une amélioration par rapport aux années antérieures, il restait insuffisant, et a salué la volonté du Gouvernement de concentrer les efforts sur le transfert de technologies. Il a par ailleurs déploré que le développement de nouvelles disciplines soit freiné du fait de la place prépondérante des disciplines traditionnelles, et a cité pour exemple le cas des nouvelles technologies de l'information dont il a estimé qu'elles ne se voyaient pas accorder une importance suffisante. Puis, il a observé qu'alors que 40 % du potentiel d'enseignants et de chercheurs devaient partir assez rapidement à la retraite, un lissage avait été prévu selon un taux de renouvellement de 3 % concernant les chercheurs. Sur ce point, il a déploré qu'un tel lissage global ne permette pas de mettre l'accent sur certains secteurs en croissance comme la bio-informatique.

M. Claude Allègre a alors fait remarquer qu'en 1998 et 1999 vingt postes de chercheurs ont été affectés à la bio-informatique.

Après avoir évoqué le problème de l'insertion des post-doctorants du fait de l'étanchéité entre les enseignements secondaire et supérieur, M. Jean-Yves Le Déaut a souhaité savoir si les départements pourraient participer au soutien des projets innovants, et a demandé comment serait organisé le dispositif global d'évaluation de la recherche.

M. François Brottes a regretté que des grands groupes étrangers bénéficient d'aides publiques à la recherche très importantes, pratique pouvant constituer une concurrence déloyale. Il a ensuite déploré que les crédits à la recherche versés par les conseils régionaux


financent systématiquement les entités de recherche déjà bien établies, et a estimé qu'un tel comportement remettait en cause le volontarisme manifesté au niveau national par le Gouvernement.

M. Patrick Rimbert a ensuite observé que si un label était attribué aux recalés du concours national de création d'entreprises innovantes dont les projets avaient été estimés intéressants, certaines collectivités locales pourraient prendre le relais. Il a par ailleurs estimé qu'un effort particulier devait être consenti en faveur des universités les plus récentes, comme celle de Nantes, dans le cadre de la politique d'aménagement du territoire.

Se félicitant tout d'abord de la création d'un incubateur d'entreprises dans sa région, M. Jean Proriol, a évoqué les assises régionales de la recherche en Auvergne lors desquelles ont été soulignées les difficultés à créer une structure capable d'inciter les chercheurs à créer une entreprise. Sur ce point, M. Claude Allègre a déclaré que la loi du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche comprenait des dispositions relatives aux incubateurs d'entreprises innovantes, mais que les décrets d'application étaient encore au stade de l'élaboration. Il s'est, par ailleurs, déclaré demandeur d'informations de la part des députés quant aux difficultés rencontrées sur le terrain par les différents acteurs de la recherche.

M. Jean Proriol a regretté que des barrières existent encore entre les chefs d'entreprises et les chercheurs ; il a salué l'action des centres régionaux d'innovation et de transferts technologiques (CRITT) dans ce domaine, tout en soulignant que des progrès étaient encore possibles. Enfin, il a demandé quelles étaient les perspectives en matière d'évaluation globale de la recherche et a souligné que l'ensemble des organismes concernés étaient demandeurs d'une telle évaluation.

En réponse aux intervenants, le ministre a apporté les précisions suivantes :

- il est extrêmement clair que, favorable à la déconcentration de l'enseignement, il ne peut, en revanche, qu'être totalement opposé à celle de la recherche. On a pu constater, dans un passé récent, les gâchis auxquels ont conduit les évaluations réalisées au niveau des collectivités locales, notamment les départements et les régions. Le niveau national n'est lui-même parfois pas le meilleur pour procéder à des évaluations des capacités des chercheurs, les échelons européen et mondial étant les plus pertinents.

En revanche, il est utile d'organiser un partenariat entre l'Etat, les régions et les départements en matière de recherche à condition de bien définir les compétences et le rôle de chacun. Si les collectivités territoriales sont mal équipées pour évaluer les qualifications des chercheurs, elles sont en revanche plus compétentes que l'Etat pour estimer les conséquences des transferts de technologies vers les entreprises, contrôler les conditions de ces transferts et mesurer leur impact économique et social au niveau local. Il serait donc possible de mettre en _uvre des partenariats efficaces dans ce domaine, peut-être structurés par une loi-cadre. Ce pourrait être l'une des pistes de réflexion à confier à M. Pierre Mauroy, à l'occasion de la mission qu'il conduit sur l'avenir de la politique de décentralisation ;

- il convient de remettre de l'ordre dans l'organisation décentralisée des organismes de recherche ;

- les remarques qui ont été faites dans la presse à propos d'une prétendue période de « vaches maigres » du budget consacré à la recherche ne reflètent pas la réalité puisqu'au contraire, la France est, avec la Suède, le pays qui consacre les efforts budgétaires les plus importants en faveur de la connaissance. Il convient de rappeler en outre que, si une période de restriction budgétaire a pu être constatée, c'était avant 1997, lorsque les crédits du BCRD avaient diminué respectivement, au cours des années 1994, 1995 et 1996, de 1,9 %, 1,8 % et 3,4 % en moyens d'engagement en francs constants. Au contraire, depuis le changement de majorité, les moyens d'engagement du BCRD ont progressé de 2,8 % en 1998 et de 1,3 % pour l'année en cours.

Par ailleurs, l'existence d'une « cagnotte » dont disposerait le ministère chargé de la recherche, est un mythe. Les fonds nationaux sont administrés par des comités indépendants ; ce mode de financement de certaines actions de développement a été rendu nécessaire du fait de la trop grande rigidité de fonctionnement des organismes. C'est uniquement par ce biais, par exemple, qu'ont pu être financés les programmes de génomique ou d'informatique ;

- il n'existe plus de financement public de la recherche des grands groupes industriels, hormis dans la branche de l'aéronautique. L'exemple d'un Etat européen ayant eu encore récemment ce comportement était celui de l'Allemagne ; ceci est désormais terminé, la Commission européenne étant au demeurant particulièrement vigilante sur ce point. Il faut d'ailleurs souligner que ces contributions publiques ont généralement abouti à des fiascos budgétaires, car les recherches menées dans ces conditions n'étaient pas conduites dans la logique industrielle de l'entreprise, mais plutôt pour satisfaire une administration. La logique de ce type d'aide publique ne correspond pas aux objectifs du Gouvernement ; nous ne sommes plus à l'époque du colbertisme. L'élément qui détermine les priorités de recherche d'une grande entreprise doit être le profit qu'elle peut tirer de ce type d'investissements.

Il est vrai cependant que les Etats-Unis, comme la France et bien d'autres pays, subventionnent indirectement les recherches des grandes entreprises implantées sur leurs territoires par le biais des commandes publiques, ce qui est très différent. Ainsi il est souhaitable que nos hôpitaux s'équipent des instruments issus des dernières technologies appliquées dans le domaine de la médecine. On peut considérer que, si les grandes entreprises sont plus efficaces que les PME-PMI dans le développement de la recherche, celles-ci sont en revanche plus performantes dans le domaine de l'innovation ;

- les problèmes démographiques et de pyramides des âges déséquilibrées n'existent pas chez les chercheurs ; ils sont par contre réels pour les enseignants-chercheurs. Si l'on procédait aujourd'hui à un recrutement massif de chercheurs dans les organismes, ce qui d'ailleurs ne correspond pas aux objectifs de ces derniers, on n'aboutirait qu'à reporter les problèmes constatés aujourd'hui à terme de dix ans : le déséquilibre est plutôt celui d'une représentation excessive de chercheurs âgés de cinquante ans et plus.

Un problème similaire a été constaté avec les thésards, pour lesquels on a sensiblement augmenté le nombre d'allocations de thèse ; leur devenir à l'issue de leur formation universitaire est parfois problématique ;

- la France est le premier contributeur au budget de l'agence spatiale européenne (ESA). Il faut cependant souligner que celle-ci n'aura pas utilisé la totalité de ses crédits cette année. Cette position dirigeante au sein de cette recherche est un choix de notre pays, qui en tire les dividendes avec les succès des fusées Ariane. Leur mauvaise conception initiale avait pourtant fragilisé leur place sur le marché et il a été nécessaire d'abonder les crédits de recherche préalablement déterminés afin de permettre à ces lanceurs de mettre deux satellites avec un même porteur et d'être ainsi compétitives. La priorité de la recherche de l'ESA devra porter sur l'abaissement de moitié des coûts de lancement en cinq ans.

Dans le domaine de la recherche spatiale, le Gouvernement est par ailleurs réticent à engager un partenariat avec l'Italie sur le projet VEGA, compte tenu des grands risques financiers qu'il comporte ;

- la réforme du CNRS est à l'ordre du jour et se fera ;

- le fonds consacré au concours d'entreprises dans le domaine des incubateurs a été doté de 200 millions de francs, et 100 millions de francs seront consacrés au concours national de créations d'entreprises innovantes. Les lauréats sont désignés par des jurys indépendants et aux règles de fonctionnement transparentes. Leur indépendance ne peut être mise en doute ; ainsi, un projet d'incubateur du C.N.R.S. n'a pas été primé ;

- une récente présentation des résultats du centre européen pour la recherche nucléaire (CERN) par son directeur général a démontré que notre pays était le premier bénéficiaire de l'activité de cet organisme, ce que regrettent par exemple l'Allemagne ou l'Italie. Il faut notamment souligner que 42 % des emplois au C.E.R.N. sont occupés par des français ;

- le coût de financement de l'expérience du Gran Sasso est très marginal au sein du budget du CERN et il est donc envisageable d'y participer ;

- un comité de coordination a décidé de l'implantation de trois centres nationaux de recherche technologique. L'un d'entre eux, situé en Bretagne, associera le CNET, l'Université de Rennes, l'INRIA et de grandes entreprises autour d'un pôle de recherches dans les domaines du signal et de l'imagerie ;

- il ne faut pas être excessivement pessimiste à propos des conséquences de la restructuration du CNET car la France demeure particulièrement présente et performante dans la recherche en technologies de l'information et de la communication ;

- l'activité de l'INRIA sera progressivement recentrée vers le développement des télécommunications, au détriment des mathématiques appliquées. C'est notamment pour cette raison que la direction de cet organisme demande la possibilité de recruter de nombreux chercheurs contractuels, ce statut répondant efficacement aux contraintes de rotation du personnel qui existe dans le secteur ;

- il faut s'interroger sur la pertinence de disposer d'un nombre élevé de thésards, comme c' est aujourd'hui le cas en France. A titre de comparaison, alors que notre pays recense 11 000 docteurs par an, un pays important comme le Japon vient de fixer le nombre de 10 000 comme un objectif à atteindre. La question se pose, sur un plan global, de la qualité de l'avenir professionnel qui s'offrira à ces jeunes à l'issue de leurs études.

S'agissant des thésards en biologie et en physique, on constate un grand nombre d'étudiants dans cette filière alors que l'éducation nationale manque de professeurs de l'enseignement secondaire. Le ministère étudie actuellement les moyens permettant d'habiliter ces diplômés à enseigner, palliant ainsi un déficit tout en résorbant un excédant ;

- la France souffre d'un problème général de capacité d'évaluation des chercheurs. Malgré la création de quatre ou cinq comités d'évaluation successifs en l'espace de dix ans, aucun n'est en mesure d'effectuer une évaluation pertinente et hiérarchisée. C'est pourquoi il a été décidé de définir des critères objectifs d'évaluation du travail des chercheurs. Pour la recherche fondamentale, il s'agira du nombre de publications effectuées par chacun dans les revues scientifiques de renommée internationale. S'agissant de la recherche appliquée, l'élément déterminant sera la prise de brevet et les contacts qu'ont les chercheurs avec les entreprises.

Il a par ailleurs été demandé aux organismes de faire appel à des « visiting committes », qui ne sont pas impliqués dans leurs travaux de recherche et qui établissent un rapport sur leurs activités. C'est un système responsabilisant et transparent. Il est important que l'ensemble des résultats de ces évaluations soit rendu systématiquement public ;

- les plates-formes technologiques qui seront développées dans le cadre du projet « U3M » sont un moyen important pour permettre aux PME-PMI de tisser des liens avec les établissements d'enseignement et de recherche.

Conformément aux conclusions de M. Daniel Chevallier, rapporteur pour avis, la commission a ensuite donné un avis favorable à l'adoption des crédits de l'éducation nationale, recherche et technologie : III. - recherche et technologie pour 2000.

--____--


© Assemblée nationale