ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 34

Mercredi 9 mai 2001

(Séance de 13 heures)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Marie-Cécile Moreau, juriste

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Marie-Cécile Moreau, juriste.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Marie-Cécile Moreau. Comme nous l'avons déjà fait pour un autre texte important, à savoir la révision de la loi sur l'IVG et la contraception, nous avons souhaité vous auditionner pour que vous puissiez nous exposer, de votre point de vue de juriste, comment le projet de loi de Mme Ségolène Royal relatif à l'accès aux origines personnelles, concilie à la fois les droits de la femme à accoucher sous X et le droit de l'enfant à connaître ses origines. Nous aimerions également que vous évoquiez le problème de la recherche de paternité en cas d'accouchement sous X et que vous nous précisiez les conséquences de l'introduction dans la loi française d'une reconnaissance de l'accès aux origines personnelles.

Mme Marie-Cécile Moreau : Je traiterai successivement de l'accouchement sous X, de la recherche de paternité, puis de leur traitement respectif par la loi de 1993. Enfin, je regarderai si le projet de loi sur l'accès aux origines personnelles est compatible avec les textes existants, notamment sur l'accouchement sous X.

En guise d'introduction, j'indiquerai très brièvement que les quatre questions que je viens de poser sont toutes prédominées, de manière très prégnante, par de grands débats qui actuellement divisent, entre autres les juristes, sur les points suivants : quelle part faire à la filiation biologique et à la filiation juridique ou sociale, quelle part faire à la volonté individuelle et, en revanche, aux règles d'ordre public. Il y a également un débat plus large, mais peut-être mieux réglé, sur la façon d'organiser l'égalité entre les différentes catégories d'enfants. Je m'en tiendrai, cependant, aux quatre questions indiquées.

S'agissant de l'accouchement sous X, je considère que ce terme d'accouchement sous X est une faculté plutôt qu'un droit que la mère possède de demander, lors de l'accouchement, le secret de son admission et de son identité. L'article 341-1 du code civil a été introduit, dans notre droit, à une date très récente, par la loi du 8 janvier 1993.

L'accouchement sous X est donc une disposition nouvelle que je pourrais résumer en lui donnant les caractères suivants. C'est une disposition spécifique, cohérente avec le reste de notre droit et qui comporte des conséquences radicales très importantes.

C'est une disposition spécifique, parce que la recherche de maternité n'est pas entamée par ce texte. Elle existait avant, elle existe encore maintenant. Elle est supprimée par le nouvel article issu de la loi de 1993, dans le cas spécifique où la mère demande le secret de son admission et de son identité.

Cette disposition spécifique est néanmoins cohérente - malgré ce que peuvent en dire ceux qui y sont opposés - avec le reste de notre droit, pour la raison suivante. Dans le droit français, l'établissement de la filiation n'est pas obligatoire. Un enfant qui naît n'est pas rattaché, par l'officier d'état-civil, soit au père, soit à la mère. En matière de filiation naturelle, le père et la mère doivent faire une reconnaissance.

C'est donc une disposition cohérente avec le reste de notre droit, ce qui pourrait ne pas être le cas pour d'autres pays qui n'admettent pas ou ne connaissent pas cette possibilité et cette exigence de la reconnaissance, créatrice d'un lien juridique. Certains pays font rechercher, par le Parquet, la filiation de l'enfant. Dans notre législation, nous ne connaissons pas cette difficulté.

Cette disposition, en troisième lieu, comporte des effets radicaux quant à la mère, au père et à l'enfant, effets radicaux que d'ailleurs le législateur de 1993 ne semble pas avoir aperçus. Ces effets sont radicaux quant à la mère, car nul ne pourra introduire d'action en recherche contre elle puisqu'elle est anonyme ; il y a donc fermeture de l'action en recherche de maternité, laquelle est encore plus importante qu'une fin de non-recevoir procédurale. Mais cela signifie aussi la fermeture pour la mère de pouvoir, si l'enfant est adopté, demander, dans le délai de la loi, à le reprendre. La Cour de cassation s'est prononcée en 1996 sur ce point, en répondant que la mère ne le peut pas, car il est anonyme.

Les effets sont également radicaux en ce qui concerne le père. La jurisprudence s'est prononcée en disant que le père ne peut reconnaître un enfant né sous X, car l'enfant n'a pas d'identité. Même la reconnaissance prénatale sera dépourvue de tout effet car prenant effet, selon la loi, à la date de l'accouchement. L'enfant, étant né sous X d'une mère sous X, ne peut être l'objet d'une reconnaissance.

Enfin, les effets sont radicaux quant à l'enfant qui est un enfant né d'une mère X et qui est lui-même un enfant X. Je crois que ce double X n'est pas suffisamment souligné.

C'est en raison des effets radicaux, qui se découvrent au fur et à mesure que la jurisprudence intervient, que naît la contestation de cette situation, qui porte sur de nombreux points.

La recherche de paternité naturelle est traitée également dans la loi du 8 janvier 1993, qui a considérablement allégé la procédure conduisant à l'établissement d'une filiation naturelle. Cet allégement très important concerne les cinq cas d'ouverture que la mère doit remplir ou démontrer et les trois fins de non-recevoir.

Jusqu'en 1993, aucune femme représentante de son enfant mineur ne pouvait intenter une action en recherche de paternité si elle ne pouvait, au préalable, démontrer qu'il s'agissait :

- d'un cas de viol ou d'enlèvement,

- d'un cas de séduction dolosive,

- d'un cas où le père avait laissé des écrits qui pouvaient rattacher l'enfant à lui,

- d'un cas de concubinage notoire pendant la période légale de conception,

- d'un cas où le père avait entretenu l'enfant.

La mère avait, jusqu'en 1993, à faire la preuve de l'un de ces cinq cas d'ouverture.

Quant au père, il pouvait faire échec à la procédure par un moyen non moins radical, qui s'appelle la fin de non-recevoir. Il disposait de trois possibilités de faire écarter l'action, sans que l'on examine le lien de filiation :

- dans le cas où la femme avait été d'une inconduite notoire,

- au cas d'éloignement du père prétendu,

- au cas où le père prétendu démontrait par un examen des sangs qu'il ne pouvait pas être le père de l'enfant.

La lourdeur de la procédure a été assouplie, en 1993, par la loi et les cinq cas d'ouverture et les trois fins de non-recevoir ont été supprimés.

L'allègement vient au secours de la mère et de l'enfant.

L'action peut être intentée par la mère représentante de l'enfant, dans les deux ans de la naissance ou de la fin du concubinage ou de l'entretien. Cette action renaît lorsque l'enfant atteint sa majorité, pendant deux ans, si l'action n'a pas été intentée auparavant. Le père est en fait libéré, grâce à cette déchéance des deux ans après la naissance ou la fin du concubinage ou l'entretien, soit vingt ans plus tard. Or l'action en recherche de maternité ne comporte pas ces déchéances et il y a donc, selon le code civil, application de la prescription trentenaire. En faisant jouer la jurisprudence qui dit que le délai ne commence pas à courir contre un mineur avant sa majorité, c'est pendant quarante-huit ans qu'une action en recherche de maternité est possible. Cela montre une différence, à cet égard, qui profite au père.

L'allègement a également été confirmé en matière de recherche de filiation légitime lorsque l'enfant n'a pas la possession d'état, puisqu'auparavant la loi exigeait un commencement de preuve par écrit et que désormais elle exige simplement des présomptions et indices graves.

J'ajoute immédiatement que, selon la dernière jurisprudence de la Cour de cassation, qui dit qu'en matière de filiation la vérité prime tout, on peut peut-être aussi envisager qu'après avoir supprimé les commencements de preuves par écrit, on supprime également les présomptions et indices graves, de sorte que seule la procédure par l'examen biologique du sang ou des empreintes génétiques fera finalement loi en matière de filiation.

Ces différences de traitement entre la recherche d'une mère ou d'un père permettent-elles de dire que les détracteurs ont raison lorsqu'ils affirment que la femme est bénéficiaire d'une discrimination au détriment des hommes ? La question est ouverte. Toutefois, c'est l'argumentation que beaucoup d'opposants à l'accouchement sous X donnent sur un terrain juridique, dont ils pensent qu'il peut emporter une conviction.

A ceux-ci, je dirai tout d'abord que la recherche de maternité existe comme la recherche de paternité. L'homme et la femme sont tous les deux susceptibles de voir rechercher le lien de droit qui les rattacherait à l'enfant. On peut également ajouter que la disposition de l'accouchement sous X se rattache non pas à la conception, dans laquelle l'homme et la femme ont un rôle, mais à l'accouchement et à l'accouchement - deuxième spécificité - d'une femme qui est dans la détresse.

Certes - et je le regrette pour ma part - cette exigence de la détresse ne figure ni dans le code civil, ni dans le code de l'action sociale et des familles. En face d'une disposition, liée à l'accouchement et non pas à la conception, et qui concerne une femme, car seule une femme peut accoucher dans la détresse, je considère dans cette accusation de discrimination, une manière assez machiste de voir les choses et quelque peu de mauvaise foi. D'ailleurs, par le manque de confiance qu'elle sous-tend dans ce qu'est le comportement d'une femme vis-à-vis de la maternité, elle me rappelle ce que l'on a pu entendre sur le projet de réforme de l'IVG, qualifiée de porte ouverte à l'eugénisme.

Selon moi, l'accouchement sous X n'est pas vraiment condamnable sur le terrain des discriminations, pour la troisième raison suivante. Je crois que contester cette disposition relève d'une vision qui a été longtemps la nôtre, dans laquelle le lien biologique et le lien juridique ou social se confondaient. Selon moi, le droit actuel est en train de changer. J'en prendrai pour exemple les textes de 1994 sur la procréation médicalement assistée. Il me semble que les deux liens sont en train de se séparer et que peut-être, d'ici quelques années, l'accouchement sous X sera regardé différemment, dans la mesure où l'auteur d'un enfant ne sera pas nécessairement son parent. C'est une phase qu'il convient évidemment d'examiner, de remodeler, de repenser. Mais, pour ma part, je considère que la vision de l'avenir ne doit pas être trop limitée et doit être ouverte.

J'en arrive au projet de loi sur l'accès aux origines personnelles. Selon l'exposé des motifs, notre droit interne doit se concilier avec des règles d'ordre international, c'est-à-dire avec l'article 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant.

Je note néanmoins que la loi de 1993, qui a introduit, dans le code civil, l'accouchement sous X et les réformes en matière de recherche de paternité, a également transposé une partie des dispositions de cette Convention internationale des droits de l'enfant. Il est assez intéressant de constater qu'en 1993, nul n'a vu d'opposition et que, huit ans plus tard, la situation paraît incompatible entre l'accouchement sous X et l'accès aux origines personnelles, lequel est recommandé par l'article 7 de la Convention.

J'ajoute que l'article 7 émet des réserves en disant "dans la mesure du possible". Ce n'est donc pas un texte totalement impératif. Certains auteurs considèrent même que l'élément important, c'est que l'enfant puisse vivre avec ses parents, c'est-à-dire le connaître pour vivre avec lui. C'est encore une petite limitation du texte.

L'exposé des motifs nous parle de cette nécessaire harmonisation entre notre droit interne et cet article 7 de la Convention. Il aurait pu également nous parler - mais cela l'entraînait beaucoup trop loin - de la Convention européenne des droits de l'homme qui, dans ses articles 8 et 14, évoque cette vie familiale et dont les derniers développements de la jurisprudence de la cour de Strasbourg préconisent la possibilité d'aller rechercher ses origines. Sur ces articles de la Convention européenne des droits de l'homme, sont intervenus une série d'arrêts, dont aucun encore contre la France, mais cela pourrait venir.

En ce qui concerne les dispositions du projet de loi, il est assez sympathique de voir que l'on s'aventure vers une sorte de construction juridique de la filiation biologique pour les cas où la filiation juridique ne peut ou ne veut pas se faire reconnaître. Notez ce terme "sympathique", qui n'est pas un terme juridique. Mais est-ce efficace ?

Les dispositions de ce projet de loi concernent, en tout premier lieu, le statut des pupilles de l'Etat que sont effectivement les enfants des mères abandonnantes. Toutefois, ces mères abandonnantes sont au nombre de 560 par an sur un nombre de naissances d'environ 785 000, parmi lesquels 300 000 enfants nés hors mariage dont 80 % sont reconnus dans le mois qui suit la naissance. Ces reconnaissances n'ont pas forcément pour objet d'assumer un lien affectif de paternité, mais sont plus souvent liées à des obligations sociales pour la perception d'un certain nombre de droits. Le projet de loi modifie le code de la famille et de l'aide sociale, devenu le code de l'action sociale et des familles, manifestement sur l'invitation pressante d'associations - d'ailleurs l'exposé des motifs l'indique - de parents ou d'enfants qui répondent à la catégorie de pupilles de l'Etat.

Ce texte nous dit qu'il règle également la question de l'enfant né sous X, immatriculé pupille de l'Etat, qui a pour origine la volonté maternelle de rester secrète.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le texte est ouvert non seulement aux enfants nés sous X, mais également aux enfants de moins d'un an adoptés de manière plénière dont les parents ont demandé le secret de l'identité.

Mme Marie-Cécile Moreau : Par une espèce de forçage, ce texte concerne les enfants nés sous X, qui sont des pupilles de l'Etat, et qui se voient soumis à des règles qui ne sont pas compatibles, me semble-t-il, avec leur statut initial.

En effet, comment une mère, qui demande le secret de son admission et de son identité, dont j'ai dit aussi qu'elle était en détresse, peut-elle tomber dans le cadre de ce projet de loi qui lui demande de consigner son identité, même si elle est fausse ou occultée, dans une enveloppe ? Comment peut-on demander à la femme - et aux femmes que nous sommes - parce qu'elle est en détresse, parce qu'il en va de sa sécurité et de celle de l'enfant qu'elle vient, comme parturiente, déposer à la maternité, de se désaccoupler entre "je suis anonyme" et "je vais vous laisser tous les renseignements", même s'ils sont momentanément secrets puisque l'enveloppe sera fermée et ira au Conseil national ? Cela me semble être d'une abstraction assez confondante et aller directement à l'encontre de ce que dit le code civil quand il institue l'accouchement sous X.

Je considère que cette disposition ne convient pas. La mère ne croira pas au secret. Je considère même qu'il serait très déplaisant de lui poser cette question, de lui dire qu'on ne la recherchera pas, mais de néanmoins mettre son nom, de fermer l'enveloppe et, sur l'enveloppe, d'indiquer le nom de l'enfant qu'elle abandonne.

Vous savez que, pour constituer le nom d'un enfant abandonné, la mère, tout en restant anonyme, peut lui donner trois prénoms et que le troisième prénom devient le patronyme. Certes, seuls ces trois prénoms figureront sur l'enveloppe, mais il y aura aussi, dit le texte, le lieu où l'enfant est né : ce sont de petits signes qui, finalement, permettent de lever le secret.

Par principe, je pense qu'il y a là une acrobatie demandée à ces 560 mères qui ne me parait pas digne de leur souffrance. De plus, ceci est aggravé, selon moi, par le fait que ce projet de loi - et ce serait peut-être une amélioration à suggérer - ne met pas de limitation dans le temps à la divulgation. Ainsi un père mal intentionné ou qui a reconnu l'enfant de façon prénatale peut, dans les jours qui suivent, solliciter la levée du secret.

Ceci me conduit au Conseil national qui n'a aucune obligation, puisqu'il ne s'agit pas d'un organe juridictionnel, de regarder les intentions de celui qui demande. Seul le juge pourrait le faire. Il n'a aucune obligation de s'enquérir des raisons de la demande, dans l'intérêt ou au détriment de qui elle est faite. Les exemples de jurisprudence, qui d'ailleurs sur l'accouchement sous X ne sont pas très nombreux, ne me rassurent pas complètement.

On pourrait admettre qu'il y ait pour ces femmes un secret absolu, mais encore une fois, je n'ai pas totalement arrêté mon opinion sur ces sujets graves, sur lesquels j'ai d'ailleurs déjà changé d'opinion.

Mme Danielle Bousquet : Je vous remercie de cet exposé qui éclaire, de manière juridique, le sentiment que nous avions déjà, de manière plus diffuse, sur la différence de traitement entre le père et la mère. Il montre bien cet antagonisme qui existe entre la volonté de secret de la mère qui accouche sous X et cette espèce de violence qui sera faite, juste après l'accouchement, à cette femme en situation de grande détresse, en lui demandant son identité. Cet éclairage nous conforte dans notre ressenti.

Votre introduction concernant la non-incompatibilité avec les traités internationaux me frappe aussi beaucoup. En 1993, effectivement nul n'a dénoncé le fait que la loi était largement insuffisante face à tous les textes internationaux. Puis, brutalement, on voit apparaître une exigence ou pseudo-exigence extrême de la société, qui tout à coup trouverait totalement inconvenant que les femmes aient certains droits et que les droits des enfants ne soient pas complètement reconnus.

Je comprends parfaitement le besoin et le souhait d'un enfant de connaître ses origines, mais je ne suis pas certaine que cela doive passer par cette entreprise d'anéantissement de la situation d'une femme abandonnante et de sa possibilité de se reconstruire.

Au-delà de la prudence que nous allons devoir apporter à l'analyse du texte, un autre point m'inquiète également beaucoup, c'est comment inciter la mère abandonnante à préserver son futur. Si elle s'est reconstruite ou a reconstruit une vie, comment peut-on lui garantir qu'elle aura connaissance de la recherche de cet enfant, dans des conditions qui ne la "démolisse" pas, elle et la vie qu'elle aura éventuellement reconstruit. C'est une inquiétude très forte.

Je ne sais pas si nous pourrons infléchir le texte, car nous sentons bien qu'il y a une pression sociale considérable. Toutefois, nous aurons à mettre des garde-fous considérables pour la protection de cette femme. Avez-vous quelques pistes de réflexion à nous donner à ce sujet ?

Mme Nicole Catala : Je partage tout à fait les préoccupations que Mme Danielle Bousquet vient d'exprimer. J'y ajouterai une préoccupation supplémentaire. Ce texte ne permettra-t-il pas à des personnes malintentionnées de troubler la paix d'une famille ? En effet, j'imagine l'arrivée, dans un foyer tranquille, d'un courrier du Conseil national d'accès aux origines personnelles. Si le père décachette le courrier, je vous laisse imaginer le traumatisme. Je suis très dubitative sur le bien-fondé d'un tel projet.

Je m'interroge également sur le sens à donner à l'article L. 222-6 à l'article 2 du projet de loi, selon lequel "toute femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission et de son identité par un établissement de santé est invitée à consigner cette identité." Qu'entend-on par là ? Est-ce une simple proposition ou est-elle invitée, comme on l'est parfois par les forces de l'ordre, à s'arrêter sur le bord de la route après un excès de vitesse ?

Je souhaiterais que l'on précise les implications de ce terme "invitée". Lui propose-t-on de laisser son identité ? Auquel cas il conviendra de l'informer des conséquences de la proposition qui lui est faite, dans ses aspects et prolongements, y compris dans le temps. Ou est-ce une obligation ? Le texte est particulièrement ambigu sur un point fondamental.

Enfin, je voudrais évoquer un point qui avait été débattu lors de l'examen de la loi de 1993, celui de l'examen biologique de la preuve par le sang, qui peut jouer pour la mère comme pour le père.

Mme Marie-Cécile Moreau : La preuve biologique par le sang est nécessairement faite avec un prélèvement des trois, le père, la mère et l'enfant. Il n'est pas question de les séparer dans l'examen.

Mme Nicole Catala : Je pensais que la recherche de paternité naturelle conduisait à des examens du sang du père.

Mme Marie-Cécile Moreau : La mère est aussi nécessairement investiguée, pour des raisons scientifiques que je ne peux vous expliquer.

Mme Nicole Catala : Je l'ignorais. Je pensais, en écoutant les échanges précédents, au problème posé par l'affaire Yves Montand et la recherche sur l'ADN. J'avais demandé, lors des débats de 1993, si cela n'allait pas conduire à des exhumations. Mme Denise Cacheux, qui était rapporteure, m'avait dit n'y voir aucun inconvénient. Pour ma part, j'en vois. Je trouve que l'on va trop loin. L'exhumation d'un corps pour établir un lien de filiation me choque parce que, dans de telles affaires, ce n'est plus une question affective qui est en cause, mais une question matérielle et financière. En admettant de telles solutions, on aboutit à des conséquences tout à fait extrêmes, intentatoires à la dignité de l'homme, même mort.

Je me posais la question, en vous écoutant, de savoir s'il ne conviendrait pas de prendre position, à l'occasion de ce projet de loi, sur une question comme celle de l'exhumation d'un corps d'homme aux fins d'accès aux origines. Le problème ne concerne pas seulement les femmes, mais aussi les hommes, à travers la recherche de paternité post mortem. Sur ce plan-là, je ne vois pas pour quelles raisons on dissocierait le problème des femmes ou des hommes et les solutions applicables pour les deux. Si on est partisan de l'accès aux origines pour les hommes, il faut l'être pour les femmes, et vice versa.

Dans les deux cas, pour ma part, je suis pleine de réserve. Comme vous, j'hésite un peu, mais sur le fond, je me demande si on ne va trop loin pour un nombre limité de personnes.

Mme Marie-Cécile Moreau : Je constate que nous sommes d'accord pour trouver que c'est un texte susceptible de nous inquiéter en ce qui concerne la maternité sous X. Il est certain que la manière dont le texte utilise le mot "invitée" est quelque peu inquiétante, d'autant que la suite de l'article n'évoque pas le cas où elle refuserait, ce qui me parait être une carence.

Pour résumer, je suis très réservée sur le fait que, bien que sachant que cette femme vient d'accoucher sous X, on lui demande néanmoins un certain nombre de renseignements. De plus, ce qui domine cette question est de savoir la manière dont elle sera interrogée.

Par ailleurs, il n'y a aucune vérification des motifs pour lesquels la demande est formulée. Dans notre système juridique, seul le juge est habilité à le faire, mais son rôle est totalement écarté. Certes, on retrouve des magistrats dans la composition du Conseil, mais c'est là leur profession d'origine. Lorsqu'ils siégeront au Conseil, ils seront conseillers, mais n'agiront pas avec un pouvoir juridictionnel.

Enfin, je suis inquiète au vu de la liste des personnes susceptibles de présenter une demande d'accès à la connaissance. Le texte dit : "S'il est majeur, par celui-ci. S'il est mineur, par son ou ses représentants légaux ou par lui-même, avec l'accord du ou des titulaires de l'autorité parentale ou du tuteur." S'il est mineur, rien n'empêche d'imaginer un cas de demande très rapide, juste après l'accouchement.

Le troisième cas est le suivant : "S'il est majeur, placé sous tutelle par son tuteur." A cet égard, comme l'a noté Mme Nicole Catala, le but des demandes et actions de recherche en paternité n'est pas de relier affectivement un père à son enfant, mais de savoir si le père versera une pension alimentaire ou si l'enfant sera son successible. C'est un aspect qu'il ne faut pas se cacher. Pour preuve, il suffit de feuilleter les recueils de jurisprudence pour constater que, souvent, la recherche de paternité ou la création d'un lien juridique a une finalité alimentaire ou patrimoniale plutôt qu'affective ou éducative.

Lorsque vous avez dit "perturber la vie d'une femme et d'une famille", vous pensez à la mère pour qui c'est déjà une souffrance d'abandonner l'enfant qu'elle vient de mettre au monde. Je n'ai peut-être pas suffisamment insisté sur cette détresse qui me parait extrêmement grande, dans notre contexte actuel. Cette femme, qui rencontre des problèmes pour sa maternité, est une femme qui n'a pas réussi une contraception, puis qui n'a pas, dans les délais légaux, pu recourir à une IVG. Il me semble qu'il y a là une gradation qui est de nature à nous faire dire qu'il faut vraiment que la situation qu'elle connaît soit dramatique pour elle et la famille qu'elle a pu créer, ensuite.

Je continue la liste des personnes susceptibles de présenter une demande : "S'il est décédé, par ses descendants en ligne directe majeurs." Est-ce des enfants de la mère dont on parle, au cas où elle a refait sa vie ? Est-ce des enfants du pupille s'il est décédé ? Nous avons vu des cas où des pupilles décédés étaient extrêmement fortunés. C'est d'ailleurs une des jurisprudences les plus discutées. L'aide sociale à l'enfance avait introduit un débat qui ne portait que sur la succession.

Le projet crée un ensemble de règles qui ne me paraissent pas compatibles avec la dignité de la situation de la femme qui a accouché en mère X. Il est incontestable qu'elle reste une mère, mais plutôt que de la voir avec la nécessité pour elle de recréer un lien, je la vois plutôt dans sa souffrance.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans votre introduction, vous m'avez beaucoup étonnée lorsque vous avez dit que l'accouchement sous X était une faculté plutôt qu'un droit. Je relie cela au fait que vous regrettiez que, dans le texte, il ne soit mentionné, à aucun moment, qu'une femme qui accouche sous X le fasse au motif de détresse.

Si l'accouchement sous X est plus une faculté qu'un droit, qui serait établi par la situation de détresse dont la femme est seule juge, vous paraît-il possible que des enfants ayant retrouvé leur mère puissent se retourner contre elle pour cause d'abandon ?

Je suis partagée en ce qui concerne la paternité. Je trouve profondément injuste que l'on puisse, uniquement parce qu'une femme a porté un enfant, se retourner ou rechercher les origines de la mère. J'étais en accord avec votre exposé liminaire selon lequel le droit est en train de reconnaître la séparation entre filiation biologique et sociale et j'entends ce que vous dites quant aux motifs de la recherche qui ne sont pas toujours très nobles. Dans l'article 2, on ne parle pas, au titre des informations qui pourraient être données par la mère, du nom éventuel et des coordonnées du géniteur. Serait-il concevable d'organiser pour le père la même séparation entre filiation biologique et filiation sociale ?

Ce texte se veut une reconnaissance des droits de l'enfant et ne prévoit pas qu'une femme, ayant refait sa vie, puisse elle-même dire, lorsque l'enfant a atteint 18 ans, qu'elle lève le secret et souhaite en informer son enfant. Libre à l'enfant d'accepter ou de refuser la démarche de la mère de naissance. Il faudrait avoir là un certain parallélisme.

Ce qui me gêne également dans ce texte, c'est le fait que le Conseil national sollicite la déclaration expresse de levée du secret. La forme et la façon de l'organiser est déterminante.

Je m'interroge sur la cohérence de l'article 1 : à l'article L. 146-2, qui énumère les personnes susceptibles d'interroger le Conseil national d'accès aux origines, figurent les demandes de rapprochement auprès de l'enfant formulées par les ascendants, descendants et collatéraux privilégiés de son père ou de sa mère de naissance ; au deuxième alinéa de l'article L. 146-4 sont indiquées les conditions dans lesquelles le Conseil lève l'identité : "lorsque le père ou la mère a expressément levé le secret, le Conseil communique l'identité de l'enfant qui a fait une demande d'accès à ses origines aux personnes mentionnées au troisième alinéa de l'article L.146-2". Cela signifie-t-il que des grands-parents de naissance peuvent demander à connaître l'enfant ?

Mme Marie-Cécile Moreau : Je pense que c'est bien cela.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Et quel que soit son âge ?

Mme Marie-Cécile Moreau : Absolument.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je voudrais vous demander également quelles sont les conséquences de l'article 4 qui supprime la possibilité, pour des parents, de confier leur enfant avant qu'il n'ait atteint l'âge d'un an à l'aide sociale à l'enfance, en demandant le secret de leur identité. Je ne sais pas combien d'enfants cela concerne aujourd'hui par an.

Vous avez souligné la contradiction qu'il peut y avoir entre accouchement sous X et le fait que la femme soit invitée à donner son identité, sans qu'il soit précisé qu'elle peut refuser, ni les conséquences que pourrait avoir un tel refus. Ensuite, le projet précise qu'elle est informée de sa possibilité de lever ultérieurement le secret. Peut-être serait-il plus sain qu'un document lui soit remis ? En effet, dans un tel moment de grande détresse, où la mère n'entend pas réellement cette possibilité ultérieure de lever le secret, elle ne saisit pas forcément les conséquences du fait de donner ou pas son identité.

Mme Nicole Catala : Je souhaite compléter l'interrogation de notre présidente en indiquant qu'à mon avis, la demande de rapprochement, visée au troisième alinéa de l'article L.146-2, n'est pas une demande d'accès à l'identité de l'enfant. C'est une demande de droit de visite, si je puis dire, et elle ne peut jouer que si l'article L.146-4 deuxième alinéa a été appliqué.

Mme Marie-Cécile Moreau : C'est également mon interprétation. Selon mon opinion personnelle, ce texte vise majoritairement d'autres cas que le cas de la femme qui a accouché sous X.

Si vous lisez le texte dans son sens global, la première observation est qu'il concerne, quantitativement et qualitativement, beaucoup d'autres situations que celle de la mère abandonnante. C'est pourquoi l'article 2 a dû être introduit pour le cas de la mère ayant accouché sous X. En effet, selon l'aide sociale à l'enfance, son cas correspondrait au premièrement de l'article 61 de l'ancien code de la famille et de l'aide sociale qui est "l'enfant né sans filiation", c'est-à-dire les enfants immédiatement immatriculés en qualité de pupilles de l'Etat.

Mais l'enfant né sous X a une spécificité. On a rajouté un élément, à savoir l'article 2 du projet de loi, qui concerne vraiment la femme qui accouche sous X, sans toucher à l'article du code civil qui concerne la mère ayant accouché sous X.

Il est vrai que ce que l'on appelle l'accouchement sous X a d'abord été traité par le code de la famille et de l'aide sociale, mais sous un aspect matériel accessoire. Les DDASS avaient besoin d'un texte pour la prise en charge des frais d'hébergement et de maternité. Mais ce n'est qu'en 1993 que le code civil a traité l'accouchement sous X.

Ce projet de loi revient indirectement sur les dispositions du code civil. Il ajoute une disposition dans le code de l'action sociale et des familles, comme si cela allait conduire à une modification du code civil, dans un sens qui me paraît inquiétant, celui de la suppression de l'accouchement sous X.

L'enfant abandonné, pupille de l'Etat, présente comme caractéristique d'être immédiatement adoptable, de sorte qu'il sera adopté, sous réserve qu'il ne tombe pas dans la catégorie des enfants à particularités.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans ce texte, on donne à l'enfant l'initiative de rechercher sa mère. Pourquoi cette initiative n'est-elle pas aussi confiée à la femme, lorsque l'enfant a plus de 18 ans ? La vie peut changer. Une femme peut se sentir en capacité, à un moment donné, soit de chercher des informations, soit de souhaiter retrouver l'enfant, si bien entendu cette volonté existe des deux côtés.

Mme Marie-Cécile Moreau : Il s'agit d'un texte qui vise à rechercher les origines. Il s'agit donc d'une recherche de l'enfant vers ses parents et non pas le contraire. Je comprends votre interrogation. Mais si on donnait cette possibilité à la femme, elle se heurterait au statut qui sera celui de l'enfant, au moment où elle aura cette curiosité. S'il est adopté, par exemple, de façon plénière, ce n'est pas possible.

Il y a une deuxième situation qui vient d'être réglée par la Cour de cassation, d'une manière assez inquiétante, puisque la Cour dit que la mère abandonnante, qui est anonyme, ne peut pas retrouver un enfant qui lui-même a été immatriculé comme anonyme.

La difficulté qui se pose là, c'est encore le déclinaison de cet article de la loi de 1993 sur l'accouchement sous X, selon lequel l'enfant né d'une mère X est lui-même un enfant X. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation on ne peut identifier un enfant qui n'est pas identifié ni identifiable.

Pour rendre possible la démarche que vous envisagez, il faudrait d'abord qu'un texte le stipule et qu'il soit également précisé que la recherche, comme celle qui est prévue par ce texte, ne porte que sur l'une des deux filiations, à savoir la filiation biologique.

Si seul le nom est révélé, que va-t-on en faire ? L'identité ainsi révélée ne permet-elle pas, avec les moyens divers que l'on possède aujourd'hui, de tout savoir de quelqu'un, y compris si la mère a voulu l'enfant, les raisons de l'abandon, de sa séparation avec le père, si cet enfant est le fruit d'un inceste ?

Le problème de l'inceste est dominant. D'ailleurs les CECOS s'organisent de telle sorte que, comme ce sont souvent les mêmes donneurs, cela ne se passe pas toujours dans la même région, sinon cela expose à des risques de consanguinité et autres. Ceci pour dire que l'objet même de ce qui va être révélé, que ce soit à l'enfant ou à la mère, pose un problème énorme.

Mme Odette Casanova : Pour ma part, il me semble que ce texte propose carrément l'abandon de l'accouchement sous X.

Lorsque j'ai interrogé des enfants nés sous X, qui sont maintenant des pupilles, et des responsables dans mon association départementale, ils ont évoqué quelques points. En particulier, ils souhaitent - mais c'est leur avis personnel - que demeure la possibilité pour la femme d'un accouchement sous X, dans sa forme actuelle, c'est-à-dire que la femme ne laisse aucune information. En effet, ils craignent une contrainte qui ne soit pas opportune. Les expériences qu'ils ont vécues leur permettent de dire cela. Parmi ces personnes, qui ont entre quarante et cinquante ans, certains ont retrouvé leurs origines, d'autres pas.

Puisque l'on a évoqué l'inceste, ils m'ont aussi rapporté qu'ils n'auraient pas aimé savoir qu'ils étaient nés d'un viol ou d'un inceste. En fait, ils considèrent qu'il est préférable de ne pas savoir. Ce sont des témoignages de terrain.

Un autre point que je souhaite soulever concerne le deuxième alinéa de l'article L.146-2 selon lequel "la demande expresse de levée du secret formulée par le père ou la mère de naissance. Ce "ou" me gêne.

Mme Marie-Cécile Moreau : Ce texte est écrit pour une autre situation que celle de l'accouchement sous X.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : A moins d'envisager, dans les informations délivrées par la mère, qu'elle donne le nom du père, mais rien ne le précise.

Mme Marie-Cécile Moreau : Dans le cadre d'une procédure, nous faisons un travail important pour retrouver les tenants et les aboutissants, les preuves. Certes, tout est possible avec le Minitel et Internet, mais il faut pouvoir départager ce qui est vrai de ce qui est faux.

Le droit à la connaissance des origines me paraîtrait devoir appartenir uniquement à celui qui est concerné. Est-ce le rôle du législateur d'agir de telle manière, non pas dans le principe mais dans la réalisation matérielle ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La mère a-t-elle un recours en préjudice pour abandon ?

Mme Marie-Cécile Moreau : L'accouchement sous X a ceci de particulier que si l'accouchement n'avait pas existé, la mère aurait peut-être recouru à un infanticide ou à un abandon, lesquels sont considérés comme un crime. Par conséquent, son histoire se serait terminée en cour d'assises.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Un enfant ne peut donc pas se retourner contre sa mère qui l'a retrouvé, au motif qu'elle lui a fait subir un préjudice pour abandon.

Mme Marie-Cécile Moreau : Si l'enfant a une autre filiation juridique, c'est-à-dire s'il a été adopté, il ne le peut certainement pas. Pour le moment, on fait privilégier ce lien juridique, qui est aussi le lien traditionnel auquel on accorde le plus d'importance. S'il tente de se retourner contre sa mère de naissance, cela démontrerait immédiatement la nature des intentions de sa recherche d'origine. Si c'est pour lui demander des dommages et intérêts, on ouvre vraiment une boîte de Pandore.

Mme Danielle Bousquet : Mais c'est la jurisprudence qui le dira.

Mme Marie-Cécile Moreau : Actuellement, la jurisprudence n'a pas d'exemple, car elle est organisée selon le mode que je vous indiquais tout à l'heure, à savoir que l'enfant n'est pas identifiable. Il ne pourra pas, en l'état du droit, rechercher sa mère.

Mme Nicole Catala : On peut néanmoins s'inquiéter de l'impact sur ce sujet de la jurisprudence Perruche. Si le seul fait d'être né peut être en soi un préjudice, le fait d'être né sous X a fortiori doit pouvoir être considéré comme une cause de préjudice.

Mme Marie-Cécile Moreau : Des esprits encore plus aventureux pourraient le penser, mais en l'état de notre droit, ce n'est pas possible. D'ailleurs l'arrêt Perruche est très critiqué. Cette décision ne passera pas le siècle, voire les huit ans jusqu'à la prochaine révision. Mais il faut que nous ayons cette inquiétude à l'esprit pour éviter tout problème.

Mme Nicole Catala : Vous évoquiez tout à l'heure une sorte de vérification des motifs de la recherche des origines. Est-elle concevable ? Il existait des cas d'ouverture pour l'action en recherche en paternité, mais ils se reliaient à des événements tangibles, en tout cas vérifiables. Dans le cas de l'accouchement sous X, comment vérifier que l'intention de l'enfant est noble et désintéressée ou, au contraire, très intéressée ? Je ne vois pas qui pourrait s'en charger, de même que définir les motifs acceptables et ceux qui ne le seraient pas.

Mme Marie-Cécile Moreau : Votre comparaison avec la recherche de paternité, selon moi, n'est pas fondée car la recherche de paternité crée une filiation juridique. C'est cela le but.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je regrette qu'on ne sache pas dissocier filiation biologique et filiation sociale. De la même façon que l'on sait dire, à travers ce texte, que pour une femme il y a une filiation biologique qui n'est pas une filiation sociale, pourquoi ne parvient-on pas à dire qu'il y a pour le père une filiation biologique qui n'est pas une filiation sociale ? Pourquoi la dissociation des deux filiations qui est envisageable pour la mère ne l'est-elle pas pour le père ?

Mme Marie-Cécile Moreau : Il y a, pour le père, l'action à fins de subsides, mais il n'y a pas de filiation juridique dans cette action. L'action à fins de subsides n'est ouverte que contre un père et pas contre une mère.

Vos interrogations m'amènent à vous répondre, sans doute trop partiellement, que la filiation biologique avec le père, lorsque la mère ou l'enfant a laissé passer le délai de déchéance de deux ans, existe. La vérité biologique existe toujours.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mais elle n'est pas forcément démontrée.

Mme Marie-Cécile Moreau : Mais un enfant qui aurait échoué dans une procédure en recherche de paternité aurait quand même cette possibilité. La différence entre la recherche de paternité et la recherche de maternité dans le cadre d'un accouchement sous X, c'est que l'on connaît le père - on le suppose en tout cas - tandis que la mère est anonyme. Vers qui dirige-t-on l'action ?

Pour l'accouchement sous X, la loi a décidé de ne pas introduire de fin de non-recevoir. Le cas du verrou posé par la loi sur l'accouchement sous X, quant à la recherche du lien de filiation, est un verrou beaucoup plus important que la fin de non-recevoir, car la fin de non-recevoir concerne quelqu'un qui est déjà engagé dans le cadre d'un procès.

L'accouchement sous X est beaucoup plus radical dans ses effets. Le seul point de ressemblance dans le code civil avec l'accouchement sous X, c'est l'article selon lequel aucune action de filiation ne peut être introduite, parce qu'il n'y a pas d'objet, pour un enfant qui n'est pas né viable. Avec l'accouchement sous X, nous sommes dans ce cadre d'une absence d'action.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'accouchement sous X verrouille de fait tout accès à une filiation biologique du père.

Mme Marie-Cécile Moreau : C'est un arrêt très connu de la cour de Riom de 1997. Le père a fait une reconnaissance prénatale, qui prend effet le jour de la naissance. Mais l'enfant n'est pas né, car c'est un enfant X de X. Le père a refait une reconnaissance et c'est à la deuxième reprise que la Cour lui a demandé quel était l'objet de sa reconnaissance, puisque l'enfant n'était pas identifié ni identifiable. Le père a été débouté.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'article 4 du projet de loi concerne la suppression de la possibilité pour des parents de confier leur enfant avant qu'il ait atteint l'âge d'un an à l'aide sociale à l'enfance, en demandant le secret de leur identité. Cela ne concerne pas le cas de l'accouchement sous X, mais c'est dans le texte.

Mme Marie-Cécile Moreau : C'est pourquoi je vous ai dit que ce texte n'était pas écrit pour l'accouchement sous X. Il traite de beaucoup d'éléments, et l'accouchement sous X en est un, mais non pas le principal.

Mme Danielle Bousquet : Que penseriez-vous de la suppression de l'article 2 de ce texte ?

Mme Marie-Cécile Moreau : Cela supprimerait l'intérêt du texte, puisque l'exposé des motifs explique que ce texte est fait en comparant l'accouchement sous X et la volonté de connaître les origines. Plutôt que de supprimer ce texte, il conviendrait de le compléter, car il pèche par l'absence de garde-fous.

De plus, ce texte me parait contraire à ce qui se passe pour l'assistance médicale à la procréation, où l'anonymat est stipulé. L'accès aux origines n'est-il vrai que pour certaines personnes ? Est-ce à l'Etat de faire cela ? Peut-être, mais il conviendrait de rendre ce texte plus technique. Ainsi, dans l'article 2, on ne voit pas la réalité, on ressent les choses de façon éthérée et cela me paraît un peu inquiétant.

Mme Danielle Bousquet : Mais si on supprimait l'article 2, on toucherait moins à l'accouchement sous X.

Mme Marie-Cécile Moreau : Mais l'accouchement sous X tombe encore plus sous le coup de l'impossibilité de connaître les origines. Voulez-vous dire qu'on l'écarterait, comme on le fait pour la procréation médicalement assistée, de la recherche possible des origines, sur la base de ces textes et par le biais du Conseil national ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La seule innovation de ce texte est le fait de créer le Conseil national.

Mme Danielle Bousquet : On peut laisser mettre en place ce Conseil national d'accès aux origines, mais supprimer l'article 2. Je suis consciente que c'est l'un des pivots du texte. Toutefois, nous pouvons dire que nous considérons que le maintien de l'accouchement sous X est très important, mais qu'il est impossible que l'on puisse faire pression sur une femme pour qu'elle donne son identité à ce moment-là.

Mme Marie-Cécile Moreau : Lorsqu'on l'on crée un organisme, il convient de savoir comment il va agir. Tous les articles concernent ensuite l'articulation, autour de cet organisme nouveau, de la manière dont il va travailler, qui va le saisir et ce qu'il pourra faire.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pourquoi inviter la femme à laisser son nom et son adresse si ce n'est parce que le Conseil va la solliciter, si elle n'a pas levé le secret. Mais le texte ne dit pas comment.

Mme Marie-Cécile Moreau : Le premier souci du texte n'a pas été de créer un organisme de plus, mais de chercher à pallier les moindres dégâts, d'où la création de ce conseil. Mais il est nécessaire de savoir comment il va agir.

Parmi les enfants qui ne peuvent pas connaître leurs origines, il y a les enfants adoptés de manière plénière et les enfants nés sous X. Ces deux catégories d'enfants sont comprises dans la catégorie des pupilles de l'Etat, donc traitées par le code de l'action sociale et des familles. Mais il y a un grand absent, dont la situation est réglée par la loi de 1994, c'est l'enfant né d'une procréation médicalement assistée.

Je trouve ce texte sympathique car, on se dirige volens nolens vers un désaccouplement des deux filiations. Par conséquent, il faut sans doute organiser la filiation biologique, c'est-à-dire ne pas laisser des enfants nés sans connaître leurs origines. La jurisprudence connue de la Cour européenne des droits de l'homme est aussi assez prégnante dans ce projet.

Mme Danielle Bousquet : J'ai plutôt l'impression au contraire qu'il redonne, à la filiation biologique, toute sa prééminence. C'est en ce sens qu'il m'inquiète aussi.

Mme Marie-Cécile Moreau : Je n'en suis pas certaine. Mais s'agissant de la prééminence, la jurisprudence de la Cour de cassation s'est déjà décidée. Elle a dit qu'en appliquant les méthodes scientifiques de recherche des liens de filiation, c'était maintenant le tout scientifique. Elle a fait sauter ce que nous appelons les adminicules ou éléments de preuves, dans les recherches de paternité, où il est nécessaire d'avoir déjà des indices et présomptions graves.

La Cour de cassation semble admettre maintenant que, dans le cadre d'une recherche de paternité, un juge puisse décider immédiatement de recourir à l'analyse des sangs. Comme je vous le disais en préambule, il y a des questions qui surplombent ces affaires de manière très prégnante. Le tout biologique est-il vraiment le but ?

En tant que juriste, je peux vous faire part de mon avis, mais je vous dirais également que de telles questions ressortent de la seule compétence de la représentation nationale que vous êtes. C'est au législateur de décider sur cette question et non pas aux juristes seuls. C'est une question de civilisation.

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