ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 20

Mardi 12 septembre 2000
(Séance de14 heures 30)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Etienne-Emile Baulieu, Professeur au Collège de France

- Audition de M. Lucien Neuwirth, sénateur

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu M. Etienne-Emile Baulieu, Professeur au Collège de France.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mes chères collègues, nous reprenons la série d'auditions que nous avons entamée, il y a déjà plusieurs mois, sur le thème de l'IVG et de la contraception. Nous accueillons aujourd'hui M. Etienne-Emile Baulieu, professeur au Collège de France.

Professeur de biochimie à la faculté de médecine de Paris Sud, vous enseignez au Collège de France les principes et le fondement de la reproduction humaine et vous êtes également directeur d'une unité de recherche de l'INSERM. Vous avez fait d'importantes découvertes scientifiques, mais vous êtes surtout connu pour avoir découvert le RU 486. Membre de l'Académie des sciences, vous avez reçu de nombreux prix scientifiques, dont le prix Lasker en 1989 ; enfin vous avez publié plusieurs articles et ouvrages dont le dernier s'intitule "Contraception, contrainte ou liberté".

Le rapport annuel de la Délégation aux droits des femmes portera cette année sur le thème de l'IVG et de la contraception. Nous avons donc souhaité vous rencontrer pour parler de l'IVG et, plus particulièrement, du RU 486. Je vous propose donc, dans un premier temps, de nous faire un rapide historique du RU 486, produit qui a eu des difficultés à s'imposer en France et dans un certain nombre de pays européens, puis, dans un second temps, de nous indiquer s'il est possible d'élargir l'utilisation du RU 486.

M. Etienne-Emile Baulieu : Je me suis intéressé pour la première fois au problème de la contraception en France par l'intermédiaire d'un comité, créé par le Général de Gaulle, et chargé de travailler sur ce thème, au moment de l'élection présidentielle de 1965. Dans ce comité, appelé par la suite "Comité des 13 sages", j'étais le plus jeune, mais j'ai eu la chance d'être remarqué par le professeur Pincus, celui-là même qui avait mis au point la pilule contraceptive. Il m'a envoyé représenter la France - de façon officieuse - à l'Organisation mondiale de la santé qui discutait alors des méthodes contraceptives  - thème apparu aux Etats-Unis en 1960, avec la mise sur le marché de la première pilule. J'ai ainsi pu obtenir de nombreux documents que j'ai portés à la connaissance de mes confrères. Nous avons ensuite élaboré un projet que la presse appela "Feu vert sur la pilule", recommandant au ministre de la santé et au président de Gaulle de faire avancer la question de la pilule contraceptive.

Je fais partie de ceux qui pensent que la science progresse d'abord en fonction de la recherche scientifique, car je suis persuadé que, tôt ou tard, la connaissance aide les hommes ; et les scientifiques participent de façon décisive à l'évolution de la société.

Spécialiste du type d'hormones impliquées dans la contraception telle que l'avait définie le professeur Pincus, l'une de mes motivations a été de défendre la cause de la condition féminine, notamment à travers le problème de la maîtrise de la reproduction.

Venons-en à l'historique du RU 486. Le professeur Pincus, qui siégeait comme conseiller principal à la fondation Ford et qui souhaitait favoriser les méthodes de développement de la contraception m'a proposé un contrat intéressant pour que je participe à la recherche et au perfectionnement des méthodes contraceptives, mais j'ai refusé ; mon projet n'était pas d'affiner les méthodes de contraception, j'avais envie de faire quelque chose de nouveau, notamment dans les pays en voie développement, dans lesquels je m'étais rendu pour l'OMS. J'étais, en réalité, très intéressé par le fait que se trouvait, dans le principe même de la contraception, la possibilité de donner à la femme la liberté et le choix de la maternité.

La fondation Ford, grâce au professeur Pincus, m'a fait confiance et m'a laissé mener mes recherches. C'est ainsi que la notion - qui n'existait pas à l'époque - d'anti-progestérone a été mise à jour ; il n'y avait pas, scientifiquement parlant, de produits "anti" permettant de comprendre comment a lieu la grossesse, et, éventuellement, de rendre possible son interruption.

Avec l'aide de la firme pharmaceutique Roussel, nous avons développé le RU 486, qui a rencontré des difficultés dès sa conception. En effet, la firme Roussel était déjà largement sous le contrôle de la firme allemande Hoechst qui, pour des raisons idéologiques tenant à la personnalité de son président et pour des raisons commerciales - cela leur aurait causé des ennuis aux Etats-Unis -, a décrété que le RU 486 était immoral. Nous avons insisté sur le fait que ce médicament est aussi un produit anti-cortisone, puisque le RU 486 possède à la fois des effets anti-progestérone et anti-cortisone. Nous avons donc passé les premiers barrages dans les années 1975 - 1980.

En 1982, j'ai publié, à l'Académie des sciences, une étude sur la première utilisation du RU 486 pour une IVG chez la femme. Cette publication a aussitôt été internationalement remarquée.

L'OMS, très intéressée par cette découverte, a immédiatement demandé à la firme Roussel la permission d'effectuer, gracieusement, des recherches. Les résultats obtenus dans une vingtaine de pays ont été tout à fait concordants et ont prouvé la sécurité d'emploi du produit ; il n'y avait donc plus de raison de ne pas mettre cette pilule à la disposition des femmes qui en avaient besoin.

On a alors formulé une demande d'AMM - autorisation de mise sur le marché - qui, après de nombreuses discussions, a été acceptée en 1988. La firme Hoechst a cependant exercé une forte pression sur les dirigeants de la firme Roussel et a obtenu le retrait du produit de l'AMM. Au même moment, se tenait au Brésil un congrès sur la médecine de la reproduction et je me suis exprimé devant trois ou quatre mille gynécologues dans une atmosphère extraordinaire. Le New York Times en a fait sa une et M. Claude Evin, alors ministre de la santé, a prononcé cette phrase superbe : "Un produit de ce type est la propriété morale des femmes". Des manifestations de femmes ont alors eu lieu partout dans le monde. Finalement, la firme Roussel a accepté de mettre le produit sur le marché en France.

A l'heure actuelle, ce produit est utilisé par 30 % environ des femmes recourant à l'IVG. En France, selon les études réalisées, le RU 486 peut être donné jusqu'à 50 jours après les dernières règles, soit jusqu'à sept semaines de grossesse. Dans ce délai, 80 % des femmes l'utilisent. Il est donc regrettable que la majorité des femmes se présentent trop tard chez le médecin. Le produit a l'avantage de pouvoir être utilisé extrêmement tôt. Cette intervention hormonale qui rend l'utérus incapable de nider l'_uf est moins hasardeuse qu'une IVG par aspiration et donne de meilleurs résultats quand le traitement est appliqué très précocement.

Parmi les questions que l'on doit se poser, il y a celle du délai de réflexion de huit jours - imposé par la loi Veil -, lorsque l'IVG est pratiquée avec un produit de ce type. En effet, plus l'intervention est précoce, mieux c'est. Le problème est suffisamment grave et difficile pour que les femmes, qui ne se décident pas à la légère, dans l'immense majorité des cas, puissent prendre le RU 486 sans attendre huit jours après la consultation médicale préalable. La méthode hormonale a comme avantage de modifier très rapidement l'état de la femme ; elle est d'autant plus efficace que le produit est pris très tôt.

L'éducation générale à la sexualité, qui doit commencer au niveau du secondaire, devrait inciter les jeunes filles à consulter dès qu'elles ont un doute. Les méthodes actuelles de détection permettent un diagnostic sûr et donc de prendre une décision rapidement. Les retards de règles sont assez fréquents chez la femme ; de ce fait elles attendent souvent la deuxième période pour consulter ; mais le délai pour utiliser le RU 486 est alors dépassé.

Nous avons eu beaucoup de mal à faire mettre le RU 486 à la disposition des femmes d'autres pays. En Grande-Bretagne et en Suède, le produit a été autorisé relativement rapidement, avec l'aide de médecins célèbres ayant une influence sur les instances ministérielles et parlementaires. Mais, dans le reste du monde, la situation était bloquée par la volonté de la firme Hoechst.

La firme Hoechst-Roussel a voulu se défaire de ce produit, et c'est la société Exelgyn, que dirige l'ancien PDG de Roussel, le Docteur Sakiz, qui a reçu le brevet et les droits de ce produit. Après quelques débuts difficiles, il a obtenu l'approbation de différents pays européens, y compris l'Allemagne ; seule l'Italie ne l'utilise pas.

Je vous signale, par ailleurs, que la firme Hoechst-Roussel ne voulait pas exporter ce produit en Chine. Mais les Chinois ont mis leurs chimistes au travail et recopié la molécule. Ce produit est donc maintenant utilisé par trois millions de Chinoises chaque année.

Je vous indique également que le RU 486 a d'autres utilisations que l'IVG. Il est notamment un inducteur du travail lors de l'accouchement et permet de soulager la mère - ainsi que l'enfant - en facilitant la dilatation du col de l'utérus. Je trouve donc inadmissible de ne pas développer ce produit dans cet objectif.

L'on pourrait également utiliser le RU 486 en contraception d'urgence pour traiter certains fibromes de l'utérus, pour soulager certains cancers, notamment féminins, ainsi qu'en tant qu'anti-cortisone, en particulier en psychiatrie. Nous avons en effet découvert qu'il pourrait avoir des effets positifs sur certaines graves dépressions. Il conviendrait donc, d'une part, au nom de la condition féminine, et, d'autre part, au nom de la santé publique, de favoriser les études sur le RU 486, alors qu'actuellement, aucune société ne réalise de recherche sur ce produit.

Or, je puis vous affirmer qu'une femme, suivie depuis quatre ans pour un cancer de l'utérus, a été sauvée par ce produit ; elle en prend tous les jours depuis quatre ans et se porte très bien. La tolérance à ce produit est extraordinaire. Nous ne l'avions d'ailleurs pas prévu, mais nous ne savons pas tout lorsque nous faisons des recherches. Nous sommes désireux d'être contrôlés, notamment en ce qui concerne les suites de la commercialisation, ce qui n'est pas fait. D'ailleurs, il n'existe pas en France de suivi de l'avortement sur le plan médical ; on ne sait donc pas ce que deviennent les femmes qui ont subi une IVG, quel que soit le type de méthode employée. Il s'agit là d'un grand problème de santé publique.

S'agissant du RU 486, je suggère donc que le produit soit "aidé", que des recherches soient entreprises, car, comme je viens de vous le dire, en dehors de l'IVG, il pourrait être utilisé pour les accouchements, la contraception d'urgence, le traitement des fibromes, la psychiatrie, etc...

En ce qui concerne l'IVG, je ne suis pas partie prenante dans la question qui se pose de rallonger le délai de 12 à 14 semaines, dans la mesure où aucune étude n'a été effectuée avec le RU 486 pour savoir s'il est encore utilisable à ce moment-là.

En Grande-Bretagne, le Wellcome Trust - fondation de mécénat scientifique qui dispose de beaucoup d'argent et qui cherche à le mettre à la disposition de grandes causes - est prêt à faire des recherches dans le domaine de la contraception avec le RU 486. Mais je trouve cependant un peu désagréable le fait d'être obligé de regarder chez nos voisins britanniques pour constater que des efforts sont réalisés dans ce domaine.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je voudrais revenir sur la réglementation concernant le RU 486 et sur son origine assez sulfureuse. Nous avons été surprises d'apprendre que ce produit était classé comme stupéfiant et qu'il n'était donc soumis à des conditions d'utilisation très strictes.

Aujourd'hui, le RU 486 est utilisé par les médecins hospitaliers et dans les centres d'IVG jusqu'à la cinquième semaine de grossesse. Or, dans votre intervention, vous nous avez parlé de sept semaines.

M. Etienne-Emile Baulieu : Effectivement, j'ai parlé de cinquante jours, donc sept semaines d'aménorrhée. Mais la définition de la grossesse est sémantiquement un peu délicate. Pour certains, la grossesse débute au moment de la conception, c'est-à-dire deux semaines après les règles - au moment de l'ovulation ; donc à ce moment-là ce n'est plus sept semaines, mais cinq. Les médecins des grandes sociétés médicales gynécologiques nationales et internationales considèrent, eux, que la grossesse débute au moment de l'implantation, soit une semaine après - vers le 22ème, 23ème jour du cycle ; la femme sera donc enceinte de quatre semaines. Enfin, si l'on fait débuter la grossesse au moment où la femme devrait avoir ses règles, cela fait trois semaines.

S'agissant du RU 486 qui est enfermé dans un placard de la pharmacie de l'hôpital - tout comme la morphine -, je ne sais pas si c'est ironique ou insultant. Et, je le répète, une série de règlements empêche l'utilisation du RU 486 pour d'autres causes, notamment pour soulager la femme et l'enfant lors d'un accouchement difficile.

Le statut du RU 486 devrait changer : on devrait tenir compte de la responsabilité des femmes - qui sont les premières impliquées - et de celle des médecins. Je trouve qu'il s'agit d'un manque de confiance envers les femmes et les médecins que de continuer à mettre sous clés un produit de ce genre.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous nous posons une autre question sur l'utilisation du RU 486. Aujourd'hui, ce produit est soumis à la législation sur l'IVG, c'est à dire qu'il ne peut être utilisé que dans des établissements publics ou privés de santé. Les IVG médicamenteuses pourraient-elles être pratiquées, moyennant un contrôle des médecins bien entendu, et dans l'objectif d'une intervention précoce, dans les cabinets de ville ?

M. Etienne-Emile Baulieu : Je pense que cela est tout à fait envisageable, à condition, bien entendu, que l'on s'adresse à un médecin et que, comme pour tout acte médical, ce dernier puisse disposer facilement de tous les moyens nécessaires, en cas de complications. Si la loi Veil impose que la prise du RU 486 se fasse dans des établissements publics ou privés de santé, c'est parce que nous ne voulions pas, à l'époque, faire de vagues. Il est intéressant que des études aient été menées en Grande-Bretagne pour savoir si les femmes préféraient se rendre à l'hôpital - en compagnie d'autres femmes - pour pratiquer l'IVG ou bien rester chez elle. La majorité des femmes ont répondu préférer se rendre à l'hôpital car, psychologiquement, elles ne se sentent pas seules.

Mme Nicole Bricq : Vous nous avez fait remarquer qu'aucune recherche n'était menée sur le RU 486. On sait que les programmes de recherche sont très influencés par les marchés ; est-ce le cas en ce domaine ?

M. Etienne-Emile Baulieu : La recherche médicale devrait être détachée de cette considération ; on ne cherche pas pour faire de l'argent. Un certain nombre de problèmes graves, qui nous pressent, se posent actuellement à la société moderne. Il conviendrait que des recherches soient menées au sein d'une institution internationale - non pas humanitaire au sens strict du terme - mais une institution dotée de moyens financiers, peut-être liée à l'OMS. En tout état de cause, il faut une aide publique, car ce type de recherche n'est pas rentable et n'intéresse donc pas les grands groupes privés.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il faut replacer le problème du RU 486 dans un débat plus large sur la place de la recherche aujourd'hui en France et en Europe.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : En quelle année l'Agence européenne du médicament a-t-elle donné son feu vert ?

M. Etienne-Emile Baulieu : L'année dernière.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Second point, vous nous avez dit que le RU 486 pourrait être utilisé pour la contraception d'urgence, en lieu et place du Norlévo. Pouvez-vous nous donner plus d'explications ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons toujours entendu dire que le Norlévo était non pas un abortif, mais un contraceptif.

M. Etienne-Emile Baulieu : Le Norlévo est effectivement un progestatif - c'est une progestérone -, donc le contraire d'un abortif. L'idée du professeur Pincus était de se servir de la progestérone prématurément dans le cycle, afin de bloquer l'ovulation ; c'est ce que peut faire le Norlévo s'il est donné à temps. De plus, si l'on donne de la progestérone au moment où l'_uf est fécondé et commence à descendre le long de la trompe, on modifie la muqueuse de l'utérus et l'implantation devient alors impossible - ou elle sera de mauvaise qualité. Tel est l'effet du Norlévo, qui est d'ailleurs bien toléré. Et l'on parle de pilule contraceptive car, si vous vous souvenez de ce que je vous disais tout à l'heure, avant le 22ème jour, il y a fécondation, mais pas implantation, donc pas de grossesse ; il s'agit donc bien d'une contraception.

La contraception d'urgence est une notion non pas biologique, mais comportementale. Dans le cas où il y a eu un rapport avec possibilité de fécondation, la prise de Norlévo va, d'une part, bloquer l'ovulation, s'il en est encore temps, et/ou, d'autre part, modifier la muqueuse de l'utérus pour que l'implantation ne puisse se faire ; il n'y aura donc pas de grossesse. Et le cycle suivant sera tout à fait normal, le trouble n'étant que passager.

Un procédé, qui porte le nom d'un gynécologue canadien, M. Yuzpe, consiste à donner une pilule contraceptive contenant _strogène et progestatif en assez grande quantité dans les heures qui suivent le rapport ; aucune loi ne réglemente cette méthode.

Le RU 486 est, quant à lui, un anti-progestérone ; le même résultat qu'avec le Norlévo ou le procédé de Yuzpe - on empêche l'utérus de se préparer à la nidation -est ainsi obtenu avec un produit différent.

Une étude a été menée en Suède : des femmes volontaires ont pris le RU 486 systématiquement, au 20ème jour du cycle. A cette date, une dose de l'ordre de 10 milligrammes est suffisante ; ce qui est loin des doses administrées pour une IVG, qui vont de 200 à 600 milligrammes.

Entre le 22ème et le 28ème jour du cycle, donc dans la deuxième période de la phase post-ovulatoire, une dose de 10 milligrammes aura plus d'effets que le Norlévo. Mais nous sommes là dans une période que certains déterminent comme correspondant au début de la grossesse ; par conséquent des polémiques peuvent avoir lieu. Il convient de tenir compte de l'irrégularité des règles : certaines femmes peuvent se trouver dans la deuxième période, au moment de l'administration du RU 486, qui sera alors plus efficace que le Norlévo.

Cette période - entre l'ovulation et les prochaines règles - que j'ai appelée "contragestion", c'est-à-dire contre la gestation, est concernée par toutes les méthodes qui interrompent le processus menant à la grossesse. Il s'agit donc de méthodes contragestives.

Je vous conseille de vous procurer les documents de l'OMS qui prouvent la meilleure efficacité du RU 486, et de mettre en discussion une étude sur cette question. D'aucuns vous répondront que si l'on dispose de pilules de 10 milligrammes, certaines femmes prendront des doses de 20 milligrammes pour pratiquer elle-même une IVG. Certes, mais des personnes se suicident bien avec de l'aspirine !

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu M. Lucien Neuwirth, sénateur.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans le cadre de notre rapport d'activité et à l'occasion de la révision des lois sur l'IVG et la contraception, nous prenons conscience, monsieur le sénateur, qu'il convient de reprendre globalement ce sujet. Nous désirions donc vous entendre afin de faire avec vous le point de trente ans de législation sur la contraception et de savoir ce qu'il vous semblait nécessaire d'adapter aux réalités de notre époque. Nous avons, au cours de débats antérieurs, et notamment au cours du colloque que nous avons organisé fin mai et auquel vous avez assisté, posé le problème de l'accès à la contraception pour les mineures, celui de la publicité en matière de contraception, autant de problèmes que nous souhaiterions aujourd'hui évoquer avec vous. Quelle est votre analyse de la législation après trente ans d'application et quelles modifications vous semblent s'imposer ?

M. Lucien Neuwirth : Madame la Présidente, je vous remercie de votre invitation à venir vous parler d'un sujet qui n'a jamais cessé de m'intéresser.

D'abord, je soulignerai une première évidence : le monde évolue tous les jours ainsi que les comportements, les habitudes et les moeurs et il est clair que nous ne pouvons pas accepter de nous réfugier dans une situation à tout jamais figée.

Mon souci, en ce qui concerne la contraception, est de faire en sorte qu'elle remplisse sa mission et je dois dire que, pendant des années, j'ai dû hurler dans le désert, estimant que l'information n'était pas faite comme elle aurait dû l'être, non seulement pour les filles mais également pour les garçons, à qui il convient de signifier qu'en la matière, ils ont, eux aussi, une part de responsabilité.

A ce propos, un souvenir personnel m'a beaucoup marqué. Il remonte aux années soixante-dix quand Edmond Michelet se trouvait avoir en charge la censure cinématographique. Il m'avait appelé pour connaître mon jugement sur le film Helga, un documentaire fabuleux sur le développement du foetus qui se terminait par une scène d'accouchement que certains jugeaient choquante. Je me suis fait accompagner par des jeunes à la projection de ce film et je dois dire que leurs réactions ont été assez extraordinaires puisque, après avoir assisté à la scène de l'accouchement, qui était assez forte pour un jeune homme, le premier adolescent que j'ai interrogé m'a dit : « Pour moi, une surprise-partie, cela ne sera plus jamais pareil... », tandis que le second s'est extasié : «  Ah, monsieur, c'est quand même formidable la vie ! ». J'ai alors pris conscience que ce style d'enseignement était au moins aussi nécessaire pour les garçons que pour les filles.

Sur l'information des filles, j'avais d'ailleurs été déjà largement impressionné par une femme remarquable qui avait en charge la protection maternelle et infantile de la région parisienne et qui me faisait visiter un hôtel maternel recueillant les jeunes « filles-mères ». Je demandais à l'une d'elles, qui n'avait guère plus de quatorze ans, si elle ne savait pas qu'elle pouvait tomber enceinte et cette dernière m'avait répondu «  Non, parce qu'on m'avait dit que pour avoir un enfant, il fallait coucher avec un homme, et que nous n'avons pas eu de rapport couchés mais debout dans les escaliers de notre HLM ... ». Je suis resté stupéfait !

Cette même personne m'avait déclaré qu'elle était scandalisée par le nombre d'institutrices qui disaient voir arriver en classe des petites filles blêmes au motif qu'elles avaient leurs règles sans même avoir été averties par leur mère que ce phénomène devait survenir. Figurez-vous qu'il y a moins de deux ans j'ai, à mon tour, rencontré une institutrice qui m'a dit la même chose, à savoir qu'une de ses élèves avait été extrêmement traumatisée d'avoir eu ses règles sans savoir ce qui lui arrivait.

J'insiste donc sur cette nécessité d'information, car il me semble qu'il faut sensibiliser tous ceux qui vont être ou sont déjà des parents. C'est facile de dire à une petite fille pubère qu'elle va devenir une femme et pouvoir avoir des bébés : c'est normal la procréation ; il n'y a rien de plus normal et si nous en sommes arrivés là où nous sommes, c'est uniquement parce que l'information a été insuffisamment faite dans ce domaine.

Puisque nous allons parler de contraception d'urgence, je tiens à attirer votre attention sur un autre problème qui me touche beaucoup : si la question des enfants mineurs se pose à certains, cela s'explique en grande partie par une carence de communication au sein des familles. Si tel n'était pas le cas, les petites filles dont nous avons parlé ne se seraient pas trouvées dans la situation qui était la leur, car elles auraient été averties par leur mère qui les aurait mises en garde contre le risque de se trouver enceintes.

Nous avions créé une structure, le Conseil supérieur de l'information sexuelle, qui possédait une caractéristique à laquelle j'avais tenu tout particulièrement : y siégeaient des représentants des corps intermédiaires, c'est-à-dire aussi bien les syndicats ouvriers que les autres syndicats, ainsi que des représentants de toutes les familles et de toutes les religions. J'estimais, en effet, qu'il fallait passer par ces canaux pour faire de l'information en réglant, non pas les récepteurs sur les émetteurs mais bien l'inverse, c'est-à-dire en parlant le même langage que celui pratiqué par chaque catégorie sociale.

La formule a particulièrement bien fonctionné pour le milieu rural : l'association des familles rurales s'est vraiment « mise en quatre » pour faire en sorte que les choses aillent au mieux.

Ensuite, est venue cette longue période où l'on n'a plus fait d'information, avant d'y revenir notamment avec Bernard Kouchner, qui a eu le mérite d'essayer de faire repartir la machine.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Madame Roudy l'y a beaucoup incité...

M. Lucien Neuwirth : C'est vrai !

Mme Yvette Roudy : Cela remonte à 1981, et nous n'avons toujours pas de système permanent d'information, qui soit, en quelque sorte, banalisé, intégré dans notre culture, comme un élément naturel et normal, partout où il y a des jeunes, que ce soit à l'école ou ailleurs. Cela manque. Pendant deux ans, on a répété que l'on allait faire une campagne sur la contraception, sans jamais y parvenir. En réalité, nous nous laissons beaucoup trop freiner par ceux qui y sont opposés. Il faut réussir à banaliser l'information et à l'intégrer dans la norme.

M. Lucien Neuwirth : Pour ce faire, il faut, à mon sens, repartir par les canaux naturels de diffusion que sont les représentants des syndicats, les associations familiales et autres, car il n'y a rien, je le répète, de plus naturel que la procréation.

Je crois qu'il est fondamental de parvenir à cette banalisation de l'information que j'ai souhaitée et qu'on a instaurée dans d'autres domaines, tels que celui de la douleur.

Le grand problème qui se pose, comme l'a souligné fort justement Mme Yvette Roudy, est d'ordre culturel. Il faut réussir à se convaincre que toutes les familles ne sont pas identiques : il y a les familles soudées et les familles monoparentales, au nombre de 1 200 000 rien que pour la France.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Elles ne sont pas pour autant éclatées...

M. Lucien Neuwirth : Non, bien sûr !

J'en arrive aux responsabilités par rapport au sujet qui nous intéresse, car il y a un problème culturel qui tient aux relations avec les parents et à l'autorité parentale sur laquelle on s'est focalisé.

On a prétendu que, dans la loi de 1967, j'avais prévu qu'une autorisation des parents était obligatoire pour que les médecins puissent prescrire des contraceptifs : c'est faux ! Cela ne figure nullement dans la loi mais dans l'article 371-1 du code civil qui dit «  L'enfant doit rester sous l'autorité des parents jusqu'à sa majorité ou son émancipation », et dans l'article 371-2 qui stipule « L'autorité appartient aux père et mère pour protéger l'enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité. Ils ont, à son égard, droit et devoir de garde, de surveillance et d'éducation. ».

Ce qui, en revanche, figurait dans la loi c'était la distribution par les centres de planification ou d'éducation familiale de produits et objets contraceptifs aux mineurs : c'est ce que l'on a appelé la « petite loi » de 1974.

Je pense qu'il y a un vrai problème en ce qui concerne la prescription médicale : en effet, les hormones ont des conséquences sur les individus, et beaucoup plus sur les enfants en formation que sur une femme déjà formée. Une prescription médicale me paraît donc nécessaire pour qu'un médecin puisse s'assurer qu'il n'y ait pas de contre-indications à la prescription des contragestifs qui ont la particularité de contenir des hormones : ils empêchent la nidation par des moyens chimiques mais ont, en plus, une action hormonale. Or, de mon point de vue, c'est cette action hormonale qui vient compliquer les choses et il nous faut y être attentifs.

Le Norlévo, mis à part son léger apport d'hormones, n'a pas d'autres effets que ceux du stérilet dont l'usage est tout a fait défini et reconnu par la loi et qui ne suscite aucune polémique. Il empêche la gestation : il s'agit d'un contragestif et de rien de plus, même si, à son propos, on peut parler de contraception d'urgence puisque son action intervient après le rapport, plus exactement après la fécondation de l'ovule, mais avant la nidation, c'est-à-dire avant la formation du f_tus.

Je pense que tout cela pourra s'énoncer assez clairement lors du débat au Parlement. Le problème qui perdurera et sur lequel les médias vont braquer leurs projecteurs reste celui de l'autorité parentale.

Faut-il aller jusqu'à envisager une majorité sanitaire à partir de 16 ans ou retenir d'autres formules ? Le débat est très largement ouvert.

Pour l'instant, en ce qui me concerne, je n'ai pas terminé ma réflexion et c'est pourquoi je suis ravi d'être parmi vous aujourd'hui pour entendre vos questions et finir de me convaincre moi-même sur ce problème de la contraception.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La question qui est posée, monsieur le sénateur, est de savoir si les filles et les garçons ont à demander l'autorisation parentale en ce qui concerne leur sexualité.

Aujourd'hui, une fille - je parle des filles puisque ce sont elles qui portent encore l'essentiel de la responsabilité en matière de contraception et ont à mener à terme une grossesse - peut se procurer des moyens de contraception dans un centre de planification ou d'éducation familiale, sans l'autorisation de ses parents.

En posant le problème de l'autorisation parentale pour la contraception, il convient de se demander si cela correspond à nos pratiques « sociétales » : les filles demandent-elles à leurs parents l'autorisation d'avoir, ou non, une sexualité ? Il me semble qu'en pratique, la réponse est plutôt négative : elles en discutent certainement quand elles le peuvent avec leurs parents, mais nous ne sommes plus à une époque où les filles et les garçons demandent à leurs parents l'autorisation d'avoir une relation sexuelle.

Mme Roselyne Bachelot : Elles ne l'ont jamais demandée.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Effectivement, j'ai le sentiment qu'elles ne l'ont jamais demandée. Est-ce qu'à partir de là on décide que les mineures ont besoin de l'autorisation parentale pour avoir accès à la contraception, ou que, puisqu'elles font un certain nombre d'actes en toute conscience, il faut leur donner les moyens de se prémunir contre un certain nombre de risques, que ce soit en matière de grossesse, de sida ou de MST ?

Mme Danielle Bousquet : Dans votre loi, vous aviez envisagé qu'un centre de planification ou d'éducation familiale puisse délivrer librement une contraception à une mineure sans que soit évoquée nulle part la question de l'autorisation parentale.

En conséquence, je ne comprends pas la démarche qui est aujourd'hui la vôtre et qui vous amène à dire que cette question se trouvera au coeur du problème, en particulier au niveau des médias. En effet, votre loi, qui a maintenant déjà plus de vingt ans, résolvait ce type de problèmes. Puisqu'à l'époque ils n'ont pas posé de difficultés particulières, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas envisager, par analogie, que ce qui a été accepté en 1974, puisse être reconduit sans difficulté aujourd'hui.

M. Lucien Neuwirth : Mes propos précédents allaient un petit peu plus loin puisque je pensais déjà à la distribution du Norlévo et à la contraception d'urgence, mais il est évident que, selon moi, le pire qui puisse arriver à une jeune fille est de débuter dans la vie avec une IVG : il faut tout faire pour éviter cela !

Mme Danielle Bousquet : Mais pourquoi pensez-vous que, maintenant, cette question va poser plus de problèmes qu'en 1974 où l'existence des centres de planification et la possibilité d'y prescrire des contraceptifs n'a provoqué que l'agitation d'un petit nombre de personnes ?

M. Lucien Neuwirth : Toute la confusion vient du problème posé par la possibilité de délivrance de contraceptifs d'urgence par les infirmières scolaires. Pourtant, dans d'autres domaines, cette solution existe déjà : les médecins chefs de service établissent des protocoles, pour permettre, en leur absence, aux infirmières de remplir certains actes qu'elles ne pourraient pas assumer autrement. J'en veux pour exemple le décret qui permet aux infirmières d'intervenir à la place du médecin dans certaines situations spécifiques d'urgence : il est appliqué notamment en établissement hospitalier pour le traitement de la douleur.

Une circulaire du 11 février 1999, prise en application d'un décret du 15 mars 1993, relative aux actes professionnels et à l'exercice de la profession d'infirmière et d'infirmier, précisait ainsi que, face à une situation d'urgence et dans le cadre d'un protocole de soins déterminé par circulaire, les infirmiers étaient habilités à accomplir des actes non autorisés auparavant, pour permettre de soulager les patients souffrant atrocement.

Il est donc possible de prévoir un article additionnel qui préciserait que, face à une situation d'urgence, dans le cadre d'un protocole de soins déterminé par circulaire, les infirmières scolaires sont habilitées à délivrer des moyens contraceptifs.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je tiens à dire que les six mois de mise en circulation du Norlévo montrent que tous, aussi bien les parents, les infirmiers, les responsables de l'Education nationale ainsi que les jeunes, ont fait preuve d'une très grande responsabilité.

Mme Roselyne Bachelot : Pour que les choses soient bien claires dans le débat, je m'empresse de dire que je suis naturellement, depuis fort longtemps, une militante de la suppression totale de l'autorisation parentale, tant en ce qui concerne la contraception que l'avortement.

Pour autant, M. Lucien Neuwirth vient de soulever un vrai problème concernant le code civil. Je crois qu'il faut le prendre avec beaucoup de sérieux sur le plan juridique pour ne pas risquer, ensuite, de voir le texte annulé lors d'un quelconque recours. Il faut donc bien voir que dans notre code civil la responsabilité sanitaire et morale d'un mineur incombe à ses parents et donc parvenir à étudier la question de manière très complète.

M. Lucien Neuwirth vient d'évoquer la possibilité d'une éventuelle responsabilité sanitaire à seize ans. Cela me paraît contestable sur le plan éthique ; ensuite, selon moi, la suppression de l'autorisation parentale devrait valoir aussi bien à quinze ans qu'à quatorze ans. C'est une question de dignité, de liberté de son corps.

M. Lucien Neuwirth : Egalement de maturité !

Mme Roselyne Bachelot : Une telle mesure ne fera que reculer les difficultés !

Certains se sont battus en faveur d'une piste très intéressante, mais qui demanderait une réflexion plus approfondie, en proposant une sorte de statut de la prémajorité. On pourrait imaginer un texte ample qui définirait des droits et éviterait la rupture brutale qui existe maintenant entre dix-sept ans et onze mois où l'on a aucun droit et dix-huit ans et un jour on les a brutalement tous. Cela étant, une telle réflexion allongerait beaucoup nos travaux et présenterait peut-être l'inconvénient de retarder les solutions sous prétexte de mieux faire : à force de vouloir faire mieux, on finit souvent par ne rien faire. Je me demande donc si la bonne piste ne serait pas de considérer que ces dispositions du code civil contreviennent à celles de la Convention des droits de l'enfant qui définit des droits de liberté et d'identité.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans la législation actuelle, outre cet article du code civil qui est fondamental, nous avons toute une série de textes qui, d'ores et déjà, accordent aux mineurs certaines libertés dont la jouissance de leur corps à partir de quinze ans. Je vous rappelle, en effet, qu'à partir de cet âge, il n'y a plus de poursuites pour détournement de mineur. La loi reconnaît également déjà aux mineurs une certaine vie sexuelle, ainsi que le droit d'être entendu par le juge dès l'âge de treize ans.

Mme Roselyne Bachelot : Je pose le problème sur un plan technique et juridique de façon à éviter de nous trouver face à un recours s'appuyant sur le fameux article 371 du code civil. Il faut essayer de contourner l'obstacle.

Mme Yvette Roudy : Il y a la loi, les textes, mais il y a la vie ! Si la discussion qui nous réunit aujourd'hui a lieu, c'est parce que le problème des grossesses précoces nous a explosé au visage et qu'il a conduit, dans un certain désordre et une certaine improvisation, le législateur à intervenir.

Je souhaiterais donc partir des faits en rappelant que force est de constater que, dans notre société, c'est de plus en plus jeunes que les jeunes filles ont des enfants.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'âge moyen du premier rapport sexuel n'a pas bougé : il reste à dix-sept ans.

Mme Yvette Roudy : Les rapports de l'ONU rapportent que, globalement, les maternités sont de plus en plus précoces et c'est pourquoi il est demandé de faire davantage d'information à l'école et dans les lieux fréquentés par les jeunes.

L'idée selon laquelle les enfants doivent naturellement se tourner vers leurs parents est tout à fait sympathique, mais on s'est aperçu qu'en pratique elle ne fonctionne pas toujours, et c'est un euphémisme, puisqu'il y a même des cas où les enfants ne se tournent surtout pas vers leurs parents.

Par conséquent, lorsqu'un adolescent se trouve dans une situation où il a besoin de parler, envie de communiquer, il faut qu'il y ait des lieux et des personnes qu'il connaisse, qu'il puisse identifier, dont il puisse s'assurer de la discrétion et en qui il puisse avoir confiance, ce qui n'existe pas encore chez nous. Si l'on parle tant des infirmières c'est que, par la force des choses, elles sont dans de nombreux cas amenées à jouer ce rôle. Maintenant, sont-elles prêtes, formées et sommes-nous en droit d'attendre cela d'elles ? Je l'ignore.

Je crois que, dans nos propositions, nous devrons penser à ces lieux, à ces personnes vers qui l'adolescent, garçon ou fille, doit pouvoir aller s'informer et poser des questions. Il s'agit d'information sexuelle générale, actuellement dispensée par des personnes qui ne sont pas forcément préparées, parce qu'elle n'a pas encore été vraiment prise au sérieux dans notre pays.

Il faudrait maintenant se saisir du problème à « bras-le-corps », si j'ose dire, et voir avec les personnes qui ont réfléchi à la question, quelle est la structure à prévoir pour le résoudre.

La médecine, la science ont prévu des moyens : il faudra demander aux juristes d'adapter les textes mais encore faut-il pour cela que nous sachions ce que nous voulons, nous, obtenir. Il s'agit, avant tout, d'une question de volonté politique.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je suis tout à fait d'accord avec votre proposition sur la création de lieux d'information permanents et identifiables pour les jeunes. On en a d'ailleurs bien vu la nécessité en tirant le bilan de la campagne nationale d'information sur la contraception qui a été conduite durant l'hiver 2000.

Cela étant, je voudrais revenir sur l'intervention de Mme Roselyne Bachelot car, concernant l'arrêt du Conseil d'Etat portant sur le Norlévo, les attendus font simplement état de la distribution par l'infirmière. Donc, l'aspect de la question que vous avez soulevé se trouve résolu. 

Mme Roselyne Bachelot : Mais, comme c'était un acte administratif, l'affaire n'a été traduite que devant le Conseil d'Etat et non pas devant le Conseil constitutionnel.

Mme Nicole Catala : On ne peut pas imaginer de supprimer les dispositions précitées du code civil. Cela reviendrait à déresponsabiliser les parents, dont on sait que dans certaines familles ils sont déjà défaillants. Quand on a abaissé la majorité à dix-huit ans, certains parents ont dit à leurs enfants de prendre la porte et de se débrouiller : cela a été fréquent. 

M. Lucien Neuwirth : Il y a un autre problème qui commence à m'angoisser : depuis un certain temps, on me demande de faire des conférences sur la Résistance -que je connais bien puisque j'y suis entré à l'âge de seize ans- devant des élèves qui préparent en fin d'année des dissertations sur le sujet. Or, je suis frappé par la boulimie des questions qui me sont posées : j'ai le sentiment que, sur ce sujet comme sur d'autres, la communication passe de moins en moins entre parents et enfants. Elle commence à se rétablir entre grands-parents et petits-enfants mais, entre parents et enfants, le silence est terrible. Je suis frappé de constater qu'il n'y a plus entre parents et enfants la communication qui existait auparavant.

Il nous faut donc peut-être nous saisir du problème pour proposer aux enfants des lieux où ils pourraient parler et être écoutés. L'écoute est absolument nécessaire, d'où l'engouement pour l'Internet où l'on peut échanger et communiquer. Il y a un important besoin de communication qui n'est pas satisfait.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Monsieur le sénateur, dans la loi de 1967, la publicité sur la contraception est interdite. Que pensez-vous, avec le recul, de cette disposition ?

M. Lucien Neuwirth : On peut procéder à un nettoyage et à un élagage de la législation, dans la mesure où des renseignements, aujourd'hui donnés par téléphone, voire par Internet, pourraient, si on tombait sur un magistrat sourcilleux, donner lieu à poursuites. Ce qui est uniquement mis en cause par l'article 5 de la loi, c'est la publicité commerciale concernant les contraceptifs en dehors des revues médicales.

Mme Roselyne Bachelot : De toute façon, cela renvoie à un autre problème, à savoir que la législation de la sécurité sociale interdit de faire de la publicité pour des produits remboursés, puisqu'on n'a pas le droit d'inciter à des dépenses remboursées par la sécurité sociale. En conséquence, pour tout ce qui touche aux contraceptifs remboursés, nous nous heurterons à des mesures qui ne sont pas d'ordre sanitaire, mais économique.

Mme Danielle Bousquet : Tous les contraceptifs ne sont pas remboursés.

Mme Roselyne Bachelot : Ceux qui sont au tableau relèvent d'une autre législation qui leur interdit de bénéficier de publicité puisqu'on n'a pas le droit de se les procurer sans ordonnance. La publicité ne peut donc s'exercer qu'en direction du corps médical.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Un certain nombre de contraceptifs sortent désormais sans contre-indication. Ce phénomène, que nous connaissons avec le Norlévo, nous risquons de le retrouver dans les années qui viennent avec des pilules contraceptives à prise régulière : ce sont des pilules qui, au vu de l'application de la directive européenne, pourront ne pas être obligatoirement prescrites par un médecin, mais également ne pas être remboursées par la sécurité sociale.

M. Lucien Neuwirth : J'estime qu'il faut prendre le problème de la contraception avec un certain calme, qu'il ne faut pas se crisper, mais l'étudier avec bon sens et sérieux et je suis convaincu que nous allons trouver la solution.

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