ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION SPÉCIALE

chargée d'examiner la proposition de loi organique
relative aux lois de finances

COMPTE RENDU N° 3

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 9 novembre 2000
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Raymond Forni, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Henri GUILLAUME, Inspecteur général des finances

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M. le Président : Nous procédons à la première d'une série d'auditions de personnalités qui peuvent apporter à la Commission spéciale une aide précieuse. Nous avons aujourd'hui le plaisir d'accueillir M. Henri Guillaume, Inspecteur général des finances, que je remercie d'avoir bien voulu répondre à notre invitation.

M. Henri Guillaume a conduit récemment une mission d'analyse comparative des systèmes de gestion de la performance et de leur articulation avec le budget de l'État. Son rapport, établi en février 2000, a été communiqué à tous les membres de la Commission. Il porte sur huit pays : le Canada, le Danemark, les États-Unis, la Finlande, l'Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède. Il nous montre d'ailleurs à quel point notre pays a des efforts à accomplir pour moderniser sa gestion publique. Nous en avions déjà entendu parler, mais nous allons entrer dans le détail comparatif des systèmes qui s'appliquent à l'étranger et en France. Sans doute cela mettra-t-il en évidence l'archaïsme du système français. L'analyse des expériences étrangères est évidemment utile et répond à une préoccupation de certains collègues de la Commission. M. Philippe Auberger avait souhaité que nous réalisions ce travail comparatif ; du reste, nous irons plus loin, puisque je vous proposerai de procéder à l'audition du Commissaire européen chargé du budget et de l'un de ses directeurs généraux. Nous procéderons à leur audition en principe le 7 décembre.

M. Guillaume, je vous propose de nous présenter en guise d'exposé introductif les principaux enseignements que vous avez pu tirer de vos travaux ; nous passerons ensuite au jeu des questions-réponses.

M. Henri Guillaume : Le rapport de synthèse de la mission, qui vous a été diffusé, est écrit dans un style parfois un peu aride, mais notre destinataire final était la direction du budget du ministère des Finances. Nous tenons également à votre disposition une volumineuse littérature, car nous avons établi des rapports par pays. Le rapport de synthèse décrit les conclusions générales, tandis que huit rapports décrivent de manière plus détaillée l'organisation propre à chaque pays et ce qui y fut entrepris.

Quelques mots sur l'objet du rapport et la méthode que nous avons adoptée. La commande passée par le ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie consistait à mener une analyse comparative sur la manière dont huit pays ont introduit dans leur gestion publique un système de gestion de la performance ou système de gestion des résultats et de vérifier l'articulation de ces nouveaux systèmes de gestion publique avec la procédure budgétaire.

Tout d'abord, il convient de donner la définition générale d'un système de gestion de performance. L'architecture idéale d'un système - qui d'ailleurs n'existe encore nulle part, je tiens à le préciser - recouvre plusieurs fonctions.

· Une fonction d'explicitation des finalités et des objectifs des politiques publiques et de l'action administrative.

· Une fonction de définition des normes de performance de l'administration associée à ces objectifs.

· La mise en place de systèmes d'information sur les résultats de l'action publique et sur la nature du reporting sur l'action publique.

· Des souplesses de gestion qui peuvent être accordées aux responsables de l'action publique.

· L'intégration de ces données de performance dans les procédures budgétaires.

· Dernier point et non le moindre : la transformation des modalités d'audit et de contrôle.

Un système idéalement bâti devrait donc remplir ces fonctions.

Nous avons fixé un échantillon de huit pays. Nous avons retenu ceux qui sont réellement engagés dans cette démarche de modernisation. Nous avons privilégié la dimension européenne : six pays sur huit sont européens. Nous avons tenté de veiller à un équilibre entre les pays où la politique libérale des années 90 a marqué profondément la réforme de l'État - c'est le cas des États-Unis, du Canada et du Royaume-Uni - et ceux de tradition plus social-démocrate, où jamais la légitimité de l'intervention de l'État n'a été remise en question. De ce point de vue, l'échantillon est équilibré.

Sans entrer dans toutes les conclusions de l'étude, j'insisterai sur trois points. La première idée que je voudrais développer est la suivante : dans tous les cas, la gestion de la performance ne s'est pas bâtie ex nihilo, mais elle s'inscrit dans un effort de très longue haleine entrepris par ces pays pour réformer leur gestion publique. Dans une deuxième partie, je vous présenterai les grands principes d'implantation du système de gestion de la performance. Enfin, j'en viendrai au sujet de l'articulation avec la procédure budgétaire.

Premier point donc, les autorités de ces huit pays se sont posé la question, depuis au moins dix ans et dans certains cas depuis vingt ans, de savoir comment moderniser leur gestion publique. Il n'est pas inintéressant de considérer les raisons de cette interrogation. La première fut, dans tous les pays, le souci de la maîtrise des déficits publics et des dépenses. Ces pays ont connu des crises financières assez graves au début des années 90. Les deux autres objectifs sont de nature purement politique.

Le premier était la volonté d'améliorer l'efficacité des politiques publiques et la qualité des services publics. Dans tous ces pays, la sensibilité de l'opinion et du citoyen à l'égard du thème anglo-saxon value for money s'est fortement développée ; autrement dit : que ressort-il des impôts que nous payons ? C'est là un thème politique qui a émergé fortement dans certains pays.

Le second objectif politique, que l'on rencontre également partout, était la volonté de rendre plus transparente l'action des administrations et de renforcer le contrôle démocratique sur la gestion publique. Partout, est apparue une très forte pression vis-à-vis des responsables politiques et des hauts fonctionnaires sur la nécessité de devoir rendre compte de leur action. Ces deux thèmes sont devenus des enjeux importants des débats politiques.

Quels ont été les facteurs favorables à la mise en place du système de gestion de la performance ? J'en citerai quatre.

Premièrement, un assainissement en profondeur des finances publiques. Sur les huit pays considérés, sept sont désormais en excédent budgétaire ou à l'équilibre budgétaire, alors que, par exemple, le Canada connaissait une grave crise financière. Autre exemple : en 1993, la Suède enregistrait un déficit de 12,3% de ses administrations publiques. Face à cette situation, la gestion de la performance n'a jamais été considérée comme un outil de régulation budgétaire, c'est-à-dire que l'on a utilisé des méthodes classiques, parfois brutales, mais l'on a aussi mis en place des procédures, généralement appelées « examen des programmes », qui consistaient à revoir systématiquement l'utilité et le contenu des dépenses publiques et l'efficience des services administratifs en charge des politiques publiques. Cette action a été conduite dans tous les pays selon des degrés de brutalité plus ou moins forts, mais a été la condition de mise en place de systèmes de gestion de la performance. J'en tire deux conclusions. D'une part, cela a entraîné auprès des responsables administratifs, mais aussi politiques, un changement culturel qui conduit à rompre la corrélation automatique entre le niveau de la dépense publique et la qualité des services publics. D'autre part, plaquer un système de gestion de la performance sur des structures administratives ou sur des politiques inefficientes n'est pas le meilleur moyen de progresser. Il y a là une leçon à tirer de ces expériences.

Deuxième facteur favorable : l'examen des programmes a introduit l'idée de réfléchir aux résultats de l'action publique et donc partout à une rénovation des procédures budgétaires. Au milieu des années 90, excepté peut-être aux Etats-Unis, tous les pays ont rénové leurs procédures budgétaires selon un schéma que je résumerai simplement : un système d'enveloppes budgétaires assorties de plafonds impératifs que l'on décline de haut en bas, sous la contrainte d'un plafond global et dans une optique intégrée des finances publiques, recouvrant un plafond impératif des dépenses de l'État, des dépenses de sécurité sociale et celles des collectivités territoriales. À côté de ce plafond, sont établies des règles d'affectation des surplus ou des déficits entre la baisse des impôts et la réduction des déficits. Le plafond global étant fixé, on décline ensuite un plafond par ministère. Chaque ministre, à l'intérieur de son plafond, devient, si vous me permettez cette formule imagée, « son propre ministre des Finances ». Autrement dit, il décide, à l'intérieur du plafond, l'affectation de ses ressources. Il fixe un plafond à ses services administratifs, un plafond à ses agences. Le respect du plafond est une contrainte absolue. En cas de difficulté conjoncturelle, on ne se tourne pas vers le Premier ministre ou le ministre des Finances en demandant une rallonge, non, la règle du jeu réside en ceci que si la liberté est totale, le plafond est impératif. Le niveau de réserves pour aléas conjoncturels dans les pays considérés est assez faible. Cette règle a été appliquée strictement sous la houlette du chef du Gouvernement, du Premier ministre ou du ministre des Finances. Parfois, le plafond est pluriannuel, étant précisé toutefois que la pluriannualité est surtout un engagement politique. En effet, nulle part le principe d'annualité budgétaire n'a été remis en question. D'ailleurs, beaucoup de Parlements ont considéré que l'annualité formait la base du contrôle du Parlement.

Troisième facteur favorable : un cadre beaucoup plus souple pour le personnel de la fonction publique. Ce facteur rejoint un élément important de votre proposition de loi organique. On constate partout une décentralisation extrêmement marquée à la fois du choix de la nature des emplois, des recrutements et même des négociations salariales. Dans les pays scandinaves, où prévaut une tradition d'agence, tout ceci est décentralisé au niveau du responsable d'agence. Mais on retrouve également cette décentralisation dans les pays où les ministères continuent à jouer un rôle moteur. Ainsi, les Pays-Bas ont divisé leur fonction publique en huit secteurs, homogènes en termes de problèmes de carrière, et chaque ministre est responsable, au sein de son enveloppe, de la gestion du personnel. On peut noter également le développement de la rémunération au rendement pour les hauts fonctionnaires et la mise en place de politiques spécifiques en leur faveur. En effet, pour des raisons diverses, certains pays sont confrontés à des difficultés de recrutement de hauts fonctionnaires.

Quatrième facteur favorable : des investissements extrêmement importants en matière d'outils de gestion financière, c'est-à-dire la mise en place de comptabilités analytiques pour connaître le coût des politiques publiques et la mise en place d'une comptabilité de droits constatés. C'est une constante dans tous les pays que nous avons visités. J'insiste sur tous ces points, car la mise en place de ce cadre favorable a pris, dans tous les pays, de cinq à dix ans.

J'en viens maintenant aux grands principes d'implantation et d'application de la gestion de la performance. Je mettrai en évidence quatre points. En premier lieu, la définition d'indicateurs de résultats par politique ou par programme n'est nulle part considérée comme un simple exercice de technique budgétaire. Il découle d'un choix politique effectué par les ministres sous leur responsabilité, de la définition des objectifs, des finalités et des indicateurs qui permettent de mesurer la réalisation de ces objectifs. On constate partout - cela réjouit l'ancien commissaire au Plan que je suis - le développement plus ou moins formel d'un processus de planification stratégique qui permet de définir la finalité des politiques publiques, exercice qui s'opère généralement sur cinq ans de manière glissante et qui se traduit par un engagement politique, plus ou moins formalisé, du ministre. C'est ce que l'on appelle au Royaume-Uni le public service agreement, autrement dit un contrat signé entre le ministre et le Premier ministre. Au Canada, le rapport sur les plans et priorités est présenté au Parlement. Aux États-Unis, j'y reviendrai, c'est une planification stratégique.

Tout cela signifie donc un engagement politique du ministre. Cette planification est déclinée, d'une manière plus ou moins formelle, sur les établissements et les services. Mais le ministre exerce une responsabilité, un engagement politique très large. Par exemple, aux Pays-Bas, la politique d'éducation est décentralisée au niveau des collectivités territoriales ; néanmoins, l'engagement politique du ministre dans son contrat d'objectifs porte sur l'ensemble du champ de l'éducation.

Deuxième élément caractéristique : partout, est intervenue une identification de centres de responsabilité. Une séparation s'est instaurée entre la fonction de définition des politiques et la fonction opérationnelle de leur réalisation. Cela entraîne le recours à des agences, notion que je voudrais démythifier. On entend dire que, dans de nombreux pays, l'agence est un démembrement de l'État. Ce serait l'équivalent de nos établissements publics ou de nos epic. En réalité, dans de nombreux pays, l'agence est un service administratif sous l'autorité du ministre, mais auquel on donne une autonomie et dont le centre de responsabilité est bien identifié. Définir le centre de responsabilité et déterminer sa compétence sont indispensables au système de gestion de la performance.

Troisième élément : la mise en place systématique de contrats de performance garantissant une très grande liberté de gestion aux responsables administratifs en échange d'un engagement en termes de résultat. Une sorte d'accord s'est formé entre le ministère des Finances et les ministères gestionnaires pour que tout contrôle a priori soit supprimé, à la condition que des libertés de gestion soient offertes : fongibilité des crédits, possibilité de report, grande autonomie dans la gestion du personnel. Ces libertés ont été données en échange d'un engagement très formel sur les résultats. C'est un accord « donnant-donnant ». Encore faut-il que l'engagement sur les résultats soit respecté. Partout, l'on observe cette formule, qui s'accompagne de la mise en place de documents cadres reflétant les relations entre le ministre et ses agences, et donc une très grande liberté de gestion.

La pluralité des objectifs prévaut dans les contrats de performance, mais tous ces contrats de performance sont annuels ; en conséquence, une contractualisation sur des objectifs à moyen terme n'entraîne pas une contractualisation des moyens financiers pluriannuels. La définition des ressources reste annuelle.

Quatrième élément favorable : la mise en place de systèmes d'information nouveaux. Partout, un effort considérable a été réalisé sur le plan technique pour mettre en place des systèmes d'information modernes.

Comment s'effectue le pilotage politique et administratif de la réforme ? Dans tous les pays, ce sont les ministères des Finances et les directions du Budget qui ont joué un rôle de catalyseur. Mais, très vite, un relais politique s'est opéré au plus haut niveau - chef de Gouvernement ou Premier ministre. Dans tous ces pays, une très grande continuité politique a prévalu sur ces sujets ; dans tous ces pays également, est intervenu un accord bipartisan pour considérer que l'on devait avancer sur ce front. Dans ces pays, les deux facteurs ont joué un rôle très important. Il ne s'agit pas d'un coup d'épée dans l'eau ou d'un engagement pour un an ; quand on s'engage, c'est pour dix ans !

En ce qui concerne le support législatif, le Parlement a joué un rôle relativement modeste. Aucun texte législatif n'est venu entériner un système de gestion de la performance, sauf au Canada et aux États-Unis. Je voudrais insister sur le cas des États-Unis, non seulement parce qu'il est d'actualité, mais aussi parce qu'il est extrêmement intéressant. Les États-Unis sont le seul pays où on a défini dans un texte de loi, à savoir les « Government performances and results acts », un système de gestion de la performance. Promulgué en 1993, cet ensemble de textes forme la pièce maîtresse des réformes de gestion publique. Intervenu juste après l'accession de M. Clinton à la fonction de Président, il est l'aboutissement d'un processus engagé cinq ans auparavant et s'inspire d'expériences menées, non pas au niveau de l'État, mais des collectivités territoriales - les États fédérés ou certaines collectivités - qui avaient introduit le système de gestion de la performance. En août 1993, une proposition de loi d'un Sénateur républicain a fait l'objet d'un accord bipartisan, appuyé très fortement par le Président Clinton.

Le texte de loi prescrit explicitement à tous les départements ministériels, aux agences fédérales et aux autres organisations gouvernementales - environ 75 entités - de mettre en place une planification par objectif, assortie d'instruments de mesure de la performance.

Ce texte de loi mérite que l'on s'y attarde, car il présente une double originalité. Il définit lui-même précisément les outils, à savoir une planification stratégique à cinq ans, révisée au terme de trois ans, qui s'impose aux 75 entités, un plan annuel de performance et un compte rendu annuel de performance. Les outils sont définis dans le texte. Seconde originalité : le texte prévoit un calendrier précis d'expérimentations et de réalisations. On n'a pas décidé de tout réaliser en une seule fois, mais on a choisi 70 expériences pilotes et fixé un calendrier. Selon ce calendrier, par exemple, le plan stratégique devait être présenté par tous les départements à l'OMB, l'équivalent de la Direction du budget, et au Congrès avant le 30 septembre 1997, afin d'être intégré dans la loi fiscale pour 1998, ce qui a été fait. Le plan annuel de performance devait être présenté au 30 septembre 1999, ce fut fait. Le compte rendu annuel devait être présenté au 31 mars 2000, ce qui fut fait.

Le calendrier d'expérimentations et de présentations s'est étalé sur sept ans. Un seul point n'a été réalisé, à savoir la désignation des agences pilotes qui devaient présenter un budget-résultat, c'est-à-dire établir une liaison entre les objectifs fixés et le coût de leur action. L'exemple des États-Unis est très intéressant à la fois pour l'initiative parlementaire et pour le contenu et le calendrier de cette loi. Nous devrions nous en inspirer.

Troisième point : comment cela a-t-il débouché en termes de procédure budgétaire ? Etant précisé qu'il n'y a pas de lien automatique entre procédure budgétaire et système de gestion de la performance. À l'heure actuelle, dans aucun pays, on n'utilise de mesures de la performance dans le processus d'élaboration du budget de l'État : nulle part, on ne module les ressources budgétaires en fonction du niveau de résultat ou de performance que l'on souhaite atteindre. Cette pratique n'est pas retenue. En ce qui concerne l'adaptation des documents budgétaires, il existe partout une volonté d'associer, en présentation, les crédits et les résultats, mais cette volonté se heurte à des difficultés techniques lourdes. Pour procéder ainsi, il convient en effet au préalable de procéder à une analyse très précise des coûts par programmes, par résultats, par objectifs et par grandes fonctions, ce qui nécessite un investissement lourd, en cours dans ces pays. Des progrès très réels ont été réalisés, mais se heurtent à des difficultés techniques.

La refonte globale du mode de présentation du budget de l'État n'est envisagée que dans quatre pays et n'est réalisée sérieusement que dans deux d'entre eux : le Royaume-Uni et les Pays-Bas. À ce jour, dans aucun pays, n'existe de nomenclature budgétaire par objectif. En revanche, les deux pays qui ont considéré la réforme du mode de présentation budgétaire comme une priorité se sont appuyés sur des outils comptables, soit comptabilité analytique, soit comptabilité d'engagement, permettant une comptabilisation des ressources par objectif. Dans le cas du Royaume-Uni et des Pays-Bas, qui veulent mettre en vigueur ce nouveau système en 2002, l'année 2001 constitue un exercice à blanc sur les comptes.

Quels sont les acquis en termes budgétaires ?

J'ai pu paraître quelque peu négatif. En réalité, l'intégration de la performance a eu un effet très important dans la décision financière des gestionnaires, c'est-à-dire au sein des agences ; les mesures d'efficacité et d'efficience, dans les pays visités, se situent bien au c_ur du pilotage interne et du contrôle de gestion des centres de responsabilité dont j'ai parlé. Dans un certain nombre de cas, les ministères l'ont également utilisée. Pour les décisions budgétaires, elle intervient dans la répartition d'une enveloppe. Je citerai l'exemple intéressant de la Finlande, où le ministère de l'Enseignement supérieur réserve une partie des dotations qu'il octroie aux universités en fonction des objectifs et des résultats qu'elles obtiennent. Le champ privilégié de l'application se situe au niveau des agences et pour l'affectation d'une enveloppe interministérielle.

J'ai insisté sur la difficulté technique, qui est lourde ; il n'en reste pas moins que deux pays au moins marquent une volonté politique de progresser.

En conclusion, si l'articulation avec le budget est encore un peu lâche, le principal acquis du nouveau système peut se résumer de la manière suivante. La mise en place d'un système de performance a conduit à implanter une culture que l'on peut qualifier de « manageriale » aux divers échelons de l'administration. Mais c'est surtout au niveau des deux objectifs politiques que les acquis sont importants. Partout, a prévalu la nécessité de devoir rendre compte. Les gestionnaires et les ministères doivent très clairement rendre compte de leur action par des rapports d'activité présentés au Parlement. Il y a partout nécessité de rendre compte.

Deuxième élément important : l'apparition de nouvelles formes de contrôle. La responsabilité des gestionnaires, autrement dit la suppression des contrôles a priori, va de pair avec un véritable renforcement des contrôles a posteriori et une transformation de la nature de ces contrôles. Ces contrôles ne traitent pas uniquement des aspects comptables et financiers, mais il s'agit d'une véritable évaluation de la performance et de la qualité des systèmes d'information bâtis pour mesurer les résultats.

Ce contrôle a posteriori s'exerce à deux niveaux.

· Le renforcement de l'action des corps de contrôle internes de chaque ministère. Aux États-Unis, les comptes des ministères sont certifiés par les corps de contrôle internes et il n'y a pas obligatoirement quitus. Le département de la Justice n'a pas obtenu de quitus pendant quatre ans, car ses méthodes furent jugées insatisfaisantes.

· Le contrôle externe exercé par les Cours des comptes ou par des organismes rattachés au Parlement ; c'est le cas du GAO aux États-Unis.

En ce qui concerne les formes de contrôle, on note l'évolution des directions du budget elles-mêmes. Dans les pays rencontrés, celles-ci ont évolué vers un système nouveau : l'absence d'intervention directe dans la gestion courante des ministères, à la condition que les engagements soient respectés. En revanche, des indicateurs de performance ont été utilisés pour le suivi et l'évaluation des programmes et l'examen périodique de l'utilisation des crédits a été effectué. On rencontre plusieurs cas de figure : soit les directions du budget ont pris l'initiative et se sont adaptées spontanément, soit le ministre des Finances a engagé son autorité sur ce point.

J'insisterai enfin sur l'avènement de nouvelles formes de responsabilités politiques. La gestion par la performance implique un engagement public du Gouvernement sur des objectifs et sur des résultats qu'il escompte ; il prend des engagements fermes devant le Parlement, mais aussi vis-à-vis de l'usager. Partout la qualité du service public est un élément déterminant. L'obligation de publication des résultats s'est imposée au Royaume-Uni et dans d'autres pays, des trophées de qualité ont été décernés au Danemark, en Finlande et dans d'autres pays. Cette transparence au profit du citoyen est d'ailleurs favorisée par les nouvelles technologies de l'information.

À l'heure actuelle, le principal bénéfice de ces réformes se situe davantage dans les objectifs politiques que j'ai indiqués que dans la pure technique budgétaire.

M. le Président : Merci, M. Guillaume. L'intérêt de votre présentation est suffisamment grand pour ne pas manquer de susciter des questions. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq : M. Guillaume, vous nous avez décrit un petit paradis, un monde un peu idéal. Or, je suppose qu'il existe également des ratés, ce qui est normal dans tout système qui s'expérimente. Vous avez dit qu'il fallait une continuité politique et un accord partisan. Ces deux conditions sont-elles préalables, sinon consubstantielles, à une réforme de cette envergure, dont vous avez indiqué qu'elle pouvait durer une dizaine d'années avant d'entrer dans les m_urs ?

M. Henri Guillaume : Puisque nous abordons les questions, je précise que je n'ai pas prononcé le mot « France », dont notre rapport ne traite pas. Si donc vous êtes amenés à me poser des questions en ce domaine, je tiens à préciser tout de suite que je n'engage ni l'Inspection générale des finances, ni le ministère des Finances.

J'ai décrit un système ; il n'est évidemment pas idéal. Il mérite lui-même une évaluation. L'état d'avancement est très divers selon les pays. En revanche, je crois qu'une réelle transformation des modes de gestion publique est en train de s'opérer. En termes de méthode de gestion, de système d'information, de connaissance de l'action de la puissance publique, une grande majorité des pays que j'ai étudiés a pris une longueur d'avance, sans que cela n'ait radicalement modifié les procédures budgétaires, ni tous les comportements. Je prendrai l'exemple du Congrès. Certes, il fut l'initiateur de la réforme aux États-Unis en 1993 ; néanmoins, la Commission des voies et moyens, la plus puissante du Congrès, n'a pas voulu adopter une nomenclature budgétaire par programme, estimant qu'elle ne pourrait plus, dans cette hypothèse, contrôler, titre par titre et chapitre par chapitre, la ventilation des crédits, et qu'elle perdrait donc son pouvoir. On ne peut écarter d'un revers de la main les progrès de transparence, de connaissance et surtout la volonté d'expliciter les objectifs de l'action publique, ce qui me semble essentiel pour le débat public et parlementaire.

Quant à la continuité politique et l'accord bipartisan, je ne crois pas que ce soit une condition préalable, mais cela me semble un gage de durée du processus. Dans la mesure où ces réformes ne peuvent être conduites que sur la durée, il faut, à mon avis, une grande continuité. Des alternances sont intervenues dans ces pays, mais le fait qu'il y ait eu au départ un accord sur la finalité a permis une certaine continuité de ces politiques. Mais ce n'est pas une condition suffisante, de même que changer le texte budgétaire est une condition nécessaire, mais non suffisante.

M. le Président : La parole est à M. Didier Migaud, Rapporteur de la proposition de loi organique.

M. le Rapporteur : Il s'agit d'un rapport décapant, utile, qui d'ailleurs m'a servi de base pour élaborer un certain nombre de propositions, car j'avais déjà eu l'occasion de rencontrer M. Guillaume. Le rapport montre tout le travail qui reste à entreprendre dans notre pays, même si comparaison n'est pas toujours raison : les traditions, les cultures, les histoires sont différentes. Mais, sur le plan du contrôle, de la transparence, la France, si on la compare à d'autres, peut être considérée comme en voie de développement et peut connaître une marge de progression.

Vous avez insisté sur la responsabilisation des gestionnaires. C'est un point central de la gestion de la performance. On peut considérer qu'elle repose sur trois piliers : la capacité de déterminer les objectifs des politiques publiques ou des objectifs de gestion ; la capacité d'effectuer des arbitrages entre des moyens disponibles ; enfin, la capacité de contrôle. Sur la capacité d'opérer des arbitrages, peut-être serait-il utile que vous nous donniez votre sentiment sur le sort particulier qu'il faut ou non réserver aux dépenses de personnel dans le cadre de la fongibilité qui peut être reconnue aux gestionnaires publics. Qu'en est-il ? Quelles sont les conclusions que vous tirez vous-même des expériences que vous avez pu étudier?

En ce qui concerne la capacité de rendre compte, pour la première fois cette année, des rapports de gestion ont été présentés, à l'appui du projet de loi de règlement de l'exercice 1999. Qu'en pensez-vous ? Comment peut-on les apprécier au regard des rapports de gestion qui peuvent exister à l'étranger ?

Quelques questions sur les programmes : notre proposition de loi organique prévoit que le projet de loi de finances sera présenté par programmes. Vous avez vous-même insisté sur la nécessité de présenter un programme et de « responsabiliser » à partir de ce programme. Pouvez-vous nous dire si les dépenses de personnels sont isolées ou globalisées avec les autres dépenses ? Dans la seconde hypothèse, a-t-on assisté à une augmentation sensible des dépenses de personnel ? L'annualité est, semble-t-il, conservée dans tous les pays, avec nécessité d'un contrôle annuel. Comment articule-t-on la définition des objectifs avec l'annualité et la pluriannualité ? C'est un point qu'il convient de préciser dans le texte que nous étudions. Dans les pays que vous avez cités, le Parlement participe-t-il à la définition des programmes ? Comment ces pays en sont-ils arrivés à la définition de programmes et sur quoi se sont-ils fondés ? Comment le Parlement a-t-il été associé à leur définition ?

Une ou deux questions sur la présentation et sur l'équilibre budgétaire. Des États ont-ils opéré, de ce point de vue, une distinction entre les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement ? Cette distinction a-t-elle une utilité pour ce qui concerne le budget de l'État et a-t-elle des traductions en termes d'équilibre budgétaire ?

Se pose également la question de l'article 40 de la Constitution. Certes, nous avons décidé de rester dans le cadre constitutionnel en vigueur. Mais, dès lors que les crédits deviennent fongibles, la capacité de modifier telle ou telle ligne perd de son importance. Pouvez-vous nous dire quels sont les pouvoirs de modification des crédits dont peut bénéficier le Parlement par rapport aux programmes présentés par le Gouvernement, étant précisé que la contrepartie de la définition d'objectifs et des indicateurs de résultats réside dans une plus grande souplesse et dans des modalités de contrôle adaptées ?

Ma dernière question est relative à la certification des comptes publics : quelle est la conséquence d'une non-certification des comptes dans les pays que vous avez étudiés ? Vous l'avez évoqué en soulignant que le ministère de la Justice aux États-Unis n'avait pas reçu quitus de sa gestion. Quelles sont les conséquences ? Y a-t-il une sanction ? Quels sont les États où il existe vraiment une procédure de certification des comptes publics ? Cela rejoint, du reste, le débat sur la sincérité des comptes publics. Qu'en est-il exactement dans les pays que vous avez étudiés ?

M. le Président : Nous assignons là à M. Henri Guillaume une vaste performance ! J'ai envie de répondre au Rapporteur qu'aux États-Unis, quand on ne donne pas quitus, on recompte ! (Rires.)

M. Henri Guillaume : Je tiens tout d'abord à préciser que je ne suis pas un spécialiste du budget, ni des techniques budgétaires. Il est donc des questions sur lesquelles je préférerais « passer mon tour » ; j'essayerai néanmoins de les aborder.

Je ferai une remarque générale sur la révision de l'ordonnance de 1959. Dans un grand nombre de pays, il n'y a pas eu de réforme de la procédure budgétaire. Ce n'est pas un texte législatif qui a engagé la réforme. Dans le cas de la France, où nous enregistrons un certain retard - je n'irai pas jusqu'à dire que nous sommes sous-développés, mais nous enregistrons un retard en matière de technique de gestion -, je considère que la réforme de l'ordonnance est véritablement un levier essentiel. Il faut absolument l'entreprendre si l'on veut changer les choses. Le contenu de la proposition de loi organique, sur certains points, me semble déterminant ; toutefois c'est une condition nécessaire, mais non suffisante, car le système est global et engage à la fois le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.

Sur le problème des emplois, on constate dans les pays étudiés une gestion très décentralisée, qui se réalise par effectifs et masse salariale, c'est-à-dire que la notion d'emploi budgétaire ne revêt pas une réalité forte. Si je prends la proposition de loi organique, j'irai plus loin que ce qui est prévu pour les emplois budgétaires : on sait bien qu'il n'y a pas identification entre le nombre d'emplois budgétaires et les effectifs réels. Les deux véritables critères de gestion sont les effectifs et la masse salariale. S'il devait y avoir un critère limitatif, ce serait la masse salariale et il conviendrait de laisser le gestionnaire arbitrer à l'intérieur de sa masse salariale. Sur ce sujet, je n'exprime que mon seul point de vue.

M. le Président : Rejoint par d'autres !

M. Henri Guillaume : Dès lors que l'on décentralise les responsabilités de gestion, les critères importants sont le recrutement des effectifs et la masse salariale. En ce qui concerne la gestion de la performance, dans les pays où il y a un système d'agence, le patron de l'agence, de même que pour un Epic en France - j'ai été patron d'un Epic - choisit le type d'emploi, recrute qui il veut, selon les méthodes qu'il choisit ; mais on lui demande de tenir sa masse salariale. C'est un critère que l'on retrouve à peu près dans tous les pays, quitte à ce qu'il y ait, en termes d'emplois budgétaires, pour des raisons de contrôle, des éléments indicatifs ; mais je ne crois pas que l'emploi budgétaire soit, sur le plan de la gestion, le bon élément. Encore une fois, je ne me place pas en termes de contrôle parlementaire.

Je n'ai pas étudié dans le détail la capacité de rendre compte, mais l'on retrouve partout, soit un compte rendu relatif au plan de performance comme aux Etats-Unis, soit un rapport d'activité, celui-ci étant un vrai rapport d'activité, c'est-à-dire qu'il ne porte pas sur une vague indication de ce qui a été fait, sur les moyens engagés, mais indique également les modalités de contrôle, de pilotage, de gestion interne. C'est un point fondamental. Un vrai rapport d'activité s'articule dans le système que j'ai indiqué, dans lequel on a défini les objectifs et le niveau de performance, ainsi qu'un plan de performance ; le rapport d'activité se situe en exécution du plan de performance.

M. le Rapporteur : Qui établit le rapport de performance ?

M. Henri Guillaume : C'est le responsable gestionnaire qui fait son rapport au ministre et au Parlement.

M. Jean-Jacques Jégou : Le plan ou le rapport ?

M. Henri Guillaume : Le plan de performance est le plan du ministre ou, dans certains pays, d'une agence ; ensuite, par rapport au plan de performance, il peut y avoir un plan d'activité. Il s'agit généralement d'un rapport d'activité au ministre et au Parlement, sachant que les rapports d'activité les plus intéressants sont ceux des agences plutôt que ceux des ministères.

Il y a beaucoup à dire sur la planification stratégique. C'est pourquoi les propos de Mme Bricq sont très vrais. Dans tous ces pays, on constate une certaine hétérogénéité : alors que des ministères ou des agences ont bien avancé, d'autres juxtaposent leurs documents traditionnels en les appelant « plan » ou « plan de performance ».

Les programmes sont le centre de votre projet. L'introduction de programmes comme unité de vote est cohérente avec ce que l'on observe dans les pays visités, car cela contribue à une vision plus globale de la destination et de l'efficacité de la dépense publique. C'est indispensable. Un point doit être étudié de très près : il est difficile d'associer directement crédits budgétaires et objectifs, ce qui nécessite un effort certain en matière de connaissances comptables et un renouvellement de la nomenclature qui ne peut s'inscrire que dans la durée. Il y a là une base technique fondamentale et qui a un coût.

Par ailleurs, il convient d'avoir une lecture de la notion de programme qui ne soit pas limitée à la stricte problématique budgétaire ; c'est, selon moi, le point le plus difficile. L'évaluation de l'efficacité, dans de nombreux pays, ne s'associe pas forcément au concept de programme comme unité de vote ; autrement dit, quel sera le niveau d'agrégation ? Un programme sera-t-il élaboré au niveau d'un centre de responsabilité ou au niveau plus global d'une politique ou d'un ministère? La difficulté technique est grande. À ce titre, je plaiderai pour l'expérimentation et les délais. Il faut prendre garde à bien définir la notion de programme et la façon dont elle s'associe au contrôle en termes de responsabilité. Si l'exercice est par trop global, on ne fera que rebâtir un système qui ne nous permettra pas d'apprécier réellement les résultats ; si l'exercice est trop détaillé au niveau des centres de responsabilité, on risque de s'y perdre. Je plaide vraiment pour une phase d'expérimentation, afin d'étudier la bonne manière de définir ces programmes. C'est selon moi la clef de la proposition de loi organique.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous des agrégats actuels ?

M. Henri Guillaume : Je ne me prononce pas.

M. le Rapporteur : Ce qui est une façon de se prononcer !

M. Henri Guillaume : J'en viens à l'annualité. Les pays étudiés n'ont pas remis en cause les grands principes du droit budgétaire, ce qui, pour autant, ne signifie pas absence de pluriannualité, mais celle-ci intervient, soit en termes de prévision des objectifs, soit en termes de prévision des programmes ; toutefois, aucun de ces pays ne garantit sur trois ans que les prévisions ne varieront pas d'un dollar, d'un franc ou d'une lire. L'exemple des Pays-Bas et de son gouvernement de coalition est intéressant. Ils organisent leur pluriannualité avant la formation du gouvernement de coalition, qui sera en place pour une durée de quatre ans ; ils réfléchissent aux montants des crédits qui seront impartis à l'Éducation nationale, à la Défense, etc... Ensuite, un accord de gouvernement est conclu. La pluriannualité, c'est le respect de l'accord de gouvernement.

Je plaide pour une vision pluriannuelle. Encore une fois, aucun pays n'a remis en cause le principe de l'annualité budgétaire, mais partout est introduite une vision pluriannuelle des objectifs et une vision pluriannuelle du déroulement des programmes. Dès lors que l'on fixe un critère en termes de masse salariale, on attribue une grande souplesse de gestion aux responsables, mais cela signifie qu'il faut également définir des prévisions pluriannuelles sur l'évolution de la masse salariale. On ne peut donner toutes les souplesses de gestion si l'on n'introduit pas la notion de temps. La pluriannualité est fondamentale. À la limite, le problème se situe dans la distinction entre investissement et fonctionnement. Sans être un spécialiste du droit budgétaire, je pense toutefois qu'il faudrait étendre la notion d'autorisation de programme en « autorisation d'engagement ». Il faudrait un système d'autorisations d'engagement et de crédits de paiement. Sur les dépenses de fonctionnement et d'investissement, d'équilibre budgétaire, n'étant pas un spécialiste de ces questions, je vous prierais de m'excuser, M. le Rapporteur, je préfère ne pas m'exprimer.

S'agissant de la modification, en cours d'exercice, des crédits votés, il ne faut pas surestimer les rigidités. Lorsque l'on adopte un système de ce type avec gestion de la performance, le responsable de l'unité est en mesure d'indiquer, à 5 ou à 10 % près, ce dont il a besoin en termes de crédits. Dès lors que l'on est entré dans un système de gestion de la performance, le problème se pose à la marge. En revanche, cela suppose des outils de régulation - que prévoit d'ailleurs la proposition de loi organique - c'est-à-dire la fongibilité et le report de crédits, qui donnent une certaine souplesse. Cela s'opère généralement par arrêté du ministre des Finances en cours d'exercice, avec consultation du Parlement, mais peut également être prévu dans la loi de règlement.

La certification des comptes n'intervient pas partout, ni de manière très formelle. Aux États-Unis, les comptes du ministère de la Justice ne furent pas certifiés à quatre reprises. Il n'y a pas eu de véritable sanction ; simplement, ce ministère est apparu comme le mauvais élève de la classe. Et au bout de trois ans, il a remis les choses au point en répondant aux interrogations techniques qui avaient été certifiées. En l'occurrence, la certification des comptes est une certification par le corps de contrôle interne du ministère. Dans ces systèmes, la véritable sanction, c'est le débat au Parlement sur le respect ou non des engagements ; c'est là le point le plus important.

M. le Président : La parole est à M. Jean-Pierre Delalande.

M. Jean-Pierre Delalande : Comme M. Guillaume, je pense qu'il faut obtenir un accord majorité-opposition sur une longue période. J'espère que nous y parviendrons en France ; il n'y a pas de raison qu'il n'en soit pas ainsi.

Je souhaiterais aborder trois questions. De l'expérience comparée que vous avez menée, vous avez dégagé beaucoup de points communs. Avez-vous pu dessiner une ingénierie de la réforme, autrement dit un phasage dans le temps ? Quelles sont les étapes auxquelles il faut procéder ? Comment faut-il les valider avant de passer à la suivante ? Avez-vous pu distinguer, à travers les différentes expériences étudiées, une méthodologie dont on pourrait à tout le moins s'inspirer ?

Dans chacun des ministères, qui porte la réforme ? Le ministre lui-même, un secrétaire d'Etat ou un ministre délégué auprès de lui ? Un secrétaire général de ministère directement rattaché au ministre et placé sous sa responsabilité politique et qui doit lui rendre des comptes ? Comment cela est-il organisé ?

Troisième question, l'ensemble de ces réformes a-t-il généré des coûts informatiques supplémentaires de remise en ordre et un retard est-il intervenu pour des raisons d'inertie informatique ou d'inertie d'organisation administrative? Dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle, nous avons examiné la mise en _uvre de systèmes informatiques extrêmement importants, coûteux, massifs ; je pense notamment à l'Éducation nationale et à la réforme des universités. Imaginez s'il fallait tout revoir suite à la mise en _uvre d'une autre procédure de contrôle ! Cette question a-t-elle été étudiée ? Avez-vous rencontré des cas ? A-t-on réfléchi à la question ?

M. Henri Guillaume : S'il existe des constantes, il n'existe pas un modèle unique d'ingénierie de la réforme. Il faut tenir compte du caractère spécifique de chacun des pays, du contexte politique et administratif. Des constantes se dégagent : partout, l'on a assisté à la relance d'une sorte de planification stratégique avec établissement d'un bilan, c'est-à-dire un examen sérieux des programmes - ce que fait la mission d'évaluation et de contrôle, mais systématisé au niveau de l'exécutif - avec remise en cause de l'ensemble et nouveau départ avec un budget à base zéro. Je citerai l'exemple caricatural du Canada qui, lorsqu'il a fait l'examen des programmes, s'est posé la question de savoir s'il fallait continuer à participer à certaines organisations multilatérales et leur verser des cotisations. L'examen doit s'opérer sans aucun tabou. Après l'examen des programmes, il faut arrêter une planification des objectifs. L'idée selon laquelle il suffirait que l'administration définisse les indicateurs n'est pas bonne. La planification doit engager politiquement le ministre.

Le troisième élément reprend tout ce que j'ai dit sur l'identification de centres de responsabilité et la souplesse de gestion, points qui me semblent traités par la proposition de loi organique. Il faut s'engager partout sur des contrats. Dès lors que l'on a défini un « bon » centre de responsabilité - le bon étant à définir - il faut tendre vers cette souplesse, y compris en termes de gestion de personnel. Je ne crois pas que le problème des statuts ou des rigidités soit élevé. Dès lors que l'on a évolué sur ce terrain budgétaire, on peut avancer.

Il faut ensuite un investissement très important pour connaître les coûts : l'effort en matière de comptabilité analytique, de comptabilité patrimoniale, de système d'information nouveau ne se réalisera pas du jour au lendemain. Les pays évoqués ont agi très progressivement ; partout, des phases d'expérimentation ont été engagées. Dans les pays scandinaves ou les Pays-Bas, je suis frappé par un extrême pragmatisme. Le cas des Pays-Bas est le plus étonnant. Sur ce point, je réponds par anticipation à votre deuxième question. Il n'y a pas vraiment de pilote unique : chacun avance à son rythme. Les grands objectifs ont été fixés ; on se met d'accord, on franchit l'étape et on continue. En matière d'investissement, il faut réfléchir aux modes de contrôle : comment transforme-t-on les modes de contrôle ? Comment organise-t-on la suppression des contrôles a priori tout en conservant les garde-fous nécessaires pour veiller à la régularité et éviter la corruption ? Tous ces problèmes ont été étudiés sur les formes de contrôle a posteriori. Cela implique, dans le cas de la France, de réfléchir très sérieusement aux corps de contrôle internes des ministères ; si nous lançons cette réforme, ces derniers doivent être en mesure de procéder à toute vérification.

C'est pourquoi les dispositions transitoires que prévoit la proposition de loi organique seront essentielles. Je plaide pour une phase d'expérimentation, non pas en tant que représentant du ministère des Finances. Il faut vraiment procéder à une expérimentation pour que les choses se passent bien techniquement. Je ne vous incite pas à regarder le GPRA, mais il convient de prévoir un calendrier précis d'application et des expérimentations, qui me paraissent conditionner le succès de la réforme.

Qui porte la réforme ? Elle reçoit nécessairement un soutien actif et catalyseur du ministère des Finances et des directions du Budget. Je pense personnellement que le directeur du Budget peut jouer en France ce rôle. Intervient parfois un appui déterminant du Premier ministre. Par exemple, au Royaume-Uni, le Cabinet office placé auprès du Premier ministre, joue un rôle essentiel en matière d'expérimentation, de gestion du personnel et des politiques liées aux hauts fonctionnaires, etc... L'implication du Premier ministre et du ministre des Finances est déterminante.

À côté de cela, l'objectif de la réforme est de rendre le ministre responsable : le ministre dispose d'un plafond, dans la limite duquel il définit l'affectation des ressources. Il a donc un pouvoir budgétaire beaucoup plus grand. C'est lui qui procède à la planification, et non un organisme extérieur au ministère qui établirait le plan stratégique ou le plan de performance. Je ne dis pas pour autant qu'il n'y a pas, dans les pays cités, un contrôle du ministère des Finances, mais la responsabilité d'élaborer le plan est une responsabilité politique : le ministre prend un engagement ; il doit rendre compte de l'ensemble des agences ou services placés sous sa responsabilité. Celui qui porte la réforme, c'est donc le ministre, lequel a un engagement politique très fort.

Par rapport au panorama idyllique que j'ai pu tracer, le degré de l'engagement politique et le degré de pression du Premier ministre conditionnent le succès de la réforme. Il est intéressant d'étudier, par pays, les secteurs qui évoluent et ceux qui stagnent. Des secteurs ont connu de fortes évolutions, contrairement à d'autres restés plus en retrait. Je crois vraiment très grande la responsabilité politique du ministre. J'insiste sur un point : dès lors que toutes ces libertés lui sont données et que sont supprimés les contrôles a priori, aucun ministre des finances - je le dis à titre personnel - ne pourra accepter de donner à un ministre toute liberté sur son budget, toute liberté pour définir ses objectifs, et ne plus intervenir dans la gestion quotidienne du ministère si, au premier « coup de tabac », le ministre, voire le chef du Gouvernement, demande que l'on augmente son budget. C'est la contrepartie du système. Cela joue pour le ministre, cela joue pour le Parlement.

Quant à la troisième question, il est clair qu'une telle réforme nécessite la mise en place de nouveaux systèmes d'information. Passer d'une comptabilité de caisse à une comptabilité de droits constatés réclame un investissement informatique lourd. Je prends l'exemple de la trésorerie britannique : le nouveau système est en train de mettre en place une banque de données globale sur tous les indicateurs de résultats de gestion utilisés par les ministères. Tout cela nécessite de concevoir l'informatique. Pour être franc, nous n'avons pas étudié cette question en détail, car nous ne pouvions tout faire en quatre mois. Dès lors que l'on veut élaborer un système informatique, il est important - et cela peut s'appliquer à notre pays - de définir en premier lieu le système d'information que l'on veut obtenir ; ensuite, on fait de l'informatique. J'aurais donc tendance à dire que le problème n'est pas tant l'informatique, mais ce que l'on va mettre dedans.

Sur les indicateurs, je voudrais préciser qu'il s'est avéré plus facile, dans tous les pays, de mettre en _uvre des indicateurs de gestion par ministère ou par agence de responsabilité, plutôt que des indicateurs de résultats pour des politiques. Là réside la difficulté. La liaison entre les indicateurs du gestionnaire et les indicateurs du résultat de la politique n'est réalisée très brillamment dans aucun pays. Je n'ai pas évoqué la Nouvelle-Zélande ni l'Australie, pourtant toujours citées comme les exemples en ce domaine ; mais ces pays ont trop mis l'accent sur l'efficience, c'est-à-dire sur les indicateurs de gestion au niveau des responsables. Or, on peut enregistrer une très bonne efficience d'un responsable et ne pas obtenir de bons résultats en matière de politique publique. Il faut donc y prendre garde.

J'ajouterai un élément, qui rejoint les propos de Mme Bricq : vous aurez beau disposer du meilleur système de gestion de la performance qui soit, si vous devez couper, comme l'ont fait les Canadiens, dans tous les crédits de manière extrêmement brutale, la qualité du service public sera moindre, même si la corrélation n'est pas automatique. Le système de gestion de la performance n'est pas une panacée. Il ne sera pas utilisé comme outil de la régulation.

M. le Président : La parole est à M. Jérôme Cahuzac.

M. Jérôme Cahuzac : De votre propos, on peut retirer l'impression qu'il s'agit beaucoup plus de la réforme de l'État que de la réforme de la procédure budgétaire. De cette remarque, je tire la question suivante : vous paraît-il nécessaire de commencer dans notre pays par la réforme de la procédure budgétaire ? Cela est-il possible indépendamment de toute autre perspective de réforme de l'État ?

S'il faut commencer par la procédure budgétaire - j'ai cru comprendre que c'était en partie votre opinion - quelles suggestions avanceriez-vous, nonobstant le fait que vous vous déclarez non-spécialiste en la matière ?

De façon plus précise, je voudrais vous poser trois questions. En matière de personnel, la fongibilité des crédits, que vous semblez préconiser, me paraît rencontrer l'accord d'une majorité d'entre nous. Je crois que ce système existe en Allemagne, où une grande fongibilité est prévue en matière de personnel, mais il existe aussi un système d'enveloppe fermée très rigoureux. Un tel système vous semble-t-il pouvoir s'appliquer dans le cadre d'une simple réforme budgétaire dans notre pays ?

Ma deuxième question porte sur la spécialisation : existe-t-il, dans les pays que vous avez étudiés, l'équivalent de nos comptes d'affectation spéciale, que la proposition de loi organique suggère de supprimer ? L'alternative pourrait être leur maintien, étant entendu que si le Parlement décide d'affecter spécialement telle ressource à telle action, seul le Parlement pourrait décider d'en modifier l'affectation, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Enfin, s'agissant de l'articulation des programmes avec les dispositions de l'article 40 de la Constitution, conviendrait-il de modifier la Constitution pour qu'un programme de 1000 puisse être scindé en deux programmes de 500 et quatre programmes de 250 par le Parlement ou peut-on trouver une technique budgétaire qui permettrait, sans tomber sous le coup de l'article 40, de transformer par amendement un programme de 1000 en deux programmes de 500 ?

M. Henri Guillaume : Effectivement, dans tous ces pays, c'est la réforme de l'État qui est à _uvre. Ils ont commencé par la réforme de l'État, mais, point essentiel, ils ont renouvelé leur procédure budgétaire pour instaurer un système de plus grande responsabilité des ministres et un système de plafonds. Je retrouve cette idée dans la proposition de loi organique. Elle s'inscrit tout à fait dans le sens de ce qui est dit.

Deuxième élément : il faut bien commencer par quelque chose. Compte tenu de notre système et de la symbolique de l'ordonnance de 1959, dire que l'on va changer l'ordonnance de 1959 est un signe politique fort vis-à-vis des gestionnaires. Pour répondre à votre question, il est clair qu'il faut une réforme globale de l'État. Dans le contexte français et compte tenu des dispositions de la proposition de loi organique, c'est, à mes yeux, une condition nécessaire pour commencer, mais je tiens à préciser qu'elle est loin d'être suffisante ; c'est un levier.

J'insiste une fois encore sur l'expérimentation. Il convient de faire en sorte que la réforme ne conduise pas à instaurer un nouveau système de contraintes qui porte préjudice à la mise en place d'un système de gestion de la performance. Si les programmes ne sont qu'une simple présentation budgétaire, assez globale et par association des coûts, ils ne sont pas forcément un élément catalyseur pour la réforme de l'État.

Qui établit les programmes ? Tout dépend du rapport entre l'exécutif et le législatif. Dans tous les pays, cette tâche revient à l'exécutif, sauf aux Etats-Unis où le rôle du Congrès est déterminant : il décide si une agence modifiera ou non son programme. Cela passe par les commissions spécialisées du Sénat et par la Commission des voies et moyens qui définit les programmes. C'est une question d'équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif. Dans notre cas de figure, il faudra bien un travail extrêmement technique des administrations. L'Allemagne, pays que nous n'avons pas étudié, ne me semble guère plus avancée que la France. Je ne suis pas non plus en mesure de vous répondre à la question relative aux comptes d'affectation spéciaux, n'étant pas un spécialiste budgétaire.

Les programmes interministériels constituent un aspect très intéressant. Il faut prévoir un mécanisme - je crois du reste que c'est le cas dans l'un des articles de la proposition de loi - permettant, en cas de programme interministériel, d'opérer des transferts d'un programme vers le ministère compétent. Je pense qu'il faut être capable de traiter ces politiques. Prenons l'exemple d'une politique impliquant plusieurs ministères, celle de la recherche : un programme, s'il était établi, devrait revêtir un caractère plus ou moins interministériel. Enfin, je suis incompétent pour répondre sur l'article 40.

M. le Président : Nous nous situons dans une configuration particulière, qui est celle de la France. L'origine de la situation actuelle découle d'un choix politique fait en 1959, au moment de la mise en _uvre de la Constitution de la Vème République. Partant de ce constat, la réforme de l'État, quelle que soit la perspective par laquelle on l'aborde, relève d'une décision politique - évidemment ! Et vous ne pouvez, dans le pays qui est le nôtre, compter sur les administrations pour se réformer elles-mêmes. Sans une volonté du pouvoir politique, jamais il n'y aura de réforme, pour des raisons qui tiennent aux traditions, aux habitudes, aux modes de fonctionnement, aux comportements que l'on connaît tous, tout simplement parce que chacun défend la parcelle de pouvoir qui est le sien. Quand on connaît les relations entre Bercy et les autres ministères, quand on sait les relations qui président aux administrations entre elles, on voit bien que si l'on n'a pas, au départ, un signal politique fort, donné par nous - il sera d'autant plus fort qu'il sera commun, opposition et majorité confondues, et soulignera qu'une telle réforme est de l'intérêt de tous sur le long terme - il n'y aura pas de réforme. C'est aussi simple que cela ! Nous sommes donc obligés de passer par la réforme de l'ordonnance de 1959, quel qu'en soit le contenu - bien sûr, il vaut mieux qu'il soit le plus solide possible - pour que le signal politique soit donné. Cela passe par là ; il n'y a pas d'autre réponse.

M. Henri Guillaume : En effet, dans aucun pays, l'administration n'a voulu se réformer ; dans tous les cas, c'est le pouvoir politique ou l'opinion qui a donné l'impulsion.

M. le Président : La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière : Je reviens sur la question des ressources humaines, compte tenu du poids budgétaire que ce type de dépenses peut représenter. Vous avez beaucoup insisté, dans les pays étudiés dans le rapport - la Suède, la Finlande, le Royaume-Uni et les Pays-Bas - sur une décentralisation des recrutements et des négociations salariales. En lisant les quelques pages qui sont consacrées au sujet, il ne semble pas que prévale dans ces pays un statut de la fonction publique aussi unifié ou centralisé que celui qui existe en France. Les modalités de gestion paraissent beaucoup plus souples. Jusqu'où peut-on aller, en France, compte tenu de ce statut et compte tenu du fait que l'on génère au moment du recrutement un coût budgétaire pour trente-cinq ans, auquel il faut ajouter une quinzaine d'années de retraite ? Ce n'est donc pas une dépense pour une année. Ne se pose-t-il pas là un véritable problème ?

Question annexe : quelle a été, dans la mise en _uvre des réformes, qui semble avancer lentement, l'attitude des organisations syndicales et de ce qui pourrait être l'équivalent d'un ministère du Budget, lequel, en France, aurait sans nul doute son mot à dire, en tous cas étudierait les projets très attentivement?

M. le Président : Pour compléter la question de René Dosière, je voudrais ajouter que le ministre de la Fonction publique manifeste un très grand intérêt à la réforme. Méfions-nous que cet intérêt, que je ne suspecte pas de malice, ne soit dicté par les contraintes qui s'imposent à lui dans le cadre de la gestion des fonctionnaires de l'État. Raisonner en termes de masse salariale est sans doute l'idéal. La situation spécifique qui est la nôtre peut-elle nous permettre de l'envisager ? Soyons réalistes. Si nous nous heurtons à des blocages à ce niveau-là, nous n'arriverons pas aux résultats que d'autres auront atteint parce qu'ils ne connaissent pas le même contexte que nous.

M. Henri Guillaume : Le mouvement de décentralisation est clair : une délégation du pouvoir de gestion du personnel est réellement donnée aux agences ou, comme c'est le cas aux Pays-Bas, aux ministères : la fonction publique a été découpée en huit secteurs homogènes : les enseignants, les policiers, etc..., chaque ministère gérant la catégorie professionnelle qui relève de ses compétences. Selon les pays, les situations sont différentes : un statut de la fonction publique dans certains pays, et, dans d'autres, comme au Danemark, des contrats de droit privé. Au Royaume-Uni, les deux systèmes sont à l'_uvre, de même qu'en France. L'évolution est très poussée.

Au Danemark, un syndicat représente 95 % de la fonction publique ; les évolutions ont été négociées avec lui. En complément du fait que l'on a divisé ou que l'on a déconcentré la responsabilité de la gestion, il est prévu des rendez-vous sociaux entre le responsable d'agence ou les ministres et les organisations syndicales. Dans tous ces pays, on a l'habitude de la recherche du consensus, de la discussion. Une vraie négociation sociale fut donc instaurée sur le sujet. Ces pays n'ont donc pas connu d'altération du dialogue social.

Si l'on commence à poser la question du statut, on ne s'en sortira pas. Je ne suis d'ailleurs pas convaincu que le statut actuel soit un frein déterminant. Je parle d'avancer, car si, on pose le statut en préalable au démarrage, il est inutile d'entamer quoi que ce soit. Il faut évoluer dans le cadre que l'on connaît. Je suis persuadé qu'il faut tendre vers une plus grande décentralisation, laquelle n'est pas incompatible avec les lois existantes. Cela a été fait dans certains domaines et c'est en train d'être entrepris dans les préfectures, où est lancée une expérience pilote qui me semble extrêmement intéressante.

Certes, on engage des personnels pour trente-cinq ans et plus, mais si l'on étudiait le système de nos huit partenaires, on retrouverait les mêmes éléments quelque part dans le budget du « hors bilan de l'État ». La garantie de tout système consiste à fixer des plafonds et à les respecter. De même pour la masse salariale. Si on s'engage dans un système en se disant que, de toute manière, cela ne marchera pas parce que l'on sera débordé à la première occasion, eh bien, l'on ne fait rien. La clef de voûte du système consiste à donner des responsabilités aux gestionnaires et aux ministres, avec pour contrepartie l'obligation de rester dans le cadre de son enveloppe.

M. le Président : La parole est à M. Gilles Carrez.

M. Gilles Carrez : M. Guillaume, vous avez indiqué que les réformes intervenues dans les pays que vous avez visités n'ont pas conduit à de grandes modifications en matière budgétaire, qu'il s'agisse des procédures ou de la nomenclature. En revanche, vous avez beaucoup insisté dans votre exposé sur les modifications en termes de définition de programmes, de responsabilisation des acteurs, d'évolution vers une sorte de culture du résultat. Nous nous situons là au c_ur de la réforme de l'État, comme l'a relevé M. Cahuzac. Je voudrais vous interroger sur les indicateurs. Pour mettre en place des objectifs, des programmes, pour mesurer des résultats, pour évaluer les moyens mis en _uvre en termes de ressources humaines et financières, un ensemble d'indicateurs est nécessaire : indicateurs de qualité de services, d'efficience des services publics et des résultats. On les trouve dans différents secteurs - sécurité, éducation nationale, environnement. Ces indicateurs doivent se ressembler d'un pays à l'autre et on doit pouvoir en tirer des enseignements. Or, lorsqu'en France, on amorce la discussion budgétaire sur tel ou tel budget de ministère, l'indicateur principal, qu'il s'agisse du regard que porte le ministre lui-même ou de l'appréciation que portent les parlementaires est très simple : un bon budget est un budget qui augmente ; un mauvais budget, un budget qui diminue !

Si je prends l'exemple de l'Éducation nationale, dotée d'un gros budget, on constate que ce ministère possède une batterie d'une dizaine d'indicateurs extrêmement intéressants, que l'on perd de vue dès l'ouverture de la discussion budgétaire. Et quand on se penche de plus près sur le comportement du ministère lui-même, on constate que, si ces indicateurs lui posent des problèmes, il les modifie ! Et même lorsque l'on peut s'appuyer sur des indicateurs internationaux établis par l'Unesco et que ceux-ci ne donnent pas de résultats favorables en termes de comparaisons internationales, il ne les utilise pas ! Tout cela est de notoriété publique.

Dès lors, à partir des expériences étrangères, ne peut-on retenir un certain nombre d'indicateurs communs qui pourraient, peu à peu, être diffusés dans nos propres structures et cela parallèlement à la réforme qui sera engagée, je l'espère, de l'ordonnance de 1959 ? Car je ne pense pas que la réforme de l'ordonnance de 1959 soit le préalable obligatoire à tout autre type d'action. Je voudrais évoquer un exemple intéressant, très particulier je le concède, celui de la direction des relations économiques extérieures (DREE) du ministère des Finances. Depuis maintenant deux ou trois ans, cette direction a obtenu de la direction du Budget - c'est plus facile entre voisins - la mise en place d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens, sur trois ans, qui lui permet d'obtenir une globalisation de ses moyens, non seulement en termes de masse salariale, mais également en termes de fonctionnement. Les moyens sont globalisés, liberté lui est donnée de sortir de l'annualité budgétaire et donc la possibilité lui est offerte de raisonner sur trois ans, avec, en contrepartie, la mise en place d'un ensemble d'indicateurs de qualité de services et des indicateurs d'efficience. C'est assez facile, puisque les interlocuteurs sont les entreprises, dont les besoins permettent de définir une qualité de services. Mais là où le travail a bien avancé, on retrouve la critique que vous souligniez à propos des expériences étrangères, c'est-à-dire la déconnexion assez large entre les critères de qualité de service et les critères d'efficience. C'est une critique que l'on retrouve partout. Cet exemple aurait pu être suivi par d'autres services s'il n'y avait pas eu les problèmes de réforme de l'État. Cette approche avait été mise en _uvre à la direction générale des impôts (DGI) ; elle a été abandonnée, notamment sous la pression des syndicats. Mais ce type d'avancée peut être conduit indépendamment ou parallèlement à la réforme de l'ordonnance de 1959. Je voudrais vous interroger sur ce point : la diffusion d'indicateurs de performance, mais surtout de qualité de services et de résultats, peut-elle être accélérée à partir des expériences que vous avez étudiées?

M. Henri Guillaume : Vous avez raison de citer le contrat d'objectif de la Dree, ainsi que celui de la Dgi, qui a connu le sort que vous avez indiqué. On peut également citer l'expérimentation qui a lieu dans des préfectures, où une expérience de fongibilité, de globalisation des crédits et de décentralisation de gestion, est en train de se mettre en place. C'est ce que l'on voit partout ; mais la condition, je le répète, est d'identifier le centre de responsabilité avec lequel on contractualise.

S'agissant des indicateurs, il est plus facile d'arrêter des indicateurs de gestion, d'efficience ou de qualité de services. C'est plus aisé dans certains ministères que dans d'autres. Un effort technique est entrepris pour bâtir ce type d'indicateurs. Ensuite, il existe les indicateurs dits « de résultats », qui sont associés à des politiques. C'est plus compliqué : quel est l'impact de la politique éducative ? En ce domaine, il est fondamental que les objectifs poursuivis soient clairement explicités ; ensuite, on définit des indicateurs. Il y a donc deux volets : d'une part, le point de savoir si l'administration fonctionne à un coût correct par rapport aux objectifs qu'elle poursuit ; d'autre part, un aspect plus politique consistant à rechercher si les objectifs sont atteints. Il est nécessaire d'avancer sur ces deux fronts. Une incitation doit présider à l'élaboration des indicateurs. Selon moi, deux éléments me semblent importants. Il me paraît normal que, dans un État démocratique, le citoyen, via le Parlement ou par d'autres voies - comme internet - soit au courant des données. Partout, l'objectif poursuivi est un objectif de transparence et de contrôle démocratique.

La modification des indicateurs ? Pour l'instant, c'est la règle du jeu. Mais si on les incorpore dans la procédure et que l'on introduit donc une certaine forme de contrôle sur les indicateurs, on ne pourra plus les modifier l'année où leur évolution apparaîtra négative. L'indicateur doit à la fois être validé par les corps de contrôle internes des ministères et faire l'objet, sous une forme que je ne connais pas, d'un accord entre l'exécutif et le législatif, pour éviter les dérives que vous signaliez.

M. le Président : La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou : Je reviens d'un mot sur les propos de M. Delalande insistant sur la nécessité d'un consensus, tout particulièrement pour la question évoquée par M. Dosière, à savoir celle du personnel. Vous avez donné des indications intéressantes : plutôt que d'utiliser les notions d'emplois budgétaires, raisonnons en termes d'effectifs et de masse salariale. Cela induit une modification déjà importante qui me semble indispensable. Si nous pouvons avoir l'espoir de nous accorder de manière consensuelle sur ce point, nous pouvons essayer d'entamer la réforme. Son caractère consensuel me paraît indispensable.

Je reviens sur les services votés. Le Canada, notamment, est reparti à zéro, pour vérifier la pertinence des choix. Il ne me semble pas possible de monter un système fondé sur la performance si on ne repart pas à zéro en s'interrogeant sur l'efficience de l'action, sur la pertinence de tel poste dans tel ministère ou des crédits nécessaires à la performance. Vous placez-vous bien dans cet état d'esprit selon lequel les services votés doivent être mis à plat et être rediscutés par le Parlement ?

M. Jean-Pierre Delalande : Dans le prolongement de la remarque de M. Jégou, nous pourrions, par exemple, lancer ce mouvement dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle. Plutôt que de prendre des sujets divers, épars dans plusieurs ministères, notamment en fonction des travaux de la Cour des comptes - je reconnais qu'ils sont par ailleurs précieux -, l'on pourrait décider d'entreprendre ce travail de remise à zéro, de réévaluation d'un ministère, de le décortiquer pour, en même temps, mettre au point l'ingénierie de la réforme. Ce peut être l'une des modalités de l'expérimentation.

M. Henri Guillaume : Bien entendu, la disparition des services votés est, à mon avis, une innovation fondamentale de la proposition de loi organique. Dans les pays étudiés, dont nous avons décrit les programmes et les procédures budgétaires, les services votés n'existent quasiment nulle part.

M. Jean-Pierre Delalande : Dans aucun des huit pays visités ?

M. Henri Guillaume : Il doit y en avoir un ou deux, mais en réalité on repart à zéro. L'idée est de procéder à un examen des programmes. Reconsidérer le sort des services votés est donc essentiel.

M. Guy Lengagne : Dans tous les autres pays, on connaît des ajustements, mais pas de régulation ex abrupto ou par une lettre à chaque ministère supprimant tel montant de crédits de tel chapitre ; si j'ai bien compris, avec le système des programmes, cela n'existe pas.

M. Henri Guillaume : Cela n'existe pas, parce que les plafonds sont fixés ne varietur, c'est-à-dire que le débat est consacré au « vrai budget ». Il ne s'établit pas une sorte de consensus entre ceux qui préparent le budget et ceux qui disent : « On inscrit un peu plus et puis on coupera.  » C'est un vrai plafond.

M. Guy Lengagne : Il n'en est pas toujours ainsi. Des amputations interviennent parfois.

M. Henri Guillaume : Cela n'exclut pas - c'est même indispensable - que le ministère des Finances contrôle. Avec le meilleur système du monde, si la croissance économique chute de plusieurs points par rapport aux prévisions, il faudra bien réagir et pratiquer des mesures brutales.

M. le Président : La parole est à M. Henry Jean-Baptiste.

M. Henry Jean-Baptiste : Beaucoup de questions ont été posées et beaucoup de réponses très éclairantes sur la diversité des expériences sont présentées dans votre rapport, M. Guillaume. Depuis longtemps, en France, des expériences ont été menées, que l'on a appelé « la rationalisation des choix budgétaires », « expérience RCB », « budgets fonctionnels ». Ces expériences n'ont pas produit tous les résultats que l'on pouvait en attendre. Outre le problème des services votés que nous avons évoqué, nous voyons la nécessité de s'inspirer des expériences étrangères, en tenant compte d'un fait capital, que vous avez signalé : tous ces pays que vous avez visités n'ont pas, comme la France, une attitude si restrictive vis-à-vis de la décentralisation. Ces pays considèrent leurs collectivités locales beaucoup plus naturellement ; il semble qu'en ce domaine des résolutions nouvelles soient prises et s'appliquent. Cela dit, il faut surtout mettre en lumière ce que vous nous avez rapporté sur l'expérimentation. Elle doit, autant que faire se peut, sortir de ces habitudes anciennes, qui consistaient finalement à laisser à la seule direction du budget le soin de concevoir et de suivre les budgets. L'expérimentation doit intégrer sous des formes différentes, soit la décentralisation politique, soit la décentralisation au profit d'autres collectivités, soit la décentralisation technique. C'est ainsi que l'on pourra conduire une expérimentation véritablement complète par ministère, par service, par échelon géographique de collectivité décentralisée ou technique. C'est ce que j'ai retenu de votre très intéressante analyse.

M. Henri Guillaume : Il convient de réaliser l'expérimentation, certes, mais également de donner le signal que l'on s'oriente vers une action d'ensemble.

M. le Président : Il ne faut pas que l'expérimentation soit un gadget, sinon on nous reprendra d'une main ce que l'on nous aura donné de l'autre.

M. Henri Guillaume : Il faut un calendrier précis.

M. le Président : Absolument. Jean-Jacques Jégou a souligné l'importance du consensus ; je n'ai cessé de le répéter depuis le début : telle est ma conviction. Ce consensus dépend de chacun d'entre nous. Nous sommes là un certain nombre, ceux qui suivent véritablement cette question et qui savent l'importance que cela peut représenter pour le fonctionnement même du Parlement. Nous devons être capables de porter ce message. Encore une fois, je crois pouvoir dire que cette réforme n'est pas une réforme partisane. Elle se fonde sur l'intérêt de notre pays, l'intérêt de l'État, l'intérêt du Parlement. Je suis de ceux qui, dans cette maison et depuis un certain nombre d'années, souffrent de plus en plus de voir comment se déroulent nos débats budgétaires. Cela devient caricatural, à gauche comme à droite. Nous sommes tombés dans une caricature de débat démocratique. Cela ne ressemble plus à rien et cela limite notre influence, qui se réduit comme peau de chagrin, même si l'on fait des efforts. Je trouve que l'on fait tant d'efforts pour si peu de résultats que l'on s'interroge pour savoir si cela vaut la peine ! Nous ne sommes pas dans le cadre d'un pays sous-développé, mais quand on voit ce que vous avez observé dans des pays, pour beaucoup d'entre eux semblables au nôtre, on mesure bien notre retard !

Je distingue bien le travail budgétaire et le travail législatif. Moins de critiques sont à porter sur le plan législatif, car nous réalisons un travail sérieux. Même si ce n'est pas ce qui ressort du débat dans l'hémicycle, qui n'est que la mise en scène finale, parfois avec un mauvais metteur en scène, je pense que le travail réalisé en amont est exceptionnel. C'est sur le plan budgétaire que nous connaissons un problème. Et nous y consacrons deux mois. Lorsque nous entamons cette période statutaire ou constitutionnelle, grande est la difficulté à aborder des sujets qui devraient nous intéresser. Je pense à ce qui se passe à l'extérieur, dont tout le monde parle et dont nous sommes les seuls à ne pas parler. Nous allons donc en parler ! Je suis satisfait de voir que nous en arrivons finalement à la proposition que j'avais avancée, de spécialiser de temps à autre les questions d'actualité. Nous avons consacré à l'Europe la séance des questions d'actualité du 13 octobre, au cours de laquelle nous avons notamment interrogé le Gouvernement sur le problème des farines animales. Nous tiendrons sur ce sujet un débat le 21 novembre au sein de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, ouvert à la presse et, le 28 novembre, une séance de questions orales sans débat sera consacrée à ce problème. Nous le reprendrons également à l'occasion de l'examen du budget de l'agriculture.

Je tiens à remercier M. Henri Guillaume pour cette présentation passionnante. Ce ne sont pas des mots de convenance. Il conserve le contact avec le Rapporteur général ; nous resterons donc en relation. Tous les contacts qu'aura le Rapporteur général seront ouverts à chacun d'entre vous. Notre travail de commission comprendra donc une partie de travail public et une partie organisée par le Rapporteur, qui informera chacun d'entre nous de la possibilité d'assister à ces contacts, afin que vous soyez en mesure de suivre les questions qui vous intéressent plus particulièrement. Je vous remercie.


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