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ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 31

Mardi 27 mars 2001

(Séance de 18 heures)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Fériel Kachoukh, adjointe à la chef du bureau des droits personnels et sociaux des droits des femmes et de l'égalité, rapporteure de "Accouchement sous X et secret des origines"

- Audition de M. Pierre Verdier, président et Mme Nathalie Margiotta, secrétaire générale de la Coordination des Actions pour le Droit à la Connaissance des origines (CADCO) Audition de Mme Fériel Kachoukh -

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Fériel Kachoukh, adjointe à la chef du bureau des droits personnels et sociaux des droits des femmes et de l'égalité, rapporteure de "Accouchement sous X et secret des origines".

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Fériel Kachoukh, juriste, adjointe à la chef du bureau des droits personnels et sociaux du service des droits des femmes et de l'égalité. Ce service a, en octobre 1999, rédigé un rapport qui porte sur l'accouchement sous X et le secret des origines, à partir d'enquêtes menées auprès d'un grand nombre de maternités ayant réalisé de tels accouchements. Ce rapport comprend quatre parties :

- une analyse des questions juridiques posées par l'accouchement sous X ;

- une étude sociologique des femmes qui sont conduites à accoucher sous X ;

- un aperçu des législations internationales - aussi bien les Etats-Unis et le Canada qu'un certain nombre de pays européens - ;

- et des propositions de réforme.

Ce rapport, que je trouve excellent, sera communiqué à tous les membres de la Délégation.

Mme Fériel Kachoukh : Avant d'aborder la genèse du rapport, son contenu et les enjeux qui nous ont semblé importants dans ce domaine, je voudrais préciser que ce rapport est le fruit du travail collectif d'un groupe de travail réunissant plusieurs directions de l'administration centrale du ministère de l'emploi et de la solidarité et associant un certain nombre d'experts ou de personnalités qualifiées, parmi lesquels je citerais Mme Nadine Lefaucheur, sociologue, dont vous connaissez sans doute les analyses assez lumineuses sur la situation des familles monoparentales et qui est partisan de la suppression de l'accouchement sous X. Participait également à ce groupe de travail, Mme Denise Cacheux, rapporteure de la loi du 8 janvier 1993 qui a introduit dans le code civil la possibilité d'accoucher dans le secret et l'interdiction d'établir judiciairement la maternité dans un tel cas.

Il s'agit d'un débat controversé, qui est abondamment relayé dans l'opinion, et où s'exprime de plus en plus fortement l'aspiration à la connaissance des origines personnelles. C'est également un débat d'experts, dans lequel les psychanalystes, notamment, expliquent les ravages des vérités non partagées et des secrets de famille, les blessures identitaires profondes laissées par l'impossibilité de faire le deuil de ce que l'on ignore. C'est un débat dans lequel interviennent également nombre de juristes qui critiquent des dispositions qui leur semblent contraires aux engagements internationaux de la France, notamment la convention internationale pour les droits de l'enfant et son article 7, même si cet article est pondéré par quelques réserves, ainsi que la convention de La Haye qui stipule notamment que les Etats parties doivent conserver toutes les informations relatives aux origines et aux circonstances de la naissance des enfants.

Des étapes importantes ont marqué ces dernières années la réflexion autour de l'accouchement secret et de l'accès à la connaissance des origines. Je citerais notamment quelques rapports.

Le premier rapport qui me semble absolument fondamental et qui a peut-être tracé le premier la piste d'une solution médiane, axée sur la nécessité d'une rencontre des volontés et de la création d'un organisme indépendant chargé de veiller au rapprochement des parties ou au rapprochement des volontés - puisque l'on est dans le domaine de deux droits fondamentaux aussi irréductibles l'un que l'autre - c'est le rapport "Statut et protection de l'enfant" du Conseil d'Etat de mai 1990. Le Conseil d'Etat a relevé l'égale légitimité des aspirations en conflit : la quête de vérité pour l'enfant, le droit au secret pour le parent. Il a plaidé pour la conciliation des droits, préconisé la création d'un Conseil pour la recherche des origines familiales et souhaité l'aménagement du régime du secret sur la base du principe de la rencontre des volontés du parent et de l'enfant.

Le rapport de la commission d'enquête parlementaire présidée par M. Laurent Fabius du 12 mai 1998 a passé au crible l'état des droits de l'enfant en France et préconisé la création d'un tel organisme, sans toutefois approfondir ses configurations et ses missions. Il a préconisé notamment la levée du secret durant la minorité de l'enfant, sous réserve du consentement de la mère, et la levée de plein droit de cette identité dès la majorité de l'enfant, sous réserve de la seule information de la mère.

Il faut citer également le rapport de Mme Irène Théry sur les réformes souhaitables en matière de droit de la famille, remis à Mmes Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, et Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, dans le cadre de la conférence de la famille de 1998, qui recommandait la suppression pure et simple de l'accouchement anonyme.

Enfin, le rapport Dekeuwer-Defossez, remis à la ministre de la Justice en septembre 1999, a élaboré un ensemble de recommandations visant à refondre le droit de la famille. Ce rapport a préconisé notamment d'abolir l'interdiction d'établir judiciairement la maternité en cas d'accouchement secret, donc, de revenir sur les dispositions introduites par la loi du 8 janvier 1993. S'agissant de l'accès à la connaissance des origines et de l'accouchement secret qui figure dans le code de la famille et de l'aide sociale, notamment à son article 47, - j'utilise l'ancienne numérotation par commodité, mais ce code vient d'être refondu - le rapport a proposé simplement, en des termes très nuancés et très prudents, de réfléchir à des réformes du droit social, susceptibles d'aménager une troisième voie à côté de l'accouchement secret, de permettre un accouchement dans la discrétion ou dans la confidentialité et d'aménager une réversibilité progressive du secret.

Le groupe de travail, constitué en février 1999 à l'initiative du service des droits des femmes, avait pour principale mission d'analyser les questions laissées pendantes dans le débat public et d'apporter, dans la limite du mandat qui lui était fixé, des propositions alternatives à la tentation croissante qui semblait alors se faire jour, celle d'une suppression pure et simple de l'accouchement sous X, de l'accouchement secret.

Parmi ces questions pendantes, deux d'entre elles apparaissent majeures en la matière.

En premier lieu, la nécessité de sortir de la confusion permanente dans le débat des juristes, des experts ou des sociologues, comme dans les pratiques des acteurs sanitaires et sociaux, entre anonymat et secret, entre accès à la connaissance des origines et établissement de la filiation. Il faut aujourd'hui parvenir à établir la distinction fondamentale du point de vue juridique entre ces deux notions. L'accès à la connaissance des origines est sans effets juridiques et n'entraîne pas l'établissement de la filiation.

En deuxième lieu, il convient de connaître, de manière aussi fine et aussi actualisée que possible, les trajectoires, les motivations et les contraintes qui déterminent aujourd'hui le recours, dans une mesure qui reste statistiquement faible, à l'accouchement secret, dit sous X, dans les pratiques des maternités.

Ces accouchements qui concernaient environ 780 enfants en 1991, ont légèrement baissé et ne concernaient plus en 1999 que 560 enfants. Rapporté aux plus de 700 000 naissances annuelles, ce chiffre est certes en lui-même peu significatif, mais le reste fortement par la densité des enjeux symboliques qu'il soulève.

Selon des estimations du ministère de l'Enfance et de la Famille, on peut considérer qu'environ 400 000 personnes aujourd'hui peuvent être concernées par la question de l'accès à la connaissance des origines.

Le service des droits des femmes a donc tenté d'approcher au plus près les contraintes qui ont pesé sur les trajectoires des femmes ayant demandé le secret de l'accouchement et de redonner chair et sens à des histoires de vie, par définition forcloses, puisqu'elles n'existent plus, et que ces femmes n'ont jamais été mères, l'accouchement sous X étant un effacement, un déni juridique et social du fait même de la maternité. Il nous a semblé important de comprendre toutes celles qui étaient quotidiennement l'objet de jugements définitifs, sans que l'on prenne la peine d'analyser les motivations profondes de leur acte et les ordres de contraintes qui les ont conduites au recours, voulu ou non, à l'accouchement sous X.

Le groupe de travail a donc mené une enquête auprès de plus d'une centaine de maternités sur les accouchements secrets survenus entre 1994 et 1999, soit plus d'un millier d'accouchements. Ces données ont été complétées par de nombreuses auditions et un questionnaire adressé aux services d'aide sociale à l'enfance par le biais de l'Assemblée des Départements de France (ADF).

Je tiens à apporter quelques petites précisions sur la période de référence de cette enquête.

Dans le débat public, lorsque l'on parle d'accouchement sous X et de l'aspiration à connaître ses origines, il s'agit d'enfants devenus adultes et de situations largement passées, qui correspondent à des réalités survenues, la plupart du temps, il y a une trentaine d'années, voire plus. Il nous semble donc extrêmement important d'analyser les choses dans une perspective non pas faussement synchronique, faussement étale, mais dans une perspective diachronique, c'est-à-dire que nous voulons y réinjecter la temporalité : temporalité dans les histoires de vie, car la femme qui a demandé le secret de l'accouchement à un moment donné de son histoire, parce que cet enfant était impensable à ce moment-là, n'est plus forcément dans la même trajectoire de vie et n'est plus nécessairement dans le même état d'esprit vingt ans plus tard ; temporalité perceptible dans l'évolution des pratiques des intervenants en présence.

Par ailleurs, il nous a semblé que les pratiques des acteurs sanitaires et sociaux avaient une influence assez grande sur le recours à l'accouchement sous X, puisque nous nous sommes aperçu que, dans la majorité des cas, on proposait l'accouchement sous X, et non l'abandon, car cela représentait une solution de facilité. Il nous a donc semblé tout à fait important d'interroger les pratiques passées et présentes et de voir ce qui, au moins dans les cinq dernières années, avait motivé le recours à l'accouchement sous X.

Une réflexion a donc été menée également sur les pratiques des intervenants sociaux. Comme le rapport du Conseil d'Etat le mentionnait déjà, ces pratiques diffèrent sensiblement selon les départements pour des raisons diverses, notamment l'importance numérique des accouchements sous X et les moyens mis en _uvre. Cette disparité de pratiques est susceptible de porter en germe des ruptures d'égalité dans l'accès des femmes à l'information juridique et d'orienter leurs choix, ce qui entraîne des conséquences majeures sur le devenir des enfants et sur leur filiation.

Nous avons donc émis des préconisations en matière d'unification des pratiques d'accueil des femmes concernées, des pratiques de recueil et de conservation des secrets invoqués ainsi qu'en matière de formation, notamment la nécessité de formations conjointes des intervenants sanitaires et sociaux, car les personnels de maternité n'ont pas de formation et sont totalement démunis. Une naissance sous X est quasiment un non-sens dans une maternité, surtout au regard de la valeur symbolique de l'enfance aujourd'hui. Nous avons donc été conduits à proposer l'instauration d'un référent dans le cadre de chaque département chargé d'unifier ces pratiques.

Enfin, le groupe de travail s'est également attaché à approfondir une réflexion restée en jachère depuis les préconisations du Conseil d'Etat de 1990 sur la configuration juridique et les missions d'un Conseil national pour la recherche des origines. La création d'un tel organisme est aujourd'hui pleinement à l'ordre du jour, puisque le projet de loi portant création d'un Conseil national pour l'accès aux origines personnelles viendra prochainement en débat.

Je voudrais à présent m'attarder quelque peu sur les principaux enseignements de l'enquête menée sur les situations des femmes concernées par l'accouchement sous X. Je voudrais préciser que l'échantillon est relativement faible puisqu'il s'agit d'une enquête menée sur une centaine de maternités. Néanmoins, ces données nous semblent suffisamment indicatives et significatives.

En termes d'âge, les deux tiers des mères de naissance ont moins de 25 ans. Une mère sur dix a moins de 18 ans. La part des femmes d'au moins 35 ans est d'environ 15 %. L'âge médian va de 21 à 24 ans. On peut en tirer deux principaux enseignements :

- d'une part, à peu près 10 % de mineures répertoriées dans cette enquête sont concernées par cet accouchement secret parce qu'elles n'avaient pu obtenir l'autorisation parentale pour accéder à l'IVG ;

- d'autre part, une mère sur deux a au plus 23 ans. Il s'agit donc de jeunes majeures, confrontées à toutes les difficultés de l'entrée dans la vie adulte que notre société connaît actuellement.

En termes de nationalité, l'enquête révèle une forte majorité de personnes de nationalité française, mais qui ont parfois des parents de nationalité étrangère. Une assez forte proportion, une forte minorité, voire une majorité, selon les maternités enquêtées et les années de référence, - la fourchette va de 25 % à 64 % des femmes concernées - sont maghrébines, soit par l'origine nationale de leurs parents, soit qu'elles aient elles-mêmes cette nationalité. Près de 10 % des mères qui demandent le secret sont originaires des territoires ou départements d'outre-mer et 10 % environ viennent des pays d'Afrique sud-saharienne.

Je voudrais souligner l'influence assez significative de la législation sur l'entrée et le séjour des étrangers sur l'accouchement sous X, notamment l'influence de l'exigence légale, aujourd'hui supprimée, d'être en situation régulière au regard du séjour pour pouvoir bénéficier d'une IVG. En effet, aucune pièce d'identité n'étant exigée pour l'accouchement sous X, il y a possibilité d'accoucher dans le secret, alors même que l'on est en situation irrégulière. Le même paradoxe vaut pour les mineures, puisqu'une mineure est juridiquement capable de reconnaître son enfant, d'accoucher sous X et de poursuivre le père aux fins de subside.

En termes de milieu social et d'insertion professionnelle, un quart seulement de ces femmes a un emploi déclaré ou un emploi au noir. Une minorité non négligeable d'entre elles est très jeune, de milieu moyen ou aisé, selon les travailleurs sociaux qui ont été interrogés, mais en tant que lycéennes ou étudiantes, elles sont dépourvues d'autonomie et de ressources propres.

Un autre indicateur est préoccupant. Au début des années 60, plus de 60 % des femmes abandonnant un enfant à la naissance avaient une profession non ou très peu qualifiée, et seulement 16 à 30 % étaient sans ressources. Elles sont 70 à 80 % sans ressources aujourd'hui à recourir à l'accouchement sous X.

En termes de circonstance de la grossesse, les cas où les grossesses sont issues de viols ou de rapports contraints ne sont pas absents des données recueillies. Ils ne sont cependant pas majoritaires. Ces données reposent sur les déclarations des femmes et demandent à être relativisées, car on ne sait pas dans quelle mesure le nombre de viols est surestimé ou sous-estimé. Il a pu être surestimé, car l'accouchement sous X apparaît, pour des femmes en grande détresse psychologique et se sentant jugées, comme une justification recevable de leur demande, ou, au contraire, il a pu être sous-estimé parce que, faute de suivi psychosocial ou d'accompagnement psychologique adapté, beaucoup de femmes ont du mal à déclarer ces viols, ou parce que les rapports contraints n'apparaissent pas toujours à certaines femmes comme des viols. Les cas d'inceste déclarés sont également rares au terme de l'enquête recueillie.

Près d'un quart des femmes qui ont accouché secrètement ont souligné l'impossibilité pour elles d'un recours à l'IVG pour des raisons légales ou financières. Cela regroupe les cas de mineures qui ont découvert très tôt leur grossesse, contrairement à ce que l'on dit habituellement du déni chez les mineures, ont consulté mais qui, devant l'impossibilité d'obtenir l'autorisation parentale, se sont enfermées dans le silence. Ces cas recouvrent également les étrangères en situation irrégulière, que je mentionnais tout à l'heure. Parmi les autres raisons légales d'impossibilité d'accès à l'IVG, figuraient également les cas de grossesse hors délai légal, difficultés prises en compte par l'actuel projet de loi sur l'IVG.

Enfin, parmi les raisons financières, il y a l'impossibilité d'aller à l'étranger recourir à une IVG, faute de pouvoir obtenir un visa ou faute de ressources.

Les trajectoires des femmes ayant recouru à l'accouchement sous X sont donc des trajectoires contrastées, mais qui mettent en évidence trois grands ordres de contraintes.

En premier lieu, elles reflètent le manque d'autonomie et les problèmes associés à la jeunesse et aux difficultés de l'entrée dans la vie adulte. Il s'agit de femmes jeunes et célibataires. Une sur deux a au plus 23 ans, alors que l'âge moyen de la maternité est aujourd'hui de 29 ans. Un quart au moins d'entre elles sont des mineures ou des jeunes majeures dont c'est la première grossesse et qui n'ont absolument pas d'autonomie en termes de ressources ou de logement propre.

Par ailleurs, un autre ordre de contrainte a trait à la précarité du statut lié à la législation sur l'immigration, mais également à la double contrainte des processus d'intégration. Un tiers environ de ces femmes, et la grande majorité de celles qui vivent encore chez leurs parents, appartiennent à une famille musulmane, originaire du Maghreb, un peu moins souvent d'Afrique sud-saharienne, où la grossesse hors mariage est un déshonneur. Elles sont prises dans l'étau de l'aveu impossible, sous peine du désaveu par le milieu familial d'origine qui, pour elles, représente encore un soutien, et un cadre de référence structurant, dans le processus d'intégration et d'insertion dans la société.

Enfin, dernier ordre de contraintes, l'isolement et la difficulté matérielle des familles monoparentales. Un tiers au moins de ces femmes sont des mères seules qui, bien que le plus souvent présentes sur le marché du travail, sont dans des conditions extrêmement précaires, ont des emplois peu qualifiés et se débattent dans de très grandes difficultés financières. Les plus jeunes ont déjà des enfants à charge et l'arrivée d'un autre enfant est proprement impensable dans les conditions qu'elles vivent. Les plus âgées, qui ont souvent plus de 35 ans, sont aussi souvent des femmes séparées, divorcées et qui ont subi des processus de violence dans le cadre de leur vie conjugale.

Le groupe de travail a élaboré un ensemble de propositions.

Il nous a d'abord semblé que le premier enjeu des accouchements sous X, avant même celui de la conciliation des droits, était de prévenir les grossesses non désirées. Cet enjeu a été fortement relayé par la première campagne sur la contraception qui vient de se dérouler, campagne qui va être relancée cette année et qui sera encore plus ciblée en direction des publics jeunes, en situation de grande précarité, voire en situation de rupture familiale et sociale. Cet enjeu est absolument majeur. Un autre enjeu pour prévenir les grossesses non désirées passe aussi par un accès amélioré à l'IVG. C'est tout le sens des dispositions du projet de loi examiné par le Parlement concernant les mineures qui ne peuvent pas bénéficier de l'autorisation parentale.

Le deuxième enjeu est celui de l'accès des étrangères en situation irrégulière à l'IVG. La réglementation a été modifiée en ce sens.

Une de nos propositions consiste à créer un dispositif cohérent d'accueil et d'accompagnement des femmes. C'est tout le sens de la nécessaire unification des pratiques d'accueil des personnes concernées, des pratiques de recueil et de conservation des secrets invoqués ainsi que de la nécessaire articulation de l'intervention des acteurs sanitaires et sociaux, personnels de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) et personnels des maternités. C'est là un enjeu particulièrement crucial car les informations, notamment la qualité des informations données lors du premier accueil à la maternité, pèsent d'autant plus lourdement sur les conditions de choix des femmes - accouchement sous X ou abandon en laissant son nom - que ces femmes sont, la plupart du temps, dans une profonde ignorance du droit applicable et qu'elles se trouvent, par ailleurs, dans une situation de grande vulnérabilité psychologique et sociale.

L'enquête révèle bien et les auditions que nous avons menées également, notamment l'audition de l'Association des Mères de l'Ombre, que, dans la plupart des cas, il s'agit d'un choix par défaut.

Pour toutes ces raisons, le groupe de travail a proposé la mise en place d'un référent, identifiable par chaque maternité d'un département, en charge de coordonner l'ensemble des actions relevant de l'accouchement secret : protocole d'accueil des femmes concernées, formation de l'équipe médico-sociale, coordination des relations avec les intervenants du service de l'aide sociale à l'enfance. Cette proposition a été largement reprise par le projet de loi portant création du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles.

Enfin, en matière d'accompagnement psychologique et social, il nous a semblé extrêmement important d'être très vigilant sur les contenus des formations qui sont données à l'ensemble des acteurs qui interviennent en ce domaine, non seulement les acteurs institutionnels, mais également les acteurs associatifs.

Dernière proposition : la création d'un Conseil national pour la recherche des origines familiales. Il nous a semblé que le temps était venu, plus de dix ans après cette préconisation par le Conseil d'Etat, de créer un Conseil national pour la recherche des origines familiales.

Ce Conseil ne serait pas une autorité administrative indépendante, mais il aurait une autorité morale et disposerait d'un pouvoir d'investigation auprès des départements et d'un pouvoir d'unification des pratiques, en recommandant notamment aux départements un certain nombre de protocoles et de procédures d'accueil des femmes concernées, de recueil et de conservation des secrets invoqués. Ce Conseil pourrait également recevoir l'ensemble des demandes d'accès à la connaissance des origines, mais aussi les demandes de levée du secret formé par les mères elles-mêmes puisque, dans un certain nombre de cas, on nous a rapporté que des mères se présentaient dans des services et demandaient à lever le secret, comme la "loi Mattei" de 1996 leur en donne le droit, et qu'on leur opposait à ce moment-là l'irréalité même de leur accouchement, puisqu'il s'agissait d'un accouchement sous X. Nous avons entendu beaucoup de femmes nous dire qu'elles n'avaient pas eu la possibilité de lever le secret.

Enfin, le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles pourrait être chargé d'une mission de médiation entre les parties puisque les débats sont assez tranchés entre les partisans d'une levée inconditionnelle du secret de l'identité et ceux qui estiment qu'aujourd'hui la société ne doit pas nécessairement prendre parti, mais qu'elle doit, après avoir contribué à organiser le déni social de l'accouchement, parvenir à articuler secret et transparence et à concilier deux droits, les droits des femmes et les droits des enfants. Cette mission de médiation entre les parties permettrait de ne pas attenter au droit au respect de la vie privée consacré par l'article 9 du code civil.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Votre rapport est très riche et comporte une première partie qui présente la complexité juridique de la législation relative à l'accouchement sous X. A ce sujet, je souhaiterais savoir s'il ne conviendrait pas d'unifier les dispositions législatives, qui se trouvent actuellement dans le code de la famille, dans le code de la santé publique et dans le code civil, ce qui permettrait une meilleure lisibilité des textes.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : J'ai bien aimé votre conclusion. Il est évident que le chemin est extrêmement difficile et très étroit. La levée inconditionnelle du secret me paraît totalement irréaliste. De toute façon, on peut toujours le dire, l'écrire et légiférer sur cette question, nous aurons malgré tout, toujours, sous une forme ou sous une autre, des accouchements sous X.

Même si je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il faut prévenir au maximum les grossesses non désirées, même s'il faut accompagner les femmes, dialoguer - c'est prévu d'ailleurs dans le projet de loi - et faire en sorte qu'elles n'accouchent pas totalement sous X, mais qu'elles laissent un certain nombre de renseignements identifiants et qu'on les éclaire bien sur les conditions dans lesquelles ces renseignements sont recueillis et pourront ensuite être éventuellement divulgués, on aura toujours des accouchements sous X.

Si la loi est trop coercitive, on retrouvera les "tours" tels qu'ils sont en train de revenir en Allemagne ou en Autriche. Ma position est donc extrêmement pragmatique. Je considère que le projet de loi est extrêmement équilibré.

D'après les témoignages que j'ai recueillis, j'ai bien compris - cela a été une découverte - la souffrance terrible, incommensurable des enfants nés sous X et des personnes qui ignorent leurs origines. Il faut donc, autant que faire se peut, essayer de recueillir des renseignements sur ces enfants pour qu'ils puissent en disposer ultérieurement, mais ne pas obliger les mères à se dévoiler et leur laisser la possibilité d'accoucher dans la totale confidentialité malgré tout. Ce n'est pas très satisfaisant, mais c'est un compromis.

Mme Fériel Kachoukh : Le service des droits des femmes et de l'égalité a contribué à l'élaboration de ce projet de loi qui est un texte de compromis et de recherche d'équilibre. Nous sommes dans un domaine qui a donné lieu, ces dernières années, à de très gros débats sur la souffrance et sur les droits de l'enfant, avec parfois d'ailleurs quelques dérives, parce que les droits de l'enfant étaient insuffisamment compris et que l'on en faisait l'alfa et l'oméga de toute lecture juridique d'un certain nombre de textes. On a aussi régulièrement opposé les droits des femmes et les droits des enfants.

Ce qui nous est apparu en analysant à fond ces questions, c'est qu'il y avait des enjeux très forts - des enjeux et des mutations - notamment au niveau de l'adoption, par rapport à l'accouchement sous X. Au service des droits des femmes, nous sommes toujours persuadés qu'il faut préserver absolument le secret de l'accouchement, car il y a des situations où le secret est nécessaire et vital. Il participe de l'ensemble des droits des femmes. Il participe notamment, en termes de préservation du secret, du droit inviolable au respect de la vie privée et des libertés individuelles.

En même temps, pour avoir entendu nombre de femmes, et notamment l'Association des Mères de l'Ombre, nous avons aussi entendu que ce n'était pas forcément, dans beaucoup de situations, tant les droits des femmes que l'on cherchait à préserver que l'honneur des familles. Il s'agit dans la plupart des cas de milieux sociaux très précaires, défavorisés. On est vraiment dans un domaine de processus d'exclusion. Peut-être que l'acte, mais je ne voudrais pas interpréter l'acte d'accoucher sous X, est un aboutissement de ce processus d'exclusion. En gardant les dispositions telles qu'elles sont, on risquait de contribuer à organiser implicitement, de façon socialement invisible, une forme de "transfert" d'enfants de milieux défavorisés vers des milieux plus favorisés.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Favorisés, mais sans enfant.

Mme Fériel Kachoukh : Mais favorisés financièrement. De ce point de vue, les esprits sont plus mûrs, car il y a eu une évolution notable des débats et des attentes. Il me semble que nous sommes au milieu du gué. C'est un texte de compromis, mais c'est un compromis courageux, car il cherche à articuler étroitement les droits des uns et les droits des autres et il cherche à ouvrir la voie vers la réversibilité accompagnée du secret.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Dans les services de gynécologie, on m'a dit que c'était les maghrébines qui accouchaient sous X. Le confirmez-vous ?

Mme Fériel Kachoukh : Je le confirme en partie. Il y a beaucoup de jeunes filles françaises de parents de nationalité maghrébine (des trois principaux pays du Maghreb), qui sont prises dans la double contrainte des processus d'intégration que j'ai déjà évoquée ; il y a également un pourcentage non négligeable de maghrébines - entre 25 et 60 % - selon les départements, qui s'explique aussi par le fait qu'un certain nombre de femmes étaient en situation irrégulière et ne pouvaient pas accéder à l'IVG.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En ce qui concerne la recherche de la connaissance des origines, c'est bien entendu la mère qui est la première concernée puisqu'elle a accouché. Certains pères sont parfois au courant, d'autres ne le sont pas ; en tous cas, les pères n'ont pas la possibilité, ou alors c'est extrêmement difficile, de faire une recherche en paternité. Il me semble d'ailleurs que cette recherche est plus d'ordre contentieux que gracieux. Dans le souci d'un texte équilibré, ne devrait-on pas préciser le projet de loi et permettre une recherche en paternité d'ordre gracieux, et pas seulement pendant les deux premières années de la naissance ou les deux premières années de la majorité ?

Dans le cadre de la procréation avec tiers donneur, notamment dans le cas de dons de sperme, cette recherche de la connaissance des origines, ne peut-elle pas conduire à une remise en cause de l'anonymat ?

Qu'est-ce qui vous semble être un préjudice pour l'enfant ? Est-ce la non-connaissance de ses origines ou est-ce le fait de sa filiation et, donc, de ne pas avoir pu être élevé par l'un ou l'autre ou les deux parents ?

Vous dites dans votre rapport qu'il y a un certain nombre de jeunes femmes en galère qui accouchent sous X. Il y a de plus en plus de jeunes femmes SDF et de jeunes femmes qui accouchent dans la rue. Avez-vous observé ce phénomène ?

Mme Fériel Kachoukh : La dispersion des textes se justifie par des raisons historiques. On a procédé par sédimentations successives. Le texte fondateur de l'accouchement secret, c'est l'article 47 du code de la famille et de l'aide sociale. Ensuite, en 1993, on a rajouté dans le code civil la loi du 8 janvier 1993 qui devait mettre notre droit interne en conformité avec la convention internationale des droits de l'enfant : elle a notamment institué le juge aux affaires familiales, l'audition de l'enfant en justice et l'autorité parentale partagée ; elle a également introduit dans le code civil la possibilité d'accoucher dans le secret, mais aussi l'impossibilité d'établir judiciairement la maternité dans le cadre d'un accouchement dans le secret.

La possibilité pour toute femme d'accoucher dans le secret est rédigée de façon assez vague, car on ne sait pas si cette femme peut être mineure ou majeure, si elle doit être mariée ou non mariée. Il y a là une ambiguïté et la doctrine est très divisée là-dessus. L'impossibilité d'établir judiciairement la maternité, dès lors que la femme a accouché dans le secret est une impossibilité de fait ; auparavant il fallait apporter des éléments de preuve, ce qui était très difficile dans le cadre de l'accouchement sous X, puisque, par définition, il n'y a pas eu d'accouchement, mais il n'empêche que l'action était ouverte, alors que maintenant elle est absolument fermée. Cette impossibilité d'établir judiciairement la maternité empêche par ricochet d'établir la paternité.

L'admission en milieu hospitalier est réglementée par le code de la santé publique. Ce texte est tombé d'ailleurs largement en désuétude et va être abrogé par l'effet du projet de loi qui concerne l'admission en milieu hospitalier des femmes demandant le secret lors de l'accouchement.

Le principal objet du projet de loi est de créer un Conseil national pour l'accès aux origines personnelles. Il organise ensuite de façon beaucoup plus cohérente, unifiée, la réception des demandes d'accès à la connaissance des origines, la réception des demandes de levée du secret formé par le parent concerné, les conditions d'admission et d'accueil des personnes qui demandent le secret, et la désignation d'une personne référente qui coordonnera l'ensemble de ces actions. Cet organisme est national et il peut être habilité - sans pouvoir d'injonction - à indiquer à l'ensemble des départements, qui sont responsables des service d'aide sociale à l'enfance, l'ensemble des procédures qui lui semblent propres à garantir les droits des personnes et à prévenir les ruptures d'égalité nées de la diversité des pratiques. Tout cela va former un tout cohérent et va permettre qu'a minima, dans le droit social - puisque ce sont les codes de la famille et de l'aide sociale qui sont concernés -, il y ait des dispositions plus uniformes et, donc, plus lisibles car, vous le soulignez à juste titre, la dispersion, mais aussi la complexité des textes dans leur articulation entre eux a amené des grandes difficultés d'interprétation de la part des principaux acteurs et bien entendu de grandes confusions.

Sur les aspects relatifs au droit civil, une réflexion sur l'ensemble des dispositions relatives à la filiation est actuellement en cours.

Il n'y a pas d'ouverture sur la filiation, paternelle ou maternelle, dans cette problématique de connaissance des origines. Nombre de pères, on l'a vu dans l'enquête, ne sont pas au courant de la demande d'accouchement secret. C'est un phénomène qu'il ne faut pas nier, mais qu'il faut situer dans un contexte de revendications sociales croissantes des associations de pères.

Je voudrais souligner, d'après les données recueillies, que, dans ce contexte d'abandon avec accouchement secret, on peut constater que l'abandon premier est le fait de l'homme. Majoritairement, il s'agit de femmes qui ont d'abord été abandonnées par leur conjoint ou leur concubin ou leur compagnon de passage. Certaines vérités sont bonnes à rappeler.

Il nous a semblé très important, à cause de cette impossibilité d'établissement de la paternité du fait de l'empêchement de l'établissement de la maternité, de poser le problème des reconnaissances anténatales. En effet, elles ne peuvent produire d'effets juridiques, car il faudrait que le père puisse reconnaître l'enfant à la naissance et puisse dire : "Mon enfant est né dans telle maternité, tel jour à telle heure." Mais précisément, il ne peut le faire, puisque l'enfant n'est pas son enfant et que l'accouchement n'a pas existé. D'ailleurs, une affaire célèbre a été jugée par la Cour d'appel de Riom, il y a à peu près trois ans, sur cette question. Cela représente une affaire sur plusieurs centaines d'accouchements sous X. Aujourd'hui, travailler sur l'égalité des chances entre les femmes et les hommes, entre les pères et les mères, c'est aussi travailler sur l'égale prise de responsabilité des deux parents, que ce soit dans le couple ou dans l'après couple ou dans le hors couple. C'est un enjeu fondamental. Nous avons voulu dans cette démarche d'égalité, favoriser les droits du père, du moins, lorsqu'il souhaite les exercer.

Cette importance des reconnaissances prénatales paternelles était prise en compte dans la toute première mouture du projet de loi qui a été déposé par le Gouvernement. En raison de la confusion possible entre accès à la connaissance des origines et établissement de la filiation, il nous a semblé nécessaire, après réflexion et après examen du texte par le Conseil d'Etat, d'enlever de l'ensemble du projet de loi toutes les dispositions ayant des incidences sur le droit de la filiation et de ne travailler que sur la reconnaissance de la légitimité d'une aspiration qui devient croissante et très forte, celle de la connaissance des origines.

La chancellerie prépare parallèlement un projet de réforme du droit de la famille, dans lequel devrait figurer cet aspect.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Il faut des preuves biologiques. N'importe qui ne peut pas reconnaître n'importe quel enfant.

Mme Fériel Kachoukh : Oui, mais il y aura certainement encouragement des reconnaissances anténatales et vérification à ce moment-là par le Conseil national des origines qui aura recueilli dans la plus grande confidentialité un certain nombre de données. Sous réserve d'un examen comparé des sangs, la paternité pourra donc être établie à la demande du père. Il faut cependant remarquer que les pères ne sont pas très nombreux à demander l'établissement de cette paternité.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : On peut à la limite avoir une reconnaissance anténatale par le père d'un enfant dont la mère accouchera sous X. On peut arriver à séparer complètement les deux démarches.

Mme Fériel Kachoukh : Cet enfant ne sera jamais dépourvu de filiation. Comme l'adoption plénière crée le lien de filiation et fait obstacle à toute restitution à la famille d'origine, il y aura certainement des conjonctions à trouver entre le délai de remise d'un enfant à l'ASE et le délai à partir duquel il pourra être remis en vue d'adoption.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Ce sera quand même à mon avis des cas extrêmement rares.

Mme Fériel Kachoukh : Tout à fait.

Vous m'avez aussi demandé si les avancées en matière de recherche de la connaissance des origines pourraient remettre en cause le principe d'anonymat dans la procréation avec tiers donneur. Ce débat existe dans plusieurs pays d'Europe. Il n'est pas absent dans notre pays, puisque le Comité consultatif national d'éthique a eu à se prononcer sur cette question. Nous ne sommes pas sur une optique de vérité absolue et de prétendue pureté des origines, mais il est très possible que cette brèche dans la connaissance des origines puisse être suivie d'autres.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il me semble difficile de faire le distinguo d'un point de vue rationnel.

Mme Fériel Kachoukh : Les dispositions qui les régissent ne sont pas les mêmes sur le plan juridique. Mais sur le plan rationnel, vous avez raison. Le raisonnement poussé à l'extrême aboutit à une analogie, non pas de situation, mais de perspective, en matière d'origine. Dans un cas, le géniteur est virtuel et l'on parle de super-filiation, tellement elle est abstraite et verrouillée. Dans l'autre cas, le géniteur, particulièrement la génitrice, a bien existé et a porté l'enfant.

Vous m'avez également demandé quel était exactement le préjudice pour l'enfant, si c'était la non-connaissance de ses origines ou le fait même de la filiation, c'est-à-dire de ne pas être élevé par ses parents de naissance.

Je ne suis pas pédagogue, donc, je ne voudrais pas me prononcer de façon très nette sur le préjudice pour l'enfant, sachant que, par ailleurs, juridiquement, la notion de l'intérêt de l'enfant a des contenus assez peu stabilisés.

J'ai entendu de très nombreux enfants adoptés, beaucoup d'associations. Nous avons souhaité au service des droits des femmes et de l'égalité que notre groupe de travail, qui était un groupe de travail administratif, regroupe aussi des personnes qui étaient opposées à l'accouchement sous X. Nous n'avons pas voulu faire un groupe de travail monolithique, mais permettre que des divergences s'expriment au sein même du groupe.

Le préjudice pour l'enfant n'est pas tant l'établissement de la filiation, car l'enfant a une filiation et que - hormis le cas des enfants très lourdement handicapés qui eux ne seront jamais adoptés et demeureront dans les services de l'ASE - tous les enfants qui sont nés sous X ont été adoptés et m'ont tous affirmé avoir eu une enfance absolument heureuse. Non, le préjudice, c'est, fondamentalement, celui d'une béance identitaire sur les circonstances de sa naissance. C'est celui de ne pas détenir un secret qui est détenu par d'autres, par un tiers, par une administration le plus souvent. C'est celui de ne trouver aucune trace et d'être dans un système de vérité non partagée. C'est proprement ravageur. Quand on sait d'où l'on vient, on peut beaucoup plus facilement faire le deuil de ce que l'on a été, de ce que l'on n'a pas été et de ce que l'on n'a pas eu. Lorsque l'on ne sait pas, on a simplement le vide confronté à soi. Très souvent, le trouble s'aiguise énormément au moment de donner soi-même naissance à un enfant. Le nouveau géniteur, enfant venu de nulle part, ne sait pas quelle est la place dans l'ordre des générations de ce nouvel enfant.

En ce qui concerne le nombre de jeunes femmes en galère, SDF, etc., il y a une montée évidente et préoccupante de ce phénomène. Il y a des solutions à mettre en place, non pas seulement dans le cadre de ce projet, mais dans le cadre d'une politique plus globale de lutte contre les exclusions et de prévention des processus de précarité et d'exclusion.

Ce phénomène nous a conduit à réfléchir au renouvellement de la campagne d'information sur la contraception et à cibler plus particulièrement les jeunes qui sont en déficit d'information, qui sont sortis de tous les dispositifs et qui sont, en rupture familiale et sociale. C'est effectivement un enjeu fondamental aujourd'hui.

Mme Hélène Mignon : Je rejoins plusieurs de vos remarques. En ce qui concerne le problème des enfants adoptés, le plus douloureux, c'est le fait de ne pas savoir d'où l'on vient et aussi de ne pas savoir pourquoi on a été abandonné. Je ne sais pas si vous avez des chiffres, mais avez-vous entendu des enfants adoptés parler de la recherche de leur père ?

Mme Fériel Kachoukh : Très rarement.

Mme Hélène Mignon : C'est assez étonnant. J'ai posé la question aux enfants en leur disant : vous ne parlez jamais du père, toujours de la mère. Pourquoi ? Ils ont été assez interloqués. C'est probablement lié à l'image de la grossesse, de la mère.

En ce qui concerne les jeunes femmes et la rue, c'est en travaillant sur la loi contre les exclusions que je me suis rendu compte que l'exclusion concernait beaucoup de jeunes femmes, de plus en plus. J'ai rencontré de nombreux responsables de centres d'accueil qui m'ont dit que leur grossesse n'était pas suivie, car on s'en apercevait souvent au dernier moment. Par ailleurs, si l'on s'en aperçoit un mois ou deux avant l'accouchement, et qu'on les amène dans des résidences pour jeunes femmes enceintes, elles sont coupées du père, et donc, après l'accouchement, le père n'est plus là, car il est parti en errance ailleurs. Il y a souvent un ressenti contre le père qui va se manifester contre l'enfant. En même temps, il y a la peur d'amener ces enfants à un suivi de PMI de peur qu'on leur dise que l'enfant n'est pas bien avec elles dans la rue ou dans le squat et qu'on va le placer.

Actuellement, il y a non seulement des jeunes hommes et des jeunes femmes, mais il y a également de jeunes bébés dans la rue, avec tout ce que cela comporte de risques pour la santé physique et mentale. C'est un souci prégnant. Dans tous ces centres d'accueil, quand on arrive à ramener des jeunes dans l'insertion, il y a très rarement des lieux qui accueillent les jeunes couples. C'est un questionnement.

Quand vous parlez de campagne de contraception, le malheur est que ces jeunes femmes-là ne vont pas être jointes par ces campagnes. Elles ne lisent pas, elles n'écoutent pas la télévision. Il y a une consultation à l'Hôtel Dieu qui reçoit tous les jeunes en grande difficulté ; le nombre de jeunes qui n'ont aucune notion de contraception est très important.

Mme Fériel Kachoukh : Ce sont effectivement des problématiques qui sont prises en compte dans le cadre de la préparation du plan national de lutte contre les exclusions, d'autant que la PMI a une mission importante, réaffirmée par la loi de lutte contre les exclusions, d'accompagnement des jeunes mères démunies et des jeunes filles enceintes démunies. Il nous semble absolument fondamental d'amplifier ces efforts d'accompagnement social.

S'agissant du ciblage des jeunes qui n'écoutent pas la télévision et sont dans la désocialisation la plus complète, nous proposons d'aller vers les populations les plus désocialisées, car elles ne vont pas vers les messages et ne sont pas en mesure, pour différentes raisons, de capter ces messages.

Sur la dissociation des couples dans l'errance, ces problématiques paraissent d'autant plus importantes que, dans les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, l'accompagnement et les moyens mis en _uvre, déjà importants, doivent être développés. Il nous paraît très important de ne pas dissocier le couple, mais il y a aussi dans ces couples beaucoup de phénomènes de violence à l'encontre des femmes, sur lesquels il convient de garder la plus grande vigilance.

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La Délégation a ensuite entendu M. Pierre Verdier, président et Mme Nathalie Margiotta, secrétaire générale de la Coordination des Actions pour le Droit à la Connaissance des origines (CADCO).

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous accueillons M. Pierre Verdier, président et Mme Nathalie Margiotta, secrétaire générale de la Coordination des Actions pour le Droit à la Connaissance des Origines (CADCO).

Cette Coordination, qui regroupe un certain nombre d'associations représentant les pupilles de l'Etat, les enfants nés sous X, les mères d'enfants nés sous X, milite en faveur du droit de toute personne à connaître son histoire et souhaite la suppression de la possibilité d'accoucher sous X et celle de demander le secret de l'identité.

Monsieur Verdier, vous êtes un ancien directeur de la DDAS. Vous avez écrit de nombreux manuels sur l'aide sociale à l'enfance et vous avez publié de nombreux ouvrages qui ont tous pour thème les droits de l'enfant, l'adoption ou l'accouchement sous X.

Le projet de loi sur l'accès aux origines déposé le 17 janvier à l'Assemblée nationale cherche, dans la situation douloureuse que représente l'accouchement sous X, à concilier deux droits qui sont le droit à la connaissance pour les enfants et le droit à l'anonymat pour les mères. Ce texte représente une avancée certaine par rapport à la situation actuelle, même s'il ne va pas aussi loin que vous le souhaitez.

Nous aimerions connaître votre analyse du texte du projet de loi dont nous aurons en principe à débattre au printemps, vos propositions d'amélioration et de modification.

Par ailleurs, nous aimerions que vous nous exposiez concrètement les difficultés rencontrées aujourd'hui par les enfants nés sous X ainsi que par les mères de ces enfants pour obtenir des informations. Nous aimerions que vous nous présentiez une sorte de bilan des retrouvailles mère/enfant dont vous avez connaissance à votre Coordination. Par ailleurs, nous aimerions savoir comment se pose la question du père.

M. Pierre Verdier : J'ai eu connaissance des problèmes de connaissance des origines en tant que directeur de DDAS. Je préside encore le Conseil de famille des pupilles d'Etat de Paris. J'ai été pendant longtemps membre du Conseil supérieur de l'adoption. C'est à ce titre-là que j'ai rencontré des adoptants, puis les enfants qui sont en quête de leur histoire. Dans la démarche d'adoption, contrairement à tout ce que l'on dit, c'est d'abord le point de vue des adoptants qui est entendu, même si cela commence à changer quelque peu. C'est ainsi que j'ai pu m'intéresser et m'impliquer très fortement dans ces questions.

Dans la plupart des pays du monde, la naissance établit un lien de filiation entre la personne qui accouche et l'enfant. Chez nos voisins Belges, Anglais, cela paraît évident que celle qui accouche est la mère.

En France, ce n'est pas ainsi. En France, on peut faire comme si la mère n'avait pas existé, et a fortiori le père, puisqu'en général on ne peut connaître le père que par la mère. Dans le langage courant, on dit qu'un enfant n'a pas de père, alors que l'on devrait dire que son père est inconnu, puisqu'en effet on a toujours un père et une mère de naissance.

Je ne vais pas revenir sur le dispositif français, qui est un système juridique d'une telle complexité que même les spécialistes et les juristes ne sont pas toujours d'accord entre eux sur l'interprétation à donner. Tantôt on parle de secret de la filiation, tantôt du secret de la naissance ou du secret de l'identité. Les textes sont faits de sédiments successifs que l'on n'a jamais pris le temps de réécrire. Malgré les améliorations qui ont pu être apportées par la "loi Mattei", les textes contiennent encore beaucoup d'approximations et de termes flous.

Par exemple, s'agit-il de secret ou d'anonymat ?

Dans les textes, l'accouchement peut être secret, mais pour nous, le secret c'est le contraire de l'anonymat. Le secret est un savoir caché à autrui. Le secret commence avec le savoir, alors que l'anonymat est une absence de savoir. Dans les textes, on prévoit que la mère peut demander le secret de son identité, ce qui veut dire qu'une information est recueillie et est tenue secrète, alors que, dans la pratique, très souvent, l'accouchement est anonyme. Or, si l'on peut prévoir des modalités d'accès à un secret, cela devient impossible lorsqu'il y a anonymat.

Il en découle des diversités de pratiques suivant les départements et les lieux, car chacun interprète les textes, quelquefois même complètement à l'opposé de ce qu'a prévu le législateur. Par exemple, la "loi Mattei" a prévu que les personnes qui remettaient leur enfant à l'aide sociale à l'enfance pouvaient laisser des informations ne portant pas atteinte au secret, ce que l'on appelle des renseignements non identifiants. Ce terme n'apparaît pas dans la loi, mais il figure dans le rapport Mattei. En conséquence, certains départements disent que le droit de laisser des renseignements identifiants n'existe pas. Nous en avons des exemples. Certains départements refusent qu'une mère laisse une photo d'identité ou une lettre. Ils font une interprétation de la loi.

De même, cette loi prévoit que les femmes peuvent à tout moment revenir sur la demande de secret. Cela représente un progrès car, si cela a toujours existé, ce n'était pas écrit dans la loi. Dans certains départements, l'on dit à une mère accouchée sous X : "Prouvez que c'est vous qui avez accouché sous X, il y a 17 ou 20 ans." Or, faire la preuve d'un accouchement sous X antérieur à 20 ans est extrêmement compliqué. Dans un cas, qui s'est passé à Nanterre, on a quand même pu le prouver, car on a pu faire attester par un médecin qu'elle avait bien accouché à cette époque-là.

Ces lois sont tellement mal écrites que les interprétations sont très souvent restrictives.

Cela entraîne des souffrances très importantes et des difficultés pour les personnes auxquelles la loi refuse l'accès à leur identité. D'après notre expérience, ni les enfants, ni les mères ne s'en remettent jamais. Notre association compte 1.400 personnes qui font preuve d'une énergie extraordinaire. C'est le combat de toute leur vie. Parfois, elles ne peuvent faire autre chose tant qu'elles n'ont pas pu se réconcilier. Dans les exemples les plus heureux -je pense à certains qui m'ont envoyé un faire-part de naissance après avoir pu rencontrer leur mère- ils n'ont pu investir dans l'avenir que lorsqu'ils ont pu résoudre les problèmes passés.

Des modifications sont maintenant possibles pour plusieurs raisons. Je voudrais en citer trois.

Pour la première fois depuis plusieurs années, les personnes intéressées commencent à parler. Pendant longtemps -et j'ai vécu cette époque-là, puisque cela fait près de 30 ans maintenant que je suis à la DDAS- ce sont des spécialistes qui en parlaient à la place des intéressés. D'éminents psychiatres ont dit que connaître son origine ne sert à rien, que c'est une quête commune à toute personne. Depuis dix ans maintenant, les intéressés, c'est-à-dire des abandonnés, des adoptés, ont commencé à parler. Pendant longtemps, on a pensé que les abandonnés n'avaient pas à parler, car ils n'avaient rien à dire. Aussi, par exemple, parmi les membres du Conseil supérieur de l'adoption, on avait prévu des adoptants et des organismes d'adoption, mais on n'avait pas prévu les adoptés. Cela vient d'être modifié tout récemment par la loi sur l'adoption internationale. On pensait toujours que les adoptés restaient des bébés. Seulement les adoptés ont grandi et aujourd'hui ils savent parler. D'ailleurs, ils nous disent que leurs parents sont leurs parents adoptifs, mais cela ne les empêche pas de vouloir connaître leur histoire et leur origine.

Je me suis beaucoup occupé de l'accès au dossier et j'ai reçu beaucoup de gens qui venaient consulter leur dossier. Il y a trois phrases que j'ai entendues avec une grande insistance : "On voudrait savoir qui l'on est. On est moins que les autres, puisque l'on ignore notre origine. Ce n'est pas juste."

Ils sont blessés à ces trois niveaux. Au niveau de l'identité, parce qu'ils ne savent pas qui ils sont. L'identité, c'est aussi notre origine. Dans toute notre culture occidentale, on est défini par notre origine. Si vous sortez votre carte d'identité, il y a un nom, un lieu de naissance. Quand on ne sait pas d'où quelqu'un vient, on ne sait pas qui il est.

Ensuite, ils disent : "on est moins que les autres puisque l'on ne sait pas qui l'on est". C'est très dévalorisant. D'ailleurs, certains nous disent qu'ils étaient traités de bâtards dans les cours d'école. Si vous n'avez pas été aimé par vos parents, vous n'êtes pas digne d'être aimé par la société. C'est inconsciemment très fort.

Puis, il y a le sentiment d'injustice ; ce qui est grave, ce n'est pas seulement de ne pas savoir, mais c'est de ne pas savoir ce que les autres savent. Le fait qu'il y a dans un dossier une information essentielle pour vous que l'on vous cache, est vécu avec un sentiment de révolte.

Récemment, vous avez pu voir comme moi sur la chaîne Arte un film qui s'appelait "Tu n'es pas un ange" qui montrait les consultations des dossiers à la DDAS de Strasbourg. Ce sont des pratiques absolument condamnables et d'ailleurs illégales. L'attaché territorial recevait les usagers, il avait les dossiers devant lui et les personnes en face de lui ; il leur disait qu'il y avait des choses dans le dossier mais qu'il ne pouvait pas les dire. C'est scandaleux. La loi prévoit un droit d'accès.

Le sentiment d'injustice est de ne pas avoir accès aux informations qui vous concernent et que quelqu'un d'autre que vous sait.

Les choses peuvent changer car, maintenant, les usagers, c'est-à-dire les adoptés, mais aussi les mères, parlent. Il a fallu un sacré courage à ces femmes pour sortir de l'ombre. D'ailleurs, le nom de leur association est "Les mères de l'ombre". Elles aussi, très souvent, sont des victimes et ont énormément de mal à se remettre.

Une deuxième raison d'un possible changement tient aux différents rapports officiels sur le sujet, depuis le rapport Fabius jusqu'au rapport d'Irène Thery, et plus timidement le rapport Dekeuwer-Defossez.

La troisième raison d'un changement est que nous sommes en défaut par rapport à nos engagements internationaux, notamment la convention internationale des droits de l'enfant et la convention de La Haye. La convention des droits de l'enfant prévoit que l'enfant a, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce qui n'est pas tout à fait la même chose.

M. Pierre Verdier : Dans la mesure du possible, cela veut dire pour nous dans la mesure du matériellement possible. Un enfant a le droit d'être élevé par ses parents. Si ses parents sont morts, bien sûr, ce n'est pas possible. Dans la mesure du possible, cela ne veut pas dire dans la mesure où cela nous intéresse et nous arrange.

A la CADCO, nous pensons qu'il y a moyen de concilier dans le droit français, comme dans beaucoup de pays voisins, des droits qui sont des droits réels, c'est-à-dire le droit de la mère qui accouche -je l'appelle la mère, d'autres auteurs, par exemple Catherine Bonnet, disent la femme qui accouche car elle a refusé d'être mère, mais même le code civil dans son article 341-1 parle de la mère pour celle qui accouche dans le secret- à le faire dans la discrétion, les droits de l'enfant à connaître son histoire et les droits des adoptants à une certaine tranquillité. Nous pensons que ces droits ne s'opposent pas, et qu'il y a moyen de les concilier.

Mme Nathalie Margiotta. Je suis née sous X, et je suis absolument contre l'accouchement sous X.

On dit souvent que l'accouchement sous X est un droit des femmes. Depuis environ cinq ans, j'ai beaucoup entendu les mères. Je me demande si elles ont vraiment exercé une liberté ou si elles ont subi une contrainte. Celles que je connais, dans leur grande majorité, ont subi une violence au moins égale à celle que l'on afflige à un enfant né sous X que l'on prive de son histoire : pression familiale ou sociale, grande détresse morale et financière, pas nécessairement financière d'ailleurs, solitude, méconnaissance de la langue française, voire analphabétisme ; bien des circonstances ont fait de ces femmes des proies pour des rabatteurs d'enfants nés sous X, notamment de certaines _uvres privées, dont on commence à découvrir les méfaits aujourd'hui. Il ne faut pas oublier que certaines _uvres ont eu un intérêt financier à avoir le plus possible de nourrissons sous  X.

Avant l'accès à la contraception et à l'IVG, la pression sociale dans certains milieux - qu'ils soient d'ailleurs très simples, très modestes ou très bourgeois - était tellement forte, le poids de la honte était tellement immense que nos mères n'ont vraiment pas eu le choix.

Si vraiment certaines d'entre elles ont exercé un droit ou en tout cas une liberté, je me pose la question dans ce contexte du devoir d'une mère puisque, quand on accouche, on est mère. C'est une expérience que j'ai vécue.

On est tous d'accord, les nés sous X et les autres : l'accès à la contraception et à l'IVG sont, après des années de combat, des acquis du féminisme dont nous sommes les bénéficiaires directs.

Mais, il nous semble qu'un mouvement comme le Planning familial fait fausse route quand il assimile l'accouchement sous X avec le droit des femmes à disposer de leur corps. Il y a une différence entre un embryon et un nourrisson. Une décision d'anonymat lèse un tiers, l'enfant de la femme qui a accouché.

Je crois que l'on est responsable des enfants que l'on met au monde et que fournir une identité constitue un minimum pour donner une chance à un enfant de se construire sur des bases solides. Je réclame cela en tant que femme, en tant que mère, car mon petit garçon ne connaît pas 50 % de son patrimoine génétique et notamment son hérédité médicale, ce qui me paraît tout à fait inacceptable. Quand vous allez chez la gynécologue lorsque vous êtes enceinte ou chez le pédiatre, on vous pose la question : de quoi sont morts vos parents. C'est plus que pénible de répondre toujours : je ne sais pas, je suis née sous X. En tant que femme, en tant que mère, je ne reconnais pas à ma mère le droit de me priver de mon histoire.

Par ailleurs, je n'éprouve aucune rancune envers elle, car je connais bien son histoire désormais.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Chacun d'entre nous a un regard sur cette question-là, mais on ne peut pas imposer ce regard-là à l'ensemble de la société.

Mme Nathalie Margiotta : Seuls les intéressés peuvent dire qu'ils ne sont pas d'accord.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pas forcément. Je ne me reconnais pas le droit de juger.

Mme Nathalie Margiotta : On ne juge pas nos mères, on les défend bec et ongles.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Si des mères ou des femmes sont contraintes d'accoucher sous X, pour moi, cette décision doit être respectée.

Mme Nathalie Margiotta : On peut leur proposer une solution moins inhumaine pour elle comme pour l'enfant.

Il reste les cas minoritaires de l'inceste et du viol, qui sont brandis très souvent pour décourager de chercher. Cela arrive, mais c'est vraiment très rare. Ceux qui découvrent ce type de vérité sont unanimes, ils nous disent : "Finalement, cela ne m'étonne pas, je le sentais, je le savais, mais cela me fait du bien de le savoir." Aussi étonnant que cela puisse paraître, ils prennent la nouvelle plutôt bien et mieux que ce que l'on pourrait s'imaginer quand on n'est pas directement concerné. Certains de mes amis qui ont découvert qu'ils étaient nés d'un viol par exemple décident de chercher le père pour lui dire ses quatre vérités. Peu y parviennent, mais c'est finalement lui que la loi protège, alors que c'est le seul coupable.

Une amie me disait : "On est pour l'égalité des chances entre nos pères et nos mères, on veut que les deux laissent leur nom."

Si cette solution radicale de l'accouchement sous X a arrangé beaucoup de nos pères, dont le mien qui ne voulait pas assumer un enfant non désiré, il y a aussi des pères qui se manifestent aujourd'hui, qui ont été privés d'un enfant par une décision unilatérale de la mère alors qu'ils auraient souhaité le reconnaître. En privant un enfant de son histoire, on le prive donc d'un père.

Nous ne voulons pas faire de l'abandon un délit ou poursuivre des femmes qui vont se sauver par la fenêtre après avoir donné une fausse identité. Il n'est pas question de poursuivre ou de sévir ou de condamner, mais il convient de supprimer une disposition qui organise et, de fait, encourage une injustice profonde, une violence faite à l'enfant, à l'adulte qu'il devient et à ses descendants ; on a, en effet, des enfants et des petits-enfants d'abandonnés qui nous appellent aujourd'hui et qui reprennent le flambeau et les recherches.

M. Pierre Verdier : La plupart des mères qui demandent le secret souhaitent une protection par rapport à leurs parents ou à leur entourage, mais non pas par rapport à l'enfant. Beaucoup nous disent qu'elles n'ont pas peur de leur enfant et qu'elles ne veulent pas être protégées de leur enfant, qui peut revenir en effet 20 ans après. Elles disent toujours : "Au fond, je savais que tu reviendrais et je le souhaitais."

En ce qui concerne le projet de loi de Mme Ségolène Royal, je vous ai apporté un article du journal du droit des jeunes dans lequel je viens d'en faire l'analyse.

Nous pensons qu'en France, comme dans beaucoup de pays, la naissance devrait entraîner la filiation. Lorsque le Portugal a ratifié la convention des droits de l'enfant, il a prévu que l'on demande à la mère de dire son nom ainsi que le nom du père. Les enfants sans filiation paternelle sont signalés au procureur, qui doit faire des recherches. Nous n'allons pas aussi loin et nous ne voulons pas d'un système policier qui fasse rentrer la police dans les maternités, mais nous pensons idéalement que tout enfant devrait avoir le droit de connaître ses parents. Actuellement, avoir des parents ce n'est pas un droit de l'enfant, c'est simplement une possibilité.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il y a une distinction dans les textes entre origine biologique et filiation sociale. A travers vos propos, il me semble comprendre que vous souhaitez qu'il n'y ait plus qu'un seul concept.

M. Pierre Verdier : Ce n'est pas ce que l'on demande actuellement. Tout le monde devrait avoir le droit de connaître son origine, ce que l'on pourrait appeler sa filiation biologique. Juridiquement, la filiation ne découle pas de l'accouchement. Elle découle toujours d'une parole socialement reconnue à travers la déclaration de naissance si l'on est marié, la reconnaissance volontaire ou un jugement.

Nous pensons qu'il devrait être possible de connaître son origine sans que cela n'établisse une filiation.

Nous ne remettons pas en cause l'adoption. L'enfant adopté a des parents, qui sont ses parents adoptifs, et qui sont ses vrais parents. Cela n'empêche pas le besoin de cet enfant de connaître son origine.

Un enfant peut avoir plusieurs parents. On peut avoir des parents de naissance, avoir des parents affectifs et des parents juridiques. Si ce sont les mêmes, c'est parfait, mais si ce ne sont pas les mêmes, du moment que c'est clair pour l'enfant, c'est vivable. En tout cas, on connaît des enfants qui ont plusieurs parents, et pour lesquels cela ne pose pas de problème.

Le projet de loi de Mme Ségolène Royal ne va pas assez loin dans ce sens, mais, selon moi, il apporte quand même quelque chose. Encore qu'à la CADCO, mon opinion est plutôt minoritaire et que beaucoup parmi les 1 400 autres adhérents pensent qu'il faut le rejeter complètement.

A mon sens, il apporte un certain progrès au niveau du recueil des informations, puisque les mères seront invitées à laisser leur identité. Certes, le terme "invitées" paraît un peu léger. On pourrait trouver une autre formulation, par exemple demander aux mères de laisser leur identité, sans qu'elles y soient obligées, c'est-à-dire trouver un moyen de les y inciter davantage.

Actuellement, dans certains hôpitaux, elles sont même parfois dissuadées de laisser leur identité. Sur les imprimés des services d'aide sociale à l'enfance, il est indiqué que des informations sont demandées, mais la personne est avertie qu'elle peut ne pas y répondre, ce qui est assez extraordinaire.

Mme Nathalie Margiotta : Certains sont tout à fait hostiles à la suppression de l'accouchement sous X et continueront à dire aux mères que la loi leur permet de laisser leur nom, mais qu'elles ne sont pas obligées. Le problème ne sera pas résolu par ce terme "invitées".

M. Pierre Verdier : L'important c'est que le Conseil pour l'accès aux origines personnelles puisse se faire communiquer par les parquets des actes de naissance même annulés et des documents archivés. Actuellement, on peut reprocher au tribunal administratif son peu de pouvoir d'investigation. Lorsqu'un service d'aide sociale à l'enfance ou lorsqu'une _uvre privée d'adoption dit qu'il n'y a rien dans le dossier, on peut saisir la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), qui interroge le service ; si celui-ci répond qu'il n'y a rien dans le dossier, il n'y a jamais de contrôle sur place. Le Conseil, lui, aura un peu plus de pouvoir d'investigation, en tout cas, il pourra se faire communiquer certains actes. Si tout le monde joue le jeu, cela peut fonctionner.

Le projet de loi supprime aussi l'état civil provisoire. Je ne sais pas si vous connaissez cette possibilité qu'avait l'administration de faire des faux états-civils. C'est l'article 58 du code civil qui prévoit les démarches à suivre lorsqu'on trouve un enfant dans la rue. L'officier d'état-civil établit un état civil fictif où l'enfant sera réputé né au lieu où il a été découvert et il va lui donner trois prénoms dont le dernier tiendra lieu de nom de famille.

L'article 58 précise que pareil acte de naissance peut être fait pour les pupilles de l'Etat, lorsque les parents ont demandé le secret de leur identité.

Il y a donc des enfants dont la filiation a été établie, puis qui sont remis à l'aide sociale à l'enfance avec une demande de secret. Jusqu'à présent, le premier acte de naissance était annulé et un nouvel acte de naissance était établi dans une autre ville.

M. Pierre Verdier : J'en ai connu qui, par exemple, disaient : "J'ai une carte d'identité d'après laquelle je suis né à Bar-le-Duc, mais j'ai un carnet de santé qui indique que je suis né à Verdun ; alors en fait où suis-je né, puisque tout est faux ?" Le projet de loi va supprimer cette possibilité de trafiquer l'état civil des enfants de façon unilatérale. Cette pratique était d'ailleurs devenue résiduelle.

Au niveau du recueil des informations, le projet de loi a été amélioré, suite aux observations faites par le Conseil d'Etat. L'avant-projet de loi prévoyait un conservatoire national pour les abandonnés, contre lequel nous nous sommes élevés. En effet, il était prévu que toutes les informations soient centralisées. Or, c'est toujours dangereux de faire des fichiers pour une catégorie de population. Dans le projet de loi actuel, il n'y a pas de fichier national et les informations sont conservées par les départements. S'il y a demande des intéressés, le Conseil se fait communiquer les informations par ceux-ci. C'est beaucoup plus protecteur et mieux sécurisé.

Au niveau de la communication, il y a progrès, c'est-à-dire qu'il y a une meilleure identification du lieu où il faut s'adresser. Après chaque émission télévisée ou sur notre site Internet, nous recevons des demandes de gens qui ne savent pas où ils doivent s'adresser. Certaines femmes n'imaginent pas que leur dossier est détenu par les services de l'aide sociale à l'enfance, car elles n'ont connaissance que de l'hôpital où elles ont accouché. Maintenant, il y aura un lieu spécifique où l'on pourra s'adresser, ce qui mettra fin à certaines disparités départementales.

En revanche, selon nous, le projet de loi pourrait être amélioré sur trois points.

D'abord, il conviendrait de rendre systématique le recueil de l'identité. Nous ne sommes pas favorables à des poursuites policières, mais si l'on demande aux femmes de laisser leur nom, la plupart le laisseront. Il y en aura toujours qui laisseront un faux nom, mais il y a une différence entre tolérer des situations marginales et organiser des situations marginales.

Actuellement, si vous allez vous faire opérer de l'appendicite, vous devez dire votre nom. Cela arrive de temps en temps que les gens ne donnent pas leur vrai nom, mais cela devient marginal.

Dans tous les pays où l'accouchement sous X n'existe pas, il y a toujours des femmes qui ne donnent pas leur nom. Mais, il y a une différence entre accepter des situations particulières et organiser le secret ; nous sommes contre l'organisation du secret.

Le système prévu par le projet de loi comporte des risques. Les femmes seront invitées à laisser sous pli cacheté leur identité. Evidemment, certains plis seront vides ou contiendront de fausses informations. Ce système est assez dangereux. Il vaudrait mieux que cette identité soit recueillie et vérifiée par le directeur de l'hôpital ou la personne désignée. On ne peut certes pas obliger les gens à donner leur identité. Mais, si je fais un chèque de 100 F au Prisunic, on me demande une carte d'identité. Pourrait-on laisser un enfant sans laisser son identité ? Cela me paraît absolument disproportionné comme situation.

Nous souhaitons donc un recueil de l'identité systématique.

Nous souhaitons également une communication de cette identité de plein droit à l'enfant majeur. On peut admettre qu'il faille l'accord de ses parents adoptifs lorsqu'il est mineur. En revanche, lorsqu'il est majeur, il doit y avoir droit. La mère serait informée au moment où elle remet l'enfant que son secret est protégé pendant 18 ans, mais qu'après il pourra être communiqué à l'enfant.

Nous souhaitons aussi qu'il y ait une certaine réciprocité entre la mère et l'enfant. Le projet de loi a prévu que l'enfant pouvait chercher sa mère, mais pas que la mère pouvait chercher son enfant. Dans ce dernier cas, on pourrait prévoir davantage de médiation, mais il faudrait prévoir une possibilité de réciprocité. J'ai parfois des appels téléphoniques assez émouvants et extraordinaires. L'autre jour, c'était une femme qui avait accouché à 16 ans à Strasbourg et à qui l'on avait dit que son enfant était mort. Récemment, elle a trouvé sur notre site un enfant né ce jour-là qui recherchait sa mère. On les a mis en relation.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pensez-vous qu'il faille un recueil de l'identité de la mère et si possible du père ?

M. Pierre Verdier : Dans notre pays, le code civil fait par Napoléon est très protecteur des hommes. D'ailleurs, dans le premier code, la recherche en paternité était interdite dans tous les cas. On en a introduit la possibilité seulement beaucoup plus tard. Si l'on dit aux hommes que leurs frasques extraconjugales ne seront plus protégées, cela va être un tollé général.

Mme Danielle Bousquet : J'ai parfaitement entendu vos propos sur le fait que les origines, ce n'est pas seulement une mère, c'est un père et une mère. Vous faites une différence entre le père et la mère, c'est-à-dire que vous dites qu'il faut absolument faire en sorte que l'on ait des informations concernant la mère ; pourquoi ne dites-vous pas qu'il faut absolument que l'on en ait concernant le père -sauf s'il s'agit d'un viol collectif- puisque le père est presque toujours identifié.

Mme Nathalie Margiotta : Pierre Verdier n'ose pas faire une proposition qui effectivement créerait un tollé général, car il est vrai que le père est très protégé. En tant que nés sous X, quand nous avons trouvé la mère, nous cherchons immédiatement le père. Parfois, nous faisons l'inverse, nous trouvons notre père avant de trouver notre mère. Les deux ont une importance égale à nos yeux, même si le père est un violeur. J'ai des amis qui recherchent leur violeur de père, histoire d'avoir une conversation avec lui, pas pour lui tirer un coup de fusil, mais pour lui dire : "Explique-moi". C'est quelque chose dont ils ont besoin dans leur vie, peut-être pour tourner une page et avancer. Pour nous, le père est aussi important.

Nous n'avons pas prévu actuellement de revendiquer cette place du père, mais cela ne va pas tarder car, aujourd'hui, ils sont nombreux à nous appeler pour des questions de recherche de paternité. Ils ont la même exigence que nous.

Mme Danielle Bousquet : Je comprendrais parfaitement que votre association soutienne cette demande.

M. Pierre Verdier : Je me rallie tout à fait à cela. J'ai dit "si possible" car il y a des cas où même la mère ne connaît pas le père.

Mme Nathalie Margiotta : On peut savoir aujourd'hui à coup sûr qui est le père.

M. Pierre Verdier : Si on le trouve, on peut le prouver.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En ce qui concerne votre troisième proposition sur la réciprocité, on peut également se poser la question de savoir si cette réciprocité concerne la mère uniquement ou la mère et le père. Ne conviendrait-il pas de la permettre à partir du moment où l'enfant devient majeur, ce qui éviterait de perturber la vie de la famille adoptive si celle-ci n'en éprouve pas le désir ?

M. Pierre Verdier : Oui. Pour beaucoup d'enfants, s'ils savent qu'ils pourront savoir un jour, leur souffrance sera beaucoup moins forte. En revanche, quand certains leur disent qu'ils détiennent des informations et qu'ils ne les leur donneront jamais, cela devient révoltant. S'ils peuvent le savoir à 18 ans ou même 21 ans, cela l'est moins.

Mme Nathalie Margiotta : Je me suis rendu compte, à deux ou trois reprises, qu'en ayant contacté des gens trop jeunes, même majeurs mais encore trop dépendants de leurs parents adoptifs, pas seulement financièrement, mais émotionnellement, on allait droit à l'échec quand les parents adoptifs vivaient cela très mal. Tant que l'enfant n'est pas pleinement construit comme adulte, il faut passer par les parents adoptifs. Un rejet violent et brutal de leur part entraîne un échec de la relation, qui pourrait être sereine par ailleurs, entre la mère de naissance et l'enfant retrouvé. Il faut tenir compte des parents adoptifs. Si l'on a affaire à un monsieur de 45 ans, on peut y aller, mais à 20 ou 25 ans, c'est encore une période critique. Là, la médiation est indispensable.

Mme Hélène Mignon : Avez-vous beaucoup de demandes de mères qui recherchent leur enfant ?

Mme Nathalie Margiotta : Une bonne centaine. Dans notre fichier, 10 % de nos contacts sont des mères ou des pères ou des familles, mais des mères en majorité, des frères, des s_urs. Il y a des fratries qui ont été abandonnées et séparées entre différentes familles. C'est une souffrance de savoir que l'on a un frère ou une s_ur et que l'on ne peut pas savoir qui il est. Il y a des demandes importantes aussi de frères, de s_urs, de grands-parents, de pères.

Mme Hélène Mignon : Actuellement, il semble qu'il y ait pas mal de mineures qui accouchent sous X sous la pression de la famille. A Toulouse, on m'a dit qu'il y en avait à peu près une par semaine.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : J'ai pu voir autour de moi que, devenues "adultes", c'est-à-dire la rupture avec la famille ayant eu lieu, les conditions de vie ayant changé, une certaine aisance financière étant survenue -puisque les mères sont souvent dans la précarité lorsqu'elles accouchent sous X- des mères souhaitaient avoir des nouvelles ou rechercher leur enfant. Souvent, cela reste une blessure à vie, même s'il ne faut pas généraliser La recherche n'est pas facile, notamment pour les périodes les plus lointaines.

Mme Nathalie Margiotta : Plus les mères ont agi sous la pression, plus elles sont capables de revenir. Celles qui ont pris des décisions plus éclairées ou qui étaient plus âgées au moment de l'accouchement ont du mal à le faire. Les femmes qui reviennent ont rarement au-dessus de 40 ans, c'est-à-dire que les femmes des générations précédentes n'arrivent pas à passer ce cap et à affronter ce tabou énorme, la honte d'avoir abandonné. Alors que nous sommes tous prêts à leur pardonner. Aujourd'hui, elles ne parviennent toujours pas à en parler, même si je suis convaincue qu'au fond d'elles-mêmes c'est une blessure intolérable.

M. Pierre Verdier : Vous avez demandé tout à l'heure comment se passent les retrouvailles. On n'en a pas des milliers, mais un nombre important.

Mme Nathalie Margiotta : On ne peut pas faire d'angélisme malheureusement. On ne peut pas dire que c'est merveilleux, que tout se passe bien, qu'ils sont heureux, qu'ils s'aiment, ce n'est pas vrai. Il y a des cas où effectivement cela se passe bien et des liens se nouent. Quand on a affaire à des gens intelligents, cela se passe ainsi.

Il y a des cas où cela se passe moins bien, où l'un comme l'autre n'ont pas très envie de se revoir, où la mère plaît pas, où la mère veut prendre trop de place dans votre vie.

Et puis, on peut se heurter à un refus massif de la femme. C'est le plus difficile à supporter. On en a connu qui, bien que l'on ait leur nom, prénom, date et lieu de naissance dans le dossier, affirmaient qu'elles n'avaient jamais accouché et elles tiennent longtemps sur cette position. D'autres, quand vous allez les voir, vous disent qu'elles vont appeler la police.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela signifie que la médiation est impérative.

Mme Nathalie Margiotta : Je vous parle en tant que médiatrice. En l'absence de services concernés, on est obligé de le faire, on n'a pas le choix. Les personnes concernées le font souvent avec beaucoup de tact et de sensibilité, car elles ont une empathie justement que certains acteurs sociaux extérieurs n'ont pas. Nous allons voir ces femmes, Pierre Verdier l'a fait aujourd'hui, je l'ai fait samedi, c'est du quotidien pour nous. On les respecte infiniment et on y va le plus doucement possible. Maintenant, des deux côtés, qu'il s'agisse d'un enfant ou d'une mère, on a une forte demande, une forte pression et il faut y aller pour le bien de l'un ou de l'autre, on espère pour le bien des deux. Si nous n'y allons pas, ce sont eux qui y vont en direct et cela fait des dégâts.

Mme Danielle Bousquet : Vous avez dit : elles tiennent longtemps sur cette position quand elles ont dit : "Non, je ne reconnais pas avoir accouché, ce n'est pas moi, je ne suis pas concernée" ; cela veut-il dire que vous y retournez éventuellement ?

Mme Nathalie Margiotta : Ce n'est pas tellement nous qui y retournons, mais nos amis n'acceptent pas.

Mme Danielle Bousquet : C'est-à-dire que l'on peut harceler une femme ?

Mme Nathalie Margiotta : On leur déconseille vivement de harceler, on les empêche, si l'on peut, de les harceler. Ainsi, on a le nom de la mère de Joël depuis un an. Il s'est fait jeter une première fois. J'ai appelé trois mois plus tard, je me suis fait jeter. La pression de Joël demeure énorme.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : J'estime que l'on n'a pas le droit de procéder ainsi. Il y a vraiment là une césure dans notre façon de concevoir la liberté des personnes.

Mme Nathalie Margiotta : Oui, mais vous n'empêcherez pas les nés sous X de le faire, alors aménagez-le.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est bien ce que le projet de loi cherche à faire.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Sur beaucoup de points, je partage tout à fait votre analyse ; il y a effectivement un désir chez la mère de savoir ce qu'est devenu l'enfant, de le retrouver et il y a une culpabilité vraiment très grande. Je suis sûre que, la plupart du temps, la vie évoluant, les mères lèveront le secret, mais il faut leur laisser cette liberté-là. C'est une liberté, cela fait partie des droits fondamentaux.

Mme Nathalie Margiotta : Je suis une mère, je n'ai pas de droit sur mon enfant, je n'ai que des devoirs.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je fais confiance aux femmes et à l'intelligence des rapports. La plupart du temps, ces femmes sont contraintes d'accoucher sous X, elles n'ont pas le choix, donc, elles feront la démarche, mais il ne faut pas les contraindre.

Mme Nathalie Margiotta : Je suis dans une situation particulière : je sais que ma mère me connaît très bien, mais ne veut pas me voir. Des circonstances de ma naissance, je sais que cette femme a accouché sous la pression de son mari. J'étais une enfant adultérine. Aujourd'hui encore, le mari est toujours vivant. Aujourd'hui encore, tous les gens qui ont organisé cette adoption et ce transfert d'enfant veulent qu'elle se taise. Elle est sans doute rongée de culpabilité, de remord et extrêmement malheureuse et elle n'arrive pas à faire le pas. Vous ne croyez pas que si je la contraignais à le faire, cela l'apaiserait ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Non, pas du tout. Faites-lui confiance. Donnez-lui la liberté de se libérer de cette tutelle.

Mme Nathalie Margiotta : Je lui fais confiance. C'est à son mari et à son entourage que je ne fais pas confiance. Cela fait 33 ans qu'ils l'empêchent de me contacter. J'ai rencontré ma mère quand j'avais 7 ans. Je l'ai reconnue, elle m'a reconnue. Vous croyez qu'elle va bien aujourd'hui ?

Mme Danielle Bousquet : Je suis persuadée que la contrainte est la plus grande catastrophe qui puisse arriver pour la suite des relations. Il faut attendre aussi tard que ce soit, mais ne jamais conduire à une situation de violence.

Mme Nathalie Margiotta : Je comprends tout à fait, mais je ne vois pas comment vous convaincrez un né sous X en recherche et en souffrance d'agir autrement. Quand il entame cette démarche, cela a été mon cas, mais aussi le cas de beaucoup d'autres, c'est un besoin vital. On ne s'arrête pas et on est incapable de s'arrêter.

Récemment -je ne sais pas si vous avez vu l'émission "52 sur la Une"- une de mes amies, Brigitte, est allée voir sa mère au Mexique car elle voulait la rencontrer. Elle a dû entrer presque par effraction chez sa mère qui, c'était hors caméra, mais elle me l'a confié, l'a attrapée par les cheveux, l'a jetée dehors. Elle a giflé son mari. Brigitte a giflé sa mère.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce n'est pas possible dans ces conditions.

Mme Nathalie Margiotta : Brigitte ne peut pas faire autrement. Quand elle est sortie, elle a dit à sa mère : "Maman, je t'aime beaucoup." et elle nous dit aujourd'hui qu'elle va y retourner ; et elle va y retourner et vous ne pourrez pas l'en empêcher. Elle n'est pas folle. C'est une maman, elle est charmante, mais elle est en souffrance.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il y a un travail sur sa propre souffrance qui est à mener dans le respect de chacun.

M. Pierre Verdier : J'agis en tant que professionnel, donc je prends plus de recul, mais on ne peut pas résister à la demande.

Un exemple, un peu en sens inverse, d'une mère qui a identifié son fils qui a 35 ans à peu près. Elle ne savait pas comment prendre contact. Elle lui a écrit, il n'a jamais répondu. Devant son insistance, j'ai accepté de téléphoner. Il m'a dit qu'il allait réfléchir. Il a pris un tas de renseignements. J'ai tout donné, car je n'ai rien à cacher. Un an après, il m'a rappelé, c'était juste avant Noël l'année dernière, en me disant : "Cela m'a beaucoup perturbé ce que vous m'avez dit l'an dernier. J'en ai parlé avec ma fiancée. Que dois-je faire ?" Je lui ai fait une pression amicale en lui disant : "Rencontrez-là, vous ne risquez rien. C'est une femme que je connais, qui est tout à fait normale, agréable. On peut organiser une rencontre chez un tiers, dans mon bureau, où vous voulez." Ils se sont rencontrés. Ils sont restés quatre heures ensemble. Cela s'est bien passé.

Certains, après s'être rencontrés, ne veulent plus se revoir. Pour moi, cela ne veut pas dire que c'était inutile. Ils ne peuvent tourner la page que lorsqu'il y a eu cette rencontre.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le désir est assouvi.

M. Pierre Verdier : Par ailleurs, nous sommes pour le droit à la connaissance des origines, mais pas pour l'obligation. Nous en connaissons aussi qui ne veulent pas savoir. S'ils ne veulent pas savoir, ils ont le droit de ne pas savoir. Mais on ne se sépare que de ce que l'on connaît, on ne peut pas se séparer de l'inconnu.

Mme Nathalie Margiotta : J'ai un dernier exemple qui est en contradiction avec la médiation obligatoire. C'est le cas d'une maman qui était en grande souffrance et qui cherchait sa fille de 50 ans. 75 ans, 50 ans, on peut imaginer que ce sont des grandes filles. Sa fille était née d'une liaison avec un prêtre et elle souhaitait vivement la revoir. On a retrouvé sa fille. C'est moi qui l'ai contactée une première fois le plus gentiment du monde. Je lui ai dit que sa mère la recherchait. Elle m'a dit que cela ne l'intéressait pas, qu'elle ne voulait pas savoir. La mère était très insistante, mais je lui ai dit que je ne donnerai pas son adresse. Elle a harcelé les services sociaux de Montpellier qui sont fait des recherches et qui se sont faits jeter par la fille. Grâce aux Mères de l'Ombre, elle a trouvé l'adresse de sa fille. Elle lui a écrit en direct à une date symbolique pour toutes les deux. La fille lui a répondu et depuis elles ont une relation vraiment profonde et qui ne cesse de croître en amitié, en affection. Elles ont toutes les deux trouvé l'apaisement. Je sais que la fille a perdu 20 kilos, que la mère est heureuse. Là, le médiateur a échoué -moi en l'occurrence, ainsi que les services sociaux- ; ce n'est pas un rôle que j'aime et que je fais volontiers ; je le fais en raison de l'absence de personnes dont c'est le métier.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous ne pouvez pas dire que la médiation a été un échec. Vous ne savez pas ce que cela a pu faire maturer.

Mme Nathalie Margiotta : La lettre de Raymonde a emporté la décision de la fille. Cette situation a duré pendant un an.

Mme Danielle Bousquet : Chaque fois, on se rend compte que le temps compte.

M. Pierre Verdier : C'est pour cette raison que l'on ne harcèle pas.

Mme Nathalie Margiotta : Quand on revient à la charge, c'est des mois et des mois après. Il ne s'agit pas d'appeler toutes les trois heures.

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