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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N° 18

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 30 novembre 1999
(Séance de 18 heures 45)

Présidence de M. André Lajoinie, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition, en présence de la presse, des représentants de grandes surfaces et de fournisseurs de produits de grande consommation


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La commission a entendu, en présence de la presse, des représentants de grandes surfaces de vente et des fournisseurs de produits de grande consommation.

M. André Lajoinie, président : J'ouvre cette réunion de concertation organisée par la commission de la production et des échanges et la mission d'information sur l'évolution de la distribution qui a été constituée en son sein. Je remercie tous les participants : tout d'abord, le président de la mission, M. Jean-Paul Charié, et son rapporteur, M. Jean-Yves Le Déaut, puis, nos invités : MM. Daniel Bernard, président de Carrefour, Claude Blanchet, président des Serres du Salève, Jacques-Edouard Charret, président d'Opéra, Antoine Guichard, président du conseil de surveillance de Casino, Jean-Claude Jaunait, président de Système U, Gérard Bourgoin, chef d'entreprise, Thierry Jégou, directeur des Pépinières de Kerisnel, Mme Danièle Lo Stimolo, économiste spécialisée dans le commerce des glaces et produits surgelés, MM. Michel Rulquin, président de Home Institut (produits cosmétiques), et Luc Soupirot, exploitant agricole du Loiret (production de légumes).

Je souhaite que la réunion se déroule dans la franchise et la cordialité malgré des divergences bien naturelles. J'ai cependant été frappé par les efforts accomplis par les responsables de la grande distribution dans le domaine de la traçabilité et de la sécurité sanitaire, en réponse aux préoccupations de l'opinion publique et des clients. Nous souhaiterions que ces efforts soient étendus aux relations entre distributeurs et fournisseurs. Peut-être est-ce un v_u pieux ? En tout cas, il vaut la peine d'être formulé.

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur de la mission d'information sur l'évolution de la distribution : Merci Madame et Messieurs d'avoir accepté de venir débattre avec les députés de la commission de la production et des échanges, à l'initiative de la mission d'information sur l'évolution de la distribution. Il ne faut pas se cacher qu'un malaise existe aujourd'hui, ainsi que des incompréhensions. La loi Galland du 1er juillet 1996 a modifié profondément le système de la distribution notamment par une refonte de l'interdiction de revente à perte, l'interdiction des abus de déréférencement et d'autres éléments qui ont été mis en évidence depuis le vote de cette loi.

Le secteur de la distribution est très important pour notre économie. Le chiffre d'affaires des vente de tous les biens commercialisables atteint 2 500 milliards de francs, dont la moitié provient du secteur agro-alimentaire. Les chiffres sont difficiles à cerner par secteur, mais ils sont impressionnants.

Aujourd'hui, les grandes entreprises de distribution sont concentrées ; ainsi il n'existe plus que cinq centrales d'achats. La première, Carrefour-Promodès, commercialise 28,3 % des produits alimentaires, Lucie, la centrale de Leclerc et de Système U 19,4 %, Opéra, la centrale de Casino et de Cora 19,1 %, Intermarché 14,8 % et Eurauchan 12,0 %.

Dans le même temps, les entreprises de production se sont également concentrées. Des groupes multinationaux se sont constitués, mais le plus important de ces groupes dans le secteur de l'alimentaire français, qui est Danone, ne représente que 5 % des ventes des distributeurs. Le secteur de la distribution s'est concentré plus rapidement que celui de la production. Chez les producteurs cohabitent donc des petites et des grosses entreprises.

Il est assez difficile de mettre en place une table ronde comme celle-ci. Notre but n'est pas de dresser les uns contre les autres ou de chercher des boucs émissaires, mais de se forger une opinion. Nous avons parfois l'impression de faire de la « géologie politique », en observant l'accumulation des lois jamais appliquées ou contournées. Faut-il à nouveau revoir l'ensemble du dispositif législatif en raison de pratiques abusives ? Ou, au contraire, faut-il trouver ensemble des terrains d'entente ?

Nous avons cherché à organiser des auditions parlementaires de ce type pour trouver un terrain éventuel d'entente. La loi existe déjà, mais elle n'est pas appliquée sur certains points. Quant aux contrats, ils sont normalement conclus pour être respectés. Avant les états généraux de la distribution, il s'agit de voir si entre ceux qui produisent et ceux qui distribuent, et qui jouent tous deux un rôle important dans l'économie du pays, il est possible de parvenir à établir des pratiques correctes.

Le but de la réunion d'aujourd'hui n'est pas de tendre un piège, mais d'envisager les accords possibles afin que la mission d'information puisse faire des propositions avant la tenue des états généraux de la distribution en janvier 2000. Nous nous sommes engagés dans cette mission avec beaucoup de conviction et de dynamisme.

M. Jean-Paul Charié président de la mission d'information sur l'évolution de la distribution : M. le Président, Madame, Messieurs, je vous remercie beaucoup de votre participation. Pour aller dans le sens des propos du rapporteur, je voudrais introduire cette réunion par quelques propos.

Pour l'organisation de la production et du commerce, de moins en moins de responsables prônent le "tout Etat". Pour d'autres, il est de bon ton de prôner le "tout libéral". Or, qui peut encore le nier, si le "tout Etat" entrave la concurrence, source de progrès pour l'homme, le "tout libéral" provoque les mêmes effets. Entre l'économie administrée par les pouvoirs publics et l'économie administrée par quelques puissances financières, quel est le mieux pour l'homme ? Je ne suis pas sûr que ce soit le "tout libéral".

Une voie intermédiaire existe, que la très grande majorité des responsables politiques et du secteur économique, au-delà des clivages politiques traditionnels, cherchent à mettre en _uvre : c'est la libre et loyale concurrence. Pour que la libre concurrence soit source de progrès pour l'homme, elle doit respecter des règles ! Si ces règles ne sont pas spontanément édictées et naturellement respectées par les acteurs, il est du devoir du Parlement et des pouvoirs publics d'intervenir. Tels sont les enjeux de la mission d'information sur l'évolution de la distribution et du débat d'aujourd'hui.

Vous avez bien voulu, M. le Président, soutenir cette mission d'information et organiser cette audition, nous tenons à vous en remercier. En ayant accepté que cette mission, créée à l'initiative de M. Jean-Yves Le Déaut et du groupe socialiste, soit présidée par un député de l'opposition et du groupe RPR, nous nous plaçons au-delà des clivages traditionnels et c'est exemplaire. Ce n'est pas en entretenant les clivages entre grandes et petites entreprises, entre grandes surfaces et petits commerces, entre fournisseurs et distributeurs que les problèmes, dérives et abus constatés seront résolus. Au contraire, sortons de ces clivages stériles, de ces affrontements primaires ; ils ne peuvent qu'affaiblir les plus faibles et envenimer les problèmes.

La libre et loyale concurrence à dimension humaine fait appel autant à l'esprit de partenariat et de solidarité qu'à celui de compétition. La libre et loyale concurrence à dimension humaine oblige à être compétitif, certes, mais elle ne protège pas. Cependant, la libre et loyale concurrence n'est pas la loi de la jungle. Ce doit être, dans bien des cas, la politique bien comprise du gagnant-gagnant. En libre concurrence, chacun doit respecter la concurrence et privilégier le partenariat.

L'enjeu n'est pas de s'opposer aux grandes surfaces. Je l'ai toujours dit. Je l'ai toujours écrit :

- on ne peut pas être attaché à la libre concurrence et lutter contre une forme de commerce ;

- le libre-service, les principes du « servez-vous vous-même » et du « tout sous le même toit », qui caractérisent la grande distribution à la française, relèvent d'une forme loyale et bénéfique de la concurrence. C'est pour les consommateurs une véritable valeur ajoutée et un réel progrès ;

- les grandes surfaces ont aussi permis une baisse significative des prix de vente au détail en prenant, d'une part, moins de marge et en faisant, d'autre part, mieux jouer la concurrence entre les fournisseurs ;

- les grandes surfaces ont indéniablement permis une diffusion massive de nouveaux produits, une expansion sans précédent de l'offre et des choix, ainsi qu'une augmentation du rapport qualité-prix des produits.

Les grandes surfaces ont enfin permis et permettent encore à des PME de se développer et d'animer la concurrence.

Nous ne sommes pas contre les grandes surfaces, nous sommes contre des pratiques déloyales de concurrence. Là encore, en introduction à ce débat, je rappelle ce que j'ai toujours dit, ce que j'ai toujours écrit : les grandes surfaces sont responsables, mais elles ne sont ni les seules, ni les premières. Les pratiques aujourd'hui dénoncées ont parfois commencé à l'initiative de fournisseurs qui trouvaient plus simple et plus rentable d'acheter l'exclusion de concurrents. Ces pratiques ont été développées par certaines enseignes. Les autres ont été obligées de suivre car lorsqu'un concurrent gagne des parts de marché ou améliore sa rentabilité en recourrant à des pratiques immorales, mais qui ne sont ni par le marché, ni par la loi, condamnables et condamnées, vous êtes obligé d'utiliser les mêmes méthodes.

Ce sont les politiques les premiers responsables de cette situation, car ils n'ont pas accepté de comprendre que pour protéger les plus petites entreprises du commerce et de l'artisanat, puis de l'industrie et de l'agriculture, que, pour organiser la libre concurrence, l'enjeu n'était pas de se battre contre la taille ou la forme de certains magasins, mais de sanctionner des comportements. C'est toute une culture de la politique française qui doit changer.

Les grandes surfaces de vente sont aujourd'hui montrées du doigt par ceux qui dénoncent ces pratiques. Cependant, dans d'autres secteurs, je pense en particulier à celui du bâtiment et des travaux publics ou à celui de l'automobile et de la sous-traitance, ce n'est pas mieux, or les enseignes de grande distribution sont pourtant absentes de ces secteurs.

L'enjeu de ce débat, l'enjeu de notre travail n'est donc pas de condamner tel ou tel acteur mais, au contraire, avec vous qui avez eu raison de venir aujourd'hui, de trouver les solutions pour mettre fin à des relations entre fournisseurs et clients qui n'ont plus rien à voir avec une économie de libre et loyale concurrence et qui minent les intérêts des consommateurs, des travailleurs, de la nation et de vos entreprises.

Certes, nous étudions un sujet très complexe, mais quelques principes peuvent nous aider à le clarifier.

La rémunération, la prise en compte équitable de prestations fournies par le revendeur est louable, a toujours existé et existe dans tous les pays. Elle est une des clés de la concurrence. En revanche, la non-transparence et le chantage "tu payes ou je te vire" sont inacceptables.

La négociation sur la qualité des produits, sur les économies d'échelle, sur la mise en _uvre partagée de nouveaux produits, sur le développement des partenariats est l'un des fondements de la concurrence qui joue dans l'intérêt des consommateurs et des entreprises. Cependant, la rupture unilatérale des accords, le reniement de la signature des contrats, l'exigence des mêmes avantages sans apporter les mêmes contreparties sont contraires aux règles minimales de la saine concurrence.

La volonté d'être moins cher est l'essence même de la libre concurrence. Cependant, à vouloir vendre coûte que coûte moins cher, cela revient très cher à la société. Méfions-nous d'un système où certains, pour vendre moins cher, n'assument pas les mêmes charges que leurs partenaires ou leurs concurrents et donc les condamnent.

Je pose trois questions.

- Pouvons-nous continuer d'entretenir un système qui consiste à subventionner des producteurs agricoles avec l'argent des contribuables, alors qu'il suffirait qu'ils puissent vendre leurs produits au juste prix ?

- Pourquoi les commerçants conseils et les artisans ne bénéficient-ils pas, eux aussi, des marges arrières ? Ils achètent plus cher, ils ne peuvent pas pratiquer la péréquation des marges entre les produits, ils supportent les lourdes charges de présence en centre ville et, en plus, on ne leur paye aucune prestation alors qu'ils assurent le conseil, le service après-vente, la proximité, etc.

- Comment les commerçants spécialistes (en carburant, disques, matériels informatiques, jouets, etc., et demain en voitures neuves) peuvent-ils continuer d'exister et d'apporter, toute l'année sur tout le territoire, des services de qualité à la population quand certains concurrents ont 20 % de leurs références qui leur apportent 80% de leur marge ?

Ces questions, qu'il est du devoir des politiques de se poser, ne sont pas celles soulevées d'elles-mêmes par certaines entreprises. Pourtant, elles peuvent l'être à l'avenir. Certaines enseignes ont déjà commencé et sont prêtes à développer un partenariat et une solidarité sur le marché intérieur, comme sur le marché à l'exportation. Cependant, il faut pour cela, et préalablement, comme nous l'avons fait en 1996 pour la réforme du calcul du seuil de revente à perte, imposer à tous les concurrents des règles de partenariat loyal.

J'admets que nous sommes fermes et virulents quand nous dénonçons certaines pratiques inadmissibles. Nous ne sommes pas opposés à telle ou telle forme de commerce ; nous sommes au contraire persuadés que c'est avec toutes les formes de commerce sans exception que nous devons ensemble servir les consommateurs et la société de progrès pour l'homme.

Ceux, quelle que soit leur taille, quel que soit leur métier, qui ne voudront pas suivre seront condamnés. Les autres pourront être fiers d'avoir contribué à restaurer une éthique de la production et des échanges, une éthique du commerce à dimension humaine, avec la généralisation du partenariat et de la solidarité. Tels sont les enjeux du débat d'aujourd'hui.

M. Daniel Bernard, président directeur général de Carrefour : Je vais effectuer une déclaration liminaire et engager le débat ensuite sur nos relations avec le secteur de l'agriculture et les PME.

A mon grand regret, je dois vous avouer que j'ai hésité à venir à cette audition. Toutefois, la considération que je dois à la représentation nationale et les responsabilités que j'exerce à la tête d'un groupe qui comptera demain 240 000 personnes dans 25 pays, et qui porte les couleurs de la France et la couleur des produits français dans le monde entier, m'ont conduit à participer à cette réunion, étant entendu que j'ai toujours des rappports très fructueux avec votre commission.

Je connais votre attachement aux vertus du débat démocratique et à la rigueur de l'information. Pourtant, le document préparatoire aux travaux de la mission d'information, au lieu d'ouvrir un débat constructif et serein, exprime une volonté de diabolisation. Je ne suis pas persuadé que ce soit le meilleur moyen d'aborder un problème, d'ailleurs maintes fois traité, et typiquement franco-français. S'il existe des dysfonctionnements dans les relations entre la distribution et l'industrie, si certains excès condamnables persistent encore, est-ce une façon de régler ces problèmes en les abordant sous l'angle de l'excès, de la caricature, de la simplification et de la généralisation ? Certainement pas ! Et sur ce point, je prends note avec satisfaction de vos propos préliminaires, M. le Président. Je suis convaincu que vous êtes nombreux à le penser également.

Je viens donc ici, bien entendu, pour répondre aux inexactitudes du document préparatoire, mais surtout pour apporter ma contribution à votre réflexion. Comment ? En expliquant le contexte des relations entre la distribution et ses fournisseurs et en vous présentant les réponses que Carrefour et Promodès, mais également mes collègues, apportent aux problèmes posés.

Il me paraît, tout d'abord, indispensable de vous rappeler dans quel cadre la distribution évolue.

Depuis trente ans, la distribution a démocratisé l'accès à la consommation : hier, le foie gras, le saumon ou les vins fins ; aujourd'hui, la micro-informatique ou le téléphone portable. Depuis trente ans, la distribution répond aux exigences de plus en plus fortes des consommateurs, et ceci dans le monde entier. Elle se retrouve aujourd'hui en position de garant de la qualité et de la sécurité alimentaire, ainsi que de relais vis-à-vis des industriels et du monde agricole car nous sommes les premiers exposés devant le consommateur. Depuis près de trente ans, la distribution française en général et Carrefour en particulier sont aux avant-postes du commerce mondial. Ceci a permis de diffuser partout dans le monde le mode de vie à la française et les produits de nos industriels. Si demain aucun groupe français n'est présent dans le monde, aucun produit français ne pourra s'y trouver.

Aujourd'hui, la globalisation s'impose à nous. Elle doit être régulée, mais elle est irréversible, n'en déplaise aux nostalgiques du protectionnisme. Dans le commerce, comme dans beaucoup d'autres secteurs économiques, la logique de la globalisation est d'entraîner des regroupements. C'est, par conséquent, une chance pour notre pays que d'avoir une distribution forte, solidement implantée à l'échelle l'internationale et capable de rivaliser avec ses grands concurrents mondiaux, principalement américains, qui sont beaucoup plus importants que nous. Après notre rapprochement avec Promodès, Wal Mart sera encore 2,5 fois plus important que nous.

Depuis dix ans, les groupes anglo-saxons sortent de leurs bastions pour contester nos positions sur nos grands marchés européens et dans le reste du monde. Alors que la fiscalité est très lourde, ce n'est donc pas le moment d'affaiblir les entreprises françaises par des législations pénalisantes. Depuis des siècles, le commerce évolue et c'est une activité qui ne peut vraiment s'épanouir que dans la liberté.

Nous avons également à faire face à des grands industriels mondiaux. Beaucoup sont plus importants que nous, plus concentrés, plus rentables et souvent dominants sur leur marché ou leur famille de produits. Vous les connaissez, ils s'appellent Coca-Cola, Unilever, Nestlé, Procter & Gamble, etc. Cependant, un point distingue la France : la part des petites et moyennes entreprises (PME) dans nos chiffres d'affaires. Cette relation peut être améliorée, les PME représentant 80 % de nos marques de distributeurs. Cette relation ancienne, durable, transparente, a permis à de nombreuses PME, qui n'étaient que de toutes petites entreprises, d'innover, de grandir et de créer des emplois dans notre pays. En effet, contrairement à une idée reçue, les PME font l'objet de toutes nos attentions, car elles jouent un rôle stratégique d'équilibre par rapport aux grands industriels mondiaux et assurent la diversité de nos assortiments et très souvent l'innovation.

Cependant, la distribution française n'a pas seulement une fonction économique. Elle a fortement contribué à l'emploi avec un solde positif de plus de 300 000 employés depuis vingt ans, sans compter les centaines de milliers d'emplois indirects chez nos fournisseurs (agriculteurs, groupes industriels et PME).

Venons-en aux principaux points soulevés par la mission d'information. Il me paraît nécessaire d'en finir avec la confusion qui règne dans le discours sur les relations entre la distribution et l'industrie.

Oui, Mme, MM. les parlementaires, le droit de la concurrence français est complexe. Probablement l'un des plus compliqués de l'Union européenne. Est-ce pour autant nécessaire d'ajouter encore une strate à l'empilement des lois, règlements et circulaires qui pèsent sur les acteurs du commerce ? Nous vivons déjà suffisamment dans l'instabilité juridique et fiscale !

Oui, Mme, MM. les parlementaires, il existe certains abus, comme il en existe partout. Mais cela n'est pas une raison pour jeter l'opprobre sur des catégories entières de citoyens. Que représente ces abus par rapport aux millions de commandes que nous passons chaque année ? Que représente la petite dizaine de factures, sorties de leur contexte, qui nous sont opposées par rapport aux millions de factures que nous réglons chaque année, faisant vivre des milliers d'entreprises ? Quelques dysfonctionnements justifient-ils de modifier une nouvelle fois une loi, dont nous avions prévu dès le départ les qualités et les défauts, au risque de revenir à une économie administrée et de pénaliser les PME françaises, alors que nous vivons dans des économies ouvertes où chacun peut acheter n'importe où dans le monde ?

L'encadrement de la coopération commerciale est un contrôle des marges qui ne dit pas son nom. Le contrôle des marges, c'est le contrôle des prix et ce serait un retour de vingt ans en arrière.

Oui, Mme, MM. les parlementaires, le commerce est le fruit d'une négociation entre un distributeur et un industriel. Le consommateur en sera toujours l'arbitre final. La négociation est l'acte fondateur et incontournable de notre métier. Elle a, depuis trente ans, généré le discount et largement profité aux Français en leur redistribuant du pouvoir d'achat, ce qui était nécessaire, en luttant contre l'inflation, et en donnant à la France une industrie des produits de grande consommation parmi les plus dynamiques du monde.

Oui, Mme, MM. les parlementaires, nous devons chaque année arbitrer entre de nombreux produits, en ajouter ou en supprimer. Notre responsabilité doit-elle pour autant être mise en cause alors que nos linéaires sont figés, ne peuvent être étendus, et que, malgré les promesses, aucune vraie politique de modernisation de l'appareil commercial n'a été entreprise dans ce pays ?

Ceci dit, voyons maintenant les principaux griefs figurant dans le rapport dont j'ai eu connaissance.

Concernant le déréférencement abusif, il est sanctionné par la loi comme tout contrat qui est violé abusivement. Que l'on applique donc la loi !

S'agissant des coopérations commerciales, elles sont autorisées par la loi et sont le résultat de contreparties économiques précises, faisant l'objet de contrats. Le fabricant qui prend place dans nos rayons réalise des économies importantes sur ses dépenses de publicité, ses dépenses commerciales et ses investissements logistiques. Il bénéficie d'emblée de l'image du distributeur. Il est légitime, par exemple, qu'il participe aux campagnes de publicité qui mettent en avant son produit à un coût quatre fois moins cher que la télévision ou la radio. Quelle PME dispose de moyens suffisants pour assumer une campagne médiatique nationale ? Ainsi, notre catalogue des trente-cinq ans a touché 18 millions de foyers. Qui peut remettre en cause aujourd'hui les remises liées aux quantités achetées et aux volumes ?

Concernant l'inflation des marges arrières, c'est à tort que la loi Galland a été accusée de l'avoir générée. Au contraire, le refus de vente, l'interdiction des prix abusivement bas, la suppression de l'exception d'alignement sont venus donner aux fabricants la maîtrise totale du barème sur facture, et pratiquement la maîtrise du prix de vente au détail par le seuil de revente à perte. D'ailleurs, en France, nous avons des prix d'achat industriels nets-nets, pour une marge arrière déduite, largement supérieurs à ceux d'autres pays de l'Union européenne.

La loi Galland a pacifié les relations entre les industriels et les distributeurs en les engageant sur le terrain du marketing et de la redistribution de la valeur ajoutée. C'est pour nous une voie à suivre. Et avant de vouloir modifier la loi encore faudrait-il qu'elle soit appliquée dans sa totalité. C'est d'ailleurs cette démarche du partage de la valeur que nous mettons en _uvre depuis toujours avec les PME qui fabriquent nos marques propres à travers une coopération durable et transparente.

Quant à notre position dominante, elle est inexistante vis-à-vis des grands industriels mondiaux qui contrôlent leurs marques et génèrent une part de notre chiffre d'affaires plus grande que la part que nous représentons dans leur chiffre d'affaires. Ainsi, nos dix premiers grands fournisseurs mondiaux représentent 26 % de notre chiffre d'affaires épicerie, alors que nous ne représentons que 1,3 % du leur.

Pour ce qui concerne les PME, le simple énoncé de ce qui précède justifie au contraire le fait que nous les encouragions et qu'elles bénéficient d'un traitement différencié. Lorsque nous représentons 30 %, voire plus de 50 %, du volume d'activité d'une PME, nous lui permettons de se développer, de se diversifier et d'assumer la coresponsabilité de son développement et de sa rentabilité.

Bien entendu, nous avons depuis très longtemps pris conscience des particularismes des PME de ce pays par rapport aux grands industriels, de leur besoin de sécurité et de visibilité, notamment en raison de la concentration inévitable des entreprises de notre secteur. Cette concentration est inévitable car la taille est importante : si nous ne procédions pas à des rapprochements entre entreprises françaises, nous deviendrions la proie de grands prédateurs étrangers. Or, qu'est-ce qui est le plus inquiétant pour une PME française aujourd'hui, est-ce le rapprochement entre deux de ses clients français ou bien que l'un d'entre eux, voire les deux, soient rachetés par un groupe anglo-saxon qui vient de faire baisser les prix d'achat industriels de 10 % en Allemagne et en Grande Bretagne, en réduisant drastiquement l'assortiment de produits de PME ?

A ce propos, je me suis demandé pourquoi le rapport préparatoire ne s'attaquait pas une seule fois aux entreprises étrangères de distribution présentes en France et ne leur reprochait pas de mettre en danger les PME françaises. La raison est simple, c'est parce qu'elles n'achètent pratiquement pas en France. En ce qui nous concerne, nous n'avons pas attendu aujourd'hui pour faire évoluer nos relations avec les agriculteurs et nos fournisseurs PME. Je rappelle que nous avons mis en place, il y a plusieurs années, des contrats de filières agricoles avec 35 000 producteurs et éleveurs en leur donnant de la visibilité par des contrats annuels, des revenus supplémentaires par une rémunération supérieure aux prix du marché et un engagement sur les volumes.

La base des filières Carrefour est la qualité pour le consommateur. C'est le fondement de nos contrats. Nous définissons ensemble la qualité maximale dans un cahier des charges qui s'impose à l'ensemble de la chaîne, à savoir agriculteurs, transformateurs et distributeurs. Nous allons contrôler les fermes, ils viennent contrôler nos magasins.

Pour les PME, nous avons contractualisé nos relations dans des contrats de partenariat, portant sur la recherche de la qualité, l'innovation, le règlement amiable des litiges et l'aide à l'exportation. Nos relations sont contractualisées avec plus de 261 PME françaises et sont régies par ces contrats.

Cependant, nous avons décidé d'aller plus loin et pris cette année de nouveaux engagements dans la ligne définie par la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution, notre syndicat professionnel, qui a elle-même pris de nombreuses initiatives en la matière, dont l'observatoire PME-commerce. Pour Carrefour et Promodès, nous nous sommes publiquement engagés à mettre en _uvre les actions suivantes :

_ des contrats pluriannuels de trois ans, car c'est une sécurité pour les PME qui investissent,

_ un étalement des effets des déférencements sur un an,

_ des rencontres régulières avec la hiérarchie de l'acheteur,

_ une charte de la relation commerciale qui s'impose aujourd'hui à nos acheteurs comme une obligation professionnelle et régit leurs comportements, notamment lors des négociations commerciales,

_ une formation de nos acheteurs à la connaissance spécifiques des PME et de leurs contraintes,

_ un programme ambitieux de soutien à l'exportation et notamment une ouverture aux produits français de nos rayons à l'étranger,

_ une augmentation de la part des marques propres fabriquées par les PME dans nos assortiments.

En ce qui concerne les agriculteurs, nous avons décidé de passer le nombre des filières de qualité agricole de 80 à 200 au cours des trois prochaines années. En cas de crise avec chute brutale des cours, nous nous sommes engagés à mener la négociation sur la base d'un prix minimum garanti. Je dois d'ailleurs vous rappeler que nous avons régulièrement soutenu par des prix plus élevés les produits en crise, comme par exemple le b_uf lors de la crise de la vache folle, le porc, la tomate ou les fruits d'été dernièrement. Nous avons sauvé récemment des PME confrontées à la crise née de contaminations par la listeria. Enfin, nous privilégions l'approvisionnement local partout où c'est possible.

Dans la semaine où l'Organisation mondiale du commerce se réunit à Seattle avec des enjeux considérables pour nos agriculteurs et nos entreprises, je trouve déplacée une fausse querelle entre Français qui consisterait, une fois de plus, à faire croire que les relations entre les distributeurs et leurs fournisseurs ne sont fondées que sur des rapports de force. Face aux grands groupes industriels mondiaux, il faut des distributeurs forts pour maintenir l'équilibre entre eux et les PME. La concurrence n'est pas verticale mais horizontale. Il n'y aura pas de produits français dans le monde s'il n'y a pas de grands distributeurs français dans le monde.

Chez Carrefour, nous considérons que la contractualisation des relations entre les acteurs du commerce est la seule voie du progrès. Il faut une loi, pas une somme de lois. Il faut le respect du contrat, pas une somme de règlements. C'est d'ailleurs le propre de toute économie moderne. C'est la démarche que nous avons suivie avec nos partenaires industriels, partenaires sociaux, agriculteurs et PME. Et nous irons encore plus loin avec Promodès, au-delà des engagements que nous venons de prendre.

M. Michel Rulquin, président de Home Institut : Je vais me contenter de citer deux chiffres. Il y a quatre ans, je réalisais 100 millions de francs de chiffres d'affaires et je versais 7 millions de francs de participation publicitaire. L'année dernière et cette année, avec 127 millions de francs de chiffres d'affaires, j'ai versé 27 millions de francs de participation publicitaire. C'est le prix de l'usine, clé en main, payée comptant, que je viens de construire. Cela mérite réflexion car cet exemple concerne toutes les PME.

La semaine dernière, j'ai reçu une visite de mon banquier. Il m'a dit : « les fonds de roulement augmentent, vos rentabilités baissent, nous allons voir si nous continuons à vous accorder les mêmes encours ». Des signes préliminaires d'un malaise général existent. Nous devons apporter une attention particulière à ce problème, ces seuls chiffres le démontrent, en ne diabolisant personne.

M. Antoine Guichard, ancien président de Casino : Je pense être le plus âgé de l'assistance. Je suis en retraite depuis trois ans. Je voudrais m'exprimer en tant que sage ayant passé près de cinquante ans de sa vie dans le métier de la distribution. Ceci m'amène à vous proposer quatre thèmes de réflexion : les concentrations, les filières agricoles, les PME et les lois, étant entendu que je suis entièrement d'accord avec les propos de M. Daniel Bernard.

Les concentrations sont inéluctables, compte tenu des moyens de plus en plus importants qui sont nécessaires pour gérer les entreprises, en particulier les outils informatiques. Il faut par ailleurs prendre en compte l'ouverture des frontières et le phénomène de la mondialisation. Wal Mart représente 800 milliards de francs de chiffre d'affaires annuel. Il peut se payer chaque année un groupe comme Casino en France, hypothèse très envisageable.

Par ailleurs, dans le secteur agricole, se pose un gros problème d'organisation des filières. Je me suis laissé dire que l'Institut national de recherche agronomique ne dépense pas tout son budget. Il serait obligé d'établir des contrats avec des filières espagnoles car les Français ne sont pas capables de consommer les crédits. Les relations avec le monde agricole posent problème. Je pense qu'il s'agit juste d'une question d'organisation de filières. Or 50 % de nos ventes proviennent des filières agricoles.

Les relations avec les PME pour des groupes de notre taille sont essentielles. Les PME sont même indispensables car elles représentent près de 60 % de notre chiffre d'affaires. Si elles disparaissaient, nous serions morts. Il nous faut absolument avoir une politique contractuelle avec les PME. Nous avons besoin qu'elles vivent, qu'elles soient prospères, qu'elles innovent et qu'elles gagnent de l'argent.

Enfin, il me semble qu'il existe des strates de législation suffisantes. Par quels moyens devons-nous régler les rapports entre fournisseurs et distributeurs ? Par le contrat librement négocié et respecté.

Bien entendu, il faut être extrêmement sévère et ne rien laisser passer lorsque les contrats ne sont pas respectés. C'est le rôle de l'Etat. Malheureusement, ce n'est pas toujours le cas. L'expérience nous prouve qu'un excès de législation implique soit la sclérose de professions trop encadrées, soit le contournement de la législation qui ne peut évidemment pas prévoir tous les cas.

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur de la mission d'information sur l'évolution de la distribution : Les PME représentent 64 % du chiffre d'affaires des fournisseurs en alimentaire et non alimentaire, mais seulement 14 % hors marques du distributeur, et 13 % des linéaires, selon l'observatoire du commerce.

M. André Lajoinie, président : Monsieur Guichard, vous avez dit, et je vous approuve, que tout réside dans le contrat librement négocié et que c'est à la puissance publique de le faire respecter. C'est juste. Lorsque j'ai évoqué cette question avec Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, elle a répondu qu'il fallait qu'une partie porte plainte afin que l'Etat puisse intenter une action. Que proposez-vous à cet égard ? Il est dommageable que quelques abus rejaillissent sur l'ensemble d'une profession.

M. Gérard Bourgoin, chef d'entreprise : MM. le Président, Mme, MM., je voudrais expliquer les raisons de ma présence. Mon comportement n'a jamais été régi par la loi du silence. Les relations entre industriels, producteurs, créateurs et grands distributeurs ont toujours été fondées sur la prudence.

La question posée aujourd'hui par votre commission est celle-ci : existe-t-il de véritables abus de la part des distributeurs ? Si oui, doit-on légiférer ?

Le premier intervenant du côté des distributeurs a reconnu l'existence d'abus. Nous recevons des demandes injustifiables. Par exemple, comment peut-on réclamer à un patron d'industrie, à un créateur, 2 % sur son chiffre d'affaires de manière rétroactive, parce que deux ou trois clients ont décidé de fusionner ou deux ou trois centrales de faire cause commune ? Comment peut-on introduire rétroactivement des clauses dans ces fameux contrats négociés, dont parlait avec beaucoup de savoir-faire M. Antoine Guichard ? Comment le faire sans hypothéquer l'avenir alors que les marges réalisées ne permettent pas de dégager les moyens financiers de cette rétroactivité ? Comment peut-on, par exemple, profiter de sa position pour refuser le déchargement d'un camion qui est arrivé en retard parce que la législation, de plus en plus contraignante, sur les transports a imposé au transporteur de s'arrêter une demi-heure ? Que penser des demandes extravagantes de budget pour des opérations qui ne sont pas des promotions mais des anniversaires ? Comment ignorer qu'il n'y a pas de réciprocité dans les engagements pris ? Comment exiger des budgets de promotions ou de campagnes publicitaires sans que les distributeurs s'engagent sur des volumes, sur des chiffres d'affaires ? Il devrait y avoir réciprocité ; le contrat repose normalement sur le principe du « donnant-donnant ».

Dans certains cas, seul le fournisseur s'engage sur une perspective de chiffre d'affaires annuel et des montants de budgets de coopération commerciale qui seront dus au distributeur quels que soient la réalisation du chiffre d'affaires et les moyens mis en _uvre par ce dernier.

Tout le monde sait que le distributeur a été, à un moment de sa carrière et de son développement, capable de faire accepter l'inacceptable. Bien sûr, nous respectons nos clients. N'oublions pas que, dans les rapports commerciaux, ils sont rois. Nous l'apprenons dans les écoles de commerce. Pour les distributeurs, les consommateurs sont les seuls juges, les seuls maîtres à bord. Pour les industriels qui sont des PME, le client est forcément le distributeur.

Le système conduisant à accorder d'office un avoir créait des litiges sur certaines facturations, litiges qui ont heureusement tendance à diminuer. Le dialogue ouvert que nous avons aujourd'hui permettra sa disparition ; je le souhaite pour l'ensemble des PME françaises.

Bien sûr, personne ne peut ignorer cette menace catastrophique, « le sida pour l'industriel » qui s'appelle le déréférencement. La loi Galland du 1er juillet 1996 a pour titre « loi relative à la loyauté et l'équilibre des relations commerciales » et a modifié l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur la liberté des prix et de la concurrence. Cette dernière a un titre premier qui prévoit la liberté des prix. Son titre II traite du Conseil de la concurrence. Son titre III porte sur les pratiques anticoncurrentielles. Son titre IV traite de la transparence des pratiques restrictives. Son titre V porte sur la concentration économique et son titre VI sur le pouvoir d'enquête. Cette loi est complète. Elle a tout prévu. Pourquoi sommes-nous là ? Tout simplement parce que cette loi n'est pas appliquée.

Je vais vous faire part de mes observations d'industriel de l'agroalimentaire, en vous précisant que de nombreux confrères m'ont téléphoné pour me demander d'être leur représentant ici et porter témoignage de la situation. Est-il nécessaire de légiférer ? A cette question, MM. le Président, Mme, MM. les parlementaires, MM. les distributeurs, nous répondons « non ».

Pourquoi ? Aujourd'hui est prévue face aux débordements de la loi cette fameuse saisine de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Imaginez ce que représente un tel type de contrôle pour un modeste industriel comme moi, implanté dans vingt départements français. Lors de la visite d'un inspecteur de la DGCCRF dans une usine, c'est le "branle-bas de combat". Pouvez-vous imaginer que l'industriel appelle la DGCCRF pour régler un litige avec son distributeur ? Cela n'est pas pensable.

La DGCCRF a mené elle-même des enquêtes qui se sont traduites par des procès au tribunal correctionnel. Jamais les PME ne sont indemnisées, car elles ne se portent pas partie civile et elles ne le feront jamais car le client est roi et il serait incongru que les PME portent plainte contre leurs clients. Par ailleurs lorsque des PME sont entrées dans le jeu fallacieux de la facturation non fondée, elles sont devenues indirectement, aux yeux de la loi, complices de ce phénomène et donc indirectement en faute, d'où l'importance pour nous de respecter et d'appliquer la loi Galland.

Il semble exister une grande volonté de dialogue et de recherche d'une solution. Il faudrait éviter que cette loi connaisse des débordements. Faisons confiance aux hommes pour rétablir une plus grande loyauté dans les relations commerciales.

Il faut exiger que les coopérations commerciales et les participations publicitaires correspondent à de véritables services rendus à ceux qui payent ces factures de coopération. Il faut exiger qu'ensuite ces coopérations commerciales ou publicitaires ne soient facturées que concomitamment ou après service rendu, et non avant. Nous avons, pour la plupart, effectué le service militaire. Nous avons appris que la réclamation n'était permise au subordonné que lorsqu'il avait obéi. Je crois qu'il serait bon de se rapprocher de cela en imaginant que la PME ne peut payer que lorsque le service a été réellement rendu.

En conclusion, nous voyons poindre le principe de la conciliation. Il serait bien d'imaginer la mise en place d'une commission paritaire de sages. M. Guichard parlait de sa sagesse vu son âge. Etant aussi à la retraite, je peux le lui dire, car je suis aussi d'un âge certain et j'ai une certaine expérience : s'il existait une telle commission comprenant un industriel et un distributeur examinant ensemble les dossiers avec un parlementaire, chacun pouvant avoir deux ou trois suppléants comme dans les comités locaux de réinsertion, qui ne réinsèrent jamais, cela éviterait certainement beaucoup de drames.

Pour résumer, j'ai lu ce matin, dans un grand quotidien, une prise de position de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution qui appelait à l'application de la loi Galland « bordée » par un système de commissions. Je souhaite que l'on s'oriente vers cette solution, que le débat s'engage et, si possible, arrive à une conclusion.

M. Jean-Claude Jaunait, président de Système U : Il n'est pas possible de comparer les relations entre les distributeurs, d'une part, et les fabricants de grandes marques et les PME régionales, d'autre part. Ces entreprises sont complètement différentes et il ne peut pas exister une règle commune satisfaisante pour résoudre tous les problèmes.

La négociation n'a de sens que si une contrepartie réelle existe. C'est indispensable. Il doit être possible de négocier soit un prix, soit un service rendu. La loi Galland conduit à certains excès et rend moins facile la négociation du prix d'achat facturé. C'est particulièrement vrai pour les fabricants de grandes marques. A l'inverse, lorsque nous travaillons avec les fabricants de nos marques propres, les négociations se font sur des bases les plus proches possible du prix net-net. Nous mettons en place des relations directes de partenariat, ce n'est pas du tout le même rapport de force.

Pour nous, les marges arrières sont des fantômes. Ce sont des marges en différé. Pourquoi un fabricant veut-il que des remises de transport soient imputées sur la marge arrière, plutôt que sur facture au moment de la livraison? Sur ce sujet, une médiation est nécessaire. Il n'est pas forcément logique que des éléments compris dans la marge arrière ne puissent pas être reportés sur la marge avant.

Il pourrait exister une chambre de conciliation ou de médiation. Elle serait nécessaire, car les entreprises ont besoin de se retrouver sur un terrain d'écoute, de discussion, d'appréciation. Cette chambre pourrait avoir une valeur d'exemple.

A propos des marges arrières, j'ai entendu la question suivante : le petit commerce peut-il en bénéficier ou profiter de prix de revient meilleurs ? Je connais une solution : il faut que les petits magasin deviennent un peu plus grands en essayant de s'adapter aux besoins du marché et qu'ils s'organisent en réseau. Ils seront ainsi capables d'apporter une réponse aux besoins des consommateurs et présenter des propositions d'achats aux fabricants. J'ai le souvenir aussi des modes de distribution du passé (je fais partie des plus anciens). Ils ont considérablement évolué. Auparavant, nous recevions des ballots de sucre en vrac. Aujourd'hui, nous les traitons par palette ou camion complet. Il est même possible de recevoir 28 wagons d'un même produit pour dégager des gains de productivité. Par ailleurs nous discutons avec les PME sur leur façon de travailler, de mieux vendre ensemble.

Rien ne peut être régulé par des règles simples. Aujourd'hui, seule compte la négociation assise sur des contreparties réelles. Il faut ensuite privilégier le contrat écrit au détriment du contrat oral en vue d'avoir une meilleure appréciation notamment sur la manière de traiter les conflits. Il faut également permettre à ceux qui veulent se plaindre de le faire par l'intermédiaire des organisations professionnelles qui sont des lieux de médiation.

J'entendais le rapporteur dire que les PME n'ont pas assez de produits présents en rayon. Un distributeur possède différents types de magasins, allant du magasin de proximité et du magasin de maxidiscompte au supermarché, à l'hypermarché et au centre commercial.

Lorsque les prix se négocient sur des marges différées et que l'approvisionnement des petits magasins se met en place, indirectement, ils profitent des meilleurs prix de revient. Il ne faut pas évoquer les problèmes de la distribution d'une manière trop simpliste. La puissance d'achat des grands distributeurs permet à des magasins plus petits de vivre à côté d'eux. Les uns aident les autres. Je ne pense pas qu'il soit possible de les opposer.

Aujourd'hui, en tant que distributeur, nous avons deux types de démarche. D'abord, nous sommes des artisans ; nous avons le devoir de trouver le bon produit et de le « travailler » pour le présenter à la vente. Ensuite, nous sommes commerçants et distributeurs ; nous sommes hautement organisés et gérons nos affaires de façon moderne, informatisée en fonction de la palette de solutions qui s'offre à nous. Aujourd'hui, un petit commerçant isolé ou une petite ou moyenne industrie isolée n'a aucune chance de vivre. La seule solution possible réside dans l'indépendance à travers un réseau organisé ou une profession organisée. Cela leur permet de disposer de moyens d'information et de formation, mais aussi de moyens d'affrontement ou de conciliation. Je pense que nous devons y parvenir.

Où est l'abus ? Il est chez l'autre. Mais cet abus ne résulte-t-il pas du jeu de la négociation ? Je ne connais pas un acheteur qui ne soit pas à la recherche de la meilleure offre, du meilleur prix ; cela est humain.

Je voudrais évoquer un souvenir. En 1937, mes parents ont acheté un commerce et ils l'ont vendu en 1964. Pendant ces vingt-sept années, ils s'étaient contentés de poser un linoléum sur le parquet et remplacer le lustre par un tube à néon. A cette époque, ils étaient à la recherche de produits ; les clients venaient chez nous pour cela. Aujourd'hui, les magasins se modernisent et se transforment continuellement. Nous avons un besoin constant d'agrandir nos linéaires et nos rayons pour développer des gammes des produits offerts aux consommateurs.

Les distributeurs travaillent à l'échelon local, régional, national et international. La façon de travailler et les relations avec les PME et les grands fabricants sont très différentes selon l'échelon de la négociation. Nous sommes intéressés par les produits régionaux, car ils font partie de la gamme de produits que nous devons proposer à nos clients. Nous avons également besoin de travailler avec des PME pour trouver des produits sous notre propre marque. Nous travaillons donc de plus en plus sur le mode du « faire ensemble », ce n'est pas de l'_cuménisme, mais de l'économie ; c'est l'intérêt des distributeurs.

Vous avez raison de dire que des excès existent. Avec la circulaire Fontanet et, maintenant, la loi Galland les pouvoirs publics ont fait ce qu'ils estimaient utile pour empêcher ces abus. Je crois simplement qu'aujourd'hui il faut essayer de s'organiser en interprofession et charger nos organisations professionnelles de résoudre les problèmes. Nous progresserons par l'échange. Lors des crises de surproduction agricole, il n'est pas possible d'obliger le consommateur à consommer plus. Fatalement, les effets de la surproduction se reportent sur les prix. Dans ce cas, une distorsion existe entre le producteur qui voit ses prix et son revenu baisser alors que le distributeur n'est pas forcément atteint.

Il faut profiter de votre mission d'information pour affirmer la nécessité de règles commerciales saines et loyales, qui sont d'ailleurs nécessaires au progrès des commerçants et des distributeurs. Nous devons nous organiser en réseau et mettre en place des partenariats. Ce n'est pas la réglementation qui apportera le progrès mais notre bon sens économique.

Nous n'avons pas à craindre la loi, mais à en espérer une amélioration de la qualité des relations commerciales. Je comprends que certains puissent dire : « j'ai subi 27 % de dommages publicitaires » ; j'emploie volontairement des termes caricaturaux. Il n'est pas possible de subir des dommages sans que réparation soit demandée. Si ces dommages résultent d'un accord qui n'est pas le plus intelligent qui soit, il faut admettre qu'il aurait pu être établi autrement. Aujourd'hui, il faut, lors des discussions avec les fabricants et les PME, parler des avantages de la coopération commerciale, des économies qu'elle engendre et qui permettent d'améliorer les prix, au bénéfice, tout d'abord, des consommateurs.

M. André Lajoinie, président : J'ai retenu notamment quelques propos: des contreparties réelles doivent exister entre les cocontractants ; le contrat écrit doit supplanter le contrat oral et une possibilité de se plaindre doit exister. Nous devrons réfléchir à tout cela.

M. Thierry Jégou, directeur des Pépinières de Kerisnel : Je suis très ennuyé car les relations que j'ai avec les distributeurs sont saines, et je ne suis pas sûr d'avoir ma place dans ce débat. Je travaille dans le monde du jardin. Nous parlons produits, végétaux, contrats de culture, de formation. Dans mes relations avec la grande distribution - Carrefour, Auchan ou les grandes jardineries -, je n'ai pas ces soucis.

M. Claude Blanchet, président des Serres du Salève : Je souhaite compléter ces propos dans le même sens. Il m'a été demandé de témoigner sur le secteur du jardinage.

M. Jean-Paul Charié, président de la mission d'information sur l'évolution de la distribution : Excusez-moi. Pourriez-vous vous présenter un peu plus ?

M. André Lajoinie, président : M. Thierry Jégou est directeur des Pépinières de Kerisnel. C'est un groupement de vingt producteurs horticoles bretons. M. Claude Blanchet est le président des Serres du Salève. C'est l'enseigne de jardinerie Botanic.

M. Claude Blanchet : Il nous a été demandé de venir témoigner de la situation dans le milieu du jardinage, mais nous ne nous sentons pas concernés par les propos tenus, ni par la démarche des remises et de la recherche du prix. Nos relations avec les producteurs du monde végétal (pépiniéristes, horticulteurs) se caractérisent par une volonté de travailler dans le sens de l'innovation et de l'expérimentation pour faire progresser le marché. Nous avons la chance de travailler dans un secteur où les relations avec les clients sont fortes et probablement moins banales que dans le secteur alimentaire. Nous avons des relations de convivialité, de vrai partenariat. Nous travaillons ensemble sur des expériences commerciales, sans exercer des pressions. J'espère que cela durera.

Cette situation est peut-être due au fait que tous les professionnels de ce secteur ont des formations très proches et que le marché est très porteur. Ensemble, nous essayons de le faire progresser.

M. André Lajoinie, président : Mme Danièle Lo Stimolo, économiste, est également déléguée générale du syndicat Syndigel (produits surgelés).

Mme Danièle Lo Stimolo : Il m'a été demandé d'intervenir intuitu personae en tant qu'observateur de la situation. Je représente effectivement également une organisation professionnelle.

Le secteur des glaces et produits surgelés touche aux produits industriels et alimentaires et intéresse vivement la distribution moderne. Il a été très souvent le premier exposé à certaines pratiques commerciales qui sont parfois contestées. Il était très intéressant d'entendre les deux intervenants précédents qui ont affirmé avoir d'excellentes relations avec la distribution.

Je voudrais faire observer que sur un PIB de plus de 8 000 milliards de francs, la grande distribution en représente à peu près un quart et le commerce 28 % des entreprises. Alors que le droit de la concurrence concerne toutes les relations commerciales, seules les relations de la distribution avec l'industrie posent problème. En réponse à la question : « pourquoi ces rapports sont-ils tendus ? » je voudrais faire quelques observations.

Les intervenants du secteur horticole ont souligné qu'ils se trouvaient sur un marché très porteur, en forte évolution, qu'ils tentaient ensemble de développer. C'est une caractéristique qui distingue leur secteur de celui de l'alimentation où les relations sont les plus tendues. La part du budget des ménages consacrée aux produits alimentaire se réduit en effet. L'absence d'expansion du marché de l'alimentation, qui est un marché de masse, est probablement à l'origine des tensions entre producteurs et distributeurs.

Comme l'a souligné M. Jean-Paul Charié, le comportement des partenaires commerciaux est le n_ud du problème. Il faut avoir bien présent à l'esprit que le déséquilibre des relations est dans la nature des choses et qu'il n'appartient pas à la loi d'essayer de le gérer.

Par ailleurs, les entreprises ont pour objectif de maximiser leurs profits. Elles n'ont pas un rôle philanthropique. Je ne suis pas du tout d'accord avec certains intervenants de cette table ronde. Je crois qu'il appartient à la loi de régler ce problème du déséquilibre, donc du rapport de force. Je voudrais faire deux citations. La première est de Montesquieu : « c'est une expérience éternelle que tout homme, qui a du pouvoir, est porté à en abuser ». Cela paraît naturel et nous n'y pouvons rien. La deuxième est de Lamennais : « entre le faible et le fort, c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère ». Je pense que le droit de la concurrence a ce devoir de permettre aux uns et aux autres d'agir librement, mais dans des limites strictement définies. A cet égard, certains ont dit que le droit de la concurrence n'avait pas à être modifié, qu'il était très bien en l'état. Cependant, je considère qu'il n'est pas satisfaisant, car il est contradictoire et n'est pas appliqué, particulièrement dans le secteur du commerce de gros. Ce dernier s'est vu écarté du marché avec ces différentes pratiques. Lorsque les rabais, remises et ristournes ont progressivement augmenté, l'industrie et le commerce de détail ont commencé à mettre en situation défavorable et de distorsion concurrentielle le commerce de gros. Ces distorsions se sont aggravées lorsque la coopération commerciale s'est développée sur la base des services que la distribution prétendait offrir à ses fournisseurs. En fait, il s'agissait uniquement des services commerciaux relevant de la fonction même de commerçant, et notamment que le commerce de gros apportait à ses clients et ses fournisseurs autant à l'amont qu'à l'aval.

La conséquence de la négociation sur des coopérations commerciales a été de faire payer par le détaillant des frais qui auraient dû normalement être pris en charge par le grossiste. Le commerce de gros, dans beaucoup de secteurs, a disparu de l'intermédiation industrie/commerce. Il existe encore dans certains secteurs où la grande distribution n'est pas encore présente, notamment dans la restauration. J'attire cependant votre attention sur le fait qu'actuellement, les mêmes pratiques se développent aussi dans ce secteur ; elles auront de toute évidence les mêmes conséquences. La conséquence ultime de l'éviction du commerce de gros est un niveau de coûts dans la distribution très supérieur à ce qu'il pourrait être si le commerce de gros apportait sa valeur ajoutée d'intermédiation générique.

La question de la coopération commerciale me paraît être certainement le c_ur du problème. Je vous ai dit qu'elle avait évincé le commerce de gros car elle rémunérait des fonctions que ce stade assurait. J'observe que la coopération commerciale apporte, même lorsqu'elle est officielle, équitable ou justifiée, une rémunération de charges d'exploitation normales d'un commerçant distributeur. Elle le met en situation avantageuse par rapport à la concurrence. Par conséquent, elle aboutit à des distorsions de concurrence quasi systématiques.

Nous nous apercevons que l'ordonnance du 1er décembre 1986 a été essentiellement conçue pour régenter et encadrer les relations verticales industrie/commerce, alors qu'elles représentent un quart de l'économie. Elle a oublié, de façon regrettable, que la concurrence - autant entre distributeurs qu'entre industriels - était aussi horizontale et surtout qu'il fallait veiller à la préserver. Actuellement, on observe que la coopération commerciale crée des distorsions de concurrence graves entre très grandes entreprises et PME. Elle défavorise très lourdement les PME par rapport aux grandes entreprises industrielles. Entre les distributeurs eux-mêmes, elle crée des distorsions systématiques à géométrie variable.

Le texte actuel de l'ordonnance n'est pas satisfaisant. Le commerce de gros et le secteur des produits surgelés souhaitent depuis longtemps, et je réitère la demande, que l'alinéa de l'article 33 autorisant la coopération commerciale soit supprimé. Ceci permettrait de réactiver toute la discussion et la négociation à laquelle le commerce de gros tient tout autant que les industriels et les distributeurs. Je considère que cette négociation doit et peut exister dans le cadre des conditions générales des fournisseurs. A cet égard, un véritable dialogue de sourds existe actuellement entre les industriels et la distribution. En effet, depuis la loi Galland, les industriels ont cru pouvoir établir des conditions générales de vente extrêmement restreintes en termes d'offres de barèmes et de rémunération d'éventuelles coopérations commerciales. En aucun cas, je considère qu'elles doivent être éliminées, mais néanmoins celles-ci doivent être ouvertes et transparentes. Aujourd'hui la coopération commerciale est négociée de façon opaque. Elle est proposée par le client et non par le fournisseur. Par conséquent, elle est valorisée à des niveaux totalement variables et non transparents et équitables. Finalement, je pense que la négociation doit exister, mais dans un cadre défini.

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur de la mission d'information sur l'évolution de la distribution : Le débat est intéressant. Vous nous décrivez une situation qui n'est pas totalement satisfaisante tout en faisant des propositions. Nous, parlementaires, avons le sentiment qu'un réel problème existe dans les circuits de la négociation. Il faut distinguer, il est vrai, les grandes entreprises. Certains pensent que des rentes de financement sont assurées par la coopération commerciale, en contrepartie de prestations qui sont réelles et d'autres qui le sont moins.

Je vais vous lire une lettre qui m'est parvenue aujourd'hui ; elle provient d'une grande entreprise de l'agroalimentaire. Cette personne n'a pas osé venir. Elle me dit : « nous ne négocions plus. Nous constatons une exigence. Si nous ne nous y conformons pas, il y a toujours une sanction. Une grande enseigne m'a demandé de compenser la perte de marge due à la promotion faite sur mes produits. J'ai refusé. Depuis, cette enseigne prélève d'office sur les factures des pénalités de rupture atteignant plus de 100 % de la valeur du produit manquant. J'ai contesté ces pratiques, elle menace aujourd'hui de trancher dans mes gammes de produits si je continue à la relancer sur ce sujet. »

Aujourd'hui, un fournisseur n'attaque pas son client devant les tribunaux car cela signifierait qu'il quitte le terrain de la négociation et court le risque d'être déréférencé. Actuellement, l'Etat ne peut pas se substituer au plaignant. Peut-être faudra-t-il changer la loi à cet égard pour que les abus soient sanctionnés et donnent lieu à réparation.

M. Luc Soupirot, exploitant agricole : Je suis un petit producteur de concombres du Loiret. Je suis un peu effaré d'entendre de telles inepties de la part de ces messieurs des grandes surfaces. Je vis sur le terrain. Je connais vraiment la situation. La plupart des producteurs de concombres de France ont enregistré 250 000 F de pertes à l'hectare par rapport à leurs résultats de l'année dernière qui permettaient tout juste d'assurer l'équilibre des comptes. Voilà du concret. Lorsque vous parlez d'un problème d'organisation, je dis que c'est faux. En France, la plupart des régions sont très bien structurées et organisées parce qu'il s'agit là d'une condition nécessaire.

Cette année, il n'y a jamais eu de surproduction de concombres ou de tomates. Par conséquent, là n'est pas la cause de la chute des prix. La fixation des prix se fait au cours des négociations sur les promotions, six mois à l'avance. Ce mécanisme empêche les prix de monter lorsque la demande est plus forte que l'offre. Chaque semaine, nous effectuons des relevés de prix dans les grandes surfaces pour les comparer avec ce que nous percevons. Un produit qui nous est payé 1,90 F est vendu 6 F dans les grandes surfaces. Le constat est le même toutes les semaines ; les prix sont systématiquement multipliés par trois. Dans une grande surface, toute l'année, les concombres sont vendus 10 F les trois pièces. Souvent, celle-ci nous les paye 1,50 F ou 1,70 F au mieux. Si nous voulions équilibrer les comptes de nos entreprises pour qu'elles restent pérennes, il faudrait au moins céder le concombre à 1,80 F. En deçà, nous perdons de l'argent.

Je peux également parler des ristournes. J'ai travaillé pendant plus de dix ans avec Carrefour pour les produits d'espaces verts. Certains déclarent que tout se passe bien. Je dis que ce n'est pas vrai. Il y a dix ans, les ristournes étaient de 3 %. Ce taux était normal. Les grandes surfaces font valoir qu'elles ont permis de développer les petites entreprises ; c'est vrai, mais elles ont également augmenté les ristournes dans une proportion vraiment effarante. Maintenant, nous devons accorder des ristournes d'un taux minimal égal à 6,5 % du montant hors taxes des ventes, sans compter les reprises de produits lorsqu'ils ne sont plus bons et les promotions, qui deviennent une habitude. Globalement, sur une saison, nous atteignons plus de 10 % de ristournes. Si nous continuons comme cela, nous sommes condamnés à fermer toutes les entreprises. Or, uniquement dans le Loiret, l'agriculture représente plus de 9 000 emplois, probablement plus que le personnel de Carrefour en France.

Mon constat est peut-être un peu sévère, mais c'est la réalité. Nos entreprises comprennent en moyenne quatre ou cinq salariés. Nous voudrions continuer à vivre.

M. Jean-Claude Jaunait, président de système U : La fédération des entreprises du commerce et de la distribution va prochainement vous faire part d'opinions mesurées et de propositions pour la filière des fruits et légumes. Le contrat de culture nous permettrait de progresser. Son but est d'améliorer avec des groupes de producteurs la qualité du terroir ou de la production et de garantir les volumes. Il est vrai que le prix de cession est discuté au moment de la livraison, car nous sommes sur un marché fluctuant, non prévisible. J'admets qu'il y a des promotions de temps en temps, intéressantes pour le grand public et qui aident à augmenter les volumes de vente. Cependant, elles représentent quelquefois des efforts importants.

En réalité, plus les contrats de culture se développeront, plus le niveau de la qualité montera et plus les relations seront satisfaisantes. La surproduction met souvent sur le marché des produits en quantité excessive et d'une moins bonne qualité.

M. Jacques-Edouard Charret, président d'Opéra : Je voudrais répondre aux propos relatifs à la distribution des fruits et légumes. Des sujets peu comparables sont mélangés. La fédération des entreprises du commerce et de la distribution a avancé des propositions qui me semblent aller dans le sens des souhaits de M. Luc Soupirot. Tout le monde s'oriente vers une contractualisation. Toutes les enseignes présentes, toutes celles représentées par la fédération des entreprises du commerce et de la distribution ont donné leur accord de principe pour établir un contrat annuel négocié une fois pour toutes.

Le problème des prix catalogue est réel. Notre métier est d'être très compétitif ; il est important que nous soyons bien placés en termes de prix. Or, les contraintes techniques pour imprimer un mailing conduisent souvent à décider du prix inscrit dans le catalogue publicitaire entre six et sept semaines avant le démarrage de la campagne. C'est un vrai souci. Il ne faut pas nous jeter la pierre. Nous sommes conscients de la dérive qui tire les cours vers le bas. Nous sommes prêts à travailler dans des délais beaucoup plus courts. Aujourd'hui, la plupart des entreprises de distribution présentes autour de cette table pensent qu'elles peuvent réduire le délai à trois semaines.

De plus, nous sommes prêts à nous engager à ne pas faire des campagnes de communication sur certains produits à des périodes prédéterminées. Le risque est réel au démarrage de la saison, pas en pleine saison. Cette proposition n'a pas encore reçu d'écho favorable.

Pour revenir aux fruits et légumes, il existe un vrai risque. Il faut être prudent. Cesser toute animation et toute promotion sur les fruits et légumes serait extrêmement préjudiciable à la filière agricole, comme à la distribution. Cela reviendrait à favoriser les importations au détriment des filières françaises. Il faut donc se montrer extrêmement vigilant.

Je rejoins M. Antoine Guichard pour dire que les filières agricoles sont peu ou mal organisées. Des marques nationales, véritablement capables de soutenir la production, n'existent pas. Chaque fois que des communications institutionnelles sont mises en place, comme la campagne "manger des pommes" qui était très sympathique, elles ne fonctionnent pas ; les volumes dans nos magasins sont en progression pratiquement nulle. Il faut donc être vigilant et ne pas prendre de mesures desservant les filières agricoles.

Je voudrais apporter mon témoignage sur les relations avec l'univers des produits de grande consommation. J'ai une particularité : ma vie professionnelle a été partagée entre l'industrie et la distribution. Je suis issu d'un grand groupe, leader mondial des produits de grande consommation. Cela fait sept ans que j'ai rejoint le groupe Casino. Il ne faut pas faire d'amalgame ; il existe de réelles différences entre les PME et les grands groupes. Vous avez cité des chiffres sur la concentration. J'en ai relevé quelques-uns afin que vous en soyez conscients. Dans le domaine des céréales, les deux premiers groupes actifs sur le marché français réalisent 70 % des ventes ; dans les couches le taux atteint 72 % ; dans l'alimentation infantile 82 % ; dans le chewing-gum 99 % ; dans les lames de rasoirs plus de 80 %.

Il ne faut pas mélanger les problèmes des PME et ceux des grands groupes. La négociation avec ces groupes peut être parfois tendue mais les relations sont beaucoup plus équilibrées que ce que l'on entend généralement. Il faut donc être extrêmement vigilant car certaines modifications de la loi pourraient être préjudiciables aux PME.

Si je suis Mme Danièle Lo Stimolo sur les produits surgelés, toute les remises de la coopération commerciale devraient être intégrées à la facture d'achat des produits. Je vous indique que cette solution est la mort annoncée de nombreuses PME. En effet, les marques de distributeurs seront les premières à souffrir de la baisse générale des tarifs. La capacité des grands marques à investir évincera les PME qui n'auront plus les moyens de se battre.

Il ne faut pas se tromper de combat et être attentif à ce qui est positif et à ce qui ne l'est pas pour les PME. Toutes les personnes ayant accepté de venir ce soir sont d'accord pour réprimer les abus. Il en existe, nous en convenons. Il n'est pas forcément facile pour un directeur des achats de « tenir à 100 % » les propos de l'ensemble de ses troupes, en permanence.

Il faut que ces abus soient sanctionnés, que les contrats soient respectés et qu'un organe de médiation ou de conciliation soit créé. Ce dernier pourrait saisir les représentants du pouvoir. Sont présentes, ce soir, des personnes de bonne volonté. Elles veulent aller dans le sens d'une conciliation, d'un partenariat, mais ne jouons pas avec le feu car vraisemblablement, les PME seront les premières à en faire les frais.

M. Léonce Deprez : Je pense que cette table ronde sera très utile car elle a déjà permis d'entendre des réponses aux questions que se posaient les députés. Dans l'esprit de certains intervenants, l'arsenal législatif est suffisant, il faut maintenant régler les problèmes par voie contractuelle.

J'ai retenu que les rémunérations obtenues par des marges arrières sont acceptables dans la mesure où elles sont fondées sur des services rendus. Quand le service n'est pas rendu, quel est le moyen de dénoncer le contrat qui n'est pas respecté ? L'organisme que vous proposez apporterait peut-être une solution à ce problème.

Vous nous avez fait comprendre finalement que, la croissance des marques de distributeurs avait, certes, un aspect négatif dans la mesure où les fabricants deviennent des sous-traitants, mais elle permet de faire vivre des PME à l'abri de la concurrence des grands groupes de producteurs.

Nous sommes tous très sensibles aux problèmes des agriculteurs. Les députés peuvent en dire plus sur ce sujet que certains leaders agricoles car ils vivent au contact du terroir. L'interprofession agricole ne doit-elle pas s'exprimer davantage et devenir plus forte pour dialoguer avec la grande distribution ? Nous avons le sentiment qu'elle ne se manifeste pas assez et n'a pas le poids nécessaire pour mettre au point des contrats de culture.

Nous ressentons une autre inquiétude à propos des villes moyennes de 30 000 habitants car des responsable d'enseignes de grande distribution nous ont dit qu'il n'y avait aucune chance de redynamiser leur centre-ville.

Tout à l'heure, M. Jean-Claude Jaunait a dit  qu'il fallait que les petits et moyens magasins s'organisent en réseaux pour obtenir des avantages de la part d'une centrale d'achats. Pouvez-vous confirmer ces propos afin de calmer nos inquiétudes ? Les contrats, pourront-ils permettre d'aboutir à un résultat, de préférence à l'adoption de nouvelles lois s'ajoutant à celles existantes ? Le respect des contrats doit s'imposer dans une économie devant être à la fois sociale et libérale.

M. Pierre Ducout : Je rappelle d'abord qu'aucun rapport préparatoire n'a été établi. Des questions ont seulement été soulevées en vue de cibler les abus.

Pour faire un petit clin d'_il à M. Gérard Bourgoin, je dirai que nous avons dans nos circonscriptions des commissions locales d'insertion qui, avec l'appui des entreprises aussi bien de la distribution que de la production, réussissent avec la croissance à créer quelques emplois.

Il est certain que nous avons suivi, depuis trente ou quarante ans, les progrès de la grande distribution. Cela a indiscutablement permis d'avoir un grand marché de la consommation en réduisant les coûts globaux. Il est également certain que le législateur doit s'assurer que les grands équilibres sont garantis. C'est un peu le rôle d'une mission d'information, qui ne veut pas changer systématiquement la loi, mais étudier ses conditions d'application.

A propos des grands équilibres entre les grands groupes de la distribution et de la production et les PME, je veux poser deux questions : pensez-vous qu'aujourd'hui les marges nécessaires aux uns comme aux autres sont correctement équilibrées ? Les PME ne deviennent-elles pas systématiquement des sous-traitants ? J'ai travaillé dans les travaux publics et le bâtiment. Nous savions que les sous-traitants étaient pressurés au maximum et qu'ils disparaissaient. Avez-vous des outils pour obtenir cet équilibre de marges pour les PME ?

Par ailleurs, les grands hypermarchés de la périphérie des villes sont souvent diabolisés alors qu'ils semblent complémentaires des autres modes de distribution. Le blocage des nouvelles implantations de grandes surfaces ne va-t-il pas créer des situations de monopole ou d'oligopole dans certains secteurs, provoquer des augmentations de prix et déséquilibrer l'ensemble du marché ?

M. Jacques Rebillard : Vous avez beaucoup parlé de contractualisation dans les filières agroalimentaires. Je voudrais que vous parliez du secteur textile qui est en complète décomposition. La grande distribution pourrait jouer un rôle pour aider ce secteur à refaire surface. La baisse des charges sociales ne suffira pas, il faudrait aussi augmenter les prix.

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur de la mission d'information sur l'évolution de la distribution : Pensez-vous que l'augmentation de la coopération commerciale traduit un déséquilibre dans l'économie au profit de la grande distribution ? J'ai bien entendu les problèmes de compétition avec les grands distributeurs étrangers. L'équilibre est-il satisfaisant, non pas vis-à-vis des multinationales étrangères, mais de certaines entreprises françaises ?

Les petites entreprises pourront-elles investir dans l'innovation à partir du moment où la coopération commerciale absorbera leur marge ? Vont-elles respecter les exigences de qualité et de sécurité alimentaires ?

Ma deuxième question porte sur les marques de distributeur qui sont en croissance et font vivre de nombreuses PME. Dans deux affaires récentes concernant les organismes génétiquement modifiés et la dioxine, la responsabilité de producteurs a été mise en cause alors qu'ils ne sont plus réellement indépendants et travaillant en sous-traitant.

D'une part, les entreprises indépendantes sont devenues très fragiles face à la concentration des centrales d'achats ; elles disparaissent pour la plupart. D'autre part, de nombreuses PME font partie d'une filière intégrée, où elles ne sont plus que sous-traitantes. Le cahier des charges qui leur est imposé est un vrai problème. Ne constitue-t-il pas un contrat quelque peu léonin ?

M. André Lajoinie, président : Que pensez-vous des conséquences du commerce électronique sur l'avenir de la distribution ? Vous devez y réfléchir.

M. Félix Leyzour : J'aimerais entendre votre position sur l'idée d'établir un coefficient multiplicateur dans la filière des fruits et légumes. C'est une solution qui est souvent proposée lorsqu'il y a chute des cours.

M. Jean Proriol : Tout le monde semble dire que les lois manquent parfois leurs objectifs et qu'il y en a certainement assez, mais encore faudrait-il qu'elles soient bien appliquées. Si j'ai bien compris, malgré l'existence de lois, certains demandent un contre-pouvoir dans les relations contractuelles. Mais les situations conflictuelles entre distributeurs et producteurs ne trouvent-elles pas leur origine dans le comportement des uns et des autres ?

J'ai apprécié les propos de M. Charret. Il nous a été objecté qu'il fallait faire attention au déréférencement portant simplement sur quelques mois. M Charret a proposé un contrat au moins annuel. D'autres petites entreprises font valoir que cette durée n'est pas suffisante et préféreraient des contrats plus longs, sur deux ou trois ans, qui permettraient aux industriels d'amortir leurs investissements. Le contrat d'un an n'est-il pas un peu court ?

Je n'ose poser ma dernière question. Vous avez tous parlé de marge arrière. Je n'ai rien compris à cette affaire. J'aimerais avoir des chiffres. Les marges arrières peuvent-elles être quantifiées ? Que représentent-elles ? Ma question est peut-être indiscrète. Faut-il plafonner les marges arrières ? C'est un autre débat.

M. Jean-Claude Jaunait, président de Système U : Il est évident que le commerce spécialisé progresse énormément. De retour des Etats-Unis, les familles Defforey et Fournier ont voulu appliquer en France les méthodes américaines. L'idée de vendre des casseroles et des vêtements sur une même surface et non pas dans des magasins séparés est à l'origine du premier magasin Carrefour, premier hypermarché à la française qui a connu un succès évident.

Aujourd'hui, le consommateur attend des distributeurs un ensemble de compétences qui nous permettent de sélectionner des produits, qui lorsqu'ils sont propres au magasin prennent l'enseigne comme marque. Nos magasins offrent un contenu global. Cela nous oblige à être performant, notamment au regard de l'achalandage, la compétence des vendeurs et l'organisation de la vente.

Le commerce spécialisé ne peut pas évoluer différemment. Il doit disposer de plus grandes surfaces de vente et avoir une organisation plus adaptée en amont et un savoir-faire permettant de « travailler le produit » comme s'il en était le fabricant. D'ailleurs, certains fabricants nous reprochent parfois de faire leur travail, mais nous sommes obligés de le faire, ou plutôt d'être à côté d'eux. Les grands groupes, comme Casino, travaillent de plus en plus dans cet esprit.

Concernant l'idée de « bonnes pratiques » évoquée par M. Proriol, nous pouvons progresser en recherchant avec les fournisseurs une valeur ajoutée. C'est notre intérêt de mieux vendre et que chacun soit satisfait. Ce travail est naissant. Pendant des années, nous avons vendu moins cher des produits de grandes marques. Nous avons su le faire, car c'était attractif. Aujourd'hui, nous devons complètement réorganiser notre travail.

Qu'est-ce qu'une marge arrière ? C'est une marge prise en arrière faute de la prendre en avant. Aujourd'hui, si les prix étaient complètement libres, la revente à perte serait systématique pour attirer le chaland et un autre déséquilibre verrait le jour.

M. Jean-Paul Charié, président de la mission d'information sur l'évolution de la distribution : D'où l'intérêt de la loi.

M. Jean-Claude Jaunait, président de Système U : D'où l'intérêt de la loi, en effet. Qui dit, dans un pays civilisé, que la loi ne protège pas les individus ? Les règles sont nécessaires à l'indépendance et à la liberté de l'entrepreneur. L'excès de réglementation nuit à la performance de l'entreprise. C'est une philosophie.

M. Daniel Bernard, président de Carrefour : La rupture du contrat peut trouver son origine soit dans une pratique abusive et, dans ce cas, il faut appliquer la loi, soit parce que les parties ne parviennent pas à dialoguer, auquel cas il faut recourir à un arbitrage. Différentes instances existent pour cela. Nous en avons créé une où siègent plusieurs industriels proches de la fédération de M. Bourgoin. Lorsqu'un conflit est porté à l'arbitrage, généralement, cela s'arrange avant la sentence car les points de vue se rapprochent.

Toutes les entreprises grandissent, mais elles doivent en même temps fonder leur action sur un système de valeurs car les règlements à eux seuls ne peuvent pas tout résoudre. Autrefois, la politique sociale de la grande distribution a été très critiquée ; chacun se rappelle le débat sur le travail des caissières. Aujourd'hui toutes les caissières ont un rôle noble dans nos magasins. Elles sont d'ailleurs actionnaires de Carrefour, de Casino, etc. et vous n'entendez plus parler de ce problème. Je pense par ailleurs qu'on a pas le droit de rompre les relations avec une PME en 24 heures. Il faut observer des règles, discuter et respecter un délai ; dans mon entreprise ce délai est d'un an pour une PME avec laquelle nous avons une relation régulière.

Vous avez parlé d'un contrat pluriannuel. Il faut apprécier cette proposition selon le type de produit concerné. Pour un produit saisonnier, il faut un contrat annuel pour un engagement avec une PME sur un contrat d'innovation, nous travaillons à livre ouvert sur la rentabilité du produit. Le reversement de marges arrières n'est pas nécessaire. Pour les PME, le prix d'achat net-net est important. Nous les aidons à innover. Le yaourt avec 12 % de fruits n'a pas été inventé par les grands, mais par la PME Senoble, avec nous. Lorsqu'une PME doit construire une usine supplémentaire, il serait bien nécessaire que nous nous engagions pluriannuellement pour le banquier.

Sur le marché des lames de rasoirs, 25 % de marge arrière sont versés en France. Est-ce trop ou pas assez ? Au Mexique, aucune n'est accordée. J'ai pensé que dans ce pays nous étions dupés. Finalement, en marge nette, les lames de rasoir étaient 25 % moins cher qu'en France ; or, elles sont fabriquées dans usines complètement automatisées. J'encourage votre mission à réaliser une étude comparative sur les prix d'achat nets-nets entre les différents pays. Ainsi, le café soluble est beaucoup moins cher en Espagne qu'en France.

M. Jean Proriol : il est dit que l'Europe du Nord n'a pas de système de marge arrière.

M. Daniel Bernard, président de Carrefour : Nous connaissons tous les systèmes de prix puisque nous sommes présents dans 25 pays. L'intéressant est de gérer la marge. La loi Galland était demandée par les grands industriels pour remonter les prix et afin que le prix d'achat, devenant le prix de vente au consommateur, soit le même pour tout le monde. Mais ces grands industriels ont dû discuter, en dehors de la facturation de l'achat, le travail accompli en logistique, en publicité, en mise en avant par la distribution. Le problème n'est pas le même avec les PME, avec lesquelles nous travaillons à livre ouvert.

Deux effets pervers étaient à attendre : les importations ou les négociations à l'étranger dues à l'excès de réglementation en France. Nous en avons tous profité pour travailler avec les PME et faire baisser leurs prix. Les industriels ont constaté que les prix des grandes marques mondiales permettaient aux PME de vivre. Je vous encourage à lire le livre sur le marketing de Philip Kotler, il est très simple, il dit que vous devez dominer le produit au niveau mondial, supprimer des marques et éliminer les petits par l'imposition d'un barème. Messieurs, ne vous exposez pas à cela. Si vous reportez sur la facture les remises pour services spécifiques, vous favoriserez le leader mondial et éliminerez la concurrence française.

Je veux bien que la loi Galland soit abrogée. J'étais d'accord avec la proposition du rapport Villain tendant à supprimer le titre IV de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Mais si vous le faites, vous relancez la guerre des prix. Cela ne me gêne pas. Cependant, vous condamnerez les PME.

A cette table, nous sommes concurrents à tous les niveaux. Dans une ville de 30 000 habitants, vous trouvez des commerces de proximité, affiliés, modernisés, sous l'enseigne de Casino, Marché U, Shopi ou Huit à Huit. Vous pouvez trouver des supermarchés, comme Casino, Champion, Stock, et des hypermarchés, sûrement en périphérie, comme les hypers U, Géant, Carrefour. Partout, le client peut se rendre chez différents commerçants indépendants qui ont pu se créer grâce à nos groupes, sous des enseignes de qualité. Nos groupes sont tous aujourd'hui multiformes. Il faut que les industriels appliquent la même règle. Pourquoi éliminer les PME ? Cela n'a pas de sens.

M. Jean-Paul Charié, président de la mission d'information sur l'évolution de la distribution : Si on prend l'exemple des disques, on vous reproche de ne vendre que quelques références, les disques les plus demandés. Des magasins spécialisés ne peuvent plus être créés, notamment des disquaires dans les communes de moins de 30 000 habitants.

M. Daniel Bernard, président de Carrefour : J'allais chez un disquaire très important sur les Champs-Elysées. Il a été éliminé, non pas par Carrefour, mais par Virgin, lequel est fabricant de disques et en même temps concurrent de la grande distribution. Je vous signale que nous avons monté une logistique entièrement spécialisée sur le disque. Nous mettons en vente 10 000 titres. Le temps où les hypermarchés n'avaient que quelques disques est dépassé. Je suis très content que la FNAC fasse un excellent travail et vienne à nos côtés dans bien des pays. Dans la micro-informatique, Carrefour est le premier vendeur, mais Surcouf est notre premier concurrent. Nous sommes les premiers à vouloir dynamiser à nouveau les centre-villes, mais il faut créer des parkings et pas seulement des bureaux.

Nous parlons beaucoup des marges arrières, mais j'aimerais aussi parler de celle de l'Etat. Elles n'ont pas cessé d'augmenter.

M. Jean-Paul Charié, président de la mission d'information sur l'évolution de la distribution : Oui, mais avec des contreparties.

M. Daniel Bernard, président de Carrefour : Vous avez voté des augmentations d'impôts depuis 1995. Pour Carrefour France, le supplément d'imposition représente 1,7 milliard de francs. Il s'agit aussi de marges arrières.

Vous avez parlé du textile. Sur le plan de la production, c'est un problème dans notre pays. Par les marques propres, il est possible de mener des actions intéressantes. Quand j'étais jeune acheteur, j'allais acheter des pantoufles à Nontron. Sur les quatre usines, il n'en reste aucune. Est-ce dû à la distribution ou aux charges sociales ? Carrefour se fournit en espadrilles en France, dans une PME très dynamique, très bien équipée. Vous pouvez aller la visiter, on vous y dira qu'il n'y pas de problèmes avec nous.

Je vous donne un autre exemple dans le fromage. Le munster et le maroilles ont eu des problèmes avec la listeria. Si nous n'avions rien fait, nos fournisseurs seraient morts. Nous avons réglé le problème et avons relancé le maroilles sur toute la France.

Je ne dis pas que tout est bien dans le meilleur des mondes, mais notre rôle ne se résume pas à vendre des couches Pampers. Nous vendons une diversité de produits. Nous avons essayé de réaliser douze variétés anciennes de tomates. Or, la Communauté européenne a adopté un règlement sur les variétés anciennes : si elles ne sont pas au catalogue officiel, il n'est pas permis de les cultiver. Nous nageons dans des excès de réglementation, alors que nous essayons de nous battre pour la qualité, la diversité, l'agriculture durable.

Tout n'est pas pour le mieux. Nous avons conscience de notre mission vis-à-vis des entreprises, de nos employés, qui sont nos collaborateurs, de nos partenaires et des grands groupes. Ne vous inquiétez pas pour eux, ils sauront très bien discuter avec nous de l'amélioration logistique, la rationalisation des marges, des ruptures d'approvisionnement des promotions, pour gagner plus d'argent. Chez Procter & Gamble, fabricant des couches Pampers, 32 personnes dans le monde s'occupent de l'amélioration de « la profitabilité partagée ». Ne vous inquiétez pas pour les grands, ils réalisent des profits. Nous avons une responsabilité - c'est vrai - vis-à-vis de nos partenaires PME. Un partenariat est comme un mariage ; nous ne le réalisons pas pour le rompre le lendemain. Il faut des PACS entre entreprises.

Il faut sortir du dilemme de la diabolisation. Cela nous fait beaucoup de tort à l'étranger. Je pense que nous avons engagé un bon dialogue aujourd'hui. Nous avons parlé de la crise des fruits et des légumes et du concombre. Ils sont dans une filière de qualité pour le concombre. C'est un progrès.

M. Luc Soupirot, exploitant agricole : Il nous a été demandé de réaliser des produits de qualité depuis cinq ans déjà. Nous effectuons de la protection biologique intégrée (PBI). Nous n'utilisons plus de traitement. Demain, il nous sera demandé la traçabilité. Personnellement, je suis capable de la fournir mais si elle m'est demandée, je refuserai car mon produit ne me sera pas acheté plus cher. La protection biologique intégrée me revient 4 ou 5 F au mètre carré, alors qu'une lutte chimique traditionnelle coûte 2 F. Quant à la traçabilité, si j'achète un programme informatique, il me coûtera 15 000 F. Je ne dépenserai pas cette somme si je n'ai pas la garantie que mon concombre sera payé plus cher. Il faudrait aussi créer une sorte de label de qualité qui permette au client de distinguer entre le produit biologique et le produit tout venant. Aujourd'hui, nous sommes capables de mettre en place, en France, la traçabilité alors que dans d'autres pays ce n'est pas possible. Cependant, il faut vous engager à payer plus cher les produits de qualité.

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur de la mission d'information sur l'évolution de la distribution : J'approuve tout à fait.

J'aimerais parler des marques de distributeur. Je me fais l'avocat du diable. Finalement, la situation est incroyable : certains producteurs disent qu'ils financent par la coopération commerciale leurs propres concurrents, qui sont aussi leurs clients ; ces derniers mettent en valeur leurs marques au beau milieu du linéaire, alors que leurs produits sont « à la cave ». N'existerait-il pas des moyens pour favoriser certaines entreprises ?

M. Daniel Bernard, président de Carrefour : Je vais partager la réponse avec M. Charret. Ce n'est pas une entente ! Les PME représentent 40  % de nos références alimentaires et 39  % de notre chiffre d'affaires. 23  % de nos références sont des produits fournis par des PME vendant sous leurs marques et 17  % des références sous nos marques propres.

La marque de distributeur est un thème extrêmement important. Aujourd'hui, dans le monde, la marque est rationalisée ; elle prend deux formes : soit une grande marque mondiale, soit une marque d'un grand distributeur ayant la confiance de ses clients et garantissant la qualité. Il peut s'agir d'un produit alimentaire, d'un vélo tout terrain Carrefour, d'un produit de placement, d'une assurance ou de vacances. Nous sommes nous-mêmes des éditeurs de marques. Pour éditer ces produits, nous travaillons avec un ensemble d'industries car nous n'avons pas d'usine. Il s'agit de coopération. Cela n'aurait aucun sens d'inventer un produit avec une firme, puis de la laisser tomber. Je peux vous citer l'exemple de Cantalou, dans le chocolat. C'est une grande entreprise aujourd'hui. Lorsqu'elle s'est mise à fabriquer les produits Carrefour en 1976, elle n'était rien. Un autre exemple avec Alpina : il y a 23 ans, personne ne voulait fabriquer les pâtes Carrefour ; aujourd'hui, cette entreprise travaille toujours avec nous. En plus, nous cultivons 2 000 hectares de blé dur avec elle en France.

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur de la mission d'information sur l'évolution de la distribution: Il y a dix ans, il existait 160 marques de pâtes. Aujourd'hui, il n'y en a plus que 12.

M. Daniel Bernard, président de Carrefour : Oui, mais Alpina est toujours présente. Dans la brasserie, des petits brasseurs français survivent grâce aux distributeurs et pas grâce aux grandes marques de bière étrangères.

La marque propre est un phénomène d'avenir. Demain, dans le monde, le marché sera réparti entre les grandes marques mondiales, quelques PME très fortes et les marques de distributeurs. Ces marques de distributeurs sont transnationales. Nous exportons des produits Carrefour fabriqués par des PME françaises dans le monde entier. La marque Eau des Montagnes d'Auvergne est le premier article français vendu à Taiwan. Les galettes de Pont-Aven ont été une bonne vente au Brésil. Casino et Continent exportent également des produits dans le monde entier.

Qui organise la filière des exportations ? Bien sûr, M. Bourgoin peut nous demander de l'aider à exporter au Brésil et nous aidons beaucoup d'entreprises à s'implanter à l'étranger. Nous avons mis en place une structure pour cela. Que feront les entreprises françaises et les PME face à la concurrence des grandes marques mondiales si elles n'ont pas de grands distributeurs pour les aider ? Rien.

La distribution française est constamment attaquée en France alors qu'un concurrent américain bénéficie partout de l'aide absolue de son gouvernement. Vous devez prendre en compte que de grandes firmes étrangères en France sont déjà fortement implantées dans les secteurs du textile et du meuble, mais n'achètent rien en France. Or, nous achetons 35  %, au moins, de notre textile en France. C'est une performance par rapport aux coûts de production mondiaux. Finalement, les entreprises françaises ne souffrent pas de leurs clients, mais de la concurrence internationale. Il n'est pas possible d'ouvrir les frontières, vendre des TGV, etc. et de ne rien vouloir importer. Lorsqu'un produit connaît un problème, ce n'est pas forcément à cause de la grande distribution. Pour reprendre l'exemple des fruits, toute la Méditerranée, cet été, a été envahie par des fruits d'Espagne et de Turquie où les prix sont très bas. Nous avons fait tout notre possible. Une fois, on nous demande de ne plus réaliser de promotion, et une autre de vendre un million de melons en trois jours. Nous les avons vendus. Ils n'étaient pas tous de bonne qualité ; avec des filières agricoles les résultats seraient sans doute meilleurs.

Nous ne sommes pas les seuls à aider l'agriculture. Selon les produits, nous absorbons entre 20 et 40  % des productions françaises. Nous ne sommes pas des saints, mais des chefs d'entreprise responsables. Nous entendons être respectés au niveau mondial.

M. Jacques-Edouard Charret, président d'Opéra : Au sujet de la marque de distributeur, il ne faut pas perdre de vue que le seul arbitre de nos éventuels conflits ou de nos différends est le consommateur final. Or, dans ses critères de choix, le magasin apparaît en troisième position. Une politique qui consisterait à surexposer les produits de sa propre marque de distributeur au détriment des autres conduirait rapidement à une désaffection des clients. Les techniques de marketing sont assez pointues ; nous sommes très vigilants sur l'équilibre de l'offre dans les linéaires.

Pour le textile, nous avons cherché à mettre au point un système de réapprovisionnement automatique : à chaque sortie de produit à la caisse, une commande est adressée automatiquement à l'entrepôt. Il est impossible de mettre au point un tel système avec un fournisseur du Bangladesh ou de Tunisie. Nous y avons réussi avec un fournisseur travaillant avec la grande distribution : Rouleau Guichard. Cela a nécessité un travail de longue haleine pour construire ce système de réaprovisonnement afin de satisfaire la demande des clients.

Nous pouvons aider les PME même en dehors de la marque de distributeur, comme dans le cas d'un petit fabricant de biscottes du Sud-Est de la France, les biscottes Roger. Vous pouvez l'interroger. Il vous dira que s'il était resté dans le commerce traditionnel, il n'existerait plus aujourd'hui. La grande distribution ne représente que 35  % de son chiffre d'affaires. Ses deux principaux clients sont Casino et Carrefour. Lorsqu'une vraie valeur ajoutée est créée, que le produit est particulièrement bien implanté dans une région, notre intérêt, vis-à-vis de nos clients, est de l'avoir dans les linéaires. Les comportements abusifs existent, mais il faut aussi mettre en avant les nombreux exemples de partenariat.

M. Jean-Paul Charié, président de la mission d'information sur l'évolution de la distribution : Quelle réponse donnez-vous à la question sur le coefficient multiplicateur ?

M. Jean-Claude Jaunait, président de Système U : La crise a une seule véritable origine : une offre supérieure à la demande qui provoque une baisse des prix. Dans ce cas, les producteurs français sont gênés à l'exportation et il y a davantage de produits importés sur le marché. Dans ce cas, le coefficient multiplicateur ne résout rien. Par rapport à un prix acheté, il sous-tend une limitation du prix de vente aux consommateurs. Or, entre l'achat et la vente, il existe toute une série d'opérations, notamment le conditionnement et le transport, qui constituent une valeur ajoutée. Cette évidence s'est imposée lors de l'opération récente d'affichage des prix d'achat au producteur. Lorsque les prix baissent, il est clair que nos marges ne diminuent pas forcément. J'ai effectué le calcul dans le cas de Système U : la marge semi-nette, à savoir avant impôt sur les sociétés, sur les fruits et légumes, était de 50 à 70 centimes par kilogramme en moyenne suivant le type de rendement. Si la moitié de cette marge avait été versée à ceux qui en manquaient, cela aurait été insuffisant. Est-il envisageable d'avoir des caisses de péréquation ? Nous sommes d'accord pour rechercher des solutions dans le cadre de l'interprofession.

Notre groupe s'appelait, à l'origine, UNICO et était composé de petites coopératives dans toute la France. Il a failli disparaître en raison du conservatisme de ses dirigeants qui défendaient les acquis. Nous avons accepté la concurrence comme un stimulant, même si un excès de concurrence peut faire mourir. Ma philosophie est la suivante : développer l'interprofession pour parler des grandes causes et mettre en place une chambre de conciliation pour évoquer les petits conflits.

M. Gérard Bourgoin, chef d'entreprise : Je remercie la mission d'information de nous permettre de nous exprimer. Personne, en réalité, ne souhaite d'inflation législative ou réglementaire. Les problèmes évoqués tout à l'heure étaient fondés sur mon expérience de producteur de produits agroalimentaires. J'ai reçu de nombreux coups de téléphone de producteurs de chaussures, de textile, de produits de la maison et d'hygiène. Nous avons discuté aujourd'hui des problèmes vécus au quotidien par l'ensemble des PME françaises. Dès lors que personne ne souhaite légiférer et qu'il existe par ailleurs une volonté évidente de conciliation, du moins de dialogue, nous sommes tous convaincus que nous devrons travailler dans l'esprit d'une plus grande loyauté des rapports commerciaux.

Vous avez, Messieurs les parlementaires, évoqué la question du contrat. Si les relations entre producteurs et distributeurs étaient régies par un contrat clair, annuel ou pluriannuel lorsque le producteur est obligé d'investir lourdement, il serait bon de prévoir une clause importante de révision des prix en cas de force majeure (variation des cours des matières premières, modification de la politique agricole commune, nouvelles obligations en matière de sécurité alimentaire, etc.). Cela a forcément une incidence et doit être prévu dans le contrat. Le distributeur doit s'engager à payer à la PME les révisions fondées. L'application de la loi sur les 35 heures va entraîner une augmentation de 12  % des coûts dans les activités qui emploient beaucoup de main d'_uvre. Pour le prix de l'énergie, l'écotaxe, le contrat doit prévoir l'absence de rejet systématique d'une augmentation de prix, dès lors qu'il s'agit de phénomènes échappant à la volonté des PME.

Il faut que les factures des marges arrières ou de coopération commerciale soient justifiées. Elles pourront être largement demandées. Elles seront défendues plus ou moins bien par les industriels. La discussion commerciale est toujours difficile. Nous ne respectons pas forcément uniquement les agneaux dans les affaires. Les facturations de coopération commerciale ou de promotions doivent être fondées, sinon elles doivent être supprimées. Il me semble qu'il existe un consensus entre nous autour des principes simples que je viens d'énumérer. Il nous faut par ailleurs une commission des sages pour régler les problèmes de la profession avant d'en saisir l'administration.

Nous n'avons pas évoqué le problème du seuil de dépendance économique. Lorsqu'un distributeur dit : « Monsieur le jeune producteur de verres en plastique, vous réalisez 35  % de votre chiffre d'affaires avec moi, c'est trop ; je vais chercher un deuxième fournisseur » ; c'est le type même du problème qui pourrait être arbitré par cette fameuse commission des sages, dite d'arbitrage. Une circulaire précisant d'une façon plus précise l'application de la loi Galland serait en outre utile. Il faut mettre fin à la situation des PME recevant des factures non fondées et confier ces litiges à la commission d'arbitrage.

M. André Lajoinie, président : Nous avons pris note ; la mission va réfléchir et envisager ce qu'il faut changer. Vous reconnaissez tous que des efforts sont à réaliser pour traquer les abus. Il faut pour cela des moyens, législatifs ou non.

M. Jean-Paul Charié, président de la mission d'information sur l'évolution de la distribution : Je veux remercier nos invités. Tout démontre que vous n'avez pas été pris dans un piège et que vous avez eu raison de venir. Vous avez eu le courage et l'honnêteté de reconnaître certaines pratiques. Le législateur a parfaitement conscience de la prudence et de la modestie de son travail. Il existe de nombreuses lois et nous sommes de ceux qui, parfois, disent à certains de leurs collègues que ces lois peuvent se retourner contre ceux qu'elles voulaient défendre. En revanche, il est du rôle du politique de vous aider, Messieurs, à devenir des partenaires. C'est un enjeu de société.

M. Jean-Yves le Déaut, rapporteur de la mission d'information sur l'évolution de la distribution : Je voudrais préciser que je suis le rapporteur de la mission d'information mais qu'il n'existe pas de « prérapport ». Vous proposez une commission d'arbitrage, encore faut-il que les contrats soient respectés et qu'il y ait de bonnes pratiques fondées sur le principe de réciprocité. Nous souhaiterions avoir vos avis sur l'amélioration des instruments de lutte contre les menaces de déréférencement, sur la durée des contrats conclus avec les PME et les PMI - trois ans paraissent pour certains nécessaires -, sur le concept de dépendance économique - la législation actuelle n'est pas satisfaisante. En outre, la jurisprudence ne donne pas la possibilité à la puissance publique de se substituer aux producteurs en cas de contentieux. Ce point est majeur.

Je me félicite que vous soyez venus. Nous avons essayé, avec l'aide de notre président, de faire avancer la situation. Ce n'est pas terminé. La mission d'information va se rendre à l'étranger et le 11 janvier 2000 nous rendrons notre rapport et nous en parlerons lors des états généraux de la filière de la consommation.

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