ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 12

mardi 25 avril 2000
(Séance de 18 heures)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition du Professeur Michèle Uzan, chef de service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Jean Verdier de Bondy, auteur d'un rapport sur la prévention et la prise en charge des grossesses des adolescentes.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Michèle Uzan, chef de service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Jean Verdier de Bondy.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir le professeur Michèle Uzan, auteur d'un rapport sur la prévention et la prise en charge des grossesses des adolescentes.

Madame le professeur, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Nous sommes d'autant plus intéressés par vos travaux que la santé des femmes a été choisie cette année comme thème du rapport annuel de notre Délégation.

Mme Michèle Uzan : Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir conviée à la présentation du rapport que j'ai remis en avril 1998 au professeur Joël Ménard, alors directeur général de la santé, sur la prévention et la prise en charge des grossesses des adolescentes.

L'idée était de dresser un bilan de l'activité du service de gynécologie-obstétrique que je dirige à l'Hôpital Jean Verdier en Seine-Saint-Denis et de faire des propositions dont pourrait s'inspirer une politique de santé publique. Ayant pris la direction de ce service en septembre 1994, j'ai donc présenté un bilan d'activité sur quatre ans.

Pour ce faire, j'ai auditionné trente-quatre acteurs de santé : médecins gynécologues-accoucheurs, sages femmes, conseillères conjugales, infirmières - hospitalières et scolaires -, psychologues, assistantes sociales, personnels des centres de planning, experts des urgences médico-judiciaires, institutrices et responsables de maisons maternelles.

Dans le département de Seine-Saint-Denis, où vivent 1,4 million d'habitants, l'on compte environ 22 000 naissances par an. La natalité y est donc très forte (2,1 à 2,2 %), la population étant jeune et immigrée. Cependant, les résultats d'une enquête menée pendant huit jours sur les patientes venant consulter dans mon service ont démontré que plus de 52 % de cette population répondaient au moins à un critère de précarité.

Le taux d'immigrés dans la population est élevé, puisque l'on compte cinquante-six nationalités. La presse nous a d'ailleurs baptisés "la maternité des sans-papiers". 93 % des patientes qui viennent accoucher à l'hôpital Jean Verdier sont domiciliées dans le département.

Cet hôpital qui fait partie de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris est un petit hôpital à visage humain, comptant 360 lits, dont l'activité du pôle "mère-enfant", très forte, représente 60 % de l'activité globale de tout l'hôpital. Ce pôle comprend un service d'assistance médicale à la procréation, un service de gynécologie-obstétrique, un planning que je dirige, un service de pédiatrie, qui va de la néonatalogie jusqu'à l'unité d'adolescents, et, enfin, un service d'urgence médico-judiciaire.

Je suis fière d'être la seule femme en France chef de service d'un centre hospitalier universitaire en gynécologie-obstétrique. Je suis particulièrement sensible aux problèmes de violences et de grossesses d'adolescentes : j'avais déjà créé, à l'hôpital Cochin, en 1984, une unité d'accueil aux femmes victimes de violences sexuelles.

S'agissant de mon rapport sur les grossesses des adolescentes, j'ai centré mon étude sur le problème des grossesses des mineures, c'est-à-dire des adolescentes entre 12 et 18 ans.

Nous savons que plus la grossesse survient à un âge précoce, plus elle court le risque d'être interrompue. A l'âge de 12 ans, plus de 80 % des grossesses évoluent vers une interruption de grossesse, alors qu'à 18 ans, seulement 20 à 25 % de celles-ci évoluent vers une IVG - chiffre comparable à celui de la population adulte. En moyenne, une grossesse adolescente sur deux va donc aboutir à une interruption volontaire de grossesse.

Parmi les 5 millions d'IVG pratiquées par an dans le monde, 10 % sont effectuées chez les adolescentes ; en France, 3 % des IVG, et en Seine-Saint-Denis, 5 % des IVG, sont effectuées sur des mineures.

Pour 12 % de ces adolescentes -mineures-, il s'agit de récidive -répétitions d'IVG- ; pour 4 % d'entre elles, l'IVG est consécutive à des violences sexuelles, et 50 % d'entre elles ne sont déjà plus scolarisées.

Je rappelle que dans mon département, les trois quarts des IVG sont demandées par des Françaises métropolitaines et des DOM TOM, alors qu'un quart des demandes concerne la population immigrée.

Quelle est l'évolution des grossesses chez les adolescentes ? Ce peut être une interruption volontaire de grossesse, une interruption médicale de grossesse s'il y a un contexte de violence ou de grande difficulté psychologique, ou la poursuite de cette grossesse : les grossesses d'adolescentes représentent 2 % de l'ensemble des naissances ; elles concernent un quart de Françaises métropolitaines ou des DOM TOM et trois-quarts d'immigrées.

La sexualité des adolescentes est irrégulière et imprévue : 50 à 60 % des premiers rapports ont lieu sans contraception ; 70 % des adolescentes n'ont aucune contraception dans les trois mois qui précèdent une interruption volontaire de grossesse, et 20 % ont une contraception aléatoire qui va de la pilule oubliée jusqu'au préservatif laissé dans la poche. Les rapports sont souvent plus consentis que souhaités, parfois dans un climat de violence.

Le professeur Garnier, chef de service des urgences médico-judiciaires à l'hôpital Jean Verdier, a relevé que les déclarations de sévices sur mineures ont été multipliées par douze et que les déclarations de violences sexuelles l'ont été par trois, depuis huit ans - de 1990 à 1998. Cela ne veut pas forcément dire qu'il y en a eu douze fois plus ou trois fois plus, mais, peut-être, qu'elles ont été déclarées plus souvent.

L'enseignement de la sexualité est encore trop négligé en milieu scolaire et se heurte souvent à une double réticence : celle des enseignants et celle des parents. La campagne de 1992 sur le préservatif et le sida s'est focalisée sur le préservatif au détriment, me semble-t-il, de la contraception.

La prise en charge des grossesses - et l'accouchement des adolescentes - doit être pluridisciplinaire, la prise en charge médicale étant un épiphénomène.

Cette prise en charge est tout d'abord sociale, les déclarations étant souvent tardives ou les grossesses n'étant pas suivies du tout : plus de 60 % de ces grossesses évoluent dans un déni complet de cet enfant à venir. A ces grossesses sont associées des conduites additives - tabac, alcool et drogue - ; la précarité est importante, 25 % seulement des jeunes futures mamans sont scolarisées et 60 % sont célibataires.

Un suivi psychologique est ensuite nécessaire. Il y en effet trois profils de grossesses. Premièrement, la grossesse culturelle, qui va survenir chez les jeunes gitanes ou chez les noires africaines, chez lesquelles la grossesse est voulue, espérée par un jeune couple et par la famille. Cette grossesse est souvent suivie dès le début et ne pose pratiquement aucun problème.

Deuxièmement, les grossesses "misérables" qui surviennent chez des adolescentes que rien ne gratifie dans leur entourage, ni la scolarité ni le milieu familial. Cette grossesse va leur donner un statut environnemental et social, avec la prime de parent isolé et l'allocation jeune enfant.

Troisièmement, les grossesses violentes qui concernent des adolescentes en colère, contre elles-mêmes et contre la société. Il y a chez ces adolescentes un désir de grossesse pour entrer dans le clan, pour se faire mal. En réalité, il s'agit d'un appel au secours, et cette grossesse est l'équivalent, chez certaines adolescentes, de la tentative de suicide. Elles vont alors se précipiter au centre de planning, car si elles voulaient être enceintes, elles ne souhaitent pas cet enfant.

Enfin, il faut un suivi médical parce que nombre d'accouchements prématurés sont la conséquence d'un suivi tardif. Des progrès ont été réalisés en obstétrique ces trente dernières années sur la prématurité et le suivi précoce de la grossesse ; toute femme déclarant sa grossesse tardivement ou ne la faisant pas suivre du tout risque d'accoucher d'un prématuré. Un certain nombre de retards de croissance intra-utérins sont liés aux conduites additives et à la malnutrition de ces adolescentes. En outre, la maltraitance et les infanticides sont beaucoup plus élevés au cours de la première année de l'enfant.

Nous avons donc une action à mener pour éviter la plupart des grossesses des adolescentes.

Voici maintenant les propositions qui ont été faites à l'issue de ce rapport ; elles émanent non seulement du bilan que j'ai fait, mais également des trente-quatre personnes que j'ai auditionnées.

Première proposition : la délivrance médicalisée de la contraception d'urgence. Cette proposition a été suivie d'effets rapidement, puisque j'ai remis mon rapport en avril 1998 et que la mise sur le marché de cette contraception a eu lieu en janvier 1999 pour le Tétragynon, et en mai 1999 pour le Norlévo ; à la nuance près que le Norlévo est en vente libre en pharmacie, alors que j'en avais proposé une délivrance médicalisée.

Deuxième proposition : une campagne d'information en matière de contraception impliquant de nombreux partenaires de manière à multiplier les passerelles : infirmières scolaires, assistantes sociales, médecins généralistes, pédiatres et enseignants. Il serait également utile que la formation des futurs enseignants comporte une partie concernant la contraception. Il faudrait aussi créer des réseaux d'information et mettre en place un maillage autour des centres de planning où la contraception est délivrée gratuitement aux mineures.

Mes propositions mettaient l'accent sur le problème des infirmières scolaires, sur l'apprentissage de la contraception et sur la contraception d'urgence. Comme vous le savez, Mme Ségolène Royal, alors ministre déléguée à l'enseignement scolaire, a mis en route un programme d'éducation à la sexualité et a permis aux infirmières des collèges de délivrer, de façon non répétitive et dans la grande urgence, la contraception dite du lendemain.

Troisième proposition : organisation d'un programme à la vie et à la sexualité dans les collèges. Il s'agit d'un programme sur lequel j'ai travaillé avec Mme Ségolène Royal, fondé essentiellement sur des attitudes préventives, telles que l'hygiène corporelle et bucco-dentaire, les vaccinations, le lavage des mains, la prévention des accidents ménagers et des anomalies du comportement alimentaire - boulimie, anorexie -, les conduites additives - tabac, alcool, drogue -, les maladies sexuellement transmissibles, dont le sida, et les grossesses non souhaitées. Ce programme devait voir le jour à la rentrée prochaine.

Quatrième proposition : les urgences de gynécologie obstétrique et les services d'accueil des urgences doivent être habilités (et approvisionnés) à délivrer la contraception d'urgence de façon anonyme et gratuite aux mineures et doivent fournir une première information sur la contraception et les maladies sexuellement transmissibles.

En effet, la contraception est délivrée par les centres de planning mais ceux-ci ne sont ouverts que du lundi au vendredi de 9 heures à 17 heures ; or, en dehors de ces jours et de ces horaires, la contraception d'urgence peut être nécessaire. Cette proposition est en cours de réalisation dans les services de l'AP-HP. Tous les chefs de service vont donc recevoir un budget leur permettant de se procurer une contraception d'urgence. Par ailleurs, nous formons tous les jeunes médecins à délivrer, pendant leurs gardes, au moment où les centres de planning sont fermés, à la fois la contraception d'urgence et une information sur la contraception et les maladies sexuellement transmissibles.

Cinquième proposition : dans les cas où l'accord parental est impossible à obtenir - ce qui est souvent le cas en Seine-Saint-Denis -, que les parents soient à l'étranger, décédés ou déchus de leurs droits, les juges des enfants doivent donner l'autorisation de réaliser les IVG. Pour en avoir fait souvent l'expérience, les juges des enfants ont beaucoup de réticences - et souvent plus les femmes que les hommes - à se mettre à la place des parents et à donner cette autorisation.

J'ai également évoqué - pour certains cas précis et à partir de 16 ans - la notion de majorité sanitaire. L'idée est venue des médecins des urgences médico-judiciaires et des pédiatres qui travaillent dans mon environnement et concernerait les grandes adolescentes de plus de 16 ans. Cette majorité sanitaire pourrait être accordée, par exemple, quand le lien parental est complètement rompu, que les parents ne sont pas joignables ou que l'adolescente a déjà un enfant ou a déjà subi deux autres IVG.

En revanche, en deçà de 16 ans, l'autorisation parentale nous a toujours paru souhaitable pour renouer le lien parental et impliquer les parents dans l'acte éducatif et l'accompagnement des adolescentes. C'est également dans cette catégorie d'adolescentes - les moins de 16 ans - que nous avons relevé le plus de violences intrafamiliales et d'abus sexuels. Lorsqu'un père téléphone pour prendre un rendez-vous pour que sa fille puisse subir une IVG, en donnant la date des dernières règles, il s'agit d'un signe de violence intrafamiliale et il convient alors de rencontrer ce père. En outre, des signalements au juge des enfants sont parfois nécessaires. Nous sommes donc attachés à la conservation de cette autorisation parentale, au moins pour les "petites mineures".

Lorsque la grossesse est le résultat d'un viol, l'interruption médicale de grossesse, pour des raisons évidentes de détresse psychologique, est souvent retenue. Seul un psychiatre est habilité à donner cette autorisation. Or il nous semble qu'un assouplissement des règles d'obtention serait nécessaire. Le médecin des urgences médico-judiciaires - non psychiatre - qui a effectué la constatation du viol pourrait lui-même être habilité à donner l'autorisation de l'interruption médicale de grossesse.

Dans ces cas particulièrement douloureux, l'exception législative circonstanciée et aménagée au principe de l'autorité parentale pourrait permettre aux mineures la confidentialité de cet acte thérapeutique, de la même façon que cette confidentialité peut être obtenue quand des mineures sont séropositives.

Sixième proposition : lorsque la grossesse est poursuivie, la plus grande attention doit être portée à ces futures jeunes mamans pour les aider à poursuivre ou reprendre un projet professionnel, grâce à un quota de places d'accueil dans les maisons maternelles. Cette proposition a pour objet de rompre l'isolement des adolescentes enceintes en évitant la déscolarisation pendant la grossesse et après l'accouchement, et en facilitant le retour au collège. Il s'agit de définir une politique de priorité dans les crèches.

Nous avons constaté des abus de certains enseignants qui relèguent ces élèves au fond de la classe comme étant le mauvais exemple, alors que certaines jeunes filles ont souhaité cette grossesse, ou en tout cas ont décidé de la poursuivre.

Septième proposition : la mise en place d'un registre national des violences, des sévices sexuels et des grossesses survenant chez les mineures. Il s'agit d'un problème important pour la santé des mères et des enfants. En outre il serait intéressant de créer une commission ad hoc qui analyserait l'impact des mesures que je viens de vous rappeler.

En conclusion, sachez que ce rapport m'a valu 12 000 lettres d'injures et des menaces de mort de la part d'individus qui refusent de voir la réalité. L'AP-HP a porté plainte pour moi.

Quelles sont les actions de prévention qui sont à mener d'urgence ? La première est sans aucun doute la contraception d'urgence - que nous avons déjà acquise -, la seconde étant, s'agissant des adolescentes qui ont souhaité leur grossesse ou qui la poursuivent, de lutter contre les risques de la maltraitance du nouveau-né. Enfin, il convient d'éviter au maximum les IVG chez les adolescentes, par une information scolaire sur l'éducation sexuelle et sur la contraception.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Plusieurs éléments de votre rapport me surprennent, en particulier la montée de la violence. Il est possible que les dénonciations soient plus nombreuses qu'il y a dix ans, mais lorsque vous dites que le nombre de viols a été multiplié par trois et le nombre de sévices par douze, ces chiffres me paraissent effrayants.

Le rapport annuel de la Délégation aux droits des femmes portera cette année sur la santé des femmes, et notamment sur l'IVG. Nous souhaitons élaborer des propositions afin de modifier la législation relative à l'IVG sur quatre points : les étrangères résidant depuis moins de trois mois en France, les mineures, la dépénalisation et les délais.

Nous allons nous concentrer essentiellement sur le problème des mineures, mais nous serions aussi intéressés à connaître votre point de vue concernant les femmes étrangères.

S'agissant des mineures, pourriez-vous nous parler des deux médicaments relatifs à la contraception, le Tétragynon et le Norlévo, car j'ai l'impression qu'une campagne de dénigrement est en train de se mettre en place ; j'ai en effet reçu plusieurs mails m'indiquant que la prise de Norlévo comportait des risques.

Où en est-on de la mise en place de la contraception d'urgence dans les collèges et les lycées depuis l'annonce qui en a été faite par Mme Ségolène Royal ?

Pouvez-vous déjà mesurer les effets de la campagne pour la contraception qui a commencé en janvier dernier ?

En ce qui concerne le programme à la vie et à la sexualité que vous préconisez de mettre en place dans les collèges et les lycées, j'ai le sentiment que la sexualité est prise sous l'angle non pas du plaisir mais des risques ; les jeunes sont ainsi éduqués pour affronter les risques de leur sexualité. Pourquoi ce choix ?

S'agissant de l'autorisation parentale pour les mineures, vous semblez très attachée à cette autorisation, en tous cas pour les moins de 16 ans, même lorsque les grossesses résultent d'un inceste ; quel est le rôle du père dans cette situation ? Je me demande s'il s'agit vraiment d'une façon de mettre l'adulte en cause devant ses responsabilités.

Autre point sensible : on connaît tous les réticences des juges des enfants à accorder l'autorisation de pratiquer une IVG ; est-ce réellement la meilleure autorité de substitution ?

Enfin, je ne suis pas choquée par l'idée d'une majorité sanitaire pour les plus de 16 ans, puisque ces jeunes filles sont déjà autorisées à accomplir un certain nombre d'actes sans autorisation parentale - contraception, accouchement sous X, etc.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Vous nous avez dit que 50 % des adolescentes enceintes pratiquaient une IVG ; que deviennent les autres, celles qui poursuivent leur grossesse ? Vous avez évoqué également le sujet de la maltraitance et de l'infanticide chez les adolescentes qui accouchent, avez-vous un pourcentage à nous citer ?

S'agissant du Norlévo, pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous étiez favorable à sa délivrance médicalisée ?

Le programme à la vie et à la sexualité prévu pour être présenté au collège doit-il vraiment l'être à ce niveau-là ? Personnellement, j'ai tendance à penser que c'est un peu tard, et que l'on devrait en parler avant.

Vous avez par ailleurs insisté sur le rôle de l'Éducation nationale ; personnellement, je suis très réticente à ce sujet. Il me semble que l'éducation sexuelle, l'éducation à la vie, n'est ni du ressort de l'Éducation nationale, ni du ressort des parents, mais de celui d'équipes spécialisées.

Enfin, j'ai bien noté que vous étiez catégorique s'agissant de l'autorisation parentale pour les mineures de moins de 16 ans. Or j'ai eu connaissance d'un certain nombre de cas pour lesquels il était hors de question de demander cet accord, car cela aurait déclenché un drame.

Mme Raymonde Le Texier : Vous nous avez dit que 52 % des adolescentes enceintes répondaient à des critères de précarité.

Mme Michèle Uzan : Non, je ne parlais pas uniquement des mineures. Nous avons mené une enquête - pendant huit jours - sur toutes les personnes qui venaient consulter dans mon service ; or une sur deux répondait au moins à un critère de précarité.

Mme Raymonde Le Texier : Ma question n'a donc plus d'objet ; en fait, je me demandais si seules les jeunes filles issues de milieux défavorisés se retrouvaient face à une grossesse non désirée.

Mme Michèle Uzan : Absolument pas, il y en a autant dans le 16e arrondissement de Paris et à Passy !

M. Patrick Delnatte : Les statistiques auxquelles vous faites référence sont-elles nationales ou propres à votre établissement ?

Mme Michèle Uzan : Elles sont propres à mon établissement et issues du bilan d'activité réalisé sur quatre ans, de 1994 à 1998.

M. Patrick Delnatte : Il s'agit d'un département "typé", si je puis m'exprimer ainsi, les problèmes sociaux y étant très importants. Il serait donc intéressant de connaître les statistiques nationales afin d'avoir une approche qui colle mieux à la réalité française.

Mme Michèle Uzan : C'est l'objet de ma septième proposition.

M. Patrick Delnatte : Quelles seraient les conséquences cliniques d'une augmentation des délais de l'IVG de deux semaines ?

S'agissant de l'autorisation parentale, je suis frappé par les propos que tiennent les responsables de planning ou d'associations qui désirent, tout comme vous, maintenir cette autorisation et ne pas éliminer les parents. Avez-vous des formules de médiation à nous proposer lorsque cette autorisation ne peut absolument pas être obtenue ?

Mme Michèle Uzan : S'agissant de la question des femmes étrangères, je vous ai dit, madame la présidente, qu'elles n'avaient recours à l'IVG que pour un quart d'entre elles, et qu'en général elles venaient nous consulter tout à fait dans les temps. Je vous parle là des adultes comme des adolescentes.

Le nombre d'IVG est très important en France, et j'éprouve une grande difficulté à engager, et à maintenir actifs dans mon service, des médecins pratiquant les IVG. En effet, on ne peut pas pratiquer des IVG à vie ; il est indispensable de diversifier l'activité des médecins. Je suis donc très attentive au fait que, dans mon service, les médecins ne fassent pas seulement des IVG, mais qu'ils aient d'autres activités - de consultation, de contraception, de suivi de grossesse.

Il ne me paraît pas souhaitable d'augmenter le nombre d'IVG en donnant la possibilité aux étrangères de passage de la pratiquer en France.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce n'est pas exactement ce que j'ai voulu dire. Lorsqu'on discute avec les mouvements associatifs, deux types de catégories d'étrangères qui ont moins de trois mois de résidence apparaissent, sans oublier le problème, l'an dernier, des femmes kosovares.

Mme Michèle Uzan : Pour les femmes kosovares, il s'agissait d'une situation d'exception.

En France, les centres d'IVG sont pleins. Et il me paraît difficile - même si c'est toujours possible - d'obtenir plus de personnels et de crédits pour pratiquer les IVG, d'autant qu'il ne s'agit pas de la mission première d'un service de gynécologie-obstétrique. Il y a un seuil à ne pas dépasser dans un service qui forme les étudiants et qui a une activité de gynécologie-obstétrique.

Ce ne seront donc pas les services hospitaliers qui accepteront d'en faire plus ; j'en parle librement puisque mon service est le troisième de l'AP-HP quant au nombre d'IVG pratiquées - entre 800 et 900 par an -, ce qui est très difficile pour les médecins qui s'en occupent. C'est la raison pour laquelle je souhaite qu'ils fassent également de l'éducation, de la prévention, du dépistage des maladies sexuellement transmissibles et des vaccinations, c'est-à-dire qu'ils aient une activité globale. Et je crains que l'afflux d'étrangères - et donc un accroissement d'IVG - ne nous empêche de bien pratiquer cette activité globale.

Cela m'amène à la question de l'augmentation éventuelle du délai de deux semaines. Selon de nombreuses études, les femmes désirant pratiquer une IVG viennent nous consulter très tôt, avant sept semaines d'aménorrhée, et bénéficient en général d'une IVG médicamenteuse.

Si l'on augmente les délais de l'IVG, je pense, malheureusement, que nous aurons toujours les mêmes retardataires qui se présenteront à quinze, seize, voire dix-huit semaines. Si ce délai est légalement augmenté, je respecterai la loi, mais il convient de savoir que, techniquement, l'acte est beaucoup plus difficile. Nous retrouverons alors les complications que j'ai connues lorsque j'étais jeune interne des hôpitaux, c'est-à-dire les plaies du col, les difficultés pour les curetages, des accouchements prématurés pour les grossesses à venir et davantage de complications maternelles, non seulement infectieuses mais également hémorragiques, ainsi que des utérus cicatriciels.

En effet, le volume utérin augmentant avec la grossesse, nous allons devoir changer de technique, faire une dilatation instrumentale du col importante, ce qui conduit à un risque non négligeable de complications pour les grossesses à venir.

Dans sa grande sagesse, le législateur de 1975 a bien défini le terme de douze semaines d'aménorrhée, donc dix semaines de grossesse ; il y a de ce fait assez peu de complications par la suite. Sachez que les deux-tiers des patientes qui viennent consulter pour une procréation médicalement assistée, en raison d'une stérilité secondaire, ont une IVG dans leurs antécédents.

S'agissant de la contraception d'urgence, le premier médicament, le Tétragynon, dont la délivrance est médicalisée, est un concentré de pilule _stroprogestative - une association d'_strogène et de progestatif. Avant que le Tétragynon n'ait obtenu l'autorisation de mise sur le marché, on avait néanmoins l'habitude de le prescrire ; il s'agissait en fait de l'équivalent de quatre comprimés de Stédiril : on coupait quatre comprimés d'une plaquette, deux étaient pris dans les 72 heures après le rapport et les deux autres douze heures après. Il s'agissait donc d'un médicament dont on avait la pratique mais pas l'autorisation de mise sur le marché.

Ce médicament a les mêmes contre-indications que les autres _stroprogestatifs, notamment l'hypertension sévère, les grandes migraines et les antécédents vasculaires importants. Mais il est exceptionnel qu'une mineure ait déjà fait un accident vasculaire cérébral, comme une hémiplégie, ou qu'elle ait une migraine grave ou une hypertension sévère. Néanmoins, la prudence est de mise.

Le second médicament est le Norlévo qui peut-être acheté sans ordonnance. Il s'agit d'un progestatif pur qui n'a donc pas de contre-indications, s'il est pris, naturellement, une fois dans le cycle ; c'est la raison pour laquelle il a été mis sur le marché en vente libre.

L'intérêt de cette contraception d'urgence est que la mineure - ou tout simplement la femme - puisse se procurer le médicament à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Son prix est relativement élevé, 55 francs, et non remboursé par la Sécurité sociale. L'inconvénient de sa distribution non médicalisée est que le pharmacien n'aura pas forcément le temps de demander si le rapport sexuel a eu lieu moins de 72 heures auparavant, et d'expliquer que, s'il y a eu un rapport comportant risque de grossesse, il y a également eu un rapport comportant un risque de maladies sexuellement transmissibles. Il ne lui parlera donc ni du SIDA, ni du préservatif, ni du fait que le Norlévo, tout comme le Tétragynon, n'est pas contraceptif à 100 % mais qu'il évite trois grossesses sur quatre.

Ce sont les raisons pour lesquelles j'avais proposé une délivrance médicalisée du Norlévo ; le médecin qui l'aurait délivré aurait pris, lui, le temps de faire une véritable consultation et d'expliquer les avantages et les inconvénients de ce médicament. Cette consultation aurait donc été un moment privilégié pour demander à la jeune femme de revenir, après ses règles, pour parler de contraception.

Par ailleurs, l'adolescente qui a déjà pris ce médicament se souviendra qu'il s'agit du Norlévo, qu'il coûte 55 francs - le prix de deux paquets de cigarettes -, et arrivera aisément à se le procurer, préférant prendre une fois du Norlévo si elle a un rapport imprévu que de s'astreindre à prendre la pilule de façon régulière alors qu'elle n'a que très peu, ou pas de rapports.

La possibilité de se procurer cette contraception d'urgence dans les collèges et les lycées a pour objectif de venir en aide aux adolescentes en difficulté. Vous allez me dire qu'elles peuvent se la procurer facilement en pharmacie, pour seulement 55 francs.

Lorsque je reçois une jeune fille en consultation pour une contraception, il est de mon devoir de lui expliquer également que l'on peut oublier sa pilule et que la contraception d'urgence existe. Or j'imagine mal une adolescente habitant un petit village, où tout le monde se connaît, entrer dans la pharmacie pour acheter du Norlévo. Je suis donc favorable à ce que ce médicament soit délivré par une infirmière qui pourra être une écoute privilégiée.

L'idée est donc que l'infirmière accompagne l'adolescente dans un centre de planning - où elle pourra d'ailleurs se faire délivrer le Norlévo dans l'anonymat - et, le cas échéant, tente de joindre les parents, car il n'est pas anodin qu'une adolescente ait recours à une contraception d'urgence.

En derniers recours, s'il est impossible de renouer momentanément ou définitivement un dialogue avec les parents, l'infirmière sera habilitée à délivrer, sous responsabilité médicale, cette contraception d'urgence. L'adolescente prendra le médicament devant elle et le reprendra douze heures après sous sa responsabilité. Bien entendu, il doit s'agir d'une délivrance exceptionnelle qui ne doit pas se reproduire tous les mois.

En ce qui concerne l'autorisation parentale, je souhaiterais vous lire un courrier datant du 22 mars dernier. Comme je vous l'ai dit, je suis soucieuse d'appliquer les lois de la République, et j'ai demandé que l'autorisation parentale soit signée par un membre de la famille en présence soit d'une surveillante soit d'un médecin du centre de planning. Bien m'en a pris car la direction de mon hôpital a reçu le courrier suivant :

"Monsieur le directeur - cette mère a donc écrit non pas au chef de service mais au responsable administratif - j'apprends avec stupéfaction que ma fille, âgée de 16 ans, a subi une IVG dans votre établissement mardi 14 mars 2000 ; or à aucun moment je n'ai été mise au courant de cette situation et j'aimerais en connaître la raison. Il me semble que légalement vous n'auriez pas dû pratiquer cette intervention sur ma fille mineure sans mon consentement, et j'aimerais avoir des explications. Quelqu'un a-t-il signé une autorisation en mon nom et place ? Auquel cas j'aimerais avoir une photocopie de cette autorisation. Ou bien est-ce que la légalité n'a pas été respectée ? De plus, on me demande de m'acquitter des paiements des différents actes qui ont été nécessaires à cette intervention, et cela me semble inacceptable étant donné le contexte. Dans l'attente d'une réponse rapide de votre part, je vous prie d'agréer, Monsieur le directeur, l'expression de mes salutations distinguées."

Heureusement, dans le dossier de cette jeune fille, il y avait une autorisation signée. Une personne s'était présentée avec la carte d'identité de la mère - un adulte référent - et avait signé l'autorisation. Voici la réponse du directeur.

"Madame, votre lettre du 22 mars concernant votre fille a attiré toute notre attention. Après enquête auprès du service, je suis en mesure de vous informer des éléments suivants : la légalité en ce qui concerne l'autorisation de pratiquer une IVG à une mineure a bien été appliquée ; ce document a bien été signé. On demande une carte d'identité et non pas un livret de famille. Dès lors que la mineure et la signataire de l'autorisation se reconnaissent comme étant mère et fille, pièces d'identité à l'appui avec noms correspondants, nous ne sommes pas en mesure de faire davantage d'investigations. Croyez bien que je suis très sensible à la situation difficile que vous traversez, vous et votre fille, et soyez sûr que je le regrette. Je vous prie de croire..."

Cette autorisation parentale n'est donc pas toujours une chose évidente. Je sais qu'un certain nombre de mes collègues donnent le papier à la mineure qui fait le tour du pâté de maison et qui la signe, mais ils prennent des risques sérieux. Certaines IVG sont pratiquées sous anesthésie générale et un anesthésiste peut refuser d'endormir une mineure. Il est en effet obligatoire d'avoir l'autorisation des parents pour endormir une mineure que ce soit pour un accouchement ou pour une appendicectomie - c'est la raison pour laquelle les enseignants vous font signer une autorisation en début d'année.

Donc, même si les IVG sont pratiquées en hôpital de jour, ces adolescentes sont accompagnées par un adulte qui doit signer l'autorisation.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous allez donc plus loin que la loi en demandant que la mineure soit accompagnée par un parent.

Mme Michèle Uzan : Pas pour pratiquer l'IVG, mais pour signer l'autorisation. Et j'aurais été bien ennuyée pour répondre à la lettre de cette mère si un adulte n'avait pas accompagné cette jeune fille.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela fait malheureusement partie du détournement de la loi, et nous pouvons, les uns et les autres, être confrontés au problème de l'autorisation parentale.

Mme Michèle Uzan : Il faut prendre le temps de discuter avec les adolescentes, et c'est le rôle des conseillères sociales. Cette année, toutes les mineures ont pu venir avec l'un de leurs parents pour signer l'autorisation.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je connais un certain nombre de cas pour lesquels l'autorisation parentale n'a pas été demandée, car elle ne pouvait pas être obtenue pour des raisons culturelles ; il y a donc eu détournement de la loi. Nous connaissons tous des exemples de ce type.

Par ailleurs, je suis surprise que vous mainteniez l'obligation de l'autorisation parentale en cas d'inceste.

Mme Michèle Uzan : Dans les cas d'inceste, il y a encore la mère. J'ai tout vu : des familles qui se sont reconstituées, des mères qui ont pu parler à leur fille. Je ne pense donc pas qu'il faille jeter aux orties l'autorisation parentale. Tout le monde doit faire son travail, y compris les juges des enfants ; or nous avons les plus grandes difficultés avec le tribunal de Bobigny.

Ce qui me gênerait beaucoup, c'est qu'une adolescente de 14 ans puisse venir dans mon service, seule, subir une IVG.

Si la situation familiale est particulièrement difficile, on pourrait éventuellement assouplir la règle en parlant "d'adulte référent" - une s_ur, une tante, un parent de la jeune fille.

Il est vrai que certaines adolescentes n'ont pas pu faire la démarche jusqu'au centre de planning, ont subi leur grossesse et ont accouché sous X ; c'est dans ces cas-là que les maltraitrances et les infanticides se produisent. Or si elles avaient pu se rendre au planning avec un adulte référent, elles n'auraient certainement pas poursuivi leur grossesse.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les parents recevront la facture de l'intervention.

Mme Michèle Uzan : Effectivement, le problème de la facture ne sera pas évité ; les parents auront à payer le ticket modérateur. Dans les cas où l'adolescente n'est pas accompagnée par un parent, on pourrait se poser la question de savoir si l'adulte référent pourrait prendre en charge le ticket modérateur. A moins que l'hôpital n'ait un crédit spécial pour prendre en charge ces IVG.

En ce qui concerne la délivrance de la contraception d'urgence dans les collèges et les lycées, les infirmières ont été prises de court ; elles auraient aimé être informées avant que l'annonce n'en soit faite publiquement. Elles vont avoir besoin de soutien. J'avais proposé à Mme Ségolène Royal que les infirmières des collèges aillent passer une semaine dans les centres de planning pour faire connaissance des personnes qui y travaillent, voir comment les choses se passent, comment la contraception y est prescrite.

Certaines d'entre elles ont applaudi cette décision des deux mains, car elles étaient satisfaites que l'on reconnaisse la difficulté de leur travail ; elles ont perçu cette décision comme une nouvelle mission éducative. Des infirmières et assistantes sociales de l'hôpital se sont rendues dans les collèges de Seine-Saint-Denis pour organiser des "forums contraception".

Cependant, il est vrai qu'elles procèdent à une délivrance médicalisée alors qu'elles n'en ont pas le droit ; elles le font sous la responsabilité des médecins des collèges, mais je comprends parfaitement leur anxiété.

Cette contraception d'urgence a un certain coût. Les hôpitaux de l'Assistance Publique vont recevoir des crédits, en revanche, je crois que les collèges n'auront pas de budget. Certains collèges ont reçu en tout et pour tout deux plaquettes de Norlévo à titre d'échantillons, ce qui me semble très insuffisant. Il serait donc intéressant que les collèges et les lycées fassent une évaluation de leurs besoins afin de prévoir un budget spécifique.

En matière d'éducation dans les collèges, madame la présidente, vous trouvez que l'accent est davantage mis sur les risques que sur le plaisir. Il est vrai que depuis que le sida a fait son apparition, nous parlons plus en termes de risques que de plaisir.

Nous avons pensé que les enseignants pouvaient jouer le rôle d'intermédiaires entre les élèves et un référent qui viendrait dans les collèges parler de la contraception, de la vie et de la sexualité. Je pense même que les jeunes enseignants seront capables d'enseigner cela s'ils sont formés ; ils pourront alors prendre le relais des référents.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous avez même parlé d'emplois jeunes.

Mme Michèle Uzan : Tout à fait, mais des jeunes formés qui aillent dans les centres de planning. Ce qui est important, c'est que le planning et l'hôpital soient ouverts à la ville et au collège.

Pourquoi le collège ? parce que de nombreux jeunes quittent l'école assez tôt. Nous avions même pensé assurer cette éducation, comme en Hollande, dès le CME 2 ; mais tout le monde n'est pas prêt ; ce sera peut-être une seconde étape.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous indiquez dans votre rapport que la Hollande a le taux de grossesse chez les adolescentes le plus bas du monde.

Mme Michèle Uzan : Les familles hollandaises parlent en effet beaucoup de contraception, ce que notre culture judéo-chrétienne ne nous permet pas de faire en France.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de la présence d'un adulte - une s_ur, une tante ou un référent. On voit se développer un certain nombre de droits de l'enfant, mais j'ai le sentiment que l'on est tiraillé entre l'affirmation de la prise de responsabilité et l'autorité parentale.

Mme Michèle Uzan : C'est après avoir rencontré un certain nombre de grandes adolescentes qui étaient déjà entrées dans la vie adulte depuis longtemps et qui avaient complètement coupé les ponts avec les parents, que l'on s'est posé la question de la majorité sanitaire. Il est difficile pour une adolescente complètement autonome - qui en est peut-être à sa troisième IVG - de demander une autorisation parentale. En revanche, à 13 ou 14 ans, cela me paraît beaucoup plus difficile de ne pas le faire.

Venons-en aux adolescentes qui accouchent. Vous m'avez demandé de vous donner des statistiques concernant le nombre d'infanticides ; nous n'en avons pas, car il n'y a pas d'Observatoire pour comptabiliser les infanticides ou les violences sur mineurs. L'hôpital Jean Verdier reçoit, c'est évident, beaucoup plus d'enfants victimes de violence. Dans le rapport de l'INSERM "baromètre santé jeune", l'on peut trouver des chiffres d'infanticides qui, au cours de la première année, seraient multipliés par trois ou cinq, mais sans que soit définie la référence.

Il me paraîtrait intéressant de pouvoir mettre en place un Observatoire qui pourrait signaler ce type d'événements et tenir des statistiques. Les violences sur mineurs - infanticides inclus - ne sont pas déclarées. Quelquefois, il peut s'agir de morts subites qui interviennent après un certain nombre de violences et de maltraitances.

Nous avons donc une mission lorsque nous nous occupons d'une adolescente enceinte. Les neuf mois sont tout juste nécessaires pour maturer une grossesse : on ne devient pas mère parce qu'on est enceinte. On sait qu'il y a beaucoup de problèmes dans le rapport mère-enfant quand l'accouchement est prématuré, justement parce qu'il n'y a pas eu ces neuf mois pour donner la vie.

Pour certaines mères, cela peut se faire très vite, pour d'autres les neuf mois sont parfois insuffisants. Dans certaines populations africaines, par exemple, les mères donnent un nom quand elles sont prêtes à accueillir l'enfant ; et souvent elles n'ont pas choisi le prénom quand l'état civil passe faire les déclarations de naissance.

Il faut donc un certain temps pour mûrir une grossesse, et cela est frappant dans le cas des dénis de grossesse. Combien d'adolescentes sont venues me voir me disant qu'elles avaient mal au ventre, qu'elles saignaient et qu'elles devaient donc avoir leurs règles, alors qu'elles étaient prêtes à accoucher ! Je parle des adolescentes, mais il en va de même pour des femmes qui ont déjà eu des enfants !

C'est dans ces cas-là que la possibilité d'infanticide, de rejet de l'enfant est le plus important ; il n'y a eu ni maturation de la grossesse ni création d'un lien relationnel entre la mère et l'enfant. Si par chance nous les rencontrons à cinq ou six mois de grossesse, il nous appartient de restructurer ces adolescentes pour essayer de les remettre dans la réalité de cet enfant qui va naître, leur trouver un logement, une place dans une maison maternelle, etc.

Ce qui est étonnant, c'est que les jeunes filles qui ont gardé leur enfant ont un taux d'allaitement équivalent aux autres mamans - 70 % en Seine-Saint-Denis. Elles doivent donc faire l'objet de toute notre attention, car elles ont été très courageuses de poursuivre leur grossesse, quelquefois contre leurs parents ou l'enseignant qui les a mises à la porte de la classe. Il nous appartient même de prévoir l'accouchement sous X ou parfois l'accouchement au secret.

Il convient de noter par ailleurs que le déni de grossesse existe également chez les parents ; on ne veut pas voir ce qui est impossible à imaginer.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Vous avez l'expérience d'un centre mixte : accouchements et avortements...

Mme Michèle Uzan : Mais toutes les maternités de l'assistance publique ont un centre de planning !

Mme Marie-Thérèse Boisseau : S'agit-il selon vous de la meilleure formule, ou serait-il préférable de créer des centres d'orthogénie séparés ?

Vous avez clairement expliqué pourquoi il est préférable de ne pas dépasser les douze semaines d'aménorrhée pour pratiquer une IVG ; mais sur 220.000 avortements, 6.000 femmes dépassent les douze semaines : que faut-il faire pour ces femmes ?

Mme Michèle Uzan : Je ne suis pas favorable à la mise en place de centres d'orthogénie séparés, car même si la pratique des IVG n'est pas l'activité la plus noble et la plus gratifiante d'un service de gynécologie-obstétrique, elle fait partie des missions du service ; et le planning doit faire partie intégrante du service.

Une jeune femme qui vient consulter au planning peut le faire pour différentes raisons : il peut s'agir d'une fausse couche, d'une grossesse extra-utérine ou d'une demande d'IVG. Les médecins qui l'accueillent doivent donc avoir une compétence de gynécologue-accoucheur - ils devront en outre lui parler de maladies sexuellement transmissibles, de contraception, et lui donner des conseils. Or les personnes qui travaillent dans des centres médicalisés de planning isolés sont soit médecins généralistes, soit gynécologues, mais sont assez peu accoucheurs.

Une femme qui vient demander une IVG vient souvent sur un coup de tête, elle est angoissée parce qu'elle prenait trois comprimés de perlimpinpin et qu'elle a peur pour l'enfant. Elle préfère subir une IVG que de se poser trop de questions. Elle doit donc pouvoir rencontrer un médecin accoucheur qui la rassurera sur les effets du médicament en question ; mais il ne doit pas s'agir d'une consultation de dissuasion. La prise en charge de la patiente par le médecin doit être globale.

Par ailleurs, de la même façon qu'elle a connu le chemin du planning, elle va peut-être connaître celui de la contraception ou celui de la maternité où elle mettra au monde ses autres enfants et, plus tard, celui où elle sera suivie pour son fibrome ou sa ménopause. Ces services doivent donc fonctionner comme des services de proximité et répondre à la médecine de la femme en général, et pas simplement à l'IVG.

En outre, et je vous l'ai dit, il est très difficile de ne faire que des IVG et l'on aurait énormément de difficulté à recruter des médecins qui ne fassent que cela.

Pour répondre à votre question concernant le délai de douze semaines, je ferai un bref retour en arrière. J'étais interne des hôpitaux avant la loi Veil, et j'ai vu énormément de femmes mourir à la suite d'avortements pratiqués après douze semaines de grossesse. Or cela a complètement disparu du fait de la médicalisation de l'IVG.

Je ne suis pas une femme politique, je ne peux donc pas répondre à votre question "que faites-vous des femmes qui se présentent à plus de douze semaines". Je peux simplement vous donner des arguments médicaux. Si l'on augmente le délai de douze à quatorze semaines, des femmes se présenteront à seize, dix-huit ou vingt semaines ; or aujourd'hui, l'on s'occupe de nouveau-nés à partir de vingt-quatre semaines d'aménorrhée : où est la limite entre l'IVG tardive et l'accueil en réanimation néonatale ?

Enfin, je crains que des complications ne resurgissent, liées à un problème de volume f_tal qui est plus important à quatorze semaines qu'à douze.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous parlez, dans votre rapport, des grossesses résultant de viols, et vous préconisez l'interruption médicale de grossesse (IMG).

Mme Michèle Uzan : Il s'agit de tout à fait autre chose, et la loi l'autorise.

Par ailleurs, la technique n'est pas du tout la même. L'IMG se fait par les voies naturelles et la patiente est hospitalisée une semaine. Il s'agit d'un mini accouchement qui est très difficile à vivre.

Et je ne parlerai pas des hystérotomies, c'est-à-dire des avortements par mini césarienne qui sont pratiqués jusqu'à vingt-quatre semaines outre-Manche, et qui laissent des utérus définitivement cicatriciels ; un accouchement par les voies naturelles est ensuite dangereux.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les législations de plusieurs autres pays européens vont plus loin que celle de la France et portent le délai à quatorze semaines d'aménorrhée. Connaissez-vous les difficultés que rencontrent vos confrères et les femmes qui subissent une IVG dans ces différents pays ? Je crois que le professeur Nisand est en train d'élaborer un rapport sur ces problèmes.

Vous écrivez également dans votre rapport que 45 % des IVG pratiquées chez les adolescentes sont des IVG médicamenteuses, alors que le chiffre donné par le rapport Nisand - qui ne parle pas uniquement des adolescentes - est beaucoup plus faible. Est-ce un choix de votre service ?

Mme Michèle Uzan : Pour bénéficier d'une IVG médicamenteuse, la patiente doit venir consulter relativement tôt. Et je ne vous cache pas que lorsqu'elle vient nous consulter dans les limites de sept semaines d'aménorrhée, au lieu de programmer la seconde consultation huit jours plus tard, on met en route la procédure d'urgence et l'on compacte les deux consultations afin de procéder à une IVG médicamenteuse.

Cette technique d'IVG est certes plus douloureuse mais beaucoup plus anodine pour l'utérus ; l'œuf est plus petit, plus facilement expulsé, et il n'y a ni les manœuvres endo-utérines qui sont les grands vecteurs de dilatation du col - donc risque d'accouchement prématuré par la suite -, ni les aspirations, vecteurs d'infection. Il s'agit donc de "l'IVG idéale".

Il est vrai, cependant, que cette technique demande beaucoup plus d'attention et de soins qu'une IVG par aspiration. Je suis d'accord avec le Professeur Israël Nisand quand il dit que l'IVG par aspiration est une solution de facilité - quelque soit le terme. Il s'agit en effet d'une mauvaise solution quand l'IVG médicamenteuse est encore possible.

L'IVG médicamenteuse requiert un personnel formé et présent, une certaine technique et de l'écoute. Il vaut également mieux être accompagnée, car cela est plus douloureux qu'une IVG pratiquée sous anesthésie générale.

Et je pense que c'est par facilité ou par manque de temps qu'un certain nombre de confrères pratiquent systématiquement l'IVG par aspiration ; lorsque la patiente est à six semaines d'aménorrhée, une telle IVG demande cinq minutes. C'est la raison pour laquelle j'attends beaucoup des campagnes d'information. J'espère que mes futurs collègues comprendront que s'il faut en arriver à une IVG, autant qu'elle soit pratiquée le plus tôt possible.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En ce qui concerne la consultation préalable obligatoire, quel est votre sentiment sur son caractère obligatoire ? Vous paraît-elle par ailleurs plus importante que le suivi d'une femme qui vient de subir une IVG ?

Mme Michèle Uzan : Vous savez qu'il y a aussi une consultation post-IVG. Elle est facultative, mais près de 75 à 80 % des femmes se rendent à cette consultation.

La consultation préalable obligatoire me paraît très importante, mais je pense que la consultation post-IVG devrait être, elle aussi, obligatoire. Lorsqu'on démarre la consultation préalable, on s'aperçoit que la patiente vient pour s'informer. Dans la majorité des cas, elle est décidée à pratiquer une IVG, et on lui parle de l'après-IVG, c'est-à-dire la contraception, les vaccinations, les MST, etc. Mais toutes les femmes ne sont pas encore déterminées et cette consultation va leur permettre de prendre leur décision - avorter ou poursuivre la grossesse.

La consultation post-IVG est également très importante, car s'y présenteront des femmes dépressives, qui regrettent déjà leur IVG ; et c'est à ce moment-là qu'elles vont entendre le mot "contraception" et entrer de façon adulte dans leur sexualité.

Ces deux consultations sont finalement des consultations de prévention de la récidive.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mme le Professeur, je vous remercie.

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