ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION SPÉCIALE

chargée d'examiner la proposition de loi organique
relative aux lois de finances

COMPTE RENDU N° 9

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 9 janvier 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Raymond Forni, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et de Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget


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M. le Président : Nous allons ouvrir cette séance de notre Commission spéciale en remerciant tout d'abord M. le ministre des finances et Mme la secrétaire d'Etat d'avoir bien voulu répondre à l'invitation que nous leur avons faite de venir jusqu'à nous.

Nous entrons, en ce début d'année, dans la dernière phase de travail de notre Commission qui a travaillé, à la fois, en séances publiques et en auditions menées par le Rapporteur général, Rapporteur du projet. Un travail considérable a été accompli, en liaison avec l'ensemble des administrations de l'Assemblée nationale ainsi qu'avec les ministères. Je me réjouis de son caractère positif, car c'est l'appréciation que je porte à ce stade des débats.

Je ne voudrais pas ouvrir cette réunion sans rendre hommage à M. Laurent Fabius qui a été l'initiateur de cette réforme. Nous ne sommes que les continuateurs de l'_uvre entreprise à l'époque où il était à la présidence de l'Assemblée nationale. La Mission d'évaluation et de contrôle et la réflexion menée depuis de nombreux mois sur la réforme de nos institutions et de l'Etat et sur la discussion budgétaire ont permis des avancées importantes. Il nous faut en franchir d'autres, ce qui est tout l'objet de notre Commission.

Nous mesurons l'intérêt que représente cette réforme à l'aune des déclarations faites par les uns ou les autres. Pour ma part, je me suis réjoui des déclarations récentes du Président de la République, à l'occasion de la présentation des v_ux, lorsqu'il a bien voulu souligner l'importance qu'il attachait à cette réforme de l'ordonnance de 1959.

Les vingt et une auditions auxquelles nous avons procédé d'octobre 1998 à janvier 2000 ont permis à tous les groupes à la fois de s'exprimer et de participer. Je voudrais d'ailleurs, de ce point de vue, rendre un hommage particulier à l'ensemble des groupes politiques de cette institution, qui sont animés d'une volonté commune pour connaître l'utilisation faite de l'argent des contribuables et pouvoir faire le compte à tout moment de ce qu'est l'état de la France. Je crois qu'il y va de l'intérêt de l'Etat et, d'une certaine manière, de la crédibilité de son fonctionnement dans ce pays. Que nous soyons dans l'opposition ou la majorité, il ne saurait y avoir de divergences d'approche sur des questions aussi fondamentales.

Nous avons trois objectifs au travers de cette réforme : améliorer la gestion publique, c'est évident ; mieux assurer l'exercice du pouvoir budgétaire du Parlement, c'est nécessaire ; et améliorer la compréhension de nos concitoyens dans le domaine des finances de l'Etat. C'est un objectif d'information à ne pas négliger car l'opinion publique a tendance à se perdre dans les arcanes de discussions excessivement techniques et complexes.

Nous avons travaillé en coopération avec nos partenaires naturels que sont les sénateurs. En effet, le Président Lambert et le Rapporteur général du budget au Sénat ont travaillé de concert avec le Rapporteur. Nous y avons associé en permanence le ministère des finances et le ministère du budget. J'en profite pour remercier M. le ministre et Mme la secrétaire d'Etat pour la disponibilité dont ils ont fait preuve tout au long de ces mois.

Nous arrivons aujourd'hui dans une phase finale de cette réflexion. Il est prévu que cette proposition soit inscrite à l'ordre du jour les 7 et 8 février prochains. J'aurais préféré que nous puissions avoir une lecture, dans chacune des assemblées, avant la suspension des travaux pour cause de campagne électorale. Toutefois, si notre discussion à l'Assemblée est positive et intègre des éléments de réflexion qui nous ont été apportés par d'autres, je pense à nos collègues sénateurs, il ne devrait pas y avoir de difficulté lorsque nous reprendrons nos travaux à la fin du mois de mars.

Je propose que M. le ministre et Mme la secrétaire d'Etat nous présentent un exposé liminaire de manière à nous expliciter leur approche de ces questions. Ensuite le Rapporteur interviendra, puis les membres de la Commission pourront poser leurs questions.

M. Laurent Fabius : Merci, monsieur le Président. Je suis heureux de me retrouver devant vous, avec Mme Parly, pour débattre de la proposition de réforme de l'ordonnance de 1959 sur les lois de finances. Ceci intervient, comme vous l'avez rappelé avec beaucoup de gentillesse, moins de deux ans - certains s'en souviennent - après le dépôt du rapport sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire du groupe que j'avais eu l'honneur d'animer, avec plusieurs d'entre vous, alors que j'étais dans cette position bénie et provisoire de présider notre assemblée.

A la suite de ce rapport, un travail important de réflexion a été réalisé au sein du Parlement et des administrations, afin de rechercher à améliorer l'efficacité de la dépense publique. Je voudrais, en débutant ce propos, vous en remercier et vous féliciter de l'initiative que vous avez prise. J'attends beaucoup de cette Commission spéciale, comme du concours du Sénat, car je sais que vous êtes vraiment désireux de réformer des procédures et des méthodes qui sont devenues aujourd'hui obsolètes.

Je souhaite donc qu'ensemble nous menions à bien cette réforme de l'Etat puisqu'il est clair qu'il n'est pas concevable que l'exécutif puisse la mener sans le concours du législatif, premier concerné, ou, qu'à l'inverse, le législatif travaille de son côté sans recevoir l'approbation de l'exécutif sur des questions de ce type.

C'est, en effet, de cela qu'il s'agit, à savoir rendre les dépenses plus efficaces pour mieux répondre aux attentes et à l'exigence de qualité des usagers du service public, le faire dans la transparence et sous le contrôle des élus, responsabiliser les gestionnaires publics, maîtriser les dépenses pour alléger les prélèvements obligatoires et les déficits publics. Nous recherchons une transparence à l'égard du citoyen et du Parlement, une transparence des prévisions facilitées par une meilleure lisibilité des objectifs visés par chaque politique publique, une transparence des résultats, avec une présentation aussi claire que possible d'indicateurs chiffrés et de témoins de performance permettant de comparer les prévisions et les réalisations.

Pour atteindre l'objectif d'une meilleure efficacité de la dépense publique, il nous faut conduire une véritable révolution tranquille et passer, car là est l'essentiel, d'une logique de moyens à une logique de résultats. La réforme institutionnelle serait peu opérante sans une modification du fonctionnement et de la gestion interne des administrations, et sans la mise en place d'outils d'information permettant de suivre les coûts, de mesurer l'activité et les résultats et d'en rendre compte.

C'est d'ailleurs par-là que la plupart des pays développés ont engagé chez eux la réforme de la gestion publique. La modernisation de la gestion interne suppose un changement profond de gestion au sein de nos administrations. Elle repose sur le développement de la responsabilité et de l'autonomie des gestionnaires, à partir d'un pilotage par objectif et d'un mode de gestion qui soit orienté vers les résultats.

Pour faire émerger ce nouveau modèle de gestion, le comité interministériel à la réforme de l'Etat, le 12 octobre 2000, a prévu le développement et la généralisation du contrôle de gestion dans l'ensemble des administrations d'ici l'année 2003. Cette décision est bienvenue. Elle devrait permettre de passer d'une situation, qui est la situation actuelle dans laquelle aujourd'hui les ministères disposent, à des degrés divers et en ordre dispersé, de mécanismes de contrôle de gestion, à une démarche d'ensemble fondée sur des engagements concernant des objectifs et sur la mesure ainsi que sur le compte rendu précis des résultats.

Le développement de cette démarche devrait favoriser la contractualisation interne dans les administrations, des politiques de qualité, l'évaluation et la simplification des documents et des formulaires. Elle devrait encourager la professionnalisation de la gestion publique, qu'il s'agisse par exemple de la fonction de gestion immobilière dont je rappelle que, pour le parc de l'Etat, sa valeur est estimée à 300 milliards de francs, ou la fonction de gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences, en raison même des enjeux majeurs que connaîtra la fonction publique dans les dix années qui viennent.

La rénovation du système d'information budgétaire et comptable constitue un deuxième préalable. La mise en _uvre d'un mode de budgétisation et de gestion orienté vers les résultats devra, en effet, s'appuyer sur un système d'information qui permette d'apprécier les résultats des services et des politiques publiques et d'en mesurer les coûts complets.

Tel est le but du projet ACCORD (système unifié et partagé de comptabilisation de la dépense de l'Etat), qui devrait être déployé dans toutes les administrations centrales d'ici le début de 2004, puis étendu à tous les services déconcentrés à la fin 2005. Ce système ACCORD ne se bornera pas, comme les systèmes qu'il remplace, à assurer le suivi et le respect de l'autorisation parlementaire en comptabilisant la dépense en engagements et en paiements, et alimenter les grands systèmes de la comptabilité générale de l'Etat et de la comptabilité nationale. Il va nous permettre également de mesurer la performance de la gestion publique au niveau de chaque gestionnaire et de l'ensemble de l'Etat.

ACCORD permettra de suivre et de restituer des dépenses par nature - personnels, fonctionnement, investissements -, des dépenses par acteur - c'est-à-dire par responsable -, par programme, par localisation, selon une approche multicritères. Il permettra aussi de connaître les charges et les coûts qui se rattachent à un exercice donné, en autorisant l'enregistrement de la dépense en droits constatés, c'est-à-dire lors de la constatation du service fait, et la prise en compte d'écritures de charges calculées, de provisions et d'amortissements, à l'instar des pratiques comptables des entreprises. Ce faisant, ACCORD va ouvrir la voie à la production de comptes de charges pour les ordonnateurs et à la tenue d'une véritable comptabilité d'exercice, qui reflétera de façon enfin sincère et fidèle la situation financière de l'Etat.

Mesdames et messieurs, même si elle n'est pas suffisante, la réforme du cadre de l'autorisation budgétaire est indispensable pour permettre l'amélioration de l'efficacité de la gestion publique. Pour cela, elle doit être centrée sur la responsabilisation des gestionnaires, avec en contrepartie un renforcement du contrôle des résultats. Responsabilisation et compte rendu sont donc les deux mots d'ordre qui doivent guider notre démarche.

A cet égard, je voudrais développer trois idées-force qui devraient structurer cette réforme et qui vont tout à fait dans le sens des travaux excellents que, sous votre impulsion, monsieur le Président, avec le concours éclairé du Rapporteur, vous avez déjà menés.

J'aborderai en premier lieu la notion de programme. Les crédits du budget de l'Etat, actuellement fragmentés en huit cent quarante-huit chapitres, dans le projet de loi de finances 2001, pourraient être regroupés en cent à cent cinquante programmes, au sein desquels ils pourraient, hors crédit de personnels, être librement redéployés par les gestionnaires.

La globalisation et la fongibilité, c'est-à-dire l'interchangeabilité, à l'intérieur de programmes à périmètre large, doivent avoir pour contrepartie la responsabilisation des gestionnaires sur des objectifs et leur engagement sur des résultats. Cette conception, fondée sur le critère de responsabilité, est contradictoire avec une vision qui serait purement analytique des programmes reposant sur un découpage théorique qui serait déconnecté du périmètre réel d'exercice des responsabilités. Cela doit nous conduire à faire coïncider les programmes avec des centres de responsabilité bien identifiés et à les définir comme le regroupement des crédits concourant à la réalisation d'une mission ou fonction, ou d'un ensemble de missions ou fonctions, ayant les mêmes finalités.

Il découle de cette définition que l'autorisation par programme devra être ministérielle, quand bien même les composantes de ces programmes pourront faire apparaître, naturellement, des actions interministérielles. Il ne s'agit pas de reconstituer les fameux programmes RCB dont le périmètre ne coïncidait pas avec le champ des responsabilités. Une enveloppe, votée par le Parlement, ne sera donc pas répartie entre plusieurs ordonnateurs principaux, car cela diluerait la responsabilité qui est au c_ur de notre réforme. Cette option me parait cohérente avec la réalité du pilotage des administrations.

Bien entendu, si nous voulons être réalistes, cela n'exclut pas que les crédits de nature interministérielle soient entièrement placés sous la responsabilité d'un ministre, quand les moyens correspondant à une politique interministérielle, par exemple la politique de la ville ou de la recherche, restent nécessairement répartis entre plusieurs ministères. Le suivi et la lisibilité de ces politiques continuent à être assurés, soit en amont au travers des « jaunes » budgétaires, soit en aval à partir des restitutions fournies par les systèmes d'information.

La définition et la délimitation du périmètre des programmes futurs ne seront pas le strict décalque des structures administratives actuelles, qui ne font pas toujours coïncider mission et centre de responsabilité. Elles devraient résulter, nous semble-t-il, d'une revue préalable des programmes impliquant des réformes dans l'organisation actuelle de l'administration, afin de mieux faire apparaître les grandes finalités de l'action de l'Etat et de les constituer en centres de responsabilité. Cette exigence justifie, à notre sens, que la création future d'un programme soit subordonnée à une disposition d'initiative gouvernementale. La création d'un programme ne se réduit pas, en effet, à un problème de nomenclature. Elle suppose de satisfaire, au préalable, des exigences élevées de structuration de l'information et d'organisation administrative, auxquelles le Parlement doit être associé en amont.

La globalisation et la fongibilité des crédits au sein des programmes, qui permettront de donner davantage de responsabilité et d'autonomie aux gestionnaires, ont pour but l'amélioration de l'efficacité de la dépense publique. Elles doivent avoir logiquement des contreparties qui porteront sur l'engagement des gestionnaires de programme, concernant des objectifs définis et le compte rendu des résultats obtenus. C'est pourquoi nous pensons, Florence Parly et moi-même, indispensable qu'à l'instar des agrégats, actuellement présentés dans les bleus budgétaires et les comptes rendus de gestion budgétaire, soient également présentés, pour chaque programme, les missions ou fonctions, les coûts associés, les objectifs poursuivis et les résultats attendus et obtenus, mesurés au moyen d'indicateurs. Il serait bon également que le chaînage entre la loi de règlement de l'année n-1 et la loi de finances de l'année n+1, amorcé en 2000 par le dépôt début juillet du projet de loi de règlement, et son enrichissement par les comptes rendus de gestion budgétaire, soit consolidé afin de placer l'analyse de l'efficacité des crédits dépensés et des résultats obtenus pour chaque programme, au c_ur du débat sur l'allocation des crédits au titre de l'année n+1 dans le cadre du projet de budget. A cette fin, les rapports de performance associés à la loi de règlement et les documents d'information, qui devront être fournis à l'appui des programmes du budget, devraient être établis selon la même structure.

Cette orientation du budget vers les résultats devrait permettre au Parlement de jouer mieux son rôle, c'est-à-dire d'allouer les ressources nécessaires aux politiques publiques sur la base d'objectifs clairement explicités, enfin, et d'apprécier les résultats de ces politiques, au vu de comptes rendus exprimés en termes d'efficacité, d'efficience et de qualité.

De même, il nous paraît souhaitable d'ouvrir la possibilité de faire varier, selon les programmes, le périmètre des crédits en laissant à la loi de finances le soin de déterminer ce périmètre, soit au niveau du programme lui-même, soit au niveau des titres au sein de ces programmes. Cette souplesse permettrait une mise en _uvre progressive de la réforme, plaçant en régime de pleine globalisation ceux des gestionnaires qui auront montré leurs capacités à définir des objectifs et à mesurer des résultats ainsi qu'à maîtriser l'exécution de leurs programmes au sein de l'enveloppe allouée.

Une deuxième idée majeure est celle de pluriannualité. L'inscription de la prévision budgétaire dans une perspective pluriannuelle est une des avancées majeures qui a été amorcée au cours de ces dernières années. Elle donne la visibilité indispensable pour assurer la maîtrise et la soutenabilité des politiques budgétaires. Elle se traduit par l'élaboration, chaque année, d'un programme pluriannuel présenté aux institutions de l'Union européenne et sur lequel j'ai consulté la Commission des finances.

Je partage l'idée de donner un fondement organique au débat d'orientation budgétaire, avec la présentation par le Gouvernement d'un rapport sur l'évolution de l'économie nationale, sur les orientations des finances publiques ainsi que sur les perspectives d'évolution pour trois ans des dépenses de l'Etat.

En revanche, l'évolution vers des budgets biennaux ou triennaux, comme certains ont pu l'envisager, me paraît assez problématique. Mais il me paraît possible de donner un support pluriannuel à certaines dépenses, en généralisant le mécanisme des crédits de paiement et des autorisations de programme que nous pourrions rebaptiser, par exemple, autorisations d'engagement. Pourraient être concernées des dépenses telles que les marchés ou les subventions qui s'étalent sur plusieurs années et ne correspondent pas exclusivement à des dépenses en capital.

L'ouverture de cette possibilité découle du choix de globalisation et de fongibilité des crédits au sein d'un programme qui implique, si on est responsable, de pouvoir transformer des dépenses de fonctionnement en dépenses d'investissement et réciproquement. Je veux toutefois avoir l'honnêteté de souligner devant vous qu'il sera cependant nécessaire de limiter la portée de ce mécanisme pour les dépenses de personnel en prévoyant, pour les ouvertures en la matière, une clef d'autorisation d'engagement égal au crédit de paiement, compte tenu de la nature même de ces dépenses. Ce mécanisme devrait aller de pair avec la possibilité de report des autorisations d'engagement non effectivement engagées.

Que deviennent alors les crédits de paiement, compte tenu du caractère pluriannuel des autorisations d'engagement et du caractère strictement annuel des crédits de paiement ? Il nous semble que, dès lors que les autorisations pluriannuelles s'appliquent à la totalité des dépenses, la possibilité de reporter la totalité des crédits de paiement présenterait un risque de gonflement des masses budgétaires qui serait incompatible avec la maîtrise de l'exécution budgétaire et avec la sincérité des prévisions. Il faut que nous ayons à l'esprit ce que signifierait un exercice de loi de finances où, à la fois, tout serait fongible transversalement et reportable du point de vue longitudinal. Du point de vue de la régulation budgétaire, nous n'y verrions alors plus rien.

Si nous avions des reports massifs de crédits susceptibles d'être consommés à tout moment par les gestionnaires, nous n'arriverions pas à faire combiner la prévision et l'exécution de la loi de finances, ce qui n'irait pas dans le sens d'une plus grande transparence. Ce point devra être très précisément étudié en raison des difficultés qu'il pose, sachant que l'on se trouvera dans le cadre d'une budgétisation par programme beaucoup plus vaste que les chapitres actuels. Nous pourrions envisager de reporter certains crédits de paiement, même si nous y sommes réticents. Toutefois cela ne peut jouer sur la totalité des crédits de paiement, sinon la complexité serait telle qu'on y verrait absolument rien. Ce point sera donc à préciser sachant que la budgétisation par programmes nécessitera, de la part des ministères gestionnaires, la mise en _uvre d'outils de prévision et de suivi de la dépense afin d'opérer une gestion souple et optimale de trésorerie.

Une troisième idée est celle de la budgétisation des dépenses de personnel, dont je rappelle le poids dans les dépenses de l'Etat - 43 % du budget général -, leur forte inertie compte tenu du GVT, soldes, pensions, etc.., et des perspectives ouvertes par les départs massifs à la retraite dans les années à venir. 50 % des agents actuellement en poste devraient quitter la fonction publique d'ici 2010. Les dépenses de personnel constituent évidemment un enjeu majeur des finances publiques qui nécessite un traitement adapté.

Il nous paraît légitime qu'au sein d'un programme donné, la fongibilité s'applique de manière différenciée en ce qui concerne les dépenses de personnel. La dotation relative aux dépenses de personnel devrait être, à notre avis, limitative et ne pourrait être abondée à partir des autres dépenses ou d'un autre programme, hormis la répartition de la provision salariale prévue pour revalorisation du point fonction publique.

En revanche, les excédents dégagés au sein de cette enveloppe pourraient venir en majoration des autres catégories de dépenses. Cette règle simple et dissymétrique devrait permettre la généralisation de démarches comme celle qui a été initiée avec succès dans plusieurs préfectures. Elle ouvrira aux gestionnaires des marges de man_uvre et encouragera l'utilisation optimale de la ressource, tout en limitant les risques de dérive en termes de créations d'emploi que permettraient des programmes totalement fongibles.

Un choix doit être fait quant à l'autorisation budgétaire en emplois et en crédits.

A l'évidence, nous le savons tous et le regrettons chaque année, la présentation en emplois en loi de finances est aujourd'hui insuffisante. La distinction entre emplois dits budgétaires et emplois sur crédits n'est pas toujours lisible. Le périmètre des emplois décrits ne couvre que partiellement ceux des établissements publics. D'ailleurs, sans attendre la réforme, nous avons tenté de progresser vers une meilleure lisibilité lors de la présentation du budget 2001, en décrivant la création des emplois réels de l'Etat et de ses établissements publics administratifs. Nous voulons aller plus loin lors de la présentation du budget 2002.

La réforme de l'ordonnance devrait être, selon nous, l'occasion de traiter cette question en cohérence avec vos objectifs de modernisation de la gestion publique. Au terme de la proposition du Rapporteur, à la masse salariale qui fait l'objet du titre I de chaque programme, est associé un nombre d'emplois décrit en annexe, qui constitue le plafond autorisé. La question est de définir le dosage et la combinaison entre l'autorisation donnée en masse salariale et le plafond en emplois. L'autorisation en masse salariale, dans la mesure où elle rend nécessaire une gestion prévisionnelle des effectifs et une connaissance fine des déterminants des dépenses de personnel, est un levier puissant de modernisation de la gestion. C'est dans l'esprit même de la réforme, un des éléments de responsabilisation des gestionnaires. Si vous choisissez de maintenir parallèlement un vote en termes d'emplois autorisés, je préconiserai alors d'adopter une présentation qui sécurise le niveau des effectifs tout en laissant au ministère gestionnaire une liberté suffisante pour adapter aux besoins la structure des emplois. C'est en ce sens que nous avons commencé à mener une réflexion, à l'occasion de l'expérimentation menée dans quelques préfectures : dans la limite d'un effectif autorisé, d'une masse salariale donnée et d'une masse indiciaire plafonnée, le préfet peut choisir de transformer des emplois de catégorie A en emplois de catégorie B ou C, ou inversement, afin d'adapter la structure et la qualification de son personnel aux besoins. Dans cet esprit, il serait intéressant qu'un plafond global d'emplois s'applique à un ministère dans son ensemble, étant entendu que, par ailleurs, la masse salariale est limitée au niveau de chaque programme. Une description détaillée des emplois concernés serait annexée, à titre prévisionnel et informatif.

Cette nomenclature reste à préciser. Lors du compte rendu de gestion, un état détaillé des effectifs employés, lors de l'année considérée, serait fourni au Parlement. En d'autres termes, que vous ayez à délibérer sur une masse salariale et sur de grandes catégories nous paraît souhaitable, que vous deviez délibérer sur le nombre d'emplois de catégorie A, B ou C, sauf à rendre absolument fictive la notion de responsabilisation de gestion, est un point très important. Au regard de l'avancement de vos travaux, j'ai souhaité qu'avec Mme Parly, nous abordions ce sujet délicat. Le Parlement doit pouvoir jouer tout son rôle et disposer de tous les instruments de vote et de contrôle. Dans le même temps, il faut que puisse jouer la pleine responsabilisation des gestionnaires.

La réforme proposée devra se traduire par un renforcement du rôle du Parlement, sans pour autant bouleverser l'équilibre institutionnel entre le législatif et l'exécutif qui résulte de la Constitution. Cela devra se traduire de plusieurs façons. L'orientation du budget vers les résultats, qui permet d'améliorer la transparence de la gestion publique et de recentrer le débat budgétaire sur les enjeux, les projets et les objectifs des politiques publiques, représente un renforcement du rôle du Parlement en matière d'allocation de la ressource publique et du contrôle de la dépense publique.

L'accroissement de la responsabilité et de l'autonomie accordée aux gestionnaires, au travers de la globalisation et de la fongibilité des crédits, devra trouver, selon nous, sa contrepartie dans le renforcement du contrôle a posteriori et dans l'amélioration des comptes rendus présentés au Parlement, lors de la présentation de la loi de règlement.

Le contrôle du Parlement s'exerce en particulier dans le cadre de l'élaboration du budget, au travers de l'allocation des crédits, au vu des comptes rendus sur les résultats des politiques publiques antérieures. S'il est normal et sain que le Parlement soit mieux associé à la gestion des crédits en cours d'exercice, ceci ne doit pas déboucher sur un contrôle qui serait tatillon ni empiéter sur les pouvoirs réglementaires de l'exécutif. Je dis cela afin d'éviter tous quiproquos entre nous. Chacun est appelé à gouverner à tour de rôle, et l'objectif du Parlement n'est pas de se substituer au rôle de l'exécutif. L'exécutif n'y serait pas prêt, pas plus d'ailleurs que la Constitution. Cela étant, je pense qu'il y a des marges supplémentaires de contrôle pour le Parlement.

Le champ de compétence de la loi de finances pourrait être élargi et consolidé. Ainsi, en matière de prélèvements fiscaux, nous pensons que la loi de finances pourrait prévoir, dans une annexe, la récapitulation des impositions de toutes natures, notamment celles affectées à des personnes morales autres que l'Etat, pour la meilleure information du Parlement. Cette mesure permettrait, en particulier, de mieux articuler les débats des projets de loi de finances et de loi de financement de la Sécurité sociale. Il nous semble aussi que le renforcement du rôle du Parlement passe par une simplification souhaitable de la présentation du budget et une réaffirmation des principes d'unité et d'universalité budgétaire. Les mesures suivantes pourraient permettre de concrétiser cette orientation. Nous sommes prêts par exemple à réfléchir à la suppression progressive des budgets annexes et des comptes d'affectation spéciale, afin d'accroître la portée de l'universalité budgétaire. Devront être étudiées rapidement l'éventuelle suppression des comptes de commerce et des comptes de règlement avec les Gouvernements étrangers ainsi que la fusion, dans une catégorie de comptes unique des actuels comptes de prêts et comptes d'avances. Cette mesure nécessitera à coup sûr une période d'adaptation générale. Une expertise complémentaire, menée par exemple par l'Inspection générale des finances, pourrait permettre d'étudier la faisabilité précise de cette proposition, à laquelle nous sommes ouverts.

La question très délicate du traitement en prélèvement sur recettes de l'ensemble des concours de l'Etat aux collectivités locales doit être abordée, compte tenu notamment de l'avis du Conseil d'Etat dont je vous ai informé et qui doit être mûrement réfléchi. En effet, le Conseil d'Etat vient de rendre un avis estimant que les prélèvements sur recettes ne sont pas conformes à la Constitution, tant au regard du principe d'universalité que de l'article 40, relatif au droit d'amendement qui prohibe l'aggravation d'une charge publique.

Vous savez, par ailleurs, que le Gouvernement n'est pas favorable à la modification de l'article 40 de la Constitution. Pour autant, le droit d'amendement qui est le vôtre ne doit en aucun cas être réduit. Nous devons trouver une solution pour que votre droit d'amendement ne soit pas limité. Toutefois, si on supprimait totalement les prélèvements sur recettes, ceux qui suivent ces débats savent fort bien qu'ils auraient davantage de loisirs. Nous n'y sommes pas favorables, mais nous devons néanmoins tenir compte du droit tel qu'on nous l'expose. C'est un point sur lequel le Parlement et le Gouvernement devront avoir une discussion claire.

D'autre part, je souhaite souligner que la réforme du texte organique doit être l'occasion de réfléchir à une amélioration du calendrier de la discussion de la loi de finances au Parlement. Pour ma part, je suis réticent à l'idée consistant à faire passer au printemps ce qui est à l'automne, notamment du fait que l'une des difficultés devant laquelle nous nous trouvons est qu'il ne peut s'écouler un temps trop long entre le moment où nous faisons nos prévisions économiques et celui où s'exécute le budget, à moins de faire un exercice totalement fictif. Si deux ans devaient s'écouler entre le moment où vous analysez la conjoncture et celui où vous avez, en fin d'exercice, l'exécution du budget, nous risquons, par la force des choses, d'avoir des budgets sans cesse décalés. Autant nous devons avoir des débats, autant en ce qui concerne le vote, il convient de pas trop distendre le moment du début de la réflexion et celui de la fin de l'exécution.

En revanche, il me semble qu'il serait très utile d'avancer les délais de vote de la loi de finances rectificative de fin d'année, ceci afin de l'exécuter avant le 31 décembre pour des raisons de transparence, notamment parce que cela pourrait permettre de traiter, de façon plus adéquate, la fameuse question de la période complémentaire.

Nous ne pouvons éviter une partie de la période complémentaire, tout simplement parce que tout n'est pas terminé au 31 décembre et qu'il reste certaines opérations à exécuter entre le 31 décembre et le 31 janvier. Toutefois entre une période complémentaire restreinte et une période complémentaire qui serait trop large et lâche, il y a possibilité de trouver un point d'équilibre. Nous sommes disposés à travailler dans cette direction, notamment pour ce qui concerne la loi de finances rectificative ou la période complémentaire proprement dite. Vous devez réfléchir, car cela vous concerne directement, non pas en termes de loi organique mais de règlement intérieur ou de pratique, à vos propres débats en séance publique. On ne peut envisager de grandes réformes d'un côté, s'il n'y en a aucune de l'autre.

Je voudrais enfin dire quelques mots sur l'impératif de lisibilité de la politique budgétaire qui conduit clairement à distinguer le budget et les comptes. Le budget, dont la vocation est de retracer l'autorisation parlementaire en dépenses et en recettes, obéit, dans sa présentation, à une logique de caisse. Il sert de cadre à l'expression des choix politiques, économiques et financiers. Dans un souci de cohérence, l'exécution budgétaire doit être établie selon la même logique que pour l'établissement des projets de loi de finances.

Le système dit de caisse, qui enregistre les recettes et les dépenses au moment de leur encaissement et de leur décaissement, possède un avantage considérable, à savoir qu'il est parfaitement fiable et adapté au compte rendu de l'activité budgétaire. Il permet de s'assurer que l'autorisation de recettes ou de dépenses accordée par le Parlement est effectivement respectée. Par ailleurs, il facilite la mise en place d'une stratégie claire des finances publiques, notamment au sein de la zone euro.

Dans cette logique, nous estimons qu'il ne serait pas raisonnable d'ajouter, à la présentation de type budgétaire, une présentation en droits constatés et charges calculées qui conduirait à changer la nature de l'autorisation parlementaire. De surcroît, l'application au budget des mécanismes comptables de provisionnement et d'amortissement soulèverait des problèmes méthodologiques inextricables qui pourraient faire douter de la pertinence et de la sincérité d'une telle démarche.

C'est pourquoi nous pensons que le budget de l'Etat doit continuer à être présenté et suivi sur la logique dite de caisse. En revanche, les comptes rendus, selon les principes de la comptabilité dite d'exercice, ont pour vocation de restituer a posteriori l'ensemble des produits et des charges se rattachant à un exercice donné et de donner, pour cet exercice, une image sincère et fidèle de la situation financière de l'Etat. Ils apportent une visibilité excellente, à moyen et à long terme, de la performance de la gestion publique. C'est pourquoi a été fait le choix de développer la comptabilité de l'Etat dans le format d'une comptabilité d'exercice, qui est d'ailleurs largement inspirée du plan comptable général en vigueur dans les entreprises privées ou publiques. Ainsi que je l'ai constaté, cette option est celle retenue par la quasi totalité des grands Etats.

La décision de modifier le texte organique de 1959, parallèlement à la réforme des modes de gestion interne des administrations et à la rénovation des systèmes d'information budgétaires et comptables, est un choix très ambitieux. Ce choix marque votre volonté et celle de l'ensemble des pouvoirs publics d'ancrer la réforme dans les faits. Nous devons mesurer d'autant plus le niveau de cette ambition qu'aucun des grands pays qui ont engagé la réforme de la gestion publique ne l'ont conduite de pair avec une réforme institutionnelle.

Quels sont les délais de mise en _uvre ? Il ne faut pas surestimer les obstacles. Il convient cependant de garder à l'esprit qu'une telle réforme s'étalera nécessairement sur plusieurs années, ne serait-ce qu'à cause des appels d'offres européens que nous serons amenés à lancer, rendus nécessaires par les changements considérables et indispensables de l'outil informatique.

La dernière étape de mise en _uvre, selon les calculs de mes services, devrait intervenir fin 2004. Dès cette année, pour le budget 2002, il conviendra de démarrer plusieurs modifications et de définir précisément les phases diverses de mise en _uvre du projet, afin de l'étaler dans le temps. Il est évidemment hors de question d'envisager une mise en place de ces modifications sur une année. Néanmoins, si nous proposons à nos compatriotes une réforme dont la visibilité commence en 2004, on nous dira c'est très bien mais ce n'est pas le contrat. Nous devrons établir un calendrier des modifications qui interviendront en 2002, 2003, 2004, etc.

Parallèlement, peut-être souhaiterez-vous modifier sensiblement certains aspects trop académiques du déroulement même de la discussion budgétaire qui relèvent, non pas de la loi organique, mais de votre règlement intérieur. A la lumière de l'expérience, je sais que ce n'est pas facile, mais je crois que c'est indispensable. En ma qualité de représentant du Gouvernement, j'ai souhaité soulever ce point. En effet, à quelle situation aboutirions-nous si nous modifions profondément l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, en ayant des procédures ultrasophistiquées pour la gestion interne, la responsabilisation, etc. et si notre mode d'examen reste le même. Le décalage extrêmement lourd qui en découlerait se ferait au détriment du Parlement et de son image. La difficulté réside dans le fait qu'il convient de convaincre et les groupes et les députés individuellement. Je pense, pour ma part, que c'est l'occasion à saisir, sinon nous nous trouverons dans une situation qui ne sera pas en faveur du Parlement.

Madame Parly et moi-même qui, en un autre temps et une autre fonction, vous avais dit son attachement à la réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959, sommes heureux de vous réitérer aujourd'hui concrètement, au nom du Gouvernement, tout notre soutien pour cette réforme majeure. Vous devez l'avoir ressenti, au-delà du contenu technique de mon exposé, au travers de mes propos. Par conséquent, Florence Parly et moi-même seront à vos côtés et aux côtés du Sénat pour mener à bien, dans la concertation, cette réforme majeure de l'Etat. C'est précisément parce que cela me semble être une des premières fois que les deux assemblées, les plus hautes autorités de l'Etat et le ministère des finances sont à l'unisson qu'il ne faut pas laisser passer cette occasion.

Mme Florence Parly : Je ne reviendrai pas sur l'importance que j'attache, en tant que secrétaire d'Etat au budget, à la réforme de l'ordonnance organique de 1959 et je ne reviendrai pas non plus sur l'architecture générale de la réforme, telle qu'elle vient d'être évoquée devant vous par M. Laurent Fabius.

En revanche, je souhaiterais reprendre devant vous trois questions qui me paraissent particulièrement sensibles pour le ministère des finances, mais aussi pour le Parlement. La première question porte sur la signification de la réforme que nous souhaitons conjointement entreprendre, la seconde sur la définition d'un programme, car le c_ur de la réforme repose sur cette notion de programme. La troisième question consiste à imaginer à quoi ressemblerait la discussion budgétaire au Parlement, dans l'hypothèse où cette nouvelle loi organique entrerait en vigueur.

En premier lieu, quelle est la signification profonde de cette réforme pour les administrations ? La volonté du Gouvernement, qui -  me semble-t-il -  rejoint pleinement celle du Parlement, est de donner un coup d'accélérateur à la réforme de l'Etat, en rendant les administrations réellement plus efficaces. Ce sont des mots, mais qui devraient être aussi à l'avenir des faits. La décision pour plus d'efficacité ne peut pas simplement être prise à l'Assemblée ou à Bercy, elle ne peut qu'être le résultat de l'action de chacun des gestionnaires qui composent la sphère publique. Je crois que c'est là que se situe notre pari commun. Il faut donc, pour cela, libérer l'initiative des gestionnaires et des équipes qui les entourent pour que le meilleur service public soit rendu, et cela au meilleur coût.

C'est en effet, aujourd'hui, la seule voie possible pour que l'Etat puisse faire face à l'extraordinaire diversité des demandes qui lui sont adressées, sans pour autant peser de manière trop lourde sur l'économie du pays. Nous souhaitons donc - et c'est le sens de la proposition de loi déposée par le Rapporteur - alléger les contrôles a priori et, pour être plus précise, déplacer ces contrôles. Je m'explique. La loi organique devra clairement prévoir un allégement du détail des autorisations que vous donnerez pour la construction du budget. C'est un point essentiel de la réforme. Or, aujourd'hui, si l'autorisation parlementaire porte sur le chapitre budgétaire, demain, elle devrait porter sur le programme.

Ainsi que M. Laurent Fabius l'a indiqué, l'autorisation budgétaire est éclatée sur environ huit cents chapitres. Ils étaient près de deux mille il y a encore une dizaine d'années. Demain, cette autorisation budgétaire devrait s'articuler entre cent et deux cents programmes. Il reviendra aux gestionnaires qui se situent sur le terrain, s'ils l'estiment utile et plus efficace, de modifier la nature de la dépense prévue et de choisir, selon les cas, de faire eux-mêmes ou de faire faire, suivant l'optimisation des choix qui se présenteront à lui.

La simplification de l'autorisation parlementaire devra donc trouver une traduction directe dans l'allégement de la tutelle financière que peut exercer le ministère des finances sur les autres ministères. Cette simplification de l'autorisation parlementaire devra aussi se traduire par une modification sensible du rôle de la direction du budget elle-même, du rôle qu'exercent les contrôleurs financiers et du rôle du secrétariat d'Etat au budget.

Je me permets d'attirer votre attention sur ce changement fondamental d'approche que suppose le passage d'environ huit cent cinquante chapitres à environ cent cinquante programmes, car c'est la condition et le point d'application précis du passage d'une culture de moyens à une culture de résultats, que chacun appelle de ses v_ux et dont la concrétisation se fait attendre. Faute d'un changement radical de la structure de l'autorisation parlementaire, cette formule risquerait de rester creuse et sans portée.

Il convient donc de ne pas se cacher que la tentation pourrait être grande de multiplier les enveloppes limitatives, en découpant ces fameux programmes en sous-programmes et en missions. Mais ce serait aussi refuser l'obstacle et, d'une certaine manière, revenir à une approche par les moyens dont nous souhaitons nous éloigner. Il ne fait aucun doute que si l'on cède à cette facilité, on retrouvera rapidement un découpage qui ressemblera d'assez près à l'actuel découpage en chapitres budgétaires, avec la satisfaction que donne la confortable illusion de contrôler a priori. Quand je dis confortable, je me mets également dans ce rôle, car le ministère des finances pratique le contrôle a priori. Néanmoins ce serait une illusion encore plus grande de penser qu'il est possible de donner aux gestionnaires publics des objectifs et d'apprécier leur action sur la réalisation de ces objectifs, tout en maintenant ce mécanisme de contrôle a priori.

Si nous devions renoncer à cet élargissement de l'autorisation budgétaire et à son corollaire qui est la fongibilité au sein de programmes larges, nous reviendrions alors dans un système où le principal souci des gestionnaires serait de respecter les enveloppes budgétaires. De ce fait, ils n'auraient plus ni la liberté, ni grand intérêt à réfléchir à une utilisation plus efficace des moyens mis à leur disposition.

Cela étant, si cette réforme conduit à une autorisation donnée de façon plus globale sur un ensemble plus vaste, elle pourrait conduire directement à un amoindrissement du rôle du Parlement, ce qui, pour vous parlementaires, n'est pas du tout votre souhait, pas plus qu'il n'est celui du Gouvernement et ce qu'il propose. Car en effet, si l'autorisation budgétaire a priori était allégée, comme cela est proposé, cet allégement serait accompagné de deux compensations extrêmement importantes dans l'équilibre de la réforme proposée.

La première compensation est que le débat a priori, qui existe d'abord entre le ministère des finances et les ministères dépensiers, et puis entre le Gouvernement et le Parlement, devra se déplacer du terrain actuel du calibrage financier, portant sur tel ou tel chapitre, vers un débat portant sur les missions de tel ou tel ministère, ses priorités et ses objectifs. Il supposera de traduire ces objectifs en indicateurs de résultat et il conviendra d'examiner la façon dont les gestionnaires s'engagent à les atteindre. Il me semble qu'il s'agit là d'une rénovation très importante des modalités d'intervention du Parlement, dans le débat financier. Cela ramène cette intervention à ce qu'elle devrait être, c'est-à-dire l'examen, par la représentation nationale, des objectifs de la politique du Gouvernement dans chacun des ministères.

Néanmoins, ce premier contrepoids ne serait pas satisfaisant s'il n'était accompagné d'un autre, tout aussi important, qui est l'existence d'un débat a posteriori. Celui-ci interviendrait lors de la loi de règlement et imposerait au Gouvernement d'indiquer au Parlement, de manière précise, les résultats chiffrés obtenus sur le terrain et de les comparer aux objectifs sur lesquels il s'était engagé pour cette année-là. Ce débat a posteriori permettra également à la représentation nationale de s'intéresser, dans le détail, à la nature de la dépense et, élément fondamental, au rapport entre l'argent dépensé et le résultat obtenu.

C'est donc le sens profond de la réforme à laquelle nous sommes invités. Il nous faut renoncer à nos rassurants - mais illusoires - contrôles budgétaires a priori. Il conviendrait également de renoncer à notre autorisation, au niveau du chapitre, et déplacer le débat, tant interne à l'administration qu'entre le Gouvernement et le Parlement, pour le centrer sur l'ordre de priorité des missions, les indicateurs fixés et les résultats effectivement obtenus, et ce de manière mesurable sur le terrain.

De ce point de vue, cette réforme est tout à fait essentielle pour une meilleure compréhension, par nos concitoyens, de ce qu'est le débat budgétaire qui, je dois le dire, peut paraître abscons.

Le second point sur lequel je souhaitais intervenir est la notion de programme. C'est un élément essentiel, car cela constituera le niveau auquel interviendra le vote du Parlement ainsi que celui de l'autorisation qui sera donné aux gestionnaires. Si nous faisons l'hypothèse que les agrégats actuels, qui figurent dans les bleus, pourraient constituer une première préfiguration de ce que seraient les programmes de demain, il convient cependant d'essayer de préciser quelles seraient les caractéristiques de ces programmes.

Tout d'abord, les programmes devront correspondre à un responsable, c'est-à-dire une personne bien identifiée qui sera clairement comptable des résultats obtenus. Pour la bonne information du Parlement, il me semble que ces programmes devraient être détaillés sous forme de sous-programmes ou de missions. La dépense devrait être répartie, pour l'information du Parlement, en titres fongibles. La seule limite, qui serait réellement imposée en gestion, serait l'interdiction faite de rémunérer des emplois avec des crédits prévus pour d'autres types de dépenses.

Enfin, seraient associées aux programmes des missions clairement définies et classées en ordre de priorité, ainsi que des indicateurs de résultat sur lesquels le gestionnaire s'engagerait.

Pour illustrer les choses, je recourrai à l'exemple du ministère de l'intérieur. Imaginons que les programmes se présentent sous la forme et les contours des actuels agrégats. Néanmoins cela ne signifie nullement que les agrégats d'aujourd'hui constitueront mécaniquement les programmes de demain. Le ministère de l'intérieur comporte cinq programmes : l'administration territoriale, la sécurité civile, la police nationale, les collectivités locales et l'administration générale. Le budget du ministère de l'intérieur fait actuellement l'objet de quatre votes, sur les titres III, IV, V et VI. Si le nouveau dispositif était retenu, le budget du ministère de l'intérieur ferait l'objet de cinq votes puisqu'il y a cinq programmes. Mais le niveau du vote serait confondu avec le niveau d'autorisation, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. En effet, le vote a certes lieu au niveau du titre, mais c'est au niveau du chapitre que le gestionnaire est lié par la détermination des crédits.

Essayons maintenant d'envisager ce que pourrait contenir un programme en prenant pour exemple l'administration territoriale, qui représente un montant de crédits de sept milliards de francs. Ce programme pourrait se composer de huit sous-programmes qui seraient les missions aujourd'hui identifiées dans les bleus, à savoir la communication et la représentation de l'Etat, la sécurité, l'accueil et la délivrance des titres, la réglementation générale, les relations avec les collectivités locales, le développement économique, les politiques interministérielles et la gestion des crédits qui leur sont associés, l'animation des politiques régionales et les fonctions logistiques.

Ces huit sous-programmes correspondent à des missions et à chacune d'elles seraient affectés des personnels et des crédits représentant le coût de ces missions. On constate qu'il serait inopérant de conférer un caractère limitatif aux crédits correspondant à chacune de ces missions et, quand bien même on le ferait, le contrôle en serait impossible. Les personnels et les moyens doivent en effet pouvoir être affectés en fonction des priorités, comme c'est le cas, aujourd'hui, par les préfets.

Globalement quelle sera la différence par rapport à la situation actuelle ? Aujourd'hui, les parlementaires adoptent les moyens de l'administration territoriale, pour en revenir à l'exemple cité, selon six chapitres :

- quatre chapitres pour les dépenses de personnels, sans toutefois réellement distinguer dans les prestations ou les cotisations sociales de ce qu'il revient aux personnels de ces préfectures ;

- un vote sur le chapitre de fonctionnement global des préfectures ;

- un vote sur le chapitre d'investissement immobilier, mais qui n'est pas propre aux préfectures puisqu'il est partagé entre la sécurité civile, la police et l'administration centrale.

Ainsi, vous n'adoptez pas, même au niveau du chapitre budgétaire, les crédits dans un périmètre de responsabilité qui est celui de l'administration territoriale. A la structure actuelle de l'autorisation que vous donnez, il est donc impossible d'attacher des objectifs et d'identifier des responsables. Ce faisant, le budget est difficilement lisible et l'évaluation des résultats ne peut être mise en regard d'une consommation des moyens.

Quelle serait la situation demain ? Vous n'adopteriez plus les crédits par nature de dépenses - personnel d'un côté, fonctionnement et investissement de l'autre - les crédits étant pour certains mélangés avec ceux d'autres services, comme la police et l'administration centrale. Vous adopteriez une enveloppe correspondant à un ensemble de missions, qui sont celles de l'administration préfectorale, mais en recevant, lors du vote, une information sur la répartition prévisionnelle des moyens entre les différentes missions, sur les objectifs correspondants et les résultats attendus. Enfin, lors du compte rendu de gestion qui serait présenté à l'occasion de la loi de règlement, vous disposeriez d'une information précise sur la manière dont les objectifs fixés auront été ou non atteints.

Enfin, je conclurai mon propos sur ce que pourrait être le débat au Parlement. Lors des discussions que nous avons eues il y a encore quelques semaines, j'ai pu mesurer l'insatisfaction qui était généralement la vôtre, à la fin de débats extrêmement longs, où vous n'aviez pas toujours l'impression d'avoir pu utilement débattre de l'essentiel. Il m'est arrivé également d'éprouver ce même sentiment.

A quoi ressemblerait le débat budgétaire au Parlement lors de l'entrée en vigueur de la nouvelle ordonnance organique ? Il ne m'appartient pas de répondre à cette question puisqu'elle est clairement de votre responsabilité, mais vous me permettrez néanmoins de relever trois points. Le premier, c'est que partout où est intervenue une réforme du type de celle que nous nous apprêtons à lancer, les débats parlementaires ont en parallèle été profondément modifiés. En effet, le déplacement du débat du découpage fin des crédits, au niveau du chapitre, vers une discussion sur les objectifs de l'action publique permet d'alimenter un débat démocratique qui a pour caractéristique de pouvoir s'appuyer sur l'évaluation des politiques publiques.

Le deuxième point est que la réforme et la modernisation de l'Etat ne peuvent que s'accompagner d'une réforme et d'une modernisation du travail parlementaire. Il est certain que la situation doit évoluer au niveau de l'administration, mais elle doit également évoluer au niveau du Parlement. Il ne fait d'ailleurs aucun doute que le Parlement a besoin de développer sa capacité à faire évoluer les politiques publiques. De ce point de vue, il me semble que la Mission d'évaluation et de contrôle a été mise en place tout à fait dans cet esprit. Il me paraît fondamental que nos concitoyens puissent suivre nos débats en en comprenant les éléments essentiels.

Enfin, troisième point, il importe que nous redéfinissions dès maintenant, dans la proposition de loi si nécessaire, les points d'accroche du droit d'amendement parlementaire, non seulement sur la première partie de la loi de finances - c'est ce que nous évoquions à l'instant avec la question des prélèvements sur recettes - mais également sur la deuxième partie. Nous devons préciser davantage les éléments sur lesquels les parlementaires pourraient faire valoir leur vue, en particulier et de manière précise, comment ils pourraient influencer, au-delà du calibrage de l'enveloppe financière accordée à un programme, la définition de tel ou tel programme ou de telle ou telle mission, l'ordre de priorité accordé à chacune d'entre elles ainsi que le choix et le niveau de l'indicateur de résultat.

Toutes ces questions ont pour dénominateur commun d'être extraordinairement complexes, mais néanmoins essentielles. J'ai bien conscience que c'est à une véritable révolution que nous sommes collectivement appelés. Les pays qui s'y sont attelés ont, avec force tâtonnements, mis entre cinq et dix ans pour rénover l'intégralité de leur système de gestion et le mode de relation entre le Parlement et le Gouvernement.

C'est pourquoi une période transitoire, suffisamment longue pour pouvoir bien caler tout cela, nous sera certainement nécessaire. Elle devra être prévue de manière explicite dans notre réforme. Mais cette révolution et cette ambition nous sont nécessaires car, au bout du compte, ce dont il s'agit, c'est de faire clairement apparaître l'usage qui est fait de l'argent des Français. C'est donc un projet important pour notre démocratie.

M. le Président : Merci, Madame et Monsieur le ministre pour ces explications. Avant de donner la parole au Rapporteur, je souhaiterais apporter quelques commentaires. J'ai pleinement conscience, comme l'ont rappelé Laurent Fabius et Florence Parly, de la nécessité, en ce qui concerne l'Assemblée, d'adapter notre discussion budgétaire et, de ce fait, d'aborder le problème de la modification de notre règlement. Cela signifie d'ailleurs que notre Commission spéciale, une fois son travail accompli dans le cadre de la réforme de l'ordonnance de 1959, pourra sans doute apporter des suggestions très utiles à la fois à la Commission des finances et au Bureau de l'Assemblée, pour nous permettre cette adaptation nécessaire.

C'est sans doute aussi parce que des travaux déjà menés, s'agissant de la discussion budgétaire, ont permis une prise de conscience, à tous les niveaux, que cette réforme est aujourd'hui possible. Dans le passé, nous avons connu un grand nombre de tentatives de réforme de l'ordonnance de 1959 dont seules deux - me semble-t-il - ont abouti, et encore sur des points extrêmement mineurs. C'est donc un enjeu considérable pour nous, qui est non seulement lié à la lisibilité de nos comptes et du budget de l'Etat, mais également à la crédibilité de l'action de l'Etat. N'étant pas moi-même un spécialiste de ces questions, j'ai le sentiment de plus en plus que la discussion s'obscurcit pour ceux qui nous entendent et qui essayent de nous comprendre.

A partir du moment où on fait ce constat, sauf à imaginer que le pouvoir serait concentré entre les mains de quelques-uns, qui l'exerceraient au détriment de tous les autres, c'est-à-dire par une administration, qu'elle soit gouvernementale ou à l'Assemblée - je crois que les choses peuvent être mises en parallèle, même si les enjeux ne sont pas les mêmes -, ce serait tout à fait préjudiciable pour nous tous.

Le pouvoir politique doit être exercé par ceux qui ont reçu mandat du peuple et, me semble-t-il, il ne s'arrête pas au vote des lois classiques, traditionnelles, d'essence essentiellement juridique. La discussion budgétaire est un des éléments fondamentaux de l'action que nous devons mener en tant que parlementaires. Je vous remercie, Monsieur le ministre et Madame la secrétaire d'Etat, des efforts que vous avez faits tout au long de cette discussion. J'ai conscience que tout n'arrivera pas en un jour et qu'il faudra du temps. C'est d'ailleurs ce qui motive l'optimisme qui est le mien. Quand l'application d'une réforme doit s'étaler dans le temps, cela donne la perspective, à ceux qui sont dans l'opposition, de rejoindre la majorité et vice versa. Cela donne beaucoup d'espoir aux uns ou aux autres et, en tous les cas, le sentiment d'_uvrer dans l'intérêt commun, sans s'arrêter à des considérations d'ordre partisane ou clanique.

Il me semble que c'est ainsi que l'on a les meilleures chances de réussir des réformes. Nous sommes sur la bonne voie et devons tenir bon. Les discussions sont sans doute complexes du fait de leur technicité, mais l'essentiel étant que les spécialistes que vous aviez, Monsieur le ministre, déjà rencontré en d'autres occasions, puissent faire avancer le débat.

M. le Rapporteur : Je voudrais remercier M. le ministre et Mme la secrétaire d'Etat pour leurs interventions que j'ai écoutées avec grand intérêt. C'est la première fois que le Gouvernement nous fait part d'un point de vue aussi détaillé sur la déclinaison des différentes orientations de la réforme que nous appelons de nos v_ux. Je veux y voir un signe très positif. Cela montre qu'un travail très important a commencé à être réalisé au niveau Gouvernemental, en liaison avec nos propres travaux.

Nous avons fait le choix délibéré, dans la proposition que j'ai rédigée, de rester dans le cadre de la Constitution de 1958. Néanmoins cela ne signifie pas que l'on doit écarter a priori toute réforme institutionnelle, une fois cette révision décidée et votée. Cela ne doit pas nous empêcher d'apporter, de nous-mêmes, un certain nombre de réformes à notre règlement intérieur et à notre façon de discuter du budget de l'Etat. Nous avons mis en route un certain nombre de choses, ce qui nous a permis de constater que les pesanteurs et les conservatismes existent aussi chez nous et que, parfois, nous sommes attachés davantage à la virtualité du pouvoir qu'à sa réalité. Nous avons donc nous-mêmes une marge de progression par rapport à nos méthodes de travail.

Je suis heureux que vous ayez repris le double objectif que nous nous sommes donné. S'agissant du premier qui consiste à améliorer la gestion publique, vous avez apporté un certain nombre de propositions. Quant au second objectif, sur lequel nous insistons davantage que vous, il consiste à mieux assurer l'exercice du pouvoir budgétaire avec la nécessité, sur cette partie-là, d'exercer plus pleinement les pouvoirs budgétaires que nous reconnaît la Constitution et sur lesquels l'ordonnance de 1959 est quelque peu revenue, de la même façon que la pratique institutionnelle est revenue sur ce que doit être le pouvoir budgétaire du Parlement.

Nous sommes en plein accord sur les objectifs. Nous aurons l'occasion vraisemblablement de préciser un certain nombre de notions et, si vous êtes allé dans le détail, c'est compte tenu d'une réflexion très poussée désormais, sur le plan Gouvernemental, ainsi que d'un certain nombre de réunions de travail que nous avons pu avoir ensemble. Je vous remercie d'avoir répondu presque par avance à un certain nombre de questions que nous nous posons.

Cela dit, j'aimerais que nous puissions revenir sur quelques sujets. S'agissant des programmes et de tout ce qui peut concerner les contrôles a priori, voire l'autorisation budgétaire, j'ai été presque choqué de constater que l'on puisse comparer le rôle du ministère de l'économie et des finances à celui du Parlement, dans ce que vous avez appelé le contrôle préalable. S'agissant du Parlement, c'est d'une autorisation budgétaire dont il s'agit et non pas d'un contrôle préalable. Dès lors que l'on raisonne en termes d'autorisations budgétaires, le problème se pose d'une manière totalement différente. D'où le débat que vous avez amorcé, et que nous devons approfondir, sur le niveau d'autorisation de la part du Parlement.

Nous sommes conscients, d'autant que nous l'avons demandé depuis un certain temps, que la fongibilité, la responsabilisation des gestionnaires publics et l'amélioration de la gestion publique entraîneront de fait, également au niveau du Parlement, un certain nombre de modifications quant à notre approche.

Toutefois il ne faudrait pas que cela puisse se traduire par une autorisation budgétaire qui serait totalement vidée de toute signification. Il y a un moyen terme à trouver. Il n'est pas question pour nous de revendiquer un vote sur 847 subdivisions et nous sommes d'accord pour une diminution drastique des niveaux d'autorisations parlementaires, mais en aucun cas, le niveau d'autorisation ne pourrait être, par exemple, les agrégats actuels. Il me semble qu'il y a là un approfondissement nécessaire.

J'ai retenu des observations de nos collègues que, sur ce point, la discussion entre nous devrait s'approfondir, même si je n'ai pas perçu, dans vos propos, des points de blocage insurmontables. Il me semble que nous approchons d'une solution. J'aimerais que vous puissiez là-dessus nous rassurer complètement, étant entendu qu'il n'est pas pour nous question de remettre en cause les conséquences de cette fongibilité, qui a pour but d'apporter de la souplesse aux gestionnaires des crédits et d'améliorer l'efficacité de la dépense publique.

Sur un autre plan, celui de la sincérité des lois de finances, c'est une question à laquelle vous avez et êtes toujours, Monsieur le ministre, très sensible puisque vous l'avez été comme Président de l'Assemblée nationale et que vos premières décisions, en votre qualité de ministre de l'économie et des finances, ont été aussi un souci de transparence beaucoup plus importante. Cette exigence de sincérité a pris un relief particulier dans les débats qui ont émaillé récemment l'exécution des lois de finances. De plus, nous savons que le Conseil institutionnel est appelé à juger de la sincérité des lois de finances qui sont soumises à son examen.

Nous avons inséré, dans la proposition de loi organique, un article relatif à la sincérité des lois de finances. Cela vous paraît-il apporter des précisions utiles à cet égard ? Là aussi, il m'apparaît important qu'avec le Gouvernement, nous puissions prolonger la discussion et faire en sorte que cette sincérité, qui est toujours quelque peu subjective, puisse apparaître dans un texte, sans que cela puisse entraîner une insécurité juridique au regard des interprétations que pourraient en avoir les uns et les autres.

Enfin, je voudrais faire une ou deux observations qui sont aussi des questions. Vous avez évoqué la question des prélèvements sur recettes. L'avis qui a été exprimé par le Conseil d'Etat devrait pouvoir être communiqué à l'ensemble de nos collègues, afin que nous puissions nous-mêmes en débattre. Il est vrai que le Conseil d'Etat semble adopter une position quelque peu rigide vis-à-vis de ces prélèvements sur recettes. La question me semble mériter d'être travaillée car, à la lecture de décisions récentes, il apparaît que le raisonnement juridique du Conseil d'Etat et du Conseil Constitutionnel ne sont pas toujours identiques. Peut-être l'avis du Conseil d'Etat pourrait-il être démenti par le Conseil constitutionnel en la matière.

Néanmoins, l'actualité récente nous montre que le Conseil constitutionnel peut considérer qu'il a la possibilité de s'affranchir de ces avis. Si l'on suivait l'avis du Conseil d'Etat, la traduction concrète serait un affaiblissement de la capacité d'amendement de la part des parlementaires, notamment pour tout ce qui concerne les collectivités locales. Voyez-vous une possibilité de prolonger la réflexion à partir de l'avis du Conseil d'Etat ?

Sur le calendrier budgétaire, j'ai été sensible à vos propos. Nous sommes nombreux à penser que cela n'a aucun sens de voter un collectif budgétaire le 22 décembre, sachant qu'il ne peut être exécuté dans le cadre de l'année civile. Vous semblez faire des propositions de présentation anticipée. Comment cela pourrait-il se traduire et quelle pourrait être la conséquence par rapport à cette période complémentaire ? Quelles conséquences pourrions-nous en tirer par rapport au projet de loi de règlement et au contrôle a posteriori sur le budget de l'année précédente qui nous est indispensable par rapport au vote du budget de l'année suivante ?

Telles sont, Monsieur le ministre et Madame la secrétaire d'Etat, les observations que je souhaitais apporter, étant entendu que je veux me réjouir, une fois de plus, de ce qu'un processus me paraît bien engagé. Je souhaite que nous puissions faire en sorte que cette révision puisse être votée dans les délais les meilleurs par le Parlement.

M. le Président : Compte tenu de l'accord que nous donne le ministre sur la distribution aux membres de la Commission spéciale de l'avis du Conseil d'Etat, ce qui n'est pas dans la tradition car le Conseil d'Etat délivre des avis au Gouvernement, je souhaite qu'au regard du sujet extrêmement technique que nous traitons, il soit conservé à titre d'information pour nourrir notre réflexion et ne soit pas utilisé à l'extérieur. Ce serait une mauvaise manière à l'égard du Conseil d'Etat qui le prendrait, à juste titre, assez mal et, de plus, sans intérêt comme l'a dit le Rapporteur. Nous pouvons discuter de cet avis très intéressant qui ne semble pas fixé ne varietur. Certaines choses me semblent aller au-delà des règles qui nous régissent. Chacun l'appréciera et fera profit de cette lecture.

M. Laurent Fabius : J'aimerais apporter une réponse sur les derniers aspects abordés par le Rapporteur, à savoir la question du vote des lois de finances, la date de la période complémentaire, etc. Notre idée serait d'examiner si, dans les modalités de discussions, nous ne pourrions pas gagner un peu de temps pour les lois de finances rectificatives, ce qui aurait toute une série d'incidences. Cela n'est pas facile car nous savons tous que la session d'automne est très chargée. L'exemple que vous avez pris est tout à fait utopique, et nous arrivons à des situations quelque peu absurdes.

En ce qui concerne la période complémentaire, notamment à la lumière des expériences que nous avons les uns et les autres, il me semble qu'il convient de faire la part des choses. Il y a un élément de période complémentaire qui n'est absolument pas choquant. Le fonctionnement de l'Etat ne peut pas s'arrêter instantanément au 31 décembre. Mais ce dont il s'agit est de ne pas utiliser la période du 1er au 31 janvier pour manipuler les comptes. Nous pouvons assez facilement, par la pratique, arriver à une amélioration sans bouger les textes. Comme vous le constaterez d'ailleurs pour l'année 2000, nous avons une pratique qui ne sera pas du tout contestable. Pour l'instant, il n'y a aucune polémique et je pense qu'il n'y en aura pas du tout.

Le deuxième point concerne la sincérité de la loi de finances. Là nous devons réfléchir car, d'ores et déjà, le Conseil constitutionnel est amené à juger de la sincérité des lois de finances soumises à son examen. Faut-il mettre un article et quelle en sera la signification exacte ? Si cela signifie transparence, bien évidemment il faut s'assurer de la transparence des hypothèses, des prévisions, des moyens de vote, etc.  Mais si cela signifie que l'exécution doit être exactement conforme à la prévision, c'est une autre paire de manche, car personne ne peut l'assurer. Il est donc indispensable de bien réfléchir avant de faire figurer une telle proclamation, certes très séduisante en tant que position de principe, mais dont on doit s'interroger sur la nature si cela devient du droit positif. Pour ce qui concerne la transparence, nous sommes d'accord qu'il convient de réfléchir aux moyens de la renforcer.

S'agissant des prélèvements sur recettes, il est nécessaire que vous amorciez une discussion que nous sommes prêts à continuer avec vous, dans cette enceinte ou ailleurs, car nous pouvons tout à fait discerner les différentes phases. Si, d'un coté, il est dit que les prélèvements sur recettes ne sont pas constitutionnels, mais que d'un autre côté, nous ne voulons pas toucher à l'article 40, pour vous, mesdames et messieurs les parlementaires, cela se traduit concrètement par une diminution assez forte de votre pouvoir d'amendement. Au regard du nombre d'amendements déposés en cours d'exercice, soit en pourcentage, soit en nombre, si nous enlevions cela, toute une série de vos amendements tomberait. C'est un point sur lequel il faut agir avec précaution. Peut-être serait-il préférable que vous en discutiez, au préalable, entre vous et qu'ensuite nous entamions une discussion très pratique, avant de lancer de grandes déclarations qui se tourneraient, à un moment donné, contre les droits du Parlement. Peut-être sur les programmes, Mme Parly souhaite-t-elle apporter un complément d'information ?

Mme Florence Parly : Le Rapporteur a très bien résumé le problème. Nous sommes au c_ur du sujet lorsqu'il est indiqué que l'objectif est de rendre le plus possible fongible les moyens dont sont responsables les gestionnaires. Ceci permet d'avoir un ensemble large - c'est-à-dire les programmes - dans lequel cette fongibilité s'exerce. Par ailleurs, il ne s'agit pas de créer une forme d'autorisation parlementaire qui serait déconnectée du monde réel.

Nous sommes d'accord sur les orientations. Ce qui importe maintenant, c'est de nourrir notre réflexion commune à l'aide d'exemples, J'ai modestement essayé de faire cet exercice devant vous. Ce travail n'est pas achevé, il faut aller plus loin, développer des expérimentations et surtout poursuivre la discussion sur ce point, car c'est vraiment au c_ur de notre réforme.

M. Jean-Pierre Delalande : Nous sommes d'accord, dans l'opposition, sur l'ensemble des objectifs, à savoir l'efficacité budgétaire, la lisibilité des budgets et la crédibilité de ces trois déclinaisons : l'autorisation que donne le Parlement au Gouvernement, le contrôle et la sincérité des comptes.

Cela dit, j'aurai quatre questions et deux remarques à faire. En ce qui concerne les débats, comme vous, Monsieur le ministre, j'estime que nous devrons modifier nos procédures de débat budgétaire. Une première partie, plus politique et plus compréhensible, pourrait accueillir le Premier ministre, le ministre des finances et le secrétaire d'Etat au budget, qui assurent l'essentiel des choix. Dans une deuxième partie, le débat porterait sur la déclinaison par ministère avec, au sein de chacun des ministères, les programmes.

En ce qui concerne le débat de la loi de règlement, je souhaiterais faire quelques propositions. Pourrait-on envisager, lors de la séance de printemps, un examen de trois dispositifs :

- la loi de règlement de l'année n-1, avec les comptes de fin d'exercice ;

- un débat d'orientation du règlement de l'année n qui soit, pour nous, un rendez-vous en milieu d'année de l'exécution du budget en cours. Cela nous donnerait l'occasion de réorienter des missions dont le Gouvernement s'apercevrait qu'il ne peut les mettre en _uvre ou qu'il doit les réorganiser. Ainsi ce dispositif permettrait au Gouvernement de conserver sa souplesse de travail, tout en gardant un sens au rôle d'autorisation du Parlement ;

- un débat d'orientation budgétaire revalorisé pour l'année n+1, qui ne soit pas simplement une conversation aimable et sympathique entre le ministre, la majorité et l'opposition sur les prévisions économiques.

Comment réagissez-vous à ces propositions ?

En ce qui concerne les recettes, reconnaissez qu'actuellement le principe d'universalité budgétaire est bien mis à mal. Certaines recettes vont à l'Etat, d'autres à la Sécurité sociale, depuis l'instauration heureuse des lois de financement de la Sécurité sociale. La loi de finances initiale ne peut plus envisager toutes les recettes. De plus, la loi de financement, voire un collectif comme nous l'avons vu fin 2000, en prévoit d'autres qui se répartissent entre les deux.

Les choses peuvent être rendus plus lisibles de deux façons. La première est de dire que des recettes sont affectées à l'Etat et d'autres à la Sécurité sociale. Cela me parait néanmoins relativement difficile. A titre d'exemple, dans le cadre de la CSG, nous rencontrerons forcément des cas pour lesquels le Gouvernement indiquera qu'il vaut mieux tel pourcentage pour la Sécurité sociale, mais qu'il a besoin de tel autre. Ne serait-il pas plus simple de considérer que toutes les recettes fiscales vont à l'Etat, ce qui est vraiment le principe d'universalité budgétaire, et qu'ensuite interviennent les prélèvements sur recettes. Nous retombons là sur l'avis du conseil d'Etat que nous allons devoir examiner de très près. Reconnaissez qu'il serait beaucoup plus lisible et démocratique de dire que toutes les recettes vont à l'Etat, puis qu'une partie va aux Communautés européennes, aux collectivités locales, à la Sécurité sociale et aux autres établissements qui ne relèvent d'aucune de ces trois premières séries de dépenses. Dans le système actuel où les impôts se répartissent, nous sommes obligés d'élaborer des tableaux complexes avec force flèches. Par ailleurs, il serait indiqué que nous disposions d'une annexe récapitulant les impôts. Le rôle du Parlement est fondamentalement celui d'autoriser l'impôt. Quelle est votre réflexion sur cette deuxième série de propositions ?

La troisième série de propositions concerne les programmes, qui forme le c_ur de la réforme. Il est incontestable que si nous voulons que l'Etat et les gestionnaires se sentent davantage responsables, il faut davantage de fongibilité. Mais on ne peut s'en tenir aux seuls programmes dans la notion, non pas de contrôle, mais d'autorisation. Vous nous dites que nous allons passer de huit cent quarante chapitres à cent ou cinquante programmes, que nous voterons sur les programmes et qu'ensuite le gestionnaire sera responsable de son fonctionnement. Peu importe que ce soit des dépenses de fonctionnement ou d'investissement, la seule limite que vous mettez concerne le personnel.

Pour ma part, j'estime très honnêtement que l'on doit rentrer dans un degré de détail qui ne donne pas l'impunité au Gouvernement, mais qui ne le rende pas non plus impuissant dans ses actions. Entre impunité et impuissance, reconnaissez que l'éventail de possibilités est relativement large. Or, si je me réfère à vos propos, une très large impunité est donnée au Gouvernement. Une fois le programme voté, le Gouvernement peut faire ce qu'il veut à l'intérieur. Quelle possibilité le Parlement a-t-il d'orienter même une mission ?

Vous nous dites, Madame la secrétaire d'Etat, qu'il y a deux compensations, dont le débat sur les missions, mais comme il y a fongibilité totale et que nous sommes liés par l'article 40, notre débat sera un débat aimable d'orientation, mais sans aucune concrétisation matérielle en ce qui concerne les personnels, les moyens d'intervention et d'investissement, les engagements en termes d'emprunt. Cela ne me parait pas possible.

Ensuite, vous nous dites que la deuxième compensation est le débat a posteriori, mais dans ce cas, tout est déjà en place. Nous ne pouvons rien modifier ou aider au Gouvernement à réorienter. Or, d'un autre côté, nous ne pouvons qu'entériner par la loi de règlement. Il me semble qu'il y a là moyen de trouver des solutions. Pour avoir travaillé sur ce sujet, je sais qu'il existe certaines pistes qui peuvent permettre d'éviter ces deux écueils et qui correspondent à un changement de rapports entre le Gouvernement et le Parlement.

Le Gouvernement, dans ses positions régaliennes, propose et ne reste plus au Parlement qu'une seule solution, celle d'autoriser ou non. Ce n'est plus ainsi que cela doit fonctionner. Il y a un besoin d'échange entre le Gouvernement et le Parlement, dont l'intérêt pour le Gouvernement est d'éviter des erreurs. Il me semble que l'on peut imaginer une nomenclature de débat qui soit plus conforme à la vie réelle des différentes administrations et qui permette, par exemple, la fongibilité en ce qui concerne les crédits de personnel, avec la limite que vous indiquez. Encore qu'il suffit d'augmenter le budget de personnel, dans la présentation, et on se donne la marge de man_uvre.

Néanmoins, imaginons que le Parlement vote des crédits de personnel, d'où fongibilité au sein du personnel. J'ai apprécié notamment, Monsieur le ministre, que vous assortissiez ces crédits de grilles, sans entrer trop dans le détail. Nous sommes d'accord sur le fait que le Gouvernement puisse jouer sur les différentes catégories de personnel et réorienter en fonction des besoins au cours de l'année.

Puis nous abordons le point sur la fongibilité au sein des crédits de fonctionnement hors personnels, avec lequel nous sommes tout à fait d'accord. Enfin, le Parlement, s'agissant des actions ou missions, en tout cas un détail d'orientation du ministère au sein des programmes, se positionnerait, quitte à apporter des modifications, en cours d'année, notamment à l'occasion de ma proposition d'un débat d'orientation sur le règlement de l'année n du budget.

Ainsi, nous concilions à la fois souplesse de gestion pour le Gouvernement, et respect de l'autorisation et du contrôle de l'autorisation par le Parlement. Je voudrais savoir comment le Gouvernement réagit à ces propositions.

Je n'évoquerai pas les autres questions qui mériteront notre réflexion et qui touchent notamment à la fongibilité entre fonctionnement et investissement. Nous sommes d'accord sur ce point, mais dans une certaine fourchette. En effet, la tendance sera toujours de résoudre les problèmes d'urgence avec les crédits que nous avons et risquer ainsi d'hypothéquer le long terme, c'est-à-dire l'investissement. Il me parait raisonnable qu'il y ait une certaine souplesse, mais non pas une fongibilité totale. Nous sommes aussi gardiens et garants d'un certain nombre d'actions sur le long terme. Non pas que le Gouvernement soit accusé d'irresponsabilité en la matière, mais la tentation est forte... Maintenons le cap. Il faut qu'on vous y aide au Parlement.

Concernant l'application de la nouvelle ordonnance, le ministre nous avait indiqués, dans une déclaration précédente, qu'elle pourrait intervenir dès 2002 sur certains aspects. Or maintenant vous indiquez 2004 pour l'essentiel. Nous comprenons fort bien que la mise en place des nouvelles nomenclatures prend du temps. Puis, de son côté, la direction du budget nous indique 2006, ce qui nous semble éloigné dans le temps. Serait-il possible d'ajuster cela de façon que l'application intervienne à un horizon lisible et compréhensible pour nous ?

Je terminerai par deux remarques. Je crois, comme notre Président et notre Rapporteur, que nous devons effectivement modifier notre mode de travail en commun, et les relations entre le Gouvernement et le Parlement, au sein de la Commission des finances et en séance publique. Nous devons faire le point des modifications à apporter au règlement intérieur de l'Assemblée nationale.

Ma dernière remarque concerne l'article 40. Il est normal de se donner des buttoirs d'emblée. Toutefois, plus nous avançons en essayant d'être le plus honnête possible dans la démarche de la présentation du budget d'abord par le Gouvernement, de l'autorisation, de l'exécution puis du contrôle, et de nous rapprocher de la réalité et de la vie, tout en gardant les marges de man_uvre et les responsabilités de chacun, on constate que l'article 40 est très autobloquant. Il me semble dommage d'avoir dit d'emblée que nous ne toucherions pas à cet article. Au contraire, il ne serait pas considéré comme irresponsable de l'aménager. C'est l'aboutissement d'un processus de réflexion. On pose des principes, puis on se trouve coincé car on ne peut plus faire rentrer ce qui nous parait être de bonnes réformes dans les contraintes que nous nous sommes données. Il aurait été préférable d'examiner d'abord ce à quoi on aboutit et qui nous parait raisonnable et d'en tirer la conséquence juridique qu'il conviendra d'aménager l'article 40 dans ce domaine. Cela me semble être la démarche la plus raisonnable.

J'ai bien entendu les déclarations du Président de la République et du Premier ministre, j'ai beaucoup d'estime pour l'un et pour l'autre, mais ont-ils autant creusé techniquement le sujet que les quelques-uns que nous sommes autour de la table ? Je n'en suis honnêtement pas certain. Ce ne serait pas se renier, ni pour l'un ni pour l'autre, que de constater après un long débat qu'il conviendrait, sans donner la possibilité au Parlement par la Constitution, de redevenir irresponsable comme il l'était sous la IVème République, d'aménager les procédures de telle sorte que les échanges entre le Gouvernement et le Parlement soient plus fructueux.

M. le Président : Merci. Je voudrais faire deux remarques en ce qui concerne l'article 40. Si nous nous étions approchés de cette question, dans le cadre de notre réflexion, ma conviction est que nous aurions échoué dans notre démarche.

M. Jean-Pierre Delalande : Nous pourrions le faire progressivement.

M. le Président : Permettez-moi de vous rappeler que des rythmes démocratiques dans notre pays permettent d'envisager la réforme des institutions. Là où je rejoins Jean-Pierre Delalande, c'est que s'il résulte de nos travaux, la nécessité à terme de poser le problème de l'article 40, la proposition pourra être faite, par les uns ou les autres, y compris par ceux qui aujourd'hui défendent l'article 40 et peuvent tout à fait changer d'avis.

Par ailleurs, nous pouvons toujours chercher des boucs émissaires à l'extérieur de cette maison, car il y en a sans doute, mais je me dois de vous rappeler que nous avons, dans notre règlement, la possibilité d'agir et d'intervenir, et notamment une responsabilité fondamentale qui est celle d'exercer un contrôle sur l'activité Gouvernementale. De grâce, chers collègues, mettons en _uvre ces possibilités. Certes quelques-uns me diront que nous n'avons pas toujours suffisamment de moyens pour le faire, c'est vrai, mais je suis prêt à engager une réflexion sur le plan des moyens mis à disposition des parlementaires.

Toutefois, s'agissant de vos questions sur le contrôle a priori et a posteriori, et le suivi des programmes, si nous mettons en _uvre cette activité de contrôle de l'action du Gouvernement, nous allégerons d'autant le débat surréaliste et factice qui a lieu en séance publique ; ma conviction est que nous serions beaucoup plus efficaces. Mon souhait serait que nous utilisions les moyens que nous donne le règlement de l'Assemblée nationale. Il n'est pas nécessaire de réformer chaque jour pour être efficace. Il suffit d'utiliser les moyens dont on dispose déjà. Si nous les oublions, nous arriverons à un constat d'une grande tristesse en ce qui concerne l'action du Parlement.

M. le Rapporteur : Non seulement le règlement de l'Assemblée nationale, mais aussi la loi.

M. le Président : Bien sûr, la loi elle-même. Si nous laissons les coudées franches à ceux qui _uvrent au quotidien dans l'action Gouvernementale, la tentation pourrait être de se débarrasser au maximum d'un contrôle tatillon que pourrait exercer la sphère parlementaire sur l'activité Gouvernementale. Nous devons également utiliser ces moyens et non pas seulement viser Bercy ou je ne sais quelle administration qui serait responsable de tous nos maux. Souvenez-vous, chers collègues, des retombées médiatiques de la "descente", effectuée il y a peu, par le Rapporteur général au ministère des finances pour contrôler un certain nombre de livres.

M. le Rapporteur : D'autres peuvent également le faire.

M. le Président : Tout à fait, nous avons tous cette responsabilité. Bien évidemment, cela suppose que l'on envisage mieux la répartition des rapports entre l'opposition et la majorité pour qu'il y ait le respect d'un certain équilibre.

M. Philippe Auberger : Mon propos ira dans le même sens que celui de mon collègue, Jean-Pierre Delalande. Nous poursuivons un double objectif. Il s'agit tout d'abord de réformer les procédures de l'Etat, notamment en ce qui concerne la responsabilité des fonctionnaires, un contrôle a posteriori plus efficace plutôt qu'un contrôle a priori, et afin de développer des initiatives dans le cadre de programmes. Tout ceci va dans le bon sens et on ne peut que l'approuver. Cela étant, il ne faut pas oublier que l'ordonnance de 1959 vise à réguler un processus budgétaire qui est un élément essentiel de la politique économique et financière du Gouvernement. C'est un autre aspect essentiel. Curieusement, je ne me souviens pas l'avoir entendu dans le propos du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Sur deux points, j'aurais aimé avoir son avis. Le premier est qu'il est absolument indispensable de présenter un projet de budget dans le cadre de comptes publics consolidés. En effet, cela est nécessaire, d'une part, au regard des règles de Bruxelles et du contrôle prévu dans le cadre du pacte de stabilité depuis que fonctionne l'euro et, d'autre part, pour assurer une certaine cohérence entre le projet de loi de finances et la programmation pluriannuelle.

La programmation pluriannuelle, qui nous est présentée maintenant depuis deux ans, est une programmation de l'ensemble des finances publiques. Tout cela exige une certaine harmonisation par rapport aux règles des autres membres de l'euro pour pouvoir procéder à des comparaisons. Cela demande un effort conceptuel et juridique qui doit être fait dans le cadre de la réforme de l'ordonnance de 1959.

Le deuxième point sur lequel j'ai été étonné de ne rien entendre est la notion d'équilibre budgétaire. On a parlé d'amortissement et de provisions. Il y a là un point fondamental qu'on ne peut ignorer dans le cadre de cette réforme. Certains pays ont même mis l'équilibre budgétaire dans leur constitution, mais tout dépend de la notion d'équilibre retenue. Je ne crois pas qu'il faille aller jusque là. L'OCDE élabore maintenant des analyses très fines sur les déficits structurels et conjoncturels.

Il nous faut néanmoins admettre que le budget de l'Etat est un élément important de la politique conjoncturelle, mais que ceci ne doit pas entraîner une accumulation de déficits sans contrôle. Il me semble qu'il y a là une notion qui demande à être cernée et qui ne peut être passée outre, dans le cadre de la réforme de l'ordonnance de 1959. Nous devons redéfinir les conditions de présentation du budget et les limites dans lesquelles il doit être équilibré ou déséquilibré.

J'en arrive au troisième point. Le budget est d'abord une autorisation. Il est vrai que certains de nos collègues, Rapporteurs spéciaux, ne font pas tout ce qu'ils devraient en ce qui concerne le contrôle et la présentation même de leur rapport. Moi-même qui suis encore Rapporteur spécial, j'ai tenté, compte tenu d'une certaine connaissance des procédures administratives et d'une certaine technicité du contrôle, d'exercer mes responsabilités. Je m'inscris toujours dans une logique de programme à la lumière de laquelle j'examine les dépenses au regard des objectifs à atteindre. Par exemple, je suis allé en Polynésie, en juillet dernier, où j'ai examiné les objectifs des dépenses dans le cadre de l'après-Centre d'essais du Pacifique. Rappelons que les dépenses d'investissement en la matière s'élèvent à 650 millions de francs. J'ai examiné de façon précise les objectifs, la manière dont ils étaient suivis, s'il y avait une évaluation, des programmes, etc. J'ai effectué ce même travail en Nouvelle-Calédonie, dans le passé dans le domaine de la justice, mais il peut être décliné dans tout domaine.

Toutefois nous buttons sur un point, à savoir qu'il n'y a pas de pouvoir d'amendement sur la deuxième partie de la loi de finances. D'où la difficulté d'intéresser nos collègues au débat, comme sur la première partie où nous avons réussi à nous ménager un pouvoir d'amendement. La sanction du vote du Parlement en deuxième partie ne peut être que soit refuser le budget, soit l'accepter. Il n'y a pas d'état intermédiaire à l'heure actuelle.

Il me semble que nous devons absolument, même en dehors de toute réforme de l'article 40, nous ménager des pouvoirs d'amendement. C'est ainsi que le dialogue avec le Gouvernement sera vigoureux et constructif, et que le Parlement pourra, sur un certain nombre de points, faire prévaloir son point de vue. Aucune solution ne peut envisager autre que celle de restaurer le pouvoir d'amendement en ce qui concerne la deuxième partie de la loi de finances.

Nous avions progressé, avec le groupe de travail présidé par Laurent Fabius, en indiquant qu'il fallait supprimer la notion de services votés et de mesures nouvelles, et faire un vote global par titre et par ministère. Cela permettait alors d'effectuer des réaffectations au sein des mêmes titres, tout en contribuant à une certaine fluidité. Cela ouvrait la possibilité d'un pouvoir d'amendement qui, je pense, aurait pu être accepté par le Conseil constitutionnel dans le cadre de l'article 40.

S'agissant des programmes, s'il n'y a pas un vote des programmes par titre, je ne vois pas comment pourra être restauré, dans le cadre de la Constitution actuelle, ce pouvoir d'amendement. Nous devons réfléchir car si nous n'avons pas la possibilité de réaffecter de l'argent d'un programme à un autre ou d'infléchir la répartition entre les crédits de fonctionnement et d'investissement au sein d'un programme, je ne vois pas à quoi le Parlement servira, à part entériner les programmes ou les refuser complètement. La discussion sera une discussion académique, comme elle l'est à l'heure actuelle, c'est-à-dire sans intérêt.

Lorsque j'avais fait un exposé devant le groupe de travail de Laurent Fabius, j'avais expliqué qu'il existait aux Etats-Unis deux commissions, la commission des voies et moyens qui se charge des grands équilibres recettes et dépenses et la commission de distribution des crédits et dépenses, qui fait l'examen, programme par programme et ministère par ministère. Chacune de ces commissions possède des pouvoirs d'amendement très importants, bien plus que ceux qui sont envisagés pour l'Assemblée nationale française. C'est vers ce type d'approche qu'il faut se diriger pour avancer dans ce domaine.

M. Jean-Jacques Jégou : Je voudrais simplement rappeler que l'opposition confirme, depuis le début de cette discussion, sa volonté d'aboutir. Nous espérons véritablement que nous aurons à traiter, en son temps, la première lecture à l'Assemblée et au Sénat avant notre intermède des élections municipales. Je constate qu'au fil des auditions, nous sommes arrivés à percevoir un paysage avec des mots communs et des volontés communes qui laissent augurer un progrès.

Toutefois, dans l'avancement de nos travaux et singulièrement quelquefois nuitamment avec le Rapporteur, nous avons constaté, sinon les limites, du moins les difficultés d'application. Les propos des ministres et ceux de mes collègues me confirment que certains éléments restent à vérifier. Si tout le monde semble être d'accord sur l'établissement des programmes, j'aimerais néanmoins que l'on puisse préciser la capacité pour le Parlement, au sein des programmes, de proposer des programmes, d'entrer dans les sous-programmes et de pouvoir modifier ces programmes.

En effet, il me semble que nous devons avoir cette capacité de contrôle a priori, non pas dans le but de nous substituer aux gestionnaires mais pour approuver ou refuser un programme en connaissance de cause. Il s'agit d'une véritable autorisation et non pas d'un contrôle.

S'agissant du contrôle, je serais plutôt porté sur un contrôle tout au long de l'année, comme cela est déjà pratiqué par un certain nombre de Rapporteurs spéciaux. Philippe Auberger parlait de son expérience, je parlerai de la mienne sur la formation professionnelle, laquelle pourrait faire l'objet un programme. Ce sujet susciterait certainement un débat, que ce soit de l'opposition ou de la majorité, sur l'efficience de ce programme eu égard au constat que nous pouvons tous faire. La Mission d'évaluation et de contrôle a confirmé les rapports que j'ai commis, pendant quatre ans, sur l'inefficience de la dépense par rapport aux sommes engagées. Malgré tout cela, alors même que j'étais dans la majorité lorsque j'ai préparé ces rapports, cela a suscité de la part du Gouvernement une sorte de volonté de calmer le jeu avec les organisations syndicales et les partenaires sociaux. J'ai même dû, dans certains cas, raser les murs et lorsque j'ai effectué quelques contrôles sur pièce et sur place, j'ai eu droit à des alertes à la bombe afin de me faire quitter rapidement les lieux.

On constate que même avec des Rapporteurs, fussent-ils de la majorité, et une Mission d'évaluation et de contrôle qui ont travaillé dans le consensus opposition/majorité avec notre collègue Bapt sur la formation professionnelle, rien n'a bougé. Cela demande que le Parlement puisse se doter de moyens d'évaluation et de comparaison, pour vérifier l'efficience de cette politique.

Il me parait nécessaire que nous nous mettions d'accord, au moment de ce vote sur la réforme, sur un calendrier de nos débats. En matière financière, il est dommage que l'année ne compte que douze mois car on s'aperçoit qu'il y a l'année n-1, le contrôle en cours, les orientations budgétaires...

Monsieur le Président de l'Assemblée, il est indispensable que nous puissions ensemble voir comment les choses pourraient en réalité fonctionner. Je partage votre souci quand vous dites que l'on s'adaptera en fonction de que l'on aura voté, mais il semble qu'il faudrait le faire concomitamment. Certains de nos collègues n'ont pas toujours l'habileté de la Commission des Finances, certaines interventions prolongent la discussion, des impératifs politiques de liturgie font que certains moments sont très longs pour tous et qu'au final, en fait, il ne s'est pas passé grand chose.

Peut-être pourrions-nous envisager, en même temps que le vote pourrait avoir lieu sur la réforme de l'ordonnance de 1959, une répétition afin d'évaluer la façon dont les choses pourraient se dérouler tout au long de l'année et non pas d'avoir des temps forts. En effet, sur le plan du logement de notre travail, ce sont des temps difficiles pour les parlementaires qui sont en nombre de plus en plus réduit à s'intéresser à ce débat.

Pour conclure, je souhaiterais que l'on clarifie cette affaire de prélèvement sur recettes car il ne faudrait pas que nous ayons de mauvaises surprises. Il conviendrait de purger ces prélèvements sur recettes, par éventuellement une appellation différente. Si l'on prend l'exemple du prélèvement européen ou des subventions aux collectivités locales, pourquoi sont-ils un prélèvement sur recettes ? Il n'est pas possible de rester dans cette configuration car nous sommes dans un flou artistique. Peut-être serait-il judicieux d'utiliser cette réforme pour tenter d'affiner et de voir si on ne peut faire évoluer simultanément cette appellation qui n'est pas forcément contrôlée.

M. Jérôme Cahuzac : J'ai été très intéressé par les propos déjà tenus, notamment ceux de Philippe Auberger, qui dans sa première partie, a suscité chez moi une certaine inquiétude et dans la deuxième, une grande approbation. L'inquiétude est relative au déficit budgétaire. Il ne s'agit pas, dans cette Commission, d'apprécier la légitimité ou non d'un éventuel déficit budgétaire. Certains y voient le mal absolu, d'autres un moyen commode à l'occasion. Il serait dommage, pour la sérénité qui règne dans les travaux de cette Commission, de trancher cette question entre nous. Pour ma part, j'y verrai beaucoup plus une source de blocage qu'une façon d'avancer de façon intéressante vers le but qui nous est commun. J'aimerais savoir si vous partagez ce point de vue.

Quant à la deuxième partie de l'intervention de M. Auberger, elle reçoit une approbation sans réserve de ma part. Il nous faut trouver, sous peine de voir le Parlement se tirer une balle dans le pied, une façon de modifier les programmes. Autrement dit, selon vous, la transformation d'un programme de 1000 en deux programmes de 500 ou quatre programmes de 250, ou la transformation de quatre programmes de 250 en un programme de 1000 tomberait-elle ou pas sous l'article 40 ? Si oui, il nous faut trouver quelle chose ; si non, dites-le nous et continuons à avancer sans exprimer des peurs qui, en l'espèce, s'avéreraient être plus des fantasmes.

Le deuxième type de questions est relatif aux comptes d'affectation spéciale, que notre Rapporteur souhaite voir supprimer. J'aimerais savoir si, selon vous, une alternative pourrait être envisagée qui verrait ces comptes d'affectation spéciale maintenus, étant entendu que seul le Parlement, y ayant affecté ces sommes, pourrait en distraire l'objet pour un autre objet et rompre ainsi avec la pratique actuelle qui fait que ce que l'on croit affecté à tel projet peut être détourné, d'une certaine manière, pour d'autres. Un compte d'affectation spéciale dont le Parlement maîtriserait l'objet serait finalement un outil d'une très grande transparence.

Le troisième type de questions n'est pas relatif à l'ordonnance de 1959 mais à celle de 1996. Envisageriez-vous favorablement des dispositions modifiant l'ordonnance de 1996, en particulier l'introduction, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, de la CRDS et de la CADES qui, aujourd'hui, ne font pas partie de l'ordonnance de 1996 du projet de loi de financement de Sécurité sociale, ce qui est objectivement une anomalie ?

Par ailleurs, pourriez-vous envisager une méthodologie permettant que le travail s'effectue dans des conditions plus favorables qu'aujourd'hui ? En effet, on voit les parlementaires concernés courir d'une loi de finances en première lecture à un projet de loi de financement de la sécurité sociale en première lecture, et puis d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale en deuxième lecture à une loi de finances en deuxième lecture, tout cela entrelardé de lois de règlement, de collectifs et autres. Bref, de voir le projet de loi de financement de Sécurité sociale considérer comme votées des dispositions qui ne le sont toujours pas, tenir compte de produits comme étant des recettes qui in fine s'avèrent ne pas être des recettes... Je ne reviendrai pas plus longuement sur les travers que nous connaissons dans ce système de relations très complexes entre loi de finances et projet de loi de financement de Sécurité sociale, relations qui à l'évidence ne contribuent ni à la transparence, ni au rôle du Parlement.

Mme Florence Parly : En premier lieu, je voudrais m'arrêter un instant sur un constat dont je me félicite personnellement, c'est qu'au fond nous sommes très largement d'accord sur les objectifs qui viennent d'être énoncés et que vous venez de rappeler. Au-delà même des objectifs, ce qui n'est déjà pas une mince chose, je note également que nous sommes d'accord sur la méthode parce qu'en ces matières, ce dont il est question, c'est d'une réforme organique. Je crois, en effet, que la clef de la réussite réside dans le fait qu'il s'agisse d'une démarche véritablement conjointe, dont le Parlement a eu l'initiative mais à laquelle - les débats d'aujourd'hui en témoignent - le Gouvernement répond très activement présent. Nous verrons si finalement nous aboutissons. C'est, en tout cas, ce que personnellement je souhaite.

C'est une réforme extrêmement ambitieuse, mais dans le même temps, on sent dans vos propos qu'elle pourrait aussi pêcher par défaut d'ambition, au moins dans deux domaines : l'article 40 et l'articulation projet de loi de finances/projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Sur l'article 40, par rapport au problème du prélèvement sur recettes au profit des collectivités locales, qui est certainement un des points d'entrée dans la discussion sur le droit d'amendement des parlementaires, nous partageons pleinement les objectifs du Parlement, c'est-à-dire que nous ne souhaitons pas que nos tentatives de réforme aient pour conséquence d'amoindrir ce droit d'amendement.

En ce qui concerne l'articulation projet de loi de finances/projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous ne nous sommes pas fixés comme objectif a priori de modifier la loi organique de 1996, considérant que le chantier que nous ouvrions conjointement est déjà tout à fait important. Pour pouvoir néanmoins avancer dans le sens d'une meilleure information et donc d'une meilleure compréhension du Parlement sur ce qu'il vote dans des textes distincts dans le prolongement de ce que nous avons commencé avec le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, nous pouvons sans doute nous fixer comme objectif de recenser, de matière exhaustive, toutes les recettes et impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l'Etat. Cela formerait ensuite un document qui serait annexé au projet de loi de finances.

En la matière, il me semble difficile de suivre le raisonnement tel que M. Delalande l'a développé, qui consisterait à affecter par principe, au-delà de cette information, toutes ces recettes à l'Etat, sans préjuger ensuite du sort réservé à ces recettes en termes d'affectation entre les collectivités locales, la Sécurité sociale et d'autres personnes morales. Quand bien même nous voudrions, dans un premier temps, le circonscrire uniquement à la question des recettes de l'Etat et de la Sécurité sociale, pour reprendre le propos de M. Jérôme Cahuzac, on se fixe là un objectif extrêmement ambitieux.

Pour ma part, il me semble préférable de déjà réussir ce sur quoi nous travaillons actuellement, d'autant que nous savons que l'autorisation donnée dans le cadre du projet de loi de finances, s'agissant de l'Etat, et du vote émis par le Parlement, s'agissant des régimes de Sécurité sociale dans la loi de financement de Sécurité sociale, ne sont pas exactement de même nature.

S'agissant de l'Etat, nous sommes et le resterons dans un principe d'autorisation limitative avec des plafonds de crédit, quelle qu'en soit ensuite l'agrégation. S'agissant de la Sécurité sociale, nous sommes face à une multiplicité d'acteurs et dans un mécanisme pas du tout limitatif. Ce sont des dépenses évaluatives. Cette différence forte de nature des exercices me conduit à penser que soit la fusion du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, soit un principe d'affectation de la totalité des impositions de toutes natures à l'Etat, avant la rétrocession d'une partie à telle ou telle entité, ne me paraissent pas, à ce stade, très praticables.

En revanche, je suis tout à fait favorable à ce que le Parlement, lorsqu'il vote sur le budget, ait une vision exhaustive de l'ensemble des impositions de toutes natures et de l'affectation réservée à ces impositions.

Je reviens sur les points abordés successivement par les orateurs. S'agissant de l'organisation des débats, une proposition a été faite pour essayer d'avoir le plus tôt possible dans l'année une discussion portant à la fois sur le passé, le présent et le futur. La discussion sur le passé concerne la loi de règlement n-1. Nous avons fait des efforts importants pour que cette loi de règlement puisse être désormais déposée au plus tard au 1er juin d'une année. Je crains que l'anticipation d'un mois, voire de deux par rapport à cette date du 1er juin, ne crée des difficultés très importantes pour finaliser la fabrication de ce document. Il me semble qu'à ce stade, il faut pleinement utiliser les possibilités qui sont ouvertes par le fait que nous présentons une loi de règlement dès le 1er juin.

Sur le fait de pouvoir débattre, dès le printemps, de l'exécution en cours, cela est possible puisque nous avons de toute façon le débat d'orientation budgétaire dont j'espère qu'il n'est pas perçu par la totalité des parlementaires comme une simple conversation agréable de salon, mais comme un rendez-vous où le Gouvernement expose de manière sérieuse ses intentions pour l'avenir n+1. Cela suppose aussi un retour sur le présent, c'est-à-dire une analyse approfondie de ce qu'est la conjoncture du moment, des inflexions qui pourraient y être apportées au plan macro-économique et au plan budgétaire.

Peut-être y a-t-il insatisfaction sur ce point, mais nous avons matière à améliorer ce débat, sans apporter nécessairement des modifications très profondes à ce qu'est notre droit organique. Ceci me conduit néanmoins à préciser un point qui n'a peut-être pas beaucoup été développé dans nos interventions. C'est le fait que, dans la proposition de loi rédigée par le Rapporteur, il y a le souci de bien articuler cette démarche budgétaire annuelle dans une démarche pluriannuelle.

Nous n'avons pas encore mis au point les rédactions de manière précise et parfaite, mais nous savons que nous ne sommes pas loin d'un résultat satisfaisant. Il est important que nous puissions inscrire, dans ce texte futur, le fait que nous présentons à la Commission européenne un programme de stabilité, lequel programme couvre les années futures. Il ne s'agit donc pas de réduire cet exercice à un exercice de vote annuel sur des crédits, mais bien inscrire ce débat dans la pluriannualité qui est souhaitable pour la bonne compréhension, par le Parlement, de la politique économique et budgétaire. Cela nous est demandé par la Commission européenne et par nous-mêmes, d'une certaine manière, lorsque nous avons souhaité renforcer la convergence des politiques économiques au niveau européen.

M. Auberger a indiqué qu'il serait souhaitable que nous puissions présenter nos comptes publics de manière consolidée, notamment en raison de ce souci de répondre à une exigence européenne. Nous tentons d'ores et déjà de le faire puisque nous présentons, dans le cadre du rapport économique, social et financier, des comptes consolidés. Ce document constitue bien une annexe du projet de loi de finances, et il n'y a aucune raison de reculer par rapport à l'existant. Là où nous pouvons progresser, c'est dans la plus grande affirmation de l'inscription de notre démarche budgétaire annuelle dans un cadre pluriannuel européen.

Il a ensuite été question de responsabilités. Vous êtes revenus, les uns et les autres, sur le point nodal qui est l'articulation entre l'autonomie de gestion souhaitable, qui serait donnée aux gestionnaires de terrain, et la nécessité, pour le Parlement, de continuer à donner une autorisation au Gouvernement qui ait un sens. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, il faut trouver des solutions pragmatiques. Or je n'ai articulé aucune solution pour l'instant, seulement des questions lorsqu'en conclusion de mon propos, j'indiquais qu'il conviendrait de réfléchir à un moyen pour que le Parlement dispose d'un droit d'amendement sur la définition du programme, sa composition et la redéfinition éventuelle des sous-programmes. Il y a toute une série de questions auxquelles je ne suis pas sûre de pouvoir apporter des réponses devant vous ce soir. J'ai conscience que c'est un point tout à fait essentiel à vos yeux et je suis absolument certaine que c'est là-dessus que porteront tous nos efforts, avec votre Rapporteur, afin que nous puissions vous faire des propositions qui satisfassent les deux exigences que vous avez de vous-même placé, d'une certaine manière, au même niveau, c'est-à-dire donner une vraie latitude d'action aux gestionnaires, car c'est la condition d'une amélioration de la gestion publique et donc de l'acceptabilité, au final, de l'impôt par nos concitoyens, et le nécessaire contrôle du Parlement, au sens autorisation préalable.

Vous avez évoqué plusieurs possibilités, l'idée étant de spécialiser les crédits de fonctionnement et d'investissement. Il me semble que nous pourrions étudier l'idée de spécialisation, dans un premier temps peut-être, au niveau des titres. Je ne sais pas s'il faut se fixer cet objectif en l'inscrivant dans le marbre, c'est-à-dire en considérant que ce serait la règle, ou de manière temporaire, en considérant qu'aujourd'hui tous les ministères ne se situent pas dans une situation d'égalité quant à leur capacité à mettre en _uvre les objectifs que nous assignons collectivement. Certains sont plus prêts que d'autres à le faire. Par conséquent, dans le cadre de cette période transitoire, nous devrons tenir compte de cette inégalité de fait dans la préparation des ministères à rendre compte de leurs missions, en fonction d'objectifs et d'indicateurs de résultat. Il y a là des marges de progression dans les discussions que nous mènerons dans les jours qui viennent avec la Commission et vos administrateurs.

S'agissant du calendrier, 2004 vous semblerait préférable à 2006. J'entends bien et je confirme qu'il s'agit de 2004, car en 2004 et début 2005, nous préparerons le budget 2006. En fait, ce qui est en cause, c'est la date à laquelle s'achève la période transitoire, mais nous savons fort bien que nous ne préparerons pas le projet de loi de finances pour 2006 le 31 décembre 2005, mais bien en amont. Je ne suis pas sûre qu'au stade où nous en sommes, nous puissions prévoir à six mois près la date à laquelle nous pourrons définitivement basculer d'un système dans un autre. Il est néanmoins certain que d'ici 2004, nous avons un certain nombre de choses à faire sur lesquelles je ne m'étendrai pas ce soir, mais que nous pouvons détailler de manière tout à fait précise à la Commission.

Le dernier point sur lequel je me permettrai d'insister, c'est la notion d'équilibre budgétaire évoquée par MM. Auberger et Cahuzac. Il s'agit de ne pas confondre deux éléments. Il convient, sans aucun doute, de se fixer comme objectif d'avoir une lecture beaucoup plus claire qu'elle ne l'est aujourd'hui de l'article d'équilibre. En revanche, s'agissant de la notion d'équilibre budgétaire, nous voyons bien que nous ne sommes pas dans un problème de droit, mais de choix politique et de choix de politique économique, et que ces choix sont explicités par le Gouvernement, dans le cadre d'un certain nombre de rendez-vous qu'il a avec le Parlement. Ces choix sont également explicités dans le cadre des programmes pluriannuels présentés à Bruxelles et auxquels il sera, d'une manière ou d'une autre, fait référence dans la proposition de loi sur laquelle nous travaillons.

L'élément essentiel est que le document sur lequel le Gouvernement travaille lorsqu'il présente un budget au Parlement soit un document compréhensible par le citoyen et traduise bien des choix faits en amont, en termes de politique économique et budgétaire. Toutefois il ne faut pas assigner, à la réforme organique, des objectifs qui relèvent d'une autre sphère.

J'espère avoir à peu près répondu à l'ensemble des questions. J'espère surtout que nous allons pouvoir, dans les quelques jours qui nous restent pour avancer, trouver les solutions qui rassurent les uns et les autres, sur un objectif qui n'a peut-être pas été beaucoup énoncé mais auquel je tiens beaucoup, à savoir la nécessité de maîtriser la dépense publique au sens où nous devons toujours savoir où nous en sommes et où nous allons.

M. le Président : Merci, Madame. Je voudrais d'un mot dire à mes collègues qu'en ce qui concerne cette réforme, nous commencerons à en appliquer les premières mesures, si l'ordonnance est réformée, dès l'automne 2001 pour le budget 2002. Par ailleurs, puisque l'on s'inscrit dans un système de pluriannualité sur trois années, il est clair que la pleine application de la réforme sera 2005 pour le budget 2006. Dès le départ, nous avions estimé, avec le Rapporteur, que cette réforme ne pouvait s'inscrire que sur une durée de trois à cinq ans.

Il est utopique d'imaginer que nous pourrions accélérer le rythme, ne serait-ce qu'en raison du caractère pluriannuel des programmes qui seront présentés et donc de la nécessité de faire le point de ces programmes, au terme de leur achèvement.


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