ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 10

Mardi 8 janvier 2002

(Séance de 14 heures)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport de Mme Yvette Roudy sur le projet de loi (n° 3166) relatif à la bioéthique

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La Délégation aux droits des femmes a examiné le rapport de Mme Yvette Roudy sur le projet de loi (n° 3166) relatif à la bioéthique.

Mme Yvette Roudy, rapporteure, a rappelé qu'elle suivait les questions de bioéthique depuis plus de dix ans, ayant d'abord été présidente de la commission spéciale sur la bioéthique en 1992-1993, puis membre du Conseil consultatif national d'éthique pendant trois ans et enfin récemment membre de la mission d'information commune préparatoire au projet de loi de révision des "lois bioéthiques" de 1994, puis de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique.

Elle a indiqué que la Délégation aux droits des femmes s'était limitée à l'examen des dispositions relatives à l'assistance médicale à la procréation, sur lesquelles il est important que soit entendue la voix des femmes. En effet, l'AMP ne peut se développer sans une participation étroite des femmes, qui doivent subir des traitements très lourds : stimulation ovarienne, prélèvement d'ovocytes, anesthésie, transfert d'embryons après fécondation in vitro...

La rapporteure a ensuite présenté dix propositions de recommandations, regroupées par thèmes, qui ont donné lieu à un débat au sein de la Délégation : 

Une exigence d'information et un meilleur accompagnement

_ La première recommandation vise à ce qu'une information claire et complète soit dispensée par l'équipe médicale pluridisciplinaire aux couples sur le processus de l'AMP, sur les techniques proposées, sur les réussites et les échecs, mais aussi sur les effets secondaires indésirables des traitements, les risques de complications encourus, la difficulté et les contraintes du parcours engagé. L'information devra être assurée tout au long de la démarche d'AMP.

Selon la rapporteure, le couple doit être bien informé de toutes les implications du parcours de l'AMP, notamment dans la vie personnelle et professionnelle.

En réponse à Mme Marie-Thérèse Boisseau qui a estimé cette proposition superflue, compte tenu des dispositions figurant déjà dans le projet de loi, Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a indiqué que les femmes entendues par la Délégation se sont toutes plaintes d'un manque d'informations dans la pratique et que rappeler cette exigence d'information lui semblait nécessaire.

Mme Marie-Thérèse Boisseau s'est abstenue lors du vote de cette recommandation.

_ La deuxième recommandation s'attache à valoriser la dimension psychologique dans le recours à l'AMP, insuffisamment prise en compte aujourd'hui, en prévoyant un entretien psychologique, proposé à tous les couples, préalablement à la mise en _uvre de l'AMP, et pris en charge par la sécurité sociale.

La rapporteure, estimant que les équipes médicales ont naturellement tendance à encourager les couples dans leur désir d'enfant et leur démarche d'AMP, a souligné l'importance de la prise en compte de la dimension psychologique.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, favorable à cette proposition, a toutefois souhaité la compléter, de façon à ce que l'entretien psychologique puisse être proposé, non seulement préalablement, mais aussi postérieurement à la démarche d'AMP, son échec étant une dure épreuve pour les couples.

Pour Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, il faudrait pouvoir dépasser la seule approche psychologique, car les questions abordées à travers l'AMP, qui renvoient au mystère de la vie, sont également d'ordre philosophique et religieux.

La recommandation, ainsi modifiée, a été adoptée par la Délégation.

Un souci de transparence

_ La troisième recommandation préconise la transparence dans la publication des résultats des centres d'AMP, qui devrait faire apparaître notamment les caractéristiques des centres, les pathologies traitées, les taux de réussite et d'échec, en particulier la proportion d'enfants nés vivants. Une harmonisation de la publication de ces résultats devrait se faire sous l'égide de la FIVNAT et de la nouvelle Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines.

La rapporteure a souhaité que les statistiques publiées par les centres portent sur les résultats effectifs, c'est-à-dire sur le nombre d'enfants nés vivants et en bonne santé, et pas seulement sur le nombre de tests de grossesse.

Mme Marie-Thérèse Boisseau s'est abstenue sur cette proposition.

Un accès moins rigoureux à l'AMP

_ La quatrième recommandation concerne l'exigence de vie commune d'une durée d'au moins deux ans pour les concubins souhaitant accéder à l'AMP. Cette exigence pourrait être supprimée, sachant que les couples demandent de plus en plus tardivement à accéder à l'AMP et que la preuve à apporter de communauté de vie semble difficile à établir, comme à contrôler.

Mme Marie-Thérèse Boisseau a estimé qu'il convenait de maintenir une exigence de stabilité du couple non marié, nécessaire pour prendre la décision, puis affronter l'épreuve de l'AMP.

Pour M. Patrick Delnatte, compte tenu de la difficulté du parcours de l'AMP, cette durée de deux années, nécessaire à la préparation psychologique de l'AMP, n'est pas excessive.

Mme Marie-Thérèse Boisseau et M. Patrick Delnatte se sont abstenus sur cette recommandation.

_ La cinquième recommandation vise à supprimer l'interdiction du transfert d'embryon post-mortem établie par la loi de 1994, et propose de ne pas légiférer sur des cas rares et trop spécifiques, auxquels aucune règle préalable concernant les délais de deuil ne pourra véritablement répondre. Il appartiendra à l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines, saisie, de décider cas par cas.

La rapporteure, évoquant l'affaire "Pirès" dans laquelle la Cour de cassation avait refusé l'implantation posthume d'un embryon au motif que le père était décédé, a estimé que la mère avait des droits sur cet embryon. Au demeurant, le Conseil consultatif national d'éthique s'est prononcé en faveur du transfert post-mortem d'embryon, lorsque l'AMP a déjà été engagée par le couple.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, opposée au transfert d'embryons post-mortem, a cependant convenu que, si ces cas sont vraiment rares - un seul en vingt ans, semble-t-il -, il est en effet inutile de légiférer et il convient de remettre la décision au libre arbitre de l'intéressée et de l'équipe médicale.

M. Patrick Delnatte s'est prononcé pour le maintien de l'interdiction du transfert post-mortem de l'embryon dans l'intérêt de l'enfant et souligné que, selon les termes du projet de loi, "la dissolution du couple fait obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons". Il a exprimé sa réserve sur la proposition de ne pas légiférer.

Mme Muguette Jacquaint, allant dans le sens de la rapporteure, a estimé, compte tenu de la rareté des cas cités, qu'il n'était pas nécessaire de légiférer.

En revanche, Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, s'est montrée réservée sur la proposition de ne pas légiférer.

Une meilleure sécurité sanitaire

_ La sixième recommandation aborde le problème des traitements de stimulation ovarienne prescrits par les médecins en dehors des centres d'AMP et propose qu'ils fassent l'objet d'un encadrement plus rigoureux.

_ La septième recommandation traite de la technique de l'ICSI, dont le succès rapide soulève des inquiétudes quant au devenir des enfants nés grâce à cette méthode, et qui n'a pas encore fait l'objet d'une étude scientifique approfondie. Etant donné les progrès rapides de la médecine, une évaluation et une surveillance des nouvelles activités et techniques de l'AMP, et notamment de l'ICSI, devront fait l'objet des missions de la future Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines.

La rapporteure s'est interrogée sur l'utilisation de cette méthode qui implique un traitement lourd pour la femme et présente des dangers potentiels non négligeables. Le CCNE recommandait en 1994 la plus grande vigilance vis-à-vis de cette pratique, qui nécessiterait des recherches approfondies et un suivi des enfants. La future Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines devra avoir un regard particulièrement attentif à ce sujet.

Mme Marie-Thérèse Boisseau a estimé que l'on n'avait pas encore de recul suffisant pour évaluer l'ICSI. Il faudra attendre que les enfants nés par cette technique soient devenus adultes pour mener l'étude approfondie, qu'elle juge nécessaire.

Pour Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, cette méthode, encore peu pratiquée en 1994, n'a pas encore fait l'objet d'une expérimentation complète. Mais, à l'avenir, il faudra veiller à ce qu'on ne puisse engager de nouvelles méthodes d'AMP sans une évaluation approfondie.

Après avoir estimé qu'en tout état de cause, cette recommandation n'était pas vraiment nécessaire, puisque le projet de loi prévoit l'évaluation, le suivi et le contrôle des recherches, Mme Marie-Thérèse Boisseau a voté contre cette proposition.

M. Patrick Delnatte n'a pas pris part au vote.

_ La huitième proposition prévoit de limiter à quatre la prise en charge par la sécurité sociale des tentatives de FIV, étant donné la lourdeur pour les femmes des traitements de l'AMP, et tant que les techniques d'AMP ne seront pas affinées et améliorées, - et aussi afin d'éviter la tentation d'un acharnement dans le recours à ces pratiques -.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, s'est montrée défavorable à l'inscription dans la loi d'une limitation des prises en charge par la sécurité sociale. Elle a rappelé que, dans la pratique, les protocoles des centres prévoient en général le remboursement de quatre tentatives de FIV et qu'au-delà, l'agrément préalable de la sécurité sociale est nécessaire.

Mme Marie-Thérèse Boisseau a voté contre cette recommandation et M. Patrick Delnatte s'est abstenu.

Une plus grande ouverture des possibilités de l'AMP avec tiers donneur

_ La neuvième recommandation propose plusieurs orientations qui devraient permettre de remédier à la pénurie d'ovocytes :

- élargir la qualité de donneuse aux personnes veuves, divorcées ou célibataires ayant déjà procréé ;

- mieux accueillir et informer les donneuses des implications de leur démarche ;

- veiller à ce que le principe de gratuité soit effectivement respecté à l'occasion des frais engagés par le don d'ovocytes ;

- sans remettre en cause l'anonymat des donneuses, veiller à ce que celles-ci donnent un consentement libre et éclairé et qu'elles ne subissent pas de pressions d'ordre économique ;

- revenir sur la politique de congélation systématique des embryons issus du don d'ovocytes, qui diminue considérablement les chances de succès, en révisant le décret du 12 novembre 1996 ;

- mettre en place une politique plus efficace d'information et de sensibilisation sur le don de gamètes, en particulier d'ovocytes.

La rapporteure a évoqué le problème de la pénurie de donneuses d'ovocytes et a souligné sa spécificité, non reconnue par la loi, liée notamment à la lourdeur du traitement nécessaire. En revanche, le don de sperme est une opération facile et les banques de sperme existent déjà depuis longtemps, ce qui entraîne une moindre pénurie.

La rapporteure s'est interrogée sur la pratique de certains centres qui demandent aux couples demandeurs de présenter une donneuse, ce qui ne manque pas d'entraîner des risques de pressions, notamment économiques. Elle a souhaité que le don d'ovocytes soit mieux encadré, plus ouvert - notamment aux personnes veuves, divorcées, célibataires - et effectivement gratuit et anonyme. Un suivi de la donneuse serait souhaitable, afin de prendre en charge médicalement et financièrement les effets secondaires du traitement.

A Mme Marie-Thérèse Boisseau, qui s'interrogeait sur les effets de la congélation des embryons issus du don d'ovocytes, Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a rappelé que les règles de sécurité sanitaire, imposant la mise en quarantaine de ces embryons par congélation, réduisent les chances de grossesse, ces embryons résistant mal à la mise en _uvre de cette technique.

Mme Muguette Jacquaint a souhaité que le principe de gratuité soit effectivement assuré vis-à-vis des donneuses et s'est interrogée sur le respect du principe de l'anonymat ; elle s'est déclarée favorable à l'affirmation du consentement libre et éclairé des donneuses, même si cela lui a semblé relever de v_ux pieux.

_ La dixième recommandation concerne la composition du Haut conseil de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines qui, à l'image de la HFEA britannique, devra faire une large place aux représentants de la société civile et respecter la parité entre hommes et femmes.

La rapporteure a estimé que la composition du Haut conseil proposé par le projet de loi n'est pas satisfaisante. Le modèle de désignation des personnalités du Conseil constitutionnel n'est pas adapté à cette institution. L'Agence britannique (HFEA), composée pour moitié de représentants de la société civile non-médecins, et respectant la parité entre hommes et femmes, pourrait servir d'exemple.

Mme Marie-Thérèse Boisseau a exprimé son accord à la création d'une Agence de la procréation sur le modèle britannique, et suggéré une formule de représentation par tiers : médecins et spécialistes, représentants de l'Etat, représentants de la société civile.

Mme Muguette Jacquaint, en accord avec le souci d'une composition démocratique du Haut conseil, s'est exprimée dans le même sens.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a remarqué que ces questions, aux mains des experts, souffrent trop souvent d'un déficit de débat démocratique. L'Agence britannique est une référence exemplaire. Une composition paritaire - hommes-femmes ; médecins-non-médecins - ou par tiers ne peut que favoriser le débat démocratique et la prise de décision politique.

En réponse à M. Patrick Delnatte s'étonnant que la Délégation n'ait pas pris position sur le problème de la recherche sur l'embryon, la rapporteure a rappelé que la Délégation avait été saisie plus particulièrement des dispositions concernant l'AMP.

La Délégation, tenant compte des observations faites, des réserves exprimées et de la modification acceptée, a adopté l'ensemble des recommandations.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

PAR LA DÉLÉGATION

Une exigence d'information et un meilleur accompagnement

1. L'équipe médicale pluridisciplinaire du centre d'AMP devra offrir aux femmes et aux couples une information complète sur le processus de l'AMP, sur les techniques proposées, sur les réussites et les échecs, mais aussi les avertir des effets secondaires indésirables des traitements, des risques de complications encourus, de la difficulté et des contraintes du parcours engagé. L'information devra être assurée tout au long de la démarche d'AMP.

2. La dimension psychologique dans le recours à l'AMP doit être mieux prise en compte. A cet effet, un entretien psychologique avec un membre qualifié de l'équipe médicale pluridisciplinaire devrait être proposé au couple, préalablement et postérieurement à la mise en _uvre de l'AMP, et pris en charge par la sécurité sociale.

Un souci de transparence

3. Les résultats des centres d'AMP devraient faire l'objet d'une grande transparence, faisant apparaître notamment les caractéristiques des centres, les pathologies traitées, les taux de réussite et d'échec, en particulier la proportion d'enfants nés vivants. Une harmonisation de la publication de ces résultats devrait se faire sous l'égide de la FIVNAT et de la nouvelle Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines.

Un accès moins rigoureux à l'AMP

4. L'exigence de vie commune d'une durée d'au moins deux ans pour les couples non mariés demanderait à être revue, voire supprimée, sachant que les couples demandent de plus en plus tardivement à accéder à l'AMP et que la preuve à apporter de communauté de vie semble difficile à établir, comme à contrôler.

5. Il faudrait revenir sur l'interdiction du transfert d'embryon post-mortem établie par la loi de 1994, ne pas légiférer sur des cas rares et trop spécifiques auxquels aucune règle préalable concernant les délais de deuil ne pourra véritablement répondre. Il appartiendra à l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines, saisie, de décider cas par cas.

Une meilleure sécurité sanitaire

6. Certaines techniques de l'AMP, comme la stimulation de l'ovulation, peuvent avoir des conséquences graves pour la femme, comme pour l'enfant à naître. Contrôlés dans le cadre des centres d'AMP, les traitements de stimulation ovarienne prescrits par les médecins, en dehors de ces centres, devraient faire l'objet d'un encadrement plus rigoureux.

7. Le succès rapide de l'ICSI soulève des inquiétudes quant au devenir des enfants nés grâce à cette méthode, qui n'a pas encore fait l'objet d'une étude scientifique approfondie. Etant donné les progrès rapides de la médecine, une évaluation et une surveillance des nouvelles activités et techniques de l'AMP devra fait l'objet des missions de la future Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines.

8. Etant donné la lourdeur pour les femmes des traitements de l'AMP, et tant que les techniques d'AMP ne seront pas affinées et améliorées, - et aussi afin d'éviter la tentation d'un acharnement dans le recours à ces pratiques -, la prise en charge par la sécurité sociale devrait être limitée à quatre tentatives de FIV.

Une plus grande ouverture des possibilités de l'AMP avec tiers donneur

9. Afin de favoriser le don d'ovocytes, plusieurs orientations devraient être suivies :

- élargir la qualité de donneuse aux personnes veuves, divorcées ou célibataires ayant déjà procréé ;

- mieux accueillir et informer les donneuses des implications de leur démarche ;

- veiller à ce que le principe de gratuité soit effectivement respecté à l'occasion des frais engagés par le don d'ovocytes ;

- sans remettre en cause l'anonymat des donneuses, veiller à ce que celles-ci donnent un consentement libre et éclairé et qu'elles ne subissent pas de pressions d'ordre économique ;

- revenir sur la politique de congélation systématique des embryons issus du don d'ovocytes, qui diminue considérablement les chances de succès, en révisant le décret du 12 novembre 1996 ;

- mettre en place une politique plus efficace d'information et de sensibilisation sur le don de gamètes, en particulier d'ovocytes.

Une composition démocratique du Haut Conseil de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines

10. A l'image de la HFEA britannique, le Haut Conseil de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines devra faire une large place aux représentants de la société civile et respecter la parité entre hommes et femmes.

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