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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N° 24

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 11 janvier 1999
(Séance de 15 heures)

Présidence de M. André Lajoinie, président

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport d'information présenté par M. Jean-Yves LE DÉAUT en conclusion des travaux d'une mission d'information sur l'évolution de la distribution


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La commission a examiné le rapport présenté par M. Jean-Yves Le Déaut en conclusion des travaux d'une mission d'information sur l'évolution de la distribution.

M. Jean-Paul Charié, président de la mission d'information, a remercié les membres de la mission d'information pour leur assiduité et l'état d'esprit constructif dans lequel ils ont mené leurs travaux qui contribueront à sensibiliser les parlementaires, le Gouvernement et l'opinion publique sur l'importance des questions étudiées. Il a souligné que la mission avait travaillé en dehors de tout clivage politique, ses conclusions ayant été adoptées à l'unanimité, sans réserves.

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur de la mission d'information, a tout d'abord présenté le constat dressé par la mission d'information dont il a rappelé que le rapport avait été adopté à l'unanimité. Il a évoqué le mouvement exceptionnel de concentration qu'a connu le secteur de la distribution et qui se traduit par la constitution de cinq « supercentrales d'achat » (Carrefour/Promodès, Leclerc/Système U, Auchan, Cora/Casino et Intermarché) contrôlant la commercialisation de plus de 90 % des produits de grande consommation mis sur le marché. Le marché de ces produits peut donc être présenté sous la forme d'un sablier dont ces cinq « supercentrales » constitueraient le goulot d'étranglement entre les producteurs, que sont les 70 000 entreprises et les 400 000 agriculteurs, et les consommateurs. M. Jean-Yves Le Déaut a estimé qu'en conséquence, un véritable oligopole s'était constitué sur un marché pourtant immense puisqu'il représente plus de 2 500 milliards de francs par an. Il a toutefois précisé que si la grande distribution ne devait pas être un bouc émissaire, ces entreprises jouant un rôle important et faisant partie du paysage économique français, il convenait néanmoins de clarifier certaines de leurs pratiques.

La révision de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 par la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 relative à la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, dite loi Galland, a constitué à cet égard un progrès, en particulier en précisant le régime de l'interdiction de la revente à perte. M. Jean-Yves Le Déaut a toutefois rappelé que la loi n'avait pu empêcher l'apparition de certains abus notamment en matière de coopération commerciale. Il a précisé que celle-ci pouvait correspondre à la prise en charge effective par les distributeurs de fonctions, notamment logistiques ou publicitaires, autrefois assurées par les fournisseurs et que ceux-ci sont prêts à rémunérer, mais qu'il pouvait aussi s'agir de pratiques illégitimes, les distributeurs exigeant des rémunérations sans contrepartie. Il a ainsi évoqué la pratique dite de la corbeille de la mariée. Il a également cité les pénalités de retard excessives infligées par les grandes surfaces de vente ainsi que le cas d'une centrale d'achat installée à Zürich et exigeant des fournisseurs le versement d'un droit d'entrée de 10 000 euros avant toute négociation. Il a insisté sur l'effectivité de ces pratiques qui ne sont pas marginales.

Plus généralement, M. Jean-Yves Le Déaut a évoqué le duel de géants opposant les multinationales de la production qui ont intérêt à asphyxier leurs concurrents et celles de la distribution, recherchant les coûts d'achat les plus bas, contre les effets duquel les petits producteurs qui maillent notre territoire, démunis de toute arme, ne peuvent lutter. Il a ensuite estimé que les guerres des prix auxquelles on pouvait assister nuisaient à la qualité des produits comme l'illustrent les récentes contaminations de listériose.

En ce qui concerne le secteur agricole, M. Jean-Yves Le Déaut a souligné que les conséquences néfastes des pratiques abusives de la grande distribution y étaient amplifiées par le cycle court des produits. Il a particulièrement dénoncé la pratique consistant, sous prétexte de préparation des catalogues publicitaires, à imposer les prix aux producteurs, sous peine de déréférencement, avant le début des campagnes de production et donc sans tenir compte de la réalité économique du marché, faute en particulier de connaître le volume de la production. Il a fait valoir que cela aboutissait à l'apparition d'une sorte de prix virtuel empêchant le fonctionnement normal du marché lorsque le prix réel constaté en cours de campagne de production se révèle plus élevé. M. Jean-Yves Le Déaut a ainsi estimé que la crise des fruits et légumes survenue cet été trouvait en fait son origine dans l'élaboration des catalogues de la grande distribution deux mois auparavant.

Il a ensuite précisé qu'il ne fallait pas diaboliser la grande distribution mais que la mission d'information s'était efforcée de réaliser un bilan sans complaisance et proposer des solutions. M. Jean-Yves Le Déaut a précisé que M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qu'il venait de rencontrer avec M. Jean-Paul Charié, avait d'ailleurs reconnu que ces propositions étaient raisonnables.

En ce qui concerne les conclusions portant sur la filière agricole, il a rappelé que la mission jugeait tout d'abord prioritaire de mettre fin aux effets déstructurants des prix sur catalogue. Il a ensuite demandé que soit imposé le respect de la qualité et de l'origine, sujet sur lequel il a noté l'important travail de M. François Patriat, rapporteur de la loi d'orientation agricole, loi qu'il convient maintenant de bien appliquer. Il a ensuite indiqué que la mission d'information souhaitait une meilleure organisation professionnelle des filières agricoles, citant l'exemple du travail réalisé par la Fédération professionnelle de la pomme de terre, ail, oignon et échalote et qu'elle estimait également qu'il convenait de convaincre les autorités européennes de l'utilité d'ententes entre producteurs lorsqu'existent des ententes bien plus fortes entre distributeurs. Il a ensuite évoqué la nécessité de développer le rôle des comités économiques de bassin. Enfin, il a indiqué que la mission jugeait indispensable de lutter contre les prix prédateurs, au besoin par l'application des dispositions de l'article 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986, permettant d'adopter, par décret en Conseil d'Etat, des mesures temporaires pour faire face à une baisse excessive des prix. Il a déclaré que cette solution paraissait préférable à celle du double étiquetage, qui n'a guère d'effet dès lors que les produits sont valorisés.

En ce qui concerne le respect de règles de concurrence loyale dans les rapports entre fournisseurs et distributeurs, M. Jean-Yves Le Déaut a jugé qu'il convenait tout d'abord de faire appliquer la loi. Il a ainsi rappelé, qu'aussi bien la circulaire Scrivener du 10 janvier 1978 que la circulaire Delors du 22 mai 1984 organisaient la lutte contre la fausse coopération commerciale. Il a donc indiqué que la mission invitait M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à clarifier le droit en publiant, comme il s'est déclaré prêt à le faire, une nouvelle circulaire d'interprétation précisant que :

- les services spécifiques rendus par les distributeurs doivent être réellement rendus au client, être identifiables et correspondre à un besoin ou une attente du fournisseur qui en bénéficie ou à un allégement de ses charges ;

- la rémunération de ces services doit être justifiée et ne pas créer de discriminations injustifiées ;

- la rémunération de ces services doit être proportionnée au transfert de charges du fournisseur au distributeur ou à la nature effective du service rendu, l'avantage ainsi consenti devant avoir une portée restreinte par rapport à ceux accordés en application des conditions générales de vente.

M. Jean-Yves Le Déaut a également estimé nécessaire de rendre les rapports commerciaux plus transparents entre les partenaires et que cela impliquait en particulier de faire figurer, lorsque cela est possible, les services de coopération commerciale dans des conditions générales de vente. Il a précisé que la mission proposait en conséquence que les relations commerciales soient régulées par les partenaires commerciaux selon le schéma suivant :

- les fournisseurs présentent leurs offres de produits et de services dans des conditions générales de vente ;

- les revendeurs présentent leurs offres de services de coopération commerciale dans des conditions générales de vente. La prestation de ces services donne lieu à l'établissement d'un contrat écrit en partie double comme le prévoit la loi actuelle ;

- les remises exceptionnelles (dont la nature même empêche de les faire figurer dans des conditions générales de vente) et les ristournes non liées à un acte d'achat ou de vente et ne rémunérant pas un service de coopération commerciale doivent être traduites dans un contrat écrit et être justifiées par des contreparties réelles pour le fournisseur et leur rémunération doit se traduire par des avantages financiers d'une portée marginale par rapport à ceux accordés au titre des conditions générales de vente.

M. Jean-Yves Le Déaut a estimé qu'il importait que les contrats commerciaux et les factures soient clairs et précis dans leurs termes et qu'il n'était plus acceptable de facturer des prestations floues de « mise en avant » ou d'« intensification commerciale ». Il a ajouté que la mission jugeait nécessaire de supprimer la fausse coopération commerciale, ce qui impliquait l'interdiction :

- des factures rétroactives de coopération commerciale ou de toute autre remise ou ristourne ;

- des factures de coopération commerciale ne correspondant pas à un service effectivement rendu.

Après avoir rappelé qu'il existait aujourd'hui en matière de prix deux cultures en Europe, celle des pays d'Europe du Nord où existe une réelle vérité des prix et celle de la France ainsi que l'Espagne dont le système s'est calqué sur le nôtre, le rapporteur a précisé que, si la mission n'avait pas jugé opportun de supprimer la coopération commerciale en réincorporant les marges arrières dans la marge avant et d'imposer la négociation de prix nets-nets, celle-ci avait néanmoins la conviction que les entreprises françaises devront à terme, sous la pression de nos voisins, revenir à ce système qui est celui des pays d'Europe du Nord et des pays non européens. Il a ensuite insisté sur l'importance des enjeux représentés par ces propositions d'apparence technique en indiquant qu'on pouvait évaluer que la coopération commerciale rapportait jusqu'à 30 milliards de francs par enseigne et par an.

Puis, M. Jean-Yves Le Déaut a fait part de la préoccupation de la mission de voir redéfini le cadre contractuel des relations de la grande distribution avec les PME. Il a notamment évoqué la nécessité d'assurer la stabilité des engagements contractuels et d'encadrer les déréférencements ainsi que la situation d'extrême dépendance des fournisseurs dont la production est commercialisée sous une marque de distributeur. Il a indiqué que sur ce sujet, la mission recommandait une modification de l'ordonnance du 1er décembre 1986 pour redéfinir l'abus de dépendance économique. Compte tenu de la diversité des attributions et du manque de moyens de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, il a indiqué que la mission estimait particulièrement nécessaire de modifier l'attribution contentieuse du Conseil de la concurrence en matière d'exploitation abusive d'un état de dépendance économique en ôtant la condition d'atteinte au jeu de la concurrence sur le marché, qui n'est en pratique pas remplie dans les litiges impliquant des PME.

Le rapporteur a en outre précisé que la mission avait estimé que la mise en place d'un organisme veillant à la loyauté des pratiques commerciales, susceptible de s'autosaisir ou d'être saisi par le Conseil de la concurrence, le ministère ou des entreprises de manière confidentielle, était nécessaire. Cette commission d'arbitrage des pratiques abusives devrait être en particulier compétente pour arbitrer des litiges bilatéraux survenant entre les partenaires commerciaux sur l'application d'une disposition de conditions générales de vente, de termes d'un contrat ou de mentions figurant sur une facture.

Enfin, en ce qui concerne les délais de paiement, M. Jean-Yves Le Déaut a indiqué que la mission avait constaté qu'ils tendaient à s'allonger de manière déraisonnable. En outre, des distributeurs profitaient de l'état de dépendance économique de leurs fournisseurs pour ne pas leur adresser d'effet de commerce susceptible d'être escompté et leur proposer un service d'affacturage à taux d'intérêt élevé, ce qui conduisait à faire rémunérer par les fournisseurs l'argent que les enseignes leur devaient. Sur cette question, la mission recommande d'adopter une des dispositions de la proposition de directive européenne sur les délais de paiement prévoyant que lorsque le délai de paiement prévu dans le contrat de vente est supérieur à 45 jours à compter de la date de réception de la facture, l'acheteur doit fournir, à ses frais, une lettre de change à son fournisseur précisant explicitement la date de son paiement et devant être garantie par un établissement de crédit reconnu.

Une quatrième série de propositions porte sur la nécessité d'améliorer l'application de la loi existante. La mission d'information estime que le rôle du Conseil de la concurrence gagnerait à être renforcé, tant sur le plan de la prévention des litiges (capacité de s'autosaisir d'office de toute question relative à la concurrence) que sur celui de la détection et du traitement précontentieux des infractions (faculté de mener des enquêtes hors litiges dont il se trouve saisi et exercice d'un rôle de médiation entre des prétentions opposées).

Il conviendrait également de rendre le Conseil de la concurrence plus « réactif » aux atteintes portées à la concurrence : il serait ainsi opportun qu'il ait le pouvoir d'ordonner des contrôles afin de faire envoyer, sans délai, sur le terrain des agents habilités pour constater des faits suspects.

Le pouvoir d'enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes devrait être renforcé, par exemple en dotant ses fonctionnaires et rapporteurs habilités d'un pouvoir de perquisition et de saisie comparable à celui dont disposent les agents des douanes.

Une dernière série de propositions porte sur les moyens de mieux encadrer l'évolution du commerce. Outre le maintien et le développement du stade de gros, un effort particulier doit être consacré à la correction des dysfonctionnements observés en matière de soldes et de promotions. Par ailleurs, l'expérimentation des schémas de développement commercial doit être généralisée et ceux-ci doivent devenir opposables aux instances chargées de délivrer des autorisations d'ouverture ou d'extension de commerces ou des autorisations d'urbanisme.

M. Pierre Ducout s'est félicité de la qualité du travail accompli par la mission d'information, son exhaustivité et son équilibre. Il a également salué la lisibilité des propositions qui ont été adoptées.

Il a estimé que quatre orientations majeures doivent désormais guider l'action des pouvoirs publics : une meilleure répression des pratiques abusives à travers la faculté d'autosaisine du Conseil de la concurrence, la nécessité d'éviter une diabolisation du comportement de la grande distribution, le souci de garantir les équilibres - tant au sein du secteur commercial qu'entre petites et grandes entreprises ou entre secteurs agricole, industriel et commercial - et la sauvegarde des spécificités nationales (activité et dynamisme des centre-villes, diversité qualitative des produits, etc.). Il convient en effet d'être vigilant vis-à-vis des pratiques parfois regrettables de certains grands groupes étrangers qui ne sont pas encore présents sur le marché français.

L'idée de rendre les schémas de développement commercial opposables lui a, enfin, semblé judicieuse, dans la mesure où elle peut être l'occasion de vérifier la réalité des améliorations que le développement des grandes surfaces de vente prétend apporter au consommateur.

M. François Patriat a indiqué qu'il ne voyait pas pourquoi il s'interdirait de diaboliser la grande distribution, secteur économique dont l'attitude se résume à être faible avec les durs et dur avec les faibles : les grandes enseignes discutent avec Coca-Cola mais écrasent les petits producteurs d'artichauts. En étant non seulement vendeurs mais aussi producteurs, voire usuriers, les distributeurs ont déséquilibré la filière commerciale. Il a cité un exemple édifiant : le jour où le gouvernement de M. Alain Juppé a décidé d'augmenter de 2 points le taux normal de la TVA, la grande distribution a fait comprendre à ses fournisseurs qu'il leur revenait de supporter cette hausse. Il faut non seulement dénoncer mais également lutter âprement contre ces pratiques. La question essentielle demeurant : faut-il continuer à concentrer l'offre ou au contraire la différencier et la segmenter ?

Après avoir relevé que sur un sujet de cet ordre des sensibilités différentes pouvaient s'exprimer au sein d'un même groupe politique, M. Christian Bataille a jugé que le travail de la mission d'information révélait un dépassement des clivages politiques et des intérêts politiciens. Il a dénoncé l'image d'un pays opposant une France des campagnes, des petits producteurs et des petits commerçants à une France urbaine livrée au monde de la grande distribution. Selon lui, les citoyens français n'ont pas une opinion aussi négative de la grande distribution que l'on veut parfois le laisser penser.

Le rapport de M. Jean-Yves Le Déaut est équilibré et la campagne publicitaire lancée par certaines grandes enseignes prouve que ces acteurs de l'économie sont sensibles à l'écho des travaux parlementaires. Il a estimé qu'il était temps que le Parlement prenne acte de l'évolution du commerce et a souhaité que les conclusions de ce rapport soient prises en compte par le Gouvernement.

M. Claude Billard a rappelé que les conflits de l'été 1999 entre les producteurs de fruits et légumes et les centrales d'achats de la grande distribution, d'une part, et la fusion annoncée de Carrefour et Promodès, d'autre part, ont été le révélateur de la situation malsaine existant dans ce secteur de l'économie. Le rapport présenté par M. Jean-Yves Le Déaut brosse un tableau assez sévère de la grande distribution et de ses pratiques et présente aux pouvoirs publics diverses propositions visant à assainir cette situation. Selon lui, le Gouvernement serait bien inspiré de les inclure dans son projet de loi sur les nouvelles régulations économiques.

Selon M. Claude Billard l'un des mérites de ce rapport est de mettre en lumière les méthodes commerciales singulières de la grande distribution. Du fait de ces pratiques et des concentrations, il n'y a plus aujourd'hui dans ce secteur de concurrence loyale et équilibrée mais uniquement des rapports de force fondés sur ce que le rapport définit comme un « abus de dépendance économique ».

Les groupes en situation de position dominante ont développé des pratiques connues sous le nom de « marge arrière » ou sous l'euphémisme de « coopération commerciale », qui s'apparentent en fait plus au chantage ou au racket et mettent en cause l'équilibre du système. Ces méthodes font peser sur les fournisseurs, l'ensemble des coûts et risques liés à la commercialisation de leurs produits. Désarmés face à leurs clients, ces fournisseurs sont obligés d'accepter leurs conditions s'ils ne veulent pas voir disparaître leur entreprise. La grande distribution contraint ainsi ses fournisseurs à vendre à perte et les tient en otages. Face à ce constat, le rapport souligne la nécessité de revoir les termes des relations commerciales entre fournisseurs et grande distribution car ceux-ci sont contraires aux intérêts des consommateurs, à ceux des entreprises de ce secteur et à l'emploi. Sans proposer de modifier la loi Galland, certes parfois inadaptée mais surtout mal appliquée, le rapport préconise de mettre en place de nouvelles règles permettant de sanctionner efficacement les pratiques abusives. Il s'agit ainsi d'étendre la notion d'abus de dépendance économique, de renforcer les moyens de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et de créer une instance de médiation pouvant saisir la justice. Toutes ces propositions, qui recueillent l'assentiment du groupe communiste, pourraient être complétées par une application effective de l'article 1er de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 donnant à l'Etat la possibilité d'intervenir en cas de crise conjoncturelle sur les prix.

En revanche, M. Claude Billard a estimé que le rapport aurait dû mettre l'accent, pour la condamner, sur la valorisation boursière au nom de laquelle s'effectuent les concentrations dans la grande distribution et qui est un facteur d'aggravation des conditions de travail, de la précarité de l'emploi et de maintien des salaires à un niveau bas.

Il a annoncé qu'au nom de son groupe il voterait en faveur de la publication du rapport.

M. Jean-Claude Daniel, après s'être félicité de la qualité des travaux de la mission, a estimé qu'il n'y avait pas de raisons de modifier en profondeur la législation en vigueur mais qu'il était nécessaire de procéder à une relecture de la loi afin d'en améliorer les modalités d'application et d'opérer quelques aménagements dont la portée n'est cependant pas mineure. S'agissant des rapports entre fournisseurs et distributeurs, il a jugé prioritaire de rétablir une régulation de la coopération commerciale et de permettre l'autosaisine des autorités compétentes en matière de concurrence. Concernant la grande distribution, il a souligné que les personnes entendues par la mission avaient compris qu'il fallait valoriser les produits des PME créatrices d'emplois mais que ce discours vertueux devrait se traduire dans les faits, les pages de publicité récemment parues dans les journaux donnant plutôt l'impression qu'il s'agissait d'un argument de promotion. Après avoir rappelé que les consommateurs avaient de fortes exigences non seulement sur le prix des produits mais aussi sur leur traçabilité et la sécurité alimentaire, il a estimé qu'il fallait clarifier les fonctions afin de déterminer qui édicte la norme et qui est chargé de la régulation. A cet égard, il s'est déclaré favorable à la création d'une commission d'arbitrage des pratiques abusives (CAPA), proposée par la mission d'information, tout en s'interrogeant sur la façon dont les parlementaires pourraient être associés aux travaux de cette instance. Il ne lui a pas paru souhaitable d'assurer une présence permanente des parlementaires au sein de cette commission, mais des modalités de son fonctionnement devraient être définies pour que des réunions soient tenues avec des parlementaires désignés à cet effet afin de faire le point sur son activité.

Abordant enfin les défis de l'évolution du commerce, il a mis l'accent sur l'urgence de mesures de régulation du commerce électronique et sur la nécessité de corriger les dysfonctionnements en matière de soldes, certaines grandes surfaces ayant mis en place des promotions au cours de la première quinzaine du mois de janvier, ce qui crée des difficultés pour les commerces de centre-ville pour lesquels les soldes ne pourront débuter qu'au 15 janvier.

Se félicitant à son tour de la manière dont la mission avait pu travailler sur un sujet vaste en constante évolution, M. Jean Proriol a déclaré partager le constat dressé par le rapporteur sur la loi du silence qui s'impose aux fournisseurs dans leurs rapports avec les centrales d'achat et les grands distributeurs par peur d'être déréférencés. S'appuyant sur le slogan « nos achats sont aussi nos emplois », il a mis l'accent sur la nécessité de redéfinir le cadre contractuel des relations commerciales entre les PME-PMI et la grande distribution pour se prémunir des risques de délocalisation. Il a notamment insisté sur l'utilité de limiter les marges arrières en suggérant qu'elles ne puissent pas excéder un pourcentage déterminé du chiffre d'affaires. Après s'être interrogé sur les effets de la concentration dans le domaine de la grande distribution, il s'est rallié aux propositions du rapporteur qu'il a jugées équilibrées et de nature à apporter un soutien aux PME et précisé qu'il voterait en faveur de la publication du rapport.

M. Léonce Deprez s'est réjoui de l'état d'esprit de coopération qui a prévalu au cours des travaux de la mission d'information, le mérite en revenant tant au président qu'au rapporteur. Ainsi, les points de vue ont pu se rejoindre, permettant d'aboutir à des conclusions communes. Des travaux de ce type contribuent indiscutablement à restaurer le rôle du Parlement. Laisser s'exercer sans contrôle les lois du marché peut conduire à affaiblir la démocratie, la loi du plus fort s'imposant sans partage. L'institution parlementaire, et plus particulièrement la commission de la production et des échanges, peuvent alors constituer un intermédiaire entre l'exécutif et les intérêts particuliers, afin de rechercher un équilibre et fixer des règles de bonne conduite entre les différents intervenants du marché. A ce titre, il a souligné que les grandes surfaces, qui s'étaient inquiétées de la création de la mission, ne devaient pas être considérées ni désignées comme boucs émissaires responsables des problèmes de la filière de la distribution.

Il a indiqué que, pour lui-même, la mission avait pleinement rempli son rôle d'information, s'agissant notamment du problème des détournements de marges ou de l'abus de dépendance économique, qui constituent autant de pratiques malsaines. Il a évoqué les déclarations faites par certains responsables de grandes surfaces au cours des auditions sur ces questions, reconnaissant la réalité des problèmes soulevés.

Il a considéré que les délais de paiement abusifs mettaient gravement en péril la survie des petites et moyennes entreprises et qu'il convenait d'y mettre fin. Il a en revanche estimé que le recours au double étiquetage des prix dans les grandes surfaces était inefficace, préférant l'application d'un prix minimum, mais uniquement durant les périodes de crise, car sinon cette disposition serait rapidement détournée par les acteurs de la filière.

Tout en reconnaissant une certaine pertinence à l'affirmation selon laquelle l'extension des marques de distributeur représentait un moyen de préserver l'existence de petits producteurs, il a considéré que cette évolution constituait une menace à l'encontre de la diversité des approvisionnements comme des débouchés des produits ; la plus grande vigilance s'impose donc.

Il a estimé nécessaire qu'une loi intervienne rapidement pour préciser et actualiser la notion d'abus de dépendance économique. En outre, il serait utile que les agriculteurs puissent disposer des moyens de renforcer leurs organisations interprofessionnelles.

Tout en se déclarant favorable à la création d'une commission d'arbitrage des pratiques abusives, il a considéré que seule sa structuration à l'échelon régional lui permettrait d'exercer un contrôle efficace.

Il a, par ailleurs, regretté que les grandes surfaces remplacent peu à peu les grossistes, qui représentent pourtant des intermédiaires utiles, parrainant notamment les entrepreneurs économiques locaux. Il a insisté pour que l'importance de ces entreprises soit prise en compte de manière volontariste dans les politiques de développement régionales et intercommunales afin de favoriser leur renaissance, les grossistes pouvant constituer un contrepoids face aux politiques d'achat des grandes surfaces.

En conclusion, il a souligné que le consensus qui se dégageait du débat démontrait qu'il était possible d'unir les forces politiques, par-delà leurs différences, pour travailler ensemble sur les problèmes vitaux de notre économie et garantir l'équilibre social de la nation.

M. André Lajoinie, président, citant Jean Jaurès, a estimé que le courage était de chercher la vérité et de la dire, cette mission d'information ayant permis de donner une voix à ceux qui n'osent pas s'exprimer.

Il a considéré que la légitimité de la grande distribution ne pourrait être garantie que si ses entreprises respectaient les droits de ses salariés, des petites et moyennes entreprises qui sont leurs fournisseurs, et des consommateurs. La permanence de cette légitimité constitue par ailleurs le meilleur moyen d'éviter l'entrée en France des grands groupes américains de la distribution, comme Wal-Mart, avec tous les dangers qui ne manqueraient pas d'en découler. Après les conclusions de la mission d'information, qui ne constituent qu'un début, le législateur devra prendre ses responsabilités.

Il a mis en avant l'atmosphère nouvelle qui règne en France depuis les récentes catastrophes qu'a subies notre pays, tempêtes et marée noire sur la côte Atlantique. Ces événements ont démontré à ceux qui estimaient qu'il y avait « trop d'État » que celui-ci était indispensable, de même que les services publics. Il a ainsi considéré que seul le service public permettait à des régions comme l'Auvergne d'être desservies par l'électricité.

M. Jean-Paul Charié, président de la mission d'information, tout en reconnaissant les apports du secteur et des entreprises de la grande distribution dans notre pays, a estimé qu'il convenait d'être très ferme envers certaines de leurs pratiques, inacceptables et dangereuses tant du point de vue de la santé que de l'aménagement du territoire.

Evoquant certaines récentes interventions de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) contraires à l'interprétation que le Parlement faisait de la loi, il a rappelé que l'exécutif devait mettre en _uvre les lois, conformément aux décisions du Parlement.

Il a déclaré que les travaux de la mission d'information avaient démontré qu'il fallait demeurer très humble au regard du développement du commerce électronique, rappelant que des ordinateurs seraient dès cette année en vente à des prix abordables et permettraient à ce type de vente d'offrir des services particulièrement attractifs sans recourir à une reconnaissance vocale préalable.

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur de la mission d'information, a précisé que la mission avait exposé dans ses conclusions que la coopération commerciale hors conditions générales de vente ne devrait pas dépasser 5 % des avantages consentis par les conditions générales de vente. Le titre I du rapport contient , par ailleurs, des développements importants sur le commerce électronique pour montrer l'impact qu'il va avoir sur la distribution et le manque d'engagement des entreprises françaises dans cette révolution que chacun peut observer au travers des galeries marchandes virtuelles proposées sur Internet.

En dernier lieu, la mission a exprimé ses inquiétudes quant au développement des marques de distributeur, qui - il est vrai - peuvent apporter un soutien au développement économique de certaines PME-PMI, mais qui sont un vecteur d'une diminution de la qualité et de l'innovation et transforment les producteurs en sous-traitants.

La commission a ensuite autorisé, à l'unanimité, en application de l'article 145 du règlement et dans les conditions prévues à l'article premier de l'instruction générale du Bureau, la publication du rapport d'information.

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