ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N°6

mercredi 14 novembre 2001
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Philippe Duron, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Alain RIST, Vice-Président du conseil régional d'Île-de-France, sur la création d'un nouvel aéroport à vocation internationale

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La délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a entendu M. Alain RIST, Vice-Président du conseil général d'Île-de-France, sur la création d'un nouvel aéroport à vocation internationale.

M. le Président : Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui M. Alain Rist, vice-président du conseil régional d'Île-de-France. Au terme du débat public, la Délégation à l'aménagement du territoire a mené une série d'auditions sur le projet de nouvel aéroport international, avec le souci d'examiner plus particulièrement les conséquences de la future infrastructure sur l'aménagement du territoire et sur la population et le développement régional.

Alors que, en 1997, le ministre des transports, M. Jean-Claude Gayssot, décidait de plafonner à 55 millions de passagers le trafic annuel de Roissy afin de limiter les nuisances supportées par les riverains et que, la semaine dernière, il a fait connaître sa préférence pour le site de Chaulnes dans la Somme, de nombreuses questions se posent à propos de la région parisienne : comment remédier aux nuisances existant à Roissy et à Orly et qui demeureront, d'une part avant la création de la nouvelle plate-forme et d'autre part, ensuite, malgré son existence ? Comment peut-on éviter de refaire les mêmes erreurs pour la nouvelle infrastructure ? Quelle réorganisation du trafic aérien en Île-de-France est-elle souhaitable ? Voici quelques premières interrogations pour lancer le débat.

M. Alain RIST : Il est nécessaire, en premier lieu, de s'interroger sur les raisons qui conduisent à poser cette question aujourd'hui. Celle-ci est en effet à mettre en rapport avec le manque de confiance dont témoignent les citoyens à l'égard des décisions politiques. Tel est par exemple le cas des prévisions d'évolution du trafic aérien sur lesquelles se fondent le ministre de l'équipement et qui sont très souvent contestées. Il est donc nécessaire, dans un premier temps, de renforcer la crédibilité de ces décisions politiques, et, en particulier, de leur capacité à réguler l'activité économique.

S'agissant des circonstances dans lesquelles intervient cette décision, il faut tout d'abord rappeler que le secteur aérien connaissait déjà une crise avant les événements du 11 septembre, comme en témoignent par exemple les difficultés rencontrées par Air Liberté, AOM, Swiss Air ou encore la Sabena. Depuis lors, le gouvernement américain a mis en place un plan de relance de 15 milliards de dollars pour les compagnies aériennes en raison de la baisse du trafic qui serait de l'ordre de 50 % aux États-Unis. Face à l'approfondissement de cette crise, il apparaît donc légitime de s'interroger sur l'urgence de cette décision, quand bien même celle-ci semble sur le point d'être annoncée.

De façon plus structurelle, la suppression, souhaitable, de certains éléments non « durables » de la compétitivité des compagnies aériennes, pourrait également obérer la croissance du trafic aérien.

En premier lieu, le transport aérien est à l'origine de pollutions atmosphériques, qui font aujourd'hui l'objet de préoccupations croissantes. Par exemple, lorsqu'il y a un pic de pollution en Île-de-France, on estime que l'activité totale des deux plates-formes parisiennes pourrait représenter jusqu'à 30 % de l'émission des polluants dans la région. Cet aspect nécessite par conséquent qu'une attention plus grande y soit portée.

Concernant l'effet de serre, qui, lui, a un impact, non pas sur la santé, mais, à plus long terme, sur le climat, l'OACI a récemment indiqué que la seule façon pour les compagnies aériennes de lutter contre l'effet de serre était d'acheter des « droits à polluer ». En d'autres termes, il n'existe pas aujourd'hui de perspectives technologiques conduisant à une baisse de l'impact de l'effet de serre du transport aérien. Le minimum serait donc que toute hausse soit intégralement répercutée sur les émissions à effets de serre.

Enfin, s'agissant de l'activité proprement dite du transport aérien, il existe plusieurs spécificités qui nécessitent également d'être corrigées. Le secteur aérien est par exemple la seule activité en Europe à payer son carburant au prix "sec", c'est-à-dire sans taxations. Le renforcement de la sécurité du transport aérien, dans toutes ses dimensions, a par ailleurs un impact financier sur les compagnies, qui est précisément à l'origine du plan de relance américain.

Ainsi, il apparaît que ces effets externes doivent être davantage pris en compte dans le coût du transport aérien, de façon notamment à rétablir les conditions d'une concurrence équitable entre les différents modes de transports.

Ce débat doit également prendre en compte trois autres dimensions, qui, jusqu'à présent, n'ont été qu'évoquées sans être réellement conduites jusqu'à leur terme.

La création d'une troisième plate-forme doit tout d'abord être envisagée au regard de l'évolution de la répartition du trafic intra-continental et inter-continental. Dans ce domaine, la situation se caractérise actuellement par un mélange de ces deux trafics. A terme, il est cependant possible que le trafic se segmente : les compagnies régionales prendraient alors en charge, de point à point, le trafic intra-continental, tandis que les compagnies mondiales assumeraient la part intercontinentale du trafic, qui, lui, nécessite une organisation en hub. Ainsi, du fait de cette répartition sur le territoire national, la croissance du trafic aérien n'entraînerait pas nécessairement une organisation exclusivement fondée sur le système des hubs. Or, la question à laquelle est censée répondre le troisième aéroport est précisément celle du développement du trafic de type hub, qui me paraît aujourd'hui très largement surévalué, du moins pendant un certain temps.

Cette décision rapide ne permet pas, d'autre part, de répondre aux problèmes qui se posent de façon immédiate. C'est pourquoi plusieurs mesures à court terme doivent être envisagées.

Il serait tout d'abord souhaitable de réguler, voire d'interdire, les vols de nuit sur l'aéroport de Roissy.

Le développement de l'aéroport de Vatry en tant que plate-forme de fret spécialisée, seule autorisée à recevoir des vols cargos, serait de nature à réduire les nuisances actuelles, notamment nocturnes. A l'avenir, le fret pourrait représenter entre 5 et 8% du trafic aérien. Il s'agit donc d'un créneau très spécialisé, mais cela permet justement de faciliter le développement de cette activité, et ce d'autant plus que les possibilités de transfert par le fer existent déjà et pourraient être encore améliorées.

La sélectivité des appareils autorisés à atterrir devrait par ailleurs être renforcée. Des mesures de gestion pourraient également être prises afin de faciliter l'augmentation de l'emport et par conséquent la réduction du nombre de vols, puisque nous sommes actuellement dans un dispositif de plafonnement par nombre de passagers. A ce titre, il est impératif que ces mesures soient gérées très strictement, de façon à répondre au manque de crédibilité des décisions que j'évoquais précédemment.

Enfin, la création de cette troisième plate-forme aéroportuaire doit s'inscrire dans le cadre de l'aménagement du territoire au niveau européen. En effet, les aéroports de Barcelone, Bâle, Genève et Bruxelles constituent d'ores et déjà des « portes d'entrée » sur l'Europe. Dans la mesure où la vraie question est celle de l'organisation géographique du transport intercontinental, il importe que celle-ci soit traitée, dans ses principes de fonctionnement, à l'échelle européenne, ou à tout le moins, à celle de l'Europe du nord-ouest.

Je pense donc que la décision immédiate ne permet pas de répondre aux préoccupations actuelles, et qu'il serait par conséquent préférable de prendre les mesures ayant un impact de court terme que je vous ai précédemment mentionnées.

M. le Président : Vous avez bien souligné qu'il s'agissait d'une décision de long terme mais qui ne changera pas à court terme les conditions dans lesquelles se déroule le transport aérien en Île-de-France.

Vous avez dit également que le contexte était susceptible de changer du fait des données internationales, environnementales et économiques. J'aimerais avoir votre point de vue sur l'aménagement du territoire en Île-de-France et sur l'opinion d'Aéroports de Paris et d'Air France selon laquelle l'Île-de-France est la seule porte d'entrée sur notre territoire adaptée au trafic intercontinental. J'aurais une autre question : comment peut-on faire vivre une plate-forme intercontinentale avec les plates-formes d'un intérêt plus régional ?

M. Alain RIST : L'aéroport n'est pas fait uniquement pour les Franciliens. En effet, 50 % des passagers utilisant Orly ou Roissy n'ont ni pour origine, ni pour destination, l'Île-de-France. Ces aéroports ont donc un rôle qui dépasse largement l'Île-de-France.

Une partie des habitants du sud-ouest peut se servir de Barcelone, une partie des habitants du nord, de Bruxelles, une partie des habitants de Rhône-Alpes, de Genève, et une partie des Alsaciens, de Bâle. Mais la plupart des Français et surtout les habitants de tout le grand-ouest n'ont pas de solution alternative à Paris. De plus l'idée selon laquelle la concentration est un facteur de performance conduit à un cercle vicieux qui renforce l'attractivité de l'Île-de-France, ce qui n'est pas un élément positif pour les Franciliens. Je souhaite une équitable répartition des charges - notamment environnementales - et des avantages - en particulier de proximité.

On dit que cette concentration a des aspects bénéfiques au plan national. Or, Air France n'est pas en charge d'un service public, puisque le transport aérien n'est pas considéré comme un service public, je ne vois donc aucune raison de faire de l'intérêt d'Air France un intérêt national. Air France souhaite un hub performant ; si c'est une compagnie européenne qui vise à avoir les plus grandes parts de marché européen, avoir un hub à Roissy ne correspond pas à un intérêt national, cela ne peut être qu'un élément d'un intérêt plus européen. On doit considérer Air France comme une compagnie européenne et lui demander d'avoir un cahier de charges plus européen que français.

M. Charles de COURSON : Quelle est la position du conseil régional sur le troisième aéroport ? Parlez-vous au nom de la région ?

M. Alain RIST : Le conseil régional n'a pas délibéré sur ces questions ; d'ailleurs la région n'a pas été saisie. Lors de son mandat précédent, le conseil régional avait délibéré à propos de l'aéroport de Vatry.

M. Charles de COURSON : De quels moyens la région dispose-t-elle pour inciter le gouvernement à faire délocaliser une partie du fret tout cargo, en le transférant de Roissy à Vatry ? Il faudra en effet aider les entreprises concernées (Fedex, Aéropostale, par exemple) à se délocaliser. Le conseil régional est-il favorable à un cofinancement, à des négociations avec l'État ?

M. Alain RIST : Le conseil régional n'a pas pris de décision à ce sujet. Les aéroports sont des établissements publics nationaux. Je pense qu'il faudrait les régionaliser car nous avons à régler des problèmes liés à la mauvaise application de politiques par les services de l'État. D'ailleurs, des amendements au projet de loi relatif à la démocratie de proximité ont prévu la régionalisation des aéroports, sauf s'ils sont d'intérêt national - malheureusement, nous avons quatorze aéroports, tous d'intérêt national ! La revendication de l'exécutif du conseil régional est de devenir l'autorité de régulation de l'activité aéroportuaire.

A propos de Fedex, il aurait fallu l'accueillir à Vatry lors de la mise en place de ses rotations, cela aurait été moins coûteux ; désormais, il ne faudrait pas se contenter de lui payer éventuellement des indemnisations, mais aussi veiller à ce que les mêmes erreurs ne se reproduisent pas ultérieurement.

M. Charles de COURSON : Le vrai problème est que les conseils régionaux n'ont aucune compétence en matière aéroportuaire actuellement.

M. Alain RIST : Il ne faut pas fonctionner sur la base d'un égoïsme régional, mais il est regrettable que la région ne soit représentée au conseil d'administration d'Aéroports de Paris - établissement public national - que par un seul membre.

M. Charles de COURSON : En revanche, le conseil régional a des moyens de pression indirects sur la réalisation des infrastructures de transports terrestres. Si un site est choisi au nord de Paris, de nouvelles dessertes terrestres devront être prévues, puisque l'autoroute A1 et la ligne de TGV sont saturées. Quelle sera la position du conseil régional quand il sera sollicité pour financer ces investissements ?

M. Alain RIST : Le conseil régional remplira les engagements figurant au contrat de plan État-région actuel. Le contrat suivant sera négocié par nos successeurs.

Mle Président : Je vous remercie d'avoir évoqué les points de vue de l'Île-de-France et du conseil régional qui sont les premiers concernés par la décision relative au nouvel aéroport.


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