ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 7

Mardi 27 novembre 2001

(17 heures)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

Auditions sur le suivi de l'application des lois relatives à l'IVG et à la contraception :

pages

- Mme Brigitte Le Chevert, secrétaire générale du syndicat national des infirmières et conseillères de santé (SNICS-FSU)

- Mme Anne-Marie Gibergues, secrétaire générale du syndicat national des infirmiers, infirmières, éducateurs de santé (SNIES UNSA-Education)

- M. Guy-Marie Cousin, secrétaire général du syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (SYNGOF)

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entres les hommes et les femmes a entendu Mme Brigitte Le Chevert, secrétaire générale du syndicat national des infirmières et conseillères de santé (SNICS-FSU).

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous accueillons aujourd'hui Mme Brigitte Le Chevert, secrétaire générale du SNICS-FSU, accompagnée de Mme Jacqueline Le Roux, secrétaire générale adjointe.

Le président de la commission des affaires, culturelles, familiales et sociales a confié à la Délégation aux droits des femmes une mission de suivi de l'application de la loi du 4 juillet 2001 sur l'IVG et la contraception, dont l'article 24 reprend les termes de la loi du 13 juillet 2000 et du protocole national du 27 mars 2001, relatifs à la contraception d'urgence. Ces deux textes ont permis à nouveau aux infirmières scolaires de délivrer la pilule du lendemain, à titre exceptionnel, à des élèves en situation de détresse caractérisée, et si aucun médecin ou centre de planification n'est immédiatement accessible, selon les termes du protocole.

Nous souhaiterions recueillir de votre part un aperçu de l'application de la contraception d'urgence et évoquer avec vous des difficultés qui nous ont été signalées par des collègues de la Délégation, à savoir :

- réticences de certains médecins scolaires ou de chefs d'établissement à l'application du protocole ;

- difficultés pour les infirmières à contacter en urgence un médecin ou un centre de planification, en particulier dans les petites villes ou en milieu rural et, pour les mineures, difficultés de sortie de l'établissement ;

- problème de formation des infirmières à ces nouvelles pratiques ;

- insuffisance du nombre des infirmières scolaires dans les établissements pour assurer convenablement cette tâche, sachant que le taux d'encadrement est aujourd'hui dans les établissements, d'une infirmière pour 2 200 élèves environ :

- problèmes de crédits pour l'approvisionnement en Norlevo des pharmacies d'établissement.

Par ailleurs, nous souhaiterions avoir des éclaircissements sur la manière dont est traité le problème des violences et des agressions sexuelles en milieu scolaire, notamment sur les mineures de moins de 15 ans, et sur l'attitude que doivent adopter les infirmières quand elles ont connaissance de tels faits, en application de la circulaire de 1997 concernant les violences sexuelles. La délivrance de la contraception d'urgence a-t-elle mis en lumière un certain nombre de ces faits ?

Mme Brigitte Le Chevert : J'aborderai, en premier lieu, les difficultés que nous pouvons rencontrer avec les médecins et quelques chefs d'établissement. Il serait important que les infirmières, ainsi que les chefs d'établissement, sachent que ce sont les conseils d'administration qui décident des protocoles et que le chef d'établissement, de son propre chef, ne peut interdire l'application de la loi.

S'agissant des médecins, nous ne rencontrons pas de problèmes particuliers avec les médecins de ville ou hospitaliers, mais nous en rencontrons avec ceux de l'Education nationale. Ce ne sont jamais des écrits que l'on peut prouver, mais plutôt des pressions insupportables exercées sur les infirmières, par le rappel de la responsabilité qu'elles prennent, si jamais un parent d'élève l'apprenait, etc..., qui conduisent certaines infirmières à prendre peur. C'est un élément très prégnant.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le vivez-vous au quotidien ?

Mme Brigitte Le Chevert : Tout à fait. Nous sommes fatiguées de cet état de fait. Il y a eu un débat avant l'adoption de la loi et il continue depuis. Nous nous demandons où est l'intérêt des jeunes.

Les difficultés rencontrées par les infirmières sont aussi d'ordre financier, mais ce n'est jamais un problème majeur. Quand les infirmières évoquent un problème financier, comme il y a peu de demandes de pilules du lendemain, on peut supposer que c'est l'arbre qui cache la forêt, c'est-à-dire qu'il existe un autre problème.

En ce qui concerne la sortie des mineures de l'établissement, ce n'est plus aujourd'hui une difficulté. Cela l'a été pendant six mois, pendant la période où nous n'avions plus le droit de donner la pilule du lendemain. Nous avions alors rencontré de vrais problèmes, lorsque Jack Lang avait autorisé les jeunes à sortir de l'établissement. La situation n'est d'ailleurs pas la même pour les lycées et les collèges. Dans les lycées, les jeunes peuvent rentrer et sortir de l'établissement sans autorisation, tandis que dans les collèges, dès lors qu'une jeune fille était autorisée à sortir, tout le monde savait que c'était parce qu'il lui fallait la pilule du lendemain. Il convenait de trouver un autre système afin de protéger l'intimité de cette jeune fille.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est une difficulté qui est levée depuis la promulgation de la loi du 4 juillet 2001.

Mme Brigitte Le Chevert : Oui. Mais ce qui nous pose maintenant problème c'est la rédaction du protocole d'application sur les infirmières. Lorsqu'il a été soumis au Conseil supérieur de l'éducation, il indiquait que l'infirmière administre la contraception d'urgence en cas de détresse caractérisée ou en cas d'impossibilité d'accessibilité du médecin. Cette rédaction était bonne, car chaque minute compte dans cette situation. Or, quand ce protocole est revenu de Matignon, ce "ou" avait été transformé en "et".

Selon notre syndicat, la profession d'infirmière est une profession de santé à part entière. L'infirmière est responsable de ses actes et doit prendre ses responsabilités. Si la jeune fille a parlé de sa situation à l'infirmière et non pas à sa mère, à sa s_ur ou à une autre personne, c'est qu'elle a confiance en l'infirmière et, comme elle est en situation de détresse, c'est à l'infirmière qu'il revient d'agir.

Lorsqu'il est dit "en cas d'absence du médecin", il n'y a pas un endroit en France où il y a absence de médecin. Partout, un médecin peut immédiatement intervenir. Le fait d'avoir changé le "ou" en "et" a comme conséquence directe qu'une infirmière, qui ne voudrait pas appliquer la loi, ne l'applique pas. Elle peut botter en touche, dire qu'un médecin est disponible et ne pas délivrer la contraception d'urgence.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela dit, celles qui veulent botter en touche le feront, quel que soit le texte.

Mme Brigitte Le Chevert : Avant la sortie du protocole, nous avions organisé une formation syndicale de nos collègues dans toutes les académies en leur indiquant que la loi s'appliquait et qu'elles étaient responsables. Par exemple, si une jeune fille sort de l'infirmerie et que l'infirmière lui a dit qu'il y a des médecins disponibles, si jamais elle va se jeter à l'eau, l'infirmière en sera en partie responsable. Nous mettions nos collègues face à leurs responsabilités d'infirmière. Le "et" a tout fait basculé. Cela a jeté le doute dans les esprits.

Les syndicats qui sont opposés à la délivrance par les infirmières de la pilule du lendemain font une "intox" auprès des collègues en leur indiquant que si elles ne veulent pas donner la pilule du lendemain à une élève, elles ont toujours la possibilité de dire qu'il y a un médecin disponible. Nous avons été déçues par cette modification. Nous n'avons pas voulu communiquer sur ce point pour ne pas faire empirer la situation.

De ce fait, le problème des sorties d'établissement des mineures se pose à nouveau. Une infirmière, qui ne veut pas donner la pilule du lendemain, qui a peur ou qui a subi des pressions de la part des médecins scolaires, doit faire sortir la jeune fille de l'établissement pendant les heures de classe.

En ce qui concerne la formation des infirmières à ces nouvelles pratiques, nous sommes satisfaites qu'il y en ait une. Toutefois, nous souhaiterions qu'elle corresponde au niveau que nous avons nous-mêmes acquis dans le cadre de notre diplôme d'infirmière. Nous demandons une formation par des psychologues ou des gynécologues, sur la relation et le suivi, et non pas une formation en anatomie, physiologie et pathologie, disciplines que nous avons déjà étudié dans le cadre de notre diplôme. En gynécologie et allaitement, nous avons déjà reçu une bonne formation. Il n'est pas nécessaire de nous faire "l'offense" de nous donner des formations dans des domaines que nous avons déjà étudiés. Nous voulons bien former d'autres collègues, mais nous ne voulons pas être formées par des personnes que nous pourrions nous-mêmes former.

En ce qui concerne l'insuffisance des infirmières scolaires, le bât blesse plus que jamais. Le taux d'encadrement est d'une infirmière pour 2 200 élèves. Le taux souvent requis est une infirmière pour un complexe scolaire de 1 500 élèves. La situation est différente en milieu rural, où l'infirmière pourra avoir la charge de trois établissements de 500 élèves. Cela signifie que les élèves ont à peine une infirmière pendant une journée et demie. Nous vous demandons, en tant que femme et mère, de revoir le nombre d'infirmières en termes d'établissement. Ce serait beaucoup plus équitable.

La répartition des infirmières scolaires a été organisée sur le même schéma que celle des médecins et des assistantes sociales. Nous avions rencontré M. Jean-Paul de Gaudemar il y a environ un an, et lui avions expliqué combien nous trouvions anormale cette répartition par rapport au nombre d'élèves et non d'établissements. Il nous a répondu que nous avions raison. Dont acte. En effet, la différence, c'est que la présence des assistantes sociales est liée aux dysfonctionnements sociaux, qui sont plus ou moins fréquents d'un établissement à un autre. En revanche, les jeunes ont partout besoin d'une infirmière pour les questions de sexualité, de violences au quotidien, de mal-être, d'éducation à la santé.

La tâche d'une assistante sociale est de remédier à un dysfonctionnement social. Elle doit être présente en priorité dans les établissements qui connaissent des dysfonctionnements sociaux. En l'absence de dysfonctionnement social, l'élève n'a en général pas besoin de rencontrer une assistante sociale. De même, les médecins de l'Education nationale doivent être présents dans les établissements où il y a un manque flagrant de suivi médical. Souvent, les jeunes sont bien suivis médicalement et ils ont besoin d'une infirmière, mais pas forcément d'un médecin.

Mme Jacqueline Le Roux : Les obligations légales des médecins de l'Education nationale concernent surtout le primaire.

Mme Brigitte Le Chevert : Le code de la santé publique détermine les obligations des médecins scolaires : la visite d'admission des élèves en CP, la surveillance des élèves qui travaillent sur machines dangereuses et les orientations.

En ce qui concerne les violences sexuelles en dessous de quinze ans, nous en découvrons, mais les enseignants, les assistantes sociales et les conseillers d'éducation en découvrent également. Il semble exister une contradiction entre la loi sur la contraception d'urgence et les dispositions du code pénal, selon lesquels la majorité sexuelle se situe à l'âge de 15 ans. Les infirmières ont-elles le droit de donner une contraception d'urgence dans les collèges, où la majorité des élèves ont moins de quinze ans ? Que doit faire une infirmière quand une élève de quatorze ans vient la solliciter pour la contraception d'urgence, compte tenu qu'une circulaire de l'Education nationale de 1997 stipule que tout acte sexuel en dessous de quinze ans doit être considéré comme un viol ? Cela pose un vrai problème.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le problème, c'est que les articles du code pénal ne sont pas aussi systématiques que l'affirme la circulaire. Il n'y a pas correspondance totale entre les termes de la circulaire et ceux du code pénal. Le code pénal ne dit absolument rien en ce qui concerne le viol ou les atteintes sexuelles entre mineurs. Si une mineure a eu une relation sexuelle avec son petit copain du même âge, ce n'est pas du tout considéré comme un viol ou une agression. En revanche, les atteintes sexuelles sans violences provoquées par un majeur sont passibles des sanctions prévues par le code pénal.

Mme Jacqueline Le Roux : Il y a aussi la réalité de la vie et de la société actuelle. On rencontre des jeunes filles qui sont mûres et qui prennent la décision d'avoir des relations sexuelles avec leur petit copain. L'infirmière ne va pas, chaque fois qu'une mineure de moins de quinze ans vient la trouver et en fonction de ce que l'élève lui aura raconté, faire une déclaration. Ce n'est pas possible. On ne peut pas se mettre dans une telle situation. Une telle indication dans une circulaire ne peut que faire peur à la profession et l'empêcher de faire son travail.

Mme Brigitte Le Chevert : Des infirmières se sont trouvées confrontées à des situations où des jeunes filles de moins de quinze ans sont venues les voir, soit parce qu'elles avaient eu des relations sexuelles avec un garçon, soit parce qu'elles voulaient une contraception, soit parce qu'elles avaient peur du sida, soit parce qu'elles souhaitaient une contraception d'urgence, soit tout simplement pour parler, parce qu'elles leur font confiance. Ce n'est pas une situation fréquente. L'âge des relations sexuelles n'a pas baissé. Mais certaines jeunes filles ont leurs règles à 9 ans et, à 14 ans, sont tout à fait mûres.

Quand une jeune fille vient voir l'infirmière pour lui parler, l'infirmière regarde comment elle se comporte et si elle est détendue. Si l'infirmière lui demande si elle a eu envie de ces relations sexuelles et si elle a eu du plaisir, la jeune fille répond oui. Si elle lui demande si son partenaire se protège, elle répond oui. Mais son souhait est quand même d'avoir une contraception. On ne peut pas obligatoirement demander à cette jeune fille si elle l'a dit à ses parents, et sinon lui dire que l'on est dans l'obligation de prévenir le procureur. Si elle vient nous voir, c'est qu'elle a confiance en nous. Nous sommes l'adulte en qui elle a confiance. Cela signifie qu'elle ne le dit à personne d'autre. Pour nous, c'est une élève qu'il va falloir suivre.

Par ailleurs, nous nous posons beaucoup de questions. Si elle a moins de 15 ans, compte tenu de ce qui est précisé dans la circulaire, que doit faire l'infirmière ? Nous sommes ravies que vous vous posiez cette question, car c'est une préoccupation pour notre profession.

Mme Jacqueline Le Roux : Pour nous, la sexualité n'est pas une maladie, c'est la vie. Il n'y a pas d'âge.

Mme Brigitte Le Chevert : Il faut mener aujourd'hui une réflexion sur le métier d'infirmière, que l'on sache que c'est une profession de santé à part entière, avec des responsabilités importantes, et que cette profession veut faire son travail dans le système de l'Education nationale. Toutefois, cette profession est en danger parce que trop de pressions s'exercent sur nous de part et d'autre, parce que les élèves aiment les infirmières et que cela génère des attitudes négatives à leur égard. Lors des colloques, certains des participants nous rapportent que les gens se demandent ce qui se passe ou se dit dans l'infirmerie.

Mme Jacqueline Le Roux : Nous vivons cela tous les jours, et de plus en plus, ce qui nous étonne d'ailleurs.

Mme Brigitte Le Chevert : Par exemple, il arrive qu'un chef d'établissement vienne dans la salle d'attente. Il est 12 heures 30, il y voit cinq ou six élèves. Il rentre, leur demande ce qu'ils font là. Nous ne voulons pas qu'il agisse ainsi. Alors, nous sortons pour le saluer et dire que ces élèves sont malades. Nous venons à leur rescousse. Les élèves sont désarçonnés par les questions. Nous leur suggérons ensuite de répondre qu'ils sont malades. Nous voulons qu'ils se protègent.

Les élèves viennent à l'infirmerie pour un mal au doigt, un mal au dos, ou un mal au ventre. Ils viennent pour que l'on s'occupe d'eux, parce que nous sommes des infirmières et que nous nous occupons du corps. Les élèves comprennent notre métier, ce que beaucoup d'adultes ne comprennent pas. Ils savent que nous sommes là pour leur bien-être, pour qu'ils soient bien dans leur vie. Nous prenons soin d'eux, et c'est pourquoi ils viennent nous parler. Notre travail n'interfère pas avec celui du psychologue et de l'assistante sociale, car le lien entre l'élève et l'infirmière, c'est le corps.

Mme Jacqueline Le Roux : Cette attitude vaut pour le chef d'établissement, mais aussi pour le médecin scolaire qui passe dans l'établissement. Moi qui entretenais de bonnes relations avec le médecin avec qui je travaillais, j'ai observé cette même réaction.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je n'ai pas souvenir qu'il y a un an et demi, vous ayez exprimé des comportements de cette nature. Ce que vous dites est nouveau.

Mme Brigitte Le Chevert : Avec les médecins scolaires, cela s'est exacerbé.

Avec les enseignants, cela va mieux. Avant, ils se demandaient pourquoi nous gardions autant de temps les élèves. Nous le leur avons expliqué, lors de colloques, par exemple. Nous avons des élèves qui viennent pour un mal de tête, et cela prend du temps à passer. En plus les élèves somatisent.

Mme Conchita Lacuey : Cela peut être révélateur.

Mme Brigitte Le Chevert : Cela peut être un élève qui a peur d'un autre élève, qui est racketté. Cela peut être un enfant dont la maman est malade. Il a entendu que sa mère était atteinte d'un cancer, il sait que sa tante en est morte, et cela le mine. Cette situation lui provoque des maux de tête et il porte cela comme un fardeau. Nous lui expliquons alors ce qu'est le cancer, nous lui demandons s'il veut que l'on prenne contact avec sa maman. Nous parlons et ensuite cela va beaucoup mieux. Nous communiquons beaucoup avec les parents. L'infirmerie est un lieu de parole, dont le fil conducteur est le corps.

Mme Jacqueline Le Roux : A l'extérieur de l'école, les enfants n'ont pas ce type de professionnels de la santé. Lorsque l'on est malade, on va voir le médecin de famille, mais pas forcément une infirmière, dont le rôle est spécifique.

Dans l'acte éducatif, nous sommes là pour aider les enfants et les accompagner tout au long de la scolarité. Nous pensons notamment avoir un rôle très important à l'âge de l'adolescence, où les enfants sont fragiles. Quelquefois, il suffit de notre empathie professionnelle ou de nos compétences pour parler de ce dont ils n'osent pas toujours parler avec les parents ; ainsi nous remettons les choses en place. Quand ils rencontrent des difficultés en cours avec un professeur, cela influe sur leur santé, cela parasite leur temps scolaire. C'est pourquoi nous avons un rôle très important.

Mme Martine Lignières-Cassou : Y a-t-il l'équivalent de votre profession dans d'autres pays d'Europe ?

Mme Brigitte Le Chevert : Non, dans les autres pays, le métier dans les établissements scolaires tient plus de la santé publique, des vaccinations, du dépistage. D'ailleurs, les infirmières ne suivent pas les mêmes études. En Allemagne, par exemple, elles ne font pas de prise de sang. Ce sont plutôt des aides-soignantes.

Notre métier est une spécificité du système français. Dans les autres pays, les infirmières convoquent les élèves. Nous, nous ne les convoquons pas : il y a une infirmerie avec une infirmière, et les élèves viennent sans arrêt.

Claude Allègre, alors ministre de l'Education nationale, nous avait indiqué, lors d'une audience, pourquoi il souhaitait qu'il y ait des infirmières, même s'il ne parvenait pas à obtenir tous les postes d'infirmières voulus. En effet, contrairement aux assistantes sociales, que l'on trouve en secteur ou en territorial, on ne trouve pas à l'extérieur de l'école de structure infirmière comme la vôtre, nous avait-il dit. Les infirmières libérales ne font pas du tout le même travail.

Mme Jacqueline Le Roux : Nous sommes là pour les enfants malades et les enfants bien portants, pour les aider à être bien dans leur corps.

Mme Brigitte Le Chevert : La semaine dernière, lors d'un colloque à Marseille, le docteur Ruffo a indiqué qu'il n'y avait aucun déterminant social dans le suicide et que les jeunes qui tentent de se suicider ont surtout besoin de personnes qui s'occupent de leur corps.

Mme Jacqueline Le Roux : Vous nous avez demandé si le fait de pouvoir donner la contraception d'urgence nous permettait de repérer davantage de cas d'agressions sexuelles. Nous ne disposons pas de statistiques, mais dans notre pratique journalière, nous ne relevons pas plus de cas qu'avant.

Mme Brigitte Le Chevert : Il est important de mentionner que nous sommes aussi les infirmières des personnels. Par exemple, les agents de service viennent régulièrement faire prendre leur tension. Cela leur évite d'aller chez le médecin. Des enseignants qui craquent viennent souvent se reposer à l'infirmerie. Comme avec les élèves, nous avons un rôle d'éducateur à leur égard. Nous y tenons beaucoup.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu Mme Anne-Marie Gibergues, secrétaire générale du syndicat national des infirmiers, infirmières, éducateurs de santé (SNIES UNSA-Education).

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Anne-Marie Gibergues, secrétaire générale du syndicat national des infirmiers, infirmières et éducateurs de santé (SNIES UNSA-Education), accompagnée de Mme Brigitte Accart, secrétaire générale adjointe.

Nous souhaiterions évoquer avec vous, comme nous venons de le faire avec Mme Brigitte Le Chevert, les difficultés qui nous ont été signalées par des collègues de la Délégation, à savoir :

- réticences de certains médecins scolaires ou de chefs d'établissement à l'application du protocole ;

- difficultés pour des infirmières à contacter en urgence un médecin ou un centre de planification, a fortiori dans des petites villes ou en milieu rural et, pour les mineures, difficultés de sortie de l'établissement ;

- problème de formation des infirmières à ces nouvelles pratiques ;

- insuffisance du nombre d'infirmières scolaires dans les établissements ;

- problèmes de crédits pour l'approvisionnement en Norlevo des pharmacies d'établissement.

Par ailleurs, nous aimerions avoir des éclaircissements sur la manière dont est traité le problème des violences et des agressions sexuelles en milieu scolaire, notamment sur les mineures de moins de 15 ans. Quelle attitude doivent adopter les infirmières scolaires, lorsqu'elles ont connaissance de tels faits, en application de la circulaire de 1997 concernant les violences sexuelles ? La délivrance de la contraception d'urgence a-t-elle mis en évidence un certain nombre de ces faits ?

S'il nous reste un peu de temps, vous pourrez évoquer très brièvement la situation actuelle des infirmières dans le système scolaire.

Mme Anne-Marie Gibergues : Je souhaiterais aborder au préalable un autre point qui concerne l'éducation à la vie affective et sexuelle à l'Education nationale et vous transmettre la lettre que le Groupe national d'information et d'éducation sexuelle (GNIES) a adressée à M. Jack Lang, ministre de l'Education nationale, sur l'insuffisance des postes, des formation et des moyens. C'est un problème prégnant, parce que l'on nous attribue de plus en plus de tâches à remplir, sans nous donner les moyens adéquats, qu'ils soient humains ou matériels.

En ce qui concerne les moyens en personnel, de nombreux collègues ont en charge trois collèges et cinquante écoles primaires. Ils ne peuvent donc pas faire toutes les tâches qu'ils devraient. De plus, les infirmières n'étant pas en permanence dans les collèges, il leur est pratiquement impossible de répondre à l'urgence. J'imagine mal une élève aller demander à son chef d'établissement ou à son conseiller principal d'éducation d'appeler l'infirmière, car elle a un besoin urgent. Où serait la confidentialité dans ce cas ?

S'agissant des moyens matériels, les infirmières qui sont sur un secteur - ce que l'on appelle les postes mixtes - n'ont pas suffisamment de frais de déplacement dans l'année pour remplir toute leur charge de travail.

En ce qui concerne la formation, il ne s'agit pas simplement de la formation à la contraception d'urgence, mais aussi à l'éducation sexuelle. Dans certaines académies, il existe, dans le planning de formation de l'année, des formations à la vie affective et sexuelle, mais elles ne sont pas institutionnalisées et se font sur la base du volontariat. Nous souhaiterions que cette formation fasse partie de l'accueil de toutes les infirmières à l'Education nationale. Notre projet serait un an de formation avec des stages et parfois des formations de groupe, pour travailler avec les professeurs et les maîtres d'école. Cela nous permettrait de parler tous d'une même voix sur ce sujet. Nous essayons d'établir le programme de cette année de formation, parce que l'infirmière scolaire a un travail particulier, qui n'est pas celui de l'infirmière hospitalière.

Nous sommes de très bonnes techniciennes. Nous avons une ouverture sur la santé publique, mais il faudrait que nous ayons une obligation à la formation, lors de l'entrée dans le corps de l'Education nationale, en raison de ses particularités. Ensuite, nous devons apprendre à travailler avec les autres et les autres doivent apprendre à travailler avec nous, à nous reconnaître et à former des projets avec nous. L'éducation sexuelle fait partie de la formation que nous aimerions recevoir.

Je vais maintenant aborder les problèmes que nous avons rencontrés dans l'application de la circulaire sur la contraception d'urgence.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Avant le vote de la loi du 4 juillet 2001 ?

Mme Anne-Marie Gibergues : Non, depuis cette rentrée scolaire.

Dans la loi sur la contraception d'urgence, confortée par la loi sur l'IVG, il est fait référence à un médecin directement accessible. Or, cela a posé un énorme problème de responsabilité à l'infirmière lorsqu'elle est confrontée à une élève qui ne veut pas rencontrer un médecin.

D'un point de vue pénal, nous nous sommes demandées comment faire, puisque la loi précise qu'il convient d'avoir un contact avec un médecin. Nous avons donc interrogé sur ce point une assurance professionnelle. Sa réponse a été très explicite :

L'idée générale est que l'intervention de l'infirmier n'est légitime que si celle d'un médecin est effectivement impossible. Ceci doit donc, comme vous le faites justement remarquer, être limité à un nombre très réduit de cas, l'accès rapide à un médecin étant en général possible en France, ne serait-ce qu'au service d'accueil des urgences du centre hospitalier le plus proche."

Quand l'établissement se situe à vingt kilomètres du centre hospitalier ou du centre de planification le plus proche, comment faire ?

Je continue : "Je pense donc que l'attitude des infirmiers scolaires, au moins en l'état actuel de cette réglementation, doit être de s'impliquer le moins possible dans l'administration de ces contraceptions d'urgence et réserver cette activité aux médecins. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit de l'administration d'un produit médicamenteux nécessitant une indication médicale, même si ce produit est en vente libre."

Nous nous attendions à une telle réponse, mais nous sommes très inquiets de la responsabilité qu'elle suppose. Dans chaque établissement, nous pouvons contacter le 15, qui nous enverra un médecin en urgence. Mais il se pose le problème de confidentialité. De plus, si un médecin se déplace, qui va payer les frais ?

Mme Brigitte Accart : Même si nous pouvons imputer ces frais au fonds social, nous devrons expliquer la dépense.

Mme Anne-Marie Gibergues : Notre préoccupation principale porte sur la confidentialité. Nous essayons de régler les problèmes au cas par cas, mais ce n'est pas toujours facile. Certaines collègues sont réticentes à appliquer la loi, peut-être parce qu'elles se sentent prises en défaut dans leur fonctionnement. Par ailleurs, nous nous étions posé la question de la responsabilité de l'infirmière, dans l'éventualité où cette contraception d'urgence serait inefficace, ce qui arrive parfois.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je ne vois pas pourquoi la responsabilité de l'infirmière serait davantage engagée.

Mme Anne-Marie Gibergues : Si l'enfant ne veut pas faire une IVG, la famille peut se retourner contre l'infirmière qui a commencé à délivrer une contraception d'urgence. Certaines de nos collègues se sont posé la question, plus particulièrement dans le cas de familles maghrébines. Quelle va être la réaction de ces familles lorsqu'elles vont constater la grossesse de leur fille qui, ne voulant pas faire d'IVG, leur dit qu'elle a commencé une contraception d'urgence auprès de l'infirmière du collège ou du lycée ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La question de l'efficacité du Norlevo peut se poser pour les mineures, quelle que soit leur ethnie d'origine. Cela dit, il me semble aussi que vous êtes tenues au secret professionnel.

Mme Anne-Marie Gibergues : Ce n'est pas vis-à-vis de notre secret professionnel, mais vis-à-vis de la famille à laquelle la mineure va raconter que l'infirmière lui a donné la pilule du lendemain. Nous devons tenir des registres pour ces pilules et en faire un bilan. Or, dans le cas d'un dépôt de plainte contre l'infirmière ou d'une commission rogatoire, la justice aura accès au registre infirmier.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mais ce ne sont pas des rapports nominatifs.

Mme Anne-Marie Gibergues : Si, dans notre registre infirmier, c'est nominatif. Toute une partie n'est pas divulguée, mais en cas d'enquête ou de commission rogatoire, le secret professionnel est levé. C'est ce qui nous a causé du souci, parce que le droit parental n'est pas levé.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Si, il est levé. Depuis la loi relative à l'IVG et à la contraception du 4 juillet 2001, toute mineure a le droit de prendre une contraception en toute confidentialité et de recourir à une IVG.

Mme Anne-Marie Gibergues : Un autre problème concerne la confidentialité. Il est bien précisé, dans le décret d'application, que nous devons disposer de locaux pour aider à cette confidentialité. Or, si nous faisions un bilan de la situation des collèges où nous passons de temps en temps, vous seriez surprises de constater que nous travaillons souvent dans des conditions déplorables. Syndicalement, notre v_u est que l'on puisse refuser les établissements où il n'existe aucun lieu permettant de pratiquer un accueil dans la confidentialité. Toutefois, les rectorats et les inspecteurs d'académie ne le comprennent pas. Pour eux, nous devons passer dans tous les établissements. Nous travaillons parfois dans des conditions lamentables. Une de nos collègues, dans l'académie de Créteil, était installée au fond d'un couloir avec une table.

Mme Conchita Lacuey : Que font les conseils généraux ? Vous devriez agir auprès d'eux.

Mme Anne-Marie Gibergues : Il y a deux ans, dans un département, j'ai entrepris une action en ce sens. Deux ans après, il n'y a toujours aucun résultat au niveau des conseils généraux. Ils ont d'autres priorités que de construire des infirmeries.

Mme Conchita Lacuey : C'est une obligation.

Mme Anne-Marie Gibergues : Je suis ravie de vous l'entendre dire, mais vous ne savez pas ce que nous vivons.

Mme Conchita Lacuey : Si, dans un établissement, certains lieux ne sont pas conformes à la législation, cela doit être rapporté lors du conseil d'administration, où siègent le représentant du conseil général, les parents d'élèves et l'administration.

Mme Anne-Marie Gibergues : Nous avons fait un travail en amont, puisque nous sommes allées dans les conseils départementaux de l'Education Nationale (CDEN), mais franchement, cela n'avance pas beaucoup.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les CDEN ne sont pas forcément les bons lieux.

Mme Anne-Marie Gibergues : Si, car dans un CDEN par an, nous sommes en contact avec le conseil général. Nous dénonçons aussi cette situation au conseil d'administration, quand nous pouvons y participer. En effet, comme nous naviguons entre plusieurs établissements, nous ne sommes pas obligatoirement dans un conseil d'administration.

Mme Conchita Lacuey : Vous avez toujours un conseiller général ou des élus de la commune qui y siègent.

Mme Brigitte Accart : Ce n'est pas pour cela que nous sommes entendues ou qu'ils débloquent des fonds pour les infirmeries. D'ailleurs, dans des collèges déjà anciens, il n'y a pas toujours de lieu disponible pour installer une infirmerie. Une telle structure peut se concevoir quand il s'agit d'un nouvel établissement, mais dans des établissements scolaires plus anciens, aménager un local qui n'était pas prévu au départ pose des problèmes.

Nous ne pouvons pas délivrer une contraception d'urgence, installées à une table au bout d'un couloir. Les élèves passent, nous demandent une serviette hygiénique, la pilule du lendemain, un Doliprane, un Spasfon. Si nous ne pouvons pas nous isoler avec l'élève pour avoir un entretien, il nous est difficile de travailler.

Mme Anne-Marie Gibergues : Pour nous, la question des locaux est très importante au regard de la confidentialité. Nous sommes souvent très gênées, notamment pour les questions d'IVG ou de pilule du lendemain.

Les problèmes de la ruralité se rencontrent tous les jours dans les petits établissements de moins de cent élèves. En revanche, aucune difficulté ne nous est remontée concernant des violences et agressions sexuelles sur mineurs depuis le texte de la circulaire de 1997. Aucune de nos collègues ne nous a contactées pour nous informer que cela lui posait problème, peut-être aussi parce qu'elles ne veulent pas se poser le problème.

Nous sommes auprès des enfants et pas auprès de l'administration. Nous sommes là pour aider les enfants. En général, il ne s'agit pas d'un majeur qui aura eu des relations avec une mineure, mais de couples qui se forment à l'intérieur de l'établissement.

Mme Conchita Lacuey : On ne vous a donc signalé aucun cas avec des violences.

Mme Anne-Marie Gibergues : Si, des violences, cela peut arriver. C'est alors une agression sexuelle, que nous déclarons. Il y a des circuits bien établis de déclaration selon les départements.

Mme Conchita Lacuey : A travers la contraception d'urgence, avez-vous rencontré de tels cas ?

Mme Anne-Marie Gibergues : Non, nous n'avons eu aucun signalement d'agression sexuelle. C'est peut-être arrivé, mais nos collègues ne l'ont pas signalé.

Nous voulions également aborder le problème de la sortie pour l'IVG et de l'adulte référent. Le mieux, c'est qu'un membre de la famille soit l'adulte référent. Mais, parfois, seule l'infirmière peut l'être. D'autres agents de l'administration, comme le médecin ou l'assistante sociale, pourraient également l'être, mais leurs secteurs étant très étendus, nous les voyons rarement. Pour nous, il est très difficile de quitter l'infirmerie, où nous avons des permanences à faire, puisque nous sommes tenues de traiter l'urgence. Il peut arriver une urgence quand nous sommes à l'hôpital pour accompagner la jeune fille. Nous nous posons beaucoup de questions à ce sujet.

D'autre part, je voudrais vous raconter ce qui est arrivé à une de nos collègues. Elle a eu à traiter le cas d'une élève enceinte, qui voulait recourir à une IVG, sans qu'aucun membre de sa famille n'en soit informé. L'infirmière, qui s'est proposée comme adulte référent, a été refusée par le centre d'IVG. Les problèmes viennent principalement des médecins anesthésistes qui exigent que la famille signe les décharges.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous confortez les informations que nous avons eues d'un certain nombre de nos collègues, voire des médecins anesthésistes que nous avons rencontrés. Nous avons voté une loi pour qu'elle soit appliquée. Or, on s'aperçoit qu'elle ne l'est pas et qu'il y a vraiment un travail à faire.

Mme Anne-Marie Gibergues : Que faire dans ce cas ? Que dire à nos collègues qui nous contactent ? La plupart du temps, ce sont les anesthésistes qui bloquent.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Notamment s'ils doivent pratiquer une anesthésie générale.

Mme Anne-Marie Gibergues : Entre la dixième et la douzième semaine, il est difficile de pratiquer une IVG autrement que sous anesthésie générale.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce sont des discussions que nous menons actuellement avec les anesthésistes, ainsi qu'avec le ministère. Mais cette situation n'est pas générale.

Mme Anne-Marie Gibergues : Le problème est que l'IVG reste le dernier recours et ne peut souffrir de délai. Ne pouvant plus attendre, on se retrouve confrontées à des grossesses non désirées.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons reçu le président de la Société française d'anesthésie et de réanimation, qui nous a tenu un discours certes prudent, mais moins abrupt que ce que vous venez de nous décrire. Toutefois, je sais que, dans mon département, certaines femmes viennent de départements voisins, en raison de l'attitude des anesthésistes. C'est pourquoi nous nous mobilisons sur le suivi de l'application de la loi, car nous constatons que certains blocages ne sont absolument pas levés.

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* *

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entres les hommes et les femmes a ensuite entendu M. Guy-Marie Cousin, secrétaire général du syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (SYNGOF).

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir M. Guy-Marie Cousin, secrétaire général du syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France, qui rassemble 2 400 gynécologues et obstétriciens.

La Délégation aux droits des femmes a été chargée par le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale du suivi de l'application de la loi relative à l'IVG et à la contraception. Dans le cadre de cette mission, elle déjà reçu M. Bruno Carbonne, secrétaire général du collège national des gynécologues-obstétriciens français, qui a fait part d'un certain nombre de difficultés de mise en _uvre de la loi, notamment un manque de formation des médecins, et des réticences d'ordre à la fois médicales et éthiques.

Nous souhaitons recueillir votre appréciation sur la situation actuelle de l'IVG et sur l'attitude des gynécologues-obstétriciens devant l'allongement des délais et vis-à-vis des mineures accompagnées d'un adulte qui n'est pas leur parent. Vos adhérents sont-ils confrontés à de nombreux cas d'IVG tardives ? Comment ces cas sont-ils traités ? En cas de dépassement des nouveaux délais, quelles sont les solutions proposées ? Selon vous, existe-t-il des différences de pratiques entre les secteurs public et privé ? Quels sont les obstacles au développement de la médecine ambulatoire ? L'ouverture de la pratique de l'IVG médicamenteuse à la médecine de ville, va-t-elle offrir de nouvelles perspectives ?

Nous souhaiterions également aborder le problème de la revalorisation des frais de soins et d'hospitalisation afférant à l'IVG, connaître votre sentiment quant à l'inscription de l'acte d'IVG dans la nomenclature de la Sécurité sociale et aborder le statut des services et des personnels affectés à l'IVG ?

M. Guy-Marie Cousin : Dès l'annonce des modifications envisagées de la loi Veil, au mois de juillet 2000, nous avions, au nom de notre syndicat, qui représente les gynécologues et les obstétriciens aussi bien hospitaliers publics que privés, réagi, en soulevant trois problèmes : tout d'abord, celui de la réticence des professionnels, sur le plan technique, en matière de délais ; ensuite, la question des jeunes filles mineures, notamment en cas de complications ; enfin, le problème des femmes qui, malgré l'allongement des délais, devraient aller avorter à l'étranger. Nous avions publié un communiqué, interpellant Mme Martine Aubry, alors ministre de l'emploi et de la solidarité. Dans son intervention au conseil des ministres le 4 octobre 2000, soit quinze jours plus tard, elle avait affirmé que l'augmentation du délai ne posait pas de problèmes techniques. Le rapport de l'ANAES, selon lequel une IVG à treize ou quatorze semaines posait des problèmes techniques, est paru ultérieurement.

Or, il s'agit pour nous d'un réel souci, puisqu'une IVG pratiquée dans ces délais nécessite un environnement particulier, un environnement hospitalier, avec possibilité d'anesthésie, une surveillance post-intervention, voire une hospitalisation. Voilà la raison pour laquelle certains médecins sont réticents à de telles pratiques ; plusieurs de nos collègues, qui acceptent de pratiquer les IVG jusqu'à douze semaines, estiment ne pas avoir la formation adéquate pour les pratiquer au-delà.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Sont-ils prêts à se former ?

M. Guy-Marie Cousin : Il faut savoir comment les former, et quelles seront les mesures incitatives à une telle formation. Dans la réalité, les centres d'IVG fonctionnent assez souvent en marge des services hospitaliers, grâce à la participation de médecins en voie de disparition - les médecins militants -, qui étaient soit des médecins généralistes soit des gynécologues médicaux. A partir du moment où existe un problème technique chirurgical
- ce qui est le cas entre douze et quatorze semaines -, les médecins généralistes sont très réticents à pratiquer des IVG, notamment dans les centres d'IVG qui ne font pas partie d'un service hospitalier. Par ailleurs, la spécialité de gynécologie médicale n'existe plus depuis 14 ans, et la formation ne comprenait pas l'apprentissage de la technique chirurgicale, surtout entre 12 et 14 semaines d'aménorrhée ; certes, il a été décidé de former à nouveau les gynécologues médicaux, mais il faudra attendre quatre ou cinq ans avant d'avoir des jeunes médecins formés.

Nous sommes donc dans une période d'autant plus difficile que le nombre de gynécologues-obstétriciens diminue et que ceux-ci sont de plus en plus sollicités par le suivi des grossesses, par les problèmes chirurgicaux et par les stérilités. Il faut avouer de plus que dans le secteur hospitalier public comme privé, l'IVG n'est pas "la tasse de thé" des médecins, et qu'elle l'est d'autant moins qu'il s'agit d'une activité souvent gérée dans un service annexe, que les médecins volontaires ne disposent pas des moyens de la pratiquer dans de bonnes conditions et qu'un grand nombre de chefs de service refuse la pratique des IVG dans leur service.

Je pense qu'il convient de reprendre les choses à la base. On assiste à la disparition des médecins militants, qui avaient participé aux luttes pour l'adoption de la loi Veil, mais en contrepartie les médecins ont aujourd'hui des positions moins marquées, moralement, pour ou contre l'IVG. Il convient simplement de leur donner les moyens de les pratiquer dans des conditions correctes.

Au niveau du secteur hospitalier public, il faut que l'on donne la possibilité aux médecins qui le souhaitent, de pratiquer des IVG dans les services d'IVG au sein des services hospitaliers. Cette charge de travail, comme n'importe quelle autre, devrait être partagée par tous et ne pas reposer sur une seule personne. C'est pour cette raison qu'en été, faute de personnels, certains services doivent fermer et que l'on assiste, de ce fait, à une augmentation insupportable des délais.

Dans le monde hospitalier privé, je crains que les médecins ne se déchargent un peu de la pratique des IVG, du fait, notamment de l'accroissement de l'activité et de la demande forte sur d'autres activités...

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : ... vécues comme plus nobles !

M. Guy-Marie Cousin : Vécues comme plus nobles, oui, il faut dire les choses comme elles sont. Cependant, il y a aujourd'hui un changement de comportement de la part des médecins. Ils savent que la pratique de l'IVG fait partie de leur métier et que la détresse des femmes dans cette situation doit être prise en compte : la jeune génération est beaucoup moins réticente que les médecins plus âgés.

Malheureusement, ces jeunes médecins ne sont pas incités à pratiquer les IVG, parce qu'ils sont trop sollicités par ailleurs et qu'ils n'y sont pas incités financièrement, puisque le tarif des actes d'IVG, fixés par arrêté en janvier 1991, n'a jamais été réévalué depuis. Par conséquent, aujourd'hui, un médecin gynécologue-obstétricien a tout intérêt à réaliser une aspiration pour une fausse couche plutôt qu'une aspiration pour une IVG ; bien que l'investissement, en ce qui concerne le temps médical de prise en charge, soit moins lourd, l'acte est mieux payé. L'anesthésiste est lui aussi mieux rémunéré en cas d'aspiration pour grossesse spontanément interrompue que pour une IVG. Et la situation dans les établissements privés est encore pire puisque, par rapport à une activité comparable, le forfait prive l'établissement d'environ 1 000 francs de revenus par intervention (correspondant aux frais de salle d'opération).

Il est donc clair que les choix des directions d'établissement - qui progressivement échappent aux médecins - ne se portent plus aujourd'hui sur l'ouverture ou le maintien d'une activité d'IVG ; il est beaucoup plus rentable d'exercer d'autres activités. Cette situation est inquiétante, notamment en Ile-de-France, où l'on peut penser que, dans les années qui viennent, le secteur hospitalier public va devoir s'investir beaucoup plus dans la pratique des IVG.

Je ne reviendrai pas sur le rapport de l'ANAES, mais il explique clairement que la méthode recommandée, entre treize et quatorze semaines, est la méthode chirurgicale.

Il existe, à l'évidence, un problème de formation des personnels médicaux. Les gynécologues-obstétriciens sont formés à la technique - puisqu'ils réalisent tous des interruptions médicales de grossesse, même bien au-delà de quatorze semaines -, mais ne savent pas bien, en revanche, manier les produits médicamenteux, notamment à treize ou quatorze semaines de grossesse. Nous savons qu'ils peuvent être utilisés avec succès, mais avec des effets secondaires douloureux ; par ailleurs, nous ne disposons pas de protocole évalué concernant la gestion de la douleur. Le rapport de l'ANAES précise d'ailleurs que les femmes qui ont déjà subi une IVG chirurgicale choisiraient, si le cas se présentait, à nouveau une IVG chirurgicale, et que les femmes qui ont subi une IVG médicamenteuse choisiraient, elles aussi, une IVG chirurgicale, car elles ont trop souffert. Ce problème pourrait peut-être se régler par la mise au point d'un protocole anti-douleur, mais il y a vraiment du travail à faire dans ce sens.

Il convient également de réfléchir à l'accès au plateau technique, car les IVG doivent être pratiquées dans un service hospitalier, avec l'environnement adéquat.

S'agissant des mineures, le problème n'est absolument pas réglé. Nous sommes tout à fait disposés à appliquer la loi, mais notre souci est de savoir ce que nous devons faire en cas de complication. Si l'hospitalisation est nécessaire, comment devons-nous prévenir la famille ? Je n'imagine pas une seconde ne pas prévenir les parents. Quelles sont les responsabilités respectives du médecin et de l'adulte référent ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il s'agit pour l'adulte référent d'une responsabilité non pas pénale, mais morale.

M. Guy-Marie Cousin : Bien entendu, mais le problème, pour nous, n'est pas réglé.

Par ailleurs, j'estime que la loi a été trop timide par rapport à la proposition formulée par M. Israël Nisand, et que nous avons soutenue, relative aux centres régionaux spécialisés dans les IVG tardives, d'autant qu'aujourd'hui, nous pouvons nous appuyer sur le réseau maternité. Aujourd'hui, les maternités - publiques comme privées - sont obligées de s'organiser de façon régionale en réseaux interdépendants les uns des autres, pour une meilleure prise en charge des grossesses à risque et des nouveaux-nés à problème. Les praticiens vont se connaître par l'intermédiaire de ces réseaux. Nous pouvons donc très bien imaginer qu'au sein de ces derniers vienne se superposer un centre régional prenant en charge les IVG à problème, y compris les IVG pratiquées au-delà de 14 semaines. Nous comprenons, en effet, assez mal pourquoi on laisse sur le bord de la route 2 000 à 2 5000 femmes qui, ayant dépassé les délais légaux, iront de toute façon à l'étranger.

A partir du travail réalisé par l'ANAES, il conviendrait de solliciter les sociétés savantes correspondantes, que ce soit celles de gynécologies-obstétriques ou celles d'anesthésie-réanimation, pour élaborer des guides de bonnes pratiques, que toutes les organisations professionnelles pourraient diffuser aux médecins. Cela est notamment vrai pour l'utilisation des produits médicamenteux et pour les protocoles anti-douleur.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela pourrait être également l'une des fonctions du groupe national d'appui.

M. Guy-Marie Cousin : Oui, tout à fait. Enfin, je crois que de nombreux professionnels sont prêts à s'engager dans la participation à l'information des adolescents. Nous sommes, en effet, assez troublés de constater, que le nombre d'IVG ne baisse pas par rapport au nombre de naissances en France ; certains pays savent faire bien mieux que nous.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pourtant, nous sommes l'un des pays dont les femmes ont le plus recours aux méthodes contraceptives.

M. Guy-Marie Cousin : Nous nous rendons compte aujourd'hui que les IVG les plus difficiles concernent des femmes de plus en plus jeunes : alors que la moyenne d'âge était de 25/29 ans, elle est actuellement de 20/24 ans. Cela signifie que la prise en charge contraceptive n'a pas été faite correctement et qu'il faut donc diffuser une information. Mais, lorsque j'en parle avec des responsables du monde éducatif, je sens une grande réticence de leur part à introduire les professionnels de santé dans l'information à la sexualité. C'est regrettable, car un gynécologue pourrait se rendre dans plusieurs classes et donner une information d'une manière différente de celle de l'éducateur. Ce message pourrait marquer les adolescents. Nous pourrions par ailleurs leur préciser qu'ils peuvent avoir accès à l'information médicale en poussant simplement la porte de n'importe quel cabinet médical. Les adolescents qui connaissent des problèmes sont démunis, surtout s'ils ne peuvent pas en parler à leurs parents.

Nous sommes donc tout à fait disposés à appliquer la loi, nous avons seulement soulevé un certain nombre de problèmes, aujourd'hui, non résolus. Par ailleurs, nous craignons que la diminution des effectifs dans notre spécialité ne rende les choses plus difficiles dans les années qui viennent.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous pourrions penser que la relève pourrait être prise par l'IVG médicamenteuse et par la création de réseaux entre médecins de ville et établissements de santé.

M. Guy-Marie Cousin : Certainement, notamment pour ce qui concerne la délivrance elle-même, mais l'IVG médicamenteuse après douze semaines de grossesse pose des problèmes de douleur importants qui ne peuvent pas être gérés en libéral.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Tout à fait, d'ailleurs l'ANAES ne la recommande pas pour les IVG tardives, mais seulement pour les grossesses jusqu'à sept semaines. Mais, pour ces grossesses, le développement de l'IVG médicamenteuse, en médecine de ville, conventionnée, et dans le cadre des réseaux de santé, pourrait être une réponse.

M. Guy-Marie Cousin : Les réseaux de santé restent pour le moment théoriques. En revanche, le réseau de maternité existe. Pourquoi les médecins de ville ne pourraient-ils adhérer au réseau, sachant qu'ils trouveraient là facilement des interlocuteurs qui pourraient prendre en charge les problèmes qu'ils sont susceptibles de rencontrer lors des IVG ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le texte relatif aux réseaux de santé ne l'interdit pas.

M. Guy-Marie Cousin : Il ne l'interdit pas, mais ne l'organise pas non plus. Par ailleurs, les professionnels de santé du monde libéral pensent qu'effectivement la mise en place de ces réseaux est une bonne idée, mais qu'il convient avant tout de déterminer les responsabilités et le financement du temps passé au sein des réseaux. Car ceux-ci ne peuvent pas fonctionner uniquement avec des bonnes volontés. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion d'en parler avec le ministre de la santé, pour ce qui concerne les réseaux de périnatalité. Il a prévu d'en financer le fonctionnement, car il a bien conscience que, sinon, ils ne fonctionneront pas. Ce que nous regrettons, dans cette démarche, c'est que nous n'ayons pas participé au travail important réalisé par M. Israël Nisand l'année dernière ; la consultation a eu lieu après que les décisions importantes aient été prises. Or, le fonctionnement n'est pas satisfaisant, et l'on se demande maintenant comment résoudre le problème. Globalement, tous les professionnels sont d'accord sur la prise en charge qu'il avait proposée et sur la création de centres régionaux. Lorsque nous sommes confrontés à une IVG difficile à 13 ou 14 semaines de grossesse, ce n'est pas facile à gérer, même pour un spécialiste ayant de l'expérience. Il serait donc intéressant, à ce moment-là, de pouvoir faire appel à un centre régional, où l'on sait que la décision et l'acte vont être portés par un collège de médecins.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je ne voudrais pas revenir sur les discussions que nous avons eues l'année dernière avec M. Israël Nisand, notamment sur la personne qui prend la décision de l'acte d'IVG. Il y a eu un malentendu à ce sujet et le débat a changé de nature, notamment en ce qui concerne l'allongement des délais légaux d'IVG et les examens de diagnostic prénatal.

M. Guy-Marie Cousin : La création de centres régionaux serait justement un bon moyen de limiter les risques de dérive eugénique.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Personnellement, en ce qui concerne la détermination du sexe, je ne crois pas à ce risque.

M. Guy-Marie Cousin : Aujourd'hui, à 12 semaines de grossesse, nous pouvons déceler un certain nombre de malformations. Nous sommes à la veille d'une décision de la Cour de cassation : si elle confirme l'arrêt Perruche, cela va poser un énorme problème. Un grand nombre d'échographistes vont ouvrir un parapluie et dire à leur patiente, s'ils dépistent une malformation, qu'ils sont incapables d'en estimer la portée et qu'il lui appartient
- puisqu'elle est dans les délais d'une IVG - de prendre ses responsabilités. Ce qui est un discours effrayant à entendre, lorsqu'on est enceinte de trois mois. C'est la raison pour laquelle un centre régional, couplé à un centre de diagnostic prénatal, permettrait de dégonfler le problème : il y aurait confirmation par un expert échographiste et discussion collégiale du dossier. Tous les professionnels concernés - dont les chirurgiens néonataux - seront capables de dire, pratiquement en temps réel, comment ils envisagent le traitement de la malformation, quels sont les risques de handicap, etc. Un couple qui se retrouve dans cette situation a besoin d'information, et c'est justement l'absence de cette information qui conduit des couples à décider d'une IVG non motivée.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce n'est pas l'arrêt Perruche qui crée l'indemnisation ; la nouveauté de cet arrêt, c'est l'indemnisation de l'enfant.

M. Guy-Marie Cousin : Tout à fait, mais pour nos assureurs, cette indemnisation risque de leur coûter cher et ils répercuteront le surcoût sur les assurances en responsabilité civile professionnelle ! C'est un vrai problème. A titre d'exemple, je viens d'être informé des tarifs applicables en 2002 pour l'assurance de groupe gérée par le syndicat : gynécologie médicale sans échographie et sans IVG : 4 200 F par an, gynécologie médicale avec échographie et avec IVG : 28 000 F par an !

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