ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION SPÉCIALE

chargée d'examiner la proposition de loi organique
relative aux lois de finances

COMPTE RENDU N° 11

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 30 janvier 2001
(Séance de 21 heures)

Présidence de M. Raymond Forni, Président

SOMMAIRE

Examen de la proposition de loi organique (n° 2540) (M. Didier Migaud, Rapporteur)

 

pages

- Discussion générale

2

- Avant art. 1er

11

- Art. 1er

12

- Art. 2

12

- Art. 3

14

- Art. 4

15

- Art. 5

16

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Didier Migaud, Rapporteur, la proposition de loi organique (n° 2540) relative aux lois de finance, présentée par M. Didier Migaud.

Le Président Raymond Forni a préalablement remercié les membres de la Commission spéciale de leur participation active aux travaux de celle-ci, un projet aussi important que la révision du cadre budgétaire de l'Etat ne pouvant être mené à bien qu'à l'issue d'une large concertation conduisant au consensus de l'ensemble des groupes politiques. Ce consensus est d'autant plus important que la Constitution exige, s'agissant d'une loi organique relative au Sénat, l'accord de la Haute Assemblée. Des échanges ont d'ailleurs déjà eu lieu avec les autorités compétentes du Sénat.

Il a ensuite rappelé que le principal obstacle a une réforme aussi importante, qui nécessite par définition du temps, résultait du changement qu'elle impliquait pour le ministère en charge de l'économie et des finances. Il a fallu que les représentants du Parlement engagent tout leur poids pour que le texte actuellement proposé par le Rapporteur puisse être discuté.

Il n'y a pas eu de quelconque renoncement aux grands principes sur lesquels s'était appuyée la réflexion et la proposition du Rapporteur aboutit à une modification substantielle de l'équilibre entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Il est difficile de déterminer si le point idéal a été atteint, mais il est indéniable que le maximum de ce qu'il était possible d'obtenir a pu être obtenu. La proposition doit naturellement faire l'objet d'amendements ; néanmoins ces derniers ne sauraient conduire à empiéter sur le domaine constitutionnel, notamment s'agissant de l'article 40 de la Constitution relatif à la recevabilité financière des amendements.

Concluant son intervention, le Président Raymond Forni s'est prononcé en faveur de ce qu'il considère comme un bon texte de compromis.

M. Didier Migaud, Rapporteur, a d'abord indiqué que le texte qu'il soumettait à la Commission reprenait largement l'esprit du texte initial de la proposition de loi organique déposée au début du mois de juillet 2000.

Sans revenir sur le contexte dans lequel avait été rédigé le texte de l'ordonnance organique, il a indiqué que cette ordonnance, qui s'était avérée plus intangible que la Constitution, puisqu'elle n'avait fait pratiquement l'objet d'aucune modification, avait été fortement contestée dès l'origine par les parlementaires. René Pleven avait ainsi observé dès le 12 novembre 1959, que certains procédés qu'il qualifiait d'indirects avaient pour effet de vider de leur contenu et de leur substance les pouvoirs pourtant attribués au législatif. Depuis lors, 36 propositions tendant à la modification de l'ordonnance ont d'ailleurs été déposées, mais aucune n'a pu aboutir. En revanche, aucun projet de loi n'a été déposé, sauf sur des points mineurs.

Le Rapporteur a ensuite rappelé que la proposition constituait l'aboutissement des réflexions engagées au sein de l'Assemblée nationale, depuis octobre 1998, à l'initiative de M. Laurent Fabius, alors Président de l'Assemblée nationale, qui avait souhaité constituer un groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire.

La nécessité d'une révision de l'ordonnance du 2 janvier 1959 est directement liée au fait que ce texte est allé, sur certains points, au-delà des prescriptions de la Constitution de 1958, comme en témoigne l'exemple des taxes parafiscales, soustraites à la compétence du législateur, contrairement à l'article 34 de la Constitution, qui prévoit que la loi fixe l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature, ou celui de l'article 42 relatif à la recevabilité financière des amendements aux lois de finances, qui va au-delà de ce que prévoit l'article 40 de la Constitution.

L'ordonnance a permis le développement de pratiques qui ne favorisent guère la lisibilité de l'action financière de l'Etat ni l'exercice des pouvoirs du Parlement, bien que l'affirmation historique de ce dernier soit directement issue de sa fonction de représentation des contribuables face à des exécutifs dépensiers.

Ce constat est largement partagé par le Sénat, dont la Commission des finances s'est engagée dans une démarche de même nature, puisqu'elle a mandaté au début de l'année 1999, son Président, M. Alain Lambert, en vue de travailler à la préparation de la réforme de l'ordonnance de 1959. Des contacts ont d'ailleurs été établis avec le Sénat, de manière à faire prévaloir une logique de convergence des objectifs. La Commission des finances du Sénat a ainsi fait un certain nombre de propositions qui correspondent largement au texte élaboré par le Rapporteur de la Commission spéciale.

Le Rapporteur a ensuite insisté sur le fait que le Gouvernement s'était engagé sur la réforme de l'ordonnance de 1959, M. Lionel Jospin, Premier ministre, s'étant exprimé sur ce point à plusieurs reprises, de même que le chef de l'Etat, M. Jacques Chirac, qui, le 5 janvier dernier, a insisté sur la nécessité de restaurer le pouvoir budgétaire du Parlement et a souhaité une réforme consensuelle et ambitieuse.

Le Rapporteur a ensuite insisté sur l'importance des garanties juridiques dont il avait été possible de s'entourer lors de la préparation du texte qu'il proposait. Le Gouvernement a, en effet, souhaité recueillir l'avis du Conseil d'Etat sur diverses questions de droit que soulève, à ses yeux, cette réforme. Cet avis a été communiqué aux membres de la Commission. Le Rapporteur a pu bénéficier du précieux concours de la Cour des comptes, notamment de son Premier président, M. Pierre Joxe, qui avait participé très en amont à cette entreprise.

La révision engagée de l'ordonnance de 1959 doit beaucoup, a-t-il ajouté, au soutien actif et à l'implication personnelle du Président Raymond Forni, qui auront été déterminants pour donner corps à cette entreprise et diligenter le processus d'examen de la proposition de loi. Un délai de sept mois s'est écoulé depuis le dépôt de celle-ci. Ce délai a permis la tenue de nombreuses réunions de travail, notamment avec des hauts fonctionnaires, s'ajoutant aux auditions de la Commission spéciale. Les propositions et observations formulées à l'occasion de ces différentes auditions ont été source de réflexion et de proposition pour le Rapporteur.

Puis le Rapporteur a précisé que la réforme des dispositions organiques relatives aux lois de finances était articulée autour de deux objectifs complémentaires et indissociables : l'amélioration de la gestion publique et le renforcement du pouvoir budgétaire du Parlement.

Il a évoqué les différents points susceptibles de permettre une amélioration de l'efficacité de l'Etat, par la modernisation de sa gestion et la responsabilisation des gestionnaires. Il s'agit, en premier lieu, de l'instauration de véritables programmes ministériels, par opposition à la règle de spécialisation des crédits par chapitres, de manière à rendre plus claires les modalités de l'utilisation des crédits publics. Le programme, regroupant les crédits par objectif, répond à une logique de performance, ce qui permet une évaluation, et non plus à une logique de moyens. Il s'agit également d'une présentation plus opérationnelle des catégories de dépenses ; il est également proposé de permettre la fongibilité des crédits, à l'exception des dépenses de personnel, pour lesquelles le maintien d'un plafond est nécessaire afin d'éviter tout risque de dérive incompatible avec la maîtrise des dépenses publiques. Dans le même esprit, l'institution de plafonds d'autorisations d'emplois votés par le Parlement et répartis par ministère, permettrait d'offrir une réelle souplesse de gestion. En contrepartie de ces enveloppes globales, les gestionnaires publics devront mieux justifier leurs demandes, a priori, dans le cadre de « projets annuels de performance », et rendre compte, dans le cadre de « rapports annuels de performance. »

Cette souplesse de gestion offerte à l'exécutif appelle à une vigilance particulière s'agissant du pouvoir d'amendement des parlementaires. A cet égard, le texte initial de la proposition de loi organique, qui garantissait la faculté de déposer des amendements de nomenclature, de contrôle ou d'ajustement compatibles avec l'article 40 de la Constitution, a été enrichi des réflexions de M. Henri Emmanuelli, Président de la Commission des finances, sur un exercice plus rationnel du droit d'amendement grâce à la distinction de l'unité de vote, la mission, et de l'unité de spécialité, le programme.

Cette proposition prévoit la faculté de procéder, grâce à des transferts, à des actions interministérielles, le développement de la pluriannualité par la généralisation des autorisations pluriannuelles, dites autorisations d'engagement, et à la rationalisation de la pratique des reports de crédits. Elle envisage également une rénovation de la comptabilité de l'Etat, avec la distinction clairement établie entre, d'une part, la comptabilité budgétaire, support et traduction de l'autorisation parlementaire, fondée sur la description de flux de caisse, et, d'autre part, d'une comptabilité générale assurant la description ex post des opérations et fondée sur une comptabilité en droit constaté. Dans ces conditions, la loi de règlement serait enrichie grâce au développement d'une véritable comptabilité de l'Etat.

Le Rapporteur a ajouté que l'introduction de souplesse dans l'exécution du budget avait pour contrepartie l'obligation faite au gestionnaire de rendre compte de façon précise de sa gestion.

Il a ensuite abordé le deuxième objectif consistant à mieux assurer l'exercice du pouvoir budgétaire du Parlement. En premier lieu, il s'agit de restaurer toute sa portée à l'autorisation budgétaire. Dans ce cadre, les garanties accordées par l'Etat, les taxes parafiscales et les reprises de dettes d'organismes publics seraient réintégrées ou intégrées dans le champ de la décision parlementaire et l'information sur les fonds de concours serait améliorée. En même temps, les principales procédures permettant au Gouvernement de remettre en cause les dispositions votées par le Parlement seraient supprimées (crédits provisionnels) ou plus strictement encadrées (crédits évaluatifs, crédits globaux, décrets d'avance, autorisations pluriannuelles, annulations, virements et transferts). La notion de services votés ne subsisterait que dans le cas où la loi de finances n'aurait pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de l'exercice. Par ailleurs, les modalités de répartition des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales pourraient être prévues en loi de finances et les commissions des finances seraient appelées à donner leur avis sur les projets de décrets d'avance.

Sur la question de l'accroissement de la lisibilité et de la sincérité des documents budgétaires pour en permettre un meilleur contrôle et une meilleure compréhension, il a insisté sur l'introduction dans le texte organique de la notion de sincérité, sur l'exigence d'une annexe présentant le budget en deux sections (investissement et fonctionnement), ainsi que sur l'évaluation des mesures proposées en lois de finances.

La présentation des budgets ministériels par programme augmenterait la lisibilité et les réponses aux questionnaires budgétaires comme la transmission des annexes « jaunes » seraient encadrées dans des délais fixés par la loi organique. Une information devrait être fournie sur l'échéancier des crédits de paiement et sur les reports de crédits ; les relations financières de l'Etat avec les autres administrations publiques devraient être mieux explicitées.

S'agissant de la procédure des prélèvements sur recettes, compte tenu de l'avis du Conseil d'Etat, le Rapporteur a indiqué qu'il avait pris le parti de ne pas traiter ce point explicitement, préférant s'en tenir, en l'état, à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Enfin, la souplesse offerte au Gouvernement en matière d'exécution budgétaire suppose le renforcement du contrôle a posteriori, avec le dépôt avancé du projet de loi de règlement, la présentation de rapports annuels de performance et l'augmentation du rôle de la Cour des comptes. Par ailleurs, le régime des comptes spéciaux du Trésor, désormais comptes annexes, serait davantage encadré, les comptes d'affectation spéciale et les budgets annexes existants pouvant être maintenus, à titre exceptionnel, comme « catégorie d'extinction ».

Un calendrier nouveau favoriserait l'exercice de la fonction budgétaire du Parlement tout au long de l'année, notamment en institutionnalisant le débat d'orientation budgétaire.

En dernier lieu, le Rapporteur a indiqué qu'il proposait l'insertion, dans le texte organique, des conséquences de plusieurs décisions importantes du Conseil constitutionnel. Il a ajouté que la question de la recevabilité financière des amendements, préoccupation constante du Président de la Commission des finances, recevait une réponse, puisqu'il proposait au législateur organique d'exercer pleinement sa compétence, en précisant la notion de charge pour permettre une application correcte de l'article 40 de la Constitution, compte tenu des modifications apportées par ailleurs s'agissant de la détermination et du vote des charges.

M. Jean-Jacques Jégou a indiqué que le Rapporteur avait bien traduit l'état d'esprit des membres de la Commission. Il a, en premier lieu, expliqué qu'un accord était possible, non seulement sur l'esprit devant inspirer une nouvelle rédaction de la loi organique, mais également sur l'aboutissement de ces travaux, à la condition que l'on ne prétende pas modifier la Constitution. Il s'est réjouit de la volonté de rétablir le Parlement dans son droit de contrôler le budget, dans la perspective d'augmenter l'efficacité de la dépense publique et l'acceptation de l'impôt.

La tentation de modifier la Constitution existe : il faut se convaincre cependant d'aller aussi loin que possible sans franchir un nouveau Rubicon. Ainsi, il est possible d'interpréter de manière constructive l'article 40 de la Constitution, en permettant aux parlementaires de modifier les dotations des programmes, sans majorer la charge que représente une mission.

En deuxième lieu, il a souhaité une modification des habitudes de fonctionnement internes au Parlement s'agissant du vote des lois de finances : il faut cesser de « redire la messe » chaque année et améliorer les méthodes de travail.

Enfin, il est indispensable d'obtenir les moyens d'expertise nécessaires à l'ensemble des parlementaires pour mesurer l'efficience de la dépense publique, afin de pouvoir dialoguer, à armes égales, avec l'exécutif. Une telle réforme doit s'inspirer de l'exemple des Parlements comparables, le système français n'étant pas, à cet égard, digne d'une démocratie adulte.

Le Président Raymond Forni a, tout d'abord, remercié M. Jean-Jacques Jégou d'avoir su dépasser les clivages politiques habituels pour s'attacher au bien de l'institution parlementaire. Si l'exécutif considère aujourd'hui qu'il est possible d'accorder plus de pouvoir au Parlement, encore faut-il que celui-ci soit en mesure d'utiliser ces nouvelles capacités. A cet égard, il a indiqué qu'il avait demandé aux services de l'Assemblée nationale de réfléchir dans un bref délai - à savoir avant le vote définitif de la présente proposition de loi organique - à une réforme du Règlement de notre Assemblée.

Il s'est en outre déclaré persuadé que l'Assemblée nationale dispose d'ores et déjà de grandes capacités humaines d'expertise mais que, du fait même de ses structures, une grande partie de ces compétences n'est pas employée de façon optimale, étant parfois utilisée pour l'accomplissement de tâches qui ne sont pas inhérentes à l'institution parlementaire.

M. François Goulard a noté la volonté de dépasser les clivages politiques, mais il a insisté sur la nécessité d'un accord avec le Sénat, ce qui constituera probablement la principale difficulté à surmonter.

Il a estimé que le texte proposé devait être examiné au regard des deux objectifs principaux de l'ordonnance du 2 janvier 1959, à savoir la volonté de réduire les pouvoirs du Parlement, d'une part, et, ce qui est trop souvent oublié, le souhait d'asseoir le pouvoir du ministère des finances sur les autres ministères, d'autre part. Ce second point ne doit pas être négligé, car une véritable réforme de l'Etat nécessiterait impérativement de remettre en cause la tutelle du ministère des finances sur les ministères dépensiers. Or, dans la présente proposition de loi organique, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie conserve l'intégralité de ses pouvoirs, que ce soit en matière de préparation du projet de loi de finances ou dans le domaine des modifications réglementaires susceptibles d'intervenir en exécution.

Il a reconnu que le texte proposé permettait certaines avancées en ce qui concerne les relations entre le Parlement et le Gouvernement, en particulier s'agissant des modifications réglementaires précitées. Ainsi, à titre d'exemple, les annulations de crédits seront plus sévèrement encadrées. Toutefois, les relations entre l'exécutif et le législatif seront essentiellement déterminées par les nouvelles notions de « missions » et de « programmes ». Or, l'initiative gouvernementale est exclusive pour définir les missions et, s'agissant des programmes, la rédaction actuellement proposée ne permet pas de trancher entre deux interprétations possibles : les programmes pourraient être, dans une « version dénaturée », l'équivalent des actuels chapitres, éventuellement regroupés, ce qui constituerait, en fait, une perte de pouvoir pour le Parlement en raison d'une restriction du principe de spécialité ; une conception plus constructive serait d'assortir les programmes de véritables objectifs et d'indicateurs de résultat. Il a ajouté qu'il serait indispensable, pour la réussite de la réforme, que les programmes deviennent l'unité de gestion au sein des ministères, mais aucune indication n'a été fournie sur ce point jusqu'à présent.

En résumé, il a estimé que la rédaction du texte proposé pouvait être améliorée et qu'il serait très attentif aux interventions du Gouvernement.

M. Jacques Brunhes a tout d'abord noté que, sur les 36 propositions de réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 évoquées précédemment par le Rapporteur, 10 ont été déposées par le groupe communiste, et que, sur ce point, l'examen de la présente proposition de loi organique constituait déjà un progrès. Les avancées proposées ne sont d'ailleurs pas négligeables : une meilleure lisibilité des crédits et de leur utilisation ; une meilleure appréhension des charges réelles de l'Etat ; la simplification des procédures ; une meilleure garantie de l'exercice du contrôle parlementaire ; l'amélioration de l'allocation des ressources publiques disponibles ; ou encore une meilleure réponse à l'exigence de sincérité.

Il a cependant constaté que le texte de la proposition de loi paraissait reposer sur un socle de principes, qui ont pour effet la promotion d'avancées ambivalentes, sinon contradictoires.

Ainsi, la référence au pacte de stabilité européen, qui d'ailleurs ne figure ni dans le traité de Maastricht ni dans celui d'Amsterdam, peut signifier l'enfermement du Parlement dans des contraintes budgétaires définies par les programmes pluriannuels de finances publiques européens successifs. Le Parlement n'aurait plus alors qu'un rôle de gestion dans le contrôle des enveloppes budgétaires. D'une manière générale, le plafonnement de la dépense au sein de programmes pluriannuels tend à définir une norme de progression restrictive de la dépense publique.

Par ailleurs, la proposition de loi pose pour principe que les ressources budgétaires de l'Etat comprennent les impositions de toute nature. Cette globalisation des recettes, parallèlement à la globalisation des crédits, fait courir le risque de constitutionnaliser la fiscalisation des recettes de la protection sociale.

Une autre interrogation est suscitée par le plafonnement des crédits de personnels. En effet, la fongibilité à l'intérieur de programmes ainsi plafonnés pourrait ouvrir la voie à une remise en cause du statut de la fonction publique par l'assouplissement des systèmes de rémunération, d'emploi et de gestion du personnel.

Il a également estimé qu'en proposant une déconcentration de la gestion, le texte de la proposition de loi organique pouvait s'analyser comme une première étape dans la réforme de l'Etat, mais il paraît indispensable que ce mouvement s'accompagne d'une association plus étroite des personnels et d'un renforcement de la démocratie locale.

Enfin, il a considéré que le passage d'une logique de moyens à une logique de résultats était susceptible de poser deux types de problèmes. En premier lieu, la recherche de l'efficacité ne saurait servir de prétexte à une réduction des déficits ou à l'allégement de prélèvements obligatoires, ni à l'abandon de toute référence à la notion d'intérêt général et de réponse aux besoins sociaux. L'efficacité sociale de la dépense n'est pas le corollaire de sa diminution. En second lieu, le passage d'un système d'adéquation des moyens aux missions à un système consistant à adapter les missions aux moyens peut répondre à un objectif, plus ou moins avoué, de réduction de dépenses de l'Etat.

Il a, enfin, indiqué que, si le groupe communiste ne faisait pas d'une modification de l'article 40 de la Constitution un préalable pour l'adoption de la présente proposition de loi organique, il avait été personnellement impressionné par le fait que, lors des auditions effectuées par la Commission spéciale, de nombreuses personnes ayant exercé des fonctions importantes au sein de l'exécutif avaient critiqué cette disposition constitutionnelle restreignant l'initiative parlementaire. Il a rappelé que l'actuel ministre de l'économie, des finances et de l'industrie avait, par le passé, employé une image saisissante : si l'on comparait le budget à une automobile, les décisions prises par le Parlement lors de son examen n'affecteraient qu'un montant équivalent à la valeur d'un enjoliveur. Filant la métaphore, il a observé que les pouvoirs attribués au Parlement par le texte proposé ne permettraient d'en rester qu'à la carrosserie, puisque toute augmentation d'un programme ne pourrait être réalisée qu'au détriment d'un autre : l'augmentation de la puissance du moteur serait donc effectuée au détriment du confort.

Le Parlement serait certes mieux informé mais, à cet égard, il convient d'éviter une certaine hégémonie de la Commission des finances et d'associer toutes les commissions à l'étude des programmes et, naturellement, des missions.

En conclusion, il a souligné l'impossibilité d'un statu quo et il a ajouté que, s'il prenait acte avec regret de l'absence de réforme de l'article 40 de la Constitution, cela n'empêcherait pas le groupe communiste de proposer des amendements dans un esprit constructif.

M. Yves Cochet a déclaré partager les deux objectifs qui ont guidé le travail réalisé par le Rapporteur. Il a néanmoins regretté la contrainte qui consiste à ne pas modifier la Constitution. En effet, cela implique l'impossibilité de formuler des propositions plus audacieuses, telles que, à titre d'exemple, l'élaboration par cent citoyens régulièrement tirés au sort d'un budget participatif ou l'élaboration par les parlementaires d'un « contre budget » qui, il est vrai, nécessiterait des moyens de conception supérieurs à ceux existants aujourd'hui au profit du Parlement.

S'agissant des amendements qu'il défendra, M. Yves Cochet a estimé qu'ils étaient modérés et inspirés par le souci de retenir ce qu'il y avait de meilleur dans le texte initial de la proposition de loi organique déposée par le Rapporteur en juillet 2000 et le texte actuellement soumis à discussion.

M. Philippe Auberger a affirmé que l'attitude du groupe RPR restait ouverte, s'agissant d'une réforme essentielle concernant le fonctionnement de l'Etat. Le préalable impliquant l'absence de modification de la Constitution est peut-être regrettable, mais inévitable. Une telle modification aurait nécessité l'accord du Président de la République et du Premier ministre, alors que ceux-ci ne se sont pas exprimés sur cette éventualité.

Rappelant que le constitutionnel doit précéder l'organique, il a approuvé la méthode du Rapporteur, consistant à l'élaboration des dispositions budgétaires d'ordre organique à partir des dispositions constitutionnelles en vigueur. Ainsi, la réintégration des modalités de fixation des taxes parafiscales au sein des dispositions budgétaires d'ordre organique peut s'appuyer effectivement à bon droit sur les dispositions de l'article 34 de la Constitution. En revanche, le calendrier imposé par l'article 47 de la Constitution ne permettra pas, à titre d'exemple, de traiter des prévisions de recettes dès le mois de juin de l'exercice antérieur à celui pour lequel la loi de finances est en discussion.

M. Philippe Auberger a ensuite relevé que si le droit constitutionnel budgétaire relevait du texte de la Constitution, il devait aussi s'entendre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en cette matière. Il a relevé la décision du Conseil constitutionnel concernant la loi de finances initiale pour 1979, qui institue le vote de l'article d'équilibre au sein de la première partie comme un préalable nécessaire à l'examen, par l'assemblée saisie de la loi de finances, de la seconde partie de ladite loi. Le Conseil constitutionnel sera attentif, lors de son examen de la future loi organique, au respect de cette règle substantielle, qui peut certainement s'interpréter comme l'interdiction de modifier les crédits examinés en seconde partie, si tant est que cela modifie l'équilibre défini en première partie, sans même qu'il soit besoin de se référer à l'article 40.

M. Gérard Saumade, usant de la faculté ouverte par l'article 38, alinéa premier, du Règlement, a déclaré que son impression de lire un texte clair constituait une expérience rare pour un parlementaire. Il est donc avant tout nécessaire de ne pas remettre en cause cet atout, sous prétexte d'améliorer le texte. Il a par ailleurs expliqué les craintes de l'administration de l'économie, des finances et de l'industrie à l'encontre dudit texte, par la peur du désordre susceptible de résulter de l'éclatement des responsabilités relevant aujourd'hui de cette administration. Il a estimé que la proposition du Rapporteur était susceptible de rendre l'action du Gouvernement et des parlementaires plus lisible, ce qui constituerait un progrès considérable au regard de l'intérêt général. Il a salué le fait que ce texte soit à la fois volontaire et prudent.

M. Jean-Pierre Delalande a, en premier lieu, tenu à rendre hommage au Rapporteur dont le deuxième texte est en progrès sensible par rapport à celui de la proposition qu'il avait déposée au mois de juillet dernier. Il a relevé que l'exercice auquel la Commission spéciale se livre est néanmoins contraint, notamment par le préalable qui consiste à ne pas modifier la Constitution. La meilleure méthode aurait consisté, dès l'origine, à formuler la question de la meilleure réforme. Il est certain que, dans un tel contexte, une modification de la Constitution serait apparue comme un préalable nécessaire. La réforme aurait ainsi garanti davantage de clarté, s'agissant notamment des liens entre financement du budget de l'Etat et financement de la sécurité sociale.

Il a par ailleurs explicité le sens des amendements qu'il a présentés. S'agissant de l'amélioration de l'efficacité de la dépense publique et de l'action de l'Etat, il s'agit d'affiner le contenu de la loi de règlement, d'améliorer le contrôle parlementaire de l'exécution budgétaire en cours, ainsi que de préciser la définition du débat d'orientation budgétaire, autant de sujets pour lesquels la proposition de loi organique demeure trop timide. S'agissant de l'amélioration du contrôle exercé par le Parlement, il s'agit de mieux définir ce qu'est une mission, de préciser la signification de la fongibilité des crédits ainsi que d'affiner les liens entre les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale. Il a par ailleurs précisé qu'il sera attentif à ce que le Rapporteur maintienne l'orientation qu'il a choisie initialement, celle d'une réforme ayant pour objet d'affirmer le Parlement face au Gouvernement.

Le Président Raymond Forni a souhaité que les travaux permettent de se détacher du clivage traditionnel « gauche-droite ». Si tous les membres de la Commission ont le même objectif que le Rapporteur, il n'y a aucune raison de se positionner de façon politicienne, même si les opinions politiques peuvent influencer les amendements concernant certains points du texte. Il s'agit d'avancer pour l'intérêt commun.

Le Rapporteur a remercié les différents intervenants pour leurs remarques constructives. Il est vrai que l'exercice est contraint dans la mesure où il a été décidé de rester dans le cadre de la Constitution de 1958. Il est en effet exact que, pour engager une réforme de la Constitution, il faut une volonté commune des deux responsables de l'exécutif, volonté qu'il n'a pas ressentie, bien au contraire, le Président de la République ayant souligné la nécessité de rester dans le cadre de la Constitution actuelle. Il est certes toujours possible de référer à un idéal inaccessible, mais le risque est alors grand de ne voir jamais aboutir les réformes et il est donc préférable de procéder par étapes. La seule question à se poser à l'issue de la discussion sera celle des avancées réalisées en ce qui concerne l'amélioration de la gestion des finances publiques et les pouvoirs du Parlement. Pour sa part, il n'a jamais souhaité que son nom soit associé à une réforme organisant un recul du pouvoir parlementaire.

La nouvelle version du texte est enrichie par rapport à la première et il convient de ne pas diaboliser le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, ni de se sentir complexé par rapport à ce dernier. Si les parlementaires étaient moins soumis, Bercy serait moins puissant.

Certains peuvent critiquer le bien fondé de certains principes ou textes auxquels la proposition fait référence, mais ces derniers s'imposent de toute façon, car ils figurent en bonne place dans la hiérarchie des normes nationales et communautaires.

Comme le Président l'a indiqué, il est nécessaire d'engager une réforme de la procédure parlementaire, afin d'adapter les méthodes de travail de l'Assemblée. Les réformes récentes des conditions d'examen du projet de loi de finances ont conduit à améliorer l'association des commissions saisies pour avis au processus de décision, même si ces changements n'ont été acceptés au départ qu'avec réticence par les groupes parlementaires. Or, ce nouveau système fonctionne désormais à la satisfaction de tous.

D'aucuns ont souligné la nécessité d'un accord avec le Sénat. Il convient également d'obtenir un accord avec le Gouvernement car, sans cet accord sur un texte de compromis, au sens noble du terme, la réforme ne verra pas le jour. Il a fait observer que les circonstances actuelles peuvent permettre d'espérer aboutir.

S'agissant du rôle du ministère de l'économie et des finances, il est de toute façon nécessaire et légitime de désigner un pilote pour l'élaboration du projet de loi de finances. Un certain nombre de dispositions de la proposition font remonter la prise de décision du ministère de l'économie et des finances au Premier ministre et on comprendra que Bercy n'est pas à l'origine de cette rédaction.

En ce qui concerne les relations entre le Gouvernement et le Parlement, la proposition fait du programme un élément central de la discussion parlementaire, même si le Président Henri Emmanuelli, a tenu à introduire un élément de spécialité distinct de l'élément de vote.

Il a rappelé que la rédaction de l'article 42 de la proposition tient compte de la décision du Conseil constitutionnel de 1978 s'agissant du vote de l'article d'équilibre.

Quelles que soient, par ailleurs, les progrès obtenus en matière de droits du Parlement, le Gouvernement continue, en tout état de cause, à disposer des prérogatives que lui reconnaît la Constitution de 1958. Faisant valoir que la nouvelle rédaction de la proposition tient largement compte des préoccupations exprimées par les uns et les autres durant les travaux de la Commission spéciale, il a considéré qu'une seule question doit guider le vote : s'agit-il ou non d'un progrès ?

Avant l'article 1er :

La Commission a examiné un amendement présenté par M. Yves Cochet, visant à rappeler les buts de la loi de finances, comme cela était prévu par le texte initial de la proposition de loi organique.

Le Rapporteur a indiqué, que dans un souci de meilleure rédaction, ces dispositions avaient été déplacées aux articles 30 et 31 et que l'auteur de l'amendement avait entièrement satisfaction.

M. Yves Cochet a retiré cet amendement.

La Commission a ensuite examiné un amendement présenté par M. Yves Cochet, visant à renforcer la notion de pluriannualité au travers de plans à long terme, approuvés par le Parlement.

M. Yves Cochet a indiqué qu'il avait déposé plusieurs amendements ayant trait au même sujet.

M. François Goulard a estimé qu'entre la première et la deuxième version de la proposition de loi organique, l'idée de publication, en annexe au projet de loi de finances, d'un échéancier des crédits de paiement nécessaires au moment où l'on vote les autorisations de programme avait été affaiblie.

Le Rapporteur a précisé que cette annexe était désormais prévue au 5° de l'article 38.

Il a souligné que la notion de pluriannualité s'appuyait sur d'autres instruments que le plan, tels que le débat d'orientation budgétaire, le programme pluriannuel des finances publiques et les lois de programmation prévues par la Constitution. La séparation claire entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement permet d'introduire clairement la pluriannualité dans le texte.

M. Henri Emmanuelli s'est interrogé sur l'origine de l'obsession, dans l'histoire budgétaire française, conduisant à multiplier les lois de programmation et les lois pluriannuelles. Il a considéré que cette tendance posait problème au regard du suffrage universel et qu'il existait un risque de verrouillage des décisions. L'annualité budgétaire a certes des défauts, mais c'est aussi la condition du respect de la volonté exprimée par le suffrage universel et ceux qui ont inventé ce principe y avaient sans doute mûrement réfléchi.

Le Président Raymond Forni a estimé que le recours, d'ailleurs peu efficace, à des lois de programmation témoignait d'une certaine méfiance par rapport à l'exécutif et qu'en souhaitant obtenir des garanties dans la durée, l'on risquait de se priver de possibilités de changements démocratiques.

Le Rapporteur a jugé que le principe d'annualité restait utile et que la pluriannualité devait d'abord se fonder sur une mise en perspective de budget, assortie de quelques outils pratiques.

La Commission a rejeté cet amendement.

Article 1er : Les ressources et les charges de l'Etat :

La Commission a ensuite adopté un amendement rédactionnel présenté par le Rapporteur, puis elle a adopté l'article 1er ainsi modifié.

Article 2 : Les ressources budgétaires :

La Commission a examiné un amendement de M. Jean-Jacques Jégou, tendant à classer les émissions d'emprunts parmi les ressources budgétaires de l'Etat.

M. Charles de Courson a considéré que l'un des défauts de l'ordonnance organique de 1959 et de la proposition de loi organique résidait dans le traitement des opérations relatives aux emprunts. L'Etat français est le seul organisme qui n'est pas obligé d'intégrer les opérations d'emprunt dans le périmètre des opérations budgétaires. Leur traitement en opérations de trésorerie renforce considérablement les prérogatives du ministère de l'économie et des finances, dont les compétences en matière d'emprunt résultent chaque année du vote de l'article premier de la loi de finances. Les collectivités locales sont, quant à elles, obligées de compter les émissions et remboursements d'emprunts parmi les opérations budgétaires. Appliquée à l'Etat, une telle règle aurait pu permettre d'éviter des dérives, telles que l'émission d'emprunts à intérêts capitalisables. La rédaction du 4° de l'article 25 de la proposition de loi organique semble un peu ambiguë et peut suggérer que le texte du Rapporteur maintient - malheureusement - le système actuel. En revenant à une pratique plus orthodoxe, on évitera les débats abscons et difficiles qui ont eu lieu lors de la discussion de dispositions législatives tendant à des annulations d'emprunts ou des reprises de dettes considérables, qui ne constituaient pas des opérations budgétaires. La sagesse et la prudence conduisent à généraliser le principe de droit commun pour la comptabilisation de ces opérations financières.

M. Henri Emmanuelli s'est interrogé sur l'opportunité de traiter les ressources d'emprunt comme des ressources budgétaires, dans la mesure où les émissions d'emprunts dépendent non seulement du déficit prévisionnel mais également du rythme de réalisation de la dépense publique et de la structure de la dette.

Le Rapporteur a craint que le dispositif proposé n'aille à l'encontre de son objectif, dans la mesure où le volume des dépenses et recettes budgétaires deviendrait très dépendant de l'arbitrage entre endettement à court terme et endettement à moyen terme.

Les bons du Trésor à court terme ont, en général, une durée de vie de trois mois. Leur stock est donc renouvelé quatre fois dans l'année. Si leur encours moyen est égal à 250 milliards de francs, ces bons occasionneraient des dépenses et recettes de 1.000 milliards de francs dans l'année dans la logique du système proposé par l'amendement. Si, l'année suivante, le Gouvernement souhaite que l'encours moyen de ces bons soit égal à 400 milliards de francs, les dépenses et recettes qu'ils généreront atteindront 1.600 milliards de francs. Il y aurait donc un gonflement des masses budgétaires de 600 milliards de francs, qui ne correspond à rien au regard de la politique budgétaire.

Le Rapporteur a insisté sur le fait que la rédaction de l'article 31 de la proposition de loi organique prévoit l'insertion d'un tableau de financement dans l'article d'équilibre, qui évaluerait l'ensemble des ressources et des charges de trésorerie. Cet élément d'information devrait permettre une meilleure compréhension du financement de l'Etat et de l'évolution de sa dette.

M. Gilles Carrez, après s'être déclaré sensible à l'objection du Rapporteur, a observé que les collectivités locales connaissent, à l'occasion des opérations de restructuration de leur dette, qui sont traitées en recettes et en dépenses budgétaires, des flux similaires à ceux évoqués par le Rapporteur. La situation actuelle n'est pas admissible, puisque les comptes de l'Etat ne gardent aucune trace des souscriptions des emprunts et de leurs remboursements. La seule façon de mettre fin à cette situation consiste à inscrire les remboursements d'emprunts en dépense budgétaire et le produit des emprunts en recettes budgétaires.

M. Philippe Auberger a déclaré partager les préoccupations exprimées par M. Charles de Courson, sans toutefois parvenir à la même conclusion. Le vote d'un plafond annuel d'emprunt en première partie de la loi de finances serait plus opportun. Ainsi l'article d'équilibre deviendrait un véritable article d'équilibre. La pratique consistant à contracter les recettes d'emprunt avec les frais d'émission est regrettable, alors que ces frais devraient figurer en dépenses. De semblables contractions ont été effectuées à l'occasion des opérations de privatisation, l'Etat comptabilisant, en règle générale, le montant des produits nets des frais de commissions et non le produit brut des opérations en capital.

M. Charles de Courson a contesté la pertinence de l'argument opposé par le Rapporteur, puisque les collectivités locales traitent en recettes et en dépenses l'ensemble des opérations relatives à la restructuration de leurs dettes. La présentation actuelle du financement de l'Etat, où le solde budgétaire correspond à la différence entre les émissions et les remboursements d'emprunts, n'est pas satisfaisante, car elle permet non seulement de contracter le produit des emprunts avec les frais d'émission correspondants, mais également de réaliser des « manipulations » semblables à celles autrefois effectuées sur les obligations renouvelables du Trésor (ORT), pour lesquelles la capitalisation des intérêts permettait d'éluder l'inscription de ces derniers en dépenses budgétaires, dans le cadre du titre I. En outre, il n'est pas cohérent d'appliquer des règles différentes selon que l'Etat emprunte ou selon qu'il prête, puisque les prêts consentis par l'Etat et leur remboursement font partie des opérations budgétaires et sont retracés dans leur intégralité en dépenses comme en recettes. Cette dissymétrie n'est pas justifiée.

M. Henri Emmanuelli a précisé qu'il pourrait comprendre le souci exprimé par l'orateur précédent si le déficit budgétaire était financé par la création monétaire, ou la « planche à billets ». Or, tel n'est pas le cas. Aussi faut-il éviter d'enserrer l'action de l'administration dans un corset trop rigide, alors que les opérations de trésorerie exigent de la souplesse. Tel est d'ailleurs le cas dans les entreprises privées. Si un contrôle a priori n'apparaît pas opportun, en revanche un contrôle a posteriori des opérations de trésorerie s'avère, lui, nécessaire.

M. Charles de Courson a jugé que la direction du Trésor était en mesure de présenter le programme de financement de l'Etat pour l'année, en faisant état du montant du déficit, du montant des remboursements de la dette échue et des opérations liées aux restructurations de dette, notamment l'arbitrage entre les titres de court terme et les titres de long terme. Il a insisté sur le fait que considérer les émissions et remboursements d'emprunts comme des opérations de trésorerie constituait une erreur fondamentale.

M. Gilles Carrez a indiqué qu'il ne souhaitait pas enserrer l'administration dans des règles trop strictes. Cependant, il convient que soient retracées, au plan budgétaire, des opérations qui actuellement ne font l'objet d'aucun élément d'information. Une solution consisterait peut-être à définir, dans le cadre de la loi de finances, un plafond des emprunts et de prévoir, pour la loi de règlement, un compte rendu précis des opérations de trésorerie.

Le Rapporteur a indiqué qu'il saisissait mal la portée de l'amendement, dans la mesure où il n'apparaît pas pertinent d'inscrire dans le budget des volumes importants, susceptibles de faire l'objet de variations considérables, et ne correspondant à aucune réalité de politique budgétaire. L'amendement est d'ailleurs contradictoire avec le principe d'une présentation du budget à structure constante. Le dispositif proposé à l'article 31 prévoit, dans le cadre de l'article d'équilibre, la présentation d'un tableau de financement évaluant les ressources et les charges de trésorerie. Cet élément donnera au Parlement des informations très précises sur la politique d'endettement de l'Etat, sans fausser l'évaluation des masses budgétaire. L'expérience des ORT a été unanimement jugée malheureuse et le ministère des finances ne concevrait pas que l'on puisse tenter à nouveau l'aventure.

Après que M. Charles de Courson se fût interrogé sur la portée exacte du dispositif évoqué par le Rapporteur, et eût précisé qu'il évoquerait à nouveau la question dans le cadre de l'examen de l'article 31, cet amendement a été retiré.

La Commission a adopté sans modification l'article 2.

Article 3 : La rémunération des services rendus par l'Etat :

La Commission a adopté l'article 3 sans modification.

Article 4 : La définition des charges budgétaires de l'Etat :

La Commission a examiné un amendement présenté par M. Philippe Auberger, visant à regrouper, dans une même catégorie de dépenses budgétaires, les dépenses d'investissement de l'Etat pour son propre compte et les subventions à l'investissement de tiers.

M. Philippe Auberger a indiqué que cet amendement avait pour objectif de permettre d'avoir une vue d'ensemble de l'effort d'investissement de l'Etat, qu'il soit réalisé directement ou par l'intermédiaire de tiers.

Le Rapporteur a répondu que la logique de la réforme reposait sur la distinction entre une approche budgétaire et une approche comptable, ces deux approches devant être articulées avec finesse. Une telle articulation exige de distinguer les investissements directs et les subventions d'investissement, puisque ces subventions, contrairement aux premiers, n'ont pas d'impact sur la valeur du patrimoine de l'Etat.

M. Charles de Courson a observé qu'il convenait donc, dans cette logique, d'opérer une distinction entre les subventions d'investissement non remboursables et les subventions remboursables dans certaines hypothèses. Par le passé, un mauvais suivi de ces dernières a entraîné des pertes patrimoniales pour l'Etat, s'agissant notamment des subventions d'investissement dites remboursables en cas de succès.

A l'appui des observations du Rapporteur, M. Gilles Carrez a rappelé que les subventions d'investissement des collectivités locales, qui n'ont pas d'incidence sur le patrimoine de ces collectivités, sont traitées en fonctionnement.

M. Philippe Auberger ne s'est pas déclaré convaincu par ces arguments et a jugé nécessaire de pouvoir procéder à un suivi de la politique d'investissement de l'Etat. Il convient de maintenir une rigueur dans la présentation budgétaire, nonobstant l'argument patrimonial, qui se comprend. En outre, le regroupement des interventions de l'Etat sans distinction, comme cela est proposé dans la définition des charges budgétaires de l'Etat, ne manquerait pas d'avoir des effets pervers en permettant aux organismes bénéficiaires de subventions d'affecter ces dernières à des opérations de fonctionnement et non à des opérations d'investissement.

M. Charles de Courson a observé que le problème soulevé par M. Philippe Auberger s'avérait d'autant plus complexe que les subventions d'investissement versées aux établissements publics ou aux établissements industriels ou commerciaux dépendants de l'Etat avaient des effets très directs sur le patrimoine de ce dernier.

M. Henri Emmanuelli a déclaré apprécier l'orientation keynésienne de cet amendement.

Le Rapporteur a souligné que, dans la logique de M. Philippe Auberger, visant à permettre le financement de la section d'investissement par emprunt, cette proposition aurait pour conséquence d'alléger d'autant la section de fonctionnement et de favoriser ainsi, pour l'Etat, le recours à l'emprunt et donc au déficit.

L'amendement a été rejeté.

La Commission a ensuite rejeté deux amendements de MM. Yves Cochet et Jean-Jacques Jégou, tendant à considérer les dépenses liées au remboursement des emprunts comme des charges budgétaires de l'Etat, par cohérence avec son vote précédent.

Elle a adopté l'article 4 sans modification.

Article 5 : Le budget et les principes budgétaires :

La Commission a adopté un amendement rédactionnel du Rapporteur, tendant à préciser que les recettes et les dépenses sont « retracées » dans le budget général, et non imputées.

Elle a ensuite examiné un amendement de M. Philippe Auberger, tendant, d'une part, à ce que le budget général récapitule l'ensemble des dépenses par nature en distinguant les dépenses courantes de fonctionnement et les dépenses d'investissement et, d'autre part, prévoyant que le budget général est réputé à l'équilibre si les recettes ordinaires suffisent à couvrir les dépenses courantes.

M. Philippe Auberger a expliqué que la notion d'équilibre budgétaire, compte tenu de son caractère essentiel, devait être précisée et qu'il avait souhaité réaliser un effort conceptuel.

Le Rapporteur s'est opposé à l'amendement, en expliquant que les personnalités auditionnées avaient toutes considéré que la distinction entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'investissement n'était guère pertinente pour l'Etat : l'investissement de l'Etat ne rapporte rien, le plus souvent, mais génère au contraire davantage de dépenses que de recettes et, très souvent, n'a pas vocation à gérer un profit susceptible de permettre le remboursement de leur coût. D'un point de vue budgétaire, il n'y a guère lieu de traiter différemment des dépenses d'investissement de celles de fonctionnement.

M. Charles de Courson a observé que la première partie de l'amendement, qui distingue les dépenses de fonctionnement des dépenses d'investissement, était reprise dans la proposition de loi du Rapporteur. Le problème est celui de la deuxième partie de l'amendement et de la définition de l'équilibre budgétaire. Les dépenses d'investissement de l'Etat existent en fait et concernent le capital de l'Etat, mais, en l'absence d'amortissement, on ne peut que constater la faiblesse des investissements, qui ne couvrent même pas actuellement l'amortissement des investissements anciens. Cette réalité vient d'être soulignée par le rapport public de la Cour des comptes s'agissant du réseau routier national, et pourrait l'être pour les universités. La distinction des dépenses de fonctionnement et d'investissement est pertinente et utile à la fois : le deuxième alinéa de l'amendement pourrait être plus rigoureux encore en prévoyant que les excédents de la section de fonctionnement devraient couvrir les amortissements ou bien une annuité de la dette publique.

M. Yves Deniaud a également considéré qu'il n'était pas pertinent de comparer le budget de l'Etat avec celui d'une entreprise qui attend de ses investissements un retour de rentabilité, mais qu'il convenait de s'inspirer des budgets des collectivités locales. Ce modèle a d'ailleurs été donné par M. Jean Arthuis. Il faut également mettre en rapport les autorisations d'emprunts délivrées par la loi de finances avec les annuités en capital des emprunts qu'elle doit prévoir.

M. Gilles Carrez a exprimé son accord avec le Rapporteur, lorsqu'il considère que l'Etat n'est pas une entreprise soumise à une obligation de rentabilité. Toutefois, on ne peut admettre que les recettes courantes puissent être inférieures aux dépenses courantes : le financement par emprunt des dépenses ordinaires est malsain car il se traduit par un report de charges sur les générations futures.

Le Président Henri Emmanuelli a considéré que la distinction entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'investissement était plus complexe qu'il n'y paraissait. Ainsi les dépenses d'éducation relèvent traditionnellement du fonctionnement, alors que c'est le premier investissement d'une Nation : quelle classification convient-il de retenir ? Il est impossible de prévoir la rentabilité d'un investissement, comme l'a démontré le développement du programme Concorde, qui a constitué la base de l'aéronautique européenne.

Le Président Raymond Forni s'est interrogé sur l'interprétation de l'amendement, en observant qu'il ne proposait pas le vote du budget en équilibre, mais apportait une définition à la notion d'équilibre budgétaire, sans contrainte apparente pour le Gouvernement.

M. Philippe Auberger a précisé qu'un autre amendement tirait les conséquences du premier, en prévoyant de sanctionner le non-respect de l'équilibre budgétaire, tel qu'il le définissait.

M. Gilles Carrez a observé que la perspective de M. Philippe Auberger relevait d'une approche keynésienne bien connue. On ne peut admettre, sur une longue période, un déficit budgétaire d'un niveau tel qu'il se traduira par un report sur les générations futures de charges liées à la dette. Il a ajouté qu'il considérait que les dépenses d'éducation ne pouvaient s'analyser comme des investissements puisqu'elles étaient récurrentes et d'un montant considérable tous les ans.

M. Jean-Jacques Jégou a souligné qu'actuellement l'absence de définition claire de la notion d'investissement expliquait largement les difficultés rencontrées par l'Etat pour entretenir correctement les prisons, les commissariats de police ou les universités, alors qu'on pourrait imaginer la possibilité de recourir à des emprunts sur quinze ou vingt années pour financer de tels investissements.

Le Rapporteur a rappelé que l'article 4 de la proposition de loi organique permettait d'identifier les dépenses d'investissement de l'Etat et que le Parlement aurait donc les capacités de les apprécier. Il a ajouté que le véritable sujet soulevé par l'amendement de M. Philippe Auberger était de limiter - et à quel niveau ? - l'endettement de l'Etat. Il a cependant rappelé, sur ce point, que les auditions menées par la Commission spéciale avaient mis en avant les contraintes européennes pesant sur le niveau d'endettement. Il a estimé que l'amendement proposait, en fait, d'instituer la fameuse « règle d'or » relative à l'équilibre budgétaire de la section de fonctionnement. Or, selon lui, cette proposition n'est pas pertinente, car on ne peut pas demander à l'Etat de se lier les mains, qui plus est dans une loi organique.

Le Président Raymond Forni a constaté que le second paragraphe de l'amendement, relatif à la définition de l'équilibre budgétaire, était, en fait, relativement dénuée de portée et que ce texte n'aurait un sens que si un autre amendement, tendant à créer un article additionnel après l'article 27, afin de sanctionner un éventuel déséquilibre budgétaire de la section de fonctionnement était adopté.

Le Rapporteur a noté que des règles similaires, tendant à limiter le recours à l'emprunt pour les seules dépenses d'investissement étaient en vigueur en Allemagne, ce qui n'empêchait pas le Gouvernement allemand de les contourner aisément. Il a également considéré, compte tenu de l'amendement présenté à l'article 4 qui tendait à vider la section de fonctionnement d'une partie de ses crédits, que la logique défendue manquait quelque peu de cohérence.

M. Charles de Courson a rappelé que le groupe UDF avait toujours préconisé cet équilibre de la section de fonctionnement et qu'il était donc favorable à cet amendement. Celui-ci n'empêcherait d'ailleurs pas un Gouvernement de mettre en _uvre la politique budgétaire qu'il souhaite puisqu'il n'interdit pas l'emprunt pour les dépenses d'investissement. La position du Président Henri Emmanuelli, visant à classer l'ensemble des dépenses relatives à l'éducation dans la section d'investissement, pourrait conduire, si on la poussait jusqu'à l'extrême, à autoriser l'Etat à financer l'ensemble de ces dépenses par l'emprunt. Il a enfin observé que l'Allemagne n'avait eu recours à l'emprunt que pour financer les investissements liés à l'unification.

Le Rapporteur a contesté cette dernière observation, faisait valoir que l'Allemagne avait, tout comme l'Italie, eu recours à des changements de nomenclature, pour se soustraire à la règle d'équilibre de la section de fonctionnement, pratique que la Commission européenne avait critiquée.

Le Président Raymond Forni a de nouveau indiqué que le vote de cet amendement n'aurait pas une véritable portée dans le cas où d'autres amendements qui lui sont liés ne seraient pas adoptés.

M. Philippe Auberger a tenu à préciser que s'il avait déposé deux amendements distincts, l'un proposant une définition de la section de fonctionnement et de la notion d'équilibre budgétaire, l'autre en tirant les conséquences dans la loi de finances, c'est en raison de la présentation retenue par le Rapporteur quant à l'organisation des dispositions de la proposition de loi organique.

La Commission a rejeté cet amendement.

Elle a adopté l'article 5 ainsi modifié.


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