ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 29

Mardi 30 janvier 2001

(Séance de 17 heures 30)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

pages

- Examen du rapport de Mme Marie-Françoise Clergeau sur la proposition de loi relative aux droits du conjoint survivant (n° 2867)

- Examen du rapport de Mme Yvette Roudy sur la proposition de loi relative au nom patronymique (n° 2709)

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a examiné le rapport de Mme Marie-Françoise Clergeau sur la proposition de loi relative aux droits du conjoint survivant (n° 2867).

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure, a rappelé que les femmes sont principalement concernées par la situation faite au conjoint survivant. Sur 25 millions de femmes, la population française compte plus de 3 240 300 veuves, très âgées pour la plupart. La situation précaire qui leur est faite dans les successions par le code civil, injuste et inadaptée, est dénoncée depuis longtemps.

Le code civil napoléonien reposait en effet sur l'idée que la succession était liée à la parenté dont le conjoint survivant ne faisait pas partie et que la liberté testamentaire permettait de compenser par des libéralités l'absence de droits successoraux du conjoint.

Les propositions de réforme du droit des successions se sont succédé depuis plus de trente ans, sans qu'aucune n'ait pu aboutir, en raison principalement de la complexité des seules dispositions concernant le conjoint survivant.

Le texte de la proposition de loi de M. Alain Vidalies apporte des solutions simples et équitables, dans le souci d'une meilleure protection de ces femmes, trop souvent démunies au moment du décès de leur conjoint. Il assure au conjoint survivant une place plus favorable dans l'ordre successoral et améliore ses droits dans la succession.

Ainsi, il pourra acquérir des droits propres en pleine propriété, quelle que soit la situation familiale du défunt. De plus, afin de maintenir ses conditions d'existence, il bénéficiera d'un droit d'habitation et d'usage du mobilier, ainsi que d'un droit gratuit au logement durant une année.

La Délégation a ensuite examiné les recommandations proposées par la rapporteure.

La première recommandation propose qu'une information soit donnée aux couples, lors du mariage, sur le droit de la famille et en particulier sur les droits du conjoint survivant. M. Patrick Delnatte a estimé que cette information devrait être donnée avant la célébration du mariage.

Après intervention de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, le principe d'une double information, avant le mariage, puis lors de sa célébration, a été retenu.

Selon la deuxième recommandation, il conviendrait de préciser que les droits d'habitation et d'usage reconnus au conjoint survivant ne peuvent être convertis en rente viagère ou en capital que d'un commun accord entre ce dernier et les héritiers, à la demande de l'une ou l'autre partie.

Répondant à l'interrogation de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, sur les conséquences d'une absence d'accord entre les héritiers et le conjoint survivant au sujet de la conversion de ces droits, la rapporteure a indiqué qu'en tout état de cause, le conjoint survivant bénéficierait d'un maintien dans la résidence principale au moment du décès, et que la conversion des droits d'habitation et d'usage ne pourrait se faire qu'avec son accord.

M. Patrick Delnatte, ayant souligné le problème de la baisse progressive dans le temps de la valeur des droits d'habitation, la rapporteure a précisé que la conversion des droits d'habitation et d'usage du conjoint survivant se ferait à partir d'un barème d'évaluation et qu'il était plus que probable que ce dernier et les héritiers trouveraient un accord à ce sujet. Elle a rappelé que le conjoint survivant bénéficierait de toute façon de la moitié des biens à la liquidation de la communauté et, en vertu des nouvelles dispositions, d'un quart au minimum en pleine propriété des biens de la succession.

La rapporteure a indiqué que le conjoint survivant pourrait, s'il le souhaite, dans le délai d'une année, renoncer à son droit d'habitation et d'usage. Dans ce cas, il disposerait, sans imputation, de son droit en pleine propriété sur la succession.

La rapporteure a ensuite proposé dans une troisième recommandation que la durée de jouissance gratuite du logement et du mobilier reconnue de plein droit au conjoint survivant, pendant une année, soit portée à dix-huit mois.

M. Patrick Delnatte a émis une réserve sur cette proposition, souhaitant que les implications de l'allongement de ce délai soient approfondies.

Compte tenu des observations de M. Patrick Delnatte sur la première recommandation et de sa réserve sur la troisième, la Délégation aux droits des femmes a adopté les recommandations ainsi modifiées présentées par la rapporteure.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

PAR LA DÉLÉGATION

1. Afin de mieux informer les couples sur la situation du conjoint lors du décès de l'un des époux, un document comportant des informations pratiques sur le droit de la famille et, en particulier, sur les droits du conjoint survivant devrait leur être remis avant la célébration du mariage. Ce document devrait également être annexé au livret de famille qui leur est délivré par l'officier d'état civil lors du mariage.

2. L'article 767-5 du code civil, tel qu'il résulte de la proposition de loi, devrait préciser que les droits d'habitation et d'usage reconnus au conjoint survivant ne peuvent être convertis en rente viagère ou en capital que d'un commun accord entre le conjoint survivant et les héritiers, à la demande de l'une ou l'autre partie.

3. La durée de jouissance gratuite du logement et du mobilier reconnue de plein droit au conjoint pendant une année, lorsqu'il occupe effectivement le logement à titre d'habitation principale au moment du décès, devrait être portée à dix-huit mois.

4. Ce texte, qui constitue une avancée juridique incontestable, devrait s'appliquer immédiatement après la promulgation de la loi, afin d'apporter aux conjoints survivants une protection légitime attendue depuis longtemps.

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La Délégation a ensuite examiné le rapport de Mme Yvette Roudy sur la proposition de loi relative au nom patronymique (n° 2709) présentée par M. Gérard Gouzes et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Mme Yvette Roudy, rapporteure, a rappelé que le principe de l'attribution du nom du père à l'enfant légitime se fondait sur des règles coutumières, qu'il avait été affirmé par la jurisprudence au début du XXème siècle et consacré récemment par le législateur, lorsqu'il avait pris des dispositions relatives au nom de l'enfant légitimé par mariage ou par autorité de justice.

La réforme du droit de la famille amorcée depuis 1965 a certes conduit à consacrer l'égalité des époux, notamment en matière d'autorité parentale, mais le maintien des règles relatives à la transmission du nom patronymique constitue une séquelle de la société patriarcale, dans laquelle le père est considéré comme le chef de famille. L'attribution du nom de l'enfant naturel ou adopté est également marquée par la prééminence paternelle.

Force est de constater que les arguments traditionnels tant d'un point de vue psychologique que sociologique et juridique se sont affaiblis et ne justifient plus le maintien du droit en vigueur.

Ainsi, il conviendrait de tenir compte du contexte international (arrêt "Burgharz c/Suisse" rendu le 22 février 1994 par la Cour européenne des droits de l'Homme, recommandation 1271 adoptée en 1995 par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe relative aux discriminations entre les hommes et les femmes pour le choix du nom de famille et la transmission du nom aux enfants).

Il faut également avoir présent à l'esprit que la législation en vigueur conduit inéluctablement à la disparition des noms de familles et à l'appauvrissement du patrimoine anthroponymique français.

Certes, un premier pas a été accompli lorsque le double nom, à titre d'usage, a été introduit dans la loi : c'est, en effet, un amendement de Mme Denise Cacheux, rapporteure de la commission des lois, et de M. Jean-Pierre Michel, qui a conduit à l'adoption des dispositions de l'article 43 de la loi du 23 décembre 1985 relative à l'égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs.

Il convient maintenant d'aller plus loin : tel est l'objet de la proposition de loi de M. Gérard Gouzes fondée sur le principe de la parité entre les hommes et les femmes.

Elle prévoit que tout enfant devrait pouvoir porter légitimement le nom de son père suivi du nom de sa mère. Toutefois, chaque parent ne pourrait transmettre qu'un seul des noms composant son propre nom. Par ailleurs, les enfants issus du même père et de la même mère devraient porter un nom identique.

La rapporteure s'est déclarée favorable au principe du double nom transmis à l'enfant, mais elle a souhaité que les règles de dévolution du nom de famille soient élargies. A cet égard, elle a fait état des menaces d'appauvrissement inéluctable du patrimoine anthroponymique français en l'absence d'évolution de la législation actuelle. Elle a cité les travaux de M. Michel Tesniere qui, dans une communication faite en 1979 à la société française d'onomastique, concluait que le mode de transmission patronymique était le responsable principal de la diminution inévitable du nombre des noms de famille et estimait qu'en 200 ans, 210 000 des 250 000 patronymes français risquaient de disparaître. Elle a également évoqué l'étude menée en 1991 par le docteur Jacques Ruffié, membre de l'Institut, professeur au Collège de France qui soulignait que le patrimoine culturel que constituent les noms de famille "s'effrite tous les jours, lentement, mais de façon inexorable".

C'est pourquoi, la rapporteure a proposé une recommandation tendant à permettre aux parents de transmettre le nom de l'un de leurs ascendants à leur enfant, afin d'éviter la disparition de ce nom ou de faire revivre un patronyme. Elle a indiqué que cette proposition avait recueilli l'assentiment de M. Gérard Gouzes.

La rapporteure a ensuite présenté l'ensemble de ses propositions de recommandations.

Elle a rappelé qu'un principe majeur, l'égalité des parents, avait conduit à cette proposition de réforme et a souligné que ses propositions de recommandations avaient été guidées par un souci de simplicité et de liberté.

Selon la première recommandation, il conviendrait que le nom de l'enfant inscrit dans l'acte de naissance soit déterminé librement par les parents qui devraient pouvoir choisir :

- soit le nom de la mère (matronyme) ou celui du père (patronyme) ;

- soit le nom de chacun des parents (matronyme et patronyme) accolés l'un à l'autre dans un ordre qu'ils fixent ensemble.

Dans ce cas, le parent dont le nom est composé de deux noms accolés ne devrait pouvoir transmettre qu'un seul de ses noms à ses enfants.

- soit le nom d'un ascendant dans la ligne maternelle ou paternelle de l'un des parents.

La deuxième recommandation propose que tous les enfants issus des mêmes père et mère portent un nom identique.

Les recommandations suivantes appliquent ces mêmes principes aux enfants légitimes, aux enfants naturels dont la filiation est établie à l'égard des deux parents, ainsi qu'aux enfants ayant fait l'objet d'une adoption plénière. Elles proposent également qu'il en soit tenu compte en cas de légitimation d'un enfant par autorité de justice prononcée à l'égard des deux parents.

Après l'exposé de la rapporteure, Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a souligné qu'il était effectivement important que les enfants ayant les mêmes père et mère portent un nom identique afin de ne pas décomposer les fratries.

Elle a également observé qu'il conviendrait de prendre en compte les situations antérieures à la réforme envisagée et a proposé une nouvelle recommandation en ce sens.

M. Patrick Delnatte a estimé que la réforme proposée portait sur des questions de filiation et s'est inquiété des risques d'instabilité qu'elle risquait de susciter au sein de la famille. Il a considéré que la transmission du nom devait s'opérer dans le cadre de la parenté.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a observé qu'il était choquant que l'adopté perde son nom d'origine, en cas d'adoption plénière. Ce que, pour sa part, la rapporteure a estimé compréhensible, compte tenu du comportement des parents biologiques.

A M. Patrick Delnatte qui s'interrogeait sur l'état d'esprit des enfants qui porteraient le nom d'un autre ascendant que leur parent, la rapporteure a répondu que le port de prénoms ridicules pouvait avoir des conséquences bien plus préjudiciables pour l'enfant.

M. Patrick Delnatte a également fait observer que le choix du nom de l'enfant par les parents était susceptible de créer des conflits au sein du couple et qu'il convenait de prendre en considération la situation du parent le plus faible, le droit ayant vocation à prendre prioritairement en considération ce dernier.

A cet égard, la rapporteure a rappelé les propos de Lacordaire : "Entre le fort et le faible... c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit."

La Délégation est ensuite passée au vote des recommandations, auquel M. Patrick Delnatte n'a pas souhaité prendre part.

Les quatre premières recommandations ont été adoptées dans le texte proposé par la rapporteure.

La Délégation a adopté la cinquième recommandation après une modification rédactionnelle proposée par Mme Marie-Françoise Clergeau.

Une sixième recommandation proposée par la présidente, portant sur l'assouplissement de la procédure de changement de nom d'une personne majeure souhaitant reprendre le nom de l'un de ses parents ou ascendants qui ne lui a pas été transmis, a été adoptée par la Délégation.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

PAR LA DÉLÉGATION

1. Afin de respecter le principe d'égalité des parents au sein de la structure familiale et d'enrayer l'appauvrissement du patrimoine anthroponymique, inéluctable dans le cadre de la législation en vigueur, le nom de l'enfant inscrit dans l'acte de naissance doit être déterminé librement par les parents qui doivent pouvoir choisir :

- soit le nom de la mère (matronyme) ou celui du père (patronyme) ;

- soit le nom de chacun des parents (matronyme et patronyme) accolés l'un à l'autre dans un ordre qu'ils fixent ensemble.

Dans ce cas, le parent dont le nom est composé de deux noms accolés ne devrait pouvoir transmettre qu'un seul de ses noms à ses enfants.

- soit le nom d'un ascendant dans la ligne maternelle ou paternelle de l'un des parents.

2. Les enfants ayant les mêmes père et mère doivent porter un nom identique : le nom qui sera attribué aux enfants légitimes doit être déterminé solennellement par les époux au moment du mariage.

3. Les père et mère des enfants naturels dont la filiation est établie simultanément à l'égard des deux parents doivent pouvoir déterminer le nom de leurs enfants selon les mêmes principes. L'option prise pour le nom du premier enfant doit s'imposer pour la dévolution du nom des enfants qui naîtront ultérieurement, sous réserve de l'établissement de leur double filiation.

Il en est de même pour le nom des enfants mineurs, dont la filiation est établie en second lieu à l'égard du père : ce nom devrait pouvoir être déterminé par les parents dans une déclaration conjointe devant le greffier en chef du tribunal de grande instance.

4. En cas d'adoption plénière d'un enfant par deux époux, ces derniers doivent pouvoir déterminer selon les mêmes principes le nom qui sera porté par cet enfant.

5. Les conséquences patronymiques de la légitimation d'un enfant par autorité de justice prononcée à l'égard des deux parents doivent résulter des nouvelles règles de dévolution du nom.

6. La procédure de changement de nom d'une personne majeure souhaitant reprendre le nom de l'un de ses parents ou ascendants qui ne lui a pas été transmis, doit être assouplie.

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