ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 28

Mardi 23 janvier 2001

(Séance de 17 heures 30)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance, sur les problèmes posés par l'accouchement sous X

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous accueillons aujourd'hui Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance, qui va nous présenter le projet de loi relatif à l'accès aux origines personnelles, examiné le 17 janvier en conseil des ministres et déposé depuis hier à l'Assemblée nationale.

Ce texte ne remet pas en cause le secret de l'accouchement sous X, puisque la mère n'a pas à faire connaître son identité à l'établissement de santé ; en revanche, elle est invitée à consigner son identité sous un pli fermé, soit lors de son admission, soit au cours de l'entretien avec le correspondant local du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles.

La création du Conseil national est le pivot de ce texte, puisqu'il devrait faciliter l'accès des enfants nés sous X à la connaissance de leurs origines, sous condition expresse que la mère ou les parents acceptent de lever le secret.

Je salue, Madame la ministre, votre volonté d'avoir voulu concilier le droit de savoir pour les enfants et le droit à l'anonymat pour la mère.

Bien qu'en diminution constante, le nombre de femmes accouchant sous X demeure élevé ; il est révélateur d'une grande souffrance des femmes. Pourriez-vous nous indiquer comment il serait possible d'assurer un meilleur accueil et un meilleur accompagnement de ces femmes ?

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Ce projet de loi est un texte important sur lequel la diversité des éclairages pourra se révéler très fructueuse au cours des débats parlementaires. Il y a très longtemps que la question de l'accouchement sous X est étudiée et fait l'objet de propositions. Une des dernières études en date est un rapport du Conseil d'Etat de 1990 qui avait avancé, pour la première fois, l'idée de la création d'un Conseil national pour l'accès aux origines. Ce Conseil est le c_ur du dispositif que j'ai présenté mercredi 17 janvier au conseil des ministres et qui permettra à la France de tenir ses engagements internationaux : en effet la Convention internationale des droits de l'enfant précise, dans son article 7, que l'enfant a, dans le cadre des lois nationales, le droit de connaître ses parents, et la Convention de la Haye de 1993 stipule, dans son article 30, que les Etats doivent conserver les informations qu'ils détiennent sur les origines de l'enfant et assurer l'accès de l'enfant à ces informations. Par ailleurs, en 1999, un rapport du service du droit des femmes a déterminé quelles étaient les femmes qui accouchaient sous X, ce qui constitue une étude sociologique importante. Enfin, le rapport de Mme Dekeuwer-Defossez sur la réforme du droit de la famille évoque également cette problématique.

J'ai abondamment consulté de nombreuses instances, non seulement les membres du Conseil supérieur de l'adoption, le médiateur de la République, la commission d'accès aux documents administratifs, c'est-à-dire les instances qui, jusqu'à présent, recevaient les demandes des personnes en recherche, mais aussi les associations des enfants nés sous X, la CADCO, Coordination des actions pour le droit à la connaissance des origines, ainsi que les représentants des parents adoptifs, de manière à prendre en compte la sensibilité des familles adoptives face à la crainte de voir leurs enfants rechercher leur mère naturelle.

Après avoir longuement consulté et réfléchi, je me suis retrouvée en présence de plusieurs prises de position qu'il a fallu minutieusement rapprocher. Certains craignaient la réversibilité du secret et la suppression de l'accouchement sous X, d'autres, au contraire, souhaitaient une réforme plus radicale, au nom des souffrances des enfants qui se sentent, tout au long de leur vie, amputés et privés d'un accès à leur histoire.

Il me semble que le projet réalise un équilibre entre des intérêts qui, jusqu'alors, étaient vécus comme contradictoires. D'abord, il maintient la sécurité de l'enfant et de la mère lors de la naissance par l'existence d'un accueil anonyme, gratuit et sans conditions, d'une femme en détresse dans un établissement de soins. Cependant, il rend réversible le secret de l'identité des parents de naissance en recueillant, sous le sceau du secret, l'identité de la mère et, le cas échéant du père, si celle-ci accepte de le désigner. Enfin, il organise l'accès de l'enfant - ou de l'enfant devenu adulte - à ses origines personnelles.

Il est important de noter que la levée du secret de l'identité des parents nécessite l'accord de ceux-ci ou de la seule mère biologique puisque, dans 90 % des accouchements sous X, le père est absent. Le Conseil national va rechercher l'accord des volontés entre l'enfant ou l'adulte en quête de ses origines, et le parent de naissance ; il a donc une mission non seulement de recueil des informations, mais également de conciliation entre les différentes parties.

Le Conseil national a par ailleurs une mission d'harmonisation des pratiques des différentes institutions concernées, et notamment des départements, sur le dispositif de recueil, de conservation des renseignements concernant l'histoire originaire de l'enfant et l'identité des parents de naissance, ainsi que sur le dispositif d'accueil des personnes et la formation des personnels concernés.

Toutes les personnes en quête de leurs origines pourront s'adresser à ce Conseil, quels que soient leurs dates et leurs lieux de naissance, y compris les enfants adoptés à l'étranger ; nous nous sommes rendu compte que par l'intermédiaire des consulats ou des établissements de soins, il était possible d'accéder à un certain nombre d'informations. Il faut noter que les enfants nés dans le secret, les anciens pupilles de l'Etat, sont de plus en plus nombreux à se mettre en quête de leurs origines personnelles. Ce Conseil vise donc à les accompagner et à les aider dans leurs démarches. Le projet est applicable également aux territoires d'outre-mer.

Ce dispositif marque clairement la force des liens familiaux vécus et institués dans les familles adoptives et ne remet pas en cause la solidité des liens de filiation dans le cadre de l'adoption, mais il clarifie la place de chacun des adultes qui a contribué à l'histoire de l'enfant et qui est ainsi reconnue dans sa complexité. Il s'agit donc de la création d'un nouveau droit de la personne humaine, celui de voir respecter son histoire, ses origines, et qui ne remet pas en cause la stabilité et la solidité du lien de filiation acquis par l'adoption. Ces idées ont pu mûrir et évoluer parce que de plus en plus de familles adoptives ont compris la complexité de l'histoire de l'enfant et admettent aujourd'hui que dans ce lien de filiation, c'est aussi un enfant qui adopte des parents. Dans le plus grand nombre des cas, lorsqu'un enfant adopté recherche ses origines, il ne remet pas en cause l'affection de sa famille adoptive, il recherche non pas des parents, mais ses origines - il a besoin d'une rencontre de douleur -.

C'est la raison pour laquelle le dispositif n'est pas symétrique : le Conseil des origines ne pourra pas être actionné par la mère, il devra d'abord l'être par l'enfant. Certaines vérités ne doivent pas, en effet, être imposées aux enfants, s'ils ne la demandent pas. Il s'agit d'un élément d'équilibre qui a été recherché dans ce texte et j'attends beaucoup du débat parlementaire pour continuer à l'améliorer.

M. Patrick Delnatte : Avons-nous une idée du nombre de femmes qui accouchent sous X et, par là même, du nombre d'enfants qui pourraient un jour rechercher leurs origines ?

Quelles sont les dispositions concernant le dossier médical ? Il est important pour un enfant adopté de connaître ses antécédents familiaux, notamment les maladies héréditaires. Le Conseil national ne pourrait-il pas détenir le dossier médical des enfants nés sous X et le leur communiquer, même à ceux qui ne désirent pas rechercher leurs parents biologiques ?

Mme Danielle Bousquet : Je voudrais tout d'abord vous féliciter d'avoir essayé de trouver des réponses à ces questions qui bouleversent un grand nombre de familles depuis de nombreuses années.

J'ai cependant un certain nombre de questions à vous poser, notamment sur la disposition qui interdit la levée du secret des origines par la mère biologique si l'enfant n'actionne pas, de son côté, le dispositif. Cet équilibre que vous avez souhaité mettre en place ne me semble pas juste, dans la mesure où 90 % des femmes qui accouchent sous X sont seules, le père étant inconnu ; on peut donc imaginer que la souffrance de ces mères est aussi grande que celle des enfants abandonnés.

Ma seconde question concerne les travailleurs sociaux : quel rôle jouent-ils dans ce domaine ? Les règles vont-elles être établies de façon définitive, sans dérogation possible ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il s'agit de situations douloureuses pour tous, à la fois pour la mère et pour l'enfant ; il était donc certainement difficile d'avancer en toute sérénité sur ces questions.

Ma première question concerne l'accès et le contenu du dossier. Comme vous l'avez très justement dit, la vérité n'est pas toujours libératrice. Pensez-vous qu'il appartient au Conseil des origines d'établir une sorte de code de déontologie et de déterminer les éléments qui doivent se trouver dans le dossier ?

En effet, je me demande quelle image l'on peut avoir de soi lorsqu'on apprend que l'on est né d'un viol ou d'un inceste. Il me semble donc qu'un regard déontologique doit être porté sur la qualité des informations contenues dans le dossier ; le Conseil pourrait effectuer un travail de mise en cohérence, entre les différentes directions départementales, du contenu de ce dossier.

Deuxièmement, il est fait référence, dans le texte, soit aux origines des parents, soit aux origines de la mère. Pensez-vous avancer sur la question du père ? Est-ce un sujet qui a été abordé et discuté avec les différentes instances et associations que vous avez rencontrées ?

Par ailleurs, vous indiquez dans ce texte que la possibilité de connaître ses origines est ouverte aux mineurs - la demande devant alors transiter par l'intermédiaire des parents - sans fixer d'âge minimum. Est-ce volontaire ?

Enfin, pour que le dispositif se mette en route, il convient que la mère lève le secret, mais surtout et avant tout que l'enfant entreprenne des démarches. Je comprends la crainte qui peut être celle des associations de parents adoptifs, mais n'aurait-il pas été envisageable qu'à partir du moment où un enfant adopté a atteint sa majorité, la mère biologique puisse, par l'intermédiaire du Conseil des origines, le rechercher ?

Nous commençons à recevoir un certain nombre de lettres d'associations qui posent, à travers ce texte, une question plus large : celle de la connaissance des origines dans le cadre de la procréation médicalement assistée. Avez-vous évoqué ce problème avec les associations ?

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : En ce qui concerne le nombre de demandes de consultation de dossiers, je puis vous donner l'information suivante : sur les deux dernières années, il y en a eu 13 244. Ce chiffre comprend les demandes émanant des enfants placés à l'aide sociale à l'enfance. J'ai demandé des études complémentaires afin de pouvoir distinguer les différents types de demandes. J'ai pu constater, d'après les dossiers auxquels j'ai eu accès par l'intermédiaire des associations, qu'il existe une grande hétérogénéité de comportements d'un département à l'autre. Des cas sont vécus très douloureusement, notamment lorsque l'assistante sociale, qui connaît l'identité de la mère, répond à l'adulte qu'elle est dans l'impossibilité de la lui communiquer, alors même que la mère est décédée, vu l'âge du demandeur. Par ailleurs, les formulations contenues dans les dossiers sont quelquefois très durement ressenties. Les enfants peuvent aujourd'hui avoir accès aux éléments non identifiants, qui sont en général très succinctement résumés. J'ai pu ainsi lire des annotations du genre : "Une femme vêtue d'une façon que la morale réprouve, outrageusement maquillée, s'est présentée pour accoucher sous X". Il y a donc une formation à assurer et une charte à mettre en place sur l'ensemble du territoire, le Conseil des origines pouvant être un élément moteur de cette réflexion.

La communication du dossier médical est une question importante ; elle est déjà possible, en l'état actuel des textes, par l'intermédiaire d'un médecin - pour que l'enfant connaisse son groupe sanguin, les maladies génétiques -. Nous sommes conscients que la non-communication du dossier médical est un handicap pour la santé de l'enfant. Ce problème pourra être évoqué au cours du débat, mais de toute façon le dossier médical sera dans le dossier de l'accouchement sous X - il fera donc partie des éléments communicables - étant donné qu'aujourd'hui cette communication est déjà prévue, mais de façon anonyme.

Pourquoi le dispositif ne pourra-t-il pas être activé à la demande de la mère ? Tout simplement parce que ce projet est placé sous le signe des droits de l'enfant ; une réforme législative a besoin d'une cohérence. Or la cohérence de cette réforme législative est la Convention internationale des droits de l'enfant, le droit d'accès et le respect de l'identité et de l'histoire de l'enfant.

Par ailleurs, il conviendrait de trouver un fondement juridique pour expliquer qu'une mère qui a décidé d'accoucher dans le secret veut, tout d'un coup, imposer une vérité à un enfant qui ne la demande pas. En revanche, le Conseil pourra recevoir la demande de la mère ; l'enfant ne pourra pas être contacté - donc connaître une vérité imposée - s'il ne l'a pas lui-même souhaité, mais les nouvelles de l'enfant transmises spontanément par les familles adoptives aux associations ou à l'aide sociale à l'enfance pourront être transmises à la mère. Il est évident que le Conseil vérifiera si, en face de la demande de la mère, il y a une demande de l'enfant. On sera d'ailleurs là dans le cas idéal, où les deux parties demandent à se rencontrer.

M. Patrick Delnatte : Le Conseil devra donc, tout au long de la vie de l'enfant, recueillir des informations sur ce dernier !

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Les conseils généraux étant compétents dans le domaine de l'accouchement sous X, il y aura un correspondant par département et des personnels médico-sociaux, déjà formés, seront présents. Les présidents des conseils généraux désigneront un correspondant qui sera une personne qui accueille déjà des femmes qui souhaitent accoucher sous X.

Lorsque le Conseil sera mis en place, il élaborera une charte commune, un guide de l'entretien visant à expliquer aux femmes qui viennent accoucher dans l'anonymat pourquoi il est si important qu'un jour cet enfant puisse accéder à son histoire et à son identité, et à les inciter à donner des éléments sur le père ; il précisera également les fonctions de ces correspondants. Des équipes pluridisciplinaires existent déjà ; il conviendra simplement de les remettre à niveau, de les former. Il y aura donc une médiation, un accompagnement psychologique. L'objectif recherché par ce texte est bien entendu à terme la disparition de l'accouchement sous X : qu'il reste un accouchement anonyme pour les femmes qui le souhaitent, mais que le secret soit réversible. Nous voulons garder le bon côté de l'accouchement anonyme : protéger les femmes et les enfants, aider ces dernières à consentir à l'adoption dans de bonnes conditions, en étant bien au courant de leurs droits, et en particulier de celui leur permettant de changer d'avis dans les deux mois ; bien organiser la réversibilité du secret pour que l'enfant puisse, un jour, avoir accès à son histoire. Par ailleurs, les femmes qui ne sont pas en mesure d'élever leur enfant, peuvent déjà le reconnaître puis consentir elles-mêmes, nommément à son adoption.

En ce qui concerne la cruauté de certaines vérités, je voudrais dire deux choses. D'une part, les enfants nés sous X - vous le découvrirez au cours de vos auditions - s'imaginent toujours la plus atroce des histoires. D'autre part, selon les études du service des droits des femmes, très peu d'enfants nés sous X sont le fruit d'un viol ou d'un inceste. Les raisons pour lesquelles les femmes accouchent sous X sont généralement les suivantes : le dénuement, la pauvreté, l'âge -- il y a de très jeunes filles d'origine maghrébine qui subissent la pression de leurs parents et dont l'enfant pourrait être maltraité -. Il convient donc d'écarter tout jugement moral quant à la demande d'accoucher dans l'anonymat, et ne pas penser que tous ces enfants sont le fruit d'un viol ou d'un inceste.

Par ailleurs, je pense sincèrement que toute vérité n'est pas bonne à dire. Les spécialistes sont revenus sur les théories de Françoise Dolto - qui a énormément fait par ailleurs pour les enfants - qui prétendait que les enfants pouvaient tout entendre, que l'on pouvait leur dire la vérité pure et dure. La pédopsychiatrie a beaucoup évolué, et le docteur Ruffo explique - en prenant l'exemple de parents adoptifs venus le consulter, qui avaient adopté un enfant issu d'un inceste, qui ne lui avaient pas dit la vérité et qui avaient même enjolivé son histoire - que l'important est que l'enfant puisse se construire et que le fait de ne pas lui dire la vérité n'est pas un mensonge, du moment qu'il contribue à sa construction.

Je vous cite cet exemple pour vous expliquer que la façon dont sont rédigés les dossiers est tout à fait essentielle. Il s'agit ni de disqualifier la mère, ni de la salir, ni de faire des récits graveleux sur des contextes de violence, ni de donner des détails qui empêcheraient l'enfant de se reconstruire. Il appartiendra au Conseil des origines, lorsqu'il aura accès aux dossiers rédigés de façon très ancienne, avec des mots parfois très durs, de faire la part des choses avant de communiquer les éléments d'information à l'enfant.

En ce qui concerne les mineurs, et l'instauration d'une limite d'âge inférieure, nous n'avons pas examiné cette question.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est à partir de 13 ans qu'un enfant peut être entendu.

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Nous ne nous sommes pas du tout intéressés à la limite inférieure ; nous n'avons pas imaginé que des parents adoptifs puissent anticiper la demande de leurs enfants, puisque aujourd'hui ils y sont plutôt réticents. Mais j'aurais tendance à vous répondre, sans avoir réfléchi à ce problème, qu'une demande de certains parents adoptifs, qui souhaiteraient connaître l'histoire de leur enfant le plus tôt possible pour l'aider à grandir avec cette histoire, serait plutôt positive. Voilà un sujet qui pourra être examiné au cours du débat parlementaire.

En ce qui concerne le lien avec la procréation médicalement assistée, c'est volontairement que le sujet n'a pas été abordé, car il sera traité dans la prochaine loi bioéthique. Ce projet de loi concerne les enfants nés sous X et donc non désirés par la mère, contrairement à la procréation médicalement assistée (PMA). Cependant, il conviendra d'établir une cohérence entre les textes : les CECOS devront demander aux parents de s'engager à informer l'enfant qu'il est né d'une PMA. En effet, on s'est rendu compte que dans certains cas de divorce, l'enfant apprend à ce moment-là qu'il n'est pas le fils ou la fille de son père, ce qui fait des dégâts considérables. Les psychologues estiment que cette information fait partie de l'histoire de l'enfant ; certains pays vont même jusqu'à lever l'anonymat des dons de sperme ; ce n'est pas la pratique actuelle des CECOS, mais cette question devra être débattue un jour ou l'autre.

Mme Danielle Bousquet : Cette réforme m'inquiète en ce qu'elle constitue un retour de la famille biologique. Le débat entre "hérédité" et "éducation" resurgit.

Par ailleurs, les parents adoptifs n'ont pas l'obligation de dire à leur enfant qu'il a été adopté. Comment gère-t-on cette non-obligation à dire à l'enfant la vérité ?

M. Patrick Delnatte : Tous les intervenants et les partenaires concernés par le problème de l'adoption conseillent aux parents adoptifs de dire la vérité à leurs enfants le plus tôt possible.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je m'interroge quant à l'impact de ce texte sur le processus de l'adoption plénière. Je n'imagine pas que l'adoption plénière, qui coupe en deux l'histoire de l'enfant, puisse continuer à exister. Cela me paraît complètement incompatible avec l'esprit non seulement de ce texte, mais également de la Convention internationale sur les droits de l'enfant et de la Convention de la Haye.

Il est sans doute prématuré de poser cette question, mais il me semble que l'on ne pourra pas laisser fonctionner longtemps le système de l'adoption plénière telle qu'elle est conçue aujourd'hui en France.

M. Patrick Delnatte : S'agissant du problème d'une mère biologique qui désire connaître la situation de son enfant, y aura-t-il un suivi de l'enfant tout au long de sa vie ?

Par ailleurs, on m'a cité des cas de femmes étrangères, notamment belges, qui viennent accoucher sous X en France : comment le Conseil des origines va-t-il gérer ce problème ?

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Elles seront invitées, comme les autres femmes, à laisser leur identité. Le Conseil sera donc tout à fait compétent, comme il le sera pour les adoptions faites à l'étranger.

Se pose également le problème des enfants - maintenant devenus adultes - franco-allemands issus de la guerre, qui ont envie de savoir qui est leur père. Le Conseil pourra, par l'intermédiaire des consulats, recueillir des éléments identifiants.

En ce qui concerne la demande de la mère biologique, les indications que je vous ai données ne sont pas dans le texte, puisque nous avons uniquement prévu la demande de l'enfant. Cependant, après les consultations auxquelles j'ai procédées, notamment avec les associations, telles que celle des "Mères de l'ombre", et les familles adoptives - qui ne sont pas défavorables à cette solution, même si elles sont très hostiles à une demande unilatérale de la mère -, j'aurais tendance à penser que l'on pourra intégrer, au cours du débat, l'idée selon laquelle les mères biologiques puissent adresser une demande au Conseil et obtenir des éléments d'information sur leurs enfants - je ne parle pas de contact, bien entendu -. Pour ce faire, il n'est pas nécessaire de suivre l'enfant tout au long de sa vie. Le Conseil se retournera vers le correspondant du conseil général qui détient le fichier des enfants adoptés.

M. Patrick Delnatte : Ce correspondant pourra donc aller dans les familles se renseigner sur la situation de l'enfant ?

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Eventuellement, mais il me semble qu'une démarche volontaire préalable des familles adoptives devrait être encouragée. Si l'enfant est mineur, ce correspondant pourrait peut-être informer les parents que la mère biologique est en demande. Les parents adoptifs pourront très bien refuser d'accéder à cette demande. Le Conseil servira de médiateur.

M. Patrick Delnatte : Il ne faut pas déstabiliser le système adoptif.

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Absolument, c'est la raison pour laquelle le système n'est pas symétrique entre la mère biologique et l'enfant, et que ce dispositif n'est pour l'instant pas inscrit dans la loi. Mais cette question est ouverte et l'on pourra en débattre ; on pourrait, par exemple, réserver ce droit aux mères dont l'enfant est majeur ou solliciter l'avis des familles adoptives sur ce point au moment de l'adoption.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mon approche concernait les enfants majeurs, car à ce moment-là, l'enfant a une certaine autonomie.

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : En ce qui concerne "le tout biologique", je crois au contraire que ce texte remet le biologique à sa juste place. C'est justement la raison pour laquelle on peut avoir confiance dans le lien de filiation établi par l'adoption. Et si l'on peut le faire aujourd'hui, c'est parce que le même problème se pose pour les familles recomposées -- dans lesquelles le beau-père n'est pas substitué au père biologique qui garde l'autorité parentale -. Le point essentiel est donc le suivant : qu'il n'y ait pas confusion des rôles entre les différents adultes qui sont à l'origine de la complexité de l'histoire de l'enfant, que chacun reste à sa juste place avec la responsabilité qui est la sienne.

Le lien biologique est l'un des éléments de l'histoire de l'enfant, le lien de l'adoption, c'est le lien de filiation et la responsabilité parentale. Et je pense que les associations de parents adoptifs l'ont compris, car elles ont bougé sur le sujet - même si elles sont toujours farouchement attachées à l'adoption plénière -. Mais les choses vont également évoluer à ce niveau-là, car les parents adoptifs sentent bien qu'une adoption plénière, qui efface totalement l'histoire de l'enfant, n'est pas adaptée à la prise en compte de la complexité des choses.

Il y a d'ailleurs, parallèlement à ce projet de loi, une réflexion sur le dispositif de l'adoption ; ce sera sans doute ma prochaine étape devant le Parlement, si la loi doit être modifiée, ce qui n'est pas certain. De même, le fait de dire à un enfant qu'il a été adopté est une question qui doit être débattue - les parents adoptifs le font de plus en plus -, et l'adoption internationale a fait avancer les choses en ce sens. Les comportements ont changé. Toutes ces questions seront abordées dans le cadre d'un débat plus global, puisqu'un rapport parlementaire relatif à l'adoption internationale sera prochainement déposé et que le Conseil de l'adoption s'est réuni. J'ai remis en chantier un travail global relatif à la question de l'adoption pour tenter de répondre à un certain nombre d'interrogations et de problèmes rencontrés par les familles, tant par l'adoption nationale qu'internationale.

Mme Danielle Bousquet : Les enfants en recherche de leurs parents biologiques sont-ils majoritairement des enfants adoptés en France ou à l'étranger ?

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Ce sont les pupilles de l'Etat.

Mme Danielle Bousquet : Cela veut bien dire que c'est parce que nous avons une façon particulière d'aborder la famille biologique en France que la question se pose.

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : L'adoption internationale est un système plus récent. Par ailleurs, les familles adoptives -- ou du moins celles qui en ont les moyens - vont à l'étranger pour faire connaître à leurs enfants la culture du pays d'où ils sont originaires. La plupart des autres enfants sont en recherche de leurs origines à l'adolescence, au moment des crises d'identité. Un des effets positifs de ce texte, c'est qu'il va y avoir une prise de parole des familles adoptives pour exprimer les difficultés de l'adoption. Dans cette recherche des origines, il est tout de même apaisant pour l'enfant que leurs parents participent et reconnaissent la légitimité de cette recherche.

Mme Danielle Bousquet : S'il y a moins d'enfants d'origine étrangère à rechercher leurs parents, c'est parce qu'ils viennent souvent de très loin ?

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : C'est en effet une barrière supplémentaire ; ils imaginent qu'il n'y a pas de dossiers. Mais il n'y a pas de raison que l'on n'améliore pas aussi les choses sur ce point.

Mme Danielle Bousquet : L'évolution de l'adoption internationale devrait automatiquement conduire à cette réalité avec les pays avec lesquels nous avons des conventions.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans le cadre de l'adoption plénière, comment un enfant peut-il remonter à ses origines ?

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Par l'intermédiaire du jugement de l'adoption. Le Conseil pourra accéder à l'acte de naissance d'origine, ce qui n'est pas le cas actuellement, et aux archives.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cette loi pourra-t-elle être rétroactive  ; pourra-t-on remonter dans le passé dès lors que des dossiers existeraient ?

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Il y a les dossiers d'avant et d'après la décentralisation. Par ailleurs, de nombreux dossiers ont disparu ou ont été archivés. Certains sont conservés en l'état dans les départements, d'autres le sont par des associations privées ; il conviendra donc de les centraliser au niveau de chaque département.

Cette loi va surtout concerner les adultes et les pupilles de l'Etat. La personne la plus âgée que j'ai rencontrée en recherche de ses origines avait 98 ans ! Elle voulait connaître ses origines, retrouver sa s_ur, ses neveux ... Car il y a cela aussi : les adultes ont envie de retrouver leur fratrie.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est la raison pour laquelle le projet de loi donne la possibilité à des descendants d'aller recueillir les informations - de retrouver par exemple les grands-parents - à la place de la personne née sous X.

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