ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 26

(2ème PARTIE)

Mardi 14 novembre 2000
(Séance de 19 heures) (2ème partie)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition du professeur Bernard Glorion, président du Conseil national de l'Ordre des médecins

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu le professeur Bernard Glorion, président du Conseil national de l'Ordre des médecins

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui le professeur Bernard Glorion, ancien interne des hôpitaux de Paris, professeur des universités, chef du département de chirurgie pédiatrique du CHU de Tours pendant vingt ans et président du Conseil national de l'Ordre des médecins depuis 1993.

Vous venez de publier un livre : "Quelle médecine au XXIème siècle ? Il est temps d'en parler..." qui pose des questions fondamentales concernant la médecine et les médecins de demain. Vous y abordez entre autres, la réforme de l'enseignement médical, les défis technologiques et scientifiques auxquels sont confrontés les médecins, ainsi que les enjeux éthiques, en évoquant plus particulièrement la prise en compte de la fin de vie et du statut de l'embryon.

Notre Délégation vient d'adopter des recommandations sur le thème de l'IVG et de la contraception dans le cadre d'un rapport sur le projet de loi déposé par Mme Martine Aubry. Le débat sur ce texte est fixé aux 29 et 30 novembre prochain. Nous souhaiterions donc connaître votre appréciation sur l'ensemble du projet gouvernemental.

Puis, nous pourrons aborder d'autres questions qui ne sont pas strictement liées au projet gouvernemental, par exemple le problème de la stérilisation.

Professeur Bernard Glorion : Les propos que je vais tenir devant votre Délégation ne s'écarteront certainement pas de ceux tenus par mon collègue, le professeur Claude Sureau. En effet, l'Académie de médecine et le Conseil national de l'Ordre ont pour habitude, sur des problèmes de santé et de médecine, d'échanger leurs points de vue, l'Académie de médecine insistant plus sur les aspects scientifiques et le Conseil national de l'Ordre sur les aspects comportementaux et déontologiques.

Ma première remarque sur le projet de loi qui a été présentée par Mme Martine Aubry et qui a pour objet la prolongation du délai d'IVG sera la suivante. Il est, bien entendu, hors de question de discuter le principe lui-même, car la loi sur l'interruption volontaire de la grossesse, votée en 1975, avait pour objectif d'aller au secours d'un certain nombre de femmes qui se trouvaient en situation difficile ou de détresse.

Malheureusement, non seulement ces situations existent toujours, mais nous nous sommes aperçus qu'en raison de la brièveté du délai et pour d'autres raisons multiples et variées, lorsque certaines femmes se présentaient dans des centres d'orthogénie, elles n'étaient pas acceptées, car elles avaient dépassé le délai légal. Leur seul recours était donc de se rendre dans des pays étrangers voisins.

Il faut donc permettre à ces femmes d'accéder à l'IVG. C'est pourquoi j'insiste sur le fait que le Conseil national de l'Ordre des médecins n'émet aucune objection ou opposition quant à la prolongation du délai.

Le problème qui se pose concerne les problèmes médicaux que cet allongement du délai peut générer. J'ai fait toute ma carrière en qualité de chirurgien pédiatrique et chef d'un département de chirurgie pédiatrique. J'ai donc eu le bonheur d'être en contact avec des enfants qui ne souffraient pas de maladies trop graves, car j'ai été principalement confronté à des problèmes de type orthopédique. Je n'ai donc aucune expérience personnelle de la prise en charge des femmes enceintes, ni de la situation dans laquelle elles se trouvent face à l'IVG, ni des problèmes que peut leur poser une telle intervention.

J'ai eu connaissance du rapport de l'ANAES, demandé par Mme Martine Aubry. Il est certain que lorsque l'on passe d'un délai de dix à douze semaines de grossesse, on se trouve paradoxalement dans une situation très différente, puisque les techniques d'IVG utilisées ne sont pas les mêmes. Nous souhaitons souligner publiquement que les femmes doivent être informées que cette IVG, passée la dixième semaine, va devenir un acte médical différent de celui qui est fait auparavant. Il nécessite un environnement particulier, des conditions matérielles et des moyens, ainsi que du personnel formé.

Cet allongement ne fait pas obstacle à la réalisation de l'acte, mais il convient, dans un esprit de transparence et de franchise, d'informer les femmes des changements que cela suppose. De plus, des moyens doivent être mis à disposition, dans les centres d'IVG, afin que les interventions aient lieu dans les meilleures conditions possibles.

Plus on avance dans la grossesse, plus une IVG risque d'entraîner des complications. Il faut savoir les prévoir et faire en sorte que cet acte ne soit pas générateur de complications. Il est indispensable d'insister sur ce point, car certains considèrent cet allongement de deux semaines comme ayant peu d'importance. Or, selon les accoucheurs et les embryologistes, cette période semble être déterminante dans la croissance.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous reviendrons sur ce point dans le cours du débat, car nous avons entendu de nombreux avis divergents de la part d'accoucheurs ou de gynécologues-obstétriciens. La Délégation a d'ailleurs auditionné le professeur Charles Roux, embryologiste, afin de savoir à quel moment se fait le passage de l'embryon au f_tus - il semblerait que ce soit à huit semaines - et si l'on observe des sauts qualitatifs importants entre dix et douze semaines.

En fait, le développement se fait dans un continuum et, au cours des sept mois de grossesse qui restent, on observe en permanence des progrès quantitatifs et qualitatifs. Toutefois, il est difficile d'affirmer, que c'est à huit, dix ou douze semaines qu'un processus se termine et qu'un autre commence. On n'observe pas de saut qualitatif particulier entre dix et douze semaines.

Professeur Bernard Glorion : Je vous ai indiqué que je ne rentrerai pas dans ce débat. Je ne me suis pas placé sur le plan de l'embryologie, mais sur celui de la femme, qui ne doit pas subir le préjudice d'une IVG faite dans des conditions qui ne soient pas bonnes. Mon intervention se situe sur le plan d'une intervention médicale ou chirurgicale. Dès lors qu'il y a dilatation du col et qu'il faut procéder à un curetage, la situation est différente. J'ai gardé de mes années d'internat un mauvais souvenir des curetages dus aux avortements criminels. Chaque garde en pratiquait sept ou huit dans des conditions épouvantables.

Il est certain que la grossesse se situe dans un continuum. L'embryon devient f_tus et grandit très régulièrement. Il n'est donc pas le même à la huitième semaine et à la dixième. Toutefois, l'élément sur lequel je suis catégorique est que la prolongation du délai d'IVG doit s'accompagner d'une vigilance et d'une mise à disposition de moyens qui doivent éviter toute complication.

Si je me réfère à la déontologie médicale, dont je suis le garant, l'IVG, comme tout acte médical, doit être pratiquée dans des conditions très précises, à la fois scientifiques et matérielles. Il ne faut pas prendre de risques inutiles, sinon la femme doit en être informée. Dès lors qu'elle se présente dans les délais prévus par la loi, elle doit être informée des risques encourus. Si certaines informations lui ont laissé entendre que c'est un acte tout à fait simple, il faut l'informer que dans ces conditions, cet acte n'est peut-être plus aussi simple.

Je tiens à souligner, avec beaucoup de conviction, à l'occasion de ce débat, que l'IVG est une situation d'échec qu'on ne devrait pas, dans notre société, accepter aussi facilement. En effet, on oublie trop la contraception. Pourquoi pratique-t-on encore deux cent mille IVG par an, alors que scientifiquement, socialement et médicalement, on sait que la contraception orale est très performante, qu'elle ne génère pratiquement aucune complication et que ses contre-indications sont limitées ?

A propos de contre-indications contraceptives et puisque vous avez mentionné la stérilisation, je voudrais vous rappeler que nous avons obtenu, avec le professeur Claude Sureau, une modification du texte concernant la stérilisation. Les femmes, qui ne peuvent bénéficier de la contraception orale, peuvent avoir recours à la contraception mécanique, pour un motif médical et non plus thérapeutique. Notre souci, dans la maîtrise de la reproduction, est donc d'utiliser les moyens les plus simples, tout en étant les plus efficaces et les moins invasifs pour les femmes. Or, l'IVG ne fait pas partie de ces moyens simples.

Je voudrais insister - et je le ferai publiquement - sur le fait qu'il est très bien de donner la possibilité aux femmes de pouvoir faire une IVG lors d'une grossesse non désirée dans des conditions dramatiques. Etant père de six enfants, ce sujet m'a toujours intéressé. Je suis de la génération qui a connu la période de pré-contraception. Je suis très attaché à la mise en place d'une maîtrise de la reproduction, mais dans des conditions qui, pour les femmes, soient plus acceptables que l'échec représenté par une IVG. C'est ma perception en tant qu'homme, mais les hommes ne sont pas les mieux placés pour percevoir ce problème propre aux femmes.

La notion de contraception orale doit être introduite très tôt dans l'éducation sanitaire et sexuelle des jeunes filles. Elle doit l'être notamment s'agissant des mineures.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Un des n_uds principaux du débat tourne autour du risque d'eugénisme. Avez-vous une réflexion à nous apporter sur ce sujet ?

Professeur Bernard Glorion : Dans le cadre de ma spécialité, j'ai été amené à accompagner des mères dont les enfants étaient porteurs de malformations congénitales décelées par échographie au cours de la grossesse. On peut aider ces mères à ne pas prendre la décision d'une IVG lorsque sont décelées des anomalies congénitales très importantes, mais curables.

Bien entendu, on pourra toujours me rétorquer que je ne sais pas ce que c'est que d'avoir un enfant mal formé ; néanmoins j'en ai soigné un grand nombre. Interrompre la grossesse, sous prétexte que l'enfant a un doigt surnuméraire ou un pied déformé, mérite réflexion. La chirurgie permet la correction de quantité d'anomalies. Si on va trop loin, il y a alors des risques d'eugénisme.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous vous situez bien dans le cadre de l'IMG, dans les cas de malformations du f_tus et de la zone d'incertitude qu'il y a entre l'incurable et le curable ?

Professeur Bernard Glorion : Deux facteurs importants sont à prendre en considération : l'incertitude et l'obligation d'information.

S'agissant de l'incertitude, on a parfois des surprises. On sait que le pourcentage des faux positifs ou des faux négatifs est très important dans l'échographie f_tale, technique qui nécessite une grande habitude. C'est pourquoi j'ai demandé que les échographies f_tales ne soient effectuées que par des spécialistes.

Chaque année, lors du congrès de la société de médecine f_tale, auquel je suis régulièrement invité, ces sujets très importants font l'objet de débats. En effet, annoncer à une mère l'existence d'une malformation qui n'existe pas ne revêt pas le même caractère de gravité que lui annoncer qu'il n'y a pas de malformation alors qu'il y en a une.

S'agissant de l'obligation d'information, c'est une situation très difficile sur laquelle on ne peut légiférer. Par exemple, pour protéger l'enfant mal formé que l'on sait pouvoir traiter, doit-on l'annoncer à la mère qui va immédiatement demander une IVG ? Les médecins, confrontés à cette situation, ont le sentiment que les décisions doivent se prendre au cas par cas, avec un dialogue franc avec les parents et une volonté de les accompagner.

Je me souviens d'enfants ayant des anomalies décelées aux alentours de six mois. Je rencontrais régulièrement la mère, je lui expliquais ce que je ferai à la naissance, comment l'enfant serait appareillé, voire lui montrait un enfant victime d'une anomalie similaire. Cela permet de sauver des enfants désirés et de ne pas prendre le risque d'interrompre une grossesse, sans savoir si la suivante sera assurée.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Selon vous, le diagnostic prénatal n'est donc pas un simple geste technique ?

Professeur Bernard Glorion : Non, c'est un engagement très fort à la fois pour le médecin, la mère et la famille. Encore une fois, autant dans le cas d'un enfant que l'on dépiste comme anencéphale, je n'aurai aucune arrière-pensée, autant un enfant qui a un pied bot peut être opéré. Certains des enfants que j'ai opérés sont devenus des joueurs de football et sont très heureux dans la vie.

Même si parfois des enfants handicapés contestent le fait que leurs parents ont accepté de les faire vivre, ces enfants-là avaient le droit de vivre et de vivre bien. Si l'on suppose que la mère n'ait eu que deux enfants, dont il était le deuxième, qu'on le prie de s'en aller et qu'il n'y ait plus d'autres grossesses par la suite, je considère que c'est grave. Nous sommes là au c_ur du problème.

Il convient de repenser la place du diagnostic anténatal, dont les parents doivent être informés des incertitudes et des insuffisances. Dans ce diagnostic, qui appartient en premier lieu aux parents, le médecin doit néanmoins montrer sa volonté d'éclairer, d'accompagner et d'éviter une prise de décision trop rapide.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ces réflexions se développent parmi les échographistes.

Professeur Bernard Glorion : Les inquiétudes sont médico-légales en termes de responsabilité. Pour le bien de l'enfant et de la mère, on commence à avoir certaines notions qui permettent de dire ce qui est bon, mais il y a un risque majeur d'erreur par défaut. Cela débouche alors parfois sur des procédures, douloureuses pour les médecins, qui sont accusés de ne pas avoir vu l'anomalie ou informé les parents de celle-ci. Parfois les médecins se sont tus pour le bien de l'enfant et de la mère.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans certains cas aussi parce qu'ils ne sont pas compétents.

Professeur Bernard Glorion : C'est pourquoi j'ai insisté sur la compétence et la différence entre l'échographiste généraliste et l'échographiste f_tal. Ces derniers sont souvent des gynécologues ou des pédiatres qui se sont consacrés à l'échographie. Je maintiens - et j'en suis convaincu - qu'il faut être très sévère sur la qualité des échographistes car les renseignements donnés sont très importants pour les mères.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous vouliez nous parler des mineures.

Professeur Bernard Glorion : S'agissant de l'IVG, on imagine bien que c'est une situation dramatique pour une mineure de 14 ou 15 ans d'annoncer à ses parents qu'elle est enceinte. Il n'est pas nécessaire d'y ajouter des conflits durs. Le fait que la loi prévoit la possibilité d'avoir recours à un majeur me paraît la sagesse.

Une jeune fille peut se confier à un membre de sa famille, à une amie plus âgée qu'elle ayant peut-être eu une telle expérience. Néanmoins il est certain qu'elle aura besoin de se confier à quelqu'un et qu'elle ne pourra pas rester seule dans cette aventure. Ce sont surtout les plus jeunes, celles qui ont 13 ou 14 ans, qu'il faut accompagner.

C'est une modalité qu'il faut accepter, car l'annonce d'une grossesse aux parents peut détruire une famille ou, au contraire, resserrer les liens, si les parents ont bien accompagné leur fille.

Il convient de prévoir, dans le dispositif légal, que l'IVG peut avoir lieu si la jeune fille en manifeste le désir et s'en ouvre à une tierce personne. Il existe pour les mineures le délai de réflexion et la consultation préalable. Elle peut se confier à un médecin, mais l'intervention d'une tierce personne, qui soit la caution morale et familiale de la jeune fille, est nécessaire.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Si je ne déforme pas votre propos, vous disiez donc qu'il était hors de question de discuter du principe lui-même de la loi IVG et de l'allongement du délai.

Professeur Bernard Glorion : On ne remet pas la loi en question. L'allongement des délais suscite simplement une réflexion nouvelle d'ordre purement médical, qui est la sécurité de l'acte. Cela est démontré par le rapport de l'ANAES.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous citez le deuxième rapport de l'ANAES, que nous n'avons pas encore entre les mains. Le premier rapport, qui traitait de la sécurité de la femme et qui a été publié au mois de février dernier, insistait sur le souci de vigilance auquel vous faisiez référence. Mais l'ANAES doit publier prochainement un deuxième rapport qui constitue plutôt un commentaire de la littérature existante.

Le premier rapport, publié en février 2000, avait été contesté par un certain nombre de médecins, car il stipule que, s'agissant de l'acte lui-même, la pratique n'est pas vraiment différente.

Professeur Bernard Glorion : Une étude a démontré, qu'entre dix et douze semaines, la situation était différente et que le taux de complication pouvait être supérieur. Même mécaniquement, on ne peut pas faire le même geste. Lorsque j'ai mentionné tout à l'heure la dilatation du col, il y a la dilatation ophilique et la dilatation mécanique.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Et la dilatation médicamenteuse.

Professeur Bernard Glorion : Oui, mais on peut également avoir recours à une dilatation mécanique. L'IVG peut se pratiquer par aspiration quand on se situe dans un délai raisonnable, mais pas au-delà. Il faut néanmoins reconnaître que les travaux scientifiques auxquels fait référence l'ANAES ont démontré que ce n'était pas exactement la même chose.

Mme Nicole Catala : Les risques sont accrus.

Professeur Bernard Glorion : C'est exact.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mais cela reste très marginal. Nous pourrons retrouver les chiffres dans le procès-verbal de l'audition de l'ANAES.

Professeur Bernard Glorion : Les responsables de l'ANAES sont les mieux à même de vous répondre car, pour notre part, nous n'avons pas fait les recherches bibliographiques et les travaux. De plus, l'ANAES a consulté des experts. Pour approfondir la réflexion et se baser sur la technique, il est préférable de s'adresser à ceux qui en ont l'habitude et qui ont fait des travaux sur ce sujet.

J'en tire simplement la conclusion que l'acte n'est pas rigoureusement le même. Reste à savoir si la différence est importante ou non, voire négligeable. Toutefois, en termes de médecine, ce n'est jamais négligeable. Notre devoir est de mettre les femmes à l'abri et de leur signaler, pour l'honnêteté de l'information, que l'acte n'est pas rigoureusement le même.

Mme Nicole Catala : Cet échange de vues m'amène à poser la question de savoir pourquoi la plupart des autres pays européens ont retenu le délai de douze semaines, s'il présente un risque supplémentaire.

Professeur Bernard Glorion : Ce n'est pas une réflexion médicale, mais un problème culturel, car certains pays vont au-delà de quatorze semaines. Il semblerait, pour les raisons que j'ai évoquées au début de cet entretien, qu'environ deux mille femmes ont dû se rendre à l'étranger, d'où la proposition d'allongement du délai. Mais après différentes réflexions et études, nous nous sommes aperçus que la nature de l'intervention n'était plus la même. C'est probablement le cas dans les autres pays. Ils ont certainement tenu le même discours que nous, en mentionnant que la proportion de complications ou d'accidents est faible ; mais il faut avoir l'honnêteté de le dire.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les Hollandais utilisent la même technique jusqu'à douze semaines de grossesse, mais ensuite effectivement ils la changent. Comme vous le disiez tout à l'heure, vous n'avez pas non plus situé le débat sur le plan de la technique, mais du droit.

Professeur Bernard Glorion : Oui, sur le plan du droit et de l'honnêteté intellectuelle. Avec cet allongement à douze semaines, peut-être la situation restera-t-elle la même, mais il faut faire attention. C'est pourquoi, dans les documents de l'ANAES et les réflexions que nous avons exprimées avec le professeur Claude Sureau, nous incitons les médecins à prendre des précautions.

Nous avons évoqué les installations, mais pas encore l'anesthésie, notamment chez les mineures. C'est pourquoi nous avons considéré que l'acte global d'IVG nécessitant une anesthésie générale chez les mineures devait être soulignée dans la loi, car elle nécessite l'autorisation des parents. Si on admet qu'il n'y a pas d'autorisation parentale pour l'IVG, il conviendra d'admettre qu'il n'y en aura pas non plus pour l'anesthésie. Il semblerait que la dilatation chimique entraîne des douleurs chez la femme et qu'il vaut mieux l'aider en pratiquant sous anesthésie ou analgésie. Ce n'est donc pas le même acte que la simple aspiration.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous avez évoqué votre réflexion sur le métier d'échographiste et la place que l'on doit donner au diagnostic anténatal dans le processus de grossesse. Par ailleurs, vous avez indiqué que vous considérez l'IVG comme un échec de la contraception.

Professeur Bernard Glorion : Sans être péjoratif, c'est un échec, car la contraception existe et est efficace.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je voulais revenir sur ce point, notamment sur l'étude qualitative de l'INSERM qui montre bien que nous avons une offre de contraception peu diversifiée.

Professeur Bernard Glorion : Nous en sommes à la pilule de la troisième génération.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Oui, mais toujours dans le même système, c'est-à-dire une pilule pendant vingt et un jours par mois et cela pendant trente ans. Il n'y a pas eu de progrès qualitatif concernant la contraception depuis le début de sa commercialisation, il y a une trentaine d'années. Sur ce point, avez-vous eu des réflexions ?

Professeur Bernard Glorion : Très honnêtement, non. Vous avez raison de signaler ce point. Les hommes ont peut-être tendance à dire que c'est facile de prendre une pilule. D'ailleurs, certaines personnes prennent des médicaments pendant un très long laps de temps.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Oui, mais la pilule ne concerne pas une maladie.

Professeur Bernard Glorion : Je suis d'accord, mais le mécanisme est le même. Ce que j'entends de votre part, c'est que la recherche est en retard. Pour autant, cela ne condamne pas la simplicité de la contraception orale. La preuve en est que pour les femmes qui l'utilisent bien, c'est tout de même d'une grande simplicité par rapport à l'IVG qui est un acte que l'on peut considérer comme étant limite.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Qu'en est-il de la stérilisation ?

Professeur Bernard Glorion : Nous avons eu, avec l'Académie de médecine, une réflexion commune que nous avons traduite dans les textes, à l'article 16-3 du Code civil. Dans cet article, a été substitué le terme médical à celui de thérapeutique.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Toutefois, lorsque nous en avons débattu avec le professeur Claude Sureau, il est apparu que, dans les faits, la situation n'a pas beaucoup changé. Un médecin a été condamné, il y a quelques mois par le Conseil régional de l'Ordre d'Aquitaine. Malheureusement, celui-ci n'a pas fait appel devant le Conseil national de l'Ordre.

Professeur Bernard Glorion : C'est dommage, car cela aurait donné lieu à une jurisprudence intéressante. Conjointement avec le professeur Claude Sureau, nous avons rédigé un communiqué en insistant sur le fait que la stérilisation pouvait venir au secours d'une contraception orale impossible. Il est préférable d'avoir recours à une stérilisation mécanique qu'à des IVG.

Mais, sur le plan médico-légal, la stérilisation est considérée comme une mutilation. Dès lors qu'il y avait stérilisation, conflit et procès, le médecin pouvait être condamné, sur le plan pénal et disciplinaire, pour avoir effectué une mutilation.

Mme Danielle Bousquet : D'où l'importance de l'encadrer et de légiférer.

Professeur Bernard Glorion : Tout à fait. Avec le professeur Claude Sureau, nous avons réfléchi qu'à côté de la contraception chimique, pourrait être acceptée une contraception mécanique. Nous avons alors estimé qu'une ligature des trompes faite avec le consentement éclairé de la femme...

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ou une vasectomie.

Professeur Bernard Glorion : Il est exact qu'il ne faut pas oublier la vasectomie qui est un geste beaucoup plus simple, en apparence.

Mme Danielle Bousquet : Vous êtes donc favorable à une législation sur la stérilisation volontaire comme acte de contraception.

Professeur Bernard Glorion : Nous avons publié avec le professeur Claude Sureau un communiqué ayant pour but de faire part de nos réflexions sur ce sujet.

Nous pensons qu'avoir recours, en l'absence de contraception orale, à des IVG n'est pas une situation tolérable. On peut donc envisager une stérilisation si la femme a déjà plusieurs enfants et qu'elle la décide volontairement, conjointement avec son mari. D'autant que la contraception mécanique, chez la femme, a un pourcentage de réversibilité, ce qui n'est pas le cas pour la vasectomie.

Mme Danielle Bousquet : Considérez-vous que le consentement éclairé doit être assujetti au fait qu'une femme a eu des enfants ?

Professeur Bernard Glorion : Il me semble difficile pour une femme, si elle n'a pas d'enfant, d'aller vers une stérilisation mécanique, car elle peut changer d'avis. Dans cette éventualité, les mères et les femmes peuvent être conseillées par leur médecin afin de ne pas prendre une décision trop rapidement. C'est pourquoi il convient également d'avoir un délai de réflexion.

Mme Danielle Bousquet : Pensez-vous que l'on pourrait intituler cela contraception mécanique, étant donné que le mot stérilisation fait peur ?

Professeur Bernard Glorion : Cela a l'avantage de répondre à la contraception orale. Même si le pourcentage de femmes qui ne tolèrent pas physiquement la pilule est faible, il est suffisamment important pour que l'on puisse avoir pensé y substituer autre chose. Or à la contraception orale ou chimique, on oppose la contraception mécanique.

Mme Danielle Bousquet : Je croyais que la contraception mécanique s'appliquait au diaphragme.

Professeur Bernard Glorion : On peut l'appeler contraception chirurgicale, mais c'est un terme un peu violent.

Mme Danielle Bousquet : Le terme de contraception mécanique me semble effectivement moins traumatisant que celui de stérilisation, qui est très connoté, mais j'ai peur qu'il y ait ambiguïté avec le diaphragme.

Professeur Bernard Glorion : Vous avez également le stérilet qui n'est pas un dispositif anodin.

Mme Nicole Catala : Quel est le pourcentage de femmes ayant recours au stérilet ?

Professeur Bernard Glorion : Il est très faible.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Aux environs de 15 %.

Mme Nicole Catala : Pourquoi pas plus ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Tout d'abord, le stérilet est tout à fait déconseillé aux primipares et ensuite, il peut provoquer des infections.

Professeur Bernard Glorion : Techniquement, je ne connais pas le sujet. C'est une méthode connue de longue date, mais qui n'est pas d'une grande commodité.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le taux de "réussite" est aux alentours de 95 %, un peu plus faible que celui de la pilule qui est de 98 %.

Mme Françoise de Panafieu : Un article du docteur Roger Bessis, échographiste, dans le journal Libération du 3 octobre exposait la différence entre IVG et IMG ; dans un cas, il existe un délai et dans l'autre, il n'y en a pas. Il redoutait ce problème de délai. Il lui semblait qu'en instaurant des délais fixes, on peut aboutir, à la suite d'une échographie, à des avortements au bénéfice du doute. Celui lui pose un vrai problème.

Professeur Bernard Glorion : Oui, parce que lorsque l'on découvre une anomalie, la première question à envisager est de savoir si c'est une anomalie grave incompatible avec la vie, une anomalie de moyenne gravité qui pourra être corrigée presque totalement par la chirurgie, ou une anomalie mineure. Il convient déjà de procéder à ce premier tri. Puis fondamentalement, il est nécessaire de déterminer s'il faut ou non le dire à la mère.

Mais l'honnêteté actuelle et la transparence font qu'on ne devrait pas ne pas en informer la mère. Néanmoins, même si on annonce à la mère que c'est une anomalie minime qui pourra être corrigée, elle a pris connaissance que son enfant était mal formé. C'est pourquoi les médecins se posent des questions. Par exemple, si on détecte in utero à six mois qu'un enfant a un pied bot, je suis personnellement serein parce que je sais qu'on pourra le corriger avec très peu de conséquences pour la vie de l'enfant. Mais quand la mère prend sa décision, elle doit être parfaitement informée et accompagnée. Sinon une mère fragile peut refuser d'avoir un enfant anormal.

Mme Danielle Bousquet : D'où l'importance du rôle de l'échographiste, du dialogue qu'il a avec la mère, et de l'engagement qu'il prend, vis-à-vis de cet enfant à naître, de procéder aux réparations.

Professeur Bernard Glorion : Je vais vous faire part de mon expérience. Je faisais partie d'une équipe pluridisciplinaire qui comprenait des accoucheurs, des échographistes, des généticiens, des pédiatres, des chirurgiens et des anesthésistes. Chaque mois, nous débattions autour des films d'échographies et nous nous répartissions le travail pour savoir, en fonction de la gravité, qui allait suivre l'enfant. Pour ma part, j'intervenais lorsqu'il s'agissait d'un cas de malformation des membres. Le spécialiste concerné suivait la mère pendant sa grossesse, discutait avec elle des actions à entreprendre ou des appareillages à envisager. Dès lors que les parents ont été informés aussi clairement que possible du fait que l'on va pouvoir traiter leur enfant, à eux de prendre la décision.

Le médecin ne peut simplement livrer l'information à une mère et lui laisser décider. En effet, l'émotion suscitée par une telle nouvelle fait que la mère peut vouloir interrompre la grossesse.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est pourquoi l'échographie ou le diagnostic anténatal ne peut être considéré comme un simple acte technique, déconnecté du contexte.

Professeur Bernard Glorion : Non. Je reviens à l'article que vous citiez. La prolongation du délai de l'IVG va rendre possible des échographies morphologiques à une période où l'on commence à voir beaucoup de choses. En effet, il est évident qu'à la douzième semaine, on voit beaucoup plus de choses qu'à la dixième.

Toutefois, on omet de spécifier que, sur le nombre d'enfants qui seraient susceptibles, pendant cette période, de faire l'objet d'une échographie, le pourcentage de malformations détectées est infime, soit de 2 à 3 %. Il n'est donc pas justifié de parler d'eugénisme. En effet, du jour au lendemain, on ne va pas s'apercevoir, en effectuant des échographies à la douzième semaine, que tous les enfants sont mal formés.

Mme Françoise de Panafieu : Ce n'était pas le propos de M. Roger Bessis. Au contraire, il considère qu'il est nécessaire d'éviter d'avoir une date butoir. Selon lui, une idée très difficile à supporter par un échographiste, c'est l'avortement préventif en raison de l'échographie.

Professeur Bernard Glorion : Il est en contradiction avec le professeur Israël Nisand.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le professeur Israël Nisand a semé le trouble lorsqu'il a dit que les deux facteurs joints - l'allongement des délais et le diagnostic prénatal - risquaient de conduire à une dérive eugénique.

Professeur Bernard Glorion : C'est là qu'il a été systématique. Ce n'est pas une dérive eugénique. Il y a, pendant un certain laps de temps supplémentaire, une utilisation du diagnostic anténatal, mais il n'y a rien de nouveau. Comme l'a dit le professeur Claude Sureau, parmi ces enfants qu'on pourrait "voir" dans une échographie à la douzième semaine, on retrouvera la même proportion de malformations que plus tard. Ce n'est pas le fait de faire une échographie qui va créer la malformation. Même si c'est une tentation, il ne faut pas considérer cela comme de l'eugénisme.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela pose le rôle et la place de l'échographiste dans le diagnostic anténatal, car on lui attribue un pouvoir quasi divin de vie ou de mort, de dire le normal et l'anormal. Il y a là effectivement un problème de sens. Dans quoi s'inscrit ce diagnostic ? Comment est-il préparé ? Un certain nombre de cliniques organisent très régulièrement des groupes de parents avant l'échographie et le diagnostic, de façon à discuter avec les parents. Aujourd'hui trois échographies sont proposées, mais il n'est jamais dit, en termes de choix, qu'il n'y a aucune obligation de subir les trois.

Il ne faut pas oublier que c'est aussi une profession lucrative, car ces interventions sont bien remboursées par la Sécurité sociale. Les pays qui nous entourent n'ont d'ailleurs pas une prise en charge aussi systématique d'un tel nombre d'échographies pendant la grossesse, sans pour autant avoir davantage d'enfants handicapés que nous.

Mme Françoise de Panafieu : L'échographie est néanmoins un progrès formidable.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Absolument, mais c'est en même temps coûteux.

Professeur Bernard Glorion : C'est un progrès formidable, mais qu'il faut maîtriser. Or, si on faisait des échographies systématiquement à toutes les femmes et enfants, le risque d'eugénisme finirait en effet par être grand.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Quel sens lui donne-t-on et dans quoi l'inscrit-on ?

Professeur Bernard Glorion : De toute façon, nous sommes dans une spirale, nous ne pouvons pas refuser le progrès. Actuellement nous passons à des échographies de troisième génération en trois dimensions. L'embryon va être traqué de plus en plus tôt et on obtiendra des informations de plus en plus fines. Je suis admiratif car, déjà très tôt, on peut déceler la fente labiale. C'est en effet très fort, mais les risques d'erreur et d'interprétation sont aussi très grands.

Mme Nicole Catala : Le professeur Israël Nisand proposait d'élargir l'IVG à des considérations psychosociales.

Professeur Bernard Glorion : La loi initiale de 1975 avait pour but d'aller au secours des femmes qui rencontraient des difficultés psychosociales. Si je reste fidèle au principe de cette loi, c'est parce que la loi actuelle ne permet pas de régler le problème de ces femmes. Si on règle au cas par cas, il sera alors nécessaire d'avoir une discussion à chaque fois. Qui va alors trancher le débat pour savoir si telle femme mérite ou non qu'on accepte sa demande d'IVG ? Y aura-t-il un niveau de difficultés psychosociales établi au-delà duquel on ne pourra pas bénéficier d'une intervention ?

Dès lors que l'on s'est expliqué sur le fait que les conséquences de cette prolongation du délai d'IVG ne sont pas catastrophiques, je suis d'accord pour que l'on aide ces cinq mille femmes qui ont recours à une IVG en dehors du territoire français, mais aussi qu'on en profite pour promouvoir la contraception.

En effet, malgré l'allongement du délai, il y aura toujours des femmes qui se trouveront dans une situation dramatique, car d'un milieu modeste ou en "galère", et qui laisseront passer le délai. Je serais tenté de répondre au professeur Israël Nisand qu'il faut faire un geste maintenant et aller au secours des quelques femmes qui dépassent le délai des douze ou quatorze semaines. Le problème en médecine est de vouloir toujours s'enfermer dans des normes.

Mme Nicole Catala : Cela répond aussi à une demande des médecins.

Professeur Bernard Glorion : En effet, car s'ils prennent l'initiative de sortir de la loi, ils se font taper sur les doigts.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il n'empêche qu'ils portent néanmoins, notamment dans le cadre de l'IMG, une responsabilité professionnelle plus grande, car ils sont porteurs de normes sur lesquelles ils ne sont pas forcément très à l'aise. Ils préfèrent prendre ce type de décision, que ce soit le diagnostic ou l'IMG, dans un cadre collégial.

Professeur Bernard Glorion : Une telle décision ne peut être prise par une seule personne, que ce soit le médecin ou la mère. La femme ne peut rester seule dans une telle situation, elle doit être accompagnée.

Lorsque j'étais en activité, il naissait encore des enfants atteints de spina bifida. Maintenant on a recours à l'IVG. A la naissance de l'enfant, on savait que, si on ne l'opérait pas, il allait mourir. C'est le choix difficile que nous soumettions aux parents, qu'il fallait alors aider à prendre une décision. C'est une situation redoutable.


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