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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N° 23

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 22 décembre 1999
(Séance de 15 heures)

Présidence de M. André Lajoinie, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Claude MARTINAND, président de Réseau ferré de France

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La commission a entendu M. Claude Martinand, président de Réseau ferré de France (RFF).

M. André Lajoinie, président : Nous sommes en fin de session, et nos collègues sont, pour la plupart, repartis puisque les questions au Gouvernement ont été supprimées. Nous avons toutefois le plaisir de recevoir aujourd'hui M. Claude Martinand, président de Réseau ferré de France.

Notre commission, M. le Président, est engagée dans une réflexion sur l'ensemble des transports en France et en Europe. Mais évidemment, nous sommes plus particulièrement préoccupés par l'avenir du système ferroviaire, qui pour des raisons diverses est important et fondamental pour l'avenir. Comme vous êtes un des acteurs essentiels du mode ferroviaire, nous sommes très heureux de vous recevoir.

Après votre exposé, les commissaires vous poseront des questions s'ils le souhaitent.

M. Claude Martinand, président de Réseau ferré de France : J'ai beaucoup de plaisir à revenir devant votre commission, surtout pour traiter un tel sujet : la politique des transports en Europe et en France dans la perspective de la présidence française de la Communauté européenne au deuxième semestre 2000.

En premier lieu, si je pars des orientations qui ont été affichées par le Gouvernement français, nous sommes particulièrement concernés par l'élargissement de l'Europe qui rend nécessaire la création de grands corridors, notamment ferroviaires, vers l'Europe centrale et orientale. Le projet d'un corridor reliant Londres à Sopron, situé à la frontière entre l'Autriche et la Hongrie, a déjà été entériné. Ce sera certainement le cas d'autres, surtout si, comme Louis Gallois, président de la SNCF, l'espère, cette société arrive à prendre pied dans les chemins de fer polonais, qui sont le deuxième transporteur ferroviaire de fret en Europe, derrière l'Allemagne et avant la France. Pouvoir se tourner vers l'Europe centrale et orientale constitue un enjeu considérable. Nous ne serons pas directement concernés, excepté pour ce qui a trait à ces corridors.

En deuxième lieu, le secteur des transports est un secteur créateur net d'emplois, d'autant plus qu'il croît au moins aussi vite que le PIB.

Les préoccupations des citoyens constituent le troisième point. Elles concernent en priorité les transports urbains, et le rôle des transports dans la ville, dans la perspective du projet de loi qui sera prochainement soumis au Parlement par M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Le quatrième point consiste à renforcer le rôle de l'Europe dans la régulation internationale. Ce sujet est aujourd'hui au premier plan. On sent bien que, si dès l'origine, le traité de Rome mentionne une politique commune des transports, c'est parce qu'il ne s'agit pas d'un secteur ordinaire. Il doit être régi par l'action publique et pas seulement par les forces du marché. Toute la difficulté d'une politique des transports est alors d'articuler le marché et la régulation publique, l'action publique.

Je pense d'ailleurs qu'au-delà de l'Europe centrale et orientale, compte tenu du rôle que la France souhaite jouer dans le bassin méditerranéen, la question du prolongement des transports vers la Méditerranée occidentale et vers le Maghreb nous intéresse également, que ce soit à travers la péninsule ibérique ou l'Italie, en développant évidemment des modes combinés avec le transport maritime.

Dans le secteur des transports, on peut dire que la question de la route est clairement centrale. En termes de sécurité, c'est dans les transports routiers que le nombre d'accidents mortels et de blessés est le plus important. En termes de conditions de travail, je passe sur le transport maritime qui est malheureusement tellement dérégulé qu'on ne sait plus comment traiter les questions des conditions de travail et de la sécurité, c'est dans les modes terrestres que les conditions de travail sont le plus souvent inacceptables ; mais il s'agit aussi du plus gros créateur net d'emplois dans les transports.

La concurrence dans le système des transports est totalement conditionnée par la concurrence insuffisamment maîtrisée qui existe dans le transport routier. D'ailleurs, les premiers à pâtir de cette concurrence déloyale et mal maîtrisée sont les routiers eux-mêmes, qu'il s'agisse de petits patrons ou de salariés.

Dans un processus qui a démarré avec l'Acte unique et qui a permis le vote à la majorité qualifiée de textes qui étaient restés pendants durant des dizaines d'années, nous avons vu la dérégulation gagner progressivement l'ensemble du système de transports et comme toujours, l'harmonisation n'a pas suivi : elle est évidemment beaucoup plus difficile à mettre en _uvre . On trouve plus facilement des majorités qualifiées pour déréguler que pour mettre en place un certain nombre de règles minimales qui concernent notamment le social et la sécurité.

La présidence française peut, à juste titre, mettre au premier rang de ses préoccupations l'harmonisation sociale et technique pour tirer les conditions de travail et la sécurité vers le haut et non pas vers le bas, car il y aura toujours de nouveaux conducteurs routiers qui seront payés encore moins cher que les moins bien payés ou les moins bien traités de l'Europe. C'était le cas hier avec l'Espagne et le Portugal, c'est aujourd'hui le cas avec les pays de l'Europe centrale. Nous avons vu comment les failles de la législation européenne permettent à un Willi Betz qui a d'ores et déjà 5.000 camions, de casser les prix en pratiquant des conditions sociales et techniques qui ne sont satisfaisantes pour personne. Il est évident que le meilleur moyen de rééquilibrer le rail et la route, consiste à harmoniser les conditions de travail dans le transport routier et notamment la durée du travail, pas seulement pour les salariés, mais évidemment aussi pour les artisans ou les faux artisans, donc pour l'ensemble des conducteurs routiers. Il est absolument essentiel d'arriver à ce qu'il y ait des règles minimales aussi satisfaisantes que possible pour améliorer le fonctionnement de ce mode de transport.

S'agissant de l'harmonisation sociale et technique, le deuxième point concerne l'interopérabilité du rail classique (puisqu'il existe déjà une directive sur l'interopérabilité du rail à grande vitesse). L'action de la présidence française du Conseil transports, concernera vraisemblablement les problèmes de sécurité, déjà évoqués à l'occasion des conditions de travail, car il existe un lien très direct entre les conditions de travail dégradées du transport routier et une partie de l'insécurité routière.

Par ailleurs, suite au conseil des ministres des 9 et 10 décembre 1999, l'élaboration d'un projet de directive sur la sécurité ferroviaire mérite un traitement tout à fait attentif et particulier, compte tenu de la complexité des rapports entre l'infrastructure, les systèmes de signalisation ou de régulation techniques et les mobiles, les locomotives, les convois. Dans l'esprit de ce qui a été décidé au plan politique le 10 décembre (à 5 heures du matin !), il s'agit de mettre au point une directive qui permette à l'ensemble des compagnies ferroviaires de rouler progressivement sur l'ensemble du réseau transeuropéen de fret ferroviaire, tout en garantissant un très haut niveau de sécurité, ce qui reste quand même la caractéristique et l'atout premier du rail.

En France, le ministre de l'équipement, des transports et du logement a demandé, voici quelques mois, à trois inspecteurs généraux du ministère de rédiger un rapport sur les problèmes de sécurité, sur l'état de la question en France et sur l'organisation qu'il y aurait lieu de préconiser pour notre pays ou les évolutions souhaitables. Je pense que nous disposons ou disposerons d'études assez précises sur ce sujet.

Le troisième sujet à traiter est l'environnement et le développement durable ou plus généralement, la mise au point d'un plan d'action intégrant transports et environnement, dans une perspective de développement durable. On retrouve à nouveau le fait qu'un des moyens les plus efficaces de résoudre les problèmes d'environnement liés au transport, consiste à faire évoluer le partage modal, donc à rééquilibrer entre eux les modes de transport, notamment en faveur des deux modes majeurs que sont le fret ferroviaire, mais également les transports collectifs, urbains et périurbains.

Un livre vert de la Commission sur l'internalisation des coûts externes sera-t-il porté par la présidence française ? Je n'en suis pas sûr, car ces questions sont assez complexes et ce n'est pas forcément en augmentant le coût du gazole que l'on rééquilibrera immédiatement le partage du trafic entre le rail et la route. L'amélioration des conditions de travail dans le transport routier, qui aurait pour conséquence de renchérir un peu le coût de ce mode, serait un premier moyen d'aborder la question de l'harmonisation et de ses coûts externes.

Le dernier point consiste évidemment à faire progresser ce qui s'appelle dorénavant « le paquet rail » et non plus « le paquet infrastructures ferroviaires ». Cela signifie que nous ne sommes plus dans la logique du paquet de M. Neil Kinnock, mais dans la logique des deux conseils d'octobre et de décembre. La procédure suivra son cours. Comme le Parlement européen ne procèdera pas à deux lectures cela peut aller relativement vite. Sous la présidence portugaise, il est possible qu'une position commune soit adoptée sur les trois directives rénovées ferroviaires. De toute façon sous la présidence française, il faudra continuer à avancer, notamment en matière de réseau transeuropéen de fret ferroviaire et plus généralement de révision du schéma de réseau transeuropéen de 1996. A cette occasion, nous pourrons intégrer complètement le réseau transeuropéen de fret ferroviaire dans le champ d'application du chapitre du traité de Maastricht sur les réseaux transeuropéens. Il existe actuellement quelques difficultés, certaines liaisons n'étant pas éligibles à la ligne budgétaire concernant les infrastructures car elles ne figuraient pas dans le seul document qui permette de l'être, qui est le schéma de 1996.

Ce réseau transeuropéen a l'avantage de mettre en évidence les goulets d'étranglement et les points de congestion du réseau. Cela vaut notamment en matière de fret, mais aussi en matière de TER et de grandes lignes. C'est l'ensemble des activités qui souffre des difficultés de passage dans un certain nombre de n_uds du réseau.

Il a été décidé de mettre en oeuvre un programme pluriannuel de résorption de ces goulets avec 200 millions d'euros compris dans la ligne budgétaire infrastructures pour 2000 (il ne s'agit pas d'un supplément). La France étant le pays de transit par excellence, nous pouvons espérer avoir plus que notre pourcentage traditionnel. Hier Réseau ferré de France (RFF) a proposé au ministre de tutelle un programme de 8 à 10 milliards de francs qui pourrait être réalisé au cours des six à sept prochaines années et qui permettrait de résorber la plupart des goulets d'étranglement tels qu'ils sont identifiés en commun par RFF et la SNCF. 4 à 5 milliards de francs seraient portés sur toute une série d'opérations, petites, moyennes ou grosses, et une très grosse opération de contournement de Nîmes et de Montpellier, s'élèverait à elle seule à près de 5 milliards de francs. Il s'agirait en réalité de créer une ligne nouvelle en prolongeant la ligne nouvelle actuelle et en lui donnant une vocation mixte transport de fret et grande vitesse voyageurs.

La directive relative à l'interopérabilité des réseaux classiques devrait également avancer. C'est un sujet très difficile, car on voit bien que lorsqu'on a quatre types de courants, quatre types de signalisations, des gabarits de tunnels variables, etc., vouloir modifier l'existant dans un délai rapide est une gageure. Pour autant, il ne faut pas renoncer à se fixer pour objectif une plus grande harmonisation des caractéristiques techniques des réseaux. La directive sécurité que j'ai évoquée devrait également progresser.

Par ailleurs, le règlement horizontal relatif aux aides d'Etat sera refondu. Il concerne, pour les transports, les conventions de service public prévues par l'ancien article 77 du Traité de Rome, qui est d'ailleurs le seul article où l'on parle de service public. Il est tout à fait légitime que des conventions de service public prévoient explicitement des aides de l'Etat ou des collectivités territoriales pour garantir les objectifs de service, de fréquence et de tarif, que l'autorité organisatrice souhaite mettre en _uvre.

Les transports combinés sont eux aussi concernés puisque c'est un des domaines pour lesquels l'Union européenne reconnaît la légitimité d'un certain nombre d'aides publiques, légitimité reconnue aussi pour l'infrastructure qui, comme il a été conclu lors du débat national de 1996, est une affaire qui concerne d'abord les pouvoirs publics. En France notamment, la réforme ferroviaire a eu pour effet d'augmenter sensiblement les besoins de concours publics pour développer le réseau ferroviaire.

Sont également menées des réflexions sur l'ensemble des modes qui concernent à la fois la tarification et le financement des infrastructures ; cela recoupe en partie le problème précédent. Nous sommes favorables à ce que l'on puisse, comme les Suisses, monter des systèmes de financement solidarisant la route et le rail, par exemple pour les traversées alpines ou les traversées pyrénéennes. Nous devrons être très attentifs à cette question, car il serait fâcheux, si les gestionnaires de tunnels routiers souhaitent participer au montage de tunnels ferroviaires, que des règles européennes s'y opposent.

Le fret ferroviaire a été au centre des préoccupations de la construction européenne au cours des derniers conseils et le sera encore. Je ne parle pas des entreprises ferroviaires qui seront soumises à une plus grande concurrence ; c'est un processus que je ne juge pas et ne commente pas. En revanche, je sais que les gestionnaires d'infrastructures ont seuls sur leur territoire la responsabilité de réaliser le réseau, de l'entretenir et de l'exploiter au mieux. Une coopération nettement renforcée entre ces gestionnaires d'infrastructures sera donc nécessaire pour réaliser des investissements de manière coordonnée dans les programmes, dans la continuité des axes, pour réaliser ces désaturations et cette interopérabilité.

Je prends un exemple : le sillon mosellan est saturé. Or, il est possible d'utiliser un axe plus à l'ouest, qui ne passe pas par Bettembourg au Luxembourg, mais par Athus. Cela intéresse beaucoup les Belges et le port d'Anvers, évidemment cela agace sérieusement les Luxembourgeois. Mais en réalité les Luxembourgeois ne perdront pas de trafic puisque c'est pour écouler un trafic très supérieur que l'on a besoin de développer cet axe de délestage en arrière du sillon mosellan.

Autre question : comment réaliser des itinéraires alternatifs ou de délestage qui soient pertinents à l'échelle de toute l'Europe ? Si tel pays opte pour tel itinéraire et n'a pas de correspondant de l'autre côté, on n'arrivera pas à travailler efficacement.

La tarification d'infrastructures est devenue une question centrale car si, comme malheureusement le Conseil ne l'a pas tranché nettement, les Allemands continuent à avoir une tarification d'infrastructures très élevée, 5 ou 6 fois supérieure à la nôtre pour le fret, ils mettent en réalité en échec le projet de directive, car il s'agit d'une barrière à l'entrée et d'une discrimination grossière. Je pense d'ailleurs qu'il y aura des recours contre cette politique tarifaire allemande, que ce soit de la part des Danois, voire des Néerlandais ou d'autres. Je pense que devant la Cour de Justice, ils ne pourront pas durablement maintenir leur position qui est contraire aux règles du Traité, même si, pour le moment, ils ont réussi à éviter d'avoir à la remettre en cause.

Il convient également de traiter la question de la gestion coordonnée des sillons si l'on veut disposer de bons sillons, de bons acheminements pour le fret avec des vitesses d'acheminement moyennes suffisantes. C'est une des conditions pour que le fret ferroviaire redevienne compétitif à l'échelle de trajets longs, depuis l'Ecosse jusqu'au sud de l'Italie, ou à celle des trajets Est-Ouest de longue portée. Cet élément est vital pour nos ports si l'on veut qu'ils aient un arrière-pays suffisant. L'arrière-pays du Havre par exemple ne doit pas se limiter à Metz, mais atteindre le c_ur de l'Allemagne et aller même au-delà.

La question de la gestion coordonnée des capacités d'infrastructures, des priorités à l'intérieur du réseau, notamment pour le fret qui jusqu'à présent a quand même souvent souffert d'un manque de visibilité et de priorité, nécessite que nous nous rapprochions et que nous travaillions avec nos voisins européens de manière très régulière et intensive. Nous nous sommes déjà rapprochés de DB-NETZ, c'est-à-dire la partie infrastructures de la DB-AG allemande. Nous nous sommes également rapprochés des Italiens qui ont entrepris une réforme similaire à la réforme allemande, des Espagnols, du GIF notamment pour réaliser la liaison franco-espagnole Perpignan/Figueiras, etc. Cette situation est nouvelle ; on parle beaucoup des entreprises ferroviaires qui devront à la fois cogérer et se concurrencer ou qui nouent des alliances du type de celle qui a été conclue entre le fret allemand et le fret hollandais. On parle moins des gestionnaires d'infrastructures qui eux, n'ont pas du tout à être en compétition, ils ont au contraire à coopérer de manière extrêmement intense. Cela veut dire qu'il nous faudra relever ce défi majeur dans un délai rapide.

Nous avons commencé à travailler avec nos partenaires sur les corridors qui étaient l'ancienne formule préconisée par la Commission. Nous avions des corridors à la française, « freightway » ; ils fonctionnent mais ne sont pas un succès total : 2.000 trains en deux ans représentent 3 ou 4 trains par jour, c'est-à-dire 7,5 % des sillons que l'on a offerts sur ces corridors, notamment sur le principal, Anvers-Italie-Espagne. Ils fonctionnent mieux que les corridors en freeway qui ne marchent pas du tout, mais on ne peut pas dire que cela fonctionne parfaitement : si l'on a offert des dizaines de sillons et que seulement trois par jour sont utilisés, ce n'est pas extraordinaire. Mais il faut continuer à essayer de progresser sur ce point et sur l'ensemble des sujets évoqués : l'harmonisation, l'environnement, la sécurité, dont dépend l'augmentation de la part du fret ferroviaire dans les transports de marchandises.

Je peux maintenant répondre aux questions.

M. André Lajoinie, président : Je vais donner la parole à notre rapporteur pour avis des transports terrestres, qui est en même temps, vous le savez, président du Conseil supérieur du service public ferroviaire.

M. Jean-Jacques Filleul : M. le Président Claude Martinand, je souhaite à travers votre intervention mettre en lumière un certain nombre d'aspects majeurs du développement du mode ferroviaire aujourd'hui. Plus personne ne considère le ferroviaire comme un élément mineur des transports en France et en Europe. Cependant, au fur et à mesure que nous découvrons (ce qui n'est pas votre cas, car vous êtes un fin technicien et connaisseur du ferroviaire), et que nous entrons dans le détail de cette industrie, nous observons beaucoup de choses. En particulier, comme on l'a bien vu lors du dernier sommet des transports européens les 9 et 10 décembre derniers, l'effort financier à consentir pour faire en sorte que le transport, en particulier du fret, soit pertinent au niveau européen, me semble considérable et presque du niveau d'un plan Marshall.

Les problèmes d'interopérabilité nécessitent des investissements importants en matière de génération électrique, de sécurité, ou de signalisation, puisque tout est différent ; les histoires des réseaux remontent au début du siècle et c'est donc bien normal. Ces montants financiers sont bien loin de ce que les gestionnaires d'infrastructures, comme RFF, peuvent investir sur le terrain, mais vous nous le préciserez.

C'est à mes yeux un problème majeur aujourd'hui, pour vous aussi sans doute. J'aimerais que vous nous disiez comment vous appréciez cet effort. Vous avez évoqué un certain nombre d'éléments, et posé en même temps des questions. Il me semble que nous devons tous travailler à régler ce problème, sans cela, on continuera d'en parler, mais pendant ce temps, le transport dérégulé, c'est-à-dire le transport routier, continuera d'exister. On sait très bien qu'aujourd'hui, la population surveille ce que l'on fait. Les citoyens de ce pays nous diront le moment venu que nous n'avons pas été efficaces et que nous n'avons pas su trouver les meilleurs moyens pour régler ce problème.

J'en reviens plus spécifiquement à la France : vous avez à gérer des lignes, une infrastructure, des sillons. Il semblerait que les directives européennes tendent à ce que l'attribution des sillons favorise plutôt les gestionnaires d'infrastructures, ce que vous nous confirmerez peut-être. C'est important car cela va en sens inverse des vieilles habitudes qui existent dans notre pays depuis fort longtemps. Il est évident qu'il faut que tout cela se passe dans les meilleures conditions possibles. On constate aussi dans notre pays la nécessité de débloquer un certain nombre de lignes. Etes-vous favorable à des lignes dédiées spécifiquement au fret, et si oui, lesquelles ? Vous avez évoqué les corridors qui ont leur utilité et sont très importants. J'ai en particulier à l'esprit la vallée du Rhône, où se posent beaucoup de problèmes. J'étais partisan de l'ouverture de la ligne de Neussargues-Béziers, comme le ministre, mais elle ne sera pas suffisante. Même si la direction des routes est plutôt favorable à une autoroute, je pense qu'une ligne ferroviaire est préférable.

Par ailleurs, vous n'avez pas parlé de la régionalisation et pourtant le projet de loi, annoncé par M. Jean-Claude Gayssot qui traitera de l'urbanisme et des déplacements devrait normalement la prévoir. J'espère que la régionalisation sera étendue à toutes les régions françaises car il s'agit d'une vraie nécessité territoriale, même si les négociations ne sont pas faciles avec certains présidents de région. Par ailleurs, le décret d'application de la loi créant RFF a donné un cadre très strict aux investissements que cette structure peut réaliser, ainsi les investissements ne doivent pas entraîner de pertes supplémentaires puisque RFF est chargé de gérer une dette très importante. Cela pose problème, quand les régions organisatrices, pour ne parler que d'elles, souhaitent développer les services régionaux. Cela passe par un outil, c'est-à-dire le rail, plus moderne, et suppose un effort d'investissement plus important en matière d'infrastructures ferroviaires. Dans quelle mesure pouvez-vous satisfaire les demandes des régions ?

M. Léonce Deprez : Nous serions heureux d'obtenir de vous des éclaircissements car vous êtes un de ceux qui connaissez le mieux l'ensemble des conditions du développement des moyens de transports.

Premièrement, disposez-vous maintenant de marges de man_uvre vous permettant de faire des propositions compte tenu de la stabilisation de la dette ? Jusqu'à présent, vous n'étiez pas en position d'infériorité, mais vous vous sentiez d'abord obligé de stabiliser la dette et vous portiez le poids du passé. Maintenant, vous sentez-vous en mesure de mieux maîtriser le futur, puisque vous avez stabilisé cette dette ?

C'est une précision qu'il faudrait d'ailleurs exprimer clairement pour qu'on le sache au-delà du petit cercle de la commission de la production et des échanges car c'est important pour l'opinion publique.

Deuxièmement, êtes-vous bien en phase avec le ministre ? J'ai rappelé hier, devant le président de la SNCF que celui-ci nous avait fixé des objectifs en matière d'adaptation du réseau ferré. L'adaptation est un terme large et c'est vous d'ailleurs qui pouvez préciser ce que ce terme recouvre, car vous êtes le technicien, le ministre étant le politique. Cette adaptation devrait coûter plusieurs dizaines de milliards de francs, et, m'a-t-on précisé, devrait courir sur une dizaine d'années. Etant ici la personne qui maîtrise le mieux le sujet, vous pourrez certainement nous apporter des précisions sur ce point.

La troisième question est importante pour nous et pour les différentes régions. Si je comprends bien, RFF est devenu, en ce qui concerne le réseau ferré, le maître d'ouvrage ; c'est RFF qui est porteur des projets, ce n'est pas un autre, pas un autre que nous écoutions hier ni le ministre, c'est RFF.

M. Jean-Jacques Filleul : C'est aussi l'Etat.

M. Léonce Deprez : Oui, mais c'est RFF qui est le maître d'ouvrage. La question se pose en termes d'initiative. Si RFF a un pouvoir d'initiative, quelle est sa capacité, en tant que maître d'ouvrage, de donner suite aux perspectives de développement européen ? J'ai évoqué hier, mais je l'évoque encore plus aujourd'hui, la réunion du 6 octobre à Luxembourg. Est-ce RFF qui, dans la perspective de développement du fret transeuropéen, fera des propositions ?

Je souhaite également soulever un point auquel je suis tout particulièrement sensible en tant qu'élu du Nord-Pas-de-Calais. Compte tenu de ce qui a été évoqué à Luxembourg, dans une perspective de développement du fret, la ligne Tunnel sous la Manche-Boulogne-Abbeville-Amiens est-elle incluse dans vos perspectives ?

Ce sont les trois questions que je souhaitais vous poser, en vous demandant de nous éclairer sur la part que vous prendrez dans les contrats de plan Etat-régions qui sont en cours de négociation. Qui peut avoir le poids nécessaire pour peser sur les décisions finales ? C'est à mon sens RFF, pour adapter le réseau, le moderniser, l'électrifier parfois ou le compléter quand il est insuffisant. Ce rôle est important, pouvez-vous nous éclairer sur votre capacité à le jouer ?

M. Félix Leyzour : Nous avons la chance d'avoir entendu hier le président de la SNCF et d'entendre aujourd'hui le président de RFF. Je ne traiterai pas de l'ensemble des questions ferroviaires, mais les questions que je poserai recouperont celles que j'ai posées hier à M. Louis Gallois. L'objectif qui a été fixé par le Gouvernement, notamment par le ministre des transports, est bien sûr de développer le trafic de voyageurs, mais surtout et c'est là-dessus que je voudrais intervenir, de doubler dans les dix ans qui viennent le fret ferroviaire. Doubler le fret ferroviaire, cela veut dire aussi le doubler dans le cadre du doublement du trafic, qui continuera évidemment de progresser. Nous aurons l'impression que rien n'aura changé, puisque le trafic aura doublé, et à l'intérieur de ce doublement, on aura doublé le fret. Je crois que ce n'est pas tout à fait la réalité. Nous en avons débattu hier et en fait, les choses auront changé, pour deux raisons : si on ne double pas le fret, la situation sur la route sera plus que catastrophique ; et deuxièmement, le doublement du fret donnera lieu à un dégagement de la route pour la partie du trafic le plus lourd et à plus grande distance. Par conséquent, les répercussions seront sans doute plus intéressantes qu'un doublement « brut » ; de ce point de vue, c'est intéressant.

Mais pour atteindre cet objectif, il convient d'intervenir dans deux domaines ; l'un concerne la SNCF et l'autre RFF. Le premier aspect a trait à l'amélioration de la démarche commerciale de la SNCF. Imaginons qu'à réseaux constants, infrastructures constantes, la SNCF ait une démarche commerciale plus dynamique ; il est évident, comme nous l'a dit M. Louis Gallois hier, que la part du fret ferroviaire augmenterait.

Et il y a le deuxième aspect, celui de l'amélioration des infrastructures. Dans ce domaine, il y a évidemment beaucoup à faire. J'ai entendu mon collègue M. Jean-Jacques Filleul, qui parlait d'une sorte de plan Marshall concernant les infrastructures. Cela signifie en fait que le secteur nécessite des investissements considérables. Alors, en ayant pour but des infrastructures rénovées, modernisées, la grande question est de savoir comment nous avancerons et à quel rythme.

Considérons le plan national : nous sommes aujourd'hui dans un cadre bien précis, on ne discute pas « hors du temps ». Nous entrons aujourd'hui dans la période des contrats de plan Etat-régions qui porteront sur sept ans, de 2.000 à 2.006. Dans les contrats qui lient l'Etat et les régions, le volet ferroviaire est beaucoup plus important que par le passé, c'est donc un point extrêmement positif.

M. Claude Martinand : Dix fois !

M. Félix Leyzour : C'est considérable.

M. André Lajoinie, président  : Il était faible.

M. Félix Leyzour : Bien sûr, on trouvera toujours des gens pour dire que epsilon multiplié par dix reste epsilon, mais je crois que cette multiplication par dix est considérable. Cela ne veut d'ailleurs pas dire qu'il n'y a pas des choses à faire en ce qui concerne la route ; dans le cadre des contrats de plan, le volet ferroviaire portera sur la désaturation d'un certain nombre de gares, sur des opérations de contournement, ou sur des améliorations au niveau de passages à niveau. De nouvelles lignes ou des doublements seront-ils créés ?

J'aimerais en outre que vous nous indiquiez quelles sont les grandes opérations relevant d'une stratégie nationale qui, comme j'ai cru le comprendre, peuvent être traitées en dehors des contrats de plan.

Sur le plan national, il me semble également intéressant d'avoir une idée sur l'état de la dette et la manière dont on la réduira.

Deuxièmement, au plan européen, quels sont les types de financements dont on peut bénéficier pour améliorer le réseau ? Il existe des fonds européens ; peut-on imaginer un emprunt européen ? Car il y a énormément à faire dans ce domaine ; donc, parallèlement à la réalisation de nouvelles infrastructures, il y aura aussi le problème de l'harmonisation, dont vous avez parlé précédemment. C'est dans ce cadre que je vois les choses. Nous en avons discuté hier avec M. Louis Gallois. Il ne suffit pas de se donner des objectifs ambitieux ; la grande question est de savoir comment les atteindre. Car même en fixant des objectifs considérables, ils sont tellement considérables que l'on peut parfois décourager ceux qui veulent avancer pour les atteindre. Cette démarche est certes pragmatique, mais elle tient compte des réalités du terrain.

M. Jean-Claude Etienne : Beaucoup ont parlé ici d'un plan Marshall pour réussir l'opération fret, même dans son simple doublement. Effectivement, des investissements considérables seront nécessaires. Mais si l'on parle de plan Marshall, j'ai envie de vous demander : « où sont vos Américains » ? Qui paiera ? L'Etat donnera sa part, probablement ; mais RFF est encadré dans ses investissements puisque ceux-ci doivent parvenir à une certaine rentabilité. Que peut-on attendre des Européens ?

On sait que parfois, au moins dans le domaine de l'électrification, des entreprises comme EDF proposent leurs services mais c'est peut-être vous qui disposez. Alstom se propose également ; y a-t-il une place pour ces entreprises dans la cohorte d'investisseurs potentiels mais pas toujours retenus ?

Ma deuxième question concerne la régionalisation. Autant dans les contrats de plan nous voyons à peu près ce que nous pouvons faire en matière de trafic de voyageurs, autant il est évident qu'il n'est pas possible à une région, quelle qu'elle soit, de définir seule une stratégie de trafic de fret. En effet, le fret ne concerne pas seulement des transports sur de petites distances où précisément le rail n'est pas le mode le plus compétitif mais aussi les grandes distances et par définition, sur les grandes distances, il faut compter avec nos voisins et nos partenaires les plus lointains. Pour que les régions puissent élaborer une stratégie d'investissement dans le transport ferroviaire du fret, elles doivent pouvoir se situer par rapport à la toile générale que vous entendez tisser, non seulement à l'échelon de l'hexagone, mais aussi à l'échelon européen. Plus particulièrement, pour des lignes comme le Paris-Bâle, (veuillez m'excuser du détail), comment voyez-vous les choses ?

M. Claude Martinand : Le budget prévisionnel pour 2000 de RFF a été adopté la semaine dernière. Je l'ai présenté à des journalistes, mais il y a malheureusement beaucoup d'erreurs dans ce qui est repris dans les journaux ... Ce sont des sujets difficiles.

On peut dire aujourd'hui que nous avons une bonne visibilité, qui nous a été assurée par des décisions sur trois ans du Gouvernement en matière de dotations en capital et d'évolution des redevances d'infrastructures . On peut prévoir que la dette sera certainement stabilisée en 2001. Les premières années, cette dette augmentait encore de 6 milliards de francs et même 8 milliards de francs en 1998. Elle a augmenté de 3,3 milliards de francs cette année et cette hausse sera de 1,1 milliard de francs l'an prochain. On atteint donc l'asymptote. Cela signifie que RFF empruntera moins que ce qu'il remboursera, c'est-à-dire qu'il atteindra la même situation que la dette de l'Etat qui va peut-être commencer à essayer de réduire sa propre dette.

Comme notre dette est souvent assimilée à de la dette d'Etat, les critères de Maastricht ont amené le Gouvernement à choisir cette solution. C'est satisfaisant, c'était le premier objectif que l'on nous avait fixé.

Nos comptes gardent évidemment assez mauvaise allure, car nous avons encore une dizaine de milliards de francs de pertes annuelles. Mais, dans ces 10 milliards de francs, plus de 9 milliards de francs sont dus aux frais financiers de la dette. Notre résultat d'exploitation, qui traduit notre activité économique, se rapproche de zéro ; notre excédent brut d'exploitation a triplé depuis 1997 et est positif, supérieur à 3,7 milliards de francs. Un certain nombre d'indicateurs économiques montrent donc que nous apurons le passé. Pour autant, nous n'avons pas, comme certains le craignaient, investi de manière insuffisante. Certes, vous pourrez constater qu'en 2000, nous connaîtrons un point bas, qui est dû à l'achèvement du TGV Méditerranée et au fait que les travaux du TGV Est ne commenceront véritablement qu'en 2001 et 2002. En outre, les contrats de plan, qui représentaient une part relativement limitée de nos investissements jusqu'à présent, monteront relativement en charge, mais la durée de cette montée en charge nous mène plutôt en 2001 ou 2002. En 2000 les investissements s'élèveront à 10,2 milliards de francs mais ils atteindront 12 milliards de francs en 2001 et plus de 13 milliards de francs en 2002 et ceci avec une part de financement sur fonds propres de RFF qui sera réduite à 7 milliards de francs.

C'était le deuxième objectif que nous avait fixé le Gouvernement : dans les investissements de RFF, la part d'autofinancement ou de fonds propres doit être plafonnée à 7 milliards de francs. Malgré cette contrainte, dès 2001 et 2002 nous remonterons les investissements à des niveaux supérieurs à ceux que nous avons trouvés quand nous sommes arrivés et ceci de manière saine, c'est-à-dire avec des financements publics suffisants pour assurer le renouveau du transport ferroviaire et préparer l'avenir. Essentiellement grâce à l'effort considérable du Gouvernement, nous avons pu à la fois réaliser l'apurement du passé et préparer le développement du transport ferroviaire. L'ensemble des milieux socio-économiques et des pouvoirs politiques considèrent maintenant comme une nécessité le renouveau de ce mode de transport si l'on ne veut pas aller vers le « trop routier ». Le mode routier gardera évidemment un rôle très important et même prépondérant, mais je crois que le rééquilibrage apparaît à la majorité des gens comme indispensable.

Cet effort financier en matière d'investissements sera-t-il suffisant ? Compte tenu de la deuxième enveloppe de la part de l'Etat dans les contrats de plan qui s'élève à plus de 8 milliards de francs et compte tenu de ce que l'on voit s'esquisser de la part des régions et d'autres collectivités territoriales, (car des conseils généraux ou des agglomérations participeront financièrement à un certain nombre d'opérations qui les intéressent), près de 20 milliards de francs de crédits publics seront inscrits dans les contrats de plan Etat-régions, sans compter les TGV et quelques opérations qui feront l'objet de contrats particuliers parce qu'elles chevaucheront deux plans ou parce qu'elles ne sont pas encore totalement au point et seront donc hors contrat de plan Etat-régions.

On peut noter en revanche que, à l'exception d'une opération dont la rentabilité stricte et la capacité d'autofinancement apparaissent plausibles, qui est la liaison directe Paris Gare de l'Est-Roissy pour les usagers du transport aérien, aucune opération ne peut être financée entièrement par les opérateurs ferroviaires, c'est-à-dire qu'il y aura cofinancement et donc codécision. Si nous sommes amenés à engager des moyens financiers dans les contrats de plan à hauteur de 15 à 20 %, un peu plus ici parce qu'il y a de la régénération, un peu moins là car les opérations ne génèrent pas de recettes supplémentaires pour RFF, nous pourrons difficilement imposer nos vues à ceux qui fourniront au moins 80 % des financements. RFF joue donc son rôle en essayant de bien éclairer les choix publics et de préciser les possibilités mais ce sont l'Etat et les régions qui font les choix principaux.

Dans ce cadre où nous sommes certes le maître d'ouvrage, beaucoup de choix qui sont d'intérêt général relèvent des pouvoirs publics, soit de l'Etat seul quand celui-ci met au point une déclaration d'utilité publique, soit de l'Etat et des collectivités territoriales lorsqu'ils cofinancent les opérations, ce qui est le cas pour la plupart d'entre elles.

Quand j'ai entamé les discussions, la plupart des régions estimaient que le fret n'était pas leur affaire mais celle de l'Etat, de RFF et de la SNCF. Nous leur avons fait comprendre que le développement des transports régionaux de voyageurs nécessitait de permettre simultanément le développement du fret. Elles sont donc très directement concernées par la question du fret, au-delà de l'intérêt économique que ce dernier peut avoir pour un certain nombre d'entre elles qui disposent de grands ports, de grandes plates-formes logistiques ou de grands chantiers de transports combinés. La liste d'opérations que j'ai transmise hier au cabinet du ministre, à la direction des transports terrestres et à Bruxelles via notre organisation commune des chemins de fer, montre que la plupart des opérations nécessaires à une première étape de la désaturation du réseau sont inscrites dans les contrats de plan.

De premiers travaux de désaturation sont entrepris dans la plaine d'Alsace ; en Lorraine, des travaux sont menés à la fois sur le sillon mosellan actuel et sur la voie de délestage en arrière de ce sillon. En direction de l'ouest et de la Haute Normandie, nous entamons l'itinéraire de contournement de la région parisienne par Amiens vers Reims et Metz. Nous voulons, nous aussi, et nous avons obtenu, que l'on inscrive dans le réseau transeuropéen la liaison Tunnel sous la Manche-Boulogne-Amiens pour rejoindre ce grand itinéraire de contournement. L'artère Nord Est ne deviendra pas inutile car il est évident que la majorité du fret continuera à passer par cet axe qui est la grande artère industrielle du temps des mines de charbon et des mines d'acier. Mais comme elle sera extrêmement saturée par le développement des TER de la région Nord-Pas-de-Calais, nous y ferons d'importants investissements ; il faut en même temps qu'existent des possibilités d'itinéraires bis.

Le ministre a obtenu au cours du Conseil des ministres que l'on puisse jouer sur la tarification d'infrastructures pour rendre compétitifs ces itinéraires qui sont en général un peu plus longs et un peu moins bien équipés. Par le jeu de la tarification, les transporteurs ferroviaires peuvent avoir intérêt à les utiliser malgré tout, y compris dans certains cas en instaurant un péage nul, comme nous l'avons proposé dès l'origine sur la ligne Clermont-Ferrand/Béziers.

On peut peut-être dire que le niveau d'investissement reste malgré tout insuffisant. Pourquoi ? Parce que l'essentiel des efforts consiste à financer différemment de la situation antérieure un niveau d'investissements comparable. En revanche, c'est le redéploiement des priorités qui est très important : moins de lignes nouvelles, plus d'investissements sur le réseau classique, aussi bien pour le fret que pour les transports urbains, périurbains et les grandes lignes. Si je prends l'exemple de la Bretagne, nous avons, d'une part, évidemment poussé le réseau transeuropéen jusqu'à Rennes, c'était le minimum ; je ne pense pas qu'il y ait un problème de saturation majeur jusqu'à Brest ou Quimper. D'autre part, pour le développement et l'amélioration de la desserte pour les voyageurs de Quimper et de Brest, la part de RFF dans les financements a été mise au point la semaine dernière avec les responsables de la région. Notre part, significative, permettra à terme, lorsque le TGV sera arrivé à Rennes en ligne nouvelle, l'aménagement de la ligne pour des TGV pendularisés jusqu'à Quimper et Brest. On atteindra ainsi le seuil des 3 heures fatidiques. La mise en _uvre de ce projet prendra certainement plus de six ans, mais je pense que dans un délai de deux plans, nous aurons atteint l'objectif souhaité par les Bretons, surtout ceux qui sont le plus loin dans le Finistère.

M. Félix Leyzour : Il est intéressant de ne pas attendre que le TGV arrive à Rennes pour gagner du temps entre Rennes et l'extrémité de la Bretagne car le temps gagné pour aujourd'hui l'est aussi pour demain.

M. Claude Martinand : C'est ce qui est prévu. Dès le XIIème Plan, nous débuterons les aménagements de manière assez substantielle, 400 millions de francs étant dédiés à la ligne nord est et 400 millions de francs à la ligne sud, sans compter l'aménagement Rennes/Saint-Malo. Le contrat de plan sera assez consistant et j'espère que la région Bretagne commencera à développer ses propres services régionaux qui, jusqu'à présent, n'ont pas fait l'objet d'efforts considérables ; c'est un euphémisme ! On constate une attitude positive et d'ailleurs consensuelle en Bretagne, sur ces questions.

Nous dépasserons donc les 12 milliards de francs annoncés par le ministre, soit 120 milliards de francs sur dix ans ; en effet, compte tenu du niveau des contrats de plan, je pense que nous risquons de dépasser cette somme, compte tenu des TGV, même si tous ne se concrétiseront pas avant la fin du plan. Cela dépendra des négociations que l'on engagera au fur et à mesure de l'avancement des différents projets concernés.

Il est sûr que j'ai beaucoup de mal à expliquer les règles que l'on nous a imposées (le fameux article 4 qui nous interdit de financer des opérations susceptibles de dégrader nos comptes) qui sont pourtant une protection nécessaire. Si l'on veut éviter les erreurs antérieures, il faut élever une barrière très stricte, sans être toutefois obligé de s'y conformer de manière trop rigide. Mais il est vrai que lorsque j'explique à certains interlocuteurs que telle opération ayant pour RFF une rentabilité nulle au plan financier on ne peut pas y contribuer financièrement, c'est un peu difficile. Heureusement, sur d'autres opérations, nous pouvons financer à hauteur de 20 à 30 %, voire plus dans certains cas. J'essaie actuellement d'achever les discussions avec l'ensemble des présidents de régions ou leurs services de manière à leur préciser le montant que RFF pourra dégager pour chaque contrat.

Prenons l'exemple du Nord-Pas-de-Calais, le président Delebarre a déclaré : « je donne un franc pour un franc de l'Etat, de RFF et de la SNCF ». En effet, la SNCF investit également dans les gares, ou un certain nombre d'autres équipements. La réponse à la question est vitale pour terminer les tours de table de ces contrats de plan. Plus on investit, plus cela me réjouit, d'une certaine manière, car plus nous contribuons au développement du transport ferroviaire, et plus la région Nord-Pas-de-Calais investira.

M. le président Etienne, en région Champagne-Ardenne, les discussions devraient bientôt porter sur l'étoile Reims, Epernay, Châlons en Champagne. La fameuse ligne Paris-Troyes-Bâle est un sujet plus difficile ; je ne suis pas sûr qu'EDF et Alstom puissent apporter l'argent nécessaire à cette opération, ils peuvent fournir un certain nombre d'idées en ce qui concerne la conception ou le montage, qui méritent l'attention. Nous allons d'ailleurs lancer cette semaine une consultation sur la desserte à haute tension de la ligne TGV Est, à laquelle EDF et Alstom répondront conjointement. Nous verrons s'ils apportent un « plus ». Mais ne pensez pas que ce sont des philanthropes ; ils sont engagés dans des développements internationaux considérables, et ont besoin de beaucoup de capitaux, ils ne subventionneront pas votre opération. Ceci dit, on peut regarder si leur intervention apporte dans le montage un « plus » par rapport à un montage classique. Je répondrai à votre courrier dans les prochains jours.

J'ajoute qu'un de nos efforts majeurs consiste à essayer, pour un montant donné d'investissements, de choisir les investissements et de les optimiser, de manière à atteindre l'efficacité la plus grande possible. Dans un certain nombre de régions, la méthode que nous avons impulsée a conduit à des résultats notables. Si je prends l'exemple de l'axe Paris-Limoges-Toulouse, le coût initial des infrastructures était de 2 milliards de francs. Nous avons ramené l'évaluation à 600 millions de francs pour un projet qui atteint 95 % de l'objectif qui était assuré par 2 milliards de francs ; je crois que c'est quand même spectaculaire. Nous avons énormément à faire pour essayer de phaser les investissements et choisir par quels investissements il est le plus efficace de débuter. Si l'on sait que telle minute gagnée coûte tant d'argent, il vaut mieux commencer par les minutes gagnées les moins chères que par les plus chères. Et peut-être qu'à un moment donné, il faut s'arrêter, car la minute gagnée supplémentaire devient hors de prix. C'est ce genre de chose, très simple, que nous faisons, en étroite liaison avec la SNCF, afin d'essayer de faire plus avec moins. Mais il n'y a pas de miracle, le niveau d'investissements ferroviaires doit être suffisant. Peut-être n'avons-nous pas atteint le niveau des Allemands, qui dépensent trois fois plus que nous. Mais il est vrai qu'ils avaient moins de lignes nouvelles et qu'ils essaient de rattraper leur retard ; en outre, les investissements sur l'ancienne Allemagne de l'Est sont extrêmement lourds.

S'agissant de la gestion des capacités, d'après les textes existants, nous sommes aujourd'hui décideurs des sillons des nouveaux entrants, ce qui nécessite évidemment de faire instruire le dossier par la SNCF, puisqu'il y a une interaction complète entre ses sillons et ceux d'un éventuel nouvel entrant. Pour le moment, il n'y a pas eu de demande ; la directive de 1991 n'a eu aucun effet. Peut-être que la nouvelle manière dont la France a proposé de reprendre le dossier conduira enfin à ce qu'il se passe quelque chose, car l'enjeu est de développer le fret ferroviaire. Il ne s'agit pas de libéraliser pour libéraliser, il faut qu'il se passe quelque chose effectivement sur le terrain.

Dans les nouvelles directives telles qu'on arrive à les comprendre, car souvent elles ne sont encore qu'en anglais et les traductions ne sont pas précises, ce qui s'est passé les 9 et 10 décembre n'est pas encore totalement clarifié. Chacun interprète les textes à sa façon, et peut-être y aura-t-il des écarts entre le texte final et ce que les uns et les autres en diront. Il est probable que le gestionnaire des infrastructures soit le gestionnaire des capacités, sauf à créer un troisième acteur qui serait exclusivement un régulateur ; je ne sais pas si cela profiterait à la France et au chemin de fer.

Finalement, la solution française est assez originale : si RFF a le pouvoir de décision, en réalité, la SNCF est aussi fortement impliquée. Il faut réussir à démontrer qu'elle n'est pas juge et partie dans l'attribution de sillons à ses concurrents et que la décision finale ne relève pas d'elle et en même temps maintenir l'unité d'approche au sein d'une entreprise qui garde une certaine intégration, notamment pour des questions de sécurité. Je pense que la solution française se situe dans l'esprit communautaire et est originale ; aucune autre en effet ne lui ressemble. Il nous faut convaincre nos partenaires de l'intérêt de cette solution qui laisse la sécurité opérationnelle à l'opérateur ferroviaire, mais permet à des entités extérieures de garantir que la décision sera prise de manière non discriminatoire et aussi objective que possible. Cette solution est meilleure que celle consistant à avoir « Rail Track » d'un côté, les opérateurs de l'autre. Cette question de la gestion des capacités mérite aussi de ne pas être séparée de celle des investissements de désaturation, car il y a un lien très étroit entre la gestion des capacités, les investissements de désaturation et la tarification de l'infrastructure si on veut faire jouer à cette dernière un rôle d'incitation.

J'estime qu'il est plus efficace de lier ces trois questions plutôt que de les distinguer ; leur traitement par des acteurs distincts nous ferait perdre en efficacité. En revanche, il faut maintenir le rôle central de la SNCF dans le fonctionnement opérationnel et quotidien du système car toute séparation excessive conduirait, me semble-t-il, à de grandes difficultés.

Il est certain que doubler le fret sur la partie des trafics pouvant être transférée sur le rail n'aboutirait qu'à un maintien de la part de marché de ce mode. Mais, depuis 1974, la part de marché du fret ferroviaire ne cesse de diminuer ; son doublement infléchirait totalement la courbe ; peut-être même qu'au moins dans un certain nombre de cas, doubler le fret n'est pas assez ambitieux. Mais essayons déjà d'atteindre cet objectif qui est un défi majeur, dont je dirai qu'il dépend avant tout de la qualité de service, c'est-à-dire du système de production de la SNCF et de sa démarche commerciale plus que des infrastructures, même si des choses restent à faire dans ce domaine. En effet si la SNCF offre une qualité de service et des prix compétitifs, elle n'aura pas de mal à vendre ses produits. Après, il faudra régler un certain nombre de problèmes d'infrastructures ainsi que la question majeure des priorités à l'intérieur du réseau.

Doubler le fret, n'est pas si ambitieux que cela, effectivement, notamment pour les traversées pyrénéennes. On parle toujours des traversées alpines mais savez-vous qu'il passe plus de poids lourds à travers les Pyrénées qu'à travers les Alpes françaises ? Les gens n'ont pas encore perçu cela. La part du fer à travers les Pyrénées est dérisoire, elle est de 5 % ; à travers les Alpes, elle est quand même beaucoup plus importante. Allons à Modane, nous verrons le nombre de trains qui passent et il peut en passer deux fois plus en réalisant les premiers investissements prévus, qui démarreront dès l'année prochaine.

M. André Lajoinie, président : Qu'est-il prévu pour débloquer cette situation dans les Pyrénées ?

M. Claude Martinand : Des moyens ont été inscrits dans le contrat de plan Aquitaine pour la zone Bayonne-Irun. Une gestion coordonnée permettra d'accroître sensiblement les capacités. Un certain nombre d'investissements limités à Bayonne-Irun sont prévus. Surtout, le Perpignan-Figueiras qui est mixte, (fret et voyageurs) doublera la capacité de passage, à l'autre extrémité. Le président Malvy a organisé récemment un colloque sur le sujet de la traversée centrale des Pyrénées. La prospective est nécessaire ; personne ne peut dire si dans quinze ans ou vingt ans, il ne faudra pas réaliser un autre tunnel, ce qui fait un peu peur, car plus de 50 kilomètres, représentent encore quelques dizaines de milliards de francs. Nous avons déjà du mal à savoir comment financer le Lyon-Turin ; mais en même temps, dans une projection à 20 ans, il n'est pas forcément inutile d'envisager un tel projet.

M. Léonce Deprez : A la lumière de tout ce que vous nous avez expliqué sur la stabilisation de la situation et dans la perspective du développement européen du fret, avez-vous aujourd'hui planifié sur une carte vos possibilités d'interventions, qu'il s'agisse de modernisation, d'électrification, ou de lignes nouvelles, pour que l'on voie clair dans votre politique à travers le territoire français, sur dix ans ? Ce problème est peu perçu au niveau des régions, ces dernières n'étant guère sensibles au fret. En revanche, le fret peut faciliter le trafic des voyageurs dans la mesure où sa progression peut permettre une évolution favorable au trafic voyageurs sur les mêmes lignes. Une visibilité de vos projets sur dix ans serait un élément appréciable.

M. Claude Martinand : Nous attendions de connaître les montants des enveloppes des contrats de plan pour savoir ce qu'elles contiendraient pour les 7 ans qui viennent et au-delà. Il faut comprendre que nous avons un gros handicap par rapport à la route : la route a un stock d'études prêtes et de procédures terminées. Si on appuie sur le bouton, on rajoute une tranche de 1 milliard, cela part tout de suite. Malheureusement, comme les cheminots eux-mêmes avaient fini par ne plus croire à des investissements sur le réseau classique, peu de nos projets sont prêts et peu de procédures sont engagées. Nous avons donc, avec Louis Gallois, un défi considérable à relever. Nous ne devons pas décevoir les élus qui voteront ces crédits ferroviaires, nous devons montrer que nous engageons le maximum d'opérations le plus rapidement possible, d'autant plus qu'à mi-plan nous en ferons le bilan. Si nous n'avons pas largement engagé le contrat de plan, on dira « vous n'êtes pas sérieux, nous redéployons les crédits en faveur du rail et vous ne les consommez pas ! ». Nous en sommes vraiment conscients. Il est donc nécessaire de mettre en place des moyens d'études, des moyens de conduire des procédures souvent complexes à une vitesse tout à fait différente de celle du passé, y compris en faisant appel à la sous-traitance, etc., pour relever ce défi majeur et pour répondre à l'attente des populations, car il y a des urgences absolues. Ainsi, nous avons résolu le problème du financement du « n_ud de Bordeaux », et la région Aquitaine est pressée car elle ne peut pas développer les TER vers Périgueux et Saint-André-de-Cubzac car on ne passe plus ; il est donc urgent de désaturer le nord de Bordeaux, refaire la passerelle, etc.

Dans chaque région, des n_uds saturés existent comme à Toulouse, la gare Matabiau. On ne réalisera pas le contournement fret de Lyon durant le XIIe Plan, car rien que pour mener les études et les procédures d'enquête d'utilité publique nécessaires il faudra au minimum douze ans. Avec tous les ennuis que nous aurons certainement et les travaux, nous sommes contraints de faire des propositions qui puissent être mises en _uvre dans les trois ou cinq ans. Cela ne veut pas dire que l'on renonce à réaliser un contournement fret de Lyon, bien au contraire. Nous proposerons comme d'ailleurs l'avait proposé M. Jacques Rebillard, député de Saône-et-Loire, de réutiliser une ligne qui a un assez bon profil en long et qui passe à l'ouest de Lyon, à Paray-le-Monial et à Lozanne, pour aboutir sur la ligne dédiée au fret de la rive droite de la vallée du Rhône. Ce n'est pas la panacée, mais cela donnera au moins une possibilité de délestage pendant un certain nombre d'années avant que ne soient trouvées des solutions beaucoup plus conséquentes, mais à un horizon de dix ou quinze ans. Il existe là une dynamique.

Que peut-on faire à court terme ? Des dispositions permettent d'améliorer la situation, simplement en gérant différemment les circulations ou en évacuant des circulations parasites aux heures de pointe, etc. Par ailleurs des investissements limités, de l'ordre de 100 à 200 millions de francs permettront également de fluidifier le trafic. C'est ce que nous ferons sur Dijon-Modane, à Modane, à la gare de Culoz, à la gare d'Ambérieu, à Dijon, au shunt de Pérrigny, etc. A Lyon, si le shunt de Saint-Fons est réalisé, nous éviterons que tous les trains de fret qui viennent du sud retraversent la partie saturée de Lyon, remontent à Ambérieu pour redescendre à Chambéry et aller à Modane, c'est-à-dire passent dans une zone extrêmement chargée. Si l'on arrive grâce au shunt de Saint-Fons à dévier une partie du fret celui-ci ne transitera plus par cet axe saturé mais passera directement au-delà de Chambéry par d'autres liaisons.

Comme vous le voyez, il faut utiliser l'ensemble du réseau. Pour mieux utiliser l'existant, il est vital de maintenir les investissements de régénération du réseau pour que celui-ci fonctionne le mieux possible, qu'il soit aussi disponible que possible et qu'il y ait le moins d'incidents possible. Cela suppose toute une série d'investissements comme le renforcement de l'alimentation électrique que nous essayons de programmer en commun avec la SNCF pour apporter des réponses rapides et efficaces aux problèmes et éviter les délais trop importants.

Nous disposons effectivement de cartes, mais nous ne les avons pas rendues publiques tant que les projets n'étaient pas encore définitifs. Ces cartes nous permettent de visualiser les opérations qui intéressent les grandes lignes, celles qui intéressent les TER, les opérations de fret ou les opérations mixtes. Je vous communique la liste des opérations de désaturation de fret que nous avons proposées hier, avec des montants et des délais de mise en _uvre (indicatifs). Vous pourrez l'annexer au compte rendu et nous essaierons de vous envoyer des cartes assez vite, car effectivement, une carte vaut mieux qu'un long discours.

Je terminerai avec la régionalisation. Nous ne sommes qu'indirectement concernés, mais je constate que les régions voudraient avoir la garantie que la politique tarifaire ne bouleversera pas l'économie de leurs contrats avec la SNCF et n'ira pas à l'encontre des principes de la décentralisation selon lesquels il n'y a pas de transfert de charges sans transfert des ressources correspondantes.

Dans le code général des collectivités territoriales, il est disposé en gros que « tout bouleversement des conditions dans lesquelles s'est effectuée la décentralisation, même plusieurs années après, doit donner lieu à rediscussion ». Peut-être un article du projet de loi bientôt présenté par M. Jean-Claude Gayssot renforcera-t-il cette règle. J'ajoute que l'on modifiera la tarification, en barème, pas en montant, à l'occasion de la régionalisation, de manière à rationaliser ce barème qui est pour le moment  un peu « baroque ». Pourquoi ? Parce qu'il est totalement conditionné par la situation de l'Ile-de-France, où la tarification est faite au coût complet, alors qu'ailleurs, elle est plutôt au coût marginal. Nous allons remettre cela en ordre, en garantissant qu'au transfert de responsabilité, seront associées les ressources correspondant au péage à l'instant t.

Les péages évolueront-ils brutalement ? Tout d'abord, ce n'est pas à RFF, mais à l'Etat d'approuver les péages ; il faut bien avoir à l'esprit que RFF n'a qu'un pouvoir de proposition. Il est important de proposer, mais je ne crois pas à un bouleversement du niveau des péages à un horizon prévisible. Nous sommes très proches au fond de l'esprit des projets de directive européenne sur la tarification, puisque nous facturons à peu près au coût marginal. La prise en compte, dans cette tarification, des aspects sociaux et du coût du développement, relève d'un autre débat : fait-on financer une partie du développement par les usagers quand il y a saturation ? Sans doute, mais sans abus.

Je ne crois donc pas à un bouleversement des péages. J'ajoute qu'aux termes de la directive, la somme du niveau des péages et des contributions aux charges d'infrastructures votées dans le budget et versées à RFF ne doit pas excéder le coût complet de la gestion du réseau, ce qui constitue pour nous une barrière infranchissable. Il n'y a donc en définitive aucune raison d'accroître brutalement les péages un jour.

En revanche, je fais la proposition suivante à un certain nombre de présidents de régions : si les péages sont très bas, comme c'est le cas actuellement sur l'essentiel du réseau (le péage actuel s'élève à 1,50 franc le train/kilomètre, c'est-à-dire à peine plus qu'un seul poids lourd sur autoroute), et si l'on est amené à faire des investissements lourds, le péage étant très bas, notre rentabilité est très faible ; s'ils veulent que nous augmentions notre part d'autofinancement dans l'investissement, nous leur proposons de contribuer davantage tout de suite, en échange d'annuités plus élevées pour eux après la mise en service. Ce marché est transparent. S'ils le refusent, nous nous inclinerons. Mais un certain nombre de présidents de région ont dit « oui, nous pensons qu'il faut changer de catégorie de tarification car l'effort que l'on fera en termes d'investissements justifie que l'on soit à un niveau de tarification un peu plus élevé ».

C'est la seule chose que l'on puisse faire dans le cadre des règles qui nous ont été fixées.

M. Jean Proriol : J'aurais aimé vous poser deux ou trois questions ; j'ai lu dans la Tribune ce matin un titre choc, je ne sais pas si tout le monde l'a lu « RFF a perdu 1,5 milliard d'euros ».

M. Claude Martinand : Il était infidèle.

M. Jean Proriol : Je n'ai pas lu le fond de l'article. C'était tellement gros que je vous pose la question ; c'est la première. Voilà la deuxième : nous avons parlé de régionalisation ; vous savez que la capitale de l'Auvergne est mal desservie, le trajet Paris-Clermont-Ferrand s'effectuant en 3 heures et quart. Cette ligne fait-elle partie de vos priorités ? On nous dit que la SNCF préfère la ligne Clermont-Lyon ; on nous dit que le ministre des transports préfère la ligne Clermont-Béziers, d'autres Clermont-Nîmes, d'autres encore Clermont-Vierzon. Je suis récemment allé à l'hôtel de ville de Montluçon, où on m'a beaucoup parlé de cette petite ligne Clermont-Vierzon-Bourges-Paris. Quelle est votre position, notamment sur la ligne Clermont-Béziers en fret ?

M. Claude Martinand : Vous vous souvenez que la SNCF, en 1995 ou 1996, enregistrait 15 milliards de francs de pertes et même en réalité 17 milliards de francs car l'opération « Télécom développement » avait diminué de 2 milliards de francs cette perte. Nous avons donc débuté notre activité alors que le système ferroviaire enregistrait des pertes considérables. Ce déficit n'a pas disparu, il ne s'est pas évaporé par l'opération du Saint-Esprit, vous vous en doutez. Mais la SNCF est proche de l'équilibre, elle clôturera même ses comptes à l'équilibre, avec ou sans le SERNAM, je n'en sais rien. Mais elle terminera l'année avec d'excellents résultats en matière de trafics et c'est tant mieux. Cela ne nous rapporte rien de plus, car ce qui compte pour nous ce sont les circulations et non pas le nombre de voyageurs ou de tonnes/kilomètres. Mais si on parle de pertes proches de 10 milliards de francs c'est qu'elles sont déjà passées de 15 à 10 milliards de francs. J'expliquais que sur ces 10 milliards de francs, les pertes d'exploitation ne représentent qu'un milliard de francs ; c'est-à-dire que le résultat d'exploitation n'est plus négatif que de 1 milliard, alors que l'excédent brut d'exploitation a triplé, pour s'élever à plus de 3,5 milliards de francs. Ces deux indicateurs, résultat d'exploitation et excédent brut d'exploitation, ont évolué très favorablement. Le Figaro a d'ailleurs récemment publié un graphique à ce sujet et titré : « RFF sur la voie du redressement ».

En revanche, si vous y ajoutez les frais financiers qui pèsent sur nos épaules avec près de 160 milliards de francs de dettes, vous expliquez les 9 autres milliards de francs de pertes. Vous voyez qu'il n'y a pas non plus  de miracle ! L'Etat a décidé de nous transférer les deux tiers de la dette de la SNCF, pour des raisons tout à fait compréhensibles, qui tiennent à l'ordonnance budgétaire de 1959. Celle-ci dispose que l'Etat aurait dû, l'année où il aurait éventuellement repris la dette, l'inscrire totalement en déficit budgétaire. Aucun gouvernement n'augmenterait le déficit budgétaire de 50  % sur une année de bon c_ur, car c'est quand même un peu lourd à supporter, au moins visuellement. Cela ne change rien en réalité, car de toute façon, les dotations en capital que l'Etat devra verser à RFF sont durablement d'un ordre de grandeur de 10 milliards de francs.

Ce que l'on constate en revanche, c'est qu'un certain nombre de facteurs évoluent positivement et que l'on n'a pas sacrifié les investissements pendant cette période. Nous les avons légèrement diminués mais nous atteindrons un niveau d'investissements raisonnable sur fonds propres de RFF, de l'ordre de 7 milliards de francs pour progressivement remonter à 12 ou 13 milliards de francs. C'est cela qui est intéressant et qui paraissait une gageure, l'énorme effort de l'Etat nous permet d'avoir des perspectives satisfaisantes. Nous gérons de la dette perpétuelle.

L'héritage de la dette comportait une petite bombe à retardement : entre 2001 et 2006, les remboursements s'élèveront à 14 milliards de francs au lieu de 7 ou 8 milliards de francs la première année ; c'était insupportable pour RFF ou pour l'Etat, ce qui est à peu près la même chose. Cette année, RFF a donc constitué un portefeuille d'actifs d'une vingtaine de milliards de francs que nous avons acquis pour lisser cette dette entre 2001 et 2006 et la faire descendre en dessous de 10 milliards de francs en empruntant à 28 ou à 30 ans, à des taux avantageux.

Concernant les financements disponibles européens, nous bénéficions de crédits du FEDER dans un certain nombre de nos zones éligibles, notamment pour le fret, pour l'électrification des Vosges ou pour d'autres opérations. Sur la petite opération chère à Félix Leyzour, il me semble que le FEDER est intervenu, selon les anciennes règles et les anciennes conditions d'éligibilité. Celles-ci vont à l'avenir devenir un peu plus sévères.

Par ailleurs, il faut prendre en compte la ligne de dotations « infrastructures », celle des réseaux transeuropéens, qui ne peut être appliquée que sur les réseaux transeuropéens, en priorité sur les 14 projets et dorénavant depuis le dernier conseil des ministres sur les opérations de désaturation fret. Nous espérons pouvoir également utiliser les fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations, sur des opérations très ciblées et contrôlées par Bruxelles, car il ne faudrait pas créer des distorsions de concurrence avec le système bancaire, ou faire subventionner des opérations dans des conditions peu claires. Des crédits issus des livrets de Caisse d'épargne, gérés par la Caisse des dépôts et consignations devraient être dégagés, notamment pour le fret, permettant de financer sur prêts bonifiés des opérations, ce qui permettrait d'en réaliser davantage ou d'accroître notre participation à due concurrence de la différence de taux.

La décision de principe a été prise en juillet ; il faut maintenant la « mettre en musique ». Je pense que cela concernera d'abord et surtout des opérations sur la politique de la ville, mais cela peut concerner également ces grandes opérations de fret. Nous nous efforçons donc de faire avancer ce dossier.

Sinon, il y a aussi la BEI, qui prête dans des conditions qui ne sont pas vraiment plus avantageuses que ce que l'on peut trouver en devises à Londres ou en Suisse. Le seul avantage de la BEI est qu'elle prête à très long terme ; vous savez qu'en euros, RFF ne peut actuellement guère emprunter à plus de 12 ou 15 ans maximum, malgré notre triple « A ». Nous ne pouvons donc emprunter aujourd'hui à 28 ou 30 ans que sur le marché du sterling ou du franc suisse, ou sur d'autres marchés plus lointains.

M. Jean-Claude Etienne : La BEI offre des prêts sur de telles échéances ?

M. Claude Martinand : Effectivement, mais à des taux qui ne sont pas excellents.

M. Léonce Deprez : La participation possible du FEDER aux opérations ferroviaires est-elle limitée aux objectifs 1 et 2 ou aux zones éligibles ?

M. Claude Martinand : Cela dépend des zones éligibles et de la nature des investissements.

M. André Lajoinie, président : Les anciennes zones classées ne disparaîtront pas d'un seul coup, il y a ce que l'on appelle la sortie en biseau qui durera trois ou quatre ans.

M. Claude Martinand : Concernant la ligne Paris-Clermont-Ferrand, je l'ai toujours mise personnellement sur le même plan que la ligne Paris-Limoges-Toulouse. Vous ne pouvez pas mettre en _uvre une liaison pendulaire sur Paris-Limoges-Toulouse et ne pas faire quelque chose d'équivalent sur Paris-Clermont. Il se trouve que la SNCF, à juste titre, envisage aussi une telle opération sur Lyon-Clermont car les caractéristiques de cette ligne sont telles que le pendulaire est beaucoup plus avantageux que sur les lignes qui sont déjà assez bien aménagées comme Paris-Clermont. Mais sur Paris-Clermont, nous avons proposé des solutions à 300 millions de francs, à 500 millions de francs, ou à 700 millions de francs (à votre bon c_ur !). Nous n'investissons pas énormément, car il n'y aura guère plus de desserte ou de fréquence, on gagnera simplement un certain nombre de minutes.

Mais je conçois difficilement que l'Auvergne puisse ne pas investir dans l'électrification de la ligne Clermont-Issoire, car dans la ligne Clermont-Neussargues, on trouve une desserte banlieue de Clermont-Issoire qui est intéressante en soi, indépendamment de ce qui se passe après. Mais on peut difficilement imaginer ériger la liaison Clermont-Neussargues en priorité si on n'investit pas sur la ligne Paris-Clermont, ce que j'ai toujours dit.

M. Jean Proriol : Tout à fait.

M. Claude Martinand : Il se trouve d'ailleurs que les négociations portant sur la liaison Clermont-Neussargues-Béziers ont conduit le Premier ministre à recevoir votre président de région, me semble-t-il.

M. Jean Proriol : Cela ne s'est pas encore passé, il s'agissait d'un entretien téléphonique.

M. Claude Martinand : Pas encore ? Je l'avais pourtant lu sur le Bulletin quotidien. Le cabinet de M. Gayssot a reçu M. Pierre-André Périssol récemment sur ce sujet. Nous sommes constants dans cette affaire et soulignons que la ligne Clermont-Lyon a effectivement beaucoup d'intérêt. Pour la région Auvergne, au plan politique, il est difficile de donner à cette ligne la priorité sur la liaison Clermont-Paris. RFF essaie à la fois de mener une analyse économique des options les plus intéressantes et de réfléchir en termes d'équité territoriale. Comme nous savons que le vote des contrats de plan, surtout quand il n'y a que des majorités relatives, est assez difficile et qu'il faut que tout le monde soit satisfait, nous anticipons ce genre de raisonnement et nous en tenons le plus grand compte.

Par exemple, en Champagne-Ardenne, M. le président Etienne rencontre des difficultés car le TGV intéresse Reims, le Nord ; la population de Troyes, et du Sud, de la Haute-Marne, demande « et nous ? ». Ceci dit, je ne sais pas si l'on peut investir 2 milliards de francs dans l'électrification de la ligne Paris-Troyes dans un délai court, ou s'il ne faut pas, pour commencer, permettre un arrêt à Fontenay-sous-Bois, qui permettrait de gagner de nombreuses minutes ?

M. Jean Proriol : 20 minutes !

M. Claude Martinand : 20 minutes gagnées pour quelques poignées de millions de francs ; et du matériel roulant X 73.500, des automoteurs, vous permettront de gagner en confort.

M. Jean Proriol : On a vu hier qu'ils pouvaient être pendulables.

M. Claude Martinand : Oui, peut-être.

Le communiqué du ministre élaboré en concertation avec vous, a mis en perspective l'électrification, qui sera donc faite, mais il faut trouver des solutions plus rapides. Il faut également penser à la pollution de la gare de l'Est due aux vieux diesels SNCF.

M. Jean-Claude Etienne : On ne demande pas mieux que de participer à la dépollution.

M. Claude Martinand : A la gare de l'Est, Eole assure une bien meilleure desserte qu'auparavant avec des possibilités très élargies d'accès.

M. Léonce Deprez, nous avons une relativement bonne idée de ce que nous ferons pendant le plan ou juste après le plan. Nous n'avons pas encore eu le temps de reprendre à fond des analyses sur l'avenir de telle ligne, ou tel axe, et les investissements qu'il faudra réaliser d'ici vingt ans, car cela nécessite des analyses beaucoup plus fines, conduites avec la SNCF, qui intègrent à la fois l'état de la voie et d'autres équipements. Quand faudra-t-il les renouveler ? En profitera-t-on pour améliorer le tracé, supprimer les passages à niveau, ce qui coûte quand même cher et reste long et difficile ? Avoir une vue d'ensemble à moyen et long termes nous paraît un objectif à poursuivre dans les mois qui viennent. Nous avons été extrêmement surchargés : que répondre en effet sur les contrats de plan, sur les opérations proposées par les conseils régionaux ?

M. André Lajoinie, président : Hier, le président Louis Gallois disait qu'il ne fallait pas exclure la construction de lignes nouvelles, y compris de lignes dédiées au fret ; mais des commissaires ont fait observer qu'une ligne nouvelle posait beaucoup de problèmes, notamment de lenteur des procédures et même d'opposition dans certains cas.

Il faudrait se mettre d'accord sur le fait que si l'on veut vraiment progresser, un effort sur les lignes existantes est indispensable. Nous avons beaucoup de lignes existantes, qui ne sont pas toutes de très bonne qualité. Je connais bien la ligne Bordeaux-Lyon par Montluçon, qui nécessite des travaux, d'abord pour le transport de voyageurs, qui a certes perdu un peu de son intérêt économique, mais qui existe et assure un cabotage extrêmement utile pour les populations, mais aussi pour le fret.

M. Louis Gallois a parlé de la ligne Nantes-Lyon, qui est assez intéressante, mais ce n'est pas tout à fait la même. Les deux peuvent avoir un intérêt conjugué, la ligne Bordeaux-Lyon pouvant être intéressante pour le transport du fret.

M. Claude Martinand : Il y aura des lignes nouvelles dédiées au fret ou plutôt des lignes nouvelles mixtes, puisque le tunnel Perpignan-Figueiras est une ligne mixte. Le contournement de Nîmes et de Montpellier est d'abord destiné à faire passer le fret et secondairement des TGV directs. Ceci dit, cela crée de nouvelles difficultés de financement : car quelle sera la tarification pour le fret sur de telles lignes ? Les convois de fret pourront rouler jusqu'à 160 kilomètres à l'heure sur ce type de voie, donc, avoir des acheminements extrêmement performants, quasiment identiques à ceux du fret express ou de la messagerie. J'entends M. Toubol (directeur du fret de la SNCF, ndlr) me disant « je ne peux pas payer ». Je crains que si le fret ne se met pas en situation de pouvoir payer un peu plus ses infrastructures, on n'aie des difficultés, car sans péage, il n'y a pas d'autofinancement, des crédits publics sont nécessaires, et on bute alors sur le niveau des enveloppes de crédits publics. L'enveloppe actuellement la plus contrainte est celle du FITTVN ; je pense d'ailleurs que le Parlement sera amené à examiner dans quelles conditions les engagements pris dans les deux enveloppes des contrats de plan peuvent être tenus avec le FITTVN tel qu'il existe.

Le Gouvernement a pris des engagements, mais il faudra trouver les « tuyauteries » pour alimenter le système car les moyens sont insuffisants en l'état actuel des ressources du FITTVN.

Concernant les lignes existantes, ou les lignes anciennes, notre état d'esprit est d'essayer de définir un réseau de service dont certaines lignes seraient à priorité fret ou dédiées au fret. Cela passe parfois par la réouverture ou la réactivation d'un certain nombre de lignes ; par exemple, de Culmont-Chalindrey à Gretz-Saint-Jean-de-Losne, une ligne peut être réactivée, ce que nous avons d'ailleurs proposé.

M. André Lajoinie, président : Pour Lyon ?

M. Claude Martinand : Pour le grand axe lotarhingien, qui est très chargé, nous ouvrirons le débat public prévu par la « loi Barnier » au printemps sur la branche sud du TGV Rhin-Rhône, la vraie branche du TGV Rhin-Rhône car, comme son nom l'indique, il va du Rhin au Rhône et non pas du Doubs à Paris. Pour cette branche sud, nous entamerons le débat d'une manière très ouverte, pour identifier l'état du réseau, les besoins en matière de fret, de TER, de grandes lignes et de TGV. C'est ce genre de question qu'il faut poser en priorité, plutôt que celle du tracé. Evidemment, les gens sont intéressés aussi par le tracé mais il faudra d'abord que l'on démontre que l'on a impérativement besoin d'une ligne nouvelle, dans un délai rapide, ce qui ne va pas de soi. Ce n'est pas parce que c'est inscrit au schéma directeur que l'on va dire « oui, une ligne nouvelle, une ligne nouvelle » ! Il faut le démontrer car les gens sont de plus en plus critiques sur ces questions.

Une fois que l'on aura montré, ce que je pense, qu'il faut une ligne nouvelle, car on sait bien qu'il y a saturation, même avec la ligne de la Bresse, la PLM ou la ligne nouvelle, il faudra une ligne supplémentaire à l'horizon de dix ou quinze ans. Quelle est la vocation de cette ligne ? Doit-elle permettre d'aller au plus court pour une liaison Strasbourg-Lyon ou Allemagne-Espagne ? Ou est-ce qu'au passage, nous devrions tenir compte de la Lorraine, car des trains viendraient également par Dijon, par cette ligne Culmont-Chalindrey-Saint-Jean-de-Losne, y compris pour le fret. Construit-on une gare située entre Louhans et Lons-le-Saulnier ? Il paraît difficile d'aller jusqu'à Lons-le-Saulnier compte tenu du relief, mais construira-t-on encore une gare en rase campagne ? Je n'aime pas trop cela, mais il y a des cas où l'on ne sait pas bien comment faire autrement.

Il y aura un vrai débat, qui durera trois mois. Nous-mêmes n'avons pas d'idées arrêtées ; nous voulons voir comment les gens réagissent, ce qu'ils disent. Une commission particulière des débats suivra au jour le jour les informations et les réponses aux questions qui seront posées. Il est probable que nous aurons une ligne mixte. Le Lyon-Turin est une ligne mixte, et même plus une ligne dédiée au fret qu'une ligne TGV dans l'esprit des gens qui s'intéressent au sujet.

Vous voyez bien qu'il y a eu depuis quelques années un glissement complet : avant, on ne faisait que des lignes à grande vitesse, on était obnubilé par la minute gagnée. Ce n'est plus le cas maintenant. Quand le trajet dure trois heures ou trois heures et demie, les hommes d'affaires prennent l'avion, il n'y a pas photo. Les familles, les touristes ne sont pas à cinq minutes près, ce n'est pas vrai. Ne soyons donc plus obnubilés par le seul gain de minutes et voyons quelles sont les solutions qui sont respectueuses de l'environnement. C'est d'ailleurs comme cela qu'est relancée l'étude du TGV Côte d'Azur, des voies ou des trouées existantes peuvent éventuellement être réutilisées. Nous n'avons pas d'a priori, nous examinerons les réactions, les tracés occasionnant le moins de dégâts. Il est normal de se préoccuper de cette liaison car il y a énormément de besoins sur la Côte d'Azur.

M. André Lajoinie, président : Concernant le Paris-Clermont, se pose la question des passages à niveau. La ligne est très bonne, puisque c'est une ligne droite, une ligne de plaine, mais il y a des passages à niveau. Tant qu'on ne les supprime pas, on est limité.

M. Claude Martinand : On est limité à 160 kilomètres heure.

M. Jean Proriol : 170 ?

M. Claude Martinand : Non, 160.

M. André Lajoinie, président : Je crois qu'il existe un fonds spécial pour les passages à niveau.

M. Claude Martinand : Un fonds a été créé après l'accident de Port-Sainte-Foy, mais qui vise en priorité à supprimer les passages à niveau les plus préoccupants, pour ne pas dire les plus dangereux ; moyennant quoi, l'expérience prouve que les conseils généraux sont souvent les plus impliqués dans les suppressions de passages à niveau, car ils concernent surtout des voies départementales ; dans le cas des voies communales, les communes ne sont en général pas en mesure de résoudre seules le problème.

Pour la ligne Paris-Clermont, il est sûr que le problème est d'abord une question de passages à niveau, et en second ordre d'amélioration de la voie.

Sur les lignes Bordeaux-Lyon, Nantes-Lyon, il y a des retournements à Saincaize. Cela coûte 50 ou 60 millions de francs, et on gagne 10 à 20 minutes. Il n'y a pas beaucoup d'investissements en France qui permettent de gagner 20 minutes en dépensant 50 ou 60 millions de francs, quoi qu'en pensent les cheminots, car ils ont peur qu'à cette occasion les emplois de manutention, de changements de locomotives, ou de retournements soient supprimés. Mais s'il n'y a plus de trafic, il n'y aura plus d'emplois du tout ; il vaut donc mieux redynamiser le trafic car il y aura des emplois, certes globalement, et peut-être pas ponctuellement à tel endroit.

M. Félix Leyzour : Vous avez parlé de la suppression des passages à niveau ; il y en a énormément en France.

M. Claude Martinand : 17 000.

M. Félix Leyzour : Quand on connaît le coût des travaux pour supprimer un passage à niveau, il est illusoire d'imaginer qu'en quelques années, à supposer qu'on puisse les supprimer tous, on ait les moyens financiers de le faire. Mais j'ai observé aussi, pour avoir eu à traiter cela sur notre voirie départementale, que les contraintes du point de vue de la sécurité sont considérables ; cela coûte très cher. Ne pourrait-on pas, sur telle ou telle ligne, au lieu de traiter les choses une par une, avoir une sorte de programme groupé, avec un appel d'offres groupé, qui permettrait avec les techniques d'aujourd'hui d'avoir par le précontraint, des types de gabarits qui permettraient de supprimer les passages à niveau à moindre coût ?

M. Claude Martinand : Vous avez raison ; sur la ligne Paris-Limoges-Toulouse, les principaux passages à niveau sont dans l'Indre, il y en a 17. Nous avons discuté avec le président du conseil général, M. Pinton, qui est tout à fait prêt, à prendre la direction de cette opération groupée et à en avoir la maîtrise d'ouvrage. Car n'oubliez jamais qu'un passage à niveau, c'est d'abord une affaire routière. Il se trouve qu'on culpabilise toujours le chemin de fer, alors que ce sont quand même des voitures qui brûlent des feux. Les accidents de passage à niveau, ce sont des poids lourds ou des voitures qui brûlent des feux ou des stops, ce n'est rien d'autre.

A Port-Sainte-Foy, on comptait 10 à 12 bris de barrière par an, ce qui est quand même énorme. Cela veut dire que ce passage à niveau était intrinsèquement dangereux, bien qu'on ait fait déjà beaucoup d'aménagements. On ne supprimera pas 17 000 passages à niveau, il est d'ailleurs inutile d'aller si loin. Mais 100 à 200 passages à niveau sont particulièrement dangereux et il faut essayer de les supprimer vite. Par ailleurs, des passages à niveau doivent être supprimés pour des raisons de fonctionnement urbain. M. Louis Besson précisait que deux passages à niveau sont fermés à Chambéry la moitié du temps, parce que des trains man_uvrent à côté de la gare ; c'est absolument intolérable. Ce n'est pas un problème de sécurité, en première ligne, c'est un problème de fonctionnement urbain.

Le drame, c'est que les passages à niveau occasionnent « seulement » 60 à 80 morts par an. Ce n'est pas un sujet de sécurité routière, car ce n'est pas suffisant ; si on tient cette comptabilité macabre, ce n'est pas significatif. Jamais la direction de la sécurité routière, ou la direction des routes n'ont mis en priorité la suppression des passages à niveau. C'est donc le chemin de fer qui est amené à prendre les initiatives, sachant qu'il est fort long de mettre au point des projets. Il y a eu un accident voici plus de dix ans à Saint-Pierre-du-Vauvray, mais on n'y a toujours pas supprimé le passage à niveau, car les responsables n'ont pas encore réussi à se mettre d'accord sur la solution à mettre en _uvre. Je touche du bois, j'espère qu'il n'y aura pas un nouvel accident à cet endroit, ce serait vraiment scandaleux.

C'est donc un sujet très difficile.

M. Félix Leyzour : La direction des routes ne se sent pas concernée, puisqu'il s'agit de routes départementales et communales.

M. Claude Martinand : Exactement.

M. André Lajoinie, président : Avez-vous d'autres questions à poser ? M. le président, je vous remercie.

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