ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION SPÉCIALE

chargée d'examiner la proposition de loi organique
relative aux lois de finances

COMPTE RENDU N° 10

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 25 janvier 2001
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Raymond Forni, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition des représentants des sept organisations syndicales représentatives dans la fonction publique :

- M. Francis Berguin, secrétaire national du SNES-FSU, représentant de la Fédération syndicale unitaire FSU

- M. Jean-Louis Butour, secrétaire de l'Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT

- M. Jean-Paul Roux, secrétaire général de l'Union des fédérations de fonctionnaires UNSA.

- M. Roland Gaillard, secrétaire général de la Fédération générale des fonctionnaires FO - Union interfédérale des agents de la fonction publique FO

- M. Patrick Guyot, délégué fédéral des fonctions publiques de l'Union fédérale des cadres des fonctions publiques CFE-CGC

- M. Michel Perier, secrétaire général de l'Union des fédérations CFDT des fonctions publiques et assimilées

- Mme Nicole Prud'homme, déléguée générale de l'INTERFON-CFTC, Union des fédérations de fonctionnaires CFTC

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M. le Président : Mesdames, messieurs, nous allons ouvrir cette séance de la Commission spéciale qui est, théoriquement, la dernière puisque nous avons épuisé notre programme, et sans doute nos collègues, mais la qualité remplace la quantité.

L'essentiel de nos auditions s'est déroulé sous deux formes : soit par des auditions entre le Rapporteur, les membres qui souhaitaient y assister et ceux que nous recevions, soit en séance publique, la forme importe peu, l'essentiel est évidemment l'expression qui sera la vôtre et dont il sera tenu compte dans le rapport présenté par le Rapporteur.

C'est la dernière séance et nous avons souhaité, pour marquer l'importance que nous accordons aux organisations syndicales représentatives des fonctionnaires, terminer par vous qui êtes les porte-parole des préoccupations de l'ensemble de ceux qui, dans la fonction publique, accompagnent les administrations et accomplissent la tâche d'exécution du budget voté par la Représentation nationale.

Pour éviter de tomber dans des problèmes, je ne dirai pas de susceptibilité, mais de représentativité, je vais vous présenter par ordre alphabétique et vous demander d'intervenir dans le même ordre.

La diversité, dans une réflexion comme celle que nous avons engagée, est utile car elle nous permet de considérer toutes les approches que vous pouvez vous-mêmes avoir ainsi que celles de ceux que vous représentez. Nous avons souhaité recueillir les avis des organisations qui sont, à double titre, évidemment, concernées par la proposition de loi organique relative aux lois de finances, présentée par le Rapporteur il y a maintenant près de 6 mois et qui sera examinée par la Commission spéciale la semaine prochaine en vue d'une discussion prévue en séance publique les 8 et éventuellement 9 février prochains.

Nous venons, le Rapporteur et moi, d'assister à la rentrée solennelle de la Cour des comptes et le Premier président de la Cour des comptes a bien voulu rappeler qu'il y avait eu, depuis près de 40 ans, 36 tentatives de réforme de l'ordonnance de 1959. C'est la 36ème et les 35 précédentes ont échoué de sorte qu'évidemment il y a deux manières de voir les choses :

- optimiste : celle-là réussira ;

- pessimiste : il n'y a aucune raison que nous réussissions plus que n'ont réussi les autres.

Le risque d'échec subsiste évidemment, même si nous pensons que la conjonction des volontés est forte, ici à l'Assemblée, au sein des groupes parlementaires, qui sont convaincus de la nécessité de faire évoluer les choses, et au niveau des institutions de la République, qu'il s'agisse du Sénat et de l'Assemblée nationale, ou au niveau des plus hautes autorités de l'Etat, puisque le Président de la République s'est exprimé, à l'occasion des v_ux, sur la nécessité de doter la France d'une constitution financière. Nous pensons, nous, parlementaires qui vivons le débat budgétaire chaque année à un rythme que je qualifierai de « sacré » - mais ce rythme ne nous fait pas perdre de vue souvent l'inutilité du travail que nous accomplissons, même si je relativise cette critique - qu'il y a des aspects évidemment utiles dans ce que nous faisons. Il suffit de voir avec quelle ténacité les parlementaires s'impliquent dans la discussion budgétaire pour savoir que cela requiert beaucoup de volonté de leur part. Il est donc légitime, compte tenu de cette conjonction, que nous puissions espérer.

Vous êtes directement concernés. Je rappelle un chiffre : les crédits des rémunérations et charges sociales représentent près de 28 % des crédits nets du budget, c'est-à-dire plus d'un quart.

Donc, il est évident que les organisations représentatives des personnels de la fonction publique ont évidemment beaucoup à dire sur le budget, tel qu'il est préparé, discuté et appliqué.

La gestion de ces crédits et des emplois permet de rémunérer les fonctionnaires et représente évidemment un enjeu majeur des finances publiques. Des propositions ont été avancées à cet égard avec la fixation d'autorisations d'emplois par ministère, qui seraient arrêtées par les lois de finance, l'objectif étant d'arriver à une clarification qu'appellent de leurs v_ux l'ensemble des parlementaires. Nous sommes parfois désolés de voir qu'il nous est difficile, à notre niveau, de connaître tout simplement le nombre de fonctionnaires relevant de telle ou telle administration. C'est sans doute difficile, mais il y a certainement des améliorations à apporter. En tous les cas, pour nous qui sommes persuadés de la nécessité de cette réforme, il y a beaucoup à faire et nous pouvons le faire si nous en avons la volonté politique.

Par ailleurs, disons-le aussi, au-delà de la discussion budgétaire, la proposition de loi organique participe d'une volonté de moderniser l'Etat, ce qui n'est pas un objectif totalement absurde, vous en conviendrez, en inscrivant ce budget dans une logique de résultats et non plus strictement de moyens.

Cette modernisation, il n'est possible de la réaliser qu'avec l'ensemble des fonctionnaires et non pas contre eux. Ceux qui ont imaginé que l'on pouvait faire des réformes sans les fonctionnaires ont en général, heureusement, échoué dans leurs entreprises. C'est donc avec les fonctionnaires que cette réforme se fera. Aussi, nous souhaitons savoir comment vous envisagez cette modernisation dont l'objectif simple est évidemment d'améliorer la qualité du service rendu aux citoyens et, d'une manière accessoire mais non subalterne, de permettre une lisibilité pour nous, parlementaires, qui examinons chaque année le budget de la Nation.

Vous aurez bien entendu la parole chacun à votre tour dans l'ordre alphabétique, qui est un ordre logique, à défaut d'être conforme au poids respectif de chacune des organisations.

Je vous remercie bien entendu d'avoir répondu à notre invitation et de l'avoir fait aujourd'hui, à un moment où les organisations syndicales ont sans doute d'autres chats à fouetter, ce que nous comprenons parfaitement. Les actions qu'elles mènent sont évidemment importantes, mais celle-là n'est pas non plus subalterne à nos yeux.

Vous aurez la possibilité de faire connaître au Rapporteur et à la Commission spéciale, puisque les documents sont transmis à l'ensemble des membres de la Commission, votre point de vue sur tel ou tel point significatif dont vous souhaiteriez approfondir la présentation et vous pourrez le faire dans un document qui pourrait nous être adressé. Simplement, si vous avez cette intention, oserais-je vous demander de le faire le plus rapidement possible pour permettre au Rapporteur de ne pas se retrouver avec des documents complémentaires, à quelques heures de boucler le rapport qu'il devra présenter à la Commission spéciale dès la semaine prochaine.

Je vous rappelle également, et je le rappelle à nos collègues qui sont présents, que, sans doute, faudrait-il que nous décalions un peu la date de convocation de la Commission spéciale la semaine prochaine. Il avait été prévu d'organiser l'après-midi du mardi une séance de la Commission spéciale. Il serait peut-être bon que l'on recule cette Commission au soir, si vous en étiez d'accord, mais je prendrai les contacts téléphoniques qui s'imposent pour permettre de vérifier la disponibilité de tout un chacun. Nous pourrions ainsi peut-être nous réunir aux environs de 20 heures, ce qui permettrait de passer un moment convivial d'abord, d'aborder les travaux de la Commission ensuite et de poursuivre éventuellement le lendemain, si c'était nécessaire.

Je vais donc donner la parole à M. Francis Berguin.

M. Francis Berguin : Je vous remercie M. le Président. Je vous présente les excuses de Pierre Duharcourt et de Monique Vuaillat, qui tiennent congrès en la bonne ville de La Rochelle et qui sont retenus par leurs obligations.

Nous ne sommes pas en présence d'un texte anodin et la FSU en est tout à fait consciente. Nous sommes en présence d'un texte qui, nous semble-t-il, est de nature à engendrer un profond remodelage de nos administrations publiques et, finalement, de l'Etat.

C'est un peu la République de demain qui se profile derrière ce texte et qui n'a donc pas, à nos yeux, d'abord un caractère technique.

En introduction, je voudrais évoquer deux idées.

La première : on doit d'abord exprimer un regret. Au-delà des modifications qui nous sont proposées sur la gestion budgétaire, dont certaines nous intéressent, je crois qu'on laisse de côté un problème essentiel qui est la place du Parlement dans la confection du budget. Je parle dans cette Assemblée qui n'ignore pas que nous sommes sous la Vème République, cette dernière faisant au pouvoir exécutif une place tout à fait déterminante dans le fonctionnement de nos institutions, et en particulier dans l'élaboration de la loi de finances.

Je veux évoquer à cet égard l'extravagant article 40 qui fait que notre Parlement est limité, d'une manière tout à fait exceptionnelle sur cette planète, et qui, de ce point de vue, représente un assez clair anti-modèle européen.

La deuxième idée : cette proposition de loi intervient dans un contexte politique précis. Nous savons qu'il y a des débats vifs sur le rôle de l'Etat, sa réforme, sur la protection sociale, sur la gestion de l'Etat autour des thèmes de la décentralisation, de la déconcentration, y compris dans le service public de l'Education nationale, auquel ma fédération est tout à fait attachée, et aussi sur le volume et le poids des dépenses publiques dans la société.

Donc je pense que l'on ne saurait admettre qu'à l'occasion de l'examen d'un texte qui, par sa technicité, risquerait d'écarter finalement la masse des citoyens, l'on tranche de cette manière des débats, des choix, des orientations de nature politique qui vont remodeler le paysage étatique français simplement à travers un débat de spécialistes.

C'est la raison pour laquelle nous avons une lecture politique de ce texte.

Au-delà des aspects techniques qui nous intéressent, nous pensons qu'il faut lire ce projet au travers d'un certain nombre de fils rouges.

J'en ai repéré trois. Le premier est autour des thèmes démocratie, transparence et contrôle, mais aussi dans l'unité de la République ; le deuxième est la place que doit jouer un Etat moderne dans une société en évolution rapide, ce qui renvoie, pour une part, au rôle des services publics, à leur définition, leurs moyens et leurs missions. Derrière la réforme des lois de finance il y a tout cela. Enfin, le troisième, parce que nous sommes aussi une fédération de fonctionnaires, M. le Président, concerne les garanties que les fonctionnaires sont en droit d'attendre, en vertu même de l'article 34 de la Constitution.

Le premier point concerne le thème de la démocratie et de la transparence. A nos yeux, la situation n'est pas satisfaisante. On manque de transparence. Cela fait une vingtaine d'années que je suis responsable des questions budgétaires dans mon syndicat. Tous les ans, je découvre des choses que je ne soupçonnais pas.

C'est l'éparpillement des données budgétaires, c'est le grand laconisme des bleus et des verts sur des choses qui sont parfois tout à fait importantes pour les usagers que nous sommes. A cet égard, je regrette vivement la suppression des blancs, c'est-à-dire des budgets de programmes, depuis quelques années, qui sont remplacés par des agrégats plus que squelettiques. C'est la complexité des nomenclatures, les problèmes de changements de structures qui rendent les comparaisons extrêmement délicates. Nous avons construit un indicateur qui est l'évolution du poids de la dépense de l'Etat pour l'Education nationale depuis la Libération. Avec la décentralisation, c'est devenu quelque chose de très difficile à construire puisque vous avez des crédits tout à fait importants qui figurent au budget de l'intérieur ou d'autres ministères dont la part éducation n'est pas actualisée depuis le 1er janvier 1986.

On arrive à des approximations qui rendent la lecture extrêmement difficile.

Il y a des phénomènes de débudgétisation, d'opacité de certains budgets, notamment de certains établissements publics sur lesquels on a des enveloppes globales qui ne donnent pas de détails suffisants.

Nous partageons donc, c'est le deuxième point, certains objectifs affichés dans la proposition en matière de clarification et de simplification, en matière de présentation du budget à structure constante, en matière d'évaluation des objectifs et de leur réalisation et nous sommes d'accord avec un des axes forts du projet qui est de permettre d'avoir une vision par objectif. Il nous semble qu'il y a eu un précédent avec les premiers budgets du IXème Plan, il y a une quinzaine d'années, où certaines lignes de crédits étaient fléchées. C'est tombé très vite en désuétude car il n'y a pas eu de volonté durable d'afficher ces priorités autour du plan.

Enfin, sur ces questions de démocratie et de transparence, nous avons des réserves et des questions.

Quel sera d'abord le statut des annexes qui semblent, d'après la proposition de loi, avoir un grand rôle ? On y trouvera l'ensemble des emplois, leur statut juridique. Voyez l'arrêt célèbre du Conseil d'Etat du 14 janvier 1987, Assemblée des ingénieurs des télécommunications et autre : actuellement, ces annexes font entièrement partie du bloc de la loi de finances et le pouvoir exécutif ne peut pas modifier inconsidérément les dispositions qui y sont contenues.

Or, ici on se pose la question.

Dans l'article 22 de la proposition, on laisse subsister des possibilités de débudgétisation. Je m'interroge : la possibilité, pour des établissements qui reçoivent des redevances, et qui ont donc des ressources propres, figurera-t-elle au budget ou est-ce une débudgétisation qui pourrait peut-être, à certains moments, déboucher sur des privatisations ?

J'observe également qu'il y a un renforcement, dans ce texte, peut-être du rôle du Parlement sur certains aspects, mais quand même beaucoup du pouvoir exécutif et en particulier du ministère des finances.

Je vois aussi que la déconcentration est en filigrane dans beaucoup d'articles et que l'on croit comprendre que la délégation de l'enveloppe à des services ou à des groupements de services peut poser un certain nombre de questions. Y aura-t-il toujours un budget du ministère de l'éducation ou y aura-t-il un budget d'objectif du recteur de Créteil, du recteur de l'académie de Caen ou de l'assemblée territoriale de Corse ?

Ce sont des questions sur lesquelles ni l'exposé des motifs, ni le texte des articles, ne nous semblent suffisamment explicites. Mais nous sommes demandeurs d'explications. Cela débouche donc sur la question de la nature du contrôle du Parlement.

Le deuxième grand thème est la place de l'Etat, sa réforme et donc le rôle des services publics.

Nous sommes une fédération qui reste attachée, comme la masse des citoyens de ce pays, au rôle que nos services publics, administratifs ou industriels et commerciaux d'ailleurs, jouent dans la société. Mais il est vrai aussi que ces services publics sont aujourd'hui insérés dans des contraintes, qui ont été rappelées par l'article 4 de la proposition reprenant le traité d'Amsterdam.

Sur les propositions, j'ai tenu trois thèmes. Il y a d'abord la pluriannualité. C'est une idée qui reçoit notre accord plein et entier. Il est vrai que nous sommes aujourd'hui dans un système trop rigide, l'annualité est extrêmement rigide alors que l'on a d'immenses besoins de programmation. L'ensemble des fédérations de fonctionnaires sont bien placées pour dire que l'on a besoin de programmer des recrutements puisqu'on va vers des renouvellements massifs de fonctionnaires, on a besoin de programmer les moyens des services et on se heurte très vite au mur de l'annualité budgétaire. Le système des autorisations de programmes aujourd'hui est trop restreint et permet aussi des effets d'affichages. On habille un budget par des autorisations de programmes. J'ai encore le souvenir des autorisations de programmes du budget de 1982 où on nous annonçait des crédits très importants pour les constructions scolaires et, dans le budget 1983, cela a disparu avec le plan de rigueur. En attendant, on n'a pas construit les lycées qui auraient permis d'accueillir les centaines de milliers d'élèves que l'on a eus à partir de 1986.

Donc oui à la pluriannualité, mais quid de la possibilité de remise en cause des choix, faits une année n par le Parlement, l'année suivante ?

Je ne voudrais pas que l'on retombe dans le travers que je viens d'évoquer.

Deuxièmement, quid de la possibilité, pour le ministre des finances de remettre en cause ces choix, notamment par le gel des crédits rendu possible par l'un des articles et, cette fois, je l'observe, sans même recueillir l'accord du ministre concerné, comme actuellement ?

J'en arrive aux services votés. Certes, actuellement, nous n'avons pas de programmation, mais l'existence des services votés fait qu'il y a, dans les administrations, une certaine stabilité leur permettant d'anticiper certaines de leurs activités, sinon de les programmer. Donc il y a une certaine stabilité, une certaine sécurité parfois dans le fonctionnement des services.

Le projet nous propose ici, si j'ai bien compris, la remise en cause chaque année au premier franc, je dirai au premier euro puisque l'année prochaine nous raisonnerons tous en euros. Dans un contexte où les attaques contre le service public viennent de différents côtés, où les prises de positions en faveur des privatisation se multiplient, la FSU ne peut qu'émettre de très fortes objections et réticences.

J'ajoute que l'article 47, alinéa 4, de la Constitution est certes le seul endroit où l'on voit évoquée la notion de service voté. La proposition de loi nous dit : on limitera le champ d'application de la notion de services votés. Je ne suis pas certain qu'on ne devrait pas avoir une lecture plus large. Peut-être est-ce à l'occasion de l'hypothèse où le Gouvernement n'a pas rendu sa copie en temps utile que la Constitution parle de service voté, mais elle en parle et, après tout, on peut concevoir que la notion est plus large que ce simple cas de figure.

Autre point : la présentation par objectif. J'ai dit notre intérêt pour un « affichage » d'objectifs, ce qui permet une évaluation, mais en même temps nous pensons que ce n'est pas incompatible avec une spécialisation des crédits par chapitre. Nous restons attachés à cette nomenclature, surtout dans un processus de déconcentration poussé envisagé dans les administrations et de globalisation des enveloppes. Partout où l'on a fait la déconcentration sans contrôle, on est arrivé à des catastrophes et parfois même à des malversations. On a des exemples, y compris dans l'Education nationale, de gestion incontrôlée et il faut qu'il y ait des garde-fous. Le contrôle par les crédits est un moyen de contrôle démocratique par les élus de la Nation.

Dernière partie de mon exposé : les garanties des personnels.

Elles relèvent de l'article 34 de la Constitution. Nous sommes en particulier attachés au principe constitutionnel d'égalité des fonctionnaires au sein de leur corps, qui est souvent contredit par la gestion éclatée d'une déconcentration qui ne traite plus les fonctionnaires de la même manière à un endroit ou à un autre du territoire.

Cela nous amène à faire deux séries d'observations. La première est que nous sommes hostiles à la globalisation des crédits de personnel. Il nous semble qu'il y a ici un renforcement excessif non seulement du pouvoir exécutif, mais également d'autorités déconcentrées du pouvoir exécutif. Je me bornerai à un exemple : si l'on admet qu'un recteur peut décider de donner des primes ou de faire le choix de la qualification des emplois qui lui sont délégués dans le cadre d'une masse globale, partout où l'expérience s'est faite, on sait que les titulaires ont été remplacés par les contractuels et que, là où l'on avait deux agrégés, on aura trois professeurs certifiés.

On risque d'aller vers une déqualification et une fragilisation de ces emplois. Nous alertons fortement sur cette question.

Par ailleurs, cette globalisation rend beaucoup plus difficile tout contrôle démocratique. On le voit très bien dans l'éducation nationale et dans bon nombre de services. Aujourd'hui, par exemple, les Comités techniques paritaires fonctionnent mal, il n'y a pas suffisamment de transparence ou pas de transparence du tout, et ces comités n'ont aucune compétence en ces matières financières. Quel contrôle auront les fédérations de fonctionnaires sur l'utilisation par les autorités déconcentrées des crédits délégués aux chefs de service ? Cela rendra aussi plus difficile le contrôle parlementaire. Je pourrais donner beaucoup d'exemples. Vous avez cru voter, pendant longtemps, des crédits pour les lycées et, en réalité, les recteurs, recevant des enveloppes globales, surdimensionnant les prévisions d'effectifs dans les lycées professionnels, ont implanté des emplois de professeurs certifiés dans les lycées professionnels. Or, rien ne remonte à la centrale qui continue donc à recruter des certifiés. On manque de professeurs de lycée professionnel et on y envoie contre leur gré des professeurs qui pensaient exercer en lycée ou en collège.

Il y a là un manque de contrôles, d'allées et retours entre la centrale et le terrain et il nous semble qu'il est nécessaire de prévoir des contrôles, et les finances sont un moyen de ce contrôle.

Tout cela risque d'amener, si l'on n'y prend garde, à de l'inefficacité et à des gaspillages.

Enfin sur la question des emplois, nous restons attachés à l'inscription du nombre et de la qualification des emplois dans les lois de finances. J'ai bien vu qu'elle serait dans les annexes, comme aujourd'hui, mais nous voulons être certains qu'il n'y aura pas de modification du statut juridique de ces annexes. Mais c'est d'abord une question avant d'être une objection.

Nous ne souhaitons pas, sur la question de la gestion des emplois, laisser une trop grande latitude à des autorités déconcentrées.

Pour conclure, il y a, dans cette proposition de réforme, des idées qui nous intéressent, qui nous semblent de nature à améliorer le fonctionnement des services. En même temps, nous avons un certain nombre d'objections ou d'inquiétudes et nous serons donc très attentifs à la manière dont le Parlement y apportera réponse.

M. le Président : Je donne la parole à M. Jean-Louis Butour, secrétaire de l'Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT.

M. Jean-Louis Butour : Je vous remercie. La tonalité de mon intervention sera sensiblement différente. Je m'attacherai, c'est mon mandat, essentiellement à faire part aux parlementaires des préoccupations des personnels que nous représentons face à la proposition de loi et à ce qu'elle recouvre.

Je n'aborderai pas les questions techniques tout en souhaitant que cela puisse être fait ultérieurement, mais il nous semble qu'il y a d'abord besoin d'un débat de fond sur ces questions, avant d'aborder les questions techniques.

C'est sur un certain nombre de questions de fond que je m'exprimerai en faisant une remarque préalable qui expliquera le sens de ma démarche ensuite. Vous avez, M. le Président, dit que nous allions vers une autre constitution financière. Nous en sommes bien conscients, mais nous remarquons qu'en même temps nous allons vers une autre fonction publique.

C'est essentiellement cet aspect des choses que je voudrais examiner.

Le Premier ministre a qualifié ce projet de réforme de l'Etat la plus importante depuis 40 ans. Certes, il s'agit bien d'un projet dont la portée est considérable puisqu'il consiste à changer fondamentalement les grands principes qui régissent notre procédure budgétaire et nos finances publiques.

Je voudrais toutefois tempérer le sentiment d'audace que cette appréciation semble donner à cette démarche en remarquant que, pour l'essentiel, le projet s'inscrit, clairement et strictement, dans le moule défini au niveau européen et poursuit un chemin déjà ancien, et très fréquenté, initié par nos voisins britanniques.

Permettez-moi quelques rappels concernant l'expérience anglaise. Elle est, pour nous, et pour le syndicalisme européen du secteur public, importante.

En plusieurs étapes, pour faire bref et sans entrer dans les détails, je rappellerai que les Gouvernements successifs du Royaume-Uni unis ont mis en place les réformes suivantes : en 1982, l'évaluation des résultats liés à la maîtrise des budgets, en soulignant que cette opération était conduite par le co-PDG de Marks & Spencer.

En 1988, sous la direction de M. Robin Ibbs, une nouvelle organisation de la fonction publique anglaise a vu le jour avec une répartition de la majorité des fonctionnaires en agences d'exécution indépendantes, qui étaient astreintes à des révisions annuelles de résultat avec des indicateurs d'efficacité et de rapports qualité/prix.

En 1992 enfin, la loi sur les fonctions directionnelles de la fonction publique du Royaume-Uni a délégué aux responsables de ces agences le pouvoir de déterminer les rémunérations et les conditions de travail dans le cadre du budget de programme alloué.

Ainsi, en avril 1999, date d'un rapport que j'ai examiné, 77 % des fonctionnaires britanniques étaient employés dans 107 agences exécutives ou dans des organisations administratives fonctionnant sur le même principe.

Dois-je préciser au passage que le contrôle de la sécurité alimentaire britannique a fonctionné, et fonctionne toujours dans le cadre d'agences dont les indicateurs, depuis le début des années 90, ont donné toute satisfaction !

Bien sûr, la France n'est pas l'Angleterre et je n'entends pas faire un décalque à l'identique, cela va de soi.

Cet exemple que je mets en avant est quand même le plus avancé, le plus caractéristique dans le copiage de l'organisation et des méthodes de l'entreprise privée. Ce qui nous préoccupe, c'est qu'il s'agit d'une orientation généralisée à l'ensemble des pays de l'Union européenne aujourd'hui et, ceci, dans le cadre d'une politique coordonnée au niveau de la Commission.

Votre Rapporteur le souligne clairement dans l'exposé des motifs en évoquant la nécessité de prendre en compte « les conséquences de la construction européenne [et le fait que] les budgets nationaux sont, depuis le traité de Maastricht, soumis à une procédure de surveillance communautaire ».

Le contexte européen pèse donc très fort dans la nécessité de cette réforme, mais aussi dans son contenu.

J'en viens aux remarques que nous inspirent les objectifs affichés dans le cadre de cette proposition de loi.

Il s'agit de « permettre une amélioration de la gestion publique ». C'est une ambition que nous ne pouvons que partager en tant que représentants de fonctionnaires qui expriment suffisamment fort et suffisamment souvent leur insatisfaction quant à cette gestion.

Cependant, les mesures préconisées suscitent de notre part un certain nombre de craintes. Quelles seront les conséquences de l'instauration de programmes se substituant à la règle de spécialisation des crédits, avec objectifs et indicateurs, quelles seront les conséquences du développement de la pluriannualité et de la simplification des procédures de créations et de transformations d'emplois ?

Nous ne sommes pas, avec ces nouvelles procédures, dans le seul domaine budgétaire et financier ; nous sommes aussi sur le terrain de l'organisation et de la gestion de la fonction publique et des fonctionnaires. Nous sommes dans le domaine de la réforme de l'Etat, M. le Président, vous l'avez souligné en introduction.

Les fonctionnaires de l'Etat, dans leur ensemble, par principe, ne sont pas opposés à la modernisation de l'appareil administratif, de son organisation, de son fonctionnement, mais nous sommes, pour notre part, très vigilants et, sur certains aspects, opposés à plusieurs projets dont nous retrouvons l'esprit dans plusieurs dispositions de votre proposition de loi.

Ainsi, la logique coût/efficacité, objectifs/indicateurs de performances nous paraît dangereuse et, au surplus, peu susceptible de répondre aux objectifs que vous lui assignez. D'abord, elle s'éloigne de la logique fondamentale contenue dans la conception française historique du service public dont le but est de répondre aux besoins collectifs et à l'intérêt général, et non pas de coller à des coûts. Ensuite, elle peut et va, rapidement à notre avis, produire son propre antidote, en ce sens que la dérive vers une quantification et donc une simplification des objectifs va inévitablement produire une quantification et une simplification des résultats.

Le risque est manifeste de réduire les différents niveaux d'encadrement dans la fonction publique à une succession et une addition d'approximations, voire de petits, puis gros, arrangements avec la réalité.

Le sens profond du travail des fonctionnaires, le sens du service public, qui constitue encore un ressort très fort dans le fonctionnement de nos administrations, risque d'être, à notre avis, soumis à rude épreuve et nous craignons qu'il n'y résiste pas.

Quant aux raisons qui justifient cette nouvelle approche de règles budgétaires et financières, elles ne résultent pas seulement du souci de l'efficacité administrative. Nous voyons pointer, dans la philosophie de ce projet, la volonté de créer les meilleures conditions possibles pour la mise en _uvre du plan pluriannuel de cadrage des dépenses publiques et nous sommes donc très attentifs.

Le sujet de la pluriannualité mérite débat. Nous ne sommes pas hostiles à l'introduction de préoccupations plus prospectives dans la gestion de la fonction publique. Par exemple, la pluriannualité pourrait permettre d'anticiper et de lisser les effets de départs massifs à la retraite qui, sinon, risquent d'affaiblir radicalement de nombreuses administrations d'ici quelques années.

Mais est-ce de cela dont il s'agit ? Nos craintes sont plutôt de voir cette pluriannualité, en tout cas ce sera possible, utilisée pour dégraisser progressivement, en douceur, mais massivement, les effectifs de la fonction publique au cours de la décade 2005-2015.

Quant à la simplification des procédures de créations et de transformations d'emplois, la fongibilité des crédits qui sera rendue possible, cela ne peut pas ne pas nous inquiéter et nous donner à penser que des risques nouveaux pour l'emploi public sont ainsi créés.

Le passage de la comptabilité de gestion à la comptabilité d'exercice (ou en droits constatés) constitue un changement profond qui ne pourra pas être sans conséquences pour nos collègues des administrations centrales et des administration déconcentrées des services financiers et fiscaux.

Nos collègues concernés regrettent vivement le peu d'empressement du ministre à discuter de cette question. Celle-ci est, pour l'instant, cantonnée à la seule direction générale de la comptabilité publique et la question, notamment, des comptables publics, n'est pas clairement réglée.

Certes, il s'agit encore d'un projet et on ne peut pas discuter dans le détail un projet comme on pourrait discuter dans le détail d'un texte qui serait finalisé, voire voté.

Pour l'instant, nous n'avons pas noté, au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, une grande ouverture en vue d'une participation des personnels à un débat sur les missions et sur leur éventuelle évolution en raison de ces changements.

Sur le fond, l'introduction de cette nouvelle forme de comptabilité nous inquiète beaucoup, vous l'aurez compris. Que l'Etat, le Parlement, chaque ministère, chaque administration puisse travailler dans le cadre d'une comptabilité plus à même de refléter la réalité, c'est un souci que nous comprenons parfaitement. Mais, là encore, le contexte de cette réforme ne peut que nous alerter. Il s'agit bien de généraliser la comptabilité privée à la comptabilité de l'Etat et de constater en même temps que cette comptabilité s'inscrit dans les normes internationales de la comptabilité d'exercice.

D'une certaine façon il s'agit, à cette occasion, d'adapter notre comptabilité publique aux normes et exigences des marchés internationaux.

Pour conclure, vous aurez compris que votre proposition de loi inquiète beaucoup les fonctionnaires que nous sommes, soucieux du bon exercice des missions publiques et revendiquant les moyens nécessaires à ce bon fonctionnement.

J'insiste à nouveau, l'expérience de nos voisins européens en ce domaine ne peut que nous inquiéter.

Votre proposition, dont certains objectifs nous paraissent légitimes et justifiés, s'inscrit dans un contexte et une démarche politique qui nous préoccupent vivement et dont l'axe majeur est très nettement l'affaiblissement de la place et du rôle de l'Etat.

La presse fait état aujourd'hui du rapport de la Cour des comptes, le Président l'a évoqué. Je pense que votre Commission y trouvera des encouragements. Je tiens, pour ma part, à souligner l'exemple de la Cour des comptes concernant le ministère de l'équipement, dans lequel la Cour fustige essentiellement le manque de moyens financiers et de personnels.

Il ne suffira pas de passer d'un schéma titres/chapitres à un schéma programmes/résultats. Si la masse budgétaire stagne ou baisse, ce qui semble se dessiner, la notion même de programme n'a plus grand intérêt. C'est bien de crédits et d'emplois dont nous avons besoin.

M. le Président : Je vous propose, mes chers collègues, de répondre globalement, mais je ne peux m'empêcher, M. Butour, de vous remercier de nous avoir précisé, dès le début de votre propos, que vous n'alliez aborder que les points qui suscitaient chez vous des interrogations, mais ceux qui, positivement, marquent cette réforme, nous les notons aussi, c'est-à-dire ceux que vous n'avez pas évoqués, j'imagine.

M. Jean-Louis Butour : Il est vrai que mon mandat est bien de souligner les préoccupations sérieuses que soulève ce texte compte tenu du fait qu'il est intégré dans la réforme de l'Etat, qui elle-même nous pose quelques problèmes.

Dire que plusieurs aspects emportent notre approbation est sans doute aller un peu vite. Nous constatons que la démarche de discussion et de concertation est un peu formelle et se place à un moment où l'on peut difficilement dire des choses techniques. Nous espérons que, dans un deuxième temps, nous puissions avoir la possibilité d'examiner plus concrètement un certain nombre d'aspects techniques, sur lesquels il y a effectivement des aspects positifs, mais aussi encore pas mal de craintes. C'est ce que je voulais souligner.

M. le Président : Nous allons passer maintenant à M. Jean-Paul Roux, secrétaire général de l'Union des fédérations de fonctionnaires UNSA, et je pense que vous serez d'accord pour bouleverser l'ordre alphabétique, compte tenu de ses obligations.

M. Jean-Paul Roux : Merci M. le Président et merci à mes chers collègues d'avoir accepté de passer outre l'infirmité qui me poursuit depuis l'école maternelle d'être né avec une lettre qui me met forcément en fin de liste. J'ai un avion à 19 h 15 et cela me contraint quelque peu.

Nous accordons, M. le Président, de l'importance à l'audition que vous avez décidée aujourd'hui. Elle nous paraît une marque non négligeable de l'attention que la Représentation nationale accorde au mouvement syndical des fonctionnaires. C'est un geste que nous apprécions à sa juste valeur.

A partir de là, j'ai essayé de situer les quelques réflexions que je vais faire dans un cadre syndical, c'est-à-dire, comme l'a dit mon collègue précédemment, sans entrer dans le débat technique, mais en ouvrant le champ à la réflexion sur quelques grands problèmes d'orientation qu'ouvre la démarche parlementaire que vous êtes en train de mener.

Première réflexion : cette audition, dans une certaine mesure, démontre quelque peu l'ambiguïté de la situation des fonctionnaires en tant que salariés.

Nous sommes à la fois les exécutants des missions de service public, au nom de l'Etat, et en même temps les salariés de l'Etat. Nous avons une situation statutaire et réglementaire qui ne nous permet pas de contracter de façon juridique avec l'Etat, mais en même temps nous menons avec cet Etat un dialogue social, avec celui qui représente l'Etat c'est-à-dire le Gouvernement, alors même que le pouvoir budgétaire, pouvoir républicain s'il en est, se situe dans l'enceinte parlementaire.

Ainsi, par exemple, au niveau du budget de l'Etat, nous sommes concernés par cinq ou six biais possibles. Je passerai le biais citoyen qui n'est pas l'objet de notre débat aujourd'hui, mais en tant que fonctionnaires, le budget de l'Etat que nous exécutons est un outil de travail, si vous me permettez cette référence ouvrière, en tant que salariés, notre pouvoir d'achat doit largement en dépendre et aussi nos conditions de travail et, en tant que syndicalistes, car nous avons quelques idées du rôle de l'Etat et des services publics qui en sont le bras séculier.

Par rapport à la situation actuelle, à la différence peut-être des amis qui m'ont précédé, nous ne pleurerons pas la disparition de l'ordonnance de 1959. Nous pensons même qu'il est peut-être temps qu'elle soit rangée désormais au rayon de l'archéologie législative et que l'on rentre dans une nouvelle étape.

Car, il nous a toujours paru que le principe de l'annualité budgétaire, porté d'ailleurs, quels que soient les Gouvernements, très haut par le ministère de l'économie et des finances, était à rebours du rôle que l'on devrait confier à l'Etat républicain en charge de l'intérêt général, qui ne peut pas être un intérêt à court terme, mais un intérêt à moyen et long terme. L'annualité budgétaire a toujours été un frein à cette mise en perspective de la démarche de l'Etat, en particulier dans le domaine des services publics.

L'exemple le plus caractéristique est bien que la loi de finances a législativement un primat sur la programmation et en particulier sur la loi de programmation. Ainsi, ce qui est fait d'un côté, je pense à la loi de programmation militaire, peut chaque année être défait par une loi de finances sans forcément que l'on fasse une remise en perspective de l'ensemble de la programmation.

Aussi, quant à nous, la pluriannualité nous paraît être une bonne démarche. Elle nous paraît ouvrir le champ à une façon d'aborder le rôle de l'Etat de façon différente, en particulier dans le domaine des services publics.

La pluriannualité impose donc une contrainte majeure, mais qui est un changement fondamental, à savoir se situer dans une démarche de projet. Démarche de projet au plan local, insérée dans un projet national qui le met en cohérence et qui implique donc que ce projet soit une construction progressive par les acteurs que sont les personnels, les usagers, les élus et, en dernier ressort, par des choix d'orientations qui sont du ressort du Parlement.

C'est, dans une certaine mesure, une façon de donner ou de redonner au Parlement le rôle prépondérant dans les choix de politique nationale qu'il doit avoir au travers de réflexions de fond engageant l'avenir dans les grands domaines de la politique publique, politique de santé, politique de sécurité, etc.

A partir de là, dès l'instant où il y a projet et orientation, se déclinent alors tout naturellement à la fois la programmation de la mise en _uvre de ce projet et l'allocation des moyens nécessaires.

Cela impose bien entendu que les pratiques administratives soient réformées et que la gestion prévisionnelle des effectifs et des moyens devienne une pratique courante alors qu'elle est encore, jusqu'à ce jour, largement une perspective jamais mise en _uvre.

Les difficultés que l'on connaît dans le domaine des recrutements, et que nous allons connaître dans les années qui viennent, sont la démonstration parfaite de l'urgente nécessité de programmer cela dans la durée, si l'on ne veut pas, à brève échéance, se trouver en panne tout simplement de recrutement dans tel ou tel domaine des services publics.

Cela permettrait aussi peut-être à ce moment-là de changer l'appréhension de ce débat sans cesse recommencé autour des moyens : mouvement syndical qui réclame des moyens, Gouvernement qui, par tradition, propose de les supprimer ou de les geler, ce qui interdit une vraie gestion de ces moyens tenant compte de l'évolution, à la fois de la demande sociale et de la réalité du service public.

Ainsi par exemple, le mot tabou qu'est : redéploiement, pourrait-ils être utilement recyclés dans une réflexion de fond sur : quel projet faisons-nous dans tel ou tel domaine du service public et quelle allocation de moyens, existants ou à créer, faut-il mettre au service de ce projet ?

C'est une autre façon d'aborder, dans une certaine mesure, le dialogue social dans la fonction publique autour du triptyque que reprend votre préambule : objectif, résultat, évaluation.

Dans ce domaine, j'ai évoqué la question du dialogue social, les fonctionnaires sont passés par une série de phases dont aucune n'a été satisfaisante. Je passe sur la phase initiale qui était l'absence de présence de dialogue social, de droit au dialogue social et à la négociation. Cette pratique ancestrale est entrée en 1968 dans les faits, mais pas dans le droit. Elle n'est entrée dans le droit qu'à partir du statut de 1983, sans que cette reconnaissance juridique du droit à négocier pour les fédérations de fonctionnaires ne se traduise concrètement par un droit contractuel, et sans surtout que cela se traduise par une obligation de l'Etat à contracter.

Or, si l'on veut gérer de façon prévisionnelle désormais les moyens du service public, il n'y a pas d'autre voie que d'engager un dialogue sur la durée avec les fonctionnaires, mais, s'il y a dialogue sur la durée, il doit bien se conclure un moment donné par un engagement réciproque se traduisant ensuite au plan législatif dans une programmation, qui « contracte ».

Il me semble d'ailleurs que le ministre de la fonction publique a évoqué, au cours d'un colloque récent, cette idée qui changerait la nature des rapports entre les fonctionnaires et l'Etat et ce serait, à notre sens, un progrès non négligeable.

J'émettrai simplement une réserve sur la question de la globalisation des crédits.

J'entends bien que, dès l'instant où l'on est devant des projets locaux de service public, c'est à ce niveau que doit se gérer une enveloppe globale et que son utilisation doit ensuite être évaluée.

Le constat que nous faisons de l'ensemble des ministères où cette globalisation est déjà en marche est que l'absence de contrôle en cours d'exécution a conduit à un certain nombre de dérives. Il nous semble, au-delà du contrôle a posteriori qui doit être une règle, que le contrôle en cours d'exécution, y compris avec la présence des acteurs, doit être le garde-fou qui pourra empêcher ce type de dérive.

Cela implique enfin, et ce sera la dernière réflexion sur ce sujet, une nouvelle politique de gestion des ressources humaines car, aborder par ce biais le fonctionnement du service public, c'est aussi une nouvelle façon d'aborder la façon dont les fonctionnaires vont gérer le service public. C'est une forme nouvelle de responsabilisation pour chacun d'entre eux, qu'il soit cadre ou non cadre. C'est une pratique courante de la délégation de pouvoir qui doit désormais devenir la règle. C'est aussi la poursuite d'une déconcentration maîtrisée qui me paraît être l'outil de la démocratie moderne dans un Etat républicain. Je vous remercie.

M. le Président : Je vais donner la parole à M. Roland Gaillard, qui est le secrétaire général de la Fédération générale des fonctionnaires FO - Union interfédérale des agents de la fonction publique FO.

M. Roland Gaillard : M. le Président, lorsqu'en juillet nous avons pris connaissance de la proposition de loi organique, nous n'avons pas été particulièrement surpris car cette proposition couronne une orientation qui, quelle que soit la majorité en place, tend à généraliser la « maîtrise comptable », le budget global : programmes pluriannuels des finances publiques en application du pacte de stabilité européen, plans pluriannuels de modernisation par ministère, projets de service au niveau local.

Il s'agit, tout simplement, d'amener les services à définir des priorités dans leurs missions, compte tenu des moyens dont ils disposent, par opposition au système traditionnel qui consiste à donner les moyens aux services pour appliquer l'ensemble de l'arsenal juridique et réglementaire dans le cadre du principe d'égalité de droit du citoyen devant la loi.

Le passage d'un système d'adéquation des moyens aux missions à un autre consistant à adapter les missions aux moyens correspond, en fait, à un objectif plus ou moins avoué de réduction des dépenses de l'Etat.

Cela pose essentiellement deux problèmes fondamentaux.

Quelle légitimité ont les fonctionnaires pour choisir eux-mêmes une priorité dans leurs missions, déjà qu'ils sont accusés de vivre en dehors de la société civile ? Quelle responsabilisation des élus politiques qui n'osent pas publiquement faire les choix éventuellement nécessaires ? Par exemple il y a trop de fonctionnaires mais on n'ose pas dire où.

La mise en place de programmes par objectifs conforte à notre avis ce choix. Si les 100 ou 150 programmes envisagés reprennent la totalité des missions actuellement définies par l'arsenal juridique et réglementaire, nous retrouverons vraisemblablement les mêmes inconvénients que vous dénoncez en matière de services votés et mesures nouvelles.

Dans le cas contraire, les textes législatifs et réglementaires définissant les missions non retenues dans les programmes feront-ils l'objet d'une abrogation systématique ?

A chaque nouveau texte législatif ou réglementaire, faudra-t-il prévoir un programme de rattachement et un financement spécifique ? A chaque évolution importante d'un programme, y aura-t-il une évolution correspondante des moyens ? Par exemple, que deviendraient les agents affectés à un programme, lors d'une diminution importante des objectifs de celui-ci.

En effet, parce qu'il ne pourrait y avoir logiquement de mutualisation des moyens entre les programmes, il ne serait vraisemblablement pas possible de réaffecter les agents à un autre programme.

Tout cela pose de redoutables problèmes. C'est pourquoi, sans doute, le Gouvernement annonce une mise en place progressive du nouveau système jusqu'en 2006.

La proposition de loi organique a, semble-t-il, deux objectifs : moderniser la gestion publique et renforcer les pouvoirs budgétaires du Parlement.

A priori, comment être opposés à l'idée d'un renforcement des pouvoirs du Parlement. Mais est-ce bien la justification principale de cette proposition ?

En effet, l'enfermement du Parlement dans des contraintes budgétaires définies dans les programmes pluriannuels des finances publiques européens successifs auraient plutôt tendance à réduire le pouvoir de décision politique du Parlement en ramenant celui-ci à un rôle de gestion dans le contrôle des enveloppes budgétaires.

En donnant plus de pouvoirs aux gestionnaires, l'autonomie du politique tend à diminuer par rapport au spécialiste ou à l'expert, compte tenu de la place de plus en plus importante données aux techniques de gestion.

Cette culture financière nouvelle, imprégnée du libéralisme économique, tend à substituer les automatismes budgétaires à la décision politique, voire à la démocratie.

Prenons l'exemple des dernières élections législatives où le candidat Jospin affirmait que le dogme de réduction des effectifs de la fonction publique n'était plus d'actualité. Après la constitution du Gouvernement, le ministre de l'équipement a constaté qu'il était enfermé dans un contrat triennal avec le budget pour une réduction programmée des effectifs de mille agents par an, en contrepartie de la garantie de ne pas être ponctionné en cas de régulation budgétaire. Notons au passage que ce type de contrat ne marche que lorsque ce sont les autres qui subissent la régulation. En cas de généralisation d'un tel contrat, la régulation budgétaire éventuelle s'appliquerait bien évidemment.

Il apparaît que ce type de contrat pluriannuel pose un problème démocratique dans la mesure où les échéances contractuelles et électorales n'interviendront sans doute jamais aux mêmes dates et cela d'autant plus que les programmes pluriannuels seront glissants, comme c'est le cas pour les programmes pluriannuels des finances publiques 2001-2003, puis 2002-2004, etc.

A quoi donc peut servir un vote citoyen, s'il ne peut remettre en cause ces contrats pluriannuels ?

C'est pourquoi, cette modernisation de la gestion publique apparaît comme un renforcement de la technocratie et un recul de la décision politique.

Il est vrai que l'interpénétration de la haute fonction publique et du politique est telle aujourd'hui qu'il est parfois difficile de s'y retrouver.

Comment ne pas citer telle association de hauts fonctionnaires techniques qui, en janvier 1992, sollicitaient ses adhérents à se préparer à un éventuel changement gouvernemental afin de reprendre la place qui devrait être la leur dans les cabinets ministériels ?

Parmi les questions posées aux éventuels candidats, figurait celle-ci : préféreriez-vous un Gouvernement de gauche, de droite ou indifférent ? Est-il besoin d'en dire plus ?

Vous êtes mieux placés que nous pour savoir si cette proposition de loi va vraiment renforcer le rôle du Parlement.

Permettez-moi, cependant, de m'interroger sur le consensus politique qui semble se dégager pour cette proposition, après l'échec des 35 tentatives précédentes.

Nous considérons que les contraintes européennes liées au pacte de stabilité et aux programmes pluriannuels des finances publiques, largement imprégnées du libéralisme économique, sont à l'origine de cette proposition.

Lorsque l'on suit les travaux de l'OCDE depuis une dizaine d'années, notamment le PUMA (Public Management), en matière de réforme de la gestion des ressources humaines dans les pays de l'OCDE, on constate que les Gouvernements successifs s'imprègnent assez largement, comme tous les autres pays, européens notamment, de ses recommandations :

·  décentralisation des compétences en matière de gestion des ressources humaines, des organes centraux de gestion aux ministères et agences gouvernementales ;

·  transfert des compétences en matière de gestion des ressources humaines aux responsables des services au sein des ministères et agences ;

·  cadres d'action ou lignes directrices qui font une plus large place aux normes minimales et aux bonnes pratiques qu'au contrôle détaillé ;

·  gestion décentralisée des budgets aux ministères et agences, avec intégration des coûts en personnel et des coûts administratifs ;

·  assouplissement des systèmes de rémunération, d'emploi et de gestion du personnel ;

·  mesures de formation et de développement du personnel pour accroître les qualifications, les compétences et la flexibilité de la force de travail ;

·  mesures de réduction des coûts sous forme de modération des rémunérations, d'efforts visant à réduire les effectifs et d'incitations aux gains d'efficacité.

C'est pourquoi, il nous apparaît que l'objectif essentiel de cette proposition de loi n'est pas forcément celui qui est mis le plus en relief.

D'ailleurs, dans la plupart des pays européens, ces orientations en cours d'application ne sont pas justifiées par un renforcement du pouvoir parlementaire.

Pour ce qui concerne la mise en place des programmes, nous nous posons de nombreuses questions dont une qui nous parait fondamentale : les services seront-ils organisés par programme ?

M. Michel Sapin explique que la réforme de l'ordonnance de 1959 n'est pas une réforme comme les autres, car c'est une réforme structurante. Le Comité interministériel pour la réforme de l'Etat du 12 octobre 2000 paraît aller dans ce sens.

Il semble que nous prenions de plus en plus exemple sur le modèle anglo-saxon. C'est pourquoi nous craignons le développement d'établissements publics par programme (même si on les dénomme centres de responsabilité) et pourquoi pas, à terme, la transformation de ces établissements publics en agences.

En cas de programmes interministériels, on peut craindre la mise en place d'agences interministérielles locales même, ou surtout, si les crédits interministériels sont placés sous la responsabilité d'un seul ministre.

Bien évidemment, l'ultime démarche sera de mettre les agences en concurrence.

Lorsque l'on parle de transparence et de sécurisation en termes de législation et de réglementation, il paraît curieux que la proposition ne fasse plus mention du rôle incontournable du comptable public, assermenté, responsable personnellement et pécuniairement, rendant ses comptes aux juridictions financières.

Nous savons qu'il n'existe pas encore de modèle fiable d'organisation des services par programme, mais l'objectif semble de s'engager résolument dans cette voie et de gérer au fur et à mesure les difficultés d'application.

Comment ne pas mettre en avant le constat de l'OCDE qui fait état des sujets d'inquiétude concernant la perte de contrôle politique et administratif sur ces organismes, la confusion des responsabilités, l'insuffisance de coordination des politiques et les possibles dérives dans les comportements éthiques ?

C'est pourquoi, le PUMA débute un projet afin d'aider les pays membres de l'OCDE à renforcer les mécanismes assurant une bonne gouvernance de ces organismes.

Ce découpage des services de 1'Etat pose de nombreux problèmes quant au devenir des agents et du statut de la fonction publique, en particulier. Combien de temps les agents resteront-ils fonctionnaires avant de devenir des salariés propres à l'établissement public ou à l'agence et dépendre d'une convention collective ?

Si les programmes correspondent à des établissements publics, cela ne change rien au raisonnement car l'histoire récente nous a montré les phases successives d'évolution des EPA, EPIC, exploitants autonomes, etc.

A partir d'un certain stade, on privilégie systématiquement les recrutements spécifiques à l'établissement. Cette analyse est confortée par le fait que chaque programme compilera la totalité des dépenses de personnel, y compris les charges sociales.

Qu'en sera-t-il pour les retraites ?

Certains avancent l'idée d'une agence pour gérer la dette publique ou un programme spécifique pour les pensions ?

Je profite de l'occasion pour réaffirmer ici que le Code des pensions civiles et militaires de retraite n'est pas un régime de répartition comme les autres, puisqu'il s'agit d'un traitement continué, dans la mesure où, contrairement à un employeur privé, l'obligation constitutionnelle de l'Etat-employeur est de verser la pension, et non pas une cotisation patronale.

Pour les fonctionnaires, il s'agit également d'une retenue pour pension et non d'une cotisation salariale

Par ailleurs, les modalités de gestion du personnel ne peuvent qu'être profondément modifiées du fait de la globalisation des dépenses de personnels, sans doute sous forme d'une masse indiciaire plafonnée et des assouplissements de gestion accordés aux gestionnaires.

Etes-vous vraiment convaincus qu'avec ce système, vous connaîtrez mieux demain la réalité de l'emploi public, que ce soit sous un angle quantitatif ou qualitatif, d'autant plus que la déconcentration de la gestion ne fera qu'accentuer les choses ? Le raisonnement en masse indiciaire semble consister à « casser le thermomètre ».

Bien sûr, le plafond ne sera pas dépassé ; mais cela entraînera de telles disparités de gestion que le principe d'égalité des agents appartenant à un même corps ne sera bientôt plus qu'un souvenir.

Il est vrai que le Conseil d'Etat, dans un avis célèbre, accepte le postulat que le principe d'égalité est respecté lorsque les mérites respectifs des agents sont appréciés par groupe de 50. Heureusement que nous n'en sommes pas encore là pour l'égalité de droit des citoyens !

Quant à la fongibilité des crédits de personnel, cela s'apparente à ce que la direction du personnel de l'équipement proposait, il y a une quinzaine d'années : échange 120 F de crédits de personnel contre 100 F de crédits informatiques.

La globalisation des dépenses de personnel, compte tenu de leur poids dans les dépenses publiques, nous apparaît avoir comme objectif la réduction de celles-ci en profitant des départs massifs à la retraite dans les dix ans qui viennent.

Nous avons bien compris que, pour les dépenses de personnel, il s'agira bien d'un plafond qui ne pourra être abondé à partir d'autres dépenses et encore moins d'autres programmes.

C'est donc clair, les effectifs, ou plutôt la masse salariale, seront liés à un programme et pourraient, éventuellement, disparaître avec celui-ci. De plus, si les agents sont identifiés à un programme, ils disparaîtront eux aussi.

En outre, en dissociant masse salariale incluant les charges sociales et plafond d'emplois, il nous apparaît que la variable d'ajustement portera sur les effectifs d'autant que le Gouvernement actuel a refusé, malgré notre demande, d'abroger la circulaire du 12 juillet 1996 prise par le Gouvernement précédent, sur la mise en _uvre des contrats de service locaux, qui stipule que les agents pourront bénéficier de retours financiers correspondant à 20 % des économies réalisées dans la limite de 5 % des crédits de rémunérations principales, par abondement des indemnités existantes.

C'est, en fait, le slogan qui revient : moins de fonctionnaires, mais mieux payés.

Par ailleurs, la possibilité donnée à tous les gestionnaires de procéder à des transformations d'emplois conduira inévitablement à institutionnaliser des modalités de recrutements locaux spécifiques. Il en sera de même pour les promotions.

Nous faisons, d'ailleurs, un lien avec les propositions faites par M. Sapin lors des négociations salariales sur de nouvelles modalités de promotion qui se substitueraient aux pyramidages statutaires ou budgétaires.

En tout état de cause, les statuts nationaux de corps ne résisteront pas très longtemps à l'accumulation de toutes ces disparités.

Toutes ces propositions, encadrées par les mesures de décentralisation et de déconcentration, ressemblent étrangement à celles du MEDEF qui préconise les accords d'entreprises plutôt que les accords de branches, le contrat individuel plutôt que la convention collective.

Est-il illégitime d'être circonspect lorsque M. Sapin évoque, avec une certaine envie, la contractualisation des relations sociales et nous propose, au cours de 2001, une négociation sur la négociation, afin de définir des règles portant sur la définition juridique d'un accord aux différents niveaux de structures de l'Administration ?

Ce type de question ne peut être ignoré lorsque l'on envisage de découper les services en fonction de programmes d'objectifs et de résultats. Cela met en parallèle la refondation sociale et la refondation de l'action publique et que l'on remet en débat les rôles respectifs du contrat et de la loi.

M. Sapin, au cours d'un colloque européen, expliquait, le 27 novembre dernier, avec une certaine prémonition : « Et lorsqu'une négociation s'ouvre, les deux parties, Etat-employeur d'une part, organisations syndicales de l'autre, savent qu'elles peuvent sans grand dommage à court terme échouer dans leur dialogue, parce que, s'il n'y a pas accord, la puissance publique prendra de toute façon des décisions qui ne conviendront peut-être pas totalement aux syndicats, mais qui répondront partiellement aux attentes des agents. La règle étant qu'il faut toujours une décision unilatérale, loi ou décret, pour appliquer une réforme ou mettre en _uvre une mesure, et ce même si un accord a été conclu, cet accord n'ayant aucune force juridique par lui-même, les partenaires d'un bord ou de l'autre, ou certains d'entre eux, peuvent feindre d'entrer en négociations en se résignant d'avance à un échec, voire en le souhaitant intimement. La négociation devient alors un jeu d'ombres, chacun y joue sa partition en solitaire. L'Etat peut, à tout instant, décider de mettre fin au débat pour décider seul ; tout syndicat peut à tout moment claquer la porte sans grave conséquence pour les agents. Une action syndicale exclusivement revendicative est dès lors possible ; certains s'en satisfont, et pas seulement du côté syndical. Mais je crois que le fait du prince, même si le prince est un élu, est un privilège archaïque ».

La proposition de loi organique s'intègre au cadre de la réforme de l'Etat et s'appuie essentiellement sur « la contractualisation de l'Etat ».

Cela donne une toute autre dimension à la proposition de loi organique dans la mesure où celle-ci intronise, en quelque sorte, le principe de la contractualisation.

Il est extraordinaire de constater cette frénésie tendant à transposer, dans la sphère publique, le contrat qui est l'essence même de la sphère marchande.

A ce sujet, il est intéressant de se référer à un article de M. Alain Supiot (Le Monde du 7 mars 2000) qui précisait que « loin de désigner la victoire du contrat sur la loi, la contractualisation de la société est bien plutôt le symptôme de l'hybridation de l'une et de l'autre, qui conduit à une reféodalisation du lien social.

Ce que nous appelons "société" est un ensemble de liens de paroles, fixées souvent dans des textes, qui attachent des hommes les uns aux autres. En français courant, on parle de "loi" et de "contrat" pour distinguer les deux sortes de liens qui nous tiennent et nous font tenir ensemble : du côté de la loi se trouvent les textes et les paroles qui s'imposent à nous indépendamment de notre volonté, et du côté du contrat ceux qui procèdent d'un libre accord avec autrui. Dire que la société se contractualise, c'est dire que la part des liens prescrits y régresse au profit des liens consentis ou, en termes savants, que l'hétéronomie y recule au profit de l'autonomie (...).

Le contrat s'affirme plus que jamais comme un universel abstrait, qui submerge le cloisonnement normatif des Etats. Mais 1'empire du contrat ne peut se soumettre ainsi les états qu'en englobant les valeurs concrètes qu'ils abritent. Le plus visible est le mouvement d'universalisation du contrat, qui tend à se soumettre aussi bien les Etats que l'état des personnes. Hier encore, garant unique des échanges, l'Etat fait aujourd'hui figure sur la scène internationale d'obstacle aux échanges ».

Dans ces conditions, il nous paraît que la généralisation du contrat à tous les niveaux de l'Etat met en péril le principe républicain d'égalité de droit du citoyen devant la loi.

Chacun sait que le principe de « supériorité de l'Etat » place le fonctionnaire dans une position statutaire et réglementaire et que le pouvoir exécutif, au nom des intérêts supérieurs de l'Etat, peut ne pas respecter ses engagements, sauf peut-être ses obligations européennes. Quand on voit ce qui se passe en Espagne en ce moment, par rapport au fait que l'on a bloqué le salaire des fonctionnaires et qu'il y a eu quelques décisions de tribunaux en la matière, je crois que c'est d'actualité.

J'en sais quelque chose pour avoir signé des accords qui n'ont pas été respectés, du moins en partie. Or, il n'y a pas de tribunaux compétents en la matière.

La liberté contractuelle des personnes publiques est un casse-tête juridique. De plus, l'évaluation des résultats propre à un programme paraît d'autant plus difficile que de plus en plus, le service public fonctionne en partenariat.

Je n'ose parler des sanctions. Cette séparation entre fonctions de conception et d'exécution des politiques publiques dans la fonction publique rappelle en quelque sorte la séparation du régulateur et de l'opérateur dans le secteur public, avec les conséquences que l'on connaît.

Nous retrouvions déjà ces propositions dans les travaux du XIème plan dans la Commission Etat, administration et services publics de l'an 2000, présidée par M. Christian Blanc. Cela rappelle également certains débats de la fin des années 1970, notamment les propositions de M. Longuet, Rapporteur du budget de la fonction publique en 1980, qui préconisait la réduction drastique du nombre des fonctionnaires en distinguant deux catégories d'agents publics : les fonctionnaires d'autorité et de puissance publique, qui devraient dépendre du statut général et les autres, les exécutants, qui devaient dépendre d'une convention collective.

C'est pourquoi, compte tenu de l'ampleur des problèmes posés et de nombreuses questions sans réponse, on ne peut que s'interroger sur l'engouement apparent que suscite cette proposition de loi qui ne peut conduire qu'à une « refondation » de notre fonction publique laïque et républicaine

M. le Président : Merci M. Gaillard. Je me permettrai simplement une réflexion sur votre dernier propos. L'engouement qui est le nôtre, c'est la conscience que nous avons de servir les intérêts d'une institution qui s'appelle le Parlement de la République. Ce n'est pas simplement une passade qui nous aurait subitement saisis qui nous a conduit à proposer ces réformes. La responsabilité qui est la nôtre, et qui est la mienne en tant que Président de cette institution, est de faire en sorte que, dans les institutions de la République, le Parlement joue pleinement son rôle et il me semble que cela, sur le principe, ne peut que recueillir l'accord de tout républicain, syndicaliste ou non.

M. Roland Gaillard : Ce que je regrette, pour que l'on se comprenne bien, c'est que l'on ne parle pas assez du deuxième volet et que l'on ne mesure pas encore aujourd'hui toutes les conséquences qu'il peut avoir.

M. le Président : Bien entendu, mais c'est précisément pour cela que vous êtes là, dans la mesure où nous avons conscience que les conséquences d'une réforme, dans le cadre du dialogue nécessaire, indispensable, entre l'exécutif et le pouvoir législatif, portent bien entendu sur le fonctionnement même des administrations au premier rang desquelles il y a bien entendu, dans notre préoccupation, les fonctionnaires qui servent cette administration car, sinon, nous aurions en face de nous quelque chose d'éthéré, d'irréel. La réalité, ce sont des hommes et des femmes au service de l'Etat, au service de la Nation, au service de nos concitoyens dans le cadre de l'exécution du service public.

Je pense qu'il ne faut pas déformer la volonté qui est la nôtre. Je voudrais d'ailleurs, sur un deuxième point, vous dire que vous semblez inquiet de la perspective d'un accord, M. Gaillard. Vous n'imaginez pas quelle somme de travail et d'efforts il nous faut aujourd'hui rassembler pour aboutir à cet accord. Je ne voudrais pas que vous puissiez croire un instant qu'il y a, dès le départ, une volonté, pour essayer de tromper tout le monde, d'aboutir à un consensus entre les différents partenaires.

C'est un jeu, pardonnez-moi, au sens le plus noble du terme, auquel nous nous livrons, le Rapporteur et moi, avec les membres de la Commission depuis des mois. C'est extrêmement difficile et d'ailleurs, entre nous, si c'était aussi facile, il n'y aurait pas eu 35 tentatives de réforme.

Je voudrais enfin terminer en vous disant que, lorsque cette ordonnance a été prise, dans des conditions sur lesquelles je n'épilogue pas, mais le simple terme d'ordonnance doit signifier à vos yeux quelque chose, c'est-à-dire l'absence d'association du Parlement à la mise en _uvre d'une procédure budgétaire, cette simple volonté exprimée un an après l'adoption de la Constitution de 1958 ne pouvait qu'avoir une seule traduction : celle d'écarter le Parlement de la République des choix budgétaires essentiels pour la Nation.

Vouloir, 40 ans après, essayer de redonner la place aux institutions de la République et notamment au Parlement, personne ne peut critiquer les parlementaires de s'y atteler aujourd'hui. Personne, sauf à vouloir perpétuer ce qui est une réalité, pardonnez-moi de le dire, c'est que le pouvoir ne se situe plus ici, il n'est plus entre les mains de ceux qui sont les représentants du suffrage universel, il se situe entre les mains de quelques administrations ou plutôt d'une seule, pour dire les choses, au détriment bien entendu des institutions républicaines, mais au détriment aussi de toutes les administrations, de tous les ministères.

Si l'on veut perpétuer cela, il faut surtout ne rien changer à l'ordonnance de 1959. Cela permettra, je vais être brutal et rapide, à Bercy d'avoir la réalité du pouvoir entre ses mains.

Ce n'est sans doute pas ce que vous voulez et, en tous les cas, c'est ce que, moi et que nous, nous n'acceptons plus. C'est ce qui justifie notre démarche. Voyez qu'elle n'est pas quand même si subalterne que cela et, en tous les cas, même s'il y a une conjonction comme je l'ai dit, elle n'est pas facile à atteindre. Je sais de quoi je parle et nous savons de quoi nous parlons quand j'évoque cela.

Enfin, votre contribution est fort utile, mais il y a deux aspects, notamment l'aspect interne aux administrations et c'est l'objet d'une discussion qui doit se situer en aval, même s'il n'est pas interdit d'y réfléchir en amont, je dirai même qu'il est indispensable à la fois en amont et en aval d'avoir cette réflexion, mais, pour ce qui nous concerne, nous poursuivons notre chemin et je ne suis pas sûr d'ailleurs que nous arriverons à son terme, mais je l'espère.

Nous allons passer à M. Guyot, délégué fédéral des fonctions publiques de l'Union fédérale des cadres des fonctions publiques CFE-CGC.

M. Patrick Guyot : Je vais découper mon propos puisque beaucoup de choses ont été dites. Je vais d'abord vous présenter un argumentaire sur la philosophie de la loi de finances et, après, je reviendrai sur deux sujets qui sont ce que l'on peut appeler le problème de la gestion du personnel à la suite de la modification éventuelle du vote de la loi de finances et, également , ce qui concerne le contrôle a posteriori, qui nous paraît poser quelques problèmes.

Le Parlement, puisqu'il s'agit d'une proposition de loi, nous propose de modifier le processus d'élaboration de vote et de mise en _uvre des lois de finances.

Il s'agit là d'une révolution financière. Ce n'est pas moi qui l'ai dit, c'est M. Sapin lors d'une Commission de modernisation. Il a dit : « ce n'est pas une réforme, c'est une révolution ».

Vous savez que la France a toujours quelques problèmes avec les révolutions par rapport aux réformes. C'est un sujet vaste, comme le monde. Il s'agit donc de passer d'un contrôle a priori n'excluant pas parfois le contrôle d'opportunité, on le sait tous. On passerait alors à un contrôle a posteriori et à une comptabilité d'engagement et donc un contrôle des résultats.

En ce qui concerne les crédits, ils ne seront plus votés par chapitre et article, mais par programme ministériel ou interministériel.

Nous, nous avons beaucoup de questions. L'inquiétude porte sur beaucoup de questions et nous attendons quelques réponses de votre part et éventuellement du Gouvernement, si cette proposition vient à l'ordre du jour de l'Assemblée.

D'abord, qui gérera ces crédits interministériels, quand il s'agira de programmes interministériels ? Le préfet de région, un collège de chefs de services déconcentrés ? On voit tout actuellement, le préfet de région n'a pas la haute main sur les crédits, contrairement à ce que l'on croit, il y a encore beaucoup de dossiers qui passent par les services déconcentrés et qui obligent parfois à des réunions de chefs de services déconcentrés pour gérer ces crédits.

Si c'est le cas du préfet de région, mettra-t-on sous ses ordres le trésorier payeur général et le recteur d'académie ? Seront-ils placés sous la tutelle du préfet afin de développer cette notion interministérielle ?

C'est donc une nouvelle organisation des services qu'il va falloir promouvoir. Je vous rappelle que ces deux ministères restent, au niveau local, indépendants. Même les lois de décentralisation n'ont pas entamé l'indépendance des recteurs et des TPG.

C'est une première question.

Si le Gouvernement se lance dans cette affaire, il ne faudra pas qu'il craigne les problèmes de compétences et de conflits de compétences.

En matière de gestion de personnel, je crois qu'il faut que nous rappelions que la CFE-CGC est très attachée au cadre national de gestion des corps, et notamment pour la catégorie A, pour un problème que rappelait Roland Gaillard qui est le problème de ces fameux effectifs de 50, qui n'existent pratiquement dans aucune région de France et qui existent encore moins dans le département.

Ce sont de vrais problèmes d'égalité des carrières qui se posent au niveau de la catégorie A dès que l'on déconcentre cette catégorie.

Les transformations d'emplois seront possibles, ainsi que les recrutements, avancements et modifications de rémunération, s'il n'y a pas de dépassement de crédit. C'est ce que dit l'article premier, alinéa 5.

Les fonctionnaires sont aujourd'hui gérés par des statuts particuliers qui prévoient les formes de recrutement, les procédures d'avancement, d'autres décrets fixent leur rémunération et notamment le régime indemnitaire, quand il sont parus. Nous sommes très favorables à ce que ces règles indemnitaires existent et à ce que la transparence soit renforcée dans ce domaine. Si l'on donne au gestionnaire local un pouvoir très important sur la rémunération des personnels, la perspective d'apparition de « petits chefs » sera à l'ordre du jour. La rémunération doit être incitative dans un système encadré. Si le système n'est pas encadré, l'incitation devient comparable à un délit. On peut facilement accuser le chef de service de délit de favoritisme. On a bien connu cela dans l'administration territoriale. Avant que l'on ait fixé le régime indemnitaire des fonctionnaires territoriaux, on a bien vu des collectivités territoriales servir beaucoup plus de rémunérations, et surtout des primes et non pas des traitements puisque cela était encadré, et j'en parle en connaissance de cause puisque j'ai détaché pendant des années des centaines de personnes dans les collectivités territoriales au moment du début des lois de décentralisation donc j'ai bien vu les effets pervers que cela pouvait donner et surtout le douloureux effort de rectification qu'il a fallu faire quand il s'agissait de renouveler le détachement.

De même, en matière de transformation d'emplois la tentative sera forte de favoriser le grand nombre au détriment de la qualité. Je ne reviens pas sur ce qu'a dit notre collègue de la FSU.

Il est toujours facile de recruter deux agrégés plutôt qu'un professeur d'université, quatre certifiés plutôt que trois agrégés, j'en passe et des meilleures.

Dans l'encadrement, cela va très vite, la déqualification peut se faire en deux, trois, voire quatre ans, surtout aujourd'hui, où nous sommes justement confrontés à révolution du recrutement. Avec les départs à la retraite, il va falloir recruter un nombre extraordinaire de cadres, que ce soit pour l'administration territoriale ou pour l'Etat.

La possibilité de gérer des crédits déconcentrés sans contrôle a priori demande un gros effort de formation des gestionnaires. Cela prendra certainement plus de trois ans. Je rappelle, pour la Représentation nationale si elle ne le sait, puisque cela se passe par décret, que l'ENA n'a mis à son programme la gestion de personnel que depuis deux ans.

Vous imaginez quand même la révolution qu'il va falloir faire. Il ne s'agit pas de gérer le personnel sans en connaître un minimum les statuts, les conditions de rémunération, etc.

Cette réforme demande donc une application progressive que nous avons fixée de dix à quinze ans, avec un bilan d'étape dès les cinq premières années sinon de graves dysfonctionnements ne manqueront pas de se produire. Il faut rénover les pratiques actuelles et provoquer une prise de conscience des gestionnaires. Ce n'est pas toujours facile.

La loi et les réglementations risquent de se heurter à des mentalités non préparées à cette révolution ou qui l'attendent tellement que les débordements seront multiples. En tout état de cause, il faudra mettre en place des systèmes de contrôle de gestion qui apportent aide et conseils avant de sanctionner. A cet égard, la mise en place d'indicateurs pertinents demandera à elle seule plusieurs années, notamment dans une réflexion sur la qualité d'exécution des programmes.

C'est pourquoi il est nécessaire de passer à la mise en place de contrats d'objectifs négociés, car la simple délégation de crédits ne résout pas tous les problèmes. Ces contrats d'objectifs devront tenir compte des budgets de programme et comprendre une partie des moyens des services permettant de réaliser les objectifs. De plus la responsabilisation des gestionnaires se fera à travers cette forme de cadre budgétaire et non par la simple délégation de crédits. C'est l'ensemble de la gestion publique qui doit être rénové, l'ordonnance de 1959 apparaissant comme un des instruments de la rénovation, s'il devait rester le seul, l'échec serait patent.

La mise en place de ces contrats nécessite en amont une réflexion, sur les missions de service public et un encadrement réglementaire en la matière. Cette réflexion, qui est du domaine du politique, devra se faire en tenant compte des observations des organisations syndicales représentatives du personnel et notamment avec l'encadrement qui sera le maître d'_uvre de ces contrats d'objectifs.

L'autre réforme majeure est la mise en place du contrôle a posteriori. Là aussi la formation des personnels est capitale et des moyens devront être dégagés à ce sujet. En effet, d'une culture de contrôle a priori et parfois allant jusqu'à l'opportunité, il faut passer à un contrôle d'engagement de crédits en fonction de budgets de programme. Mais à notre sens, le contrôle quotidien doit se trouver renforcé au sein des services pour éviter tout débordement. A ce sujet les lois de programmation militaire pluriannuelles sont parfois sources de dépassement, il en est de même en matière de marchés publics, notamment quand il s'agit d'investissements lourds. La réglementation doit être plus claire pour certaines opérations comme les marchés publics et nous aurions aimé trouver, à la suite de votre proposition de loi, les modifications induites sur le décret de 1962 relatif à la comptabilité publique parce que la vision ne peut se faire qu'avec ces deux textes. Vous savez comme moi que l'ordonnance de 1959 et le décret sur la comptabilité de 1962 sont deux textes qui ne vont pas l'un sans l'autre.

Nous regrettons aussi que cette réforme ne fasse pas assez mention d'une chose dont on parle souvent qui est la gestion patrimoniale de l'Etat qui reste trop souvent archaïque, voire inexistante.

Reste enfin le problème de l'organisme ou des personnes chargées du contrôle a posteriori. Ce sont des questions que je vous pose : qui sera le juge des comptes a posteriori ? Les Chambres régionales des comptes, la Cour de discipline budgétaire, les contrôleurs financiers actuels ? Tout le monde en même temps ? Dans quel rôle ? S'il s'agit des Chambres régionales des comptes, il faudra fortement renforcer leurs effectifs, afin de répondre à cette nouvelle demande sinon des administrations ne seront contrôlées que tous les cinq à sept ans (c'est le cas des lycées et collèges actuellement).

S'il s'agit de la Cour de discipline budgétaire, là aussi il faut inventer un mode de fonctionnement plus rapide et plus concret et donc multiplier le budget des moyens.

S'il s'agit des contrôleurs financiers actuels, comment sera mise en jeu leur responsabilité ? N'y a-t--il pas, pour tous ces corps et ces personnels, un risque de pénalisation de la gestion des deniers publics qui relancerait la recherche toujours forte, que l'on connaît dans d'autres domaines, du « lampiste » ?

En ce qui concerne les gestionnaires, ne faudra-t-il pas inventer une forme de cautionnement comme pour les comptables publics et comment sera financé ce cautionnement qui pourrait toucher effectivement les ordonnateurs, puisque ce seront eux qui engageront les crédits et qui prendront la responsabilité quelque part ?

Je vais revenir rapidement sur deux points : la gestion du personnel et le contrôle a posteriori.

Sur la gestion du personnel, on tourne toujours autour du fameux article premier, alinéa 5 qui fixe la règle. Cette dernière nous semble une souplesse donnée aux gestionnaires, qui demande une formation adéquate et qui, à notre connaissance, est assez inexistante actuellement. Il y a très peu de gestionnaires qui connaissent parfaitement les statuts des personnels sous leurs ordres.

Cette souplesse n'aurait-elle pas pour effet premier, notamment en services déconcentrés et j'ai tendance à dire encore plus en services déconcentrés qu'en centrale, de reconstituer le stock des emplois précaires dans la fonction publique ?

En effet qui dit programme dit effet limité dans le temps et peut-être souhait d'engager telle ou telle personne sous contrat à durée déterminée. Qui peut dire aujourd'hui qu'un programme sera clos à telle date et donc ces CDD seront-ils renouvelés à terme ? Deviendront-ils des CDI accessoirement ?

En ce qui concerne les fonctionnaires, les différents corps sont régis par des statuts particuliers. Pour ce qui est du recrutement, nous réaffirmons notre attachement au concours, seule source d'égalité devant l'accès à la fonction publique, et à la gestion du personnel au niveau national, notamment pour la catégorie A, les catégories B et C étant à voir corps par corps et plutôt au niveau régional compte tenu de la délégation qui pourrait être donnée au préfet de région, justement.

Quant à l'avancement, toute transformation d'emploi peut-être source de remise en cause de celui-ci. En effet, de nombreux corps voient leur avancement conditionné par un pourcentage limitatif au regard du nombre de fonctionnaires dans le corps. Si ce nombre varie à la baisse, les possibilités d'avancement s'amenuisent

Dans ce cadre, permettre à un gestionnaire de jouer sur ce paramètre revient à fragiliser la carrière de certains personnels. De plus, lorsque le choix sera fait par le gestionnaire il y a fort à parier que le poids du nombre soit un élément essentiel du choix. En effet, il est préférable pour un gestionnaire de faire de nombreuses promotions dans des petits corps, et dans des corps de catégorie C et B plutôt que de faire quelques promotions dans les corps de catégorie A, pour la bonne raison que cela pose moins de problèmes, ce qui accentuera certainement le problème de l'encadrement intermédiaire dans la fonction publique.

Enfin pour ce qui est des conditions de rémunération, si les modulations de primes sont souhaitables, encore faut-il qu'on encadre ces possibilités. Cela nécessite une clarté et éventuellement une réflexion sur les systèmes de rémunération. C'est pourquoi il nous semble donc souhaitable de poser des limites à la modification de rémunération dans le respect des textes réglementaires qui doivent fixer la rémunération des fonctionnaires.

En ce qui concerne le contrôle a posteriori, je reviens surtout sur le problème de sa mise en place progressive.

Il faut bien voir qu'elle est déjà perçue par certains ministères et par certaines directions de ministères comme d'ores et déjà une perte de pouvoir, vous devez en être conscients. Cela pourrait se traduire par des comportements excessifs qu'il faudra savoir canaliser, il faudra en gros résister à la "technocratie", semblables à ceux du début de la décentralisation. Tout le monde sait, et tout le monde a vu les effets mal contrôlés des débuts de la décentralisation qui, Dieu merci aujourd'hui, sont rentrés dans un ordre que l'on peut trouver acceptable et où les débordements deviennent beaucoup moins légion qu'ils n'étaient au début des contrôles des Chambre régionale des comptes.

En tout état de cause ce passage devra être piloté intelligemment par la mise en place de formations adéquates qui tiennent compte des impératifs de la gestion publique, qui ne peut pas être celle du privé. Je ne reviens pas sur ce qu'ont dit certain de mes collègues. Une mission de service public, ce n'est pas un service privé. D'ailleurs on le voit bien quand on délègue à un service privé une mission de service public, souvent on a des problèmes de coût, je pense notamment à la gestion de l'eau.

A cet égard, nous souhaitons connaître les intentions du Gouvernement sur le coût de ces formations et les crédits qu'il dégagera en la matière.

Se pose également le problème de l'organisme, de la juridiction ou des personnels appelés à effectuer ces contrôles. Là aussi il faudra dégager des moyens et former les personnels.

Enfin, il faudra réfléchir aux sanctions applicables aux mauvais gestionnaires, éviter à notre sens la mise en _uvre d'une responsabilité pénale liée à l'utilisation des deniers publics, qui serait trop systématique, réfléchir à la mise en place d'un éventuel cautionnement pour les ordonnateurs équivalent de celui qui existe pour les comptables. L'on n'évitera pas également une réflexion sur le nouveau rôle des comptables publics.

On le voit, cette gestion demandera une mise en place négociée avec les organisations syndicales représentatives du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat, notamment au sein de la Commission de modernisation des services publics et également au niveau local avec ces mêmes organisations.

Enfin, cette réflexion sur le droit budgétaire devra s'accompagner d'une réflexion sur les missions de l'Etat, sous peine de mettre en place des programmes dont la pertinence serait rapidement remise en cause.

M. le Président : Nous allons passer la parole à M. Michel Perier, secrétaire général de l'Union des fédérations CFDT des fonctions publiques et assimilées.

M. Michel Perier : Merci M. le Président. Nous ne sommes pas à l'initiative de ce projet de loi, cela peut paraître évident, mais c'est un peu une boutade par rapport à un propos que j'avais avec mon collègue de FO en attendant le début de séance.

Cependant si nous avons aujourd'hui bien compris les objectifs, nous y sommes plutôt favorables, sachant que nous sommes favorable à toutes mesures permettant, d'une part, une meilleure efficacité de l'Etat et de ses services et, d'autre part, plus de transparence dans la préparation, la mise en service et l'évaluation de l'action de l'Etat.

Il nous semble aujourd'hui que la réforme des finances publiques proposée y concourt.

Pour la CFDT, la proposition de loi relative aux lois de finances que vous examinez répond au souci qui est le nôtre d'un recentrage des missions de l'Etat et, en corollaire, d'engager une nouvelle étape de décentralisation, prolongeant les dispositions prises depuis 1982.

Nous n'interviendrons pas sur les aspects techniques ou financiers qu'implique la loi de finances proposée, mais plutôt sur les aspects politiques et les conséquences pour l'Etat et ses agents de ces nouvelles dispositions, si elles étaient adoptées par le Parlement.

J'insisterai ici, sur trois dimensions qui nous semblent essentielles :

- la redéfinition du rôle des élus que cette proposition induit ;

- le fonctionnement différent de l'Etat et de ses services qu'entraîne automatiquement la proposition de loi ;

- l'évolution nécessaire des relations sociales dans la fonction publique.

Sur le premier point, le Parlement va, grâce à ces nouvelles dispositions, voir ses prérogatives changer. Pour la CFDT, il y a un intérêt évident aujourd'hui à ce que les responsables politiques recentrent leur intervention sur leurs missions essentielles, à savoir la définition des objectifs de la Nation.

Le développement d'une politique formulant des objectifs sur la base de projets pluriannuels nous semble urgente pour relever les défis qui se posent à l'Etat. En cassant le mythe d'un Parlement qui fait tout, jusqu'à déterminer le nombre de gommes que chaque service peut ou ne peut acheter, il nous semble que le Parlement doit pouvoir recentrer son action publique sur les vrais enjeux de la période.

Mais ce faisant, il y a nécessité, de notre point de vue, d'engager rapidement le chantier d'une deuxième étape de décentralisation, notamment en développant de nouveaux espaces de démocratie locale. Sans quoi le risque majeur est celui d'un déplacement sur les instances locales des travers que vous avez dénoncés, et que vous voulez combattre par cette loi, au moment où les instances locales auront à leur tour à décliner en mesures concrètes les objectifs nationaux. C'est ce que l'on pourrait rencontrer.

Le Parlement doit aussi, dans les mesures qu'il va prendre, se poser la question des statuts des agents et prendre garde que la fongibilité des crédits ne vienne pas réduire les orientations politiques décidées. Les lignes budgétaires individualisées, fléchées, doivent autoriser un suivi des principaux chapitres, notamment ceux tenant aux effectifs, et nous serons sensibles aussi à ceux relatifs aux conditions de travail, à l'action sociale ou la formation. La fongibilité budgétaire ne doit pas se traduire en cours d'année par la réduction systématique d'engagements budgétaires jugés moins urgents ou moins stratégiques.

Sur le deuxième point, à savoir le fonctionnement de l'Etat et de ses services, ces nouvelles règles financières entraînent, de notre point de vue, ipso facto une transformation du fonctionnement de l'Etat et de ses services. On peut sans risque prédire que ces nouvelles règles accéléreront l'évolution des administrations centrales ou des services centraux vers une administration d'expertise et vers une administration de pilotage et d'évaluation, évolution incontournable à notre sens pour élaborer et gérer des projets.

Les services déconcentrés de l'Etat connaîtront une évolution différente : chargés de déterminer les moyens à mettre en _uvre pour atteindre les objectifs fixés par la Représentation nationale, ces services devront nécessairement revoir leur fonctionnement et leur mode d'organisation, entraînant requalification des fonctions et responsabilisation de ces services. Je pense que, là, il y a à développer de la formation, rapidement et dès maintenant avant que les mesures ne soient mises en _uvre complètement d'ici 2006.

De telles évolutions nous conviennent tout à fait, mais nécessitent une programmation des moyens d'accompagnement. Il doit notamment y avoir une articulation, et peut-être sur certains points, une redéfinition des échéances, du plan de modernisation de l'Etat, et peut être que le prochain CIRE devrait rapidement préciser cet aspect.

Troisièmement, si la nouvelle loi organique financière proposée peut amener à ce que les élus voient leurs fonctions et responsabilités clarifiées, à ce que les services de l'Etat voient redéfinis leurs missions et modes d'intervention, il y a, de notre point de vue, nécessité à modifier le système de relation sociale entre l'Etat et ses agents.

Pour la CFDT, une transformation aussi fondamentale du fonctionnement de la société n'a de chance de réussir que si elle associe les agents chargés de sa mise en _uvre. Nous demandons donc une réouverture concomitante du chantier sur le paritarisme et le dialogue social. Quant au dialogue social, vous n'êtes pas sans savoir que l'on est en conflit avec le Gouvernement sur la rémunération des fonctionnaires et j'ai quelques craintes sur ce dialogue social et son évolution positive dans l'avenir.

Pour revenir au sujet d'aujourd'hui, le déplacement des lieux de décisions vers les services déconcentrés implique la mise en place de règles. La CFDT demande la refonte des décrets de 1982 sur les CAP et CTP et la mise en place de nouvelles instances aux responsabilités renforcées, notamment par la définition de vrais espaces contractuels locaux.

Sans ces éléments nous pensons que la modification de la loi de finances présentera des inconvénients qui ne pourront pas être contrôlés.

M. le Président : Merci M. Perier pour, à la fois, la rapidité de votre propos, votre esprit de synthèse et la clarté d'argumentation. Je passe la parole à Mme Nicole Prud'homme, déléguée générale de l'INTERFON-CFTC.

Mme Nicole Prud'homme : Merci M. le Président. Je vous prie de m'excuser encore de ce retard, mais c'est une journée un peu compliquée pour les syndicalistes aujourd'hui.

Je voudrais tout d'abord vous dire, M. le Président, que nous ne pouvons que saluer aujourd'hui l'initiative qui est la vôtre d'associer les fédérations de fonctionnaires à la proposition de loi organique relative aux lois de finances et, si vous le permettez, vous dire qu'il nous semble que nous ne sommes plus dans la configuration qui prévalait en 1959 puisque le document que vous nous avez adressé précise la chose suivante - et je crois qu'il faut parfois relire les choses pour bien les comprendre : le 2 janvier 1959, une ordonnance rédigée dans le secret des bureaux du ministère des finances, sans aucune consultation des assemblées parlementaires, scellait ce que l'on s'accorde à qualifier de constitution financière de l'Etat.

Cela nous permet, même si nous demandons toujours plus de dialogue et de transparence, quand même, au moins sur ce point, de mesurer le chemin parcouru.

Je voudrais vous dire aussi que nous ne voulons voir aujourd'hui, dans l'acte nous posons devant vous, aucune concomitance bien sûr entre votre initiative de modification de cette ordonnance et tous les articles ou ouvrages très récents qui dénoncent l'archaïsme de l'Etat ou l'extrême faiblesse du contrôle financier parlementaire en France.

Je crois que nous sommes quand même dans la bonne voie puisque le Parlement s'engage dans cette modification de l'ordonnance de 1959.

Comme certains des intervenants, je n'entrerai pas directement dans le texte que vous nous avez proposé, mais je vous dirai plutôt, pour nous, ce vers quoi il faudrait aller.

Il nous semble qu'il faudrait améliorer le fonctionnement et la clarté des dépenses publiques. Je crois qu'il y a nécessité à bien dissocier ce qui est dépenses de l'Etat, qui ressortent du budget de l'Etat, des dépenses des collectivités locales et celles de la protection sociale, contrairement probablement à ce que l'on pourrait faire à l'échelon communautaire sous le vocable, c'est vous-même qui le citez dans le document, d'« administrations publiques ». Il faudrait, à notre sens, bien dissocier ces types de dépenses.

Je crois que des difficultés apparaissent dans le fonctionnement de type budgétaire et annuel de ces dépenses, difficultés de mener des programmes à long terme qui peuvent être remis en cause en raison de l'annualité de l'exercice budgétaire et du contrôle a posteriori peu efficace.

D'ailleurs, le contrôle qui est effectué par la Cour des comptes notamment ne semble pas suivi d'effets suffisants et il en est de même pour les Chambres régionales des comptes. Cela veut dire que la réforme que vous nous proposez pourrait aller dans le bon sens après le constat que nous venons de faire.

Je crois que l'émancipation qui existe en matière de politique publique et la possibilité de mener des programmes d'envergure sur plusieurs années pour adapter un système, un service ou un ministère, doivent être encore améliorés.

Nous avons des exemples récents dans ce domaine en ce qui concerne des programmes d'envergure, en particulier la réforme des armées. La restructuration de l'industrie de l'armement montre qu'une évolution notable, sur ces dernières années, de mise en _uvre d'une décision d'ordre politique et de mouvement de réforme, et dans une certaine mesure de certaines dépenses publiques, est possible. Mais pour nous, et cela doit s'appliquer aussi, et je dirai surtout, à la fonction publique, ces évolutions ne peuvent être envisageables qu'à condition que le point de vue social soit réellement intégré au projet.

A ce point, vous comprendrez que nous fassions bien sûr allusion au développement que l'on a pu voir ces dernières années des emplois à caractère précaire et nous voulons attirer l'attention des parlementaires sur ce point. Evolution ne veut pas dire forcément précarisation.

Autre élément que je voudrais mettre en relief : l'insuffisance de clarté.

Insuffisance de clarté en particulier dans le manque de dissociation entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'investissement. Je crois qu'il est difficile d'avoir une lisibilité du budget de l'Etat dans ses interventions sociales et économiques parce qu'il y a imbrication entre les dépenses de l'Etat et celles des collectivités locales.

Là, il y a absolument nécessité de clarifier. Ainsi, dans les faits, le rôle que peut jouer le Parlement en matière de décision budgétaire est à notre sens trop limité, ce qui veut dire qu'il nous faut des règles qui régissent les dépenses publiques.

L'efficacité de la dépense publique et le bilan des actions menées devraient faire partie d'un souci de transparence. Toutes les mesures qui iraient dans ce sens pourraient avoir notre assentiment.

Il nous semble aussi qu'il faut adapter les dépenses publiques à la conjoncture et respecter les procédures.

Les dépenses publiques doivent être cohérentes avec l'état économique et social de la Nation, ce qui veut dire que les prélèvements publics ne doivent pas être étouffants pour l'économie.

Même si, comme l'affirme votre présentation de réforme de l'ordonnance, je cite : « l'Etat joue un rôle important dans le financement et l'encadrement de la sécurité sociale », est-ce pour autant que cela lui confère le droit absolu de pouvoir, en période de croissance, prélever un certain nombre de milliards sur la branche famille par exemple ?

N'est-ce pas aller finalement vers une certaine confusion entre les rôles respectifs des partenaires sociaux et de l'Etat ? Votre réforme ne devrait-elle pas rectifier cette trajectoire ?

Il nous semble aussi qu'il faut responsabiliser les responsables des dépenses publiques. Augmenter la démocratie dans les domaines des dépenses publiques passe très certainement par une réelle responsabilisation des acteurs de ces dépenses.

Il s'agit donc, pour l'Etat ou les collectivités locales, d'obtenir un réel engagement de ceux qui décident de mesures, qui les votent, pour en assurer ensuite, logiquement, le financement et anticiper sur les changements, les augmentations ou les diminutions de crédits nécessaires. Donc, pour toute mesure qui peut être prise par le Parlement dans un certain nombre de domaines, comme la sécurité, l'éducation, par exemple, il faut s'engager aussi sur les moyens nécessaires pour la mise en _uvre de ces orientations.

Je voudrais vous dire aussi que la tentation de reporter sur l'Etat le financement de certaines dépenses ou, au contraire, la volonté de centraliser certaines mesures par l'Etat, brouille la responsabilité des acteurs locaux et des élus.

Je terminerai par un point qui concerne l'Europe. Nous le voyons bien et vous le citez dans votre document, il y a un nouvel acteur de plus en plus présent : l'Europe. Nous savons bien que la question des dépenses publiques françaises s'inscrit dans le cadre plus général du pacte de stabilité. Ainsi, les recommandations faites à la France de réduire en particulier son déficit font partie du débat.

Je crois que les remarques que nous venons de formuler quant à l'amélioration du fonctionnement, la clarté des dépenses, à leur adaptation à la conjoncture et l'augmentation de la démocratie dans ce domaine, sont autant de principes que doit aussi respecter l'échelon européen.

Pour nous, cela est fondamental dans le cadre de la construction européenne.

Voilà, M. le Président, quelques principes que nous voulions énoncer par rapport à cette proposition de loi organique.

M. le Président : Merci madame. Madame et messieurs, j'ai tenu, à la fois par respect de vos organisations syndicales et car je souhaitais montrer l'importance que nous accordions à ces auditions, être présent jusqu'à la fin de la réunion. Malheureusement, j'ai un engagement qui me conduit à céder ma place à Jean-Jacques Jégou, mais bien entendu, vous allez entendre le Rapporteur qui va répondre évidemment aux questions qui ont été posées et ce sera peut-être l'occasion peut-être d'échanger avec lui et Jean-Jacques Jégou sur différentes questions, même si nous n'avons pas, les uns et les autres, un temps malheureusement suffisant pour aller au fond des choses.

Beaucoup de questions ont été abordées évidemment. Je voudrais simplement rassurer, si je puis le faire et même s'il subsiste dans l'esprit de tel ou tel des motifs d'inquiétude. Il n'est pas notre intention évidemment de toucher au statut de la fonction publique. Il reste ; c'est la loi intangible évidemment qui ne subira aucune modification, quel que soit le texte qui sortira de l'Assemblée et du Sénat, car je vous rappelle que, pour que cette loi organique puisse être adoptée, il faut à la fois l'accord de l'Assemblée et du Sénat. Cela me permet de répondre d'une manière autre à ce que j'indiquais tout à l'heure sur la quête d'un consensus absolu. Ce n'est pas la quête, c'est une obligation puisqu'il s'agit d'une loi organique relative au fonctionnement de l'Assemblée et du Sénat. Vous savez bien que la majorité, ici, n'est pas tout à fait la même qu'au Sénat et qu'il nous faut l'accord de l'un et de l'autre et donc, finalement de tout le monde, sinon nous n'avons aucune chance d'aller jusqu'au terme de notre réflexion.

Merci en tous les cas pour être venus jusqu'à nous et je donne la parole au Rapporteur.

M. le Rapporteur : Merci M. le Président. Je voudrais tout d'abord remercier chacun d'entre vous parce que, si vous avez salué cette initiative de notre part, vous avez préparé cet entretien et de ce fait, vos contributions nous sont bien évidemment utiles, importantes et le débat pourra se prolonger car, au-delà du texte qui est en discussion et qui, je l'espère, sera voté, cette réforme de l'ordonnance de 1959 nécessitera un certain nombre d'années d'application et donc des échanges s'agissant des modalités de cette réforme.

Vous avez posé beaucoup de questions. Beaucoup d'entre elles d'ailleurs ne relèvent pas obligatoirement de la loi organique, mais plutôt des modalités d'exécution de cette réforme. Je conviens tout à fait qu'un certain nombre de questions devront être précisées et que le dialogue aussi bien avec le Parlement qu'avec le Gouvernement devra se poursuivre.

Je voudrais rappeler, et, je l'espère, rassurer par rapport à un certain nombre de préoccupations qui ont été exprimées, les objectifs qui sont les nôtres. J'ai aussi noté, et je crois que c'est parfois utile que vous le répétiez, que vous n'étiez pas hostiles par principe à l'évolution, à la modernisation de l'Etat et que vous étiez partisans de la réforme.

Effectivement, c'est important de le dire même si, ensuite, il ne faut pas mettre des conditions d'application à la réforme telles que la réforme ne devient effectivement jamais possible. Je crois que cela n'est pas votre état d'esprit et le dialogue que nous avons aujourd'hui montre que nous pouvons tout à fait progresser ensemble.

Nos deux objectifs sont, comme vous l'avez rappelé vous-même, l'amélioration de la gestion publique de l'Etat et - nous mettons ces objectifs sur un pied d'égalité, je vous rassure là-dessus - le renforcement du pouvoir budgétaire du Parlement, étant entendu que nous nous situons dans le cadre de la Constitution de 1958 et qu'une loi organique n'a pas vocation à modifier l'équilibre ou le déséquilibre qu'organise la Constitution de 1958 dans les relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. C'est une contrainte pour nous.

Le fait que nous nous lancions dans la révision de l'ordonnance organique pour nous n'est pas exclusif d'une plus grande réforme de la Constitution de 1958, qui ne pourrait venir que dans un deuxième temps, chaque chose en son temps. Un certain nombre de députés ont pu dire, à l'occasion des travaux de la Commission spéciale, qu'ils étaient favorables à aller au-delà, jusqu'à la modification de certain articles de notre Constitution.

Certains d'entre vous, pratiquement tous, ont évoqué l'Europe. Que l'on soit favorable à l'évolution actuelle ou que l'on soit réservé, il existe, là aussi, des traités internationaux qui s'imposent à nous.

Le traité de Maastricht auquel vous avez fait référence a été approuvé par le suffrage universel. Un certain nombre de dispositions, effectivement, s'imposent dans la hiérarchie de nos normes juridiques. Certains d'entre vous peuvent peut-être le regretter, ainsi que certains députés, mais toujours est-il qu'une loi organique n'a pas non plus possibilité de revenir sur des dispositions qui ont une valeur juridique supérieure.

Je veux bien préciser de nouveau le cadre de notre travail car il a bien évidemment ses contraintes, même si, vous avez été nombreux à le souligner, il représente une évolution ou une révolution. Je ne veux pas entrer dans ce débat : s'agit-il d'une réforme ou d'une révolution ? Toujours est-il qu'il ne nous a pas échappé que ce n'était pas effectivement un texte anodin. Nous sommes tout à fait conscients de la dimension politique de ce texte et, d'ailleurs, par définition, le Parlement a vocation à faire de la politique et donc de définir les objectifs et de se fixer, non seulement des objectifs, mais aussi les moyens pour y parvenir et d'apprécier aussi les résultats par rapport à ces objectifs.

Je crois que, si nous sommes pour un Etat qui ait bien évidemment un rôle dans notre société, il faut que cet Etat soit transparent, efficace et mieux contrôlé. Nous pensons qu'il y a une marge de progression, que l'Etat doit être plus transparent, plus efficace qu'il n'est et mieux contrôlé : c'est l'objectif de cette réforme.

Il y a déjà un certain nombre de modifications que j'ai pu apporter à mon texte et qui répondent d'ailleurs, pour certaines parties, à quelques unes de vos interrogations. Jamais il n'a été question pour nous de remettre en cause le rôle du comptable public, ni son existence même. J'ai eu l'occasion de répondre par écrit à un certain nombre d'entre vous qui m'avez interpellé. Le texte définitif qui sera proposé au vote de la Commission spéciale, puis de l'Assemblée nationale, est précisé sur ce point.

Je veux redire ce double objectif. Nous avons vraiment le souci, tout en restant une fois de plus dans le cadre de la Constitution, d'accroître notre pouvoir budgétaire.

Vous avez évoqué l'article 40, en tout cas M. Berguin, en le qualifiant d'extravagant. On peut effectivement le penser, mais ce n'est pas tant l'article 40 en lui-même qui est extravagant que l'interprétation qui est donnée par l'ordonnance de 1959 de ce dernier. L'article 40, selon nous, encadre effectivement l'initiative parlementaire, notamment au niveau de la dépense publique, mais l'ordonnance de 1959, dans son article 42, fait plus qu'encadrer puisque ce dernier revient à nier complètement toute initiative parlementaire en matière de dépenses. Nous pensons que l'ordonnance de 1959, rédigée dans le secret des cabinets, et par un certain nombre de hauts fonctionnaires d'un ministère donné, a eu une lecture tout à fait excessive de la volonté des constituants.

Nous souhaitons en revenir à une lecture plus conforme à la lettre et à l'esprit de la Constitution de 1958 qui, certes, a entendu rationaliser le régime parlementaire, mais qui n'a pas l'intention de vider de son contenu le pouvoir parlementaire. Donc je veux vous rassurer là-dessus. C'est une de nos préoccupations. Par rapport à une crainte qui a été exprimée, il n'est absolument pas question pour nous de laisser filer les choses ou de renforcer au contraire le pouvoir de la technocratie ou du ministère de l'économie et des finances. Ce serait un contresens par rapport à notre volonté.

Que le ministère de l'économie et des finances, que le Gouvernement aient un rôle déterminant dans la préparation du budget, cela me paraît légitime. Il n'est pas question pour nous de revenir là-dessus, mais nous souhaitons affirmer notre rôle, notre pouvoir, car pour nous, à la différence de l'administration qui peut exercer un contrôle a priori ou a posteriori, ce n'est pas un problème seulement de contrôle, mais un problème d'autorisation budgétaire.

Nous souhaitons que l'autorisation budgétaire retrouve toute sa dimension.

Vous avez évoqué plusieurs sujets, certains techniques et d'autres qui le sont moins. Sur le rôle des annexes, il n'est pas question de changer le statut des annexes puisque nous souhaitons au contraire qu'elles soient enrichies. Nous tenons à ce qu'elles conservent le statut qu'elles ont aujourd'hui. C'est quelque chose d'extrêmement important et, justement, tout ce que nous prévoyons dans les annexes explicatives devrait contribuer à une plus grande lisibilité, une plus grande transparence et un meilleur contrôle de l'action de l'exécutif.

Après, vous avez évoqué un certain nombre de sujets qui relèvent davantage des échanges et du dialogue que vous devez avoir avec le Gouvernement et le pouvoir exécutif. Je m'arrêterai donc là dans mes réponses, sachant que, je veux vous le répéter, il n'est pas pour nous question d'assimiler l'Etat à une quelconque entreprise privée.

Nous sommes conscients du rôle de l'Etat, et je crois d'ailleurs que c'est un point de vue qui peut dépasser certains clivages politiques, même si certains ont tendance à faire cette assimilation, mais ce n'est pas l'avis du plus grand nombre.

Même si nous pensons que l'appréciation de l'efficacité de l'Etat doit faire partie de notre culture, il n'y a pas de raison que l'Etat ou ses services soient les seuls à ne pas s'évaluer et s'apprécier en termes de service rendu aux usagers ou aux contribuables. Nos concitoyens exigent aussi, compte tenu des impôts qu'ils payent, qu'il s'agisse des impôts directs ou indirects, que l'Etat soit efficace dans son action, que les moyens soient adaptés et que l'argent soit bien utilisé. La qualité du service est extrêmement importante. Je tiens à le redire.

Il va de soi que cette révision nécessitera du temps, vous l'avez dit, car beaucoup de points doivent être préparés, cela ne se fait pas du jour au lendemain.

D'ailleurs, nous prévoyons que la nouvelle loi organique s'applique à compter du projet de loi de finances pour l'année 2006, avec un certain nombre d'étapes de transition, puisque nous sommes bien conscients que tout cela nécessite du temps, de la discussion, des échanges.

J'en terminerai là-dessus, il n'est pas question, à travers cette révision de la loi organique, de remettre en cause un certain nombre de garanties auxquelles vous êtes attachés. Vous avez raison d'exprimer vos préoccupations et de poser la question.

Des expériences se font actuellement dans les préfectures sur la globalisation des crédits. J'ai été frappé de voir la réaction des fonctionnaires. J'ai pu avoir des contacts avec les représentants des organisations syndicales qui pouvaient peut-être avoir quelques appréhensions par rapport à ce type nouveau de fonctionnement. Ils sont loin de s'en plaindre et, après quelques mois de fonctionnement, ils peuvent voir l'intérêt, pour eux, de cette responsabilisation accrue des gestionnaires publics, dont certains d'entre vous avez parlé.

J'ai conscience que ce dialogue devra être prolongé bien au-delà du travail que nous faisons, mais je voudrais vous dire une nouvelle fois que, dans notre esprit, les deux objectifs que sont l'amélioration de la gestion publique et le renforcement du pouvoir budgétaire du Parlement sont bien sur un pied d'égalité, qu'il n'y a pas un objectif qui passerait derrière l'autre et que, bien évidemment, ces objectifs doivent respecter les principes généraux du droit, notre histoire et, d'une certaine façon nos spécificités, mais il faut qu'on sache les faire évoluer.

Pour ce qui me concerne, puisqu'il y a eu souvent cette référence avec l'Angleterre thatchérienne, si j'ai bien compris, ce n'est pas mon modèle. Je n'ai pas l'impression d'ailleurs que ce soit le modèle de Jean-Jacques Jégou ou de beaucoup d'autres députés de l'Assemblée.

Nous avons des spécificités et nous nous efforçons de les faire comprendre par l'Union européenne. Ce n'est pas toujours facile, mais c'est à force de conviction et de dialogue que nous arriverons à faire comprendre les spécificités qui sont les nôtres.

Voilà, M. le Président, les quelques points que je souhaitais développer en réponse à vos interrogations, mais je note qu'au-delà des préoccupations que vous avez exprimées, chacun est bien conscient de la nécessité d'adapter un certain nombre de textes. En tout cas, quant à cette ordonnance rédigée dans les conditions dans lesquelles elle l'a été, il y va de l'honneur du Parlement d'y mettre fin.

M. Jean-Jacques Jégou, Secrétaire du bureau : Merci M. le Rapporteur. Compte tenu de l'heure avancée, il y a peut-être nécessité de mettre un terme à notre rencontre qui était, je crois, très intéressante.

J'ai pris beaucoup de notes. Vous aviez tous bien préparé ces interventions et je voulais souligner - puisqu'il m'est donné de vous dire quelques mots après le Président de notre Assemblée et le Rapporteur, qui est l'auteur de ce texte, et avec lequel nous travaillons depuis plusieurs mois - qu'il n'est ni connivence ni entente particulière, mais au contraire une volonté du Parlement.

Si vous avez assisté - et je suis sûr que vous êtes des experts les uns les autres - aux discussions budgétaires, et je les pratique personnellement, comme le Rapporteur, alternativement dans la majorité et dans l'opposition, je pense que l'honneur de notre démocratie nécessite tout de même que nous puissions exercer notre mandat de représentant du peuple dans des conditions plus convenables. Nous sommes maintenant dans une « fenêtre », aussi bien de l'Etat, de la majorité et de l'opposition, à un moment où il nous apparaît comme indispensable, sinon utile, de moderniser cette ordonnance.

Nous sommes un certain nombre à être de la même génération, et il paraît incroyable aujourd'hui qu'en 1959, dans le secret d'un cabinet ministériel, on ait pu, de cette façon, rendre inopérante la discussion dans le temple de la démocratie qu'est notre Assemblée, après que les Français eurent approuvé la Constitution, quelle que soit l'opinion que nous pouvions avoir à l'époque.

Retournons-nous et demandons-nous si, aujourd'hui, une telle chose serait possible ? Certainement pas.

Nous essayons, c'est difficile, je ne sais pas si nous y parviendrons. En tout cas nous sommes un certain nombre dans nos diversités, et parfois elles sont grandes, à essayer d'apporter notre pierre à cet édifice que nous croyons utile au pays pour effectivement améliorer les choses, dans l'intérêt d'ailleurs de cette noble corporation que sont les fonctionnaires de l'Etat et surtout ceux qui sont chargés de gérer les deniers publics.

Une dernière idée, le Rapporteur en a parlé tout à l'heure et j'y tiens particulièrement : de plus en plus, dans nos circonscriptions, il y a une nécessité, pour nos concitoyens, quelle que soit la philosophie qu'ils développent, d'accepter l'impôt, c'est-à-dire la nécessité de dire : « pour que l'Etat puisse fonctionner correctement pour le bien de tous, y compris et à commencer par ceux qui sont les plus fragiles d'entre nous, il y a une nécessité de la bonne utilisation de l'argent public ».

C'est ce que nous essayons de faire, je vous l'ai dit, dans notre diversité. Je crois que c'est une mission dont nous serons les uns les autres, sinon fiers tout au moins satisfaits de l'avoir menée et d'avoir apporté une certaine utilité à ce débat.

Je vous remercie tous, et vraisemblablement, il y aura une suite. Le Rapporteur et la Commission spéciale auront certainement à vous parler de ce texte qui est inscrit : la Commission spéciale travaille le 30 et le 31, puis il y a une inscription en séance publique, avant la trêve des élections municipales, les 8 et 9 février.

Je vous remercie infiniment.


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