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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N° 17

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 24 novembre 1999
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. André Lajoinie, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jean-Claude BERTHOD, président de Novatrans

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- Audition de M. Pierre FUMAT, président du Groupement national des transports combinés

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La commission a entendu M. Jean-Claude Berthod, président de Novatrans.

M. André Lajoinie, président : M. le président, vous êtes président d'une entreprise qui est attachée au transport combiné, transport que nous croyons d'avenir.

Je ne vous cacherai pas que notre commission est assez préoccupée par la croissance de la part de la route, dans le transport du fret, par rapport au rail. Nous sommes bien convaincus que les choses ne peuvent pas continuer ainsi car nous ne pouvons pas assister dans l'indifférence à cette évolution, avec toutes les nuisances qui en résultent, tels les accidents. On peut citer la catastrophe récente dans le tunnel du Mont Blanc, ou encore le blocage de l'autoroute du sud par la neige avec à chaque fois la présence de camions. Or nous assistons en même temps à une relative stagnation du transport fret ferroviaire.

Nous savons bien que la route apporte une souplesse, point à point, qu'il faut prendre en compte, mais il nous semble que nous pouvons trouver cette souplesse avec le rail. Nous croyons tout d'abord que si on ne fait rien ce sera le blocage du transport fret. Si on excepte le transport par les voies navigables, la mer et l'aérien, le transport terrestre risque d'être bloqué, la croissance continue du transport routier aboutissant inexorablement à une thrombose qui ne peut pas être acceptée par la société.

Nous sommes tout à fait convaincus que l'avenir est dans le transport combiné. Vous qui êtes spécialiste dans ce domaine, nous souhaitons connaître votre opinion. Pourquoi le transport combiné ne progresse-t-il pas, ou en tout cas pas assez ? Ce n'est pas seulement le cas en France et, puisque c'est à peu près pareil partout, on ne peut pas accuser tel ou tel protagoniste français.

Où se situent les blocages ? Quels sont les obstacles ?

Il me semble qu'on ne trouvera pas de solutions tant que le transport routier bénéficiera d'autant d'avantages puisque les transporteurs routiers ne payent pas ou très peu les infrastructures, alors que le transport ferroviaire utilise des infrastructures qu'il paye.

Le Gouvernement et la SNCF se sont fixés comme objectif un doublement du transport fret ferroviaire en dix ans. C'est un objectif important, ambitieux et modeste en même temps ; raisonnable disons, puisque le transport fret routier aura probablement lui aussi doublé au cours de la même période. La proportion n'aura donc pas bougé. On peut le supposer, bien qu'on ne puisse pas prédire l'avenir car il est possible que des blocages modifient la situation.

Qu'est-ce qui permettra d'atteindre cet objectif ?

M. Jean-Claude Berthod : Je vous remercie d'abord d'avoir bien voulu m'inviter pour vous parler de la situation des transports en France et dans son contexte international. J'aurais quelques corrections à apporter sur certains points abordés par le président Lajoinie parce que je ne suis pas tout à fait d'accord avec lui. La fantastique croissance du transport routier et la stagnation des chemins de fer posent un vrai problème. Tout le monde est conscient de ce problème, y compris les transporteurs routiers. La Fédération nationale des transports routiers, lors de son dernier congrès du mois d'octobre 1999, a pris l'engagement d'augmenter le transport combiné sur l'axe nord-sud d'au moins 20 % dans les deux ans qui viennent, sous réserve que la SNCF apporte la qualité de service permettant ce transfert. Le transport combiné est un substitut ou une solution alternative au transport routier. Il doit présenter les mêmes avantages pour être compétitif.

Mon exposé sera peut-être un peu long et je ne répondrai pas tout de suite à votre question, M. le président, parce que je voudrais faire un exposé général sur la situation, car on ne peut pas parler d'un point particulier sans évoquer son contexte. J'aborderai successivement la situation globale des modes terrestres, les problèmes propres à chacun des modes, c'est-à-dire le ferroviaire, le combiné et le routier et, troisièmement, les bouleversements au niveau de l'offre et l'évolution de la demande de transport. Pour conclure, je tâcherai d'évoquer les handicaps et les atouts de la France dans ces domaines.

Quelle est la situation globale des transports aujourd'hui ? En termes de parts de marché ou en tonnes kilométriques, la route représente 80 % du transport. Si on prolonge les tendances, et selon les actions politiques qui pourraient être menées, en 2020, la part de marché de la route pourrait être située entre 81 et 87 %. Le fer, qui est à 18 % aujourd'hui, pourrait évoluer entre 17 et 11 %. Et le fluvial qui est aujourd'hui à 2 % pourrait s'établir entre 1,4 % et 0,8 %. La croissance prise comme hypothèse se situe à environ 2 % l'an.

Je précise que ces chiffres ont été donnés par le ministère de l'Équipement aux différents préfets pour servir de base à l'élaboration des schémas de services collectifs de transport de voyageurs et de marchandises. Ce sont donc des chiffres officiels.

Le chemin de fer représentait 35 % de part de marché en 1970. On constate donc une tendance lourde de déclin du chemin de fer et une progression de la route. C'est un phénomène européen.

Dans l'Union européenne, c'est en France que la part du chemin de fer est la plus importante ; plus qu'en Allemagne où la part du fluvial est assez importante, puisque le réseau est évidemment tout à fait différent du nôtre. A l'international, malgré les distances plus importantes qui donnent normalement un avantage supplémentaire au chemin de fer, la situation n'est guère meilleure que pour le trafic national. Il y a donc un vrai problème.

La route représente 91 % du chiffre d'affaires du transport et le chemin de fer 8 %. Pourquoi ce déclin ? Il y a d'abord des raisons techniques, les mutations structurelles qu'a subies le tissu industriel : on transporte beaucoup moins de charbon, beaucoup moins d'acier, pas plus d'engrais qu'avant, et les marchés de prédilection du chemin de fer sont donc en déclin.

Par ailleurs, les implantations industrielles sont maintenant de plus en plus dispersées, ce qui favorise évidemment le transport routier à cause du maillage des infrastructures routières.

Il y a ensuite une modification dans les méthodes de gestion industrielle qui conduit à des réductions de stocks et donc à une fragmentation des envois. Les envois de petite importance favorisent évidemment le transport routier au détriment du chemin de fer. Ce sont des raisons qu'on constate, on n'y peut rien, c'est une tendance économique générale.

Il y a ensuite des raisons de compétitivité entre les différents modes de transport. Les éléments de choix d'un chargeur, c'est-à-dire du client qui a des trafics à remettre, se fondent sur plusieurs paramètres : le prix, le délai, la fiabilité et la réactivité.

Le prix : on ne peut pas dire, en gros, que le transport routier soit moins cher que le transport ferroviaire.

Les délais : le transport routier est indiscutablement assez performant dans ce domaine.

La fiabilité : c'est la garantie du délai convenu.

Et la réactivité : c'est la possibilité de répondre à des demandes impromptues d'industriels, en cas de retards de commandes par exemple ou de chargement sur un navire déterminé pour l'exportation.

Un autre élément intervient, ce sont les prestations annexes qu'on peut demander aux prestataires de transport.

Danzas dont j'étais le PDG il y a quelques années, a mené, il y a trois ans, une enquête en Europe, aux Etats-Unis et dans le Pacifique auprès d'un certain nombre de chargeurs pour savoir quels paramètres ils prenaient en considération et quelles étaient leurs exigences prioritaires. On a constaté que tous ces paramètres que je viens d'indiquer, c'est-à-dire prix, délais, fiabilité et réactivité, sont considérés comme ayant la même importance. Autrement dit, l'élément prix n'est pas déterminant. C'est un point très important qui est évidemment un élément à prendre en compte si on veut mener une politique de relance du ferroviaire.

Pourquoi cet élément prix est-il moins important ? Parce que les produits industriels sont plus légers et incorporent plus de valeur ajoutée que naguère. C'est donc l'exigence de délai qui devient prédominante en fonction de l'augmentation de la valeur du produit. Cette politique de délai entraîne un fractionnement et une fréquence plus grande des envois. Elle favorise donc le développement de la messagerie et de l'express.

Face à ces évolutions, la route offre un service quasi universel en tous lieux, à tous moments, pour tous produits et vers toutes destinations. Et pourquoi a-t-elle cette forte capacité de réactivité ? D'une part, c'est dû à l'esprit très commerçant des entreprises de transport routier, d'autre part, le transport routier est caractérisé par une surcapacité structurelle, c'est-à-dire que le parc de véhicules correspond au moment où la demande est la plus forte dans l'année, il y a donc des véhicules disponibles en période creuse.

La situation est toutefois un peu plus délicate en ce moment car la croissance économique se poursuit et la demande est importante. Les transporteurs routiers ont, par conséquent, quelques difficultés à satisfaire la demande.

En outre, le climat social conflictuel au sein de la SNCF diminue la fiabilité de ses services. Au moment où je vous parle, il y a des grèves et nous avons dû, chez Novatrans, téléphoner à nos clients pour leur dire de ne pas nous remettre de fret. La grève a commencé hier, elle continue aujourd'hui et on ne sait pas encore si elle va s'arrêter. Il s'agit des problèmes d'application des 35 heures. La possibilité que les chargeurs, qui délaissent aujourd'hui le transport combiné du fait des grèves à la SNCF, reviennent au ferroviaire, est très hypothétique, puisqu'il s'agit d'un changement de stratégie et qu'on ne change pas de stratégie facilement et rapidement.

Mon souhait est de développer l'activité ferroviaire. Je suis pourtant vice-président de la Fédération nationale des transports routiers mais j'ai été également président du G.N.T.C, le Groupement national des transporteurs combinés, et je suis administrateur de Réseau ferré de France. Comme vous le voyez, j'ai des casquettes multiples mais je m'y retrouve très bien car le problème des transports n'est pas un problème de conflit entre modes. C'est un peu la tendance en France de croire cela, parce qu'il existe une presse non spécialisée qui mélange les problèmes. Chaque mode a son domaine de pertinence et les transferts de mode à mode sont finalement beaucoup plus difficiles à réaliser qu'on ne le croit.

Quand on veut développer quelque chose, il ne faut pas seulement prolonger les tendances ou les courbes, il faut essayer d'examiner les possibilités de rupture dans ces courbes et il y en a, heureusement. Il y en a, d'abord parce que le marché unique favorise l'allongement des distances pour les transports de marchandises et le chemin de fer bénéficie, en principe, d'un avantage fort sur les longues distances. Il y a ensuite une sensibilité de l'opinion publique à l'égard des problèmes environnementaux qui se développe et qui favorise évidemment les modes moins polluants. Or, le chemin de fer est moins polluant que la route.

Le chemin de fer devrait, au minimum, maintenir sa part de marché. Dans les chiffres que j'indiquais (entre 11 et 17 %), l'objectif maximal de cette fourchette est raisonnable.

Le ministre a donné un objectif plus fort puisqu'il a parlé de doublement en dix ans. C'est un peu un discours d'homme politique. Il faut mobiliser les troupes et indiquer des chiffres simples qui frappent l'opinion, mais je les trouve très ambitieux.

Que peut-on espérer pour que la SNCF, le chemin de fer en général, puisse progresser ?

Il faut d'abord donner ses chances au fret en cessant de donner systématiquement la priorité au trafic de voyageurs. C'est un vrai problème qu'on rencontre de plus en plus souvent avec la prolifération des TER qui bloquent les acheminements de trains de marchandises et rendent le transport combiné moins compétitif car il doit attendre que certains trains soient passés.

Cette priorité concerne trois éléments. Tout d'abord, le matériel : il faut que les locomotives disponibles soient affectées au fret et pas systématiquement aux voyageurs ; il en va de même pour les conducteurs ; il faut enfin que de bons sillons soient attribués au fret. Un sillon, c'est un espace kilométrique de voie mis à disposition d'un train pour une période donnée. Un sillon à une mauvaise heure, surtout en transport combiné, n'est pas très incitatif pour les transporteurs routiers.

Il faut une meilleure gestion des infrastructures, c'est-à-dire qu'il faut utiliser, quand il y en a, les voies pour ce qui est le plus rentable pour la SNCF et ce qui est le plus conforme à l'intérêt socio-économique. J'évoque encore ici le problème des TER.

Il faut réaliser des infrastructures ; des investissements importants sont à faire. Il ne faut pas privilégier le tout TGV. C'est une des fautes commises durant ces dernières années. Il y a des contournements à faire : région parisienne, région lyonnaise, Nîmes-Montpellier, etc., car ces goulets d'étranglement sont particulièrement nuisibles à la fiabilité et à la vitesse des trains.

Par ailleurs, c'est un fait nouveau et c'est bien que ce soit la France qui soit à l'origine de cette initiative, le ministre des transports, M. Jean-Claude Gayssot, a lancé l'idée au conseil des ministres du 6 octobre 1999 d'un réseau transeuropéen de fret ferroviaire. On a beaucoup entendu parler des corridors ; il s'agissait d'accords entre compagnies de chemin de fer pour faire circuler des trains sur des voies considérées comme des axes intéressants pour le trafic européen, mais ceci supposait un accord entre compagnies de chemin de fer qui, il faut l'avouer, ne sont pas très tentées par la collaboration parce qu'il y a une espèce de défense de la souveraineté de chacune de ces compagnies de chemin de fer et une certaine méfiance l'une à l'égard de l'autre.

La décision relative aux réseaux transeuropéens de fret ferroviaire serait prise par les États qui affecteraient des lignes bien déterminées à un réseau européen. Cela supposerait que les compagnies, sur la pression des États, harmonisent les tarifications d'infrastructures, élargissent les droits d'accès aux services de frets internationaux, développent l'interopérabilité, les services de fret internationaux, etc.

Ce point est donc très important. Il faudrait que la France aborde cette question avec un esprit d'ouverture car accepter la concurrence intra-modale est incontestablement un des facteurs de développement du ferroviaire. Les cheminots ne seraient peut-être pas tout à fait de mon avis mais je crois à la vertu de la concurrence quand on veut s'améliorer.

Un autre moyen de développer le transport ferroviaire, c'est le développement du transport combiné. On parle beaucoup du transport combiné, et on emploie souvent des termes qui ne sont pas tout à fait ceux qui conviennent. Il y a ce qu'on appelle le ferroutage. Ce sont des semi-remorques, des caisses mobiles ou des containers transportés sur un wagon. Ce transport se fait sur des voies classiques, sans problèmes particuliers.

En revanche, on parle aussi de « l'autoroute roulante ». Il s'agit de camions sur les trains. Cela fait très bien dans les discours, mais ce système nécessite une voie spécifique, un gabarit ferroviaire spécifique et il faut, en gros, 50 millions de francs du kilomètre au minimum pour construire ce genre de voies, c'est-à-dire le prix d'une autoroute à deux fois quatre voies. Or le débit d'une autoroute ferroviaire serait celui d'une autoroute à deux fois une voie.

D'un point de vue économique, un tel investissement a assez peu de chance d'être accepté, ne serait-ce que par Réseau ferré de France. L'article 4 de la loi, qui a créé Réseau ferré de France impose un retour d'investissement de 8 %, ce qui n'est pas prêt de se réaliser avec une autoroute ferroviaire.

Le transport combiné représente aujourd'hui 25 % du fret de la SNCF et même un peu plus, 27 à 28 % normalement cette année, mais il faut être prudent car les chiffres du combiné sont en baisse en ce moment par rapport à l'année dernière.

Il y a deux opérateurs : la CNC, la Compagnie nouvelle des conteneurs, filiale à 90 % de la SNCF, et Novatrans. Novatrans est une société qui a été créée par les transporteurs routiers dont le capital est à hauteur de 60 % entre les mains d'entreprises de transport routier et pour 40 % du groupe ferroviaire. Je me suis toujours efforcé qu'aucune entreprise de transport routier ne puisse dépasser un montant supérieur à 3 ou 4 % du capital de façon que cette société, qui est en fait une espèce de « coopérative », ne soit pas dominée par un client particulier.

Le rôle des opérateurs est de constituer des trains. Ils achètent la traction du train à la SNCF, mais dans des conditions particulières. Le train est acheté au même prix qu'il soit rempli aux trois quarts ou au dixième. Il est possible d'annuler un train mais cela doit être fait au moins trois mois avant le départ, le risque financier est donc considérable. La SNCF ne s'est pas mal débrouillée sur ce point.

Les opérateurs doivent ensuite vendre ces trains à leurs clients, à la caisse, c'est-à-dire que le client remet des caisses ou des semi-remorques et paye un prix considéré comme compatible avec la concurrence routière.

Leur rôle consiste aussi à gérer les chantiers c'est-à-dire les endroits où se passent les opérations de transbordement entre les camions et les wagons. Les opérateurs achètent donc des terrains, ou les louent, souvent à la SNCF, quelquefois à une Chambre de commerce, comme on vient de le faire à Bayonne. Ils doivent les aménager et fournir des matériels de manutention, notamment les portiques. Un portique coûte autour de 8 millions de francs. Il ne s'agit pas d'opérations insignifiantes en matière d'investissement.

Les opérations de manutention sur les chantiers et la fourniture de wagons pour des trains relèvent des opérateurs. Novatrans est ainsi propriétaire de 1 500 wagons. Bien entendu la responsabilité juridique de l'opération de transport à l'égard des clients incombe à l'opérateur.

Notre trafic chez Novatrans se partage à égalité entre le trafic national et le trafic international. Nous avons des filiales à l'étranger, au Royaume-Uni, en Italie, en Espagne, en Belgique, et même en Roumanie maintenant, car les pays de l'Est s'intéressent assez fortement au transport combiné. Novatrans pratique le système classique, pas celui de « l'autoroute roulante », qui est le système des caisses mobiles et semi-remorques sur wagons. Nous sommes tout à fait défavorables à « l'autoroute roulante » parce qu'elle nous paraît anti-économique, même si nous considérons qu'elle est tout de même valable sur des parcours courts comme la traversée de la Manche ou la traversée des Alpes, lorsqu'il existe un obstacle naturel de courte distance.

Autre argument que j'ai oublié de fournir à propos de « l'autoroute roulante » : ce qui n'est pas bon dans ce système, c'est de mettre sur un wagon un camion et un conducteur qui coûtent cher car on ajoute au coût ferroviaire, qui est déjà très élevé puisqu'il faut une voie spécifique, l'essentiel du coût routier. C'est vraiment une formule journalistique et non pas économique. La SNCF dit souvent, et ce n'est pas bien qu'elle le dise parce que les cheminots le retiennent et, du coup, ils n'ont pas toujours une attitude très positive à l'égard du combiné- que le combiné ne rapporte pas, qu'il lui fait perdre de l'argent et que s'il représente 25 % des volumes, il ne représente que 13 % de ses recettes. La SNCF oublie qu'on ne peut pas comparer un train de combiné à un train normal car nous fournissons les wagons, nous achetons le train complet, nous prenons le risque commercial. Un train commence à être rentable au bout d'un an et demi environ. Il s'agit donc d'une opération relativement audacieuse surtout pour une société de taille moyenne comme Novatrans.

Les problèmes du combiné, ce sont les problèmes de la SNCF. Une mauvaise plaisanterie court dans le milieu du transport combiné et même à la SNCF : "Le drame du transport combiné, c'est qu'il y a un parcours ferroviaire".

Nous sommes évidemment complètement déterminés par la qualité de l'acheminement ferroviaire. Je vous ai parlé des saturations sur certaines lignes, des goulets d'étranglement, de la priorité aux voyageurs, du climat social qui n'est pas toujours excellent. La solution alternative au transport routier n'est donc pas forcément très excitante pour les transporteurs routiers.

Novatrans n'a comme clients que des transporteurs routiers. Nous ne traitons pas en direct avec les chargeurs. Nous avons décidé -  c'est une stratégie qui remonte avant ma présidence  - que nous ne voulons pas concurrencer nos clients. Nous les aidons à traiter les affaires mais nous ne pouvons pas nous situer sur le même marché. Il faut qu'ils aient confiance en nous en quelque sorte.

A l'international, un problème se pose, celui de la fluidité aux frontières. Il n'y a plus de douanes mais il subsiste toujours ce problème de la nationalité des compagnies de chemin de fer, ce qui fait qu'un train attend, en gros, trois heures aux frontières. Il faut changer de locomotive, de conducteur, il faut vérifier les wagons, etc., un peu comme lorsque vous prenez une voiture en location et qu'on vérifie que vous la rendez en bon état.

En outre, les politiques des compagnies de chemin de fer ne sont pas forcément cohérentes. Un exemple : la SNCF a accepté, l'année dernière, de ne pas augmenter ses tarifs vers l'Italie mais les chemins de fer italiens ont augmenté leurs tarifs de 17 %. Il est évident que le trafic sur l'Italie a chuté, alors que 25 % des trains arrivent avec 24 heures de retard minimum. L'affaire du Mont Blanc n'a pas changé la situation ; nous ne transportons pas une tonne supplémentaire depuis la fermeture du tunnel.

Notre activité dans le combiné est donc essentiellement conditionnée par la qualité de service et la fiabilité. Un exemple : l'année 1997 a été bonne, c'est la meilleure historiquement. La progression a été de plus de 10 % en trafic national et de plus de 20 % à l'international. La grève de la SNCF d'avril 1998 a stoppé cette progression. En novembre 1998, blocage à la SNCF : trafic en chute ; mars 1999, grève à la SNCF : stabilisation de la chute sur les neuf premiers mois de 1999, le trafic national régresse de 6 % et l'international de 8 %.

La SNCF fait des efforts considérables pour améliorer la qualité. En octobre 1999 par exemple, 1 % seulement des trains avait un retard supérieur à 2 heures. Je peux dire que c'est très bien par rapport à ce qu'on a connu. Mais à l'international c'est 15 % de trains qui subissent un retard de plus de 24 heures.

Nous ne faisons aucun trafic avec l'Allemagne, aucun, pas une tonne. On a essayé de monter des trains sur Francfort, la vitesse commerciale d'un train, compte tenu de l'arrêt aux frontières, était de 28 km/heure, comme celle d'un coureur cycliste !

Participant à de nombreuses réunions internationales avec toutes les compagnies de chemin de fer d'Europe, y compris celles des pays de l'Est et avec les homologues de Novatrans dans les autres pays, je dois dire que la SNCF est plus constructive et plus volontariste sur la qualité et les prix que les autres compagnies. En Allemagne par exemple, le trafic national a baissé de 40 % l'année dernière car les chemins de fer allemands ont augmenté leurs tarifs d'une façon ahurissante notamment pour le retour des caisses vides.

Nous avons en ce moment beaucoup de problèmes pour agrandir les chantiers, à Avignon par exemple. La coopération entre Novatrans, la SNCF, Réseau ferré de France, la direction des transports terrestres, la CNC et le G.N.T.C. dont vous verrez le président tout à l'heure, M. Pierre Fumat, est bonne.

Il y a un point sur lequel je voudrais insister parce qu'il se trouve que je suis, au Conseil national des transports, l'animateur d'un groupe de travail sur les schémas de services collectifs de transport, marchandises et voyageurs. J'ai eu l'occasion de pouvoir lire un certain nombre des contributions des régions (pas toutes parce qu'elles ne sont pas toutes arrivées) et je suis un peu effrayé. Au départ, l'idée de la ministre de l'aménagement du territoire portait sur des schémas de services collectifs de transport. Les pouvoirs publics n'ont pas tellement à intervenir en matière de services mais plutôt sur les infrastructures. Les élus locaux, qui sont assez réalistes -  peut-être plus que les ministres  - ont bien compris le message et toutes leurs propositions portent finalement sur des infrastructures.

Je disais à l'instant que certaines de ces contributions m'inquiètent.

Dans les infrastructures proposées, il y a les plates-formes logistiques. Le terme « plate-forme logistique » fait partie des mots à la mode. On ne peut plus dire « transport », il faut dire « logistique », cela fait plus sérieux. Le brave transporteur qui fait Paris-Orléans avec sa camionnette et qui mettra « transport logistique » sur son camion fera, en fait, des livraisons comme il en faisait auparavant.

Qu'est-ce qu'une plate-forme logistique ? C'est une zone dans laquelle sont exercées, par différents opérateurs, des activités relatives au transport et à la logistique. Il devrait s'y trouver en principe les différents modes de transport : le fer, la route, un chantier de transport combiné et peut-être même un aéroport et un port fluvial. Des quais servent au passage et au tri des marchandises, et des entrepôts à leur stockage.

Cette notion de plate-forme logistique reflète une conception idéale et irréaliste du monde des transports. Parmi les plates-formes logistiques souvent citées, je pense à Garonor et à Sogaris dans la région parisienne. Je connais bien Garonor puisque, quand j'étais patron de Danzas, j'y ai acheté un terrain pour construire une installation, et je sais très bien comment fonctionne cette plate-forme. Il y a une voie ferrée dont j'ai moi-même décidé la remise en état ; Danzas a dépensé cent mille francs pour rien, et même beaucoup plus, car cette voie ferrée ne sert à rien, la desserte ferroviaire n'étant pas bonne. Qu'est-ce que Garonor ? C'est une zone industrielle dans laquelle des transporteurs routiers sont installés, point. Ils ne font aucun transport ferroviaire et ils ne travaillent même pas entre eux ; ils ont chacun leur petite ligne. Et quand on parle de plate-forme logistique, on nous parle de la réussite de Garonor !

On est en train de faire, dans un certain nombre de régions, à Toulouse, Champigneulles, Châlons-sur-Saône etc., des plates-formes logistiques qui coûtent une fortune, qui bloquent les projets de chantiers de transport combiné qu'on devrait construire et qui vont finalement être financées par le contribuable avec à l'issue un échec total. On prévoit à Dourges, près de Lille, un chantier absolument extraordinaire où les transporteurs ont peu de chance d'aller.

Pourquoi parle-t-on tout le temps de ces plates-formes logistiques ? Parce qu'on est persuadé que c'est un outil d'aménagement du territoire, une source de développement économique, qu'elles favorisent les transferts entre modes de transport, la rationalisation et la distribution dans la zone concernée.

En réalité, elles ne sont pas favorables à un aménagement rationnel du territoire national car :

1. elles concentrent sur un point donné une multitude de véhicules, ce qui n'est pas tellement souhaitable pour les riverains ;

2. elles ne sont pas source de développement économique car le transport ne crée pas de trafic, il gère ce qui existe. Ce n'est donc pas en créant une plate-forme logistique qu'on suscite des trafics ;

3. les transferts de mode à mode se réalisent n'importe où dans des installations appropriées sans difficulté ; les entreprises le font depuis longtemps sans intervention de la puissance publique et sans subventions. Je ne vois pas pourquoi on financerait les entreprises pour faire du stockage et de la distribution, à une époque où on veut réduire les dépenses publiques ;

4. si l'aide attribuée à ces plates-formes logistiques a pour objectif le développement du transport combiné rail-route, autant rechercher des terrains appropriés permettant l'utilisation de sillons ferroviaires convenables.

Les élus locaux sont souvent intéressés par ces plates-formes, poussés par des promoteurs, poussés par des consultants qui ne connaissent rien au transport. On interroge quelquefois les transporteurs mais, un transporteur auquel on demande s'il serait intéressé par une plate-forme logistique à côté de chez lui peut répondre oui, car on ne sait jamais. Mais il faut aussi lui demander, si on en construit une, s'il s'engage à prendre une surface en location à tel prix, dans telles conditions, etc. Sans un tel engagement, il vaut mieux ne pas construire, mais malheureusement on le fait quand même.

J'ai la chance d'avoir travaillé dans une société multinationale et donc d'avoir beaucoup voyagé à l'étranger. En Italie, l'Etat italien a développé douze plates-formes logistiques. C'est un échec complet, ces plates-formes coûtent une fortune et ne sont pas utilisées.

Le monde change et le monde des transports également. On assiste à l'émergence des services postaux : la poste néerlandaise et la poste allemande vont devenir les plus gros transporteurs et transitaires du monde. La Poste a aussi racheté Danzas et Air Express International qui est le plus gros transitaire aérien du monde, ainsi que la plus grosse affaire de messageries d'Espagne, la deuxième britannique, etc. Le développement de la poste allemande est considérable et sa stratégie, tendue vers le développement mondial en disposant d'une palette de produits assez vaste, tout à fait claire. La poste néerlandaise fait la même chose mais en se limitant aux paquets et aux petits colis.

Ceci entraînera, à mon avis, une transformation des structures de la profession. C'est d'ailleurs une raison supplémentaire de ne pas se lancer dans les plates-formes logistiques. Il faut éviter de créer des rigidités parce que les stratégies des entreprises sont en pleine mutation. Par ailleurs le commerce électronique fait sont entrée dans les entreprises de transport les plus performantes. Il représente déjà 20 % du chiffre d'affaires d'une entreprise comme U.P.S., qui est la grande entreprise de messagerie et d'express aux Etats-Unis. Or, la vague touche en général ensuite la France et l'Europe.

Quels sont les handicaps de la France ?

1. il n'y a pas eu de politique globale des transports pendant longtemps. Il en existe une aujourd'hui mais qui n'est pas très efficace, car elle sous-estime le rôle du marché et la mondialisation. Que ces réalités plaisent ou non, elles existent ;

2. on constate une certaine frilosité à l'égard de la concurrence ;

3. l'addition des projets sans véritable priorité entraîne un véritable saupoudrage.

Ainsi par exemple, il ne faudrait pas que se reproduise avec les aéroports ce qu'on a fait avec les ports. Je me souviens que le patron du port de Rotterdam me disait : « nous n'avons pas de mérite, nous n'avons qu'un seul port ». Il faut en plus reconnaître que les Pays-Bas sont l'énorme plate-forme logistique de l'Europe ; ils en ont fait une priorité de leur politique des transports. C'est aussi un pays extraordinairement bien situé ;

4. l'absence d'harmonisation sociale européenne du transport routier est un autre handicap. La France est à cet égard en avance sur les autres pays, les temps de mise à disposition sont pris en compte dans le temps de travail alors que seuls les temps de conduite le sont dans tous les autres pays d'Europe où les temps d'attente chez les clients, dans les usines, etc., ne sont pas considérés comme des temps de travail.

Vous savez que le cabotage est libre, c'est-à-dire qu'un étranger, un non résident, peut faire du transport intérieur en France, et réciproquement bien sûr. On risque de constater une prédominance des transporteurs étrangers sur le territoire français si on ne parvient pas à une harmonisation sociale européenne. Vous voyez sur les routes beaucoup de camions Willy Betz qui est une entreprise allemande mais qui a installé une filiale en Pologne et qui emploie des chauffeurs roumains, bulgares et polonais payés, en gros, le tiers de ce que gagne un chauffeur français ;

5. autre handicap : nous sommes des latins, ce qui signifie que le verbe nous donne parfois davantage de satisfaction que l'action. Plutôt que des colloques et des discours sur le transport combiné, il faudrait agir beaucoup plus ;

6. enfin, il ne faut pas croire que les écotaxes entraîneront des transferts du trafic routier vers le trafic par chemin de fer. Je vous ai dit tout à l'heure que le prix devient un élément secondaire ; en cas d'augmentation du prix du transport routier, les clients préféreront payer pour avoir fiabilité et respect des délais.

Il ne faut pas oublier par ailleurs que 86 % des camions que vous voyez effectuent un parcours quotidien inférieur à 150 km dans l'Union européenne. C'est un problème mentionné dans le document de la Commission « Pour un développement durable ».

J'en viens maintenant aux atouts de notre pays.

On prend conscience de la nécessité d'une politique globale des transports qui prenne en compte les problèmes environnementaux. Les infrastructures routières et autoroutières sont à compléter mais elles sont de bon niveau ; même chose pour les infrastructures ferroviaires, elles sont aussi en assez bon état. Il y a des points à corriger mais c'est faisable sans dépenser des fortunes. Par ailleurs, l'infrastructure est correcte pour le combiné. Certains chantiers sont à agrandir ou à transférer mais c'est à la portée de nos moyens.

En outre, nous disposons avec l'aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle d'un atout extraordinaire. Nous sommes le seul pays d'Europe à avoir un aéroport non saturé, et j'espère que les règles édictées récemment seront assouplies de façon à repousser la notion de saturation.

Fedex, qui est le plus grand transporteur américain avec U.P.S., a choisi l'aéroport Charles-de-Gaulle et installé une plate-forme de tri de 77 000 m² qui emploie 800 personnes pour le traitement du fret aérien : mono-colis ou petits envois traités par cette société dans le monde.

Nos ports sont bons, mais trop nombreux ; des sélections sont à faire.

La France est un pays de transit, ce qui présente des avantages mais aussi des inconvénients, il serait intéressant d'y réfléchir et de définir une politique. Il s'agit en effet d'une situation positive dans le cas du transport aérien mais en général pas lorsqu'il s'agit de transport routier. En matière de transport ferroviaire, c'est un élément favorable lorsque les infrastructures sont sous-utilisées mais pas si cela rend nécessaire des investissements lourds. Une étude serait à mener sur ce sujet.

Nous avons aussi la chance que la politique européenne de transport qui préconise le développement du fret ferroviaire, corresponde aux intérêts français.

M. André Lajoinie, président : Merci, monsieur le président. Je vais donner la parole à ceux qui le souhaitent.

M. Léonce Deprez : Nous sommes sensibles à la franchise et à la sincérité de vos propos. Ce n'est pas de la langue de bois et cela fait choc.

Je suis cependant préoccupé par ce que vous avez dit dans la dernière partie de votre intervention au sujet des plates-formes. J'ai été président de la commission plan et aménagement du territoire de la région Nord-Pas-de-Calais pendant six ans durant lesquels on m'a complètement endoctriné pour me faire comprendre qu'il fallait à tout prix que la plate-forme de Dourges soit considérée comme la véritable clef de nos problèmes de transport futurs, comme un atout d'aménagement du territoire et un moyen d'assurer les liaisons dans le Nord-Pas-de-Calais. Considérée comme un élément considérable pour l'avenir, cette plate-forme avait d'ailleurs un coût correspondant à l'impact qu'on voulait lui donner.

Vous avez des raisons de douter et d'être prudent. A la veille de la finalisation des contrats de plan Etat-régions 2000-2006, je me demande si des expériences comparables à celle de Dourges ont été faites à travers la France. On entend constamment dire qu'il n'y a pas assez de crédits pour les six années qui viennent pour réaliser tout ce qui est nécessaire en matière d'équipement, surtout dans des régions comme le Nord qui ont besoin de poursuivre leur reconversion. Ce que vous dites sur les plates-formes est-il fondé sur des expériences, à l'étranger ou en France ? Faut-il aller au bout de la démarche aboutissant à un investissement considérable à Dourges ou faut-il modifier le projet dans un sens réaliste et dans une optique européenne ?

M. Jean-Claude Berthod : Dourges est un emplacement intéressant pour faire un chantier de transports combinés ; quant à y construire une plate-forme logistique, je répète qu'on va dépenser une fortune pour rien compte tenu de ce que j'ai vu à l'étranger, notamment en Italie, en Allemagne ou dans le reste de la France, et je ne connais pas de transporteur qui se soit engagé à s'installer à Dourges et à se lancer dans une aventure pareille sans avoir la certitude que d'autres transporteurs iront. Cela me paraît fou.

M. Léonce Deprez : Dont acte.

M. Jean-Michel Marchand : Vous venez de nous brosser un tableau sombre, pour ne pas dire noir, de la situation. J'avais cru comprendre dans les propos de M. Jean-Claude Gayssot que c'était globalement le transport qui allait doubler dans les dix ans et qu'il fallait que le fret ferré puisse lui aussi doubler, ce qui n'était que le maintenir au niveau où il se trouve.

J'avais cru comprendre aussi - vos propos en témoignent - qu'il nous fallait des sillons réservés si on voulait ne pas être partout tributaire du transport voyageurs. Je constate que l'axe rhodanien étant plus que saturé, on envisage d'autres axes secondaires ou de doubler la ligne Paris-Bordeaux pour faire circuler un peu plus de TGV, ce qui ne fera pas obligatoirement passer plus de trains de marchandises.

Je croyais aussi que la vitesse de circulation des trains n'était pas un véritable problème. Les chefs d'entreprise que j'ai rencontrés me disent qu'il leur suffit que leurs marchandises arrivent à l'heure, que cela roule à 28 km/heure, à 15 ou à 50. C'est peut-être un problème pour votre société, pour les sociétés de transport, mais pas pour les entreprises qui réceptionnent les marchandises.

Concernant les plates-formes multimodales, celles-ci ont fait l'objet d'un des grands débats de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, en particulier lors de la discussion sur l'article relatif aux schémas de services collectifs de transports voyageurs et fret. J'avoue que ce que vous énoncez ne me rassure pas du tout.

Je sais aussi que les conditions de sécurité risqueraient d'être différentes si on spécialisait les voies et si l'on spécifiait à Réseau ferré de France et à la SNCF que les conditions de sécurité ne sont pas les mêmes pour le transport voyageurs et pour le transport fret. Je constate qu'il nous reste des kilomètres et des kilomètres de lignes dites secondaires sur le territoire et qu'ici ou là, on les vend morceau par morceau pour faire du petit train touristique. C'est agréable et gentil, mais peut-être serait-il plus judicieux de les utiliser pour le fret.

Je prends un exemple : dans le Maine-et-Loire, lorsque les carrières ont livré des cailloux pour le tunnel sous la Manche, les trains à vide revenaient par des voies secondaires. Il y a donc là des potentialités à ne pas négliger.

Pour prendre un autre exemple, une ligne arrêtée depuis un certain nombre d'années a été rouverte il y a quelque temps pour transporter des céréales.

Je suis un peu inquiet. Ce n'est peut-être pas le bon endroit pour poser la question mais je m'en suis déjà entretenu à la fois au ministère, avec le directeur de la SNCF et le directeur de Réseau ferré de France. Il me semble que des décisions sont à prendre maintenant sur des projets qu'on mènera sur les dix ou quinze ans qui viennent.

M. Jean-Claude Berthod : Je n'ai pas cherché à être pessimiste ou optimiste mais je suis un ardent défenseur du ferroviaire ; la culture est complètement pluri-modale chez Danzas, entreprise que je dirigeais naguère : on transporte des marchandises par avion, par bateau, par train, par camion. Danzas a une filiale propriétaire de 2 500 wagons. C'est vous dire qu'on a pris des engagements forts dans ce domaine.

Mais si je viens ici, c'est pour vous parler franchement. Si je suis effectivement un peu « carré », c'est peut-être parce que j'ai toujours travaillé dans des entreprises. C'est comme cela qu'on fonctionne ; il faut aller vite. Donc je dis ce que je pense en toute sincérité de citoyen parce qu'il est important que je vous dise des choses exactes. Je ne fais pas de lobbying. J'ai été président du Groupement national des transporteurs combinés en 1980 et j'ai consacré pas mal de mon temps en faveur du combiné, donc du ferroviaire. C'est bien parce que j'ai cette image qu'on m'a nommé administrateur de Réseau ferré de France.

Je pense d'abord que le trafic global ne va pas doubler en dix ans car cela voudrait dire qu'il augmente de plus de 8 % par an, alors qu'on raisonne généralement sur 3 %. Le ministre souhaite que le trafic ferroviaire double, afin qu'augmente sa part de marché. C'est ambitieux mais l'ambition n'est pas un défaut et je dirais même que c'est son devoir d'être ambitieux. Il faut simplement aller vite parce que l'hystérésis est forte dans ce domaine. Pour les grandes lignes, il faut compter dix ans entre le moment où l'on décide de faire des travaux et la mise en service, le délai est de cinq ans pour les autres lignes. C'est un vrai problème.

Vous disiez aussi que les clients se moquaient un peu de la durée, que c'était la fiabilité qui les intéressait, c'est-à-dire l'arrivée dans le délai prévu. Vous faites probablement allusion à un client du ferroviaire. Les clients du ferroviaire se moquent des délais. Ce que je dis est méchant mais c'est le problème. Il faut que leur train arrive à telle heure ou tel jour. On ne parle plus en termes de jours quand il s'agit du choix routier. L'express par exemple, c'est la livraison le lendemain de la remise par le client, avant midi, dans le monde. Il faut livrer à Helsinki ou à Madrid. Cela demande une organisation extrêmement pointue - on l'a chez Danzas -, avec du personnel très performant.

La notion de délai est vraiment fonction de la nature de la marchandise. S'il s'agit de ballast ou de matériel de ce genre, ce n'est pas très important qu'il mette huit jours pour arriver dès lors qu'il est sur le chantier au moment où on a besoin de le poser.

S'agissant des lignes inemployées, de temps en temps, le conseil d'administration de RFF prend des décisions sur la cession de lignes secondaires. Nous avions récemment un « gros dossier » à traiter avec 15 km de voies ! Je précise qu'aucun train n'avait circulé depuis 1936 sur cette ligne située entre Paimpol et je ne sais plus où. Mais il s'agit généralement de 1 500 mètres ou 2 kilomètres, par exemple, pour aménager une voie cycliste.

Les abandons de lignes ferroviaires sont vraiment minimes. La mise à la casse de voies ferrées se fait avec beaucoup de soin. Il faut l'accord de la SNCF, l'accord de RFF et c'est ensuite le ministre qui décide. C'est fait avec beaucoup de pertinence.

M. Léonce Deprez : J'ai un exemple à 40 kilomètres.

M. Jean-Claude Berthod : C'était un gros dossier.

M. André Lajoinie, président : Vous avez raison de nous parler avec franchise. Cela nous fait réfléchir et il nous faudra en tirer toutes les conséquences, notamment s'agissant des plates-formes.

Lorsque vous avez cité tout à l'heure parmi les obstacles la priorité accordée aux transports régionaux de voyageurs (TER), il ne faut pas oublier l'implication actuelle des régions dans le transport ferroviaire, dont certaines versent des sommes considérables. Même notre région Auvergne, qui est un peu en retard, vient de décider d'acheter 30 autorails. Imaginez-vous que ces autorités régionales, après avoir acheté 30 autorails, accepteront une concurrence entre eux et les trains de marchandises ? Non, jamais, sinon elles n'achèteront plus d'autorails.

Il faut être franc et réaliste. Il ne faut pas croire qu'on va changer ce qui ne peut pas être changé. Les régions s'impliquent dans le ferroviaire, et il faudra respecter cet engagement, sinon elles cesseront de le faire car rien ne les y contraint. Aucune loi pour le moment n'oblige les régions à investir dans le ferroviaire. Elles le font parce que les électeurs souhaitent que ce mode de transport se développe. C'est la raison pour laquelle les régions achètent des matériels roulants ou contribuent à améliorer telle ou telle ligne.

Je ne conteste pas votre argument selon lequel la priorité donnée aux voyageurs freine le transport du fret ferroviaire ; il faut imaginer autre chose car on n'empêchera pas le TER de fonctionner. Il faudra peut-être mettre en service d'autres lignes. On sera bien obligé d'utiliser les lignes secondaires dont parlait M. Jean-Michel Marchand sinon on n'y arrivera pas. Vous avez raison de dire que la mise en service de ces lignes nouvelles coûtera très cher.

M. Jean-Claude Berthod : En disant que les lignes nouvelles coûteraient très cher, je pensais à la ligne pour les « autoroutes roulantes » qui est une voie spécifique, style TGV, avec des fondations extrêmement fortes, le train étant très lourd puisqu'il transporte des camions en charge. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il y a des priorités. La priorité voyageurs est forte sur le plan économique et politique, mais il faut voir si c'est un TER avec 30 passagers ou avec 500. Les TER de la région Nord-Pas-de-Calais par exemple sont une grande réussite.

M. André Lajoinie, président : On ne peut pas affirmer "vous avez fait une grande réussite", et dire "arrêtez les TER pour faire passer des lignes commerciales".

M. Alain Cacheux : Les gens diront non.

M. Jean-Claude Berthod : On ne vous le demande pas parce qu'il n'y a pas de saturation pour les marchandises dans le Nord. Le problème se pose essentiellement dans la région Rhône-Alpes avec le contournement de Lyon qui est une priorité. On n'arrête pas de parler de priorités, et je n'ose plus employer le terme. C'est vraiment fondamental si on veut que le chemin de fer puisse retrouver une plus grande vitalité, quel que soit le coût, et le coût n'est d'ailleurs pas énorme. Mais il faut aller vite.

M. Gabriel Montcharmont : Que pensez-vous de l'opinion émise par le préfet Carrère, dans un rapport il y a déjà quelques années, sur le fait que le transport n'est pas payé à son prix et que ce qui n'est pas payé à son prix dans une économie de marché est gaspillé ? Ne transporte-t-on pas à l'heure actuelle un peu n'importe quoi, n'importe où, à n'importe quel prix et dans n'importe quelles conditions ?

Par ailleurs, n'arrivons-nous pas à un moment où les populations situées sur les grands axes de transport ne supporteront plus les nuisances nées de ces transports, tout en sachant d'ailleurs que la prospérité de leur région est née de cette situation ? Peut-on penser que la vallée du Rhône pourra écouler tout le trafic méridien de l'Europe qui s'y engouffre ? Je ne le crois pas. La preuve de cette sorte de gaspillage du transport est le développement, très considérable à mon avis, de la vente par correspondance. On pouvait penser, il y a encore 30 à 35 ans, que la vente par correspondance avait vécu ses heures de gloire avec la fin de la société rurale, le développement de l'automobile, de la mobilité des individus. Or, chacun d'entre nous reçoit chaque jour plusieurs offres de vente par correspondance, soit sous pli simple, soit sous petit catalogue, et on a atteint des limites de tolérance dans certaines régions.

J'ai l'impression qu'on vit sur les hypothèses des physiocrates du XVIIIème siècle selon lesquelles il faut laisser passer et que l'on n'a pas à réfléchir à leur bien-fondé.

M. Jean-Claude Berthod : Il y a pas mal d'années, j'étais directeur commercial de Danzas avant d'en être PDG. J'ai effectivement vécu avec beaucoup de regret le fait que le transport ne soit pas payé à son prix. Les marges sont faibles dans les entreprises de transport, et elles sont quelquefois négatives. Il y a un problème de surcapacité structurelle ; c'est une surcapacité qu'on ne peut pas changer mais c'est vrai aussi bien dans le transport aérien que dans le transport maritime. C'est un peu la loi du genre.

Les bas prix du transport entraînent-ils plus de transport qu'il n'en faudrait ? Je ne crois pas qu'un industriel fasse circuler ses produits pour le plaisir.

M. Jean-Michel Marchand : Mais il peut acheter très loin des pièces dont il a besoin parce que le coût du transport est faible.

M. Jean-Claude Berthod : Oui, mais ce n'est pas cela qui crée des saturations.

M. Gabriel Montcharmont : Y compris en France.

M. Jean-Claude Berthod : Non, parce que les prix sont les mêmes en France, que ce soit à 200 kilomètres ou à 500 kilomètres. On établit des prix moyens. La distance importe peu. Ce n'est d'ailleurs pas la distance qui coûte cher dans le transport, ce sont les opérations administratives et les opérations de manutention au départ et à l'arrivée. Le prix du transport proprement dit est de l'ordre de 30 à 40 % du total, pas plus.

Personne ne peut nier les nuisances liées au transport routier, c'est évident, et avoir des camions qui passent sous ses fenêtres la nuit ne doit pas être très drôle. La région des Alpes pose effectivement un vrai problème. Il faudrait constituer un groupe de travail sur le transit parce qu'il faut avoir une politique du transit. La Suisse en a une consistant à transférer les inconvénients chez le voisin. Il faut donc peut-être éviter d'être le voisin dans ce cas particulier. On risque effectivement, avec la politique des Suisses en matière de transport routier de voir les camions prendre la vallée du Rhône pour aller en Italie et cela peut devenir un vrai problème. Je partage donc votre souci.

Sur la vente par correspondance, je crois que la mobilité des personnes et des biens résulte de la croissance économique et du besoin de bien-être des gens. C'est un signe d'évolution positive de notre société.

Je ne vois pas comment on peut dire qu'il faut freiner le déplacement des marchandises. Je ne crois pas que ce soit une bonne chose et je crains que ce ne soit le transport des personnes qui soit freiné à son tour. Je précise que je ne suis pas transporteur de voyageurs.

M. Gabriel Montcharmont : C'est l'objection à la liberté ?

M. Jean-Claude Berthod : Un peu, oui.

M. Gabriel Montcharmont : Vous savez comme moi qu'on dit que la liberté s'arrête là où commence celle des autres.

M. André Lajoinie, président : Votre idée de la nécessité d'une réflexion sur le transit nous préoccupe également. Nous allons d'ailleurs recevoir le président de la commission des transports du Parlement européen. Celui de la commission des transports du Bundestag allemand devrait venir nous rendre visite prochainement, nous avons en effet des problèmes communs, nous sommes les deux principaux pays de transit de l'Union européenne.

M. Jean-Claude Berthod : Ils sont plus saturés que nous.

M. André Lajoinie, président : Vous confirmez. Nous avons des problèmes communs auxquels il faut faire face en faisant preuve d'imagination car il s'agit de problèmes nouveaux.

M. Patrick Rimbert : Je voudrais revenir sur ce que disait le président André Lajoinie et sur ce que vous avez dit à propos de la démarche initiée par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire. Vous dites qu'on revient finalement, après toute une réflexion, à une politique de l'offre. La démarche de la LOADDT au contraire, partait de la demande - qu'elle soit de fret ou de voyageurs - afin de voir comment les deux demandes pouvaient se concilier ou, s'il y avait contradiction, quelle offre pouvait rendre les deux compatibles. Le droit des voyageurs à se déplacer est aussi important que le droit de circulation des marchandises.

Je suis élu de Nantes ; entre Nantes et Paris par exemple, on met en service chaque année trois ou quatre TGV de plus alors que Saint-Nazaire, qui est un port important, a besoin d'avoir des débouchés par le chemin de fer. A Nantes, nous avons mis en place une navette toutes les heures. L'augmentation de la demande des voyageurs est importante et doit être confrontée à celle du fret. Une infrastructure qui répondra le mieux aux deux demandes doit être mise en place. Un arbitrage et une stratégie seront nécessaires pour répondre à ces demandes.

Je voudrais parler aussi d'un certain laxisme. Alors qu'autrefois les livraisons en ville étaient interdites au-delà de 10 heures et limitées aux camions de moins de 10 tonnes, aujourd'hui des camions de 35 tonnes entrent dans les centre-villes. On sent monter une forte réticence vis-à-vis de l'organisation actuelle du transport routier pour l'utilisation des routes pénétrantes vers les centre-villes.

Les périphériques (comme celui de Nantes par exemple), décidés il y a vingt ans, qui étaient faits pour contourner et pour joindre les villes le plus vite possible, sont aujourd'hui à 90 % consacrés au trafic intra-urbain et à 10  % au trafic inter-urbain. De plus, l'urbanisation a conduit à ce que les périphériques soient aujourd'hui dans les villes.

Les trafics de voyageurs et de fret vont augmenter (je ne veux pas discuter pour savoir si c'est de 3 ou 8 %), ce qui va créer des contraintes. Il sera difficile de construire des infrastructures supplémentaires ferroviaires ou routières.

Je pourrais résumer votre intervention en disant qu'il n'y a pas beaucoup de problèmes, qu'il ne faut pas perdre notre temps à faire des plates-formes multimodales parce que personne n'en veut, qu'il vaut mieux faire des douches pour les routiers et des parkings pour les camions sur les routes. Vous êtes relativement optimiste quant aux réactions potentielles de l'environnement, tant au niveau de la demande qu'au niveau de la capacité à construire une offre vraiment globale.

Pour aborder un autre sujet, il faut constater qu'il est finalement paradoxal que le déplacement routier soit un déplacement de faible distance. Vous qui êtes un entrepreneur, un spécialiste, ne faudrait-il pas avoir un type d'organisation pour les transports autour de 150 km et une approche européenne pour le transport sur longue distance ? Ne faudrait-il pas dissocier les deux pour mieux appréhender les problèmes ?

Un point un peu plus particulier, c'est le fait qu'on voit se mettre en place des normes, notamment pour les conteneurs ; une ligne est notamment à l'étude entre Cherbourg et les Etats-Unis pour des conteneurs de gabarit élevé.

La région dont je suis originaire s'est mise au gabarit ; tout juste au gabarit et on ne peut pas passer au-dessus de Paris, ce qui est une grave et importante entrave au développement de notre port et de notre activité. Ne va-t-on pas avoir un problème de compétitivité entre les régions qui ont un problème de gabarit et celles qui n'en ont pas. Tout le trafic s'est concentré dans le Nord où le terrain est plat, où il n'y a pas de problèmes de gabarit parce qu'il n'y a pas d'ouvrages d'art, tout le reste de la France étant désavantagé.

Dernière question : je voudrais savoir d'où provient le chiffre selon lequel U.P.S. tire 20 % de son chiffre d'affaires du commerce électronique.

M. Jean-Claude Berthod : C'est eux qui me l'ont dit.

M. Patrick Rimbert : Je sais que l'INSEE cherche à calculer le pourcentage.

M. Jean-Claude Berthod : Mais il s'agit du chiffre de ce type de ventes aux Etats-Unis, pas en France où il est quasi nul.

Vous avez posé de nombreuses questions mais on se pose tous les mêmes et je ne suis pas plus malin que les autres. Je vais essayer de répondre mais les réponses ne sont pas évidentes.

Les schémas de services collectifs de transport s'appuyaient, au départ, sur la demande plutôt que sur l'offre mais il faut être conscient que les infrastructures jouent un rôle important dans le transport et qu'elles dépendent de la puissance publique. C'est l'histoire de l'_uf et de la poule. C'est la puissance publique qui doit faire les infrastructures et ces infrastructures sont ensuite exploitées au mieux des besoins et de la demande. Je crois que la ministre de l'aménagement du territoire ou ses services avaient une vue un peu abstraite quand cette loi a été faite.

Il y a une solution à l'essai que je n'ai pas évoquée mais qui est intéressante, c'est le cabotage maritime déjà pratiqué par Bordeaux, Dunkerque et Le Havre. Mais quand un bateau part, on ne sait pas s'il va aller à New-York ou à Dunkerque. Il y a par conséquent des opérations de douanes et on retombe dans les problèmes de délai. Il est évident qu'il est préférable de prendre la route Bordeaux-Dunkerque si le bateau est obligé de rester au port pendant cinq heures avec de la marchandise à bord.

Il existe des possibilités mais une révolution culturelle est tout de même à faire un peu partout, même chez les professionnels.

Pour répondre par ailleurs à une autre de vos questions, je ne vois pas beaucoup de solutions au problème des rayons courts.

Les plans de déplacements urbains ont été quelque chose d'astucieux. Ils ont permis de vrais contacts, quelquefois dans les fédérations professionnelles localement, entre pouvoirs publics, commerçants, associations, etc. C'est pour cela que je suis surpris quand vous dites qu'on voit des camions de 35 tonnes au c_ur des villes. Je crois au contraire qu'on va vers une discipline assez forte. D'abord, les maires ont le droit de faire ce qu'ils veulent dans ce domaine, et généralement ils ne s'en privent pas.

Novatrans s'intéresse au dossier de Cherbourg. Des contacts ont eu lieu au ministère vendredi 19 novembre à ce sujet. Nous éprouvons beaucoup de méfiance quant à la capacité financière des opérateurs américains dans cette affaire. En gros, ce seraient des gens qui n'ont pas d'argent et qui cherchent à se faire financer l'opération. Nous sommes très perplexes. Nous avons déjà un train Cherbourg-Italie et nous hésitons à nous lancer à nouveau dans cette opération mais nous l'étudions.

M. Patrick Rimbert : Et les normes de gabarit ?

M. Jean-Claude Berthod : Le problème des gabarits relève aussi de la géographie ; il est plus facile de faire passer une voie ferrée en Picardie que dans le département de l'Ain.

M. André Lajoinie, président : La France est un petit pays, on ne peut pas se mettre à partager le territoire en petits morceaux. C'est peut-être un peu différent aux Etats-Unis. Ce serait hasardeux de se lancer dans deux catégories de conteneurs.

M. Jean-Claude Berthod : Ce sera tout le problème du Gouvernement quand il fera ses arbitrages, le problème se posera de savoir si on favorise Paris qui a de gros besoins et si on laisse de côté la province. Va-t-on favoriser les régions qui sont défavorisées ou améliorer la compétitivité de celles qui sont plutôt favorisées ? Le choix entre solidarité et compétitivité se posera. On touche en fait à tous les problèmes de la société dès qu'on parle de transport. Le transport est un phénomène de société.

M. Jean-Claude Etienne : Je souhaite vous poser deux questions.

Même si vous dites que vous n'êtes pas plus malin que les autres, vous en savez quand même beaucoup plus que la plupart.

Ce débat tombe aujourd'hui à point nommé car on est en pleine discussion des contrats de plan État-régions et on sent tous, même si ce n'est pas toujours argumenté, que tout ce qu'on peut faire passer de la route sur le rail constitue une bonne évolution.

Les régions ont déjà une petite expérience en matière de voyageurs ; elles sentent ce qu'il faut faire, notamment avec les TER. Pour en avoir débattu, je sais qu'elles ont aussi des idées en matière de fret ; elles savent qu'on allège les nuisances en favorisant le fret rail. On voit trop souvent ces trains de camions sur tout un côté de l'autoroute, notamment la Champagne-Ardennes, région dont je suis un élu et on se demande ce que devient le fret ferroviaire français face à la concurrence étrangère. J'aimerais savoir quel rôle peuvent jouer les régions dans la création de réseaux transeuropéens de fret ferroviaire qui a été décidée le 6 octobre dernier ? Le fret est un gisement possible en termes d'emplois et de dynamique économique alors que les régions ne savent pas très bien comment appréhender le problème alors qu'on a la chance, je le reconnais, d'avoir pour la première fois un volet ferroviaire aux contrats de plan État-régions ?

Deuxième question plus courte et précise : vous avez dit que la France avait comme atout d'être un pays de transit. C'est peut être un handicap pour les routes et pour le fer mais c'est peut-être une occasion à ne pas manquer pour le fret aérien. Il se trouve qu'un aéroport vient d'être monté dans notre secteur "garanti pur fret".

J'aimerais votre opinion sur ce point.

M. André Godin : Vous aviez déjà été auditionné dans le cadre de la mission d'information commune sur « l'après canal Rhin-Rhône ». Ces problèmes de transit et de concurrence avaient justement été évoqués. Nous sentons bien, en tant qu'élus, la demande des voyageurs. Pour le reste, tout le monde est d'accord pour estimer que le fret ferroviaire peut être maintenant concurrentiel par rapport au routier, à partir de 500 ou 600 km. Il s'agit là, d'une dimension nationale et internationale.

Il est bien que nous ayons pris l'initiative d'auditionner des partenaires européens de manière à poser ces véritables problèmes. Le ferroviaire ne se négociera pas au niveau des régions. On n'est pas sur la même échelle et il ne faut pas qu'on se trompe de combat.

M. Léonce Deprez : Une seule question qui se relie à celle de notre collègue : il a été décidé de conclure les contrats de plan Etat-régions avant d'établir les schémas régionaux d'aménagement et de développement du territoire et ces fameux schémas de services collectifs, d'où le malaise que nous ressentons.

Il aurait été cohérent de tracer les grandes lignes des schémas régionaux, en liaison avec les schémas de services collectifs nationaux, avant les contrats de plan, quitte à reporter ceux-ci de six mois. Je pense qu'on a mis, dans nos régions, la charrue avant les b_ufs. On a demandé de l'argent avant de faire les schémas régionaux. Ce que je dis ne mérite-t-il pas une réflexion au niveau national ? Une démarche de ce type n'aurait-elle pas été préférable pour favoriser l'intermodalité et le ferroviaire ?

M. Jean-Claude Berthod : Vous m'avez posé une question très générale. Je suis d'accord avec vous, il faut essayer de transférer du trafic routier vers le chemin de fer, mais je vous ai indiqué pourquoi cette perspective reste modeste.

Il faut arriver à traiter le trafic routier en sachant qu'il est incontournable d'une façon qui le rende plus acceptable par les citoyens. C'est le problème des routes, des déviations, des horaires. Quand on a voulu à nouveau autoriser la circulation des camions le dimanche sous l'influence de la Finlande et du Danemark - on parlait là du transit, ce sont les camions espagnols qui traversaient la France -, la France s'y est opposée. M. Jean-Claude Gayssot a été extrêmement ferme avec l'appui des fédérations patronales et syndicales du transport routier car tous les transporteurs français s'y opposaient. Le front était commun sur ce point. Les Allemands y sont défavorables aussi. Le risque est normalement écarté. Il faut toutefois rester vigilant. Ce ne sont pas les transporteurs routiers qui réclament l'autorisation de rouler le dimanche, ce sont plutôt les chargeurs qui ne veulent qu'une chose : que leurs marchandises arrivent.

Il faut faire attention aux risques de dérive. Il faut que le trafic routier soit maîtrisé de façon intelligente et concertée, mais ce n'est pas simple.

Vous m'avez parlé de l'aéroport de Vatry, dans le département de la Marne. Je suis personnellement perplexe en ce qui concerne cette infrastructure.

J'étais président de la commission des transports du MEDEF il y a encore six mois et j'avais fait venir M. Alain Falque, directeur de la stratégie d'Aéroports de Paris. Il a déclaré qu'Aéroports de Paris n'était pas intéressé par cette plate-forme ; il y était même opposé. En revanche, Aéroports de Paris a pris des intérêts dans l'aéroport de Liège, parce que Liège est une place extrêmement intéressante notamment pour ses accès routiers. Aéroport de Paris a une compétence technique très forte reconnue dans le monde entier.

M. Falque a employé une expression à propos de Vatry : "Le fret ne vient pas de nulle part et, à Vatry, il n'y en a pas".

Pour que le fret arrive par l'air, il faut de nombreuses rotations d'avions et des correspondances parce que le fret vient d'un pays pour aller dans un autre et donc je ne vois pas l'avenir de Vatry avant longtemps.

Alors y aura-t-il un jour une saturation de Paris-Charles-de-Gaulle ?

On disait tout à l'heure que le fret ferroviaire ne pouvait pas être traité au niveau régional. Je dirais même qu'il ne peut pas aujourd'hui être traité au niveau national, il doit l'être au niveau européen.

Je me suis personnellement occupé des schémas de services collectifs de transport, ce qui demande du travail parce qu'il faut organiser des réunions ; il y a 40 personnes, il faut les écouter, faire une synthèse, les associations d'écologistes partent en claquant la porte, ou à peu près, dès qu'on parle d'infrastructures, etc. Ce n'était donc pas simple. Mais je ne suis pas persuadé que ce qu'on a fait servira à grand-chose parce que les schémas de services collectifs ne sont pas financés.

Nous sommes dans une période où ce sont les effets d'affichage qui comptent, ce qui n'est malheureusement pas spécial à la France, mais on aime bien et, comme le grand public confond trop souvent discours, décision et réalisation, ça marche.

M. André Lajoinie, président : Vous êtes totalement pessimiste.

M. Jean-Claude Berthod : Ce n'est pas très bien élevé de dire cela à des hommes politiques mais je le dis gentiment.

Les schémas auraient-ils dû être établis avant les contrats de plan ? Quel est le plus sérieux des deux ? Je n'en sais rien finalement. Et puis il n'y a pas d'argent pour réaliser les schémas.

M. André Lajoinie, président : Ce n'est pas si simple. Il ne suffit pas de claquer les doigts pour organiser les transports mais on ne peut pas non plus laisser faire.

M. Jean-Claude Berthod : Il faut quand même que ce soit l'État qui décide au niveau national. Je suis un peu jacobin à cet égard.

M. André Lajoinie, président : Je vous remercie.

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Puis la commission a entendu M. Pierre Fumat, président du Groupement national des transports combinés (GNTC).

M. André Lajoinie, président : Je remercie M. Pierre Fumat, président du Groupement national des transports combinés, d'être ici. Je vous propose de présenter un exposé liminaire pour indiquer votre conception sur ce grand problème du transport ferroviaire et routier, nos commissaires vous interrogeront ensuite.

M. Pierre Fumat : Le Groupement national des transports combinés représente l'ensemble des transporteurs routiers qui utilisent la technique du transport combiné rail-route. Nous sommes des professionnels du transport et avant tout des routiers qui font confiance à la technique ferroviaire et à la SNCF.

Nos entreprises sont aujourd'hui confrontées à une situation assez difficile car elles se heurtent à deux problèmes :

Premièrement, le marché du transport de marchandises est maintenant concurrentiel et très compétitif. Le prix du transport est dominé par la route puisque c'est pratiquement la route qui établit le prix du marché. Il faut donc que nous arrivions à pouvoir donner à nos clients chargeurs une prestation de transport combiné compatible et concurrentielle avec celle de la route.

Deuxièmement, nous avons un fournisseur unique qui est la société SNCF, via Novatrans, l'opérateur auquel nous confions l'ensemble de notre trafic.

Nous devons donc faire progresser cette technique du transport combiné en obtenant de la SNCF, dans le respect du prix du marché, une qualité de service permettant de répondre à la demande des chargeurs et des clients.

Le transport combiné a vécu une phase très difficile au premier semestre de l'année 1999 à cause des grèves de la SNCF des mois d'avril et mai, époque à partir de laquelle le transport combiné a régressé.

A partir des mois de juin et juillet 1999, la SNCF a fait des efforts significatifs pour retrouver une certaine qualité de service qui est à peu près redevenue normale. Le combiné a pu reprendre peu à peu son activité.

Hélas, depuis quelques jours des grèves de la SNCF perturbent à nouveau le trafic. Nous sommes obligés d'abandonner à ce moment-là la technique rail-route pour revenir au transport routier avec toutes les conséquences que cela représente.

Notre groupement considère que, pour développer le transport combiné rail-route, il faut convaincre les transporteurs routiers d'utiliser cette technique pour les suppléments de trafic et pour répondre à la croissance du transport qui est inévitable. Lorsque le ministre préconise le doublement du transport combiné d'ici à dix ans, cela veut dire de façon très précise qu'il souhaite que le combiné conserve sa part de marché. On est bien dans ce contexte de croissance.

Nous devons néanmoins constater que, pour les raisons exposées, nous rencontrons des difficultés pour convaincre nos confrères routiers d'utiliser le transport combiné en raison de la qualité du service.

Il nous semble par ailleurs absolument indispensable que la SNCF fasse des gains de productivité comme le transport routier en a réalisés depuis dix ans. Ceux-ci sont mesurables : premièrement, les charges utiles sont passées de 24 à 26 ou 27 tonnes dans tous les ensembles semi-remorques ou camions ; deuxièmement, les camions sont passés d'une consommation de 42 litres à 35 litres ; troisièmement, les véhicules font maintenant 1 million de kilomètres sans réparation et les fréquences des vidanges sont passées de 10 000 à 40 000 ou 50 000 kilomètres. Les transports routiers ont donc pu baisser leurs prix sous la pression des chargeurs, tout en gardant la compétitivité qu'ils avaient.

La SNCF n'a fait de son côté que très peu de gains de productivité. Il y a dix ans, il fallait pour le combiné 8 heures 30 pour faire Paris-Toulouse ; il faut 8 heures 35 aujourd'hui. On n'a pas gagné une minute et les prix de revient n'ont pas baissé d'un centime. Ils ont au contraire augmenté tous les ans.

Or, il faut que la SNCF abaisse ses coûts de manière significative pour garder un potentiel de concurrence par rapport à la route. Pour cela, nous proposons depuis plusieurs années à la SNCF des solutions techniques autour des points suivants :

- sur l'ensemble du réseau ferroviaire, donc du schéma ferroviaire, il faut des sillons à priorité fret, non pas des sillons complètement réservés au fret mais à priorité fret. C'est un discours que nous tenons depuis pas mal de temps et qui semble maintenant être entendu par la SNCF ;

- depuis des années, nous demandons des moyens de traction pour le fret, des locomotives faites pour tirer les trains de fret et non des machines sophistiquées avec trois, quatre ou cinq courants ;

- il faut du personnel spécialisé pour le fret, plus performant, et qu'il ait des rotations plus efficaces ;

- il faut également que les capacités des trains de fret soient augmentées. Au lieu de trains de 750 mètres avec 30 wagons, il faudrait des trains, sur ces sillons à priorité fret, qui fassent 1 000 ou 1 200 mètres. On gagnerait immédiatement 20 ou 30 % de productivité sur ces sillons.

Autre élément qui me semble aussi particulièrement indispensable, nos chargeurs exigent une continuité de service, sauf cas exceptionnels (intempéries ou grèves quand elles sont vraiment exceptionnelles).

La SNCF doit enfin nous assurer un service minimum de façon à ce qu'on puisse offrir une prestation minimum aux transporteurs qui font confiance au transport combiné, au moins pour la partie du fret indispensable pour conserver notre clientèle.

Voilà toutes les pistes que nous avons indiquées à la SNCF. C'est en travaillant dans ces directions qu'on arrivera à améliorer le transport combiné.

Pour faire du transport combiné, il est indispensable d'avoir des chantiers de transport combiné. Il est donc nécessaire de développer un programme dans ce domaine.

Le rapport Daubresse avait préconisé des programmes dans lesquels il y aurait à la fois de grandes plates-formes multimodales et des chantiers de transport combiné. Le GNTC a indiqué très clairement sa préférence pour des programmes de petits chantiers de transport combiné qui coûtent moins cher. En juin 1997, nous avions créé un groupe de travail avec la CNC, Novatrans, la direction du fret de la SNCF, la direction des transports terrestres du ministère des transports et nous avions proposé un programme de cinq chantiers de transport combiné qui étaient des chantiers légers, dont les chantiers de Vaire, de Perpignan et de Lhomme. Ce programme de chantiers légers de transport combiné représentait un investissement d'environ 150 ou 200 millions de francs au total.

L'arrivée de Réseau ferré de France (RFF) a perturbé un peu le processus car RFF est maintenant responsable des chantiers. On a perdu deux à trois ans mais les chantiers sont en _uvre. Pour vous donner un exemple, on ne peut plus remplir aujourd'hui un seul train à Lille et on refuse du fret de transport combiné à Lille Saint-Sauveur car le chantier est complètement saturé. C'est un peu paradoxal alors que l'on souhaite développer le transport combiné.

M. André Lajoinie, président : Quelle est la différence entre les chantiers de transport combiné et les plates-formes logistiques ?

M. Pierre Fumat : Un chantier de transport combiné est un espace relativement réduit sur lequel il y a deux ou trois voies ferroviaires, si possible de 750 mètres, avec quelques grues. Les camions arrivent, on charge et les trains repartent. C'est un chantier léger avec une activité uniquement consacrée au transbordement des marchandises. La plate-forme multimodale est un ensemble beaucoup plus complexe dans lequel on va trouver un chantier de transport combiné mais, en plus, une zone logistique avec des zones de stockage, d'échange, de fret, des magasins généraux. Il s'agit donc d'une plate-forme beaucoup plus large et d'investissements beaucoup plus lourds.

La plate-forme multimodale de Dourges coûterait environ 800 millions de francs, le chantier de transport combiné de Vaire environ 40 millions. Pour le transport combiné, nous avons besoin de chantiers. Ce n'est pas incompatible avec les plates-formes multimodales, c'est mieux si le chantier se trouve dans une plate-forme multimodale, mais l'argent est de plus en plus rare et nous avons un problème de délai et de temps. La construction de projets du type de celui de Dourges ou de grands chantiers prend huit ou neuf ans. Or, il nous faut, notamment dans la région de Lille, un chantier de transport combiné dans les douze mois qui viennent.

Nous avons aujourd'hui un problème avec l'Italie. L'accident du tunnel du Mont Blanc a été dramatique. Tous les routiers passent aujourd'hui par le tunnel du Fréjus et paradoxalement les trains de transport combiné entre Paris et Milan, qui sont affrétés par Novatrans, sont remplis seulement à moitié de leur capacité. On pourrait multiplier les transports par trois très rapidement, et nous avons donc plusieurs fois demandé au ministère de faire un effort pour essayer de relancer le transport combiné sur cet axe alpin, en partant de la région de Paris ou de la région de Lille pour aller sur Milan où la technique combinée non accompagnée serait une réponse tout à fait pertinente pour diminuer le nombre de camions sur la route et donc limiter les passages par le Fréjus. C'est, hélas, un peu dommage mais nous n'avons pas été écoutés et rien n'est fait, et Novatrans a supprimé, la semaine dernière encore, deux trains parce qu'ils étaient vides et que nous n'arrivons pas à offrir à nos clients un prix compétitif par rapport à la route.

Cela illustre le problème du transport combiné d'aujourd'hui. Tout le monde veut en faire, on en parle beaucoup, mais il y a une loi économique et c'est le transport routier qui prendra le marché si le transport combiné n'est pas suffisamment compétitif.

M. André Lajoinie, président : C'est le prix ?

M. Pierre Fumat : Il y a une question de prix.

M. André Lajoinie, président : Parce que M. Jean-Claude Berthod nous disait tout à l'heure que le prix n'était pas l'essentiel pour le choix du mode de transport par rapport au service. Maintenant vous dites que c'est le prix, et que le prix est basé sur celui de la route.

M. Pierre Fumat : C'est aujourd'hui la route qui dicte le prix du marché. Ceci étant, nous n'avons plus un seul train, depuis trois jours, partant vers l'Italie, à cause des grèves et des perturbations. Il y a là aussi une question de qualité de service, c'est-à-dire que si nous disons à nos chargeurs que nous ne pourrons pas livrer de marchandise en utilisant le rail-route pendant trois jours, ils exigeront que nous assurions le transport par la route pour acheminer coûte que coûte leurs marchandises. Le président Jean-Claude Berthod a raison de dire que la qualité est une condition sine qua non pour les chargeurs. Par ailleurs, les problèmes liés aux prix, à la compétitivité et à la productivité de la SNCF se posent avec acuité.

M. Léonce Deprez : Je pense qu'il est utile de vous entendre. Vos propos, concis et clairs, sont complémentaires de ceux de votre prédécesseur.

Je voudrais vous poser une question qui revêt une importance considérable pour certaines régions. Je n'arrive pas à comprendre, après vous avoir entendu ainsi que l'orateur précédent, pourquoi ne s'est-on pas limité à faire ce que vous appelez « les petits chantiers de transport combiné » car ces chantiers semblent répondre à des logiques de bon sens, aux besoins des professionnels, leurs coûts étant compatibles avec les ressources limitées des régions. Comment a-t-on pu en arriver, avec tous les experts, à concevoir, depuis dix ans, des plates-formes logistiques aussi lourdes que celle de Dourges et à investir des sommes aussi considérables alors que vous dites vous-même, vous, l'exploitant, que les petits chantiers sont beaucoup plus pratiques ? M. Jean-Claude Berthod disait tout à l'heure qu'on s'engageait dans un gouffre avec la formule de la plate-forme multimodale.

Après vous avoir entendu, on ne va pas engager dans le Pas-de-Calais, dans le contrat de plan Etat-région des dépenses de l'ordre de 800 millions de francs, sans étude d'impact et sans s'être préoccupé des exigences pratiques du transport combiné.

M. Pierre Fumat : Nous sommes l'utilisateur des chantiers, ce n'est pas nous qui avons le pouvoir de décision. Nous avons présenté nos arguments.

L'exemple un peu caricatural de ce genre de situation est celui du chantier d'Ourcade. Le chantier de Bordeaux sur lequel travaillent la CNC et Novatrans n'est pas saturé aujourd'hui. Une région a pris la décision politique d'investir sur des chantiers dont les professionnels n'ont pas un besoin particulier. Je regrette de le dire crûment mais c'est la réalité.

M. Jean-Michel Marchand : Je suis content de prendre la parole juste après mon collègue Léonce Deprez parce que je ne suis pas tout à fait d'accord avec lui. Il n'y a pas complémentarité entre les deux discours que nous venons d'entendre. J'ai dit tout à l'heure que le ciel me paraissait sombre sinon noir ; j'ai l'impression que vous nous offrez un peu de ciel bleu et j'en suis plutôt satisfait.

J'ai quand même bien noté les points que vous mettez en avant pour que se développe réellement le transport combiné, ainsi que les évolutions que vous estimez nécessaires à la SNCF, à moyen et long termes. Augmenter les capacités des trains, pour en avoir discuté avec le président de la SNCF, est un problème très technique, qu'on sait résoudre mais qui coûte très cher. C'est un problème de freinage nous a-t-on dit. En revanche, le discours a évolué sur les sillons à priorité fret. On parlait à un moment donné de sillons réservés fret. Les sillons priorité fret sont bien plus intéressants parce que cela veut dire qu'on pourra continuer à faire circuler des voyageurs dessus. La question du personnel dédié au fret est également intéressante. Il y a sans doute une possibilité d'engagement de la SNCF, de contracter avec celui qui est chargé de faire le transport.

Je souhaiterais également que vous précisiez ce que vous nous avez dit tout à l'heure au sujet du transport fret vers l'Italie. Vous venez de dire que cela ne marche pas parce qu'on n'a pas fait les efforts demandés. Qu'attendiez-vous exactement ? On nous dit qu'un certain nombre de trains circulent à demi-capacité de remplissage ou qu'on est obligé de les annuler. On nous dit qu'il faut réserver les trains trois mois à l'avance. On nous dit enfin que, même dans des conditions aussi difficiles que celles que nous connaissons maintenant avec le tunnel du Fréjus, il n'y a pas d'effet positif sur le ferroviaire. Je fais abstraction des difficultés momentanées dont vous parliez mais on aurait dû globalement voir se développer ce transport de manière quasiment exponentielle. Je voudrais que vous nous expliquiez là où cela accroche afin que l'on puisse en tirer des leçons pour l'avenir.

M. Pierre Fumat : Nous avions évoqué le problème spécifique de l'Italie avec nos opérateurs Novatrans ainsi qu'avec la direction des transports terrestres. Nous l'avons fait de façon beaucoup plus précise et beaucoup plus formelle suite à un entretien que nous avons eu avec M. Jean-Claude Gayssot au mois de juillet dernier. Nous lui avons dit que ce n'était pas un problème de circonstances et rappelé que des démarches avaient été formulées en janvier sur l'axe France-Italie, nous avons aujourd'hui un différentiel de prix entre le rail et la route qu'on estime à environ 100 euros, par caisse mobile. Nous avons demandé au ministre de faire un effort de 100 euros au départ de Paris sur Milan pour revenir au prix du marché. A partir de ces conditions, Novatrans serait capable de trouver 4 ou 5 sillons disponibles entre Paris et Milan, comme entre Lille et Milan, et de garantir environ cinq trains de plus. Ce n'est pas énorme mais cela représente quand même 150 camions qui ne passeraient plus par le tunnel du Fréjus. Une lettre a été expédiée au ministre le 20 juillet. Nous avons relancé, depuis, le ministère des transports et nous n'avons eu aucune réaction et aucun retour de la part de la SNCF.

M. André Lajoinie, président : Pouvez-vous préciser l'effort que vous demandiez ?

M. Pierre Fumat : Un effort financier de 100 euros. Je dirige une entreprise de transport routier qui fait 90 % de son chiffre d'affaires avec le transport combiné rail-route. Lorsque je vais voir mon client pour lui vendre un transport, il me dit qu'il y a 600 francs de trop dans mon prix mais je ne peux pas m'aligner, je n'y arrive pas, sinon je perds de l'argent. Nos entreprises sont des entreprises privées et ne peuvent pas perdre de l'argent pour des raisons économiques simples. Nous avons dit à la SNCF et à Novatrans, l'opérateur, de faire un effort financier, d'essayer de s'aligner sur le prix de la route afin que nous puissions développer le combiné.

L'effort de 100 euros que nous avions demandé me semblait raisonnable par rapport à l'enjeu portant sur le Mont Blanc ou au discours sur ce sujet. La réponse du ministère a été la mise en place d'une navette entre Lyon et Turin destinée au transport combiné. Il y a 10 wagons par jour qui circulent mais l'objectif n'est pas du tout atteint.

M. Jean-Claude Etienne : Les plates-formes multimodales de logistique sont chères, il faut huit ou neuf ans pour les faire, et en plus, on s'interroge sur leur utilité.

Par ailleurs, vous faites référence à une programmation de petits chantiers de transport combiné qui rendraient service, qui ont comme avantage d'être dix à vingt fois moins cher et d'avoir un coût qui est compatible avec les ressources des régions. En plus, ils sont montés en une douzaine de mois. Il s'agit peut-être là d'un outil qui pourrait être pris en compte dans les contrats de plan Etat-régions, par les régions qui souhaitent favoriser le fret ferroviaire. Mais on ne va pas faire des chantiers de transport combiné n'importe où.

Il faut donc connaître les besoins pour déterminer les choix. En outre, si les régions interviennent, ce sera en vue de créer des emplois, ce que rend possible un développement du trafic. Quels sont les critères qui doivent être retenus pour définir le lieu d'implantation d'un chantier de transport combiné ?

M. Alain Cacheux : Une question très simple : l'effort qu'il faudrait faire sur Lille-Milan serait de 100 euros. C'est 100 euros par tonne, par wagon, par train ?

M. Pierre Fumat : Par unité, par caisse mobile, par conteneur. C'est environ 650 francs par transport, donc par unité, l'équivalent camion ou semi-remorque.

M. Alain Cacheux : Deuxièmement, qu'est-ce qui vous empêche d'aller à Lomme puisque vous parliez de la saturation de la plate-forme de Saint-Sauveur à Lille ?

M. Pierre Fumat : Lomme n'existe pas. Il n'y a pas de chantier, pas de grue, il n'y a pas de possibilité d'amener un camion qui a une caisse mobile pour la mettre sur le train.

Depuis maintenant un an, les professionnels, les opérateurs, c'est-à-dire Novatrans et CNC, leurs clients, ont proposé à RFF, qui est chargé des chantiers, une liste de zones où nous avons besoin d'avoir ces chantiers, où il y a du fret. Lomme fait partie de la liste prioritaire. Le conseil d'administration de RFF a voté, il y a déjà maintenant un an, les fonds nécessaires pour le chantier de Lomme. Lomme est en train de se faire mais son ouverture n'est prévue qu'en 2001. Il faut attendre ; on a ainsi perdu un an et demi.

Les professionnels avaient défini une liste de sept chantiers qui leur paraissaient répondre à un besoin économique et au souci de développer le transport combiné, et où ils disposeraient des espaces en accord avec la SNCF.

M. André Lajoinie, président : Je vous remercie. Vous avez fait des remarques et des propositions qui complètent la précédente audition. Tout le monde dans ce pays veut transférer le fret de la route sur le rail, mais on s'aperçoit que ce n'est pas si simple à faire.

M. Pierre Fumat : On le veut nous aussi. Sachez que nous y tenons, nous y sommes très attachés. Nous ne sommes plus que trois transporteurs routiers à faire à 90 % du combiné rail-route. Nous sommes un peu désespérés, on baisse un peu les bras. Si la SNCF n'arrive pas à nous donner une qualité de service, nous serons contraints et forcés de transférer le fret sur la route. On le regrette énormément parce que nous avons beaucoup investi dans cette technique et nous y croyons. Elle est formidable quand elle marche, mais il faut que les cheminots soient un peu moins souvent en grève.

M. André Lajoinie, président : Ce n'est pas le seul problème.

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