ASSEMBLEE NATIONALE

OFFICE PARLEMENTAIRE D'EVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

AUDITION SUR L'ETAT DES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES
ET MEDICALES SUR LA TRANSMISSION DE
L'ENCEPHALOPATHIE SPONGIFORME BOVINE (ESB)

MARDI 21 NOVEMBRE 2000

SOMMAIRE

ACCUEIL ET PROPOS INTRODUCTIF PAR MONSIEUR HENRI REVOL

OUVERTURE DE LA JOURNEE PAR MONSIEUR ROGER-GERARD SCHWARTZENBERG, MINISTRE DE LA RECHERCHE

LA TRANSMISSION DE L'ESB CHEZ LES BOVINS ET LES AUTRES ANIMAUX

Exposé introductif sur les problèmes de l'alimentation animale

Table ronde

TEMOIGNAGE DE MONSIEUR MAURICE WASCELAIRE (éleveur ayant eu une bête malade sans lui avoir donné de farines carnées)

FIABILITE, SENSIBILITE ET DISPONIBILITE DES TESTS DE DEPISTAGE DE L'ESB ET PROBLEME DES PRELEVEMENTS

- LA TRANSMISSION DE LA NOUVELLE VARIANTE DE LA MALADIE DE CREUTZFELDT-JAKOB

Exposé introductif sur l'état des connaissances et des recherches sur les prions.

Table ronde

- EXPOSE DE MONSIEUR CLAUDE FISCHLER (CNRS) SUR LA PERCEPTION DU RISQUE

CLOTURE DE LA JOURNEE PAR MONSIEUR RAYMOND FORNI, PRESIDENT DE L'ASSEMBLEE NATIONALE

La séance est ouverte à 9 h 00 sous la présidence de Monsieur Henri REVOL, Président de l'Office, et de Monsieur Jean-Yves LE DEAUT, Député, Premier vice-Président de l'Office.

ACCUEIL ET PROPOS INTRODUCTIF PAR MONSIEUR HENRI REVOL

M. REVOL.- Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs les Députés et Sénateurs, Messieurs et Mesdames,

Pourquoi l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques organise-t-il cette journée ?

Aux termes de la loi, le rôle de l'Office est d'informer le Parlement et, à travers lui, l'opinion des conséquences des choix scientifiques et technologiques.

Nous sommes placés devant un problème considérable qui rappelle les grandes peurs qu'avaient connues en l'an 1000 nos lointains prédécesseurs. Je ne sais pas si c'est l'approche du troisième millénaire qui fait que cette année 2000 nous place devant une peur panique mais nous avons souhaité, dans un délai très bref, puisque l'Office parlementaire a pris la décision d'organiser cette journée il y a une quinzaine de jours, faire le point des connaissances actuelles afin de répondre à l'opinion, aux interrogations des scientifiques et à l'émoi légitime de l'ensemble des acteurs de la filière bovine pour confronter les points de vue sur l'état des connaissances relatives à l'encéphalopathie spongiforme bovine, sa détection et sa transmission à l'homme.

Au-delà du problème des farines carnées, cela permettra aux membres du Parlement et à l'opinion d'avoir des éléments d'appréciation sur un sujet scientifique majeur qui nous préoccupe tous à l'heure actuelle.

Je ferai trois observations de forme.

En elle-même, cette réunion ne constitue pas un rapport d'étude complet comme en fait habituellement l'Office parlementaire. En outre, cette réunion ne saurait interférer avec les compétences des commissions permanentes de nos assemblées, Assemblée nationale ou Sénat, ou celles des commissions d'enquête que ces assemblées pourraient constituer sur ces questions. Il y a en effet actuellement des propositions de résolutions qui tendent à la constitution de commissions d'enquête sur ce sujet.

Enfin, je rappelle les règles établies par notre Office qui a organisé à plusieurs reprises, sur de grands sujets, des auditions publiques, selon lesquelles seuls peuvent poser des questions à l'issue des tables rondes, les parlementaires présents ; des questions écrites pouvant être transmises au président de séance.

Cela limite les débats en les concentrant sur l'objet d'étude, mais je rappelle que de nombreux colloques sont et peuvent être organisés sur ces questions.

Je voudrais remercier Monsieur le Ministre de la Recherche d'avoir bien voulu accepter de procéder à l'ouverture de nos travaux. Je remercie tous les intervenants qui, dans un délai très court, ont accepté de venir nous faire part de leurs connaissances sur les sujets qui sont les leurs, et je remercie les fonctionnaires de l'Office parlementaire, Assemblée nationale et Sénat, qui, dans un temps record, ont permis l'organisation de cette journée.

Monsieur le Ministre, je vous passe la parole.

OUVERTURE DE LA JOURNEE PAR MONSIEUR ROGER-GERARD SCHWARTZENBERG, MINISTRE DE LA RECHERCHE

M. LE MINISTRE.- Messieurs les ¨Présidents et Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs,

Je voudrais avant tout dire l'intérêt que j'ai à participer à la journée que vous organisez aujourd'hui et qui me paraît porter témoignage, une fois de plus, du grand intérêt que représente l'activité de l'Office parlementaire qui a la très grande vertu de fonctionner bien sûr en s'entourant d'avis d'experts et en les recueillant, mais aussi en exprimant, avec la légitimité due au suffrage universel, les questions, les interrogations et les attentes qui peuvent être celles de nos concitoyens.

Je voudrais, en ouverture de cette journée, faire le point sur l'effort de recherche conduit en France sur les maladies à prions et aborder principalement les deux points suivants : le présent et l'avenir.

Qu'est-ce que le Gouvernement a fait jusqu'ici et quels sont les résultats des recherches menées ? Qu'est-ce que le Gouvernement compte faire pour développer les recherches, dans quelle direction et selon quelles modalités ?

Le premier point consiste à faire l'état des lieux du résultat des recherches menées.

Quelques points pour remonter dans le passé.

Le comité interministériel d'experts présidé par le Docteur DORMONT a été créé en 1996 pour remplir deux missions : d'une part une mission d'expertise et d'aide à la décision, d'autre part une mission plus opérationnelle de gestion d'un programme de recherche inter organismes, concentrant les efforts d'organismes comme le CNRS, le CEA qui a un département « Sciences du vivant », l'INRA, l'INSERM. Ce programme de recherche inter organismes vise à caractériser le facteur de transmissibilité, à préciser la physiopathologie de la maladie, à mettre au point un test diagnostic, à préciser le mode de transmission et enfin à explorer les outils pharmacologiques qui peuvent être développés.

Ce programme a été peu à peu, par une montée en charge progressive, doté de moyens importants qui représentent 70 MF en 2000 dont :

    - 20 MF au titre du FNS,

    - 33 MF au titre des salaires (90 personnes à temps plein réparties sur 60 équipes),

    - 17 MF au titre des crédits de laboratoires.

    Ces crédits se répartissent actuellement de la façon suivante :

    . 38 % pour l'INRA

    . 21 % pour le CEA

. 25 % pour le CNRS

. 16 % pour l'INSERM.

Je voudrais préciser que le bilan scientifique de ce programme a été dressé lors du colloque tenu les 17 et 18 octobre derniers à Paris à l'Institut Pasteur, duquel on peut tirer les conclusions suivantes.

La recherche fondamentale française a fourni récemment des données importantes. Les données françaises concernent la structure tridimensionnelle de la protéine du prion. L'action pathogène de la protéine repose sur une anomalie de repliement dans l'espace. Il est en effet important de comprendre les mécanismes de la structure normale et de la structure pathologique.

La recherche fondamentale a également progressé sur le rôle de la protéine dans les cellules normales. Des recherches en cours portent également sur la mise en évidence des protéines avec lesquelles la protéine du prion interagit.

Les recherches fondamentales en cours visent aussi à caractériser les gènes impliqués dans la résistance ou la sensibilité des races d'ovins à la tremblante. Par analogie, la définition de tels facteurs permettrait de comprendre s'il existe chez l'homme un déterminisme génétique associé au développement de pathologies.

C'est le premier point concernant les progrès de la recherche fondamentale.

En second lieu, nous nous sommes dotés depuis 1996 d'outils qui faisaient défaut grâce à une mise en réseau des différents organismes de recherche, à l'initiative du programme de recherche piloté par le ministère.

Par exemple, des anticorps ont été produits sur lesquels reposent les tests utilisables pour évaluer la présence de l'ESB.

En matière de modèles animaux, la France accusait un certain retard en 1996. Il convient de rappeler que ces modèles animaux permettent d'apprécier le caractère infectieux d'échantillons d'origines diverses. Les modèles utilisables sont des souris génétiquement modifiées, dites transgéniques, porteuses de gènes d'origine humaine ou animale. La France dispose maintenant de souris transgéniques « ovines » en cours de validation, de souris « ovines » et « bovines » en phase de caractérisation et de souris « humaines » en construction.

Par ailleurs, les modèles animaux permettent des études de physiopathologie dont l'objet est de comprendre comment s'établit la maladie. Un modèle de petits singes lémuriens, dont le caractère infectable a été démontré récemment à Montpellier, dote la France d'un nouvel outil en la matière.

Troisième point après la recherche fondamentale et la création d'outils nouveaux : la recherche thérapeutique qui s'amorce.

Des molécules à visée thérapeutique dérivées de l'amphotéricine B sont en essai dans un modèle ovin. Dans ce modèle expérimental, ces molécules semblent agir dès la phase précoce de l'infection et retarder l'apparition de la maladie. Il s'agit toutefois d'études préliminaires et on ne peut pas faire un pronostic sur la période dans laquelle ces travaux sur l'amphotéricine B ou d'autres molécules aboutiront.

Enfin, quatrième point : les activités de surveillance et de recherche épidémiologique sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob ont été développées. Il importe de distinguer différents types de maladies de Creutzfeldt-Jakob : d'une part, la forme iatrogène, la forme sporadique, identifiées depuis de nombreuses années, depuis les travaux de Creutzfeldt-Jakob dans les années 1920 ; et, d'autre part, la maladie liée à l'épidémie bovine dit « nouveau variant de Creutzfeldt-Jakob » pour laquelle il y a eu en France jusqu'à présent 3 cas mais 85 en Grande-Bretagne.

C'est probablement à l'efficacité de la surveillance épidémiologique, conduite notamment par l'unité 360 de l'INSERM dirigée par le docteur Annick ALPEROVITCH, qu'il faut attribuer la légère augmentation de l'incidence de la maladie sporadique observée en France. Les prédictions concernant l'épidémie liée à la maladie bovine sont particulièrement difficiles en raison -heureusement d'ailleurs- du très faible nombre de cas observés jusqu'à présent.

Les moyens mis en place par le Gouvernement depuis ces 3 ou 4 dernières années ont eu ainsi un premier résultat positif constituant un socle mais sur la base duquel il importe d'aller plus loin.

J'aborde là le deuxième point de cette brève intervention consistant à décrire ce que le Gouvernement compte faire pour développer les recherches et selon quelles modalités.

La semaine dernière, le Premier ministre a annoncé un triplement des moyens de la recherche sur les maladies à prions ; ces moyens sont actuellement de 70 MF, ils passeront à 210 MF grâce à une mesure de 140 MF en autorisation de programme et crédit de paiement, sans doute par la voie d'un amendement soit au collectif budgétaire 2000 soit au projet de loi de finances initiale pour 2001.

Cela dépend d'un choix qui va être fait et de la liberté des parlementaires qui sont appelés à adopter, s'ils le veulent bien, cet amendement qui permettra de renforcer de manière très puissante les moyens de la recherche car 210 MF constituent un niveau tout à fait important.

Cet effort servira à renforcer 4 axes de recherche sur lesquels je voudrais vous donner des indications :

      - le développement des nouveaux tests de détection,

      - la meilleure compréhension des maladies à prions,

      - la recherche thérapeutique,

      - la recherche de modes d'élimination des farines animales qui offriraient une alternative à l'incinération.

Premier axe : poursuivre le développement de nouveaux tests de détection.

La mobilisation des équipes scientifiques a permis la réalisation de tests de dépistages systématiques post-mortem de la vache folle sur des échantillons provenant du système nerveux central. Il y a essentiellement 3 tests : le test « Enfer » irlandais, le test « Prionics » suisse, actuellement mis en oeuvre tant en Suisse qu'en France, et le test développé par le Commissariat à l'énergie atomique et son département des Sciences du Vivant, « BIO-RAD ». Celui-ci paraît présenter une sensibilité plus importante que le test « Prionics » et il fera l'objet d'une expérimentation en double test dans les semaines qui viennent sur 4 000 échantillons, de manière que l'on puisse comparer très précisément la sensibilité, la spécificité d'une part du test « Prionics » et, d'autre part, du test développé actuellement par la société BIO-RAD France et résultant d'un brevet déposé par le CEA.

Ces différents tests ESB présentent cependant plusieurs limites.

D'abord, on ne détecte la maladie chez l'animal que 30 mois après l'infection. D'autre part, le test ne peut être mis en oeuvre que post-mortem. Enfin, la technique de prélèvement est complexe puisque les échantillons proviennent du système nerveux central protégé par la colonne vertébrale et la boîte crânienne.

Par ailleurs, fait encore défaut un test de diagnostic rapide et sensible pour les ovins et pour l'homme. Il est donc essentiel de poursuivre les travaux de recherche dans plusieurs directions afin d'améliorer les tests ESB existants et de disposer de méthodes de diagnostic rapides et sensibles chez les ovins et, à terme, chez l'homme.

Cet axe de recherche mobilisera surtout les équipes du CEA particulièrement bien placées au niveau national et international, en liaison avec d'autres laboratoires, par exemple ceux de l'INRA et de l'AFSSA pour les tests chez les bovins et les ovins.

C'est en effet une singularité historique du CEA que de comporter un département Sciences du Vivant dont l'origine se trouve dans une association des actions entre les services de santé du ministère de la Défense et le Commissariat à l'énergie atomique. Les Docteur Dominique DORMONT et SYROTA appartiennent à ce département.

Deuxième axe : mieux comprendre la nature de l'agent infectieux, sa physiopathologie et le développement des maladies à prions.

Au-delà du développement des tests qui est le premier axe de recherche sur lequel nous souhaitons insister, il est nécessaire de comprendre les mécanismes d'apparition et de développement de la pathologie :

      - comprendre comment l'apparition de la pathologie de la maladie à prions est liée à un changement de la conformation de la protéine prion, d'une conformation normale et saine à une conformation « anormale » ;

      - connaître par quel mécanisme s'opère le passage de la conformation normale à la conformation anormale ;

      - et connaître aussi comment la forme pathologique « influence » la forme normale de la protéine prion, ce qui permet d'élaborer les outils capables d'inhiber cette conversion, voire capables (c'est une idée actuellement examinée) de faire revenir la forme pathologique anormale de la protéine à la forme normale.

En outre, nous souhaitons mieux comprendre l'évolution de la maladie entre l'infection et le stade tardif (30 mois après) où l'agent infectieux apparaît dans le système nerveux et où il devient détectable.

Que se passe-t-il entre l'infection et l'apparition plus tard de la maladie dans le système nerveux ? Comment évolue l'agent infectieux dans cet intervalle de temps qui est d'environ 30 mois ?

La constitution d'animaleries d'ovins et de bovins permettra de réaliser des infections expérimentales par différentes voies et d'étudier la cinétique de l'infection par abattages périodiques et analyse des tissus infectés.

Bien sûr, nous allons développer les recherches sur ce que représente la barrière d'espèce qui est une notion souvent examinée par les scientifiques. Il s'agit de savoir si l'agent pathogène peut ou non franchir les barrières d'espèces, ce qui donne lieu à des réflexions supplémentaires liées à des expérimentations réalisées notamment sur des moutons.

Le troisième axe est de développer la recherche thérapeutique sur les maladies à prions, recherche épidémiologique et thérapeutique, étude épidémiologique, recherche de molécules actives qui seraient capables d'inhiber la réplication des prions pathologiques et d'en empêcher le développement, recherche d'intervention aussi sur le système immunitaire pour empêcher le développement de la maladie, et recherche sur le traitement de la maladie elle-même, c'est-à-dire les essais thérapeutiques.

Enfin, le quatrième axe de recherche consiste à essayer de contribuer à traiter le problème de l'élimination des farines animales puisque les capacités de stockage puis d'incinération doivent être fortement développées pour venir à bout de ces stocks de farines animales qui peuvent être considérables.

L'INRA est engagée sur un axe de recherche totalement neuf, sur lequel il s'agit d'abord de constituer de nouvelles équipes, qui consiste à rechercher si par des voies chimiques non dangereuses pour l'environnement, ou l'action de micro-organismes, il pourrait être possible de résorber autrement que par incinération les stocks de farines animales.

Je voudrais terminer en disant que je souhaite renforcer encore davantage la coordination entre les différents organismes de recherche qui s'occupent des recherches sur les maladies à prions. Il existe un programme spécifique de recherche sur les ESST et les maladies à prions, de manière à renforcer encore la synergie entre les différents organismes de recherche et les ministères s'occupant de ce sujet.

Un groupement d'intérêt scientifique est en cours de constitution entre le ministère de la Recherche, le ministère de l'Agriculture, le secrétariat d'Etat à la Santé et l'ensemble des organismes intéressés par les recherches sur le prion, c'est-à-dire les établissements de recherche, le CNRS, l'INRA, l'INSERM, le CEA, ainsi que l'Institut Pasteur de Paris, mais également les agences, l'AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments), l'AFSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, et l'INVS (Institut national de veille sanitaire).

Ce groupement aura pour objet de coordonner les recherches menées par chacun des partenaires sur le prion ainsi que d'assurer la répartition et le suivi des moyens consacrés par l'Etat et l'ensemble des membres du GIS à cette recherche. Il sera doté d'un conseil scientifique qui contribuera à évaluer les projets de recherche éligibles au fonctionnement public.

Je crois qu'il est indispensable, comme nous l'avons fait dès le début (le programme de recherche lancé en 1996 se fondait sur la coopération très étroite des différents organismes de recherche), de renforcer cette coordination des organismes de recherche, de faire en sorte que toutes les institutions coopèrent, travaillent ensemble, de manière à rassembler et dynamiser les efforts de recherche par cette mise en synergie. Cela devrait permettre de tirer le meilleur profit de l'effort supplémentaire que va réaliser le Gouvernement en triplant les crédits destinés aux moyens de recherche sur les maladies à prion.

Voilà, Monsieur le Président, les quelques pistes que je voulais vous indiquer, en étant prêt à répondre aux questions des parlementaires.

M. REVOL.- Merci Monsieur le Ministre de ce panorama complet des axes de recherche coordonnée par votre ministère. Je me tourne vers mes collègues parlementaires, ont-ils des questions ?

M. LE DEAUT.- Merci Monsieur le ministre d'ouvrir cette journée, vous venez de dire que la recherche reste la priorité du Gouvernement, et il est bien de recentrer le problème de cette maladie et de son développement sur la recherche, aussi bien chez les ovins que chez l'homme, car c'est la connaissance du prion qui permettra une meilleure compréhension de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Au niveau du Parlement, nous sommes très attentifs aux efforts qui seront déployés.

Vous venez d'annoncer une augmentation très significative des crédits par rapport à ceux qui étaient octroyés au cours de l'année 2000 (70 MF) ; les crédits passent également par des créations de postes de chercheurs.

Va-t-on augmenter le nombre de postes de chercheurs pendant cette même période ? S'il n'y a pas de création, il n'y aura pas développement de la recherche. Beaucoup de jeunes formés -ceux qui suivent la recherche en France le savent- dans les disciplines biologiques sont dans des laboratoires américains ou européens et ne trouvent pas obligatoirement de poste en France. Comment va-t-on faire pour en recruter dans une situation de crise ?

Par ailleurs, vous avez parlé d'un certain nombre d'équipements, notamment d'animaleries protégées. Vous venez de dire qu'une partie de l'expérimentation sera faite sur des souris transgéniques sur lesquelles vous avez réussi à cloner le gène de la protéine prion humaine pour répondre à cette question fondamentale du franchissement de la barrière d'espèce. Où seront construites ces animaleries protégées ? Vous avez parlé d'une animalerie protégée pour des gros bovins, où sera-t-elle construite ? Quand ? Dans quel délai ?

C'était également un sujet important. Monsieur le Ministre, pouvez-vous répondre à ces deux questions ?

M. LE MINISTRE.- Les chercheurs sont le véritable problème car il est nécessaire bien sûr d'augmenter les crédits mais il faut qu'ils puissent être mis en oeuvre par des équipes de chercheurs renforcées en nombre. Fort évidemment, il existe un nombre de chercheurs encore limité, qui se consacrent aux recherches sur les maladies à prions ou plus spécialement sur l'ESB ou la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Nous avons la volonté de recruter une centaine de personnels de recherche supplémentaire l'année prochaine, notamment en recourant pour le quart au recrutement de « post-doc » dans les laboratoires français en faisant exception à la règle administrative que l'on peut comprendre pour d'autres objets mais qui, face à un impératif de santé publique, ne doit pas peser trop lourd, et en recrutant par ailleurs 75 autres personnes.

J'ai demandé à la demi-douzaine d'organismes concernés de lister les chercheurs qu'ils connaissent et spécialisés dans ces recherches de manière à se lancer dans le recrutement, le plus rapide possible, dès l'année 2001, et que ces recherches puissent être dynamisées.

Pour les animaleries, il en existe certaines au CEA ; il existe par ailleurs des animaleries pour ovins. Il faut construire une animalerie importante pour bovins qui n'existe pas actuellement. La localisation n'a pas encore été arrêtée mais on peut envisager qu'elle soit construite par l'INRA près de Tours pour un coût de 25 MF environ.

Sur les souris que l'on appelle « souris rapides » par une contraction de la formule (ce sont des souris qui contractent plus rapidement que d'autres parce que ce sont des souris transgéniques), il est nécessaire d'avoir ces outils, cela permet de procéder à des expérimentations dont les résultats sont disponibles de manière plus rapide qu'ils ne l'étaient dans la phase précédente.

Je voudrais ajouter un point que j'ai oublié d'indiquer.

Le Conseil des ministres de la Recherche de l'Union européenne s'est tenu jeudi dernier à Bruxelles, et j'ai fait adopter, sans que cela soit à l'ordre du jour (ce qui est assez exceptionnel par rapport aux lourdeurs ou lenteurs de la prise de décision dans cette Union européenne qui, regroupant 15 Etats, a des procédures assez rigides) une décision qui invite la commission à créer avant la fin de l'année 2000 un groupe d'experts européens. Ceux-ci auront pour tâche de dresser le bilan des recherches sur les maladies à prions conduites dans les 15 pays européens, de favoriser les échanges d'informations entre scientifiques, et enfin d'indiquer les actions de recherche qu'il importe de renforcer, et les actions nouvelles de recherche qu'il importe d'engager.

Cette décision comporte une date, non seulement pour la création du groupe avant la fin de l'année 2000 mais aussi pour la remise de son premier rapport, puisqu'il devra être remis avant la prochaine réunion du prochain Conseil des ministres de l'Union européenne qui se tiendra en février ou mars prochain.

Mon souci à cet égard était que les différents pays européens puissent mieux coopérer entre eux qu'ils ne le font actuellement et que l'échange d'informations scientifiques soit plus rapide qu'il ne l'est aujourd'hui.

La réunion tenue à Annecy à l'initiative de Monsieur DORMONT montre bien qu'il existe des échanges scientifiques mais tout ce qui peut favoriser la diffusion rapide des informations scientifiques sur ces recherches conduites dans les différents pays est important.

Il ne serait pas très fonctionnel que chaque pays cherche de manière isolée, parfois en protégeant à l'excès ses propres recherches de manière qu'elles ne soient pas rendues publiques aussi vite qu'on le souhaiterait par rapport au problème de publication ou de dépôt de brevet.

Face à un problème de santé publique de ce type, il me paraît nécessaire qu'un groupe d'experts européens réfléchisse à la manière de renforcer et d'améliorer l'échange d'informations scientifiques entre les 15 pays de l'Union européenne.

M. VALADE.- Monsieur le Ministre, j'ai beaucoup apprécié votre mise au point des moyens investis, moyens renouvelés. La question que je vais vous poser est un peu à l'écart des réponses aux questions posées par Jean-Yves LE DEAUT.

Nous sommes à l'Office parlementaire. Aujourd'hui, nous devons examiner les possibilités, les résultats, les espérances et les définitions d'objectifs que nous pouvons mettre en place ou espérer.

Au niveau du Gouvernement, et compte tenu de ce que vous avez dit concernant l'Europe qui est positif et satisfaisant, vis-à-vis de la population, de l'opinion publique, et notamment des médias, de quelle façon le Gouvernement gère-t-il la coordination de toutes les actions qui sont développées dans ce domaine, tant sur le plan de la recherche (c'est ce que vous venez de faire et, encore une fois, je vous exprime ma satisfaction) qu'au niveau de l'agriculture, de la santé publique, de tous ces domaines qui convergent ou qui sont mobilisés par rapport à ce vaste problème et qui peuvent donner de l'extérieur (mais quand je dis cela, ce n'est pas une critique politicienne, c'est une constatation) l'impression d'une certaine dispersion et quelquefois d'une certaine discordance ?

Quel est le chef de projet ? Pour la recherche, c'est vous, bien entendu, mais par rapport à ce vaste problème, quel est le responsable ? Vous allez peut-être me répondre qu'il s'agit du Premier ministre mais la réponse ne sera pas satisfaisante si elle est de cette nature.

M. LE MINISTRE.- Par rapport à la question importante que vous posez, chaque ministre travaille en liaison avec les autres sur un problème qui se situe parfois à l'intersection de leurs compétences.

Jusqu'à présent, sous l'autorité du Premier ministre, les différents ministres concernés proposent les solutions qu'ils préconisent de mettre en oeuvre, le Premier ministre rendant son arbitrage.

C'est ainsi que le plan annoncé par le Premier ministre mardi dernier, en présence des sept ministres concernés, a été rendu public. C'est un travail qui s'est effectué par des réunions entre les différents ministres sous l'autorité du Premier ministre, l'annonce publique ayant été faite par le Premier ministre lui-même.

Sur un problème de cette importance, il est normal que ce soit le chef du Gouvernement qui conduise la prise de décision et c'est ce qui se passe.

M. REVOL.- Avez vous d'autres questions ? Je n'en vois pas. Merci Monsieur le Ministre d'avoir voulu nous faire cet exposé très complet et répondre aux questions.

LA TRANSMISSION DE L'ESB CHEZ LES BOVINS ET LES AUTRES ANIMAUX

Exposé introductif sur les problèmes de l'alimentation animale

M. ROBELIN (chef du département « Elevage et nutrition des animaux » de l'Institut national de la recherche agronomique).- Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs,

Je tiens à vous remercier de m'avoir invité à présenter cet exposé introductif. J'en suis très honoré. J'espère que cette modeste contribution apportera quelques éléments à votre réflexion.

On m'a demandé de parler de l'alimentation animale, des concepts sur lesquels elle repose, des perspectives sur son évolution avec, en filigrane, l'introduction des protéines animales dans l'alimentation des bovins et des autres animaux. Je ferai ensuite une tentative d'explication de cette introduction dans le passé et des conséquences de leur suppression.

Cet exposé concerne essentiellement le contexte de la crise dans laquelle nous sommes mais, vous l'avez bien compris, pas l'ESB directement qui fera l'objet des exposés suivants.

Je fais cet exposé en tant que chercheur à l'INRA où j'assume les fonctions de responsable d'un département intitulé « Nutrition et élevage des animaux » ; c'est dans ce champ de compétence que je situerai mon exposé.

J'ai volontairement fait le choix d'un message dépouillé, en assumant le risque d'une trop grande simplicité, mais je compte sur vos questions pour me permettre de préciser les points que vous jugeriez utiles.

Dans ce message, j'aborderai successivement trois facettes de l'alimentation animale :

      - sa finalité et les concepts sur lesquels elle repose (c'est le principal point de mon exposé),

      - les flux de produits dans l'alimentation animale et leur lien au territoire,

      - la pratique de l'alimentation animale dans les élevages, à savoir la conduite alimentaire des animaux (je parlerai essentiellement des ruminants).

Enfin, dans un dernier point, j'aborderai les perspectives d'évolution et plus précisément les orientations de nos recherches dans ce domaine, tout cela à très grands traits pour laisser place à des questions.

Quels sont les concepts principaux sur lesquels repose l'alimentation animale ?

Elle a pour finalité d'approvisionner l'animal en éléments nutritifs nécessaires à sa survie et à celle de l'espèce, avec les différentes fonctions que cela implique : entretien de l'organisme, croissance chez le jeune, reproduction chez l'adulte, sans oublier le travail musculaire.

Les aliments ingérés par l'animal sont dégradés en éléments de plus en plus simples, au cours des processus digestifs. Chez les ruminants, cette digestion commence par un processus de fermentation microbienne dans le rumen, avec des conséquences bien particulières et, en premier lieu, la capacité de valoriser la cellulose des végétaux, ce que ne peuvent pas faire les monogastriques dont nous faisons partie.

Revenons au parcours de ces éléments nutritifs, produits terminaux de la digestion (les nutriments). Ils sont absorbés au niveau de la paroi intestinale, ensuite transportés par la lymphe et le sang, transformés éventuellement au niveau du foie, et enfin utilisés au niveau des cellules pour le fonctionnement des différents organes : cerveau, muscles, placenta, glandes mammaires.

Tous ces phénomènes que l'on appelle globalement « nutrition » sont régis par un jeu complexe de régulations hormonales qui modulent le fonctionnement de l'animal en fonction de diverses priorités liées à son état physiologique interne tel que la gestation ou la lactation, et à son environnement au sens le plus large.

Rapprochons-nous de notre principal sujet d'intérêt, les protéines, en précisant la nature de ces nutriments issus de la digestion.

On distingue principalement deux catégories de nutriments : les nutriments énergétiques et les nutriments protéiques.

Je passerai rapidement sur les nutriments énergétiques, ce sont des chaînes de carbone d'hydrogène et d'oxygène (hydrates de carbone) ; ils représentent la source d'énergie pour le fonctionnement cellulaire.

Je m'étendrai un peu plus sur les nutriments protéiques au coeur de notre problème. Ce sont les acides aminés qui sont des chaînes carbonées également mais comportant des atomes d'azote. Ces acides aminés sont les éléments constitutifs des protéines, entités caractéristiques des êtres vivants, à la base de leur fonctionnement. Il existe un peu plus d'une vingtaine d'acides aminés différents. Leur arrangement selon des séquences dictées par le code génétique détermine la nature et la fonction des protéines.

Ces bases étant apportées, je voudrais maintenant focaliser votre attention sur les trois points essentiels sur lesquels repose la nutrition protéique des animaux.

Le premier point est que certains acides aminés peuvent être synthétisés dans les tissus animaux à partir d'autres acides aminés, notamment ceux de l'alimentation. En revanche, un certain nombre d'autres acides aminés ne peuvent pas faire l'objet d'une telle synthèse dans les tissus animaux. On les qualifie alors d'acides aminés indispensables, sous-entendu pour l'animal. L'animal doit donc obligatoirement les trouver dans son alimentation.

Le second point est que la proportion de ces acides aminés indispensables dans les tissus animaux est différente de celle que l'on trouve dans les végétaux. Ainsi, il existe a priori un déséquilibre entre les besoins des animaux pour la synthèse de leurs tissus et les apports alimentaires qu'ils trouvent dans les végétaux. Ce déséquilibre se traduit par une utilisation partielle des acides aminés à d'autres fins, notamment énergétiques, avec en corollaire un rejet d'azote dans l'urine (une pollution) et une utilisation non optimale de l'alimentation.

Le troisième point qui découle des deux premiers et entraîne la pratique de l'alimentation animale est que les différentes espèces végétales renferment des proportions différentes de ces acides aminés indispensables, certaines espèces étant plus riches que d'autres. On peut ainsi, par un mélange judicieux de différentes sources d'aliments, obtenir des rations présentant un meilleur équilibre en acides aminés vis-à-vis des besoins nutritionnels des animaux. C'est tout l'art de l'alimentation animale.

Dans la pratique de l'alimentation animale, on a d'abord rééquilibré les rations à partir de tourteaux, sous-produits de l'industrie huilière (arachide, soja, colza) contenant de fortes proportions de ces acides aminés indispensables.

Partant de là, quels sont les différents éléments qui ont pu contribuer à l'introduction des déchets animaux en tant que compléments protéiques dans les rations ? On peut a posteriori en citer plusieurs sans tenter de les hiérarchiser.

Tout d'abord la disponibilité en tant que sous-produits de l'industrie de la viande, l'accroissement de cette disponibilité découlant de l'augmentation de la production de viande au cours des années soixante, avec en corollaire la diminution de leur coût, donc des sous-produits peu coûteux.

Une autre raison est leur très bonne adéquation -et pour cause- en termes de proportion d'acides aminés indispensables puisque ce sont des produits animaux.

Ajoutons à cette liste que la recherche d'une indépendance nationale vis-à-vis des importations de soja américain a contribué également à cette évolution de l'alimentation dans les années soixante-dix mais cet aspect est en dehors de mon domaine de compétence et du cadre de mon exposé.

La seconde facette de l'alimentation animale est le flux de produits concernés et son lien au territoire.

Les animaux de rente, ruminants, porcs et volailles, consomment environ 125 millions de tonnes d'aliments, exprimés en matière sèche, dont 100 millions de tonnes de fourrages ingérés sous forme d'herbe ou conservés et 25 millions de tonnes d'aliments concentrés, en majorité des céréales.

Les 100 millions de tonnes de fourrages ingérés par les ruminants proviennent de 15 millions d'hectares de surfaces fourragères, dont 10 millions d'hectares de prairies permanentes, c'est-à-dire de terres toujours en herbe. Cette surface est du même ordre de grandeur que celle occupée par les céréales (12 M ha).

Ainsi, les ruminants demeurent essentiellement des consommateurs de fourrages avec seulement 4 millions de tonnes d'aliments concentrés complémentaires. A contrario, leur présence est absolument indispensable pour consommer l'herbe qui pousse sur ces 10 millions d'hectares de prairie permanente.

La troisième facette de l'alimentation animale est la pratique de la conduite alimentaire des ruminants.

Je limite ma présentation aux ruminants et même aux bovins parce qu'ils sont au coeur de la crise actuelle et présentent une très grande variété de conduites alimentaires mal connues. Là encore, j'ai fait le choix risqué d'une description très simplifiée dans un but pédagogique.

Je parlerai d'abord de la conduite d'élevage des bovins adultes puis de celle des jeunes.

La population des bovins adultes en France comporte un peu moins de 10 millions de vaches réparties pour moitié dans des troupeaux dits « à viande » et pour moitié dans des troupeaux dits « laitiers ».

Les vaches des races à viande (Charolaise, Limousine, Blonde d'Aquitaine... pardon pour les oubliées) sont appelées vaches allaitantes car elles nourrissent leur veau avec une production laitière de 1 500 à 2 000 litres de lait étalée sur un peu plus de six mois. Le jeune veau complète cette alimentation dès le printemps en pâturant de l'herbe avec sa mère.

Ces vaches consomment au total dans l'année environ 4 tonnes de fourrages, de l'herbe en été, du foin et de la paille en hiver. Elles reçoivent en plus de l'ordre de 1 à 2 kilos d'aliments concentrés par jour, à l'étable, durant les tous derniers jours de gestation (260 kg). Ainsi, le fourrage constitue 95 % de la ration de ces vaches à viande ou allaitantes.

Au plan géographique, ces élevages sont situés dans une grande diagonale qui va du Sud-Ouest aux Vosges, dans des zones herbagères de semi-montagnes.

Les vaches des races laitières, l'autre catégorie de bovins adultes, sont réparties dans deux types d'élevages liés à leur localisation : les vaches laitières de montagnes (c'est une dénomination personnelle) dans les Vosges, le Jura, les Alpes, le Massif Central, les Pyrénées, et les vaches laitières hautes productrices des plaines (c'est encore une dénomination personnelle).

Les vaches laitières de montagnes, de races Montbéliarde, Salers, Brune des Alpes (à nouveau j'en oublie) produisent 4 000 à 6 000 kilos de lait par an et consomment de 4 à 5 tonnes de fourrages (herbe pâturée pendant l'été et fourrage conservé pendant l'hiver) complétées par 500 kilos d'aliments concentrés au total répartis au cours des premiers mois de lactation.

Les vaches hautes productrices du Grand Ouest, de races Holstein ou normande, avec un niveau de production plus élevé, entre 6 000 à 8 000 kilos de lait par an, nécessitent une alimentation plus abondante et plus riche composée d'environ 5 tonnes de fourrages (herbe, foin ou ensilage de maïs) et d'une tonne d'aliments concentrés, mélange de céréales et de tourteaux.

Parlons maintenant des jeunes animaux issus de ces troupeaux qui représentent une quinzaine de millions de têtes (10 millions d'adultes, 5 millions de jeunes), nous pouvons les répartir en trois catégories.

La première catégorie est destinée au renouvellement du troupeau, constituée en majeure partie de femelles, nourries essentiellement de fourrages et d'un peu de concentrés.

La seconde catégorie est destinée à la production de veaux de boucherie ; elle concerne surtout des veaux issus du troupeau laitier, retirés de leur mère très tôt après le vêlage et nourris avec des aliments d'allaitement.

La troisième catégorie enfin, qui représente une grande majorité des animaux, concerne la production de viande de b_uf stricto sensu, avec un éventail très large de conduites alimentaires : depuis des jeunes bovins recevant une alimentation riche à base d'ensilage de maïs avec une croissance rapide et abattus à l'âge de 20 mois ; des bovins mâles castrés (le b_uf) ou des génisses alternant des périodes de pâturage durant l'été et d'alimentation à l'étable durant l'hiver, alimentation essentiellement à base de foin, abattues à l'âge de 30 à 40 mois.

Le dernier point de mon exposé concerne les perspectives de l'alimentation animale et surtout les orientations de nos recherches dans ce domaine.

Je serai assez bref concernant l'évolution de l'alimentation animale, nous pourrons y revenir lors des questions.

La suppression des farines animales, dans la ration des herbivores (effective depuis plusieurs années) et dans celle des procs et des volailles décidée récemment, ne pose pas de problème nutritionnel insoluble. La complémentation protéique des rations, lorsqu'elle est nécessaire, peut être réalisée à partir de tourteaux grâce à une combinaison judicieuse d'aliments de base. Il n'y a donc pas dans ce domaine précis de conséquence directe sur la nutrition des animaux ni de recherche particulière à engager sur cet aspect précis de la nutrition protéique des animaux.

Les deux conséquences les plus importantes concernent, d'une part, notre approvisionnement en aliments protéiques, qui n'est pas un problème technique... et d'autre part, le recyclage des déchets animaux, c'est un autre domaine.

Quelles sont actuellement nos orientations de recherche dans le domaine de la nutrition animale pour les années à venir ?

Guidés par les attentes de la société, nos efforts de recherche en nutrition animale sont maintenant focalisés prioritairement sur deux finalités : assurer la sécurité de l'alimentation de l'homme et une meilleure intégration de l'élevage dans l'environnement.

Sécurité de l'alimentation tout d'abord : il s'agit de détecter le rôle de l'alimentation animale dans la sécurité des produits animaux pour l'homme.

Deux exemples précis pour illustrer ce propos.

Nous engageons des recherches sur le devenir des éléments potentiellement toxiques, les mycotoxines, liés au développement de flores indésirables dans les différents aliments pour animaux ou encore le devenir de composés aromatiques issus de la combustion des produits pétroliers qui se déposent sur les fourrages et sont ingérés par les animaux.

Nous engageons aussi des recherches sur le rôle positif de l'alimentation animale et sur la valeur nutritionnelle des produits animaux pour l'homme, avec à nouveau deux exemples précis : on cherche à accroître par l'alimentation la présence dans le lait ou la viande d'acides gras particuliers ayant un effet bénéfique pour la santé de l'homme ; on cherche également à caractériser les particularités des produits des ruminants liées à une alimentation exclusive à l'herbe.

Notre seconde priorité est l'intégration de l'élevage dans l'environnement, et notamment la réduction des rejets de toutes natures (azote, phosphore et méthane) et surtout la maîtrise de leur devenir dans l'environnement. Cette préoccupation concerne toutes les espèces, porcs, volailles mais aussi vaches laitières au pâturage. A ce titre, la gestion écologiquement propre d'un troupeau de vaches laitières au pâturage n'est pas un processus trivial... il ne suffit pas d'ouvrir la barrière aux animaux.

Voici donc brossées à très grands traits ces différentes facettes de l'alimentation animale et nos priorités actuelles de recherche. Je voudrais conclure cet exposé par trois réflexions d'ordre plus général.

L'arrêt de l'utilisation des farines animales ne constitue pas un frein technique stricto sensu à l'optimisation de la nutrition protéique des animaux.

Les herbivores sont et demeurent des herbivores, ils consomment d'ailleurs la production de 50 % de la surface agricole en France, avec un rôle essentiel sur l'aménagement du territoire, au niveau de l'environnement comme au plan social.

Enfin, la crise de l'ESB qui a emprunté l'alimentation pour se développer doit enrichir notre expérience et nous rendre vigilants pour mieux détecter et évaluer de façon rationnelle les risques potentiels liés aux pratiques alimentaires, afin de donner des éléments pour une meilleure maîtrise de ces risques.

A plus court terme, il faut aussi aider les filières en crise à regagner la confiance fragilisée des citoyens-consommateurs.

M. REVOL.- Merci Monsieur ROBELIN de cet exposé très complet. Je me tourne vers mes collègues parlementaires pour les questions qu'ils auraient à poser à Monsieur ROBELIN...

S'il n'y a pas de questions, nous passons à la table ronde.

Table ronde

Pr Mc CONNELL (Directeur de recherche de médecine vétérinaire à l'université de Cambridge, Membre du Spongiform encephalopathy advisory committee).- Au Royaume-Uni, il y a eu une tragédie énorme dans la santé animale et chez l'homme. Il y a plusieurs années de cela, j'ai décrit la crise de l'ESB au Royaume-Uni comme une sorte de Tchernobyl de la santé animale, comme l'accident nucléaire russe. Les conséquences se prolongeront encore pendant plusieurs années.

La France n'est pas un deuxième Tchernobyl.

Les chiffres pour l'épidémie en Angleterre méritent d'être examinés. L'apparition et l'épidémie en Grande-Bretagne, au cours de ses années d'existence, a causé 180 000 cas d'ESB. La France en a connu 176. Le nombre de cas que vous connaissez est en fait plus bas que ce que l'on trouve au Portugal et inférieur au nombre de cas constatés en Suisse.

La chose à bien comprendre, c'est que la France, tout au moins concernant l'ESB, n'est pas du tout au même niveau que la Grande-Bretagne. Vous êtes bien plus forts que nous, comme pour le foot !

L'enquête publique a coûté à la Grande-Bretagne 15 M£. La France peut tirer des enseignements importants des conclusions de cette enquête.

Il n'y a pas de place pour le secret parmi les gouvernements ou pouvoirs publics qui traitent de l'ESB. L'ouverture et la transparence sont importantes, et si l'on ne connaît pas la réponse à un problème particulier, il est préférable, du point de vue de l'opinion publique, de l'avouer. Ainsi, le consommateur pourra prendre une décision.

Au Royaume-Uni, il y a eu beaucoup d'autosatisfaction car on avait le sentiment que l'ESB était une ancienne maladie du mouton présente chez les bovins et, au fur et à mesure que les preuves sont ressorties, il a été constaté que c'était une maladie de bovins qui trouvait ses origines chez les bovins, sans doute au début des années soixante-dix.

L'enquête sur l'ESB a identifié 3 vagues d'infection : une période de 1970 à 1971 qui a produit quelque cas servant à des sources de farines animales provoquant une petite épidémie en période 1975 à 1976. Ces quelques cas ont provoqué un nouveau cycle d'infection et ont abouti à une centaine de cas en 1981. Enfin, ces cas sont passés par la chaîne alimentaire et ont provoqué l'épidémie de 1986.

L'autre leçon qui ressort de l'enquête sur l'ESB est que la protection de la santé publique est primordiale. Des interdictions draconiennes imposées par les pouvoirs publics sont en place au Royaume-Uni depuis les années quatre-vingt dix. Je vous en donne quelques exemples.

Voici la courbe correspondant à l'ESB au Royaume-Uni. Etant donné que nous n'avions pas de procédures en place avant 1985, 54 000 cas d'ESB pré-cliniques sont entrés dans la chaîne alimentaire.

Au moment où l'on a interdit l'utilisation des farines animales, environ un demi-million de cas pré-cliniques d'ESB sont arrivés dans la chaîne alimentaire. La France est très très loin de ces chiffres.

On se pose ensuite la question de savoir quelle est l'origine du problème de l'ESB en France. Il est clair que la crise d'ESB en France dans les faibles nombres de cas présents (176) trouve ses origines dans les farines animales importées sur le territoire en 1990.

L'interdiction sur les protéines animales pour ruminants est en place depuis 1990. Si la source est bien les farines animales importées sur le territoire, vous avez un dispositif par lequel les farines animales ne sont plus données comme aliments aux bovins, autrement dit vous n'amplifiez pas la maladie, la possibilité d'infection a été étouffée et la probabilité de voir en France une épidémie de cette proportion me paraîtrait peu probable.

Si l'on disait que la France a une autre forme d'ESB non liée aux farines animales, là aussi, ce serait l'argument dit du deuxième Tchernobyl, autrement dit un événement rare se produisant à deux reprises dans des pays peu éloignés. Il s'agit d'un événement tellement rare !

Il est vrai que des choses épouvantables peuvent se produire mais les origines se trouvent plutôt dans les farines animales que dans une nouvelle souche d'ESB.

L'autre remarque que je ferai porte sur les pratiques que vous souhaitez mettre en place. Il y avait 3 textes très importants : tout d'abord, l'interdiction sur les farines animales, ensuite toutes les parties de bovins extraites de la chaîne alimentaire et la règle des plus de 30 mois.

La règle des plus de 30 mois signifie qu'aucun bovin de plus de 30 mois n'entre dans la chaîne alimentaire. La raison est la crainte liée au nombre de cas pré-cliniques d'ESB, en période d'incubation de la maladie c'est-à-dire sans les signes cliniques.

Le ratio de cas pré-cliniques aux cas cliniques est un chiffre difficile à déterminer mais une bonne estimation est possible. Pour chaque cas d'ESB, il pourrait y avoir 25 à 50 cas pré-cliniques.

Autrement dit, si vous avez eu 176 cas cliniques au cours des huit dernières années, cela pourrait se traduire par 23 000 cas pré-cliniques qui auraient pu entrer dans la chaîne alimentaire. Cela doit être comparé aux chiffres britanniques.

En France, l'incidence est de 2,7 cas d'ESB par million de bovins ; 100 cas par million de bovins est un taux élevé et, au Royaume-Uni, au pic de l'épidémie, il y avait 3 700 cas par million de bovins. Vous comprenez pourquoi je dis que la France n'est pas le Royaume-Uni.

S'agissant des cas de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, il y en a eu 85 au Royaume-Uni contre 3 chez vous mais je crois savoir qu'un de ces cas concernait une personne qui faisait de la culture physique et s'injectait des protéines de bovins pour améliorer ses performances.

Un choix important qui n'a pas été fait au Royaume-Uni était d'abattre tout le troupeau lorsqu'un cas apparaissait. C'est une mesure très dure, il y a 37 000 exploitations agricoles au Royaume-Uni. C'est la politique en France, elle est tout à fait judicieuse.

Vous n'avez pas le dispositif pour les bovins de plus de 30 mois. Votre Assemblée nationale, vos scientifiques et vos pouvoirs publics souhaiteraient peut-être l'envisager ; c'est un dispositif législatif coûteux mais du fait qu'une vache portant la maladie signifie entre 25 et 50 cas pré-cliniques, vous devriez peut-être l'envisager. Le fait que vous abattiez des troupeaux entiers quand vous découvrez un cas traite en grande partie de l'ESB.

En Grande-Bretagne, des troupeaux avec plus de 4 vaches atteintes de la maladie étaient responsables pour environ 79 % de l'ensemble des cas. Cette politique d'abattage d'un troupeau doit être pesée par rapport à la question du dispositif des plus de 30 mois. En Grande-Bretagne, environ 35 000 exploitations agricoles avaient un cas ou plus.

Je pense avoir posé le point de vue du Royaume-Uni, vous pouvez donc apprendre de nos erreurs, en tirer les enseignements, nous en avons commis beaucoup et vous avez beaucoup à apprendre.

M. REVOL.- Merci de ces propos qui nous rassurent beaucoup. Je demande à mes collègues parlementaires s'ils ont des questions.

M. BATAILLE.- Je veux féliciter le Professeur Mc CONNELL pour la franchise de son propos et notamment la manière dont il vient, sans appel, d'approuver l'abattage de la totalité du troupeau qui est pratiqué chez nous mais qui est un sujet de polémique.

Si j'ai bien entendu ce que vous dites, nous devons persévérer dans cette voie de l'abattage d'un troupeau quand une bête est contaminée. Avez-vous connaissance des politiques pratiquées par les autres pays européens ? Y a-t-il des pays qui, comme la France, pratiquent l'abattage systématique des troupeaux ou sommes-nous les seuls à avoir mis en oeuvre cette politique en Europe ?

Pr Mc CONNELL.- En Irlande, ils ont abattu tous les bovins puis les ont envoyés à l'usine de fabrication de viande. Cela paraît une bonne politique mais il faut se poser la question de savoir où vont les bovins.

Au cours de l'enquête sur l'ESB en Angleterre, des données indiquaient que si le Royaume-Uni avait adopté une politique d'abattage de troupeaux entiers, cette courbe aurait été 10 % moins importante.

C'est une politique très dure car si une ferme achète un veau qui sera le seul à porter l'ESB, quand il aura 3 ou 4 ans, il faudra abattre le troupeau entier en raison de l'importation de cette seule vache.

C'est très dur pour les fermes et si nous avions appliqué cette politique au Royaume-Uni, nous aurions assisté à l'effondrement total de notre industrie laitière.

Les hommes politiques se sont posés la question. J'appelle cela la question dite « Margaret THATCHER ». Lorsqu'on se battait dans les îles malouines, Margaret THATCHER demandait combien de vies valaient les îles malouines. Quelqu'un a peut-être posé la question, Madame THATCHER l'a peut-être fait : combien de vies vaut l'industrie laitière ?

Par ailleurs, cela aurait peut-être décimé la filière laitière britannique. La question est donc erronée.

Si j'avais été le responsable vétérinaire, j'aurais démissionné, j'aurais abattu tous les troupeaux puisque nous sommes confrontés à une maladie avec une très longue période d'incubation.

D'autres pays abattent des troupeaux entiers. En Grande-Bretagne, nous avons survécu à la crise, aucun bovin de moins de 2 ans et très certainement de 3 ans ne porte la maladie. Bien que le Royaume-Uni ait encore 1 000 cas, ils touchent des bêtes plus anciennes.

M. LE DEAUT.- Monsieur le Professeur, vous venez de nous indiquer des chiffres qui paraissent très importants : 54 000 cas pré-cliniques avant 1985 et 500 000 avant que ne soient prises un certain nombre de décisions. Cela signifie que pratiquement la totalité des Anglais et de ceux qui ont mangé de la viande anglaise ont mangé des cas pré-cliniques. Nous parlerons de cette question cet après-midi quand nous aborderons la transmission à l'homme mais confirmez-vous ces chiffres, le fait que tout le monde en ait mangé ?

Ce sont des risques pris il y a un certain nombre d'années dans nos pays européens et particulièrement en Grande-Bretagne ; aujourd'hui, avec les mesures prises, il y aurait moins de risques.

Par ailleurs, vous venez de dire qu'on avait abattu tous les bovins de plus de 30 mois, qu'en avez-vous fait ? Ont-ils tous été incinérés ? Reste-t-il des farines animales non incinérées stockées et y a-t-il danger au niveau de l'épidémie ?

Enfin, sur l'abattage systématique du troupeau, pensez-vous qu'il faudra maintenir la nécessité d'abattre systématiquement si un test fiable est mis au point ?

Pr Mc CONNELL.- Pour répondre à votre première question, malheureusement, la réponse est oui : 500 000 cas sont entrés dans la chaîne alimentaire de l'homme à un moment où il y avait environ 8 000 à 10 000 cas d'ESB. L'infection a commencé en 1970 et, en 1990, l'épidémie était en progression depuis environ 15 ans.

En France, si l'on attribue l'origine aux farines animales britanniques, avec les interdictions mises en place, nous n'assistons pas au niveau d'ESB constaté au Royaume-Uni avant de prendre des mesures.

Faut-il maintenir cette politique d'abattage ? C'est un peu comme notre règle pour les plus de 30 mois. Nous n'allons pas changer la règle pour les plus de 30 mois ou l'interdiction des farines animales. Il est clair que l'interdiction des farines animales existera à jamais car ce qui amplifie la fréquence des maladies à prions est le cannibalisme.

S'agissant de cette politique d'abattage de troupeaux, jusqu'à ce que vous n'ayez plus de cas d'ESB, elle sera nécessaire.

M. LE DEAUT.- Qu'avez-vous fait des bovins de plus de 30 mois ? Ont-il tous été incinérés ? Reste-t-il des farines stockées ? Y a-t-il danger dans ce cas ?

Pr Mc CONNELL.- Non, il y a eu 4 500 000 bovins abattus selon la règle des plus de 30 mois, ce qui a donné lieu à 400 000 tonnes de farines animales, 600 000 de suif, et une montagne de viande morte contrôlée strictement sur des sites désignés. Il est prévu que cette montagne soit incinérée au cours des 3 à 4 années à venir. La capacité maximale d'incinération pour cette montagne de viande morte est de l'ordre de 50 000 à 80 000 tonnes par an.

Autrement dit, ces bovins n'entrent pas du tout dans la chaîne alimentaire, c'est interdit. Le dispositif coûte 1,5 milliard de livres par an en indemnisation. Les bovins sont abattus et le fermier indemnisé pour les plus de 30 mois.

C'est une question dont vous devez débattre. C'est une mesure très rassurante pour ce qui est de la santé publique car vous pouvez affirmer qu'aucun cas pré-clinique n'entre dans la chaîne alimentaire.

Vous avez parlé de l'incidence des cas pré-cliniques. Nous avons un système en place au Royaume-Uni, que vous avez en France je crois, qui est de tester post-mortem les cervelles des bêtes affectées afin de rechercher des changements spongiformes. Nous avons ce système également.

Les résultats indiquent 5 % pour les bêtes de plus de 2 ans. C'est encore un chiffre assez élevé. Je ne sais pas quel est le chiffre pour la France.

M. LENOIR.- Quand vous parlez des responsabilités britanniques, la question se pose de savoir s'il y a dans le processus de fabrication des farines animales des responsables au niveau public ou industriel qui ont pris la responsabilité de produire des farines animales à des normes qui comportaient des risques.

Est-ce que les normes qui s'appliquaient à la Grande-Bretagne lui étaient propres ? Avaient-elles fait l'objet d'une évaluation ?

Est-ce que l'on peut parler de pratiques qui relevaient de la responsabilité de certains industriels ?

Autrement dit, est-ce que dans le dispositif industriel britannique on peut désigner certains responsables, notamment est-il exact que les troupeaux contaminés sont rassemblés plutôt dans la partie sud de la Grande-Bretagne et qu'on trouverait peu de cas dans la partie nord, ce qui laisserait entendre que certaines industries produisant des farines animales seraient plus responsables que d'autres de l'origine du problème ?

Pr Mc CONNELL.- Je ne suis pas expert des normes de la production des farines animales au Royaume-Uni, je parlerai à titre personnel.

Lorsque l'interdiction des farines a été introduite, elle n'a pas eu beaucoup d'effet sur l'incidence de la maladie. En 1988, les farines ont été interdites mais l'épidémie a continué. L'une des raisons est que la prohibition des farines n'a pas été totale, les agriculteurs continuaient à utiliser les farines qu'ils avaient en stock et les fabriques n'ont pas complètement nettoyé leurs systèmes.

Il n'y a pas eu ce rappel de produits très rapide comme dans l'industrie automobile. Ce n'est qu'en 1996 qu'on a pu être certain que les farines carnées n'étaient plus données au bétail parce que devenues illégales au début des années quatre-vingt dix. Il est devenu illégal d'avoir des farines animales mais il y a eu un retard.

Les processus de production étaient relativement sûrs dans la mesure où maintenant on utilise d'autres systèmes d'alimentation, mais il y a eu un certain retard. Quand on fait ce rappel de farines carnées, il faut s'assurer que c'est un couperet, même si cela signifie détruire pour les industries.

Quelle est votre deuxième question ?

M. LENOIR.- Est-ce que certains industriels britanniques ont porté une responsabilité plus marquante que d'autres ?

Il a été dit que les troupeaux contaminés se trouvaient plus dans la partie sud de Grande-Bretagne compte tenu de la présence de certaines entreprises de fabrication de farines animales plus importante que dans la partie nord.

Pr Mc CONNELL.- Au Royaume-Uni, il n'y a que 5 à 6 centres importants de production. La raison pour laquelle la maladie était prévalente dans le sud-ouest provenait du fait que c'était là où se trouvaient les troupeaux de vaches laitières. 79 % de cas d'ESB étaient dans les troupeaux de vaches laitières.

Dans mon pays, en Ecosse, ce sont principalement des troupeaux pour la viande et les cas d'ESB dans les troupeaux destinés à la viande venaient du fait que des veaux avaient été remplacés.

Il y a peut-être des gens en situation illégale mais d'autres ont appliqué nos lois partout. Il n'y a rien de spécifique aux agriculteurs, ils sont comme les banquiers, comme les autres, il y a toujours des gens qui ne respectent pas les lois.

Dans le cas de l'ESB, les sanctions sont très graves si les agriculteurs ont des stocks de farines carnées alors qu'ils ne devraient pas en avoir.

Pr ELOIT (Professeur de virologie à l'Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort).- Je serai très bref dans la mesure où on nous a demandé de faire un exposé introductif de nos travaux de recherche. Je suis responsable d'un laboratoire de génétique des virus et, comme nous travaillons sur le rôle de la Prp dans certains phénomènes de neuro-invasion, je ne pense pas que ce soit de nature à passionner l'assistance.

Corinne LASMEZAS a préparé une série de transparents magnifiques sur les aspects transmission de l'ESB, je me propose de lui laisser la parole. S'il fallait compléter, je la reprendrais.

Mme LASMEZAS (Service de neurovirologie de la direction des science du vivant du CEA).- Je vais tenter de vous dresser un tableau récapitulatif succinct de ce que l'on sait à l'heure actuelle sur la transmission de l'ESB à l'animal.

L'épidémie de l'ESB en Grande-Bretagne a débuté par la contamination de farines d'os et de viande à partir de cadavres de ruminants. Ensuite, le passage dans ces farines des déchets des premiers bovins infectés par l'agent de l'ESB et le recyclage ont été à l'origine de l'épidémie en Grande-Bretagne et des cas dénombrés dans d'autres pays européens.

L'ESB a également contaminé accidentellement des antilopes et d'autres ruminants sauvages dans des zoos britanniques, ainsi qu'un certain nombre de carnivores tels que des lions, des tigres, des pumas, des guépards dans des zoos britanniques, ainsi que le chat domestique, ce qui avait soulevé une première vague d'inquiétude dès 1990 en Grande-Bretagne. C'était la première fois que des chats domestiques étaient atteints d'une encéphalopathie spongiforme transmissible.

Sur le plan expérimental, la transmission de l'ESB a été tentée à d'autres animaux de rente qui avaient également été exposés aux farines potentiellement contaminées, à savoir le porc et le poulet. Les transmissions ont été tentées par voie alimentaire et parentérale intracérébrale principalement. La seule transmission qui ait réussi était la voie intracérébrale dans le cas du porc.

S'agissant de la voie alimentaire, l'ESB n'a pu être transmise ni au proc ni au poulet. Je vais revenir sur la transmission aux autres espèces.

Un gramme de cerveau de bovin infecté suffit à infecter une vache par voie alimentaire. Elle développe alors la maladie selon une durée moyenne de 5 ans et demi.

Une autre étude conduite visait à déterminer les organes infectieux chez le bovin tout au long de la maladie, depuis le moment où il se contaminait en ingérant du matériel contaminé jusqu'au moment où il tombait malade.

Pour ce faire, l'expérience a débuté par la contamination de petits veaux avec 100 grammes de bovin infecté. Ces veaux ont été sacrifiés au cours du temps, leurs organes ont été prélevés et testés pour leur infectiosité par inoculation à la souris qui est le seul moyen actuellement de détecter directement la présence de l'agent infectieux.

Les tissus infectieux trouvés ont été le système nerveux central, le cerveau, la moelle épinière, les ganglions rachidiens, et ce dans les stades tardifs de la maladie à partir de 32 mois, tous les animaux étant morts 40 mois après la contamination.

Le deuxième type d'organe trouvé infectieux est l'iléon, c'est-à-dire une petite partie de l'intestin grêle riche en cellules du système immunitaire, qui constitue donc la première barrière du système immunitaire après une infection par voie alimentaire. Cet iléon a été trouvé positif très tôt dans la maladie, six mois après la contamination.

Cependant, rappelons-nous qu'il s'agissait d'une injection par une dose très importante d'agent infectieux concentrée dans l'intestin. Dans les cas d'ESB naturelle, en phase clinique, sur les trois cas étudiés, aucun ne présentait d'infectiosité dans l'intestin, elle n'a été retrouvée que dans le système nerveux central, c'est-à-dire le cerveau et la moelle épinière.

Une question cruciale est de savoir ce qu'il en est de la présence possible d'infectiosité dans le lait. Une expérience a été menée en Grande-Bretagne qui a consisté à prélever 10 litres de lait provenant de vaches atteintes d'ESB à différents stades de la lactation et de mener un essai biologique chez la souris par administration par voie orale, à raison de 10 ml par souris par jour pendant 40 jours, ce qui équivaudrait à la consommation d'un demi-litre par jour pendant 7 ans pour un homme de 70 kilos. Aucune des souris inoculées n'a présenté de signes neurologiques.

L'ESB est également transmissible au mouton. 0,5 gramme de cerveau de bovin infecté suffit pour transmettre la maladie au mouton. Que ce soit après transmission par voie intracérébrale ou par voie alimentaire, dans les deux cas, de l'infectiosité est retrouvée à la fois dans le cerveau et dans la rate, ce qui n'était pas le cas chez les bovins. Ceci montre clairement qu'il existe une différence de répartition de l'infectiosité, qu'il s'agisse du bovin ou du mouton, avec une distribution plus large de l'infectiosité chez le mouton.

C'est ce qui a conduit les scientifiques à se poser la question d'une présence de l'agent infectieux dans le sang puisque présence d'infectiosité en périphérie signifie re-circulation de l'agent infectieux dans la circulation sanguine. Effectivement, il a été démontré récemment que l'ESB est transmissible par transfusion sanguine chez le mouton à partir de moutons nourris avec du cerveau de bovins infectés.

L'ESB se transmet également à la souris. Ceci est une photographie prise au laboratoire sur une souris que nous avions inoculée et qui est tombée malade 500 jours après l'inoculation. Il s'agit d'une souris relativement âgée. Vous constatez sa posture anormale, recroquevillée et voûtée.

Dans le cerveau de ces souris, on retrouve les lésions typiques de spongiose, c'est-à-dire des trous dans le cerveau, avec des neurones noirs qui meurent et la présence de la protéine du prion pathologique qui peut servir de marqueur de l'infectiosité.

Nous avons utilisé ce modèle de transmission de l'agent de l'ESB à la souris pour tenter de déterminer les voies exactes empruntées par l'agent infectieux après qu'il ait été ingéré. Pour ce faire, le protocole expérimental comportait l'administration d'un broyat de cerveaux infectés à des souris à l'aide de biberons, et de sacrifice régulier des souris au cours du temps jusqu'à la phase clinique de la maladie qui survenait très tardivement (370 à 410 jours).

A chaque sacrifice, 22 échantillons étaient prélevés et une recherche de protéine du prion pathologique, marqueur de l'infectiosité, était réalisée.

Dès un mois et demi après l'infection, vous pouvez constater la présence de la protéine du prion pathologique dans les plaques de Prayer qui sont ces fameuses formations lymphoïdes présentes dans l'iléon, donc dans une petite partie de l'intestin grêle, et dans des ganglions lymphatiques associés au tube digestif.

Deux mois après l'infection, il y a augmentation de la quantité de cette protéine du prion pathologique dans ces organes, ce qui montre que l'agent infectieux s'est multiplié dans ces formations lymphoïdes et dans les ganglions lymphatiques associés au tube digestif. Il n'y avait présence de cette protéine de prion nulle part ailleurs.

Ce schéma vous résume la séquence d'apparition du prion pathologique dans les différents organes au cours du temps. Pour résumer, il y a d'abord les ganglions lymphatiques, et les plaques de Prayer, organes lymphatiques associés au tube digestif, puis plus tardivement les autres organes lymphatiques, ce qui implique entre les deux étapes une re-circulation de l'agent infectieux par le sang. Le système nerveux central (moelle épinière, cerveau) est infecté très tardivement.

Une différence majeure a été notée entre deux modèles que nous avons utilisés, celui de l'ESB et celui de la tremblante : la présence de protéine du prion pathologique tout le long du tube digestif dans le cas de la tremblante uniquement, depuis l'estomac jusqu'au gros intestin. Nous constatons l'absence de prion pathologique dans le cas de l'ESB, il n'est localisé que dans les plaques de Prayer donc dans les formations lymphoïdes.

Cependant, la quantité de protéine du prion pathologique dans l'intestin, dans ses formations périphériques, est moindre que celle présente dans le système nerveux central, à peu près 1/50ème. C'est une donnée importante.

Nous avons également transmis l'ESB au primate. Le primate constitue le meilleur modèle permettant une estimation du risque que représente l'ESB pour l'espèce humaine. Nous avons utilisé le macaque qui est un singe de l'ancien monde, qui est donc génétiquement l'une des espèces les plus proches de l'homme que l'on puisse utiliser à des fins expérimentales.

Ceci nous a permis, dès 1996, c'est-à-dire lors de l'annonce de 10 cas d'une nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob au Royaume-Uni, chez des patients qui tous étaient jeunes, qui tous présentaient une même symptomatologie et des lésions cérébrales identiques et particulières que l'on a appelées les plaques florides, de constater que les lésions retrouvées dans le cerveau de singes inoculés expérimentalement avec l'agent de l'ESB étaient strictement identiques à celles retrouvées dans le cerveau des patients atteints du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Ces plaques florides ont un centre très dense, entouré de vacuoles, qui leur donne un aspect en marguerite. Les dépôts de protéine du prion étaient également strictement identiques dans ces deux maladies. C'était le premier argument expérimental permettant de montrer qu'il existe un lien entre l'ESB et le nouveau variant de cette maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme.

Cette hypothèse a été étayée depuis par un certain nombre d'autres arguments au niveau biochimique. Les protéines du prion, de l'ESB et du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sont identiques et différentes de la protéine du prion que l'on trouve dans la tremblante. Vous observez une différence de migration dans un gel d'électrophorèse.

Nous avons également pu transmettre la maladie chez la souris à partir de macaques infectés par l'ESB, à partir de vaches infectées par l'ESB et à partir de patients atteints du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Nous constatons que l'agent de l'ESB et l'agent responsable du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob présentent le même tropisme chez la souris, les lésions se trouvent dans les mêmes endroits, ce qui prouve que l'agent infectieux est le même.

Vous voyez ici un exemple dans le bulbe d'une vacuolisation dans le cas de l'ESB et du nouveau variant alors qu'il n'y a rien dans le cas de la tremblante. Si l'on s'amuse à compter le nombre de trous dans tout le cerveau, on peut dresser, en fonction des zones cérébrales, des courbes.

La courbe créée par l'ESB et celle du nouveau variant sont identiques. En revanche, une courbe de tremblante est très différente.

Nous avons actuellement la preuve expérimentale que l'agent de l'ESB a bien contaminé l'espèce humaine.

Je vous remercie.

M. REVOL.- Merci madame pour la qualité de votre pédagogie, c'est d'une clarté remarquable, même pour des non-scientifiques.

Pr ELOIT.- Je voudrais insister sur 2 ou 3 points, sur les aspects chronologiques qui ne sont pas toujours évidents pour les personnes qui s'intéressent à l'ESB.

Les cas que nous voyons actuellement, pour l'essentiel, ont été contaminés en 1994-95 par des farines. Depuis 1996, en principe, ces farines destinées à d'autres espèces animales que les bovins sont fabriquées avec des aliments consommables pour l'homme. Par ailleurs, elles sont thermisées depuis 1998.

Gardons en tête que les cas que nous observons sont de contamination relativement ancienne, et que l'efficacité à partir de 1996 et de 1998 de la sécurisation des farines n'est ni démontrée ni infirmée.

Par rapport à ce qu'a dit Corinne LASMEZAS sur la dissémination du prion dans l'organisme des bovins, il faut rappeler que deux types de tissus sont enlevés de la consommation humaine : un premier type où l'on a mis en évidence, de manière indubitable, une infectiosité, c'est-à-dire le système nerveux central, et une petite partie de l'intestin que l'on appelle l'iléon. Toutes les autres parties enlevées, c'est-à-dire le reste de l'intestin, le thymus, les amygdales ne le sont que par précaution par rapport à ce que l'on imagine être la physiopathologie de l'infection, sans que l'on n'ait jamais, dans le modèle bovin, mis en évidence la moindre infectiosité dans ces tissus.

Enfin, contrairement à ce que je viens de dire pour les bovins, l'agent de l'ESB chez le mouton a une dissémination beaucoup plus large. La présence de l'agent de l'ESB chez le mouton n'est pas démontrée mais compte tenu du faible nombre de prélèvements testés, on ne peut pas dire qu'il soit infirmé non plus avec une sensibilité suffisante.

Si la présence de l'ESB chez le mouton devait être démontrée un jour, nous aurions beaucoup de mal à gérer ce problème avec une approche de type MRS, c'est-à-dire en enlevant spécifiquement un certain nombre d'organes à risque compte tenu de la diffusion possible dans l'ensemble de l'organisme de l'animal de cet agent infectieux.

M. SAVEY (Directeur du service de la santé animale de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments).- Compte tenu du temps qu'il nous reste et compte tenu des précédents exposés, je vais simplement essayer de vous illustrer ce qu'est actuellement la situation française et quels peuvent en être à la fois les déterminants et ce que l'on peut essayer de projeter sur l'avenir.

Avant de commencer cet exposé, je voudrais remercier très sincèrement le professeur Ian Mc CONNELL pour son très grand fair-play et pour avoir de nouveau dit ce qu'avaient dit un certain nombre de collègues britanniques, à savoir que les méthodes employées en France pour la gestion de cette affaire depuis maintenant 1990 ne sont pas si mauvaises qu'on a pu le dire à un moment ou un autre.

S'agissant du moteur et du type de développement, que ce soit au Royaume-Uni ou en France, l'essentiel est fondé sur un cycle de dissémination-amplification par les bovins à partir de farines de viandes contaminées. Ces farines de viandes soit peuvent entrer directement dans la ration destinée aux bovins, soit peuvent polluer cette ration en étant issue d'autres espèces.

Il est important de rappeler qu'en France les farines de viandes ont été interdites dans la ration des bovins en 1990 et que, depuis 1996, celles qui étaient encore utilisées pour les autres animaux ont fait l'objet de mesures qu'a rappelées Marc ELOIT.

Il est intéressant, et nous ne nous étions pas concertés avec Ian Mc CONNELL, de regarder non seulement le nombre de cas par pays, le développement du nombre de ces cas, mais aussi de les ramener à un dénominateur commun qui est le nombre de bovins à risque (en l'occurrence le nombre de bovins adultes de plus de 2 ans).

J'ai exclu de ma carte le Royaume-Uni car le nombre de cas est d'un autre ordre de grandeur ; nous y trouvons deux types de pays : ceux qui ont réussi à identifier des cas avant 1996 et ceux qui n'ont réussi à le faire qu'après 1996. On les identifie assez facilement.

Il y a par ailleurs des pays qui ont un nombre de cas significatif, essentiellement la France, la République d'Irlande, le Portugal et la Suisse.

Il est intéressant de regarder rapidement l'ensemble de ces pays et de remarquer que pour deux d'entre eux, la France et la Suisse, il semble qu'il y ait une augmentation du nombre de cas ; ces deux pays portent deux petits signes qui indiquent que les modalités de surveillance ont profondément évolué, ce qui ne veut pas dire que l'augmentation est seulement due à l'augmentation de puissance de la détection des cas mais il est clair qu'on ne peut trouver que ce que l'on cherche réellement.

Voilà deux pays qui enregistrent une augmentation (ces chiffres datent d'octobre mais augmentent toujours) et qu'il serait intéressant d'analyser plus en avant.

Il est aussi intéressant de ramener ce nombre de cas bruts à un dénominateur commun. Nous retrouvons ce que vient de vous dire Ian Mc CONNELL, à savoir que lorsqu'on ramène ce nombre de cas à la population à risque, étant donné que nous sommes le premier pays d'élevage en Europe, les chiffres absolus que je vous ai montrés se nuancent de façon quelque peu différente. Effectivement, pour un pays comme le Portugal ayant un cheptel du 20ème du nôtre, la différence avec la France apparaît très nettement ; la situation de l'Irlande doit être relativisée, comme celle de l'Irlande du Nord.

On pourrait descendre à un niveau infra national et remarquer qu'en Grande-Bretagne, le nombre de cas résiduels, qui sera cette année de l'ordre de 1 500 à 1 800, se concentre essentiellement en Angleterre alors que, peu à peu, le nombre de cas constatés en Irlande du Nord, en Ecosse ou au Pays de Galles devient très faible et comparable en termes d'incidence à la situation française.

Si l'on veut bien décrire la situation française, il faut employer ce petit indicateur qui est l'incidence ramenée aux millions de bovins adultes, et distinguer les années de 1991 à 1999 pour lesquelles on calculait ces chiffres à l'aide d'un système d'épidémio-surveillance dite passive, qui consiste à repérer les cas suspects, à les abattre et à les analyser au laboratoire.

Depuis juillet 1999, la Commission européenne a validé des tests ayant un double intérêt : ils sont suffisamment sensibles et permettent surtout de mettre en oeuvre non pas quelques dizaines d'analyses par semaine mais plusieurs centaines. Cela permet de passer à une autre phase complémentaire de la première qui se marque dans l'ensemble des maladies infectieuses et qui est une phase de surveillance active connue dans le grand public sous le nom d'étude pilote ou d'étude test.

Cette phase d'étude pilote est concentrée pour l'instant sur trois régions (Bretagne, Basse-Normandie, Pays-de-Loire).

Pour l'année 2000, au 17 novembre, vous avez là les chiffres les plus récents à la disposition du laboratoire de référence situé à l'AFSSA à Lyon, obtenus avec la collaboration de l'ensemble des services et laboratoires qui participent à cette très grande étude, la plus importante quantitativement développée au monde jusqu'à présent puisqu'il est prévu de faire 40 000 tests.

Dans l'année 2000, il faut distinguer la période qui va jusqu'au 8 juin, pendant laquelle on est resté dans un système de surveillance passive, pendant laquelle on avait identifié 21 cas dont 12 dans cette région cible de l'étude pilote. Après le 8 juin, on introduit une épidémio-surveillance active qui décuple ou centuple la puissance d'identification des cas, d'autant qu'elle est centrée sur des animaux à risque, des animaux soit morts naturellement en élevage, soit euthanasiés parce qu'en situation terminale, soit présentés en abattage d'urgence.

Vous avez ici le nombre de cas qui viennent compléter les 21 pour faire 110, c'est-à-dire 89 : 42 par l'épidémio-surveillance active, donc concentrés sur ces 3 régions, et 47 par l'épidémio-surveillance passive qui reste évidemment en oeuvre dans ces régions mais aussi sur l'ensemble du territoire national.

Il y a toujours plusieurs façons de lire des chiffres. Au-delà des chiffres, il y a leur interprétation. La première façon de lire la situation française est de la poser sur une carte.

Une première carte, complétée par une deuxième qui s'intéressera à notre région cible des études tests, comporte un mode de représentation distinguant les cas nés après l'interdiction des farines de viande chez les bovins, c'est-à-dire juillet 1990, de ceux nés avant cette interdiction.

De façon à être le plus informatif possible, on met en cartouche la couleur. C'est une façon intéressante de lire la situation dans la mesure où elle vous permet de localiser les cas et d'avoir de façon assez synthétique une idée de leur âge de repérage, etc.

Maintenant, quand on lit la situation présente dans les trois régions soumises à l'étude test, il faut à la fois distinguer les animaux atteints par l'ESB mais nés avant l'interdiction de ceux repérés.

Pour distinguer ceux repérés dans l'étude pilote avec les tests systématiques, on les entoure en blanc et on laisse les autres dans les cartouches.

Sur cette région, vous avez en termes de population de base un tiers du cheptel français.

Il existe une autre façon de lire qui revient sur le commentaire de Marc ELOIT et qui l'illustre : considérer le nombre de cas non pas par l'année à laquelle ils sont identifiés mais par leur année de naissance.

Pourquoi est-il important de les considérer par leur année de naissance ? Nous observons 2 vagues (il y en a peut-être plus de 2, il faudra retravailler lorsque nous aurons nos 40 000 résultats).

Il existe une première vague où les animaux sont nés jusqu'en 1983, et dont l'infection est très probablement due à des farines de viandes et d'os britanniques. L'interdiction de 1990 donne un coup de hache à l'émergence de cas.

Manifestement, à partir de 1993, on observe 3 colonnes qui se remplissent beaucoup.

Il est intéressant de noter la contribution de l'épidémio-surveillance active, c'est-à-dire l'étude pilote menée systématiquement depuis le mois de juin. Elle est indiquée par un petit trait qui vient renforcer les numéros de cas portés ici.

Avec ces pyramides démographiques, on peut avoir une idée de la projection vers le futur, en faisant très attention à ne pas sur-interpréter ce genre de données.

De façon à bien visualiser la contribution de l'étude pilote au nombre total et à la description des cas, vous avez ici rassemblés les 43 cas identifiés actuellement par l'étude pilote sur les 3 régions, et leur contribution relativement importante à la pyramide globale, en particulier dans certaines classes d'âge, ce qui paraît logique compte tenu de ce que nous connaissons sur cette maladie dans notre pays.

TEMOIGNAGE DE MONSIEUR MAURICE WASCELAIRE (éleveur ayant eu une bête malade sans lui avoir donné de farines carnées)

M. REVOL.- Jean-Yves LE DEAUT a eu connaissance dans les Vosges d'un cas un peu particulier que connaît aussi Christian PONCELET. Nous avons demandé à Monsieur Maurice WASCELAIRE de nous apporter son témoignage et de poser une question aux intervenants de la table ronde.

Je lui laisse la parole. Il a eu une bête malade alors qu'apparemment elle n'avait jamais consommé de farines animales.

M. WASCELAIRE.- Je suis agriculteur producteur de lait dans le département des Vosges, sur la montagne. Je suis installé depuis 1974. L'installation est à 650 mètres d'altitude. J'ai 77 hectares de prairie naturelle pour 39 vaches laitières et autant de génisses.

Elles sont au pâturage l'été en prairie naturelle, avec pour complémentation alimentaire en moyenne 1 kg d'aliments « vache laitière », plus de la luzerne déshydratée et du maïs épi. L'hiver, elles consomment le fourrage récolté sur nos prairies naturelles, 1 kg par jour d'aliments « vache laitière », du maïs épi et de la luzerne.

La production de lait est plutôt extensive avec 4 800 kilos de lait par vache par an. Ce n'est pas très élevé, même dans ma zone.

Dans mon aliment à vache, à ma connaissance, je n'ai jamais acheté de farines de viandes. Quand je lis mes étiquettes, il est indiqué « issu de produits de meunerie, issu de produits de la fabrication du sucre, huiles et graisses ». Mes fournisseurs d'aliments me disent qu'il n'y a jamais eu de farines de viande. Je ne sais pas comment le cas est apparu.

M. LE DEAUT.- La vache malade est-elle née chez vous ?

M. WASCELAIRE.- Je suis installé depuis 1974 et, depuis cette date, il n'y a eu aucune introduction d'animaux. J'ai repris l'exploitation à la suite de mon père et depuis j'ai toujours élevé.

M. LE DEAUT.- Cette vache est née chez vous. Au début de sa vie, lui avez-vous donné des substituts lactés en plus du lait de la mère ?

M. WASCELAIRE.- Je pense que oui parce qu'en recherchant mes factures, j'ai constaté l'achat d'alimentation lactée.

M. LE DEAUT.- Il y a vraisemblablement dans les substituts lactés des graisses. N'est-il pas possible de former l'hypothèse selon laquelle il peut y avoir contamination à travers l'injonction de graisses animales dans d'autres produits maintenant interdits ?

M. ROBELIN.- Je prendrai beaucoup de précautions dans ma réponse car il est difficile de porter un diagnostic sur quelque chose qu'on ne voit pas.

Concernant les graisses et l'alimentation lactée, je ne mettrai pas l'origine à ce niveau. Les graisses utilisées dans l'alimentation lactée pour les veaux sont traitées comme celles utilisées dans les biscuits.

Le taux de protéines dans ces graisses est inférieur à 0,5 %. Personnellement, je ne fonderai pas l'hypothèse sur l'alimentation lactée.

Sans vouloir porter un diagnostic, en écoutant le récit, je m'interrogerais sur l'aliment appelé « vache laitière » sans faire porter aucune responsabilité à quiconque. Nous n'avons pas la preuve en écoutant que l'aliment dit « vache laitière » ne contenait pas de farines animales mais, encore une fois, je ne voudrais pas accuser quiconque dans cette affaire.

Actuellement, un certain nombre de circuits sont « tracés » et les aliments donnés aux animaux dans un certain nombre de circuits tracés sont, au moment de l'achat, mis sous forme d'échantillon conservé avec un numéro de référence.

Je ne veux pas refaire le monde mais dire que nous sommes dans un système de traçabilité de l'alimentation qui permettrait maintenant de retrouver l'origine du problème. Il faudrait avoir des échantillons de l'aliment donné et faire une analyse pour répondre réellement. Je n'ai émis qu'un certain nombre d'hypothèses mais je voulais par la fin de mon intervention dire que l'on avait fait un certain nombre de progrès sur la traçabilité que nous ne pouvons qu'encourager.

En clair, prendre des échantillons de l'alimentation s'appelle un système de type assurance qualité ; ces échantillons étant conservés, on peut ensuite apporter des réponses basées sur des analyses alors que je ne peux faire que des hypothèses.

M. LE DEAUT.- Quel âge avait la bête ?

M. WASCELAIRE.- La bête est née en 1995.

M. REVOL.- On ne peut pas porter de diagnostic mais on peut se poser la question de savoir si lorsqu'un cas est détecté, on mène une enquête chez l'éleveur pour améliorer la connaissance des causes de la transmission.

M. SAVEY.- Une enquête systématique est faite par la brigade nationale d'enquête vétérinaire qui a une méthodologie d'exploration bien typée. Mais ce type d'enquête doit être complété par des protocoles où on ne s'intéresse pas seulement aux cas mais à des animaux comparables qui sont soumis globalement aux mêmes facteurs de risque et qui ne sont pas malades.

C'est une étude dite « CAC témoin ». Un protocole a été élaboré et va très vite être mis en oeuvre.

La question soulevée par chaque cas est singulière. Or, les réponses que nous avons jusqu'à présent sont globales. On sait que globalement, jusqu'à présent, la voie essentielle d'exposition des bovins est d'ordre alimentaire. C'est une première chose.

Dans cet ordre alimentaire, il peut y avoir des croisements de circuit avec des farines de viande non suffisamment sécurisées, il peut y avoir d'autres hypothèses qu'il convient d'explorer, liées à la qualité d'autres aliments, en particulier les aliments d'allaitement

A côté de cette hypothèse alimentaire qui constitue l'essentiel du moteur du cycle dissémination-amplification, d'autres hypothèses ont été envisagées et ont reçu au Royaume-Uni, compte tenu de la non-pratique de l'abattage des troupeaux, des débuts de confirmation. Il est estimé que dans ce pays (selon les modalités de calcul, le chiffre varie) quelques pour-cents des cas actuellement constatés sont liés à une transmission directe entre la mère et le veau.

Rien n'interdit, du point de vue scientifique, d'autres hypothèses qui contribueraient très peu au problème en ce moment mais qui pourraient y contribuer de façon plus significative dans le futur. Je profite de cette question pour dire que le vrai problème devant nous tous, aussi bien au Royaume-Uni que dans d'autres pays, n'est plus le contrôle du mode épisodique de la maladie mais de vivre avec une maladie qui va très probablement persister à bas bruit mais pendant très certainement très longtemps.

En termes de santé publique comme en termes de mise en oeuvre d'une série de mesures de précaution, c'est le problème auquel il faut réfléchir dès maintenant, c'est-à-dire essayer de bien identifier par les études appropriées ce qui pourrait quelque part faire qu'il y ait une espèce de persistance, qui est une grande loi des maladies infectieuses en général.

Pr Mc CONNELL.- J'ai deux commentaires sur ce point.

Je suis tout à fait d'accord avec vous, Marc. Quand vous avez un cas isolé comme celui-là, il faut tenir compte du doute. Des agriculteurs bio au Royaume-Uni ont vu un cas isolé d'ESB. Il faut tenir compte du niveau de doute parce qu'il y a un niveau bas mais réel de transmission de la mère au veau. C'est quelque 10 % en théorie mais moins en pratique.

En Grande-Bretagne, nous avons vu un cas né bien après l'interdiction finale de 1986 ; ce veau était né d'une mère malade morte jeune pour des raisons qu'on n'a jamais pu identifier.

Il y a des cas rares comme celui-là.

Cela me désole d'entendre parler de cet incident car cette mesure d'abattage du troupeau est difficile pour vous, mais cela a-t-il toujours été un troupeau fermé, c'est-à-dire sans remplacement acheté à l'extérieur ?

M. WASCELAIRE.- C'est un troupeau fermé, il n'y a pas eu d'achat, pas d'introduction. Ma ferme est isolée.

M. LE DEAUT.- Monsieur SAVEY nous parlait d'enquête, a-t-elle eu lieu ?

M. WASCELAIRE.- Jusqu'à aujourd'hui, je n'ai pas eu d'enquête. Je l'attends d'un jour à l'autre.

M. REVOL.- Nous allons passer aux questions.

M. ROGEMONT.- Ma question s'adressait plus particulièrement au professeur Mc CONNELL, encore qu'elle puisse intéresser Monsieur ROBELIN ou d'autres.

Quelles seraient les raisons qui pourraient être invoquées pour que la France continue à ne pas importer de b_uf britannique ?

Pr Mc CONNELL.- A l'heure actuelle, il n'y en a aucune. La politique de l'interdiction était très sensée au début mais maintenant, avec la règle des 30 mois, nous n'avons pas vu un seul cas d'ESB chez des bovins de moins de 2 ou 3 ans. Il n'y en a pas. Les chiffres montrent qu'il y a moins d'un cas.

A l'heure actuelle on peut parler d'une élimination de l'ESB chez le bétail de Grande-Bretagne de moins de 30 mois. Vu la sévérité des mesures réglementaires, il n'y a aucune justification à l'heure actuelle de l'interdiction française.

C'est une réponse scientifique. Je comprends que les réponses politiques sont peut-être différentes.

M. GATIGNOL.- Les transparents qu'on nous a montrés nous indiquent qu'il existe un pic pour les animaux nés en 1993, 1994, 1995. Or, à cette époque, il y avait bien interdiction des FVO pour les bovins. Quelle explication peut être donnée à la contamination de ces animaux ?

En outre, vous avez dit que la sécurisation de ces farines carnées n'était pas encore démontrée. Peut-on la démontrer par un traitement approprié ou par l'origine de ces farines qui élimine les matériaux à risque ?

Madame LASMEZAS, tout à l'heure, dans vos essais de contamination, il me semble que vous avez toujours montré qu'il s'agissait de contamination avec des matériaux à risque. Est-ce que la farine de viande par voie orale ou par extrait a pu être source de contamination de la souris ?

Enfin, vous n'avez jamais cité le chien comme étant une espèce contaminée.

Mme LASMEZAS.- Je vais commencer par le chien, c'est la question la plus facile.

Des centaines de chiens ont été inoculés aux Etats-Unis avec différentes souches de Kuru, maladie qui atteignait l'homme en Papouasie Nouvelle-Guinée, avec la tremblante du mouton, avec d'autres souches humaines. Jamais le chien n'a pu être contaminé.

En Grande-Bretagne, une étude avait été entamée sur des chiens de chasse mais je crois qu'il y avait eu des problèmes sur les protocoles expérimentaux et qu'il n'a pas pu y avoir de conclusion ferme à ce sujet. Mais, à l'heure actuelle, on n'a jamais vu d'EBS chez un chien.

Concernant les farines, le principe de la sécurisation en 1996 consistait à supprimer des matières premières entrant dans la composition de ces farines, ces fameux abats spécifiés : le système nerveux central et les organes lymphoïdes. Les essais de transmission directe à la souris à partir des farines n'ont jamais été réalisés à ma connaissance.

Je voudrais ajouter un point sur ce qu'a dit le Professeur Mc CONNELL et rappeler que même si le nombre de cas de bovins en dessous de 30 mois est excessivement rare, il ne faut pas oublier qu'il peut y avoir des animaux en incubation à cet âge.

Pr ELOIT.- En matière de sécurisation des farines, j'ai dit qu'on ne pourrait être certain du degré de sécurisation des farines que 5 ans et quelque après juillet 1996. A contrario, si des cas d'EBS chez des animaux nés après 1996 apparaissaient, cela remettrait en cause cette sécurisation des farines, et peut-être indirectement la façon dont les MRS sont retirés de la fabrication de ces farines et de l'alimentation humaine puisqu'à partir de 1996 les farines ont été fabriquées à partir de matériaux consommables par l'homme.

M. SAVEY.- Un complément sur la différence qui pourrait exister en termes de résultat à partir d'expériences qui auraient pu être menée de façon comparative avec un aliment infectieux comme la cervelle par rapport aux farines de viandes et d'os.

Ce qui me désole (j'avais déjà eu l'occasion de le dire à la commission parlementaire de 1996, cela reste malheureusement toujours vrai), c'est que nous n'ayons aucune expérience faite avec des farines de viande et d'os comme matériel infectieux, en particulier par voie orale. Cela n'a été fait ni chez les bovins ni chez les ovins ni chez les caprins, et c'est pour cela que nous avions pu demander la disposition d'un certain nombre d'installations expérimentales.

C'est loin d'être anecdotique. Il y a un grand mystère scientifique et qui n'est pas sans conséquence en termes de politique de santé publique et de contrôle de la maladie animale, c'est le degré de passage de stade d'exposé au stade d'infecté puis au stade de malade. Il est clair qu'il y a certainement avec ce genre d'aliments moins infectieux que la cervelle quelque chose à apprendre.

Aujourd'hui, nous voyons des animaux essentiellement nés en 1994 et 1995, ce qui doit être interprété avec beaucoup de prudence puisque la durée d'incubation moyenne étant de 5 ans et le niveau de sensibilité des tests étant ce qu'il est, il est logique que nous détections essentiellement des animaux nés en 1995 et 1994.

Cela étant dit, nous avons déjà détecté 3 animaux nés en janvier 1996, un dans l'étude pilote et deux autres par le système d'épidémio-surveillance passive, ce qui veut dire que nos colonnes se remplissent comme elles le doivent, mais comme l'a dit Marc ELOIT (c'était l'un des arguments échangés avec nos amis britanniques), nous n'aurons d'indicateurs, à la fois en termes de situation épidémiologique de la maladie et en termes de résultats sur les tests rapides, qu'au cours de l'année prochaine.

Nous ne pourrons lire cette situation et nous projeter dans l'avenir qu'entre la fin 2001 et le début 2002. Nous aurons le minimum de recul nécessaire pour regarder les pyramides que je vous ai montrées et voir s'il y a des cas nés après le mois de juillet 1996 en France et leur nombre.

Nous sommes, comme les autres pays de l'Europe qui ont pris les mêmes mesures que la France (5 d'entre eux pour l'instant), dans une situation d'attente pour voir si ces mesures sont suffisantes ou non. Ce ne sera pas une réponse aussi binaire que cela.

M. GALLEY.- Madame LASMEZAS, vous avez dit que le prion pathologique se développait dans les ganglions lymphatiques d'abord, ensuite dans l'iléon, puis dans le cerveau et le système nerveux central.

Je crois savoir qu'il n'y a pas une différence de nature entre les terminaisons nerveuses du bras et ce qui se passe dans la moelle épinière. A-t-on l'assurance que les terminaisons nerveuses partant de la moelle épinière et allant irriguer l'ensemble du corps humain ou des mammifères sont protégées ? Comment peut-on expliquer qu'il y ait une contamination de la moelle épinière et qu'elle ne se propage pas au système nerveux global ?

Je prends le problème de la côte de veau, si on enlève la côte de veau et la moelle épinière et qui n'y a pas de risque sur la viande elle-même, il est évident que le problème se trouve simplifié. En revanche, s'il y a un risque sur les terminaisons nerveuses, c'est toute la viande qui est susceptible de présenter des risques.

Mme LASMEZAS.- Vous posez la question de l'infectiosité du système nerveux périphérique. Si on voulait schématiser, et je vous ai montré la détection d'infectiosité dans les ganglions rachidiens dans le cas des vaches qui avaient été contaminées expérimentalement dans l'expérience britannique, cela montre bien que les gros tronc nerveux qui sortent de la moelle épinière sont infectieux.

Schématiquement, plus on se rapproche du système nerveux central, qui au sens strict comporte le cerveau et la moelle épinière, plus la quantité d'infectiosité dans le nerf est importante. Elle est importante à la base des nerfs situés au niveau de la moelle épinière et, plus on s'en éloigne, plus on va dans les fins filets nerveux, plus cette quantité décroît.

Tout est une question de quantité. On arrive à détecter des doses très faibles d'infectiosité dans les nerfs périphériques mais ces doses sont tellement faibles qu'au niveau de la masse musculaire, expérimentalement, on n'a jamais pu transmettre aucune encéphalopathie spongiforme toute transmissible qu'elle soit.

Pr ELOIT.- Sur des modèles expérimentaux mais pas chez les bovins, on a fait des expériences pour en tirer des conséquences en matière d'analyse de risque mais il faut faire la différence entre ce que l'on a vu chez des bovins et ce que l'on a vu sur des modèles expérimentaux qui permet éventuellement de prendre des mesures de précaution ou de super précaution.

A la notion d'infectiosité très faible des nerfs périphériques, je réponds : « pas sur les bovins » ; dans les ganglions rachidiens oui, mais pas dans les extrémités nerveuses des nerfs périphériques dans le muscle.

M. LE DEAUT.- Vous maintenez qu'on n'a jamais trouvé d'infectiosité chez les bovins ?

Mme LASMEZAS.- Sur les ganglions rachidiens, on en a retrouvé chez les bovins. Sur les nerfs périphériques stricto sensu, on n'en a jamais retrouvé chez les bovins et c'est pourquoi je mettais l'accent sur le fait que les quantités sont minimales et qu'on se heurte au problème de la sensibilité de la possibilité de la détection.

Mais je suis d'accord avec le Professeur ELOIT pour dire qu'il y a un énorme différentiel et que nous sommes dans des doses subliminales qui n'ont jamais pu être détectées chez le bovin.

M. LE DEAUT.- Cela signifie que pour la viande rouge, y compris avec ses terminaisons nerveuses, il n'y a pour l'instant aucune preuve de contamination.

Mme LASMEZAS.- Exactement.

M. CHEVALLIER.- Pourriez-vous aujourd'hui confirmer que chez des bovins morts au bout de 40 mois vous n'avez pas trouvé de contamination au niveau du système nerveux périphérique ? Vous venez de le dire, cela peut être confirmé.

Vous avez présenté, Madame LASMEZAS, une diapositive montrant une différence entre la tremblante, qui est également une maladie à prions, et l'ESB. Actuellement, y a-t-il des études conduites pour expliquer pourquoi l'ESB est transmissible et la tremblante ne le serait pas ?

Mme LASMEZAS.- Il y a deux problèmes différents. Il y a le comportement de l'agent infectieux dans l'organisme : le comportement de l'agent de la tremblante est différent de celui de l'ESB en termes de répartition de l'infectiosité, c'est-à-dire qu'il ne se localise pas dans les mêmes endroits et ne se multiplie pas au même taux dans les mêmes endroits.

C'est ainsi que nous avons pu montrer que l'agent de la tremblante chez la souris se situait tout au long de l'intestin alors que l'agent de l'ESB est strictement localisé au niveau des formations lymphoïdes, là où il y a des cellules du système immunitaire, et ne se retrouve pas dans le reste de l'intestin.

C'est le problème de la répartition de l'infectiosité qu'a soulevé également le Professeur ELOIT.

Il y a le problème de la capacité de l'agent infectieux à passer d'une espèce à l'autre. En fonction des souches d'agents que l'on considère, cette capacité est différente et n'est pas prédictible.

Au départ, lorsque nous nous sommes retrouvés face à cet agent bovin, nous ne pouvions pas savoir s'il se transmettrait au mouton et, a fortiori, à l'homme, puisqu'il n'a jamais été démontré de liens entre la tremblante du mouton et la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Cette capacité a des bases au niveau moléculaire qui restent non élucidées. On sait qu'un facteur important est celui du gène de la protéine du prion et plus le gène de la protéine du prion de l'hôte et du receveur sont proches, plus la transmission sera facilitée.

Néanmoins, il y a aussi la capacité propre à une souche donnée (agent transmissible non conventionnel) de pouvoir passer cette barrière d'espèce. Malheureusement, on ne sait toujours pas le prédire à l'heure actuelle.

M. LE DEAUT.- Avec les modèles « souris » dont nous avons parlé ce matin, pensez-vous que nous arriverons à résoudre cette question ?

Mme LASMEZAS.- Cette question a été en grande partie résolue puisque nous avons mené ces études sur le macaque qui montraient une sensibilité relativement importante du primate non humain à l'agent de l'ESB. Ces travaux se poursuivent dans l'étude du comportement de l'agent de l'ESB chez une espèce primate sur la répartition dans les différents tissus. Cela donnera un excellent modèle dans les études futures.

M. DENIS.- Concernant les brigades d'enquête vétérinaire, élément clé de la surveillance épidémiologique de la maladie chez les animaux, qui doivent faire des enquêtes sur l'alimentation des animaux, s'agissant des animaux sains des troupeaux où un élément est malade, quelles sont les enquêtes faites ? Jusqu'où vont-elles ? Peut-on imaginer pouvoir garder ces animaux un certain temps pour voir s'ils peuvent devenir malades ayant subi les mêmes conditions de vie ?

Est-ce que des tests sont faits pour savoir s'ils sont malades potentiellement, en phase d'incubation, ou vont-ils aussi loin que des tests génétiques pour voir s'il existe des différences génétiques au sein de ce troupeau qui pourraient expliquer que certains sont malades et d'autres non ?

M. SAVEY.- S'agissant du travail de la brigade nationale d'enquête vétérinaire, il y a ici un contrôleur général qui pourra répondre dans la deuxième séance.

Il existe une vraie problématique qui est celle de l'abattage du troupeau et celle de la proportion d'animaux qui, au moment où le troupeau est abattu, sont réellement infectés. Ce n'est qu'une partie de la réponse mais je vais quand même la traiter.

Pour l'instant, deux pays ont fait des études et ont trouvé avec les tests dont nous disposons actuellement, avec toutes leurs limites, et dans ce cadre très précis de l'investigation des cerveaux des animaux abattus, un nombre très petit d'animaux infectés détectables au moment où le troupeau est abattu.

C'est une première facette de la réalité.

La deuxième facette qui explique la position de Ian Mc CONNELL, qui s'appuie elle-même sur des travaux de Roy ANDERSON, c'est de regarder dans un pays comme la Grande-Bretagne, de façon rétrospective, avec dix ans de recul, ce qui se passe en moyenne lorsqu'on n'abat pas les troupeaux.

En moyenne, statistiquement, dans chaque troupeau où il y a eu un cas, au bout de 10 ans, 5 à 6 autres apparaissent. Roy ANDERSON, avec des modèles plus sophistiqués que ce que je vous explique ici, a pu calculer le facteur d'épargne de la politique d'abattage à l'irlandaise ou à la française. C'est pour cette raison que Ian vous a dit ce qu'il vient de vous dire.

En fait, j'ai calculé très simplement sur les 110 premiers troupeaux français abattus le facteur d'épargne. Si nous ne les avions pas abattus et si nous étions dans une situation comparable de celle de la Grande-Bretagne, nous n'aurions pas eu 110 cas mais 550.

Ce sont les cas animaux mais, en dessous, il y a ceux qui sont en incubation. Ils peuvent arriver, si on n'abat pas les troupeaux, dans la filière de l'alimentation. A ce moment, il faut multiplier le cas initial non pas par un facteur 5 mais par un facteur entre 10 et 25.

Il faut essayer, dans cette affaire de l'abattage des troupeaux, de bien regarder l'ensemble des réalités et de ne surtout pas se limiter à une tranche de la réalité dans un troupeau au moment de l'apparition du premier cas.

Enfin, je ne suis ni l'apôtre ni le détracteur de l'abattage de troupeaux mais je pense qu'en termes de santé publique, il est extrêmement important non pas de se focaliser sur une mesure, aussi contraignante soit-elle, mais d'essayer de développer une série de mesures cohérentes.

Lorsqu'on en fait évoluer une, il s'agit d'essayer de garder la cohérence du système entier.

FIABILITE, SENSIBILITE ET DISPONIBILITE DES TESTS DE DEPISTAGE DE L'ESB ET PROBLEME DES PRELEVEMENTS

M. LE DEAUT.- Nous pensons que le problème des tests de dépistage est majeur. C'est un problème qui intéresse les parlementaires. Grâce à des anticorps spécifiques de la forme pathologique du prion, on est capable aujourd'hui de savoir si les agents infectieux de la maladie existent chez des animaux.

Nous avons eu de la Commission européenne, en 1999, une analyse comparative de ces tests. Vous aborderez la question de leur sensibilité puisque cela a déjà été évalué.

Est-ce que les tests sont capables de mesurer des unités infectieuses et, si oui, combien ?

Quelles sont les disponibilités actuelles de ces tests ? Est-on capable d'augmenter la production de ces tests ? Est-ce que, comme l'a indiqué le ministre ce matin, si l'on augmentait la disponibilité de ces tests, la question du prélèvement n'est pas un facteur limitant dans l'utilisation des tests ?

On vous posera une question également que posent tous nos compatriotes : quand il y a une incertitude sur l'utilisation de viande, la solution ne serait-elle pas de tester toute bête avant l'abattage ? Est-ce possible ou non ? Quel en serait le coût ?

Enfin, le test permet de détecter la maladie avant l'apparition de signes cliniques, certains ont dit six à huit mois avant, est-ce confirmé ? Est-ce que le test rassure totalement ? Est-ce que dans la période de pré-incubation non détectable par les tests il existe une possibilité de transmission de la maladie ? Est-ce que le test sert à quelque chose ?

Voilà plusieurs questions simples que nous nous posons en tant que parlementaires et sur lesquelles nous souhaiterions avoir des éléments de réponse.

Je vais donner la parole aux cinq intervenants. Essayez d'intervenir de manière courte pour que nous puissions poser des questions par la suite.

M. BARON (Responsable de l'unité de virologie de l'Agence française de sécuritaire sanitaire des aliments).- Je ne vais pas vous présenter de résultats scientifiques à proprement parler mais essayer de vous dresser un panorama des activités de notre laboratoire de l'AFSSA à Lyon concernant cette problématique.

Le laboratoire de Lyon agit en tant que laboratoire national de référence dans le domaine des encéphalopathies spongiformes des ruminants depuis la mise en place du système de surveillance dit passif de l'encéphalopathie bovine en 1990 et depuis 1996 pour ce qui concerne la tremblante des petits ruminants.

Ceci signifie que dans la période 1990-2000, le laboratoire de Lyon effectuait la totalité des diagnostics qui se faisaient à l'époque uniquement par des méthodes histologiques jusqu'en 1997 pour l'ensemble du territoire national.

Depuis 1996, le laboratoire assume une partie des diagnostics en matière de tremblante des petits ruminants, mais pour ce système de surveillance, comme pour celui de l'encéphalopathie bovine, l'AFSSA Lyon assure la centralisation des données épidémiologiques et est en quelque sorte l'interlocuteur de la Direction générale de l'alimentation pour la surveillance de ces maladies.

Au plan des activités scientifiques, ceci signifie pour nous, depuis 1994 en particulier, la mise en oeuvre de nouvelles méthodes de diagnostic alternatives aux méthodes indirectes d'identification des lésions du système nerveux. Ce sont des méthodes qui reposent sur l'identification du prion sous sa forme anormale, dans le cerveau des animaux atteints ou, dans quelques cas, dans des tissus périphériques comme chez le mouton.

Ces méthodes sont de deux types. Les premières abordées sont celles qui sont largement discutées aujourd'hui, les méthodes biochimiques d'identification du prion résistant à l'action des protéases. Depuis 1988, ont également été développées, en particulier dans le cadre de projets de recherche européens, des techniques d'identification immuno-histo-chimique du prion, c'est-à-dire des techniques d'identification sur des coupes de tissu cérébral.

Ces deux types de techniques sont maintenant utilisés comme méthodes dites de référence pour la confirmation des cas. Ce sont soit des méthodes alternatives à l'histologie dans les cas des animaux suspects d'ESB, lorsque l'identification des lésions n'est plus possible parce que le prélèvement est trop abîmé par exemple, soit des méthodes de confirmation des cas actuellement utilisés dans le cadre des études en cours sur l'épidémio-surveillance dite active.

J'en viens à ce point de la surveillance active. Dans ce contexte, et compte tenu de l'expérience acquise dans le développement de ces méthodes biochimiques ou immuno-histo-chimiques, l'AFSSA Lyon a été chargée d'être maître d'oeuvre scientifique de l'ensemble des études en cours concernant l'épidémio-surveillance dite active de l'ESB, c'est-à-dire ne ciblant plus des animaux suspects cliniquement de la maladie mais un ensemble d'animaux présentant n'importe quelle maladie ou trouvés morts.

Ceci recouvre les quelque 50 000 animaux en cours d'étude aujourd'hui, dont 40 000 dans le Grand Ouest et 8 500 à l'extérieur de cette région.

Pour cela, en interaction étroite avec la Direction générale de l'alimentation, ceci a nécessité la mise en place d'un ensemble de laboratoires départementaux impliqués dans les tests de routine. Jusqu'à peu, 3 laboratoires étaient impliqués, il y en a 13, depuis ces jours derniers, sur la totalité du territoire français.

L'AFSSA Lyon aide à la mise en place et au contrôle de l'efficacité des laboratoires départementaux ; surtout, elle servira à confirmer ou infirmer, par les méthodes que j'ai évoquées tout à l'heure, les cas positifs identifiés par les tests de routine dans ces laboratoires en mettant en oeuvre d'autres méthodes de diagnostic utilisées à Lyon et en résolvant les cas difficiles qui ne manquent pas de survenir quand on traite de nombreux échantillons.

Voilà le panorama de cette activité laboratoire. Bien évidemment, le laboratoire assure également la centralisation, la gestion et l'interprétation des données épidémiologiques. Vous avez vu quelques-uns des graphiques de bilans globaux de la situation épidémiologique française qui émanent des services de l'AFSSA de Lyon.

Pour être plus prospectif, ceci signifie que la validation des nouvelles méthodes de diagnostic et la mise en place de leur utilisation entrent dans le champ de nos activités. A l'heure actuelle se discutent et se met en place un projet de validation d'un autre test que celui choisi pour l'étude pilote, en l'occurrence le test Biorad, de façon à réaliser des études de comparaison et voir si la sensibilité de ce test apporte un avantage supplémentaire pour la détection des cas sur le terrain.

En parallèle à cet ensemble de travaux relatifs à la surveillance, un certain nombre de travaux ont été où sont mis en place à l'AFSSA Lyon concernant l'évaluation du statut des animaux présents dans les troupeaux dans lesquels sont apparus des cas soit d'ESB soit de tremblante.

S'agissant de l'ESB, une première série de 400 échantillons avait été analysée à une époque où les tests ne pouvaient pas être mis en place sur des séries importantes d'échantillons, où le prélèvement lui-même était un problème considérable.

Cette situation a changé aujourd'hui et, sur nombre d'échantillons beaucoup plus élevés, ces études ont récemment repris à l'AFSSA Lyon. Les mêmes types d'études qui prennent en compte les nouveaux tests, notamment le test Elisa qui arrive sur le marché, sont également en cours dans le domaine de la tremblante des petits ruminants pour laquelle la situation est plus complexe car il s'agit d'une maladie contagieuse capable de se disséminer d'animal à animal dans un troupeau.

Enfin, je ne serais pas exhaustif si je n'évoquais pas un autre champ important d'activité du laboratoire qui est un peu différent de celui du dépistage à proprement parler des animaux infectés, néanmoins essentiel pour l'avenir. Il ne suffit certainement pas de dépister les animaux infectés, il faut parfois savoir par quoi ils le sont, en particulier par quelle souche d'agents.

Cette question ne se pose pas pour ce qui est des bovins puisque, jusqu'à présent, on a identifié une seule souche d'agents infectieux qui est malheureusement transmissible à l'homme, mais cette question se pose pour les petits ruminants, le mouton en particulier, dont on sait qu'il est sensible à l'agent de l'encéphalopathie bovine et que des cas de tremblante dite naturelle pourraient cacher une infection par cet agent et représenter un autre danger pour l'homme.

Dans ce contexte, nous avons développé depuis 1996 une série de travaux au laboratoire. Certains d'entre eux concernent l'évaluation des méthodes moléculaires d'identification du prion, donc les mêmes méthodes que celles utilisées pour le diagnostic, en vue d'essayer de trouver des différences entre la tremblante naturelle et l'encéphalopathie bovine chez le mouton, ceci à l'aide d'un modèle expérimental que nous avons pu développer à Lyon avec nos collègues de l'école vétérinaire et dans lequel nous retrouvons des différences entre des moutons infectés par l'agent bovin et ceux infectés par la tremblante naturelle.

Mais ce ne sera certainement pas la réponse définitive à la question, même si c'est une réponse plus rapide que les seules méthodes disponibles aujourd'hui qui concernent l'inoculation à la source. Ces méthodes demandent beaucoup de temps puisqu'il faut que la souris tombe malade mais ce sont les seules par lesquelles on pourrait affirmer que le mouton est infecté par l'encéphalopathie bovine.

Dans ce contexte, nous avons essayé depuis 1996 de développer de nouveaux outils qui concernent des souris transgéniques, qui produisent le prion de mouton, qui sont infectables par les agents infectieux provenant du mouton. Nous travaillons sur cet outil en tant qu'outil potentiel de discrimination de la souche d'encéphalopathie bovine, des souches de tremblante naturelle avec des résultats qui seront rendus publics d'ici à quelques mois.

Voilà pour le panorama des activités de notre laboratoire.

M. MANFREDI (Contrôleur général des services vétérinaires).- Vous avez souhaité avoir des renseignements sur la façon dont ont été orchestrées les procédures avant le démarrage du programme de recherche en cours, et évoquer les modalités et les difficultés de prélèvements.

Quand le Gouvernement a décidé d'engager ce grand programme de recherche dont le Professeur SAVEY vous a dit qu'il était unique au monde, a été constitué à l'initiative des trois ministères chargés de la santé, de l'agriculture et de la consommation un comité administrativo-technique dont j'ai assuré le pilotage, lequel comité a, de janvier 1999 à mai 1999, opéré les phases suivantes.

La première phase a été un appel d'offres européen pour obtenir des candidatures sur les fabricants de tests. Très normalement, nous avons obtenu trois candidatures, à savoir les trois tests qui avaient été validés par la Commission européenne en juillet 1999. Je veux parler d'Enfer pour les Irlandais, de Biorad pour les Franco-américains et de Prionics pour les Suisses.

Cette commission administrativo-technique comportait les représentants des trois directions générales de l'alimentation, de la consommation et de l'agriculture, les représentants de l'AFSSA, des représentants de l'INVS, des représentants de l'ADILVA (Association des laboratoires départementaux d'analyse).

A l'issue de la réception des trois candidatures, nous avons à plusieurs reprises, et conjointement, examiné les candidatures et les dossiers. Nous avons convoqué à deux reprises les représentants des trois producteurs et nous avons indiqué à destination de nos trois directeurs généraux, fin avril de l'an 2000, le test qu'il convenait de retenir à notre avis.

Nos trois directeurs généraux ont rendu compte à leur ministre de tutelle qui eux-mêmes en ont rendu compte au Gouvernement, et c'est le Premier ministre qui a fait le choix du test Prionics actuellement en cours.

Au niveau de l'orchestration sur le terrain du programme de recherche lui-même, nous avons eu au sein du comité administrativo-technique à régler l'orchestration et le phasage des différents intervenants qui sont des vétérinaires praticiens, des vétérinaires d'administration, des équarrisseurs, des laboratoires départementaux d'analyse, le laboratoire national de recherche dont vient de vous parler Thierry BARON, sans omettre l'essentiel, à savoir les logisticiens.

Quand tout cela a été orchestré, nous avons pu, au mois de juin 2000, démarrer le programme de recherche avec une décision de période de rodage de manière que cette orchestration qui nous apparaissait parfaite sur le papier puisse se « huiler » sur le terrain.

Il a fallu 8 semaines pour que nous puissions donner le feu vert de départ au programme de recherche proprement dit, qui a très précisément commencé le 7 août 2000.

Au niveau des autres activités du comité administrativo-technique mis en place par l'AFSSAS, existe un comité scientifique de suivi qui se réunit régulièrement et qui examine les résultats des tests que nous avons en provenance des 3 LDA cités tout à l'heure par Thierry BARON, des 13 LDA depuis le début de la semaine passée (les 3 premiers du Grand Ouest et les 10 autres que nous avons désignés sur le territoire national pour assurer un maillage parfait de ce programme de recherche).

Le comité scientifique de suivi examine régulièrement les résultats. Comme, il s'y était engagé, il se réunira dans les prochains jours pour donner les résultats des 15 000 premiers tests réalisés et son président, le Professeur Marc GERARD, devrait en rendre compte à Monsieur le Ministre de l'Agriculture puis au public.

Voilà globalement évoquée l'organisation des tests.

M. GRASSI (Chef des services de pharmacologie et d'immunologie à la Direction des Sciences du Vivant du CEA).- Je ferai un rappel de ce que sont ces tests rapides, de leur domaine d'application et des principes généraux qui les sous-tendent pour que tout le monde comprenne de quoi nous parlons par rapport aux tests antérieurs.

Ce sont tous des tests immunologiques fondés sur la détection de la forme anormale de la protéine du prion et qui impliquent un traitement à la protéase K.

Cette forme pathologique est caractérisée par des propriétés biochimiques qui sont la possibilité de former des agrégats en présence de détergents et une résistance à une protéase. C'est cette propriété que l'on utilisera dans les tests immunologiques pour différencier les deux formes parce qu'il n'existe pas à l'heure actuelle d'anticorps capables de les différencier directement.

L'autre point important est que ces tests rapides s'appliquent tous en situation post-mortem, réalisés sur des prélèvements de cerveau ou de moelle épinière. A ce jour, chez les bovins, les seuls organes dans lesquels on ait pu mettre en évidence l'agent infectieux sont la moelle épinière, le cerveau, l'iléon et quelques ganglions ; rien dans le sang, les urines, les larmes, le liquide céphalorachidien. On ne peut pas faire de tests sur des tissus que l'on peut prélever du vivant de l'animal et tous ces tests sont réalisés après que l'animal ait été euthanasié.

L'avantage de ces tests rapides est qu'ils impliquent une rapidité de réalisation nettement supérieure à ce qui se fait pour des tests classiques comme l'immuno-histologie ou l'infection expérimentale chez l'animal. Ils sont réalisés en général en moins de huit heures et autorisent un débit beaucoup plus élevé. Dans ce cas, un seul expérimentateur peut en une seule journée analyser plusieurs dizaines d'échantillons, ce qui était impossible avec les techniques antérieures.

Je vous présente le principe du test tel qu'il a été développé au CEA et qu'il est commercialisé maintenant. Il implique un premier traitement à la protéase K qui va détruire la forme normale de la protéine du prion. Dans une deuxième étape, on va précipiter cette forme puisqu'elle s'agrège en présence de détergent, de façon à la concentrer. Elle sera enfin dénaturée de façon à pouvoir être analysée à l'aide d'un dosage immunologique tout à fait classique, qui utilisera deux anticorps monoclonaux dirigés contre deux parties différentes de la protéine du prion. Ce sont des méthodes classiques telles qu'on en utilise dans tous les domaines de la biologie clinique.

Le test du CEA fonctionne de cette façon, il contient deux étapes : une qui permet de purifier et de concentrer la protéine anormale et l'autre qui permettra de l'analyser à travers un test immunologique classique.

Je vous présente très rapidement les résultats obtenus au cours de l'étude européenne de validation qui a comparé 4 tests en 1999. Il y avait deux parties dans cette étude.

La première consistait à examiner 1 400 échantillons de cerveau et de moelle épinière, mélange en aveugle d'échantillons provenant de bovins néo-zélandais, donc réputés négatifs, et de bovins britanniques positifs.

Dans cet exercice, le test du CEA à l'époque n'avait aucun problème à faire la différence entre l'échantillon clinique britannique et les échantillons néo-zélandais. C'est la raison pour laquelle, à cette époque, le test du CEA, de même que celui d'Enfer et celui de Prionics ont été taxés d'une sensibilité et d'une spécificité de 100 %, c'est-à-dire qu'ils ont été capables de détecter tous les prélèvements faits sur les animaux au stade clinique de la maladie sans qu'aucun test positif ne soit observé sur les animaux en provenance de Nouvelle-Zélande.

La seconde partie de l'étude était plus sophistiquée, elle consistait à tester en aveugle différentes dilutions obtenues à partir d'un pool de cerveaux contaminés de façon à évaluer la capacité de chacun des 4 tests à détecter des quantités de plus en plus faibles de cette forme anormale de la protéine du prion.

D'après la courbe de dilution obtenue, nous observons une détection de 18/20 des répliquas effectués à la dilution au 300ème. Ce pool de cerveaux bovins qui avait été utilisé pour faire cette courbe de dilution avait été titré chez la souris. On a pu montrer que le test du CEA était au moins aussi sensible que le test chez la souris tel qu'il était pratiqué couramment. C'est une donnée extrêmement importante.

Sur ces courbes de dilution, le test du CEA est apparu le plus sensible d'un facteur important (30 fois plus que le test de Prionics et 10 fois plus que le test Enfer). Ce sont des données connues depuis juillet 1999.

Depuis, un partenariat s'est établi avec la société BIO-RAD, nous avons transformé ce test de recherche en un test industriel qui maintenant est disponible sous la forme de deux trousses : une qui permet d'effectuer la purification des échantillons, processus qui peut être réalisé en 30 minutes (cette trousse contient tous les réactifs pour faire cette préparation), la deuxième contenant les réactifs permettant d'effectuer la détection immunologique.

Les progrès obtenus au cours de cette période de transferts technologiques ont été une simplification de la méthode, un raccourcissement considérable de sa durée car le test peut être effectué en moins de 4 ou 5 heures. C'est devenu un outil parfaitement applicable soit pour des études épidémiologiques, soit pour détecter des animaux dans une chaîne d'abattage par exemple.

Je vais présenter maintenant des résultats obtenus très récemment, en septembre 2000, dans le cadre d'une étude supervisée par la Commission européenne, qui a porté sur des échantillons extrêmement précieux prélevés au cours des études de pathogenèse anglaise. Ce sont des études au cours desquelles des animaux ont été infectés expérimentalement et abattus séquentiellement, tous les organes étant prélevés pour être analysés.

Cette étude a été effectuée en aveugle. Elle a permis de montrer un certain nombre de choses.

Elle a montré que le test Biorad avait encore une spécificité parfaite puisque sur les 120 échantillons négatifs contenus dans cette étude, aucun n'a donné de faux positif.

Elle a démontré, sans ambiguïté (ce sont des animaux sur lesquels on connaît la période d'infection) que le test Biorad permettait de détecter les animaux avant l'apparition des signes cliniques.

Je ne vous donnerai pas un chiffre qui caractérisera le nombre de mois avant l'apparition des signes cliniques auxquels ce test permet d'accéder car il n'est pas possible à évaluer à partir de ces études. Ce paramètre « apparition des signes cliniques » est trop imprécis. Simplement, les animaux qui étaient examinés tous les jours, qui n'avaient aucun signe clinique, ont pu être détectés avec le test Biorad.

Les comparaisons ont été faites avec toutes les techniques utilisées sur les échantillons et le test Biorad s'est avéré soit plus sensible soit aussi sensible que tous ces tests, y compris le test de détection chez la souris, ce qui est la deuxième indication que ce test a une sensibilité équivalente au test « souris » normal.

Enfin, il y avait 626 échantillons, la totalité des mesures a pu être faite en trois jours et demi alors qu'il aurait fallu des semaines, des mois ou des années avec les techniques précédentes.

Le test Biorad peut être appliqué sans aucune modification à la détection de la tremblante du mouton. Il n'a pas été fait de validation aussi importante, j'espère qu'elle le sera par la Commission européenne puisque BIO-RAD a répondu à l'appel d'offres sur la détection de la tremblante. Sur 47 cas de moutons sains par rapport à 11 cas de moutons tremblants, le test permet très facilement de faire la différence.

Il est important dans ce genre de test diagnostic d'avoir un test de confirmation. Le CEA, en collaboration avec BIO-RAD, développe un test de confirmation ayant pour but de confirmer les positifs répétés dans le cas d'un test Elisa, de façon à avoir deux méthodes indépendantes basées sur des techniques différentes dont la combinaison de spécificités évite toute erreur de diagnostic.

Je voudrais conclure sur la question probablement la plus importante : des tests rapides, pour quoi faire ?

Des études épidémiologiques, c'est évident. Leur application permet d'avoir une idée plus précise et plus efficace du nombre d'animaux infectés dans des populations à risque. Ces études seront probablement étendues à des animaux abattus dans le cadre d'un abattage normal, pour avoir des idées plus précises de ce qui se passe dans la population bovine.

Une autre possibilité est d'utiliser ces tests pour éliminer les animaux infectés de la chaîne alimentaire. C'est une question très importante.

Ces tests ne peuvent que détecter la forme anormale de la protéine du prion dans le système nerveux central. Ils vont donc le faire de façon assez tardive, 3 à 9 mois avant l'apparition des signes cliniques et ils ne détecteront pas les animaux en phase d'incubation de la maladie.

Est-ce à dire qu'ils sont inutiles ? Ce n'est certainement pas l'avis que je défendrai car tout le monde sait que ces animaux, en phase terminale, sont porteurs de la charge infectieuse la plus importante. Même si l'on enlève les organes à risque, pas un comité scientifique n'a dit que l'on pouvait laisser entrer ces animaux dans la chaîne alimentaire, parce qu'on n'est jamais capable de les éliminer complètement, parce qu'il y a des risques de contamination au moment de l'élimination et parce que les organes à risque ne sont pas tous identifiés, la dose infectieuse pour l'homme n'étant pas connue.

Si en un tour de main on pouvait tester tous les animaux abattus de plus de 30 mois avec un tel test, incontestablement, on rendrait un service en termes de sécurité sanitaire. La question se pose de savoir si ces tests peuvent être appliqués très rapidement et sur quel nombre. Je suis suffisamment près des réalités du terrain pour savoir que cela ne peut pas se faire du jour au lendemain. Ce n'est plus une question scientifique mais une question de logistique et de mise en place économique et politique.

M. BUTIN (Directeur Scientifique de la société AES, distributeur du test Prionics).- En préambule, j'aimerais dire que nous vous remercions de nous avoir conviés. On ne nous entend pas très souvent, et je pense que nous avons un certain nombre de choses à dire, notamment en matière de sensibilité. Nous voulons profiter de cette occasion pour rétablir quelques vérités scientifiques.

Je commencerai mon exposé en disant que le test Prionics est utilisé dans la forme utilisée dans le cadre de la campagne. Ce test a été validé voici plus de deux ans par l'Union européenne, il est utilisé depuis plus de deux ans dans la campagne suisse.

Sur plus de 100 000 tests effectués par plus de 20 laboratoires dans le monde, on n'a jamais trouvé un résultat discordant.

Ce test a été validé par l'Union européenne et, dans les essais menés, 100 % de sensibilité ont été détectés du premier coup. J'insiste sur ce point car si on prend la peine de lire le rapport dans son intégralité, on constate que c'est le seul des quatre tests en évaluation à avoir donné les bons résultats sans avoir besoin de repasser les échantillons.

Une question se pose, que Monsieur GRASSI a un peu évoquée, je le rejoindrai sur la conclusion générale : doit-on faire un Elisa ou un Western Blot ? Les Elisa, tests généralement utilisés en screening, sont souvent associés à des premiers tris d'échantillons. Je peux prendre pour exemple le dépistage des personnes contaminées par le virus du Sida. On fera des tests Elisa en première intention mais lorsqu'on a un résultat positif, on se doit de faire une confirmation Western Blot. Les tests de Western Blot apportent des informations supplémentaires qui permettent de fiabiliser les résultats positifs.

C'est la raison pour laquelle Monsieur GRASSI vous a dit que BIO-RAD avait ressenti le besoin de développer un test de Western Blot qu'ils sont en train de développer pour confirmer leurs résultats positifs.

La politique de Prionics a été de partir directement sur un Western Blot. Vu le traitement à faire des échantillons en amont, la différence de temps et technique entre l'Elisa et le Western Blot n'était plus un obstacle. En revanche, on pouvait avoir une fiabilité des résultats.

Il existe chez Prionics un Elisa mais nous ne l'avons jamais introduit en France pour une raison totalement contractuelle. C'est en effet un engagement que nous avons pris quand nous avons répondu à l'appel d'offres du gouvernement pour la campagne de dépistage où il était spécifié que le test évalué par la Commission européenne devait être présenté dans le cadre de cet appel d'offres.

Nous avons tenu nos engagements et aujourd'hui nous continuons à travailler avec ce Western Blot.

Il est évident que si l'on s'orientait plutôt vers un test de type Elisa avec uniquement confirmation des positifs par Western Blot, nous possédons la solution technique.

Quand des tests se déroulent normalement, si vous avez un animal non porteur du prion pathologique avec un traitement à la protéase K normale, que ce soit un test Elisa ou un test de type Prionics Western Blot, vous aurez un résultat négatif.

De même, si vous avez un animal positif, votre traitement à la protéase K est efficient, vous aurez dans les deux cas un résultat positif.

En revanche, à supposer qu'il y ait pour une raison donnée un déficit de traitement à la protéase K, un test Elisa ne le verra pas, donc rendra un résultat positif puisqu'il détectera le prion normal en rendant un résultat de présence de prion pathologique.

Enfin, un test de Western Blot ne vous rendra pas un résultat en termes de positif/négatif, il vous indiquera un déficit d'action de la protéase K et il ne pourra pas répondre. C'est extrêmement important, c'est l'une des raisons pour lesquelles on considère qu'un Western Blot apporte des informations supplémentaires.

La sensibilité d'un test ESB est sa capacité à détecter de la façon la plus précoce possible un animal porteur du prion sous sa forme pathologique, chez un animal infecté bien entendu. Or, à ce jour, il n'existe aucune publication scientifique ayant décrit un cas d'un animal contaminé par le prion pathologique et qui aurait été détecté par une méthode quelconque et pas par la méthode Prionics.

Aujourd'hui, dans toutes les études comparatives réalisées, jamais un autre test, une autre méthode n'a pris en défaut le test Prionics.

La seule étude comparative publiée réalisée entre les deux tests est celle à laquelle faisait allusion Monsieur GRASSI ; elle n'a pas permis au test présenté comme 30 fois plus sensible de détecter un seul animal supplémentaire sur les 1 400 animaux testés. Pourtant, lorsqu'on prend les résultats obtenus avec le test du CEA, un certain nombre d'échantillons (au moins 2) était en limite du seuil de détection.

Pour vous expliquer ce schéma, vous avez ici les niveaux de détection du test, et les niveaux de détection des positifs. Le premier positif est détecté à 0,3 alors que le seuil de détection de la méthode et à 0,25.

Ce sont nos conclusions, ce ne sont pas celles du rapport de l'Union européenne. Si le test Prionics était 30 fois moins sensible, cet échantillon et celui-ci à 4 fois le niveau de seuil de sensibilité du test de CEA n'auraient pas été détectés.

C'est l'un des arguments majeurs pour démontrer qu'il est peut-être un peu hâtif de parler de sensibilités sur les essais de dilution menés.

Lorsque ces essais de dilution ont été menés, les échantillons tels qu'apportés au niveau des laboratoires ne correspondaient pas à des échantillons normaux analysés de manière normale, ce n'était pas des parties du cerveau du bovin sur lesquelles nous travaillons habituellement mais des échantillons préparés au laboratoire de façon à obtenir un certain nombre de dilutions.

Le test Prionics a montré pour ces échantillons une interférence entre l'échantillon lui-même, la manière dont il avait été préparé et l'action de la protéase K. Le résultat donné par Prionics n'était pas négatif, c'était la détection d'un déficit d'action de la protéase K qui ne permettait pas de rendre de résultat.

Il a été mis en évidence par le test Prionics dans cet essai qu'un biais avait été introduit dans la manipulation, lié au protocole opératoire, qui a fait que le test n'a pas pu donner un résultat fiable pour un problème d'interférence.

Ce que je vous dis est clairement consigné dans le rapport qui ne conclut absolument pas à une différence de sensibilité à partir de ces résultats. J'insiste sur ce point car la notion de 30 fois plus sensible reste largement à démontrer.

Dans le cadre du développement du test, Prionics n'a pas souhaité faire des concentrations d'échantillons mais a préféré choisir une autre piste parce que les concentrations d'échantillons ne permettent de concentrer que des échantillons ayant déjà des agrégats de prion, donc des échantillons ayant un niveau de contamination déjà bien entamée.

J'aimerais revenir sur des arguments plus généraux démontrés et publiés, qui à notre sens ont pesé dans le choix du Gouvernement pour le test Prionics dans le cadre de la campagne.

Il a été vérifié que des échantillons mal traités, conservés pendant très longtemps, à des températures élevées (une semaine à 37°, par exemple) totalement liquéfiés, ne perdaient pas leur positivité. Il a été démontré aussi que la manipulation du test Prionics permet de séquencer différentes étapes et une organisation optimale au niveau du laboratoire. Ce sont des arguments très techniques mais qui, à mon avis, ont intéressé les vétérinaires qui devaient mettre en place ce test.

Le test Prionics a montré sa capacité à détecter des cas sub-cliniques. Dans le cadre de la campagne d'épidémio-surveillance en Suisse, il y a au moins deux cas pour lesquels aucun élément n'a permis de détecter le moindre signe clinique sur deux des animaux détectés.

Il a montré sa capacité à détecter des cas négatifs par histopathologie. Enfin, des études ont permis de démontrer qu'il n'y avait pas de confusion et qu'il permettait de distinguer les animaux porteurs d'ESB d'animaux porteurs d'autres affections neurologiques.

Pour conclure, certes, les tests ne permettent pas de détecter un animal qui vient d'être infecté, car il y a forcément une période plus ou moins longue pendant laquelle l'animal est porteur mais ne peut pas être détecté. Ce n'est pas une raison pour ne pas dépister les animaux porteurs. Déjà, on éliminera les animaux les plus dangereux a priori et on pourra réduire globalement le risque infectieux.

M. BUGEON (Directeur général de la Société BIO-RAD).- Il y aurait beaucoup de commentaires à faire de notre part sur la présentation de notre confrère, mais le lieu n'est pas celui d'un débat de type plus commercial que scientifique.

Des études ont été publiées, elles sont disponibles, tout le monde peut s'y référer, et nous nous réjouissons qu'une nouvelle évaluation soit en cours au niveau français permettant de faire la lumière sur les performances respectives des produits que vous pouvez trouver aujourd'hui.

Je voudrais revenir sur notre rôle en tant qu'industriels face à la crise que nous vivons aujourd'hui. Notre rôle tel que nous le voyons est de mettre en l'état actuel de nos connaissances le test le plus sensible possible sur le marché, de mettre à la disposition des gens qui souhaitent l'effectuer un test permettant de faire des analyses en grande quantité, parce que quand on parle de filière bovine, on sait qu'on a affaire à des millions de têtes abattues par an, et donc le temps pendant lequel on fait ce test et le nombre de tests qui peuvent être effectués par jour est important en vue d'un dépistage plus systématique, voire d'une enquête épidémiologique élargie.

Il permet également de mettre à la disposition des utilisateurs un test ayant recours à une technologie éprouvée. La technologie Elisa mentionnée tout à l'heure est tout à fait éprouvée puisqu'elle est couramment utilisée pour le dépistage de la plupart des maladies infectieuses, entre autre sur le plan clinique, sur le plan humain, puisque c'est une méthode utilisée notamment en transfusion pour le dépistage du sida et des hépatites.

Vis-à-vis de cette technique, nous nous sentons à l'aise en tant qu'industriels. Notre usine produit couramment 35 millions de ces tests par an et peut très facilement, pour le test de dépistage de l'ESB, répondre à des besoins sur le plan non seulement français mais de l'Union européenne, jusqu'à plusieurs millions de tests par an.

C'est le message que nous souhaitons délivrer. Nous nous sommes préparés, compte tenu de cette crise, à faire face à des demandes plus importantes. Nous avons d'ores et déjà pris des mesures pour avoir en stock plusieurs dizaines de milliers de tests et nous pouvons très rapidement en offrir des quantités beaucoup plus importantes.

C'est le message que je voudrais faire passer en tant qu'industriel à cette honorable assemblée.

M. LE DEAUT.- Merci beaucoup. Je vais donner la parole à mes collègues.

M. CHEVALLIER.- Je n'ai pas de compétence pour savoir quel est le meilleur test à utiliser, j'ai une question d'ordre général.

J'ai retenu que vous étiez en possession de tests qui permettaient de détecter l'infection avant l'apparition de signes cliniques. Une question me vient à l'esprit, qui n'est peut-être pas une question à laquelle vous pourrez répondre mais peut-être que les scientifiques qui sont intervenus tout à l'heure pourront le faire : est-ce que, dans cette phase de détection, l'animal est doué d'infection ?

A un moment où l'on arrive à détecter la présence de l'ESB, avant l'apparition de signes cliniques, est-ce que cet animal est porteur de l'infection par rapport à une éventuelle contamination et consommation au niveau du consommateur ?

Si l'on arrive à détecter la phase pendant laquelle cet animal est porteur de l'ESB et qu'il ne soit pas tout à fait infectieux, on aura fait un grand pas. Je pose la question au plan scientifique.

M. LE DEAUT.- Cette question est majeure, je l'avais posée en introduction tout à l'heure.

Vous avez croisé le fer sur la sensibilité des tests en disant que tel test était plus ou moins sensible, que ce n'était pas prouvé, et nous sommes face à un problème scientifique. Monsieur BARON disait que la notion de signes cliniques et leur apparition était aléatoire, on ne sait pas quand ils apparaissent.

Si vous arrivez à dire que vous êtes capables de doser tant d'unités infectieuses et qu'à un moment on montre que pour un faible nombre d'unités infectieuses, il n'y a pas de danger, on pourra dire que si l'on teste tous les animaux, ou en tout cas un certain nombre, on rassurera totalement le consommateur. Cette question est majeure.

M. GRASSI.- Il ne fait pas de doute qu'avant l'invasion du système nerveux central, il y a de l'infectivité notamment dans une partie de l'intestin, l'iléon, cela a été démontré sur les souris. On ne peut pas évaluer le danger que cela représente pour l'espèce humaine parce qu'on ne connaît pas l'importance de la barrière d'espèce entre les souris et l'homme.

Il ne fait pas de doute qu'un test quantitatif comme celui de BIO-RAD, quand il sera calibré par rapport à des souris qui auront été titrées, pourra donner un résultat en termes d'unités infectieuses. Le jour où l'on connaîtra la dose infectieuse humaine, on pourra peut-être en tirer des conclusions importantes.

Il ne fait pas de doute pour l'instant qu'il y a de l'infectiosité ailleurs dans l'organisme et avant qu'on la détecte avec les tests rapides...

M. LE DEAUT.- Pouvez-vous répondre sur le nombre d'unités infectieuses ?

M. DESLIS.- C'est plutôt ma partie, je vous le redévelopperai cet après-midi, je vous ai fait un exposé spécialement pour évaluer la protection de l'homme et le risque lié à la contamination.

On peut déjà dire que sur les bovins que l'on peut rencontrer, qui ont été contaminés naturellement, on ne sait pas détecter d'infectiosité en dehors du système nerveux central. On la détecte dans l'iléon, uniquement sur des bovins que l'on a contaminés expérimentalement avec une très forte dose d'agents infectieux. C'est la notion de dose qui est très importante.

Lorsqu'on vous dit que l'iléon est potentiellement dangereux, c'est parce que vous avez pris des bovins et que vous leur avez donné 100 grammes de ce que l'on trouve de plus infectieux, ce qui ne correspond pas aux conditions naturelles.

M. LE DEAUT.- C'est la question du nombre d'agents infectieux et du taux de détection sur le système nerveux central que nous aborderons cet après-midi.

M. DELAGNEAU.- Il y a eu un échantillon de tissus nerveux bovins dilués, titrés en unité de dose infectieuse « souris » et, dans un test de comparaison analytique, le test Elisa tel qu'il a été développé et repris a détecté 0,1 dose infectieuse 50 % « souris ».

Vous avez d'un côté le test « souris » utilisé avec des souris sauvages pour mesurer l'infectivité des tissus dans les conditions expérimentales et, de l'autre côté, le test Elisa sur le plan des performances analytiques voit 0,1 dose infectieuse 50 % souris.

M. CHEVALLIER.- Que nous donnerait un dépistage systématique de tout animal entrant dans l'abattoir avec application d'un de vos tests ? Quel serait le résultat concret ?

M. DELAGNEAU.- Il faut poser cette question à Marc SAVEY. Il est évident que si on appliquait ce test, au regard de ce que nous savons en premières données épidémiologiques, on trouverait des animaux supplémentaires. Ce n'était pas la finalité du programme épidémiologique tel qu'il était monté en France mais s'il est étendu demain, il répondra très bien à cette question.

M. LE DEAUT.- Pour compléter la question, le comité scientifique demandait qu'on teste de manière aléatoire à l'entrée des abattoirs des animaux sans avertir à l'avance. A-t-on commencé ? Sinon, va-t-on le commencer ?

M. MANFREDI.- En ce moment, très précisément, tous les animaux entrant en abattoir pour abattage d'urgence sont testés sur l'ensemble du territoire national. Ce programme va se terminer très rapidement dans les 83 départements qui viennent de démarrer, puisqu'on a un nombre de prélèvements à faire sur les 83 départements de l'extension qui est moindre que dans les 12 premiers départements du Grand Ouest. Dans les 12 départements du Grand Ouest, nous terminerons sans doute ce programme aux alentours de mars ou avril 2001.

A ce jour, sur les 12 départements du Grand Ouest, l'intégralité des animaux abattus d'urgence est testée.

M. LE DEAUT.- Ce n'est pas notre question.

Comme le recommande notamment Monsieur DORMONT, va-t-on mettre en place un test aléatoire dans un certain nombre d'abattoirs sur des animaux ne présentant théoriquement aucun risque ?

M. MANFREDI.- Le test aléatoire fait l'objet d'un protocole mis au point par le comité DORMONT, examiné par l'AFSSA, dont nous devrions dans les prochains jours examiner la faisabilité en comité scientifique de suivi.

M. CHEVALLIER.- Que sont les abattages d'urgence ?

M. MANFREDI.- Ce sont tous les animaux qui entrent sur les chaînes d'abattage pour cause d'accident. Tous les animaux auparavant abattus d'urgence pour cause de maladie sont désormais directement euthanasiés et font l'objet du prélèvement mais dans le cadre de l'euthanasie.

M. LE DEAUT.- Je crois me faire le porte-parole d'un certain nombre de parlementaires pour que ce protocole de tests aléatoires soit mis en place. C'est ce que réclament certains de nos concitoyens.

Au niveau du Parlement, c'est l'un des points que nous jugeons importants. L'intérêt d'une telle réunion est de faire passer un certain nombre de messages.

D'autres disent même qu'on rassurerait totalement si l'on testait la totalité des animaux abattus. Vous nous avez dit que vous étiez prêts à le faire mais il y a des intérêts économiques importants derrière. On m'a dit que le goulot d'étranglement n'était pas le test mais les prélèvements puisque vous avez bien expliqué que tous les tests se font post-mortem.

Est-ce possible et souhaitable ?

M. MANFREDI.- Le goulot d'étranglement, ce ne sont pas les tests, c'est toute l'orchestration des différents métiers qui ont à travailler ensemble et surtout la logistique.

La logistique nous oblige, pour ce genre de prélèvements, à avoir des vecteurs spécifiques dont il faut bien reconnaître que, pour les 12 premiers départements français du Grand Ouest, nous n'avons pas eu de grande difficulté à les trouver eu égard à la capacité agroalimentaire et à la capacité en transport frigorifique de cette région. En revanche, pour les autres départements, nous avons eu quelques difficultés à trouver des logisticiens qui puissent satisfaire aux réglementations en cours concernant le transfert de ces prélèvements.

Mais nous arriverons à le faire. Il faut savoir que quand les 13 laboratoires départementaux d'analyses choisis tourneront à plein régime (c'est le cas des 3 seniors), ils pourront tester environ 1 000 animaux par semaine.

Le nombre des animaux adultes de race bovine abattus par an sur le territoire national frôle les 6 millions. Si l'on compte 200 jours ouvrés, ce qui fait 30 000 animaux par jour, soit 150 000 animaux par semaine, vous mettez cela en face des 1 000 par laboratoire susceptibles d'être analysés dans les conditions d'extrême rigueur que nous avons mises en place, nous avons à valider, à mettre en place, à outiller, à aménager un nombre non négligeable de laboratoires suspectés capables d'assurer des prestations de la qualité de celles qui sont actuellement assurées dans les 3 LDA et, depuis quelques jours, dans les 10 autres.

M. LE DEAUT.- A la question de savoir s'il serait souhaitable de monter en puissance, si on peut le faire, avec de bonnes conditions techniques que vous indiquez, que répondez-vous ?

M. MANFREDI.- C'est quelque chose qui est envisageable. Si nous avons l'instruction de mettre en place ces tests, nous le ferons avec un différé dans le temps qui me paraît évident.

D'où la position du Comité vétérinaire permanent à Bruxelles où je représentais avec un autre collègue la branche vétérinaire du Gouvernement français, nous avions opté davantage pour un programme aléatoire ou un programme progressivement mis en place sur le territoire national. Il semblerait, à écouter les décisions des ministres de l'Agriculture de cette nuit, que ce ne soit pas tout à fait cela.

M. BUGEON.- En tant qu'industriels, nous partageons le point de vue de Monsieur MANFREDI sur ce goulot d'étranglement. La logistique est une chose importante ; l'environnement et la qualité de l'analyse aussi. C'est également sur ces points que nous avons porté nos efforts ces derniers mois de façon à entraîner nos équipes et que nos services de support à travers tout le territoire français soient le plus rapidement opérationnels pour le cas où une décision serait prise d'élargir le processus de dépistage.

Notre proposition inclut non seulement le test lui-même mais l'ensemble de la chaîne qui va du prélèvement jusqu'au rendu de l'analyse.

M. BARON.- Nous avons ici un débat complexe puisqu'on se pose la question de savoir en quoi un dépistage plus ou moins systématique, exhaustif protège la sécurité du consommateur ou pas.

Dans les exposés faits précédemment, nous avons vu la marge d'incertitude scientifique qui existait, en particulier par rapport à la précocité du diagnostic pré-clinique et par rapport à la question cruciale de la dose infectante.

Au détour des conditions de faisabilité extrêmement importantes, il est certain que ceci nécessiterait un effort budgétaire conséquent, la question est de savoir quelles sont les mesures sur lesquelles il vaut mieux focaliser notre attention.

Il a été dit que la protection de la santé du consommateur résultait d'un ensemble de mesures successives et qu'il ne faudrait pas se tromper de cible en oubliant que la mesure centrale est le retrait des matériels à risque spécifié et son contrôle. Si ce contrôle n'est pas opérationnel et effectif, il reste une source d'exposition potentielle, fut-elle résiduelle.

On peut s'interroger sur le fait de savoir s'il ne vaut mieux pas porter son effort sur les contrôles de l'exposition plutôt que sur le contrôle d'animaux qui, en principe, font l'objet de mesures réglementaires mises en place de façon exhaustive.

M. LE DEAUT.- Pour enlever des matériaux à risques spécifiés et les contrôler, il faut d'abord savoir si la bête abattue présente des risques.

M. BARON.- Le fait d'enlever des animaux positifs contribue à la diminution de l'exposition mais ceci ne doit pas occulter le fait que si l'on ne retire que 90 % des matériels à risque spécifiés, l'efficacité des tests à grande ampleur sera moindre que celle qui peut être le fait d'un laboratoire de recherche, et que l'on restera avec une certaine portion de risque.

M. LE DEAUT.- Vous pensez qu'avec l'enlèvement de la totalité des matériaux à risques spécifiés, si c'est contrôlé, la question de la généralisation du test se pose moins ?

M. BARON.- Si elle se pose, c'est un changement politique majeur.

Nous avons évoqué tout à l'heure le test aléatoire. Il n'a pas pour objectif de protéger la sécurité du consommateur mais d'éviter que des fraudes conduisent à l'entrée d'animaux positifs dans des circuits où les tests ne seront pas mis en oeuvre. C'est un objectif radicalement différent.

M. KERT.- On a juste esquissé le problème des coûts. Si l'on doit aller vers des tests généralisés, peut-on avoir une idée de ce que coûte un test et de le généraliser ?

M. MANFREDI.- Si dans le coût vous englobez la totalité, à savoir la prestation en laboratoire, l'achat du kit, les émoluments aux vétérinaires, les frais de logistique, les frais d'équarrissage, vous arrivez sur les 12 départements à quelque chose qui frôle les 1 500 F par animal testé.

M. LE DEAUT.- Comment arrivez-vous à 1 500 F avec un test à 100 F ?

M. MANFREDI. - 300 F pour l'équarrisseur, 420 F pour le laboratoire départemental, 100 F pour le test, le reste étant à répartir entre les émoluments au vétérinaire préleveur, au vétérinaire détecteur dans les exploitations et aux logisticiens.

Pour faire cette campagne de tests, il a fallu (et c'est l'une des fiertés de mon équipe) mettre au point un dispositif pour faire le prélèvement. Cela n'existait pas. En collaboration avec un fabriquant de Seine-Maritime, il a fallu mettre au point une cuillère à usage unique. C'est la seule au monde, notre fierté est d'avoir la possibilité de faire commercialiser par cette PME cette cuillère à travers toute l'Europe.

Il a fallu inventer la cuillère, les conteneurs de vectorisation au sein des vecteurs obligés. Il a fallu se décider pour des micro-conteneurs. Il a fallu tout inventer.

Votre question était de savoir si l'on pouvait étendre, je ne fais que répondre qu'on le peut, je ne me suis pas prononcé sur la qualité de l'extension ni sur le fait qu'elle se justifiait.

Nous maîtrisons maintenant de A jusqu'à Z la totalité des écueils et de tous les « plis de tapis » dans lesquels nous nous sommes « cassés le nez », particulièrement votre serviteur pendant quelque mois.

M. GATIGNOL.- Est-ce que l'âge de nos animaux entrant sur la chaîne d'abattage peut être considéré comme un élément déterminant ? Il y a les plus de 24 mois, les plus de 30 mois, la cohorte de ceux qui se sont révélés positifs à la détection. Est-ce une orientation qui pourrait être prise en compte ?

M. GRASSI.- Il est bien évident qu'à partir du moment où l'on a dans un très petit nombre de cas détecté au niveau du système nerveux central l'agent infectieux avant 30 mois, si des tests systématiques devaient être mis en place, ils ne le seraient pas sur l'ensemble de la population des bovins abattus mais sur ceux ayant plus de 24 ou 30 mois, ce qui réduirait le nombre de tests à faire. De toute façon, ces tests ne donneraient aucun résultat avant cette période.

M. GATIGNOL.- Il s'agit de recherche au titre de l'épidémiologie et non pas de sécurité alimentaire puisque depuis ce matin vous nous répétez que le steak n'est jamais porteur d'éléments contaminants.

M. GRASSI.- S'agissant des études épidémiologiques, il faut s'intéresser rapidement aux populations qui fournissent tous les cas d'ESB, c'est-à-dire ceux nés entre 1993 et 1996, pour avoir une idée précise de l'incidence de la maladie dans ces tranches, et éventuellement prendre des décisions.

M. MANFREDI.- Je souhaite également préciser que dans les prochains jours allaient être prises des mesures réglementaires pour les colonnes vertébrales.

M. LE DEAUT.- Je vous remercie Mesdames et Messieurs d'avoir assisté à cette matinée d'auditions.

Un point important a été indiqué et que nous avons réussi à faire préciser : à partir du moment où vous indiquez que c'est sur les matériaux à risques spécifiés qu'il faut donner la priorité, cela signifie que le test de détection ne vient que dans l'hypothèse d'une contamination d'autres parties de l'animal.

Est-ce qu'à un moment on réussit totalement à rassurer des consommateurs sur la viande rouge quand on voit dans les enquêtes aujourd'hui qu'un français sur 5 a arrêté de manger de la viande après la nouvelle crise qui vient de se passer ? C'est un problème que nous aurons à nous poser, qui dépasse les problèmes techniques.

Toutes les décisions ont été prises mais, aujourd'hui encore, lorsqu'on voit que dans des cantines de beaucoup de villes de France on ne sert plus de viande, cela signifie que dans l'esprit le risque perçu par la population dépasse largement les matériaux à risques spécifiés, et là la question du test pour rassurer continue de se poser.

Je vous remercie d'avoir donné ces éclairages, cette matinée a été très intéressante.

La séance est suspendue à 12 h 50

APRES-MIDI

La séance est reprise 14 h 50 sous la présidence de Monsieur LE DEAUT.

M. LE DEAUT - Nous reprenons nos travaux.

- LA TRANSMISSION DE LA NOUVELLE VARIANTE DE LA MALADIE DE CREUTZFELDT-JAKOB

Exposé introductif sur l'état des connaissances et des recherches sur les prions.

Pr DORMONT (Chef du service de neurovirologie de la Direction des Sciences du vivant du CEA, Président du Comité interministériel sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et les prions) - Je vais commencer par faire un rappel sur les zones d'ombre qui restent dans la connaissance des maladies dites « à prion » ou encéphalopathie spongiforme transmissible.

A l'heure actuelle, la nature exacte de l'agent transmissible et la façon dont il se multiplie ne sont pas connues avec précision, même si un nombre considérable d'éléments indique que le composant principal de ces agents est une protéine de l'hôte qui possède des propriétés physico-chimiques anormales. A l'heure actuelle, on ne sait pas avec précision si cette protéine est le seul élément de l'agent infectieux ou si « autre chose » - et dans cette « autre chose » tout est ouvert - est associé à cette protéine dans la définition, dans l'entité infectieuse.

La théorie qui aujourd'hui prévaut est celle du prion et celle-ci est la suivante : l'infectiosité est supportée par une structure tridimensionnelle anormale d'une protéine de l'individu. Lorsque quelqu'un est infecté, la protéine dite Prp modifie sa structure tridimensionnelle. Celle-ci est stable et induit un certain nombre de désordres qui vont conduire à la mort des neurones, et donc, tôt ou tard, à la dégénérescence et à la mort de l'individu.

Il faut admettre dans cette théorie qu'il y ait possibilité de transfert de structure tridimensionnelle anormale entre 2 protéines : la protéine qui participe à l'infection, protéine anormale, et celle normale qui existe chez le receveur. Ceci implique donc un contact entre la protéine du donneur et celle du receveur, et un transfert de ces caractéristiques tridimensionnelles anormales qui feront ensuite que cette protéine ne pourra pas être métabolisée normalement par la cellule, va s'y accumuler et provoquer les désordres auxquels je faisais allusion tout à l'heure.

Cette théorie du prion est aujourd'hui supportée par un certain nombre de faits expérimentaux qui sont :

      1) La composition quasi exclusivement protéique des fractions infectieuses.

      2) Le fait que cette protéine, sous sa forme anormale qui lui permet de résister aux enzymes qui habituellement la dégradent, est le composant majeur des fractions infectieuses.

      3) Le spectre d'inactivation de ces agents qui est particulier puisqu'il est extrêmement difficile de se débarrasser d'un prion avec des procédés physiques ou chimiques. Il faut des traitements très forts pour commencer à voir l'infectiosité diminuer. Or, ces traitements très forts semblent, dans l'état actuel des connaissances, assez difficilement compatibles avec un agent conventionnel, un virus conventionnel en particulier.

Néanmoins, je pense qu'il faut se garder absolument d'avoir une idée préconçue sur la nature de ces agents, et tant qu'on n'aura pas identifié par exemple la structure tridimensionnelle de la protéine anormale, il faut garder l'esprit ouvert à toute autre possibilité et ne pas considérer que la théorie du prion est démontrée et que tout est figé dans les connaissances.

Parmi les autres points qui restent aujourd'hui assez peu connus, il y en a 2 qui concernent la pathogenèse, 2 qui concerne les mécanismes de la maladie.

Le premier concerne l'aptitude, la connaissance des mécanismes qui font que ces agents vont persister dans le système immunitaire d'une façon générale, dans les formations lymphoïdes associées au tube digestif, d'abord quand il s'agit d'une contamination orale, pendant un certain nombre de mois ou d'années selon l'espèce et son espérance de vie. Les cellules cibles de ces agents ne sont pas encore identifiées avec précision, et les mécanismes qui font que la persistance de ces agents dans le système immunitaire ne s'accompagnent pas de modification identifiable des fonctions immunitaires ne sont pas connus.

Autre point inconnu, ce sont les mécanismes précis qui permettent à l'agent d'entrer dans le système nerveux. Comment l'agent passe du système immunitaire au système nerveux ?

Plusieurs hypothèses sont proposées. La plus probable aujourd'hui serait l'utilisation des terminaisons nerveuses qui innervent à la fois le tube digestif et les formations lymphoïdes du système immunitaire qui sont associées au système digestif. Cependant, certains auteurs évoquent aussi la possibilité d'une perméabilité de la barrière hémato-encéphalique. Même si cette hypothèse semble moins probable, il ne faut pas la rejeter.

Autre mécanisme non connu encore avec précision, c'est le mécanisme par lequel l'accumulation de la protéine anormale entraîne la mort des neurones. On a un certain nombre d'indicateurs qui font penser que des mécanismes de mort cellulaire programmée interviennent, mais ce sont des résultats expérimentaux de travaux effectués in-vitro dont on ne connaît pas encore la pertinence in-vivo.

Sur un plan des estimations scientifiques des risques de santé publique, en particulier, puisque c'est le thème de cette session, pour ce qui est de l'homme, il manque un certain nombre de connaissances. La première des connaissances qui nous manque est la dose minimale infectieuse pour l'homme. Nous ne savons pas aujourd'hui quelle est cette dose minimale infectieuse.

Deuxième point critique : quels sont les effets de dose sub-infectieuse, c'est-à-dire en dessous de la dose infectieuse, mais administrée de façon répétée dans le temps.

Troisième inconnue : la durée de la période d'incubation chez l'homme en fonction de la dose à laquelle il est exposé.

Dernier point : la force de la barrière d'espèce entre le bovin et l'homme.

Ces 4 points qui sont critiques pour essayer par exemple d'estimer le nombre de cas à venir de nouvelle variante de maladie de Creutzfeldt Jakob ne sont pas encore connus. Ils sont extrêmement difficiles à aborder sur le plan expérimental, même dans des systèmes impliquant des animaux génétiquement modifiés comme les souris trans-géniques, et ce sont probablement les études menées à la fois en Europe et aux Etats-Unis chez le primate qui permettront d'apporter une partie des réponses.

Toujours dans cette introduction, sur les points manquants aujourd'hui de la connaissance dans les maladies dites « à prion », je voudrais aborder le problème de la thérapeutique. Nous ne savons pas aujourd'hui traiter les patients atteints de la maladie Creutzfeldt Jakob, quelle qu'en soit la forme, qu'il s'agisse d'une maladie sporadique, familiale, iatrogène ou encore de cette nouvelle forme de maladie de Creutzfeldt Jakob.

Nous sommes totalement démunis face aux patients. On ne peut pas espérer prolonger aujourd'hui leur survie avec la pharmacopée, avec les drogues qui ont une autorisation de mise sur le marché ou les drogues qui sont arrivées avec un état de développement permettant un essai clinique par exemple.

En revanche, sur le plan expérimental, nous disposons d'une petite dizaine de molécules qui sont actuellement en étude dans plusieurs laboratoires dans le monde et qui, dans des conditions expérimentales particulières, permettent d'augmenter la survie des animaux qui sont expérimentalement infectés. Le plus souvent, ces molécules nécessitent d'être administrées très tôt après l'infection, voire juste avant l'infection, ce qui rend impossible leur utilisation en clinique humaine puisque, aujourd'hui, nous ne savons pas repérer les individus qui sont infectés et pas encore symptomatiques, et parfois même nous avons des difficultés à faire le diagnostic chez les sujets malades.

Le dernier point que je souhaite aborder est l'absence aujourd'hui d'un test de dépistage chez l'homme qui pourrait être applicable chez le sujet en période d'incubation. Nous avons aujourd'hui des indicateurs, ce que l'on appelle les marqueurs de la maladie, comme la protéine 14.3.3 dans le liquide céphalo-rachidien, qui permettent d'aider au diagnostic de la forme classique de la maladie Creutzfeldt Jakob. Nous avons la mise en évidence dans certains tissus lymphoïdes, et dans le système nerveux central lorsqu'il y a eu une biopsie, de la protéine pathologique du prion résistant aux protéases. Cependant, tout cela ne peut être effectué que lorsque le sujet a déclaré sa maladie.

Or, ce qui est important en termes de santé publique, c'est l'estimation de la prévalence de l'infection dans la population générale. Pour cela, il nous faudrait donc un test simple, praticable probablement sur le sang, qui puisse permettre de diagnostiquer l'infection par un prion quelconque de l'homme, et je dois dire que cette mise en place d'un test de dépistage chez l'homme pendant la période asymptomatique permettrait de lever beaucoup des points d'interrogation que j'ai évoqués auparavant.

M. LE DEAUT - Merci Monsieur le professeur DORMONT. Je vais demander à mes collègues présents s'ils ont des questions à poser, puisque le professeur DORMONT doit partir.

Je vais poser la première question. Ce matin, Monsieur le Ministre de la Recherche a indiqué comme vous qu'il fallait développer la recherche parce que la connaissance de la maladie passait par le développement de la recherche. Aussi bien le CEA qui était pionnier que le CNRS, l'INRA ou l'INSERM et quelques autres instituts travaillent sur les maladies à prion. Que serait-il indispensable de faire aujourd'hui au niveau de la recherche pour réussir à accroître notre potentiel de connaissance sur les maladies à prion ?

Pr DORMONT - Je commencerai par une boutade. Dès lors que vous demandez à un chercheur s'il veut accroître ses moyens, il vous répondra toujours oui et c'est bien normal.

Ceci posé, les moyens qui sont mis à disposition de la Recherche constituent le résultat d'une évaluation menée par les Autorités, par les Pouvoirs Publics et par la Société. Ces moyens étant attribués, ce qui aujourd'hui fait le plus défaut, c'est la possibilité de pérenniser des actions de recherche en termes de personnels. S'il y avait une amélioration à suggérer, en dehors même de l'enveloppe budgétaire qui reste de la responsabilité des Pouvoirs Publics, c'est la possibilité juridique de pouvoir prendre des chercheurs, des personnels techniciens, animaliers, pendant des temps qui sont compatibles avec ce type d'expériences.

A titre d'exemple, lorsque vous voulez évaluer l'efficacité d'un médicament dans les maladies à prion, vous utilisez très communément un modèle chez la souris, et l'évaluation de l'effet d'une dizaine de doses d'un médicament chez la souris demande environ 18 mois à 2 ans en moyenne. Ce sont des choses qui sont longues et qui nécessitent un effort soutenu dans le temps.

M. CHEVALLIER - Monsieur le Professeur, est-ce que toutes les maladies à prion se traduisent in fine par une manifestation type Creutzfeldt Jakob ?

Deuxièmement, par rapport aux différents événements que nous avons vécus dans le dossier de la vache folle, entre les avis donnés par le Comité DORMONT, le Comité à l'échelon européen, parfois il y a des avis divergents. Or, nous sommes en face d'experts qui, semble-t-il, possèdent une connaissance scientifique de haut niveau mais avec des appréciations différentes. Nous avons été un peu choqués que des experts puissent avoir sur cette maladie et son mode d'expression des avis divergents.

Troisièmement, quelle coordination existe-t-il actuellement au niveau de la recherche au plan européen ?

Pr DORMONT - Je répondrai d'abord sur le second point. Plus un sujet scientifique comporte d'incertitude, plus il y a place aux avis divergents par nature puisque, à ce moment, vous êtes obligé de faire de plus en plus d'hypothèses en fonction du delta d'incertitude que vous avez.

Pour ce qui est des avis divergents ou qui ont pu être perçus comme divergents entre les experts français et les experts européens, pour ma part sur le plan de la pure analyse scientifique, des faits scientifiques, je n'ai pas vu de divergences majeures entre les écrits du Comité Scientifique Directeur de l'Union Européenne et les écrits du Comité Interministériel Français. La différence qui apparaît est postérieure à cela. En d'autres termes, le Comité Français d'une part a décidé de prendre en compte l'ensemble des incertitudes, et d'autre part souhaite voir les effets de mesures administratives avant de tirer quelque conclusion que ce soit.

En d'autres termes, vous faites allusion je suppose à la levée de l'embargo. Les mesures proposées par le gouvernement britannique à l'Union Européenne ont été jugées satisfaisantes par les 2 comités et comme améliorant considérablement la sécurité des produits d'origine bovine. Le Comité Scientifique Directeur a dit d'accord, le Comité Interministériel Français a dit : c'est très bien, l'incubation de la maladie est de 5 ans, attendons 2001 pour voir si ces mesures sont correctement appliquées.

Votre première question était de savoir si tous les gens infectés par un prion vont développer une maladie à prion.

On sait de la pathologie expérimentale, en particulier dans le franchissement de barrière d'espèce, lorsqu'un prion passe d'une espèce à une autre, il existe un certain nombre d'animaux qui, inoculés lors de ce premier passage inter-spécifique, meurent de leur belle mort sans signe clinique, et si vous prélevez le cerveau de ces animaux vous pouvez voir des lésions évocatrices de maladie à prion, parfois même il est possible de ne pas en voir, mais en ré-inoculant ce cerveau à d'autres animaux, en faisant ce que nous appelons un second passage, vous pouvez voir émerger l'infectiosité.

Le fait de ne pas voir de maladie clinique dans un passage inter-spécifique n'est pas suffisant pour estimer l'absence de multiplication du prion. Ces faits sont connus depuis à peu près 30 ans. Ce ne sont pas des nouveautés. Cela a été très bien rappelé et bien démontré récemment par un article d'un de nos collègues britanniques.

Votre troisième point portait sur l'organisation de la recherche au plan européen ; je vous donnerai mon sentiment personnel. J'ai trouvé que les programmes européens qui ont été faits jusqu'à l'année dernière, soutenus par l'Union Européenne jusqu'à l'année dernière, ont donné un souffle important à la recherche européenne sur le sujet et en particulier à la coopération entre les laboratoires puisque, comme vous le savez, la Commission ne soutient que les projets de laboratoires en réseau.

Vous êtes obligé, lorsque vous présentez un projet auprès de l'Union Européenne, d'être associé avec d'autres laboratoires d'autres pays. Cette obligation finalement a été très positive parce que cela oblige à collaborer, à se rencontrer fréquemment, à échanger du matériel, cela oblige à standardiser les méthodes, et le Professeur WILL pourra vous dire combien cela a été fructueux dans sa partie qui est l'épidémiologie et la standardisation des méthodes de diagnostics.

M. LE DEAUT - En complément, vous avez indiqué 4 points où les connaissances n'étaient pas suffisantes.

Pr DORMONT - Entre autres.

M. LE DEAUT - Vous n'avez pas parlé de susceptibilité génétique. Pensez-vous que cela pourrait être le cinquième point ?

Pr DORMONT - Il existe des formes de maladie de Creutzfeldt Jakob « familiales » qui sont associées à la présence d'une mutation dans le gène de la protéine Prp (dans le gène de la protéine du prion normal), et on a pour habitude aujourd'hui de considérer que ces mutations sont à l'origine de la maladie. Cela représente entre 5 et 10 % des cas de Creutzfeldt Jakob habituels. Là, il y a une importance de la génétique.

Dans les 90 % restants, dans les formes sporadiques de la maladie de Creutzfeldt Jakob, dans les formes qui sont liées à la contamination accidentelle, soit par des instruments de neurochirurgie mal décontaminés ou insuffisamment décontaminés, soit par l'hormone de croissance, et dans la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob, on a pu mettre en évidence une structure particulière du gène de la Prp associé à une plus grande susceptibilité à la maladie de Creutzfeldt Jakob.

C'est ce que l'on appelle le polymorphisme au niveau du codon 129. Dans sa 129ème position du gène de la Prp, vous pouvez avoir, soit un acide aminé qui s'appelle la méthionine, soit un acide aminé qui s'appelle la valine. Si vous héritez de votre père de la méthionine et de votre mère de la méthionine vous serez homozygote méthionine/méthionine. Si vous héritez de votre père et de votre mère de la valine, vous serez homozygote valine/valine, et si vous héritez de votre père de la méthionine et de votre mère la valine, vous serez hétérozygote méthionine/valine.

Or, il se trouve que 90 % des Creutzfeldt Jakob liés à l'hormone de croissance extractive sont homozygotes au codon 129 dans les 3 séries qui ont été investiguées aux Etats-Unis en Grande-Bretagne et en France.

Cette sur-représentation au codon 129 existe aussi dans la forme classique sporadique de la maladie de Creutzfeldt Jakob, et tous les malades présentant les nouvelles variantes de la maladie de Creutzfeldt Jakob, chez qui cet examen a été pratiqué, sont homozygotes méthionine/méthionine au codon 129. Ce que l'on peut dire aujourd'hui, c'est qu'à ce jour, et sous réserve que le Professeur WILL ne nous apporte pas un cas identifié hier, l'ensemble des patients chez qui a été fait une analyse du gène de la Prp et qui présentent une nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob ont une structure génétique particulière au codon 129. Ils sont tous méthionine/méthionine.

Le problème est de savoir si cette homozygotie est un facteur « de protection » ou si c'est un facteur qui gouverne la durée de la période d'incubation comme on a pu le constater dans d'autres catégories de maladies à prion et chez des sujets exposés à l'hormone de croissance et dans le Kuru.

La logique aujourd'hui voudrait qu'on considère cette structure génétique comme plutôt un facteur non pas de susceptibilité à 100 % mais une structure génétique qui gouverne probablement la durée de la période d'incubation, mais la question reste ouverte.

M. JEAN-JACQUES DENIS - Je souhaiterais poser une question d'étape pour essayer de comprendre. Apparemment, il y a beaucoup de théories, des hypothèses, je voudrais vous poser deux questions simples. D'abord, est-ce que l'encéphalopathie spongiforme transmissible est vraiment une maladie humaine ? Ensuite, qu'est-ce qui vous permet, vous scientifiques, d'établir un lien direct entre la forme bovine et la forme humaine ?

Pr DORMONT - Une maladie qui se déclare chez l'homme est une maladie forcément humaine.

Vous posez la question suivante : quelle est la force des arguments scientifiques que nous avons aujourd'hui pour considérer que la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob correspond à l'exposition de l'homme à l'agent de la maladie bovine ?

Etant donné les incertitudes que nous avons sur la nature même des prions, il m'est impossible de vous dire que le prion est exactement le même dans les deux cas puisque nous ne savons pas exactement disséquer la composition d'un prion. Ceci est de la science très dure et carrée.

Ceci étant posé, en 1996, vous savez que les Britanniques ont décrit 10 cas de maladie de Creutzfeldt Jakob chez des jeune gens en Grande-Bretagne. Il existait déjà des cas de maladie de Creutzfeldt Jakob chez des gens jeunes mais ces cas étaient rares, en dehors même de toute contamination médicale ou chirurgicale. La présence de 10 cas ensemble sur une période de 14 mois à 18 mois constitue en soi un phénomène d'alerte, sachant que cela ne veut pas dire que l'ESB est impliqué.

Quels sont les arguments qui permettent de dire que l'ESB est impliqué ? D'abord, le fait qu'il n'y a pas d'autres explications satisfaisantes quant à l'origine de ces 10 premiers cas de la maladie de Creutzfeldt Jakob sous sa nouvelle variante en Grande-Bretagne. Nos collègues britanniques ont investigué le passé des patients et n'ont pas trouvé de possibilité de contamination chirurgicale ou médicale qui soit commune à l'ensemble de ces patients. Ils n'ont pas trouvé non plus de mutation dans le gène de la Prp, ce qui en aurait fait des maladies génétiques.

Deuxième point, depuis 1996, les médecins les chercheurs ont travaillé et, sur le plan épidémiologique, vous avez 85 cas de nouvelle variante de la maladie Creutzfeldt Jakob sur le territoire des îles britanniques et 4 cas en dehors du Royaume-Uni.

L'encéphalopathie bovine spongiforme, c'est un peu moins de 180 000 cas dans les îles britanniques, aux alentours de 1 000 cas en dehors des îles britanniques. Vous avez une similitude épidémiologique de la répartition de la maladie humaine et de la maladie animale. La maladie humaine arrive 10 ans après la maladie animale, ce qui est compatible avec une transmission entre l'animal et l'homme.

Si l'on part de 1996 jusqu'à aujourd'hui, en 1996 le réexamen par Mademoiselle LASMEZAS que vous avez entendu ce matin du cerveau de singe inoculé par l'agent de l'encéphalopathie bovine spongiforme a permis de retrouver les lésions qui étaient reconnues comme spécifiques de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob. Un primate que vous inoculez par l'agent de l'encéphalopathie bovine reproduit les lésions spécifiques de la nouvelle forme humaine. Il y a donc similitude neuropathologique des deux maladies.

Est arrivé ensuite un argument biochimique. Il se trouve qu'on arrive à mettre en évidence des caractéristiques propres à la protéine pathologique du prion qui s'accumulent dans les nouvelles variantes de la maladie de Creutzfeldt Jakob, et ces caractéristiques physico-chimiques que l'on voit à l'électrophorèse et l'immunodétection ne sont vus que sous cette forme là chez l'homme. Ces caractéristiques physico-chimiques sont retrouvées chez le singe infecté par l'agent bovin.

Il y a donc similitude biochimique entre l'agent de la nouvelle variante et l'agent de l'encéphalopathie bovine spongiforme.

Puis, est arrivé ce qu'à titre personnel je considère comme l'argument ultime, à savoir le travail d'une scientifique d'Edimbourg qui, par une technique lourde et sophistiquée, dissèque les propriétés biologiques des souches de prion. Elle a démontré que la souche correspondant à la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob était très différente des autres souches connues de maladie de Creutzfeldt Jakob mais en revanche était strictement identique à la souche d'encéphalopathie bovine spongiforme.

Ce sont, à mon avis, les trois arguments les plus forts qui incitent à considérer que, en termes de santé publique, on doit admettre que la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob est liée à l'exposition de l'homme à l'agent bovin.

Enfin, en décembre 1999, est sorti un travail de l'équipe de Stanley PRUSINER, prix Nobel 1997, qui montrait que dans des souris génétiquement manipulées la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob et l'encéphalopathie bovine spongiforme avaient des caractéristiques étonnamment proches. Je n'ai vu aucun papier publié au cours de ces 4 dernières années qui amènent un argument allant contre l'identité de l'agent du nouveau variant et de l'encéphalopathie bovine spongiforme.

M. LE DEAUT - Merci de cette présentation.

Pr MC CONNELL - Je voudrais faire deux observations concernant le débat. D'abord, il ne faut pas se préoccuper des désaccords scientifiques chez les experts. C'est bien le processus de la science, c'est le bien de la science, il vaut mieux avoir des idées soumises à l'épreuve plutôt que d'avancer en pensant que tout est merveilleux.

Ensuite, concernant la coopération au sein de l'Union Européenne, celle-ci est indispensable car les expertises scientifiques sont investies dans un petit nombre de laboratoires. Une des premières critiques adressées à la crise de l'ESB a été communiquée au public par trop peu de bouches ; il y avait trop peu de personnes qui planchaient sur le problème. C'est en partie une question de financement, essentiellement dû au fait que dans le système universitaire au Royaume-Uni, nous finançons la science sur une base de 3 ans. Vous ne pouvez pas étudier des maladies qui ont une période d'incubation de 5 ans avec des crédits sur 3 ans. Vous ne pouvez pas étudier des maladies de virus lents avec de l'argent rapide.

Mon propos est que la coopération européenne entre les groupes est tout à fait indispensable, et je me félicite de son existence. Je préside un groupe d'examens sur la recherche britannique ; nous avons été chargés de trouver des experts en dehors du Ministère de l'Agriculture, et je peux vous dire que nous avons reçu beaucoup d'aide de la part de nos collègues français et européens. La coopération européenne est donc essentielle. Outre le financement à long terme, il y a la question critique concernant la dépense de ce chantier de recherche qui est très coûteux.

Il y a de nombreuses personnes dans de nombreux laboratoires qui sont fascinées et qui souhaitent ardemment travailler sur cela. Cependant, en raison de contraintes très rigoureuses, tous les laboratoires ne sont pas équipés pour travailler là-dessus.

Pour donner un exemple, dans mon propre laboratoire, si moi-même ou l'un ou l'autre de mes collègues souhaite travailler dans ce domaine de recherche, il nous faut un équipement dédié et cet équipement dédié ne peut pas être reproduit dans chaque service universitaire qui souhaite travailler dans cet axe de recherche. Cela s'applique notamment au centre animalier, et là où nous évoluerons c'est précisément en favorisant la coopération entre ceux qui ont les idées, qui peuvent réagir et relever les défis scientifiques et ceux qui ont les moyens, les équipements, les animaleries.

Tout ce qui peut être fait au niveau des Pouvoirs Publics pour favoriser cette coopération entre les laboratoires d'état et universitaires me paraît très important car au bout du compte, ce qui compte, c'est cette masse critique, à savoir le nombre de chercheurs, de scientifiques qui travaillent sur ce problème.

M. LE DEAUT - Il y a une dernière question au Professeur DORMONT avant de passer à la table ronde. La question qui a été abordée ce matin assez largement sur la transmission du prion après ingestion et sur le passage vers le système nerveux impose obligatoirement un passage par le sang. Cette question est liée à l'incertitude quant à l'effet de seuil dans l'agent infectieux. En effet, s'il y a passage par le sang, cela veut dire que des particules infectieuses sont en contact avec des matériaux à risque et avec d'autres formes que les matériaux à risque spécifiés.

En tant que scientifique, pouvez-vous fournir une explication ?

Pr DORMONT - C'est un sujet qui est l'objet de débat. Les expérimentations menées en particulier chez la souris, qui montrent une dissémination de la protéine pathologique et donc de l'infectiosité aux formations lymphoïdes associées au tube digestif et en dehors du tube digestif - compte tenu de ce que l'on connaît de la circulation des cellules du système lymphoïde et les relations qui existent entre système lymphoïde associé au tube digestif et système lymphoïde en dehors du tube digestif - suggèrent qu'il y a passage à un certain moment au moins par les voies sanguines.

Je dois dire que cela ne fait pas l'unanimité de la communauté scientifique, et en particulier quelques chercheurs américains pensent que l'infection se fait directement par les plexus de Meisner qui sont les formations nerveuses associées au tube digestif.

S'il y avait une estimation à faire entre l'efficacité de ces deux voies, elles sont toutes deux possibles mais la voie qui a été évoquée ce matin, qui est une voie de dissémination via les organes lymphoïdes, d'installation de la réplication dans les organes lymphoïdes secondaires et ensuite d'entrée dans le système nerveux périphérique, me semble au moins aussi probable que l'infection directe du système nerveux périphérique à partir des formations nerveuses associées au tube digestif.

Table ronde

M. LE DEAUT - Je vais changer l'ordre des interventions après discussion avec certains d'entre vous. Nous entendons d'abord le Professeur WILL.

Pr WILL (Western General Hospital d'Edimbourg, Directeur de l'Unité de Surveillance de la maladie de Creutzfeldt Jakob de Grande Bretagne) - Je suis très heureux d'avoir eu la possibilité de me rendre à cette réunion. Je vous prie de m'excuser de mon incapacité de vous parler en français. Il m'est très difficile de parler à la suite de Dominique DORMONT qui a si clairement posé les enjeux que je souhaiterais évoquer. Je serais donc plus bref que prévu.

Première chose que je souhaiterais dire, c'est que la variante MCJ a été identifiée pour la première fois en 1996, et ce n'était alors qu'une hypothèse que l'agent ESB soit la cause de la variante MCJ. Cependant, les preuves clairement indiquées par le Professeur DORMONT impliquent l'hypothèse que l'agent ESB est effectivement la cause de la variante MCJ.

Aujourd'hui, au Royaume-Uni, nous avons identifié 85 individus qui souffrent de la variante MCJ, dont l'immense majorité est morte, et la majorité de ces cas ont été confirmés comme souffrant de variante MCJ lors de l'examen post-mortem. Nous avons pu produire et valider un certain nombre de critères pour le diagnostic clinique de la variante MCJ chez les vivants et une faible proportion de ces patients est toujours en vie, mais ceux-ci souffrent de la variante MCJ sur la base des caractéristiques cliniques, y compris l'imagerie du cerveau.

Une question importante se pose au Royaume-Uni, c'est de savoir si le nombre de cas de variante MCJ augmente avec le temps. Depuis 1996, nous avons effectué des analyses trimestrielles du nombre de cas qui se sont présentés avec le temps ; cette analyse est menée en coopération avec des experts statisticiens à Londres et, jusqu'à cette année, il n'y avait pas de tendance globale à l'augmentation.

Cependant, dans l'analyse du 30 juin et la dernière analyse menée en septembre, il y a des preuves manifestes d'une augmentation du nombre cas de variante MCJ au Royaume-Uni avec le temps. D'un point de vue statistique, c'est significatif.

C'est préoccupant en ce qui nous concerne, mais cela ne nous permet pas de faire des prédictions quant au nombre de cas qui se présenteront à l'avenir. Le Professeur DORMONT a déjà évoqué les nombreuses incertitudes, y compris la barrière des espèces entre les bovins et l'homme, la période d'incubation que nous ne connaissons pas à l'heure qu'il est, et il n'y a pas d'autres facteurs de susceptibilité qui existent.

Les données britanniques ont été fournies, remises à des groupes mathématiques qui ont mené des analyses sur les limites de ce qui pourrait survenir à l'avenir, et ces analyses continuent de montrer des possibilités très larges d'une centaine de cas pouvant aller jusqu'à 250 000 cas. Notre position est qu'honnêtement nous ne savons tout simplement pas ce qui adviendra au Royaume-Uni.

L'âge de décès de personnes souffrant de la variante MCJ est remarquablement jeune par rapport à MCJ sporadique, et l'âge moyen de décès est seulement de 29 ans, la victime la plus jeune étant âgée de 12 ans au début de la maladie.

Ce qui a récemment changé au Royaume-Uni est l'identification d'un individu décédé à l'âge de 74 ans de la variante MCJ, ce qui a des conséquences importantes pour le système de surveillance au Royaume-Uni et ailleurs.

Il existe de nombreuses incertitudes concernant la variante MCJ ; l'un des principaux problèmes est de savoir pourquoi les patients sont jeunes et si cela reflète l'exposition à un régime alimentaire, à un facteur biologique, absorption de protéines, et l'efficacité de l'absorption protéinique. Il existe la possibilité également que des patients, de tous les âges, soient identifiés à l'avenir. Il se pourrait que, après l'identification du cas de 74 ans, des patients âgés entre 50 et 70 ans soient identifiés.

Une autre question essentielle, c'est si la variante MCJ est due à l'agent ESB, comment cet agent a-t-il été transmis à la population humaine ?

La vérité pour l'instant est que nous n'avons aucune preuve manifeste pour expliquer aux gens comment cela c'est produit. L'hypothèse la plus vraisemblable est que la population humaine a été exposée à du tissu bovin à haute infectivité du système nerveux central dans la chaîne alimentaire dans les années 80, la transmission se faisant probablement par l'ingestion d'aliments contaminés.

Nous avons cherché à obtenir des preuves de cela en menant une étude de contrôle de cas en comparant le régime alimentaire des différents individus ; nous n'avons pas trouvé de preuve manifeste de différents comportements alimentaires. Je dois souligner qu'on ne doit pas en tirer de conclusion majeure, car il y a trop de difficultés liées à de telles études. Nous faisons des enquêtes sur les comportements alimentaires à partir de témoins qui remontent à il y a plus de 10 ans ; notamment, il peut y avoir des problèmes pour ce qui est d'identifier des produits de régime alimentaire s'ils étaient contaminés de façon intermittente à différents niveaux dans toute une gamme de produits.

Nous pensons que l'EBS a été transmis par le régime alimentaire mais nous ne pouvons pas le prouver à l'heure qu'il est. Je tiens également à souligner que nous gardons un esprit ouvert et si d'autres hypothèses nous sont présentées, nous essayons de les examiner avec l'aide des familles dans le cadre de l'investigation de la variante MCJ.

Le Professeur DORMONT a évoqué la question d'homozygote. Dans 75 des 85 cas, nous avons une analyse génétique et tous ces cas étaient homozygotes. Il est possible que ce ne soit que ce sous-groupe de la population qui soit réceptif à l'agent ESB mais il y a aussi la possibilité que ce polymorphisme génétique influe sur la période d'incubation, et il se peut que d'autres cas se présentent à l'avenir. C'est bien entendu un autre facteur qui rend les analyses futures de cas très difficiles.

Autre question qui préoccupe grandement la santé publique au Royaume-Uni, c'est le fait que la distribution de la protéine dans les tissus périphériques était positive pour les protéines de prion dans tous les cas de variante MCJ à ce jour et pas dans d'autres formes de MCJ, y compris le MCJ sporadique. Il s'agit d'un nouvel agent infectieux et cela sous-tend qu'il peut y avoir un risque de transmission secondaire de la variante MCJ à d'autres personnes au cours d'un traitement médical, une transfusion sanguine par exemple.

Il s'agit là d'une question théorique mais qui a suscité une action s'agissant du nombre de cas de variante MCJ, et actuellement les produits de plasma au Royaume-Uni sont produit à partir de plasma importé pour l'essentiel des Etats-Unis, et dans tous les dons de sang, les globules blancs, sont supprimés.

On craint également que les instruments chirurgicaux posent un risque de transmission ultérieure, mais nous n'avons pas de preuve concrète l'attestant à l'heure qu'il est.

Enfin, par rapport à ce qui a été dit tout à l'heure, un des points importants pour nous dans le monde du MCJ a été le système de surveillance européen où dans un premier temps la France, l'Allemagne, l'Italie, Les Pays-Bas, la Slovaquie et le Royaume-Uni ont travaillé de concert sur un système de surveillance démarré en 1993, financé par l'Union Européenne.

Ce système a été élargi pour inclure d'autres états membres de l'Union Européenne et d'autres pays (la Suisse, l'Australie et le Canada). De mon point de vue, le fait d'avoir pu coopérer de manière étroite avec ces pays a été déterminante. En 1996, nous avons identifié ces 10 cas inhabituels, et il était indispensable de savoir si des cas semblables se présentaient dans d'autres pays et de savoir si l'hypothèse que ces cas étaient liés à l'ESB était correcte. Nous souhaitons poursuivre ce système de surveillance à l'avenir dans l'espoir d'identifier des cas de MCJ, et également des cas de la variante MCJ, si de tels cas devaient se produire en dehors du Royaume-Uni.

Mme ALPEROVITCH (Responsable de l'Unité de Recherches épidémiologiques en neurologie de l'Institut National de la santé et de la recherche médicale) - Je vais brièvement décrire le système qui a été mis en place en 1992 pour surveiller l'épidémiologie de la maladie de Creutzfeldt Jakob en France.

A l'époque, nous étions loin de 1996 et loin de la crise d'aujourd'hui, mais il semblait néanmoins important dès cette date de mettre sur pied les éléments qui permettraient éventuellement de détecter toute modification des caractéristiques épidémiologiques de cette maladie en relation avec l'épidémie d'ESB qui déjà à cette date était très importante.

Le système a évolué depuis 1992. Je vais résumer la façon dont les choses se passent aujourd'hui. Il existe en France un réseau de surveillance des maladies de Creutzfeldt Jakob. Ce réseau est coordonné par l'Institut National de la veille sanitaire et regroupe des unités d'épidémiologie, les relations avec les services cliniques, des laboratoires qui pratiquent les examens d'orientation, diagnostiquent dans cette maladie, un réseau de neuropathologie qui sera décrit tout à l'heure par le Professeur HAUW, et des laboratoires de recherche comme celui du Professeur DORMONT au CEA.

Chaque jour en France plusieurs patients sont hospitalisés avec comme l'un des diagnostics possibles celui de maladie de Creutzfeldt Jakob, et lorsqu'un neurologue évoque ce diagnostic, il prescrit un test qui consiste en la recherche d'une protéine dans le liquide céphalorachidien. C'est un test qui n'est pas spécifique de cette maladie, qui peut se trouver positif dans d'autres circonstances, mais qui permet d'avoir une bonne orientation diagnostique.

Il y a deux ou trois laboratoires en France qui pratiquent ce test, et la grande majorité de ces examens sont faits par le laboratoire de biochimie de l'hôpital de Lariboisière, et chaque fois que ce laboratoire reçoit une demande d'analyse de liquide céphalorachidien, le système de surveillance se met en place, cette demande nous est notifiée et nous suivons le cas jusqu'à obtention d'un diagnostic final qui, dans 85 % des cas, est autre chose que la maladie de Creutzfeldt Jakob et dans les 15 % restants s'avère être effectivement la maladie de Creutzfeldt Jakob.

La mise au point de ce test en 1997 a bouleversé la surveillance de cette maladie, tout au moins en France car je ne suis pas sûre que dans les autres pays européens la prescription de ces tests soit aussi large. Cependant, en France ce test est fait largement et donne une certaine assurance d'avoir une surveillance de grande qualité de la maladie. Nous avons plus de notifications qui s'avèrent être négatives que des notifications positives.

Depuis que la surveillance de la maladie de Creutzfeldt Jakob s'est mise en place en 1992, le nombre de cas annuels recensés a beaucoup augmenté ; il a pratiquement doublé. En 1992, la fréquence de la maladie sporadique, la plus fréquente, était de l'ordre de 0,7 cas par million d'habitants et il est aujourd'hui à 1,4, soit le double. 1,4 par million d'habitant, c'est encore très peu mais on pourrait s'interroger sur les raisons de cette augmentation.

Ce qu'il faut dire, c'est que l'augmentation observée en France pour les maladies sporadiques est observée dans tous les pays du réseau de recherche européen qu'a évoqué le Professeur WILL et dans tous ces pays, l'incidence de la maladie a pratiquement doublé depuis que nous la surveillons. La tranche de population qui contribue le plus à cette augmentation, ce sont les personnes de plus de 70 ans.

Avant de surveiller de manière aussi intensive la maladie de Creutzfeldt Jakob, il était souvent considéré que la maladie n'existait pas au-delà d'un certain âge, et la mise en route d'une surveillance intensive a montré que c'était inexact. Il y a des maladies de Creutzfeldt Jakob sporadiques assez fréquentes après 70 ans et lorsque l'on regarde la tendance évolutive en fonction de l'âge, on s'aperçoit que ce sont ces personnes les plus âgées - en France comme dans les autres pays - qui expliquent l'augmentation observée depuis 1992.

La plupart des cas sont des maladies sporadiques. En France, une proportion relativement importante de cas par rapport à nos collègues européens sont des maladies iatrogènes liées à l'hormone de croissance. La fréquence de cette maladie est plus élevée en France que dans les autres pays européens, et les 5 % restants sont des maladies génétiques. Depuis 1996, 3 cas de nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob ont été diagnostiqués en France.

Le premier cas est apparu de manière presque simultanée avec les cas anglais puisque les symptômes de ces patients ont commencé en 1995 et le diagnostic a été fait en 1996, soit en même temps que les tous premiers cas anglais. Puis, il y a eu 2 autres cas : 1 cas confirmé décédé en début d'année 2000 et 1 probable cas en phase terminale actuellement.

Il y a régulièrement en France des suspicions de nouveau variant de maladie de Creutzfeldt Jakob. Le test évoqué tout à l'heure que l'on peut faire sur l'amygdale est pratiqué régulièrement depuis qu'il a été mis au point il y a quelques mois, et jusqu'à présent dans tous les cas, sauf les 2 derniers dont je parlais pour lesquels ce test a été pratiqué, il s'est avéré négatif.

Dr DESENCLOS (Chef du Département des Maladies Infectieuses à l'Institut de Veille Sanitaire) - Intervenir après Annick ALPEROVITCH est très facile car la plupart des choses ont été dites sur l'organisation, le fondement, le mode de fonctionnement et les principaux résultats concernant cette surveillance en France. Il y a plusieurs choses qu'il faut souligner ; d'abord, cette surveillance qui existe depuis 1992 a été structurée dans un cadre européen en réponse au danger que pouvait faire peser sur l'homme l'épidémie de cette maladie. Ce système en France a permis de détecter un événement très rare, à savoir le premier variant de la maladie de Creutzfeldt Jacob au moment même des événements qui se passaient au Royaume-Uni et, malgré l'évolution des techniques et l'importance des suspicions, a permis de montrer depuis que c'était un élément qui restait rare en France sans montrer de tendance ni d'évolution particulière.

Ceci a aussi permis de montrer que la France était, après le Royaume-Uni, le deuxième pays en termes de nombre de cas dépistés alors que la France est le pays qui, par rapport aux autres pays européens, a importé le plus de produits bovins durant la période où ils étaient les plus infectés. Ce sont des éléments qui permettent d'avoir des informations, qui donnent des éléments de comparaison.

La question qu'on pourrait se poser et qui se pose est le devenir des cas de nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt Jakob. Pour la maladie sporadique, les tendances notées en France et dans les autres pays européens ne sont pas en faveur d'une augmentation et sont plus le fait de l'amélioration de la surveillance. Pour la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob, la question est de savoir si on peut savoir ce qui va se passer. Du fait des incertitudes qui pèsent, on ne peut pas dire grand-chose en particulier au Royaume-Uni, sachant qu'en France nous sommes dans la même situation.

L'évaluation devra de toute manière se baser sur le réseau de surveillance puisqu'il n'existe pas actuellement de méthode alternative permettant d'évaluer l'importance du problème à venir.

Il a été évoqué l'intérêt de disposer de tests de diagnostic. Quand bien même ces tests seraient mis au point dans un avenir encore incertain, l'utilisation de ces tests pour estimer à l'heure actuelle l'importance du problème, vu la rareté de la maladie, vu aussi le fait qu'on aura du mal à évaluer ces tests en tout cas chez l'homme sur de grandes séries puisqu'il n'y a pas un nombre de cas importants, posera des problèmes qui ne permettront pas de répondre de manière rapide en tout cas à l'importance du problème en termes d'incubation ou du nombre de personnes infectées.

Il est important d'assurer la promotion du réseau actuel, d'améliorer sa sensibilité en termes de capacité à détecter les nouveaux variants et les formes de nouveaux variants qui pourraient survenir chez des personnes plus âgées comme cela a été montré au Royaume-Uni, d'avoir la confirmation anatomopathologique le plus souvent possible sur les cas suspects pour pouvoir classer les malades. On classe certains problèmes en autres pathologies car ce sont des éléments qui permettent de réduire l'incertitude sur l'estimation du problème, et je pense que la seule manière de voir plus clair sera de voir comment évoluent ces cas.

Cela prendra un peu de temps avant de pouvoir en France réduire l'incertitude qui est importante.

M. LE DEAUT - Je vais donner la parole au professeur Jean-Jacques HAUW qui fait la détection des tests. Avant, je voudrais vous poser une question. Madame ALPEROVITCH vient de dire qu'on peut montrer aujourd'hui que ce ne sont pas des cas de nouveaux variants de la maladie de Creutzfeldt Jakob. Arrivez-vous à autopsier tous les cas avec les règles sur la bioéthique, puisque l'on a voté une loi en 1994, mais l'article 611-9 du Code de la Santé Publique qui était clair dans notre loi de 1994 n'est pas interprété ainsi ?

Pouvez-vous répondre à cette question,

Vous avez été optimiste tout à l'heure, mais je ne suis pas sûr qu'il faille être aussi optimiste.

Pr HAUW (Chef du service de neuropathologie de l'Hôpital de la Salpêtrière) - Le réseau français de neuropathologie a été constitué et mis en _uvre très rapidement puisque dès 1996, à partir du moment où il a commencé à être financé, il a permis de faire l'examen post-mortem dans toute la France de 58 cas qui étaient suspectés d'avoir la maladie de Creutzfeldt Jakob, et il y a eu confirmation pour 27 cas. Puis, progressivement, la surveillance s'est améliorée ; cela a posé énormément de difficultés, et peu à peu un nombre croissant de cas ont été suspectés puis confirmés.

Au total, 330 cas ont subi une autopsie et 171 d'entre eux ont été confirmés comme étant une maladie de Creutzfeldt Jakob, de type soit sporadique, soit de nouveau variant.

En fait, vous avez un schéma qui vous résume ce que je viens de dire où l'on voit l'augmentation de la suspicion des cas et leur confirmation qui est assez parallèle.

Première question qui se pose : pour confirmer un cas, il faut qu'il y ait un examen du cerveau. Il y a deux manières de faire un examen du cerveau : le prélèvement in-vivo chez le malade, c'est la biopsie cérébrale, et le prélèvement post-mortem, à savoir l'autopsie.

On se pose la question de savoir pourquoi ne pas faire des biopsies plutôt que des autopsies. La biopsie a comme avantage d'être rapide et elle est bien supportée par l'entourage familial et soignant du patient.

En revanche, elle a un certain nombre d'inconvénients. D'abord, est-elle éthique ? Ceci est fort discuté dans de nombreux pays où on la considère comme non éthique car il s'agit d'un geste irréversible qui porte sur du tissu qui ne régénère pas. Elle est potentiellement dangereuse puisqu'il y a des incidents, voire des accidents. On ne peut pas obtenir le consentement éclairé du patient. On n'a pas a évoquer un diagnostic utile qui permettrait de faire cette autopsie, et on demande habituellement un traitement plus risqué que la biopsie nécessaire dans le cas présent ; et bien, on n'a pas cette alternative. La biopsie est éthiquement difficile à soutenir et est peu sensible, parfois négative, à tort, alors que plus tard la maladie se révèle. Elle ne permet pas de faire des recherches ou très peu car la quantité de tissus obtenus est faible ; elle est coûteuse et potentiellement dangereuse puisqu'il y a un risque de contamination par les instruments utilisés. Elle a de multiples inconvénients.

A contrario, quels sont les inconvénients et avantages de l'autopsie ?

L'inconvénient majeur de l'autopsie est qu'elle est tardive, on n'a pas les résultats immédiatement, et elle est mal supportée par l'entourage, qu'il soit familial ou soignant, du patient. Elle est chargée de fantasmes. Tout ceci rend l'autopsie difficile à prescrire. Enfin, il y a aussi d'innombrables difficultés pratiques administratives à la réalisation des autopsies.

Les avantages sont entre autres qu'elle est plus éthique. Ce sont des avantages en miroir des inconvénients de l'autopsie. C'est un dernier geste encore très utile, un dernier don d'un malade généreux pour la société, et ceci est très important car c'est ainsi que l'autopsie devrait être ressentie : sensible, utile, peu coûteuse, sans danger.

Nous avons eu beaucoup de difficultés à faire des autopsies de la maladie de Creutzfeldt Jakob et les différents réseaux de recherche épidémiologiques nous ont beaucoup aidé dans ce domaine. L'autopsie disparaît en France. Je vous montre ici de façon générale la courbe du pourcentage d'autopsies par décès effectuées à l'Hôpital de la Salpêtrière à Paris. Il est à noter une chute qui a tendance à ne pas aller vers zéro à cause de la maladie de Creutzfeldt Jacob et quelques autres raisons, mais qui chute fortement.

Pourquoi a-t-on des difficultés à obtenir l'autorisation de faire des autopsies, y compris dans les cas de maladie de Creutzfeldt Jakob ?

Ce sont des raisons techniques, financières, réglementaires, éthiques et sociologiques. Je ne développerai pas dans le détail, nous n'avons pas le temps. Simplement, un mot des difficultés d'ordre éthique et sociologique. Nous les avons évoquées, et je pense que là il est possible d'intervenir. L'autopsie est vécue comme une atteinte à l'intégrité de la personne humaine, c'est l'introduction même de la loi Ethique et Liberté qui le dit, ou comme un acharnement diagnostic.

Elle est comme l'ultime acte médical qui peut être utile pour la communauté. Le consentement est souvent demandé au cours de la période de deuil aigu par des soignants, des agents administratifs, des médecins, non préparés à cette tâche très difficile.

Il existe d'innombrables types d'autopsies. Les réglementations sont très compliquées ; je vous cite les types d'autopsies que l'on peut distinguer : médico-légal, médico-scientifique, le don du corps à la science, l'autopsie dite sanitaire. C'est en fait l'autopsie médico- scientifique dans laquelle on distingue deux types d'autopsie : celle qui est faite pour rechercher les causes de la mort ou pour effectuer des recherches scientifiques, qui sont utilisées pour faire des autopsies dans le cas de la maladie de Creutzfeldt Jakob.

Je vais donner un exemple des difficultés administratives que l'on peut rencontrer. Un patient meurt hors d'un CHU, il avait décidé de faire un don d'organes à la recherche scientifique. Actuellement, ce n'est pas possible. Tout ce qu'il peut faire, c'est faire un don pour un diagnostic, pour une recherche de la cause de la mort mais pas pour la recherche scientifique. Ceci va probablement être amélioré car je pense que les textes sont en cours de modification.

Lorsque ce sera possible, ce sera très simple. En 24 heures actuellement, peut-être 48 heures, là encore les textes sont en modification, à partir de l'heure de la mort, et quel que soit le jour en cause, il suffira que le médecin signe un certificat de décès autorisant le transport du corps sans mise en bière. La famille témoigne de la volonté du défunt, demande l'autorisation du fichier d'état civil. La famille trouve une compagnie de pompe funèbre agréée pour le transport du corps. Elle demande l'autorisation du CHU le plus proche ; celui-ci doit décider de payer lui-même le transport aller-retour ou d'obtenir que la famille ou un organisme de recherche le fasse.

L'administration du CHU, munie d'une pièce d'identité du défunt, faxe à l'Etablissement français des greffes qui répond dans un délai de 1 heure les jours ouvrables, qui ne comprend pas le samedi. Là-encore on peut obtenir exceptionnellement que cela s'améliore mais ce sont les textes qui aujourd'hui existent. Le prélèvement est alors réalisé et le transport de retour est effectué. Certains sont arrivés à le faire, et c'est remarquable. Il a fallu avoir la foi chevillée au corps pour le faire.

Je pense que l'on pourrait facilement améliorer un certain nombre de ces points et rendre possible de faire un don du corps, un don du cerveau à la science.

Simplification de la loi, amélioration ponctuelle de la réglementation, formation et information générale du personnel soignant et administratif, voire des médecins et de la population de façon plus générale, développement des banques de tissus, etc. Tout ceci sont des pistes à explorer, et je pense qu'il y a là des choses faciles à faire.

Dr DESLIS (Responsable du Groupe de Recherche sur les prions de la Direction du Vivant du CEA) - Vous avez vu l'étendue de ce que les scientifiques ne savent pas, ce qui n'est certes pas rassurant dans un contexte de crise avec une maladie pour laquelle nous avons des problèmes de diagnostic, qui est mortelle dans 100 % des cas et pour laquelle on soupçonne qu'un agent transmissible est passé dans l'alimentation en ayant pu ainsi contaminer l'ensemble de la population.

Je vais essayer de vous donner des bases de raisonnement scientifique et des éléments permettant de borner cette incertitude afin d'éliminer les fantasmes et les dérives actuelles. Le premier transparent correspond à un schéma que j'avais préparé en 1994 à la suite d'une question posée au sein de la Direction Générale de la Santé. Nos amis britanniques à l'époque faisaient le raisonnement suivant : « la maladie de la vache folle vient de la tremblante du mouton. Celle-ci n'étant pas dangereuse pour l'homme, la maladie de la vache folle n'est pas dangereuse pour l'homme. »

Ce raisonnement était faux, à présent nous le savons. Si on représente la transmission de la tremblante du mouton, celle-ci est transmissible par voie intracérébrale au vison et à la souris, par voie orale à la chèvre et à la vache et par voie intracérébrale au singe. J'insiste là-dessus. Cela signifie que si on s'amusait à inoculer à l'homme de la tremblante du mouton par voie intracérébrale on aurait des maladies de Creutzfeldt Jakob.

Cela signifie que dans les conditions naturelles de vie, l'inoculation directe par voie intracérébrale n'étant pas classique dans nos pays, par voie orale, tout le monde un jour ou l'autre a mangé du mouton atteint de tremblante, aux doses habituelles, et avec la virulence habituelle de ces souches, il n'y a pas de problème pour l'homme. C'est ce que cela veut dire.

En revanche, si on fait exactement la même chose avec le bovin, on se rend compte que le schéma de transmission est complètement différent. L'agent ESB est transmis par voie intracérébrale à toute une série de ruminants, de carnivores, par voie intracérébrale à la souris, au singe, au porc, et à l'époque je mettais un gros point d'interrogation s'agissant de la transmission par voie orale à l'homme. Or, vous savez désormais que malheureusement on ne se pose plus la question.

Madame LASMEZAS vous a donné les éléments ce matin. Le Professeur DORMONT vous les a rappelés. Vous avez les arguments épidémiologiques qui indiquent que c'est bien l'agent qui a contaminé l'homme, les arguments expérimentaux, ce que les journaux ont appelé la signature par le macaque, à savoir la transmission que nous avions effectuée en 1996, la signature biochimique et la signature lésionnelle. Ce sont les travaux de Madame LASMEZAS sur le premier patient français qui avait la même signature que les patients britanniques.

En clair, nous avons la preuve expérimentale que c'est bien le même agent qui a contaminé l'homme et les bovins. Effectivement on peut chipoter et dire : « oui, mais on n'est pas sûr, est-ce que l'homme a été bien contaminé ainsi ? Peut-être qu'on peut envisager autre chose. »

En pratique, soyons clairs, on ne voit aucune autre possibilité logique. Les scientifiques ont bien évidemment toujours des doutes et ils les émettent et en débattent, mais on peut quand même se faire une opinion à partir d'un certain nombre d'éléments.

Il y a des amalgames actuellement entre l'augmentation du cas de bovins actuellement en France et l'apparition de nouveaux variants. Ce qui fait que les gens paniquent en disant que tout est dangereux, la viande française est mauvaise, c'est dramatique ; il est important je crois de remettre en perspective. Le risque malheureusement pour nous est déjà passé ; le risque vient de la contamination des bovins britanniques qui a atteint des sommets dans les années passées, bovins qui étaient largement importés en France.

Je vous ai représenté sur un même graphique les chiffres britanniques et les chiffres français au cours des dernières années.

On peut voir que la masse de bovins contaminés venait de Grande-Bretagne, sachant qu'environ 10 % de la consommation française provenait de Grande-Bretagne. J'ai donc divisé les chiffres britanniques par 10, et on voit que l'énorme masse vient de Grande-Bretagne. Bien entendu, ceci s'est arrêté en 1996, si on imagine que l'embargo a été efficace. A partir de 1996, la population française a été protégée parce qu'il n'y avait plus d'importation massive de produits britanniques, et que, par ailleurs, notre population bovine était saine.

Nous reviendrons sur le problème des cas qui commencent à apparaître mais qui n'ont aucun rapport avec ce que j'expliquais précédemment non seulement en termes de quantité mais aussi en termes de précautions qui sont prises car il y a à présent l'élimination des abats à risque, notamment l'élimination de la moelle épinière et du cerveau qui sont les éléments qui contiennent le plus d'agents, donc les plus dangereux.

Pour aller plus loin dans l'analyse de ce risque, il faut comparer au problème des abats à risque. Comme on vous l'a dit, chez le bovin, c'est le cerveau et c'est la moelle épinière qui sont les plus dangereux. Chez les bovins qui développent une maladie naturelle, ce sont les seuls tissus dans lesquels on a retrouvé de l'infectiosité. Ce sont les seuls tissus qui ont été capables de rendre malades des souris lorsqu'on les a pris pour les injecter directement dans le cerveau de ces animaux. Ce sont les tissus les plus dangereux.

On peut imaginer qu'il pourrait y en avoir ailleurs mais commençons par nous préoccuper du principal, et si vous faites cela et que vous vous intéressez aux abats à risque, ils ont été interdits début 1990 pour l'importation en France. Ils avaient été interdits plus tôt en Grande-Bretagne, et quand on regarde les chiffres d'exportation des abats provenant d'Angleterre en France, il est à noter malheureusement une multiplication par un facteur 20 dans les années 1988-1989, en plus au moment où ils ne pouvaient plus être écoulés. Il se trouve que fin 1989 ils ont été interdits à la consommation humaine au Royaume-Uni, et étant donné qu'il était légalement permis de les exporter, on peut imaginer qu'il y a eu en France une entrée massive de produits très dangereux.

Ce sont les risques qui ont été courus.

Autre point inquiétant, c'est ce que l'on sait de ces maladies avec l'expérience que nous avons du Kuru qui est une maladie qui touchait des tribus en Nouvelle Guinée, des tribus qui vivaient encore à l'âge de pierre, maladie qui touchait des enfants et des femmes, qui était liée à des rites funéraires particuliers puisque c'étaient des rites cannibales. Ce que l'on sait de cette maladie avec le recul que nous en avons à présent, c'est que les enfants les plus jeunes qui ont développé cette maladie avaient 4 ans, et les derniers cas sont apparus en 1998, soit plus de 40 ans après la contamination, et on sait que la contamination est effective. Une maladie qui avec une souche humaine, donc très adaptée à l'homme, peut avoir une incubation qui peut s'étendre de 4 ans à 40 ans.

A présent, si vous prenez une souche bovine qui n'est pas adaptée à l'homme, on sait qu'il y a un ralentissement, ce qui fait que nous sommes dans l'incapacité de dire actuellement quelle est la durée de la période d'incubation. Ceci explique pourquoi vous avez des incertitudes sur le nombre de cas à venir et que les fourchettes suivant les modélisations - la précédente c'était entre 70 cas et 500 000, la dernière entre 63 cas et 136 000 - et en fait le Professeur WILL vous dit très franchement qu'on ne peut pas dire quel sera le nombre futur de cas, même si on espère qu'il sera le plus faible possible. Raisonnablement, on peut éliminer les fourchettes hautes et basses.

Le troisième élément de réflexion porte sur la physiopathologie de ces maladies. Après une contamination par voie orale, les premiers sites de réplication se font dans les tissus lymphoïdes directement associés à l'intestin. Ce sont des formations lymphoïdes un peu particulières, donc des sites où il y a des globules blancs. Ces sites sont les endroits où l'agent se réplique et classiquement dans un modèle de souris, on représente cela, réplication d'abord dans les organes lymphoïdes, ici c'est la rate, ici dans le sang tout au long de la maladie, et tardivement, une neuroinvasion. En fait, ce modèle qui est classique varie en fonction de la souche et de l'hôte.

Ceci est parfaitement vrai pour l'ovin et la tremblante, on retrouve des taux importants en périphérie, et si l'on prend le bovin qui nous préoccupe le plus pour le moment, on est incapable d'en détecter dans la rate, dans les organes lymphoïdes. On ne détecte cet agent dans aucun tissu périphérique ; cela ne veut pas dire qu'il n'y est pas, mais il est à des taux tellement faibles qu'il est impossible de le détecter. Ensuite, il progresse par neuroinvasion jusqu'à la moelle épinière et au cerveau, et là il atteint des taux très importants qui évoluent de manière exponentielle jusqu'à la mort de l'animal, et c'est cela qui est dangereux.

Je vous ai dit que chez le bovin les tissus périphériques ne sont pas retrouvés comme infectieux dans les formes naturelles mais simplement dans les formes expérimentales. A présent, si on regarde chez l'homme, malheureusement pour nous, cette protéine anormale est trouvée dans les tissus périphériques et notamment dans les amygdales. C'est ce qui s'est passé avec les patients français dont on vous a parlé tout à l'heure. On détecte cette protéine anormale chez le deuxième et le troisième patient français dont vous savez par les médias que ce jeune homme n'est pas encore décédé.

Bien entendu, cela pose un problème pour la transfusion sanguine potentielle puisque, comme vous l'a rappelé le Professeur WILL, dans les formes habituelles de Creutzfeldt Jakob dont on sait qu'elles ne semblent pas être dangereuses pour la transfusion sanguine, vous n'avez pas de taux détectable. Là, vous êtes avec une souche plus virulente qui a un marqueur qui s'accumule dans les tissus périphériques, d'où un risque supérieur dans la transfusion sanguine qu'on ne sait pas encore quantifier.

Vous avez vu que jusqu'à présent il n'y avait pas de problème avec les bovins français, sachant que via les journaux vous voyez quand même apparaître des cas. On se demande pourquoi il y a de plus en plus de cas alors que les farines sont interdites.

Je vous ai fait une petite représentation où vous voyez apparaître 155 cas au 16 octobre. Il y a un pic en 1988-1989 sachant que j'ai superposé deux courbes : celle que j'avais tracée en mai 2000 et celle tracée en octobre 2000, simplement pour vous montrer que sur la courbe rose où vous pourriez croire qu'il y a une belle décroissance, en fait ce n'est pas exact, cela continue de monter mais simplement vous n'avez pas un recul suffisant car il y a 5 ans d'incubation en moyenne, et donc les derniers cas vont apparaître dans les mois à venir.

Si vous faites la même représentation par année d'apparition, et là vous avez l'âge des animaux, vous avez le même phénomène exponentiel entre 1996-1998 et 1999-2000, et là ma courbe est déjà dépassée, mais le second point ennuyeux, ce sont les bovins de 4 ans. C'est anormalement jeune et on s'explique mal pourquoi, quand on a importé de manière importante des farines britanniques entre 1988 et 1989 on n'a eu qu'un nombre limité de cas et qu'ensuite cela augmente. Incontestablement, quelque chose est passé dans l'alimentation ; les farines sont les premières suspectes mais il faut s'interroger s'il n'y a pas une autre possibilité.

Ce n'est pas de la recherche scientifique mais de l'enquête policière pour essayer de comprendre par où ce type d'agent a pu passer sachant que l'on sait d'où il vient. Il vient du cerveau et de la moelle épinière de bovins contaminés. Le fait que vous ayez des bovins anormalement jeunes laisse suspecter qu'ils ont été contaminés très tôt au début de leur vie mais nous n'avons pas de preuve. Nous avons des éléments qui font suspecter des choses et qui appellent des investigations mais qui ne sont pas de ressort des scientifiques. Nous n'avons aucune possibilité d'investigation.

Il s'agit là de bovins qui ont eu la maladie à 4 ans, leurs petits frères la feront à 5 ans et les autres la feront à 6 ans. Il y a un décalage.

Face à cette situation, pour protéger l'homme, il y a différentes mesures : les mesures globales, à savoir l'élimination des abats à risque, notamment l'élimination de la cervelle et de la moelle épinière. Les autres abats, c'est par mesure de précaution, sachant qu'enlever la moelle épinière pose des soucis car la découpe à l'abattoir implique que vous coupiez la carcasse en deux en passant par la moelle épinière, ce qui signifie que vous contaminez les tissus adjacents. Le second point, c'est que vous laissez les gros nerfs sur le reste de la carcasse, vous éliminez 90 à 95 %, voire 99 % si c'est très bien fait, mais vous aurez du mal à aller plus loin.

Vous avez l'élimination de l'ensemble du troupeau dès l'apparition d'un cas clinique. Vous avez l'embargo sur les produits bovins britanniques ; tant que la situation n'est pas régularisée, on prend du temps. Il y a également des mesures qui sont appliquées en Grande-Bretagne qui consistent à dire que chez tous les bovins de plus d'un certain âge - en l'occurrence, ils ont pris ceux âgés de 30 mois - il y a une neuroinvasion, que le système nerveux central est dangereux et donc qu'il faut éliminer tous les bovins au-dessus de cet âge.

Il s'agit d'une mesure globale très lourde, aussi lourde pour eux qu'un embargo total, c'est parce que nous sommes dans la situation où, faute de moyen de détecter ces bovins, il faut éliminer tout le monde. C'est l'approche globale avec des mesures de protection très lourdes.

Les mesures spécifiques théoriques de protection consistent en une élimination ciblée en utilisant des tests rapides à l'abattoir. C'est pourquoi l'Union Européenne avait lancé ce type d'évaluation en 1998 qui a été réalisée en 1999, dont les résultats vous ont été présentés tout à l'heure. Je vais essayer de vous faire un raisonnement pour voir si on peut aller plus loin dans l'appréciation de ce que ce type d'approche pourrait apporter. Tous ces tests sont basés sur la détection du marqueur spécifique de ces maladies, cette fameuse protéine anormale. C'est une protéine normale de l'hôte qui se transforme en une forme anormale ; elle a tendance à changer de conformation et elle s'agrège et, en s'agrégeant, elle résiste à la dégradation.

Voici la protéine chez une souris saine. Lorsque vous faites agir une protéase elle est détruite ; chez un animal infecté, elle s'accumule et résiste à la dégradation. C'est parce qu'elle résiste à la dégradation que la cellule n'arrive pas à s'en débarrasser. Cette protéine est intimement liée à l'agent infectieux. Vous avez toute une série de tests, les tests qui ont déjà été évalués par la Commission Européenne étaient au nombre de 4. Un n'a pas été retenu car il n'était pas assez sensible ; il n'arrivait pas à détecter tous les bovins positifs alors que c'étaient des bovins cliniques, donc vus par l'_il humain. Par ailleurs, il donnait de faux positifs.

En revanche, trois tests ont été validés ; c'est ce qui vous a été présenté ce matin avec des sensibilités différentes. Puis, vous avez derrière de nouveaux tests car, malheureusement, concernant la transfusion sanguine, tous ces tests ont une sensibilité insuffisante. En effet, on n'est pas actuellement capable pour le sang d'avoir un test suffisamment sensible pour y détecter la présence de cet agent et garantir une sécurité.

De nouveaux tests apparaissent donc, dont vous avez peut-être entendu par les journaux : l'électrophorèse capillaire, un test américain qui utilise les différentes conformations de la Prp, le test britannique qui avait été recalé la première fois mais amélioré depuis qui normalement est très sensible désormais, Prionics qui a développé un nouveau test qui devrait lui permettre de produire beaucoup d'échantillons, et le test que nous-mêmes développons pour essayer d'aller plus loin dans la sensibilité, dans l'efficacité et dans la rapidité.

Je vous rappelle rapidement les résultats entre les tests A et B dont la sensibilité varie d'un facteur 1 à 300, le test le plus mauvais correspondant à l'_il du vétérinaire. Actuellement, nous avons des tests qui, lorsqu'on prend le plus performant, sont 3 fois plus sensibles, mais la question est la suivante : qu'est-ce qu'un test très sensible peut apporter ?

Là, on arrive au problème de la dose infectieuse dangereuse pour l'homme par voie orale. Il vous a été dit qu'on ignorait quelle est cette dose infectieuse par voie orale. Si on le prend dans ce sens, c'est vrai. Cela dit, on connaît la hiérarchie et on sait ce qui est dangereux pour l'animal et, par comparaison, ce qui est dangereux pour l'homme. On sait que la souris par voie intracérébrale est sensible à ces agents et si vous prenez 1 gramme d'un cerveau d'un bovin pré-contaminé, vous avez de quoi tuer 1 000 à 100 000 souris si ce gramme est inoculé par voie intracérébrale.

Si vous faites la même chose par voie orale à bovin, on estime qu'avec 1  gramme de cerveau vous avez de quoi tuer 10 bovins. C'est ce que l'on sait d'après les expériences de transmissions expérimentales. J'ai rappelé hier nos amis britanniques pour avoir davantage de détails pour savoir où ils en étaient. Ils estiment qu'avec 1 gramme de cerveau contaminé, ils transmettent la maladie en 69 mois en moyenne (entre 46 et plus de 106), c'est-à-dire qu'avec 1 gramme de cerveau, vous avez une efficacité qui ressemble étrangement à ce que l'on observe chez les bovins qui sont malades en 5 ans chez nous.

Ainsi, avec 1 gramme de cerveau, on contamine 10 bovins, mais il y a aussi des estimations plus pessimistes qui ont été faites dans lesquelles on pense qu'avec 1 gramme on peut contaminer 1 000 bovins par voie orale.

Il faut savoir qu'un bovin contient 700 grammes de système nerveux central (500 grammes de cervelle, 200 grammes de moelle épinière). Je rappelle que tout ceci rentrait massivement dans l'alimentation avant l'interdiction de ces abats à risque. Donc, avec 700 grammes, si on suit ce raisonnement, vous avez de quoi tuer entre 700 000 et 70 millions de souris, et entre 7 000 et 700 000 bovins.

Si on prend les modélisations, dans l'hypothèse actuelle retenue (63 - 136 000 cas) on estime que 1 bovin est capable de tuer 2 hommes. Vous voyez le différentiel gigantesque entre l'homme et la souris.

Il y avait des hypothèses plus pessimistes qui avaient été faites en disant qu'avec 1 bovin on pouvait tuer 100 personnes dans notre population.

Je vais prendre à présent une hypothèse intermédiaire et prendre 10 grammes. Pourquoi 10 grammes ? Parce que c'est la dose que l'on retrouve dans un certain nombre d'aliments comme une saucisse de 100 grammes où il peut y avoir 10 grammes de cerveau.

Vous avez de quoi tuer en théorie, 10 000 souris, 100 bovins et 1 homme. Si vous prenez 10 grammes, vous avez de quoi tuer 1,4 homme.

Nous allons à présent faire le raisonnement dans l'autre sens. Si on prend un bovin qui présente des signes cliniques, n'importe quel test fonctionnera, y compris l'_il du vétérinaire. Vous identifiez facilement le bovin qui va vous fournir les 10 grammes.

On se moque un peu du moment où les signes cliniques vont apparaître, ce qui compte c'est d'être en dessous de la dose qui est dangereuse pour l'homme. C'est une question de dose de la quantité de prions et d'agents infectieux qui sera dangereuse pour l'homme. Si cette quantité est contenue dans 10 grammes, un bovin qui tremble de tous ses membres, ce sera détecté par tous. Le problème est si cette quantité est plus diluée, c'est-à-dire diluée dans plus de cerveau, plus de moelle épinière. En ce cas, votre test sensible ne va pas la détecter, et pourtant si vous mangez 100 grammes de cerveau vous avez la dose mortelle.

En revanche, si vous prenez le modèle souris qui est plus sensible que les autres modèles, en ce cas vous pouvez diluer cette même dose infectieuse 10 fois, 100 fois, 1 000 fois, et si vous injectez la souris, vous ne vous rendez pas compte qu'il y a une dose mortelle dedans. Pour avoir votre dose mortelle, il faut 10 kilos de cerveau ou de moelle épinière. En général, on s'en rend compte avant de les manger et vous avez de fortes chances de mourir d'une indigestion avant de mourir d'autre chose vu les quantités en jeu.

A présent, vous allez me dire que, s'agissant de la souris, il faut attendre 2 ans pour avoir ce type d'information ; on ne peut pas abattre un animal, injecter une souris et attendre 2 ans pour avoir le résultat.

Justement, depuis 1996, les choses ont changé. La recherche scientifique a fait des progrès, les progrès techniques sont là aussi et dans les tests évalués, vous avez vu que le test le plus sensible avait le niveau de sensibilité d'une souris. Si vous appliquez votre test le plus sensible, vous éliminez la quantité dangereuse pour l'homme même si elle est diluée dans beaucoup plus. Je suis parti d'hypothèse que 10 grammes était une dose mortelle, mais on peut aller plus loin en disant que 1 gramme suffit ; vous continuerez quand même à protéger de manière efficace. Ceci est une autre façon de voir le problème.

Dernier point : une critique avait été faite au moment où on a développé ce genre de tests. Il nous a été dit que c'était très joli, que nous avions fait un test très sensible mais c'est tellement sensible que derrière, il y aura de nombreux faux positifs et on va bloquer les abattoirs. Comme on attend peu de bovins positifs, on sait que tout test, s'il est appliqué à très grande échelle, donnera des faux positifs ; cela existe partout en biologie.

Face à cette critique, justifiée, nous avons développé un test de confirmation. Vous avez toujours le test de dépistage à très grande échelle qui, lui, est fait pour balayer tous les cas. Sur un bovin, en détectant le cerveau 3 000 fois, vous continuez à avoir le signal et vous le perdez en détectant le cerveau 10 000 fois. Cela correspond à l'ordre de sensibilité habituelle.

Qu'a de particulier le « Western Blot » correspondant ? Le test est composé d'une première partie qui est une méthode de purification, qui permet de concentrer. Si vous partez de quelque chose de très dilué, même si derrière vous avez quelque chose de sensible, vous passez à côté. Là, en concentrant et en ayant derrière une méthode avec des anticorps sensibles, vous arrivez à détecter. Vous avez la même chose avec le « Western Blot » et vous avez confirmation du même niveau de sensibilité. Ceci est pour éliminer les craintes justifiées de blocage du système.

Pour terminer, on ne connaît pas la nature de l'agent, on ne sait pas si c'est l'hypothèse du prion qui est la bonne, si cette protéine anormale est l'agent lui-même, si cette protéine anormale est intimement liée à un agent qui se protège, sachant que cette protéine lui donne ses capacités de résistance à la dégradation ou, hypothèse qui semble moins probable, si c'est juste un produit sans rapport et qui est lié à une multiplication virale.

Cependant, peu importe, les scientifiques auront toujours des doutes, c'est dans notre nature, c'est notre métier de nous poser des questions, l'important est de donner des bornes aux limites de notre incertitude et voir ce que nous pouvons faire pour protéger la population en attendant.

Je terminerai par une anecdote : le père de cette hypothèse, un expert dans ce domaine, pensait jusqu'à fin 1999 que l'agent ESB n'était pas responsable du nouveau variant. Si on avait attendu que tous les experts soient d'accord, nous n'aurions pas commencé à prendre des mesures en 1996 mais en 1999, voire en 2000.

Mme DOKHELAR (Conseiller adjoint à la Direction de la Recherche en charge du programme « prions ») - Merci de me donner l'occasion de présenter de façon générale le cadre dans lequel nous travaillons au Ministère de la Recherche et en particulier sur ce programme « prions » dont je suis responsable au Ministère.

Pour définir le travail de recherche de son Gouvernement, le Premier Ministre s'est investi personnellement dans cette définition de politique de recherche et il l'a fait avec les ministres concernés au travers de deux comités interministériels pour la recherche scientifique et technique : l'un qui s'est réunit en juillet 1998, le second en juin 1999 et qui, tous deux, ont fixé le cadre dans lequel nous travaillons au Ministère de la Recherche.

Lors de ce premier Comité Interministériel sur la Recherche, celui de juillet 1998, ont été définis d'une part les méthodes de recherche du Ministère, d'autre part les outils sur lesquels le Ministère s'appuie pour mettre en _uvre la politique du gouvernement. Nous nous appuyons notamment sur des comités ; vous avez certainement entendu parlé du Comité National de la Science.

Nous nous appuyons également sur des comités plus spécifiques ; quatre d'entre eux nous conseillent en matière de prion, notamment le Comité Consultatif des Sciences du Vivant duquel nous recevons des conseils et qui réfléchit à la mise en _uvre de la politique du gouvernement. Nous avons également un outil qui est le Fonds National de la Science ; c'est un fonds qui finance des recherches sans partenariat avec les industriels, qui sont des recherches aussi bien fondamentales que des recherches appliquées.

Le second Comité Interministériel, celui de juin 1999, a fixé les grandes priorités du gouvernement en matière de recherche, et la première d'entre elles qui a été défini comme étant une science du vivant. C'est dans ce cadre que se situe notre action au Ministère.

Dans ce cadre des sciences du vivant, nous sommes conseillés par le Comité Consultatif des Sciences du Vivant qui, dès qu'il a été mis en place, a conseillé au Ministère de la Recherche d'intervenir de façon incitative en matière d'agents infectieux, ce qui a conduit le Ministère de la Recherche à mettre en place un certain nombre d'actions incitatives dans le champ des agents infectieux. Vous avez dû entendre parlé des actions incitatives en matière de microbiologie et maladies infectieuses. Nous intervenons également dans ce champ-là dans les pays en voie de développement avec une action qui concerne toutes les maladies infectieuses dans ces pays.

Nous avons également un troisième programme dans le champ des maladies infectieuses qui est un programme qui concerne les agents transmissibles non conventionnels et les prions. Ces actions incitatives du Ministère sont financées par le Fonds National de la Science et elles visent à compléter et à renforcer l'action des organismes de recherche. Il s'agit de travailler en concertation et de renforcer les actions propres des organismes qui par ailleurs peuvent également financer des recherches sur les prions notamment.

Quelles sont les modalités d'organisation au sein du Ministère du programme « prions »?

Nous avons un pilotage concerté pour définir les grandes options de recherche. Ce pilotage concerté met ensemble les administrations concernées pour les recherches sur les prions, la recherche bien entendu mais aussi la santé, et le Ministère en charge de l'agriculture qui nous aide à piloter ce programme de recherche. Elles mettent ensemble avec ces administrations les organismes de recherche qui sont concernés par ces recherches (l'INSERN, le CNRS, le CEA, l'INRA et l'Institut Pasteur très certainement).

Les administrations centrales, les organismes de recherche, nous aident à définir ces grandes options de recherche mais aussi - et c'est une volonté depuis l'origine - l'AFSSA (l'Agence de Sécurité Sanitaire des Aliments) a été associée à ce pilotage. Récemment, nous avons souhaité étendre ce pilotage aux autres agences qui ont été ouvertes en matière de sécurité sanitaire ; donc, l'AFSSPS nous aide également ainsi que l'Institut National de Veille Sanitaire qui va nous rejoindre dans les jours qui viennent pour piloter et définir ces grandes actions de recherche.

Deuxièmement, nous avons des orientations scientifiques qui sont définies au meilleur niveau. Vous savez que ce programme s'appuie pour la définition des orientations scientifiques sur le comité d'expert que dirige le Professeur DORMONT, qui est à la fois un comité qui fournit des expertises pour le gouvernement mais aussi un comité qui définit pour nous les grandes orientations scientifiques qui nous permettent de mettre en _uvre les financements du Ministère en matière de recherche sur les prions.

Nous avons également des modalités d'intervention que nous avons voulu diversifier au travers d'actions incitatives. Nous avons mis en place des recherches en réseau qui ont permis notamment de doter la communauté scientifique française de nombreux outils qui lui faisaient défaut en 1996. Ces actions incitatives sont décidées sur l'initiative du comité d'experts. Nous avons également des appels d'offres. Nous demandons à la communauté scientifique, à travers des thématiques que nous définissons comme prioritaires, de nous proposer des projets. C'est depuis la communauté que remontent vers le Ministère des projets qui sont ensuite évalués, et ces appels d'offres sont publics ; ils sont publiés sur le web du Ministère, et je vous invite à vous y rendre pour en voir le contenu spécifique.

Outre ces actions incitatives et ces appels d'offres, nous répondons dans la mesure du possible à des demandes plus particulières, notamment la mise aux normes de laboratoires, la constitution de banques, de façon à avoir une diversification de nos actions et de nos interventions la plus large possible.

Enfin - et je voudrais en profiter pour remercier Dominique DORMONT qui est à l'origine de cette évaluation - nous avons également une évaluation rigoureuse des projets soumis aux appels d'offres car Dominique DORMONT a tenu à ce que ce soient des experts extérieurs eux-mêmes non financés qui évaluent ces projets, et c'est grâce à son Comité que nous nous appuyons sur ces experts extérieurs. Ils ne sont pas tout à fait extérieurs, car quand nous avons défini un thème prioritaire qui concerne l'immunologie nous faisons appel à des immunologistes mais qui, dans la mesure du possible, ne sont pas eux-même financés au travers du programme de façon à ce qu'ils restent les plus objectifs possibles par rapport aux projets qui leur sont soumis.

Nous avons donc un pilotage concerné, des orientations scientifiques précisées au meilleur niveau, des modalités d'intervention diversifiées et une évaluation rigoureuse des projets.

Monsieur le Ministre de la Recherche a évoqué ce matin les résultats scientifiques que nous avons obtenus au travers de ce programme et au travers des organismes et de leurs efforts en matière de recherche sur les prions. Il nous a été fourni récemment des données importantes concernant le rôle de la procédure normale. La mise en réseau des laboratoires que j'évoquais tout à l'heure a permis de doter la communauté scientifique d'outils, et notamment de ces tests.

Vous avez entendu dire que la recherche thérapeutique s'amorce, que les activités de surveillance et de recherche épidémiologique sur la maladie Creutzfeldt Jakob donne une image très précise de la situation française.

Enfin - c'est un point qu'on a moins évoqué aujourd'hui - nous finançons des recherches en science humaine et sociale qui nous permettent de mieux répondre à la perception du risque, et de mieux comprendre les raisons de cette crise à laquelle nous faisons face aujourd'hui.

Sur ces recherches, je ne conclurai pas sur le plan scientifique, je pense que Dominique DORMONT a largement évoqué les questions qui restent ouvertes pour les chercheurs et sur lesquelles ils devront travailler dans les années à venir. Je voudrais mettre l'accent sur la nécessité de cette démarche concertée non seulement au plan français mais aussi communautaire, voire même au niveau transatlantique. Nous réfléchissons à la façon de travailler entre la Communauté Européenne et les USA, notamment pour standardiser les outils dont nous avons besoin pour mieux travailler dans le domaine des prions.

Cette nécessité de concertation est réelle pour définir les besoins de la recherche. C'est pourquoi nous avons associé les agences à notre réflexion. Cette concertation est nécessaire pour fournir les outils et pour les standardiser ; c'est le problème des banques d'échantillons humains, bovins, dont les chercheurs auront besoin pour mieux comprendre ces maladies à prions. Ils en auront besoin également lorsque de nouveaux tests seront disponibles. Nous sommes en train de constituer ces banques au travers du programme, et notamment des banques d'échantillons humains.

Enfin, et c'est une des préoccupations importantes du Ministère, cette concertation est nécessaire pour utiliser au mieux les ressources disponibles dans le cadre des efforts majeurs qui vont être consentis par le gouvernement pour ces recherches sur les prions.

Le dernier point sur lequel je voudrais insister qui a été évoqué par Dominique DORMONT et le professeur Mc CONNELL, c'est le fait que cette démarche de recherche est un processus long. Il faudra du temps avant que ces recherches n'aboutissent ; il nous faut nous appuyer sur la recherche fondamentale et il est important de financer ce type de recherche, en amont des recherches plus appliquées qui intéressent peut-être plus les médias, qui sont indispensables pour que nous comprenions cette maladie.

Dernier point, et c'est un élément qui doit être entendu ici, nous avons besoin de pérenniser ces efforts. S'ils demandent du temps, il nous faudra des financements pendant longtemps pour aboutir dans ces recherches.

Je vous remercie.

M. GATIGNOL - Je voudrais revenir sur cette notion de transmission à l'homme qui inquiète tout le monde et savoir, puisque nous avons la présence du Professeur WILL et celle de nos chercheurs, s'il y a un dénominateur commun dans ce village de Queens Borough où il est apparu plusieurs cas humains ? Est-il possible de donner une explication sur ce dénominateur commun ?

Pr WILL - La répartition géographique des cas de la variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob a été étudiée de très près depuis plusieurs années. Il y avait des doutes dans le Kent mais sans trouver de lien entre les cas. A présent, il y a des preuves significatives et c'est étudié en détail par nous-mêmes et en particulier par les médecins locaux. C'est une enquête en cours mais pour le moment nous n'avons pas vraiment de preuve définitive de lien entre ces cas.

Les difficultés de ces études au plan local ne doivent pas être sous-estimées. Si vous essayez de comparer par exemple des achats de produits alimentaires entre les cas de personnes qui habitent au même endroit, il y a peut-être des chevauchements, c'est un problème difficile qui s'est déjà posé dans le passé pour des cas de maladie Creutzfeldt Jakob sporadique. Les enquêtes sur ces cas se sont révélées négatives bien qu'on puisse trouver curieux qu'il y ait 5 cas aussi proches géographiquement les uns les autres. Il ne faut pas perdre de vue que c'est peut-être un hasard.

Pr MC CONNELL - Je voudrais faire un commentaire lorsque tous les parlementaires auront posé leurs questions.

M. LE DEAUT - Je voudrais poser plusieurs questions. Nous avons eu une journée où à partir du problème de la contamination animale, nous avons abordé le problème des tests, puis le problème de la contamination à l'homme. C'est un sujet qui intéresse nos compatriotes qui cherchent à ce que nous leur apportions des réponses claires. Et comme vous avez dit, Madame, que la science avance lentement, nous n'avons pas de réponses qui soient sûres, mais le cheminement scientifique fait qu'on arrive, petit à petit, à apporter des réponses. Néanmoins, en entendant ce matin le Professeur Mc CONNELL, j'ai compris que ce qui s'est passé en Grande-Bretagne n'est en rien comparable à ce qui s'est passé en France en nombre de cas et qu'il y avait une sorte de parallélisme entre le nombre de cas bovins et le nombre de cas humains auquel on peut s'attendre.

La première question est celle que nos compatriotes nous posent dans nos circonscriptions : est-ce qu'il y a un risque de développement important de la maladie chez nous ?

Deuxièmement, mais je crois que vous avez ce matin, Madame, répondu à cette question, en l'état actuel des connaissances scientifiques, vous avez tous dit qu'il n'y a pas de contamination par la viande rouge avérée qui ait été prouvée. Peut-on l'affirmer de manière claire ? Avec la décision qui a été prise de ne plus servir de viande dans les cantines scolaires, peut-on rassurer nos compatriotes ou pas ?

Quand on demande cela à un scientifique - je l'ai été avant d'être parlementaire - il répond toujours avec une incertitude et on le comprend très bien, mais ces questions sont attendues. Je voudrais, en fin de cette table ronde, que vous puissiez répondre à cette question.

J'aurai quelques autres questions par la suite.

Madame ALPEROVITCH, j'ai lu votre article récent dans la presse dans lequel vous abordez ce sujet.

Mme ALPEROVITCH - Je vais essayer de répondre à cette question. Cela pourra peut-être vous étonner car aussi bien le Professeur DORMONT tout à l'heure que le professeur WILL ont dit qu'on ne connaissait rien à rien. Or, je vais quand même vous dire que nous savons un peu et que le problème est d'utiliser au mieux le peu que nous connaissons pour essayer de donner des limites à l'incertitude.

Nous savons par exemple combien de cas sont survenus en Grande-Bretagne, quelle est l'allure de l'épidémie de variant de la maladie de Creutzfeldt Jakob, quel âge avaient ces cas. Nous connaissons la date de début de l'épidémie d'ESB en Grande-Bretagne. Nous savons quelle a été l'allure de l'épidémie, comment le nombre de cas a augmenté. Nous connaissons la date à laquelle certaines mesures ont été prises ; nous pouvons faire des hypothèses sur la date à laquelle elles ont été appliquées. Nous pouvons aussi faire des hypothèses sur l'efficacité de ces mesures. Jean-Philippe DESLIS vous a dressé un tableau très complet mais on peut faire des hypothèses. Les mesures prises sont-elles efficaces à 80 %, à 90 % ou à 100 % ?

Nous pouvons faire des scénarios en simulant la variabilité de paramètres que nous ne connaissons pas bien, C'est un exercice classique qui a été fait dans d'autres maladies que celle qui nous préoccupe aujourd'hui. Par exemple, l'équipe britannique qui a fait la modélisation de l'importance possible de l'épidémie de variant en Grande-Bretagne est une équipe de modélisateurs qui a travaillé précédemment dans d'autres maladies infectieuses et, en particulier, qui a fait dans le domaine du Sida des travaux qui ont fait date. On peut donc modéliser en situation d'incertitude. La question est d'interpréter de manière raisonnable les résultats de cette modélisation.

Le plus récent travail qui a abouti à une prédiction, qui a donné l'incertitude sur le nombre de cas à venir de variant en Grande-Bretagne a examiné 5 millions de scénarios de combinaisons de paramètres. Ils sont partis du peu que nous savions et ils ont donné au peu que nous savions une très grande possibilité de variations qui a abouti à envisager 5 millions de scénarios.

Il est clair je pense pour tout le monde ici que ces 5 millions de scénarios ne sont pas également probables. Parmi les scénarios qui ont été envisagés par cette équipe d'Oxford, certains sont plus raisonnables que d'autres. Les scénarios extrêmes vont d'un très grand optimiste qui, dans le papier publié cet été, donnait un nombre de cas minimum qui déjà aujourd'hui est dépassé, donc c'était très optimiste, à un très grand pessimiste en particulier concernant la durée d'incubation qui est une durée d'incubation moyenne de plus de 60 ans.

Jean-Philippe DESLIS vous a dit, en prenant l'exemple du Kuru que la période d'incubation pouvait aller de 4 ans à 40 ans ; ce ne sont pas des moyennes mais des durées extrêmes. Une durée d'incubation moyenne de 60 ans, qui fait pour certaines personnes une durée d'incubation de 100 ans, ce n'est peut-être pas dans l'état actuel de nos connaissances l'hypothèse la plus raisonnable.

Sur les 5 millions de scénarios envisagés, ceux qui correspondent aux extrêmes représentent peut-être une dizaine de 1000 sur ces 5 millions, et on peut raisonnablement, en l'état actuel des connaissances, les écarter, ce qui donne alors, pour des durées d'incubation qui iraient de 20 à 60 ans, un nombre de cas attendus en Grande-Bretagne qui se situeraient dans une fourchette entre 100 ou 150 et 6 000.

Bien sûr, c'est encore une très grande incertitude, mais c'est mieux que de 100 à 136 000.

Ceci est un éventail de scénarios, c'est plusieurs millions de scénarios dans cet intervalle. J'ai le sentiment que c'est l'incertitude qu'il est raisonnable de prendre en considération aujourd'hui s'agissant de la situation en Grande-Bretagne.

Peut-on essayer, à partir de cet intervalle, de faire une certaine prédiction sur la situation en France ?

D'abord, il y a quelque chose qui a été dit plusieurs fois aujourd'hui : le meilleur indicateur du rapport d'exposition de la Grande-Bretagne et de la France, c'est le rapport du nombre de cas. Aujourd'hui, il y a 3 cas de variant en France, il y en a à la même date 85 cas en Grande-Bretagne. Ce qui nous donne aujourd'hui une meilleure idée de l'exposition entre les deux pays, c'est ce rapport de 3 à 85 qui est situé entre 20 et 30.

A partir de ce rapport, on peut considérer - et cette estimation est recoupée par des données d'autre nature en particulier sur les importations - que la population française a été entre 20 et 30 fois moins exposée que la population anglaise. Si on donne pour la Grande-Bretagne une fourchette allant de 100 à 6 000, il faut réduire cette fourchette très large de 20 à 30 fois moins pour avoir quelque chose pouvant correspondre à l'incertitude de ce qui va passer en France. Ceci en soulignant que la valeur extrême correspondrait malgré tout à une durée d'incubation moyenne/longue et que cette épidémie de l'ordre d'une dizaine, voire de 100 à 300 cas, serait une épidémie qui s'étalerait sur plusieurs dizaines d'années, soit un tout petit nombre de cas par an.

Ce qu'il faut souligner - et c'est peut-être aussi un moyen de répondre bien que je ne sois pas la plus qualifiée pour répondre à votre deuxième question - c'est que s'agissant des cas qui surviennent en France aujourd'hui, compte tenu de l'épidémie ESB en France dans les années 85-90, l'hypothèse est qu'ils ont été infectés par des importations venant de Grande-Bretagne. En Grande-Bretagne, en 1988 et 1989, il y a eu au total plus de 10 000 cas d'ESB, et à l'époque aucune mesure de retrait de matériaux à risque n'avait encore été prise.

Aujourd'hui, on sait quel est le nombre de cas en France avec des mesures prises pour enlever les matériaux à risque. Mon sentiment est que si la situation épidémiologique française vis-à-vis de l'ESB représentait un risque pour la population française, il y aurait actuellement beaucoup plus de cas de variant de Creutzfeldt Jakob en Grande-Bretagne qu'il n'y en a si on compare ce qu'était l'épidémie en Grande-Bretagne en 1988-1989 et ce qu'elle est en France aujourd'hui.

Je crois qu'il y aura d'autres cas de variant de Creutzfeldt Jakob en France, également en Grande-Bretagne, et il ne serait pas étonnant qu'en Grande-Bretagne la tendance à l'augmentation qu'a soulignée le Professeur WILL continue encore pendant quelques années. Cependant, je crois qu'en Grande-Bretagne, et a fortiori pour la France, nous sommes loin des scénarios catastrophes qui ont été faits en 1996 et encore récemment.

M. LE DEAUT - Merci beaucoup. Est-ce que d'autres collègues souhaitent poser des questions ?

Je voudrais simplement poser une question qui a déjà été abordée ce matin ; je profite de la présence de Martin HIRCH, Directeur général de l'AFSSA, pour la poser. Nous avons eu l'impression qu'entre les chercheurs et les vétérinaires, il n'y avait pas les mêmes stratégies. Je ne sais pas si nous avons bien perçu mais nous avons eu le sentiment à un moment donné que sur des stratégies très importantes, notamment comme celle d'enlever les matériaux à risque spécifié, ce qui se fait obligatoirement maintenant, dès l'instant qu'on le faisait, certains ont dit qu'il n'était plus obligatoire de faire des tests.

Cela n'a pas été dit de cette manière mais c'est ainsi que nous l'avons ressenti, et quand on demandait de faire des tests aléatoires sur des bêtes non malades à l'entrée des abattoirs pour le vérifier, ce n'est pas ce qui apparaissait comme le plus urgent.

Par ailleurs, Monsieur DESLIS nous a dit que les méthodes de découpe aujourd'hui ne sont pas des méthodes qui permettent de garantir qu'il n'y a pas, au moment de la découpe, des contaminations possibles.

Celui qui regarde le problème de manière plus populaire se dit que la meilleure des sécurités serait de retirer les matériaux à risque, ceci est déjà fait, mais en même temps de compléter par certaines autres mesures qui pourraient être des mesures de tests, et en tout cas de le vérifier dans la population actuelle de notre cheptel, surtout ceux âgés de plus de 30 mois, par des tests.

Est-ce qu'une double stratégie ne serait pas la meilleure ? Peut-être que Martin HIRSH peut y répondre. C'est en tout cas ce que disent certains députés et sénateurs lorsqu'on en discute. Aujourd'hui, on fait les tests pour les cas suspects, et on le fait pour un certain nombre de cas, on va en voir le résultat bientôt, mais ne faut-il pas aller plus loin sur cette question de tests ?

M. HIRSH - Je peux donner un élément de réponse. La stratégie de prévention de l'ESB a toujours reposé sur une combinaison de mesures, qui est la manière de répondre à des incertitudes qui ont été soulevées et qui sont persistantes. On n'attend pas de voir les certitudes scientifiques arriver avant de prendre des mesures.

Elle repose d'autre part sur un deuxième élément qui est de ne jamais considérer comme un postulat que les mesures prises sont à 100 % efficaces, et c'est parce qu'on ne considère pas cela comme un postulat qu'il y a des combinaisons de mesures qui, selon qu'on les regarde, peuvent apparaître redondantes à certains. Effectivement, à partir du moment où on a enlevé les matériaux à risque spécifié, il peut apparaître à certains inutile de prendre d'autres mesures. Au contraire, toute la stratégie qui a été recommandée par les scientifiques, bien avant que l'agent existe, et dans laquelle nous nous sommes résolument inscrits, c'est d'indiquer qu'il fallait raisonner comme si les mesures ne fonctionnaient pas à 100 % et donc avoir plusieurs filets de sécurité pour le faire.

Récemment, nous nous sommes efforcés de fournir au gouvernement et aux consommateurs, puisque nos avis sont rendus publiques, une mise en perspective des différentes mesures actuelles et mesures de renforcement envisageables en tenant compte à chaque fois de ce que chacune d'entre elles pouvait apporter comme impact sur la sécurité du consommateur. Quel pouvait être leur effet combiné, quel pouvait être leur délai de mise en _uvre, quelles pouvaient être les difficultés d'application pour que justement - alors que nous sommes dans une phase où on se pose d'abord des questions et ensuite on a une nouvelle photographie du paysage épidémiologique à travers la première phase du programme de tests, et par conséquent cela peut appeler un renforcement de mesures - on puisse avoir une mise en perspective non pas en se focalisant sur une mesure car on a vu ces derniers temps que si on prenait une mesure, on pouvait ne pas avoir la vision dans laquelle elle s'inscrit pour augmenter le niveau de sécurité mais comment, sur l'utilisation des tests de dépistage compte tenu de leur performance actuelle, sur l'identification de certains catégories de bovins à risque, sur toute une série de mesures fondamentales, on pouvait les utiliser ensemble ou de manière séquentielle pour le faire.

C'est le premier travail que nous avons rendu ces jours derniers et pour nous la phase suivante sera, à la lumière de l'analyse des 15 000 tests que nous ferons dans quelques jours ou quelques semaines, de pouvoir proposer les stratégies qui paraîtront les plus adaptées sur un plan scientifique pour continuer à renforcer la sécurité.

M. CHEVALLIER - Je voudrais faire trois remarques, la première sous forme de question. J'ai été intéressé et frappé à la fois dans l'exposé du Professeur WILL par le point qui consiste à prendre en considération l'âge des individus qui développent la maladie de Creutzfeldt Jakob nouveau variant. Je constate que ce sont des individus relativement jeunes, et l'explication qui a été donnée, si j'ai bien compris, est que c'est lié certainement à leur métabolisme ; peut-être que leur métabolisme protéique est plus actif que chez une personne âgée, encore que je ne sais pas si on a la possibilité de répondre à cette question, mais peut-on apporter des précisions en la matière ?

Ma seconde question serait de savoir si on pense qu'il existe ou qu'on redoute qu'il y ait d'autres sources de protéines anormales. Par exemple, sait-on ce qui déclenche la tremblante du mouton ? La tremblante du mouton est une maladie quasiment ancestrale, qu'on connaît dans les pays d'élevage et dont on a dit aujourd'hui que c'était une maladie à prions. Connaît-on le facteur déclenchant, la source, l'origine de la tremblante du mouton ?

Pr WILL - L'observation selon laquelle les patients sont jeunes est tout à fait juste, et l'explication quant à cette tranche d'âge n'est pas bien appréhendée. Un certain nombre d'hypothèses ont été avancées ; certaines laissent entendre que l'âge jeune des patients pourrait être le résultat de leur comportement alimentaire plusieurs années auparavant.

Il y a peut-être une possibilité qu'il y ait aussi des facteurs biologiques non identifiés à ce jour qui rendent les jeunes plus réceptifs ou écourtent la période d'incubation chez les jeunes par rapport à des sujets plus âgés. Cette question de savoir pourquoi les patients sont jeunes est une question à laquelle il a toujours été très difficile de répondre depuis les tous premiers jours de la déclaration de la variante MCJ. A l'heure qu'il est, je n'ai pas de réponse adéquate.

Les experts avec qui nous travaillons sont peu satisfaits de cette réponse de possibilité d'exposition car ils pensent que la classe d'âge des patients est très difficile à mettre en correspondance avec une période d'exposition. Au début, on pensait qu'il y avait un problème d'évaluation en ce sens que la raison pour laquelle les patients étaient plus jeunes, c'est que nous étions plus forts à identifier les patients jeunes. Cependant, aujourd'hui, nous avons un cas de 74 ans et je pense que l'âge évoluera à l'avenir.

Je suis dans l'incapacité de répondre précisément à votre question car c'est une question difficile.

Dr DESLIS - La tremblante appartient à la même famille de maladies mais on parle de souches différentes. Ces agents peuvent être transmis à un même hôte, la souris en l'occurrence, mais ont des caractéristiques différentes, ils ne se répartissent pas de la même manière dans le cerveau. Cependant, il y a d'autres caractéristiques, ils n'ont pas le même tropisme pour différents hôtes et on sait que la tremblante, avec le recul que nous avons, n'est pas dangereuse pour l'homme ou en tout cas pas dans la limite de nos systèmes de détection. Les bergers, les vétérinaires, les bouchers ne font pas plus de maladie de Creutzfeldt Jakob que les autres.

M. LE DEAUT - Une question n'a pas été abordée mais j'ai lu un certain nombre d'articles de recherche qui traitaient de la question des animaux sains, d'éventuels animaux sains sur lesquels on ne détectait pas de signe de la maladie. Est-ce que ces animaux peuvent être contaminant ?

Mme LASMEZAS - Les expériences auxquelles vous faites allusion sont des expériences qui ont consisté à inoculer à des souris l'agent de la tremblante du hamster qui n'est pas pathogène pour la souris. Les dites souris mourraient de leur belle mort au bout de 800 jours, et quand les chercheurs ont prélevé les organes de ces souris (le cerveau et la rate), ils ont trouvé de l'infectuosité et, dans un certain nombre de cas, de la protéine du prion pathologique chez ces animaux. Cela a poussé en avant le concept de la possibilité qu'un agent infectieux se réplique dans un organisme sans provoquer de maladie et donc des cas d'infection dits « sub-clinique ».

Cependant, je voudrais ajouter qu'il s'agissait d'une espèce naturellement sensible à ces maladies, puisque les souris ont leur propre souche d'agents pathogènes. Nous sommes dans une situation différente de celle du porc ou de la volaille chez lesquels on n'a jamais réussi à transmettre par voie alimentaire la maladie. Cependant, ces données sont néanmoins à prendre en compte dans les estimations scientifiques.

Pr MC DONNELL - J'ai écouté beaucoup de choses très intéressantes et beaucoup de choses déjà vues. Je voudrais émettre des remarques précises et d'ordre plus général. J'ai écouté le docteur DESLIS lorsqu'il a parlé de l'âge des animaux atteints d'ESB en France, animaux âgés entre 4 et 8 ans ce qui donnent à penser que la contamination a pu survenir il y a 8 ans, voire moins ; ceci est très important.

Vous avez évoqué une politique de farines animales, mais la mise en place d'une telle politique est une chose, c'en est une autre de la faire aboutir. Il est clair qu'au Royaume-Uni, lorsque cette politique a été annoncée, il a fallu 6 à 8 ans avant de s'assurer que tous les éléments de farines animales avaient été éradiqués. Il faut être draconien : une fois que vous décidez du retrait d'un produit, il faut s'y tenir.

Si par exemple Mercedes a un système de freinage défectueux, il y a un rappel du produit et cela se fait en l'espace d'une ou deux semaines. Il faut donc être très rigoureux et s'assurer que ces exigences sont respectées sur les farines animales.

Quant à l'approche globale visant à abattre tous les animaux d'un troupeau, cela doit être traité avec prudence car il y a un risque. Si un agriculteur a un cas, il se peut qu'il ne souhaite pas déclarer ce cas sous peine de voir tout le troupeau abattu ; il faut être sensible à cela. Cela dit, la politique est dure mais importante.

S'agissant de la règle dite OTMS, nous avons une règle pour les bovins âgés de plus de 30 mois qui n'existe pas en France, et vous pourriez éventuellement, avec les dosages de tests évoqués ce matin, décider de dépister les bêtes plus âgées qui passent par l'abattoir qui ont plus de 4 ans, 5 ans ou 6 ans car avec une bonne traçabilité, si un animal est positif, il peut être retiré pendant une période de 15 jours où les carcasses sont détenues à l'abattoir. On se demande si cela ne pourrait pas être une règle de substitution pour rassurer le public. Les bêtes les plus âgés ne passent pas par les abattoirs, mais tester les bêtes plus jeunes globalement ne s'avérera pas praticable comme nous l'avons vu ce matin.

Pour ce qui est de réagir à la perception de l'opinion publique, il y a trois enjeux qui ressortent clairement de la problématique britannique. On communique sur le risque avec le public ; nous sommes tous des membres de l'opinion publique et c'est une question d'évaluation du risque, de réduction du risque et de communication du risque. Les stratégies de réduction du risque évoquées sont importantes. Il y a un certain nombre de stratégies de réductions qu'on peut mettre en place (farines animales, les abats et une surveillance très active), et un troisième élément de cette stratégie est la politique d'abattage globale.

On peut viser - cela a toujours été l'objectif - de réduire le risque mais malheureusement nous ne vivons pas dans un monde de risque zéro. Lorsqu'on prend l'avion, on ne dit pas au pilote : démontrez-moi que cet avion ne va pas s'écraser. On accepte le risque.

Pour en revenir aux remarques qui ont été faites l'échelle de cette épidémie, au Royaume-Uni nous sommes passés par là et les chiffres les plus censés se trouvent entre 100 et 500 000. Si vous êtes un optimiste, vous dites 2 à 300 ; si vous êtes un pessimiste, vous dites plus.

Tout ce que l'on peut dire, c'est qu'il faut tenir compte du poids de l'infection. Avec 170 000 cas au Royaume-Uni, si on accepte qu'il y ait un lien entre l'ESB et la variante MCJ comme cela a été clairement démontré, il faut tenir compte du poids de l'infection, du degré d'infection. Avec 170 000 cas dans les cheptels et 85 cas de MCJ, cela vous donne une idée, mais il serait dangereux de trop extraire à partir de ces chiffres.

Cependant, en France, vous n'avez pas vu ce degré d'infection dans les cheptels et on peut s'interroger. Vos chiffres et votre projection seront bien moins élevés que ce que nous voyons actuellement au Royaume-Uni.

      - EXPOSE DE MONSIEUR CLAUDE FISCHLER (CNRS) SUR LA PERCEPTION DU RISQUE

M. LE DEAUT - Je donne la parole à Monsieur FISCHLER, sociologue, qui va nous parler de la perception du risque dans cette période de crise sur l'ESB en France.

M. FISCHLER - Je vais vous parler de la perception du risque en général et vous donner quelques règles de base que nous connaissons et quelques résultats récents, qui datent de la semaine dernière, sur des groupes de consommateurs ou de citoyens, ce que l'on appelle des groupes de discussion, que nous avons réalisés dans l'ouest de la France, à Nantes en particulier.

D'abord, quelques considérations générales sur ce que nous savons, sur la manière dont le risque est perçu en opposition à la façon dont il est évalué par les experts pour monter à des travaux classiques dont je vais rappeler les principaux résultats et essayer au fur et à mesure de les appliquer à la situation actuelle pour montrer comment on peut les analyser.

On part de la comparaison de l'appréciation du risque par un panel d'experts dont le métier est de faire des évaluations probabilistes et des représentants de la société civile, et on obtient des différences considérables. Par exemple, dans un travail des années 80 aux Etats-Unis, il a été trouvé que les profanes classaient en numéro 7, toutes catégories, plus dangereux le risque nucléaire alors que les experts le classaient au 21ème rang. Inversement, le public classait très loin le problème lié aux consommations excessives de radiographie, radioscopie, etc... tandis que les experts étaient soucieux de ce problème et le classaient au 7ème rang des notes données. Comment expliquer ces divergences ?

Il y a un certain nombre de facteurs dont certains tiennent à la configuration de risque, à la situation dans laquelle on peut se trouver, et les facteurs d'angoisse comme on les appelle sont liés à certaines configurations de risque. Je vous en donne 4 ou 5 exemples :

Le caractère abstrait, lointain, du risque par opposition à son caractère proche ou concret. Un accident à l'autre bout de la planète fera moins les gros titres qu'un accident moins important au coin de la rue des lecteurs du journal local.

Dans la deuxième crise de la vache folle que nous traversons, le caractère concret a augmenté puisqu'il n'est plus question de dire que c'est quelque chose qui concerne l'Angleterre seule. Dans la perception du public, c'est au coin de la rue, et avec la viande française, que nous sommes en danger. A tort ou à raison, mais c'est la perception.

Deuxièmement, le caractère délibérément couru ou involontairement subi du risque. On éprouve peu d'angoisse à l'idée de courir un risque que l'on connaît mais que l'on choisit de courir comme de prendre l'avion ou d'aller faire du ski. En revanche, le fait de se voir imposer un risque aussi minime soit-il, aussi infinitésimal soit-il, est perçu de façon beaucoup plus négative. A plus forte raison, troisième élément, si le risque encouru profite à quelqu'un et que ce quelqu'un n'est pas le consommateur ou le citoyen. A plus forte raison l'entité à qui profite le risque couru est une multinationale sans visage, le facteur d'acuité est multiplié.

Une quatrième dimension est la maîtrise du risque couru. Une fois que le risque est connu, quelle possibilité a-t-on de l'éviter ? Première crise de la vache folle, première époque : éviter les matériaux à risque.

Il y a des problèmes de définition des matériaux à risque mais dans l'ensemble, on a le sentiment de pouvoir se protéger. Ce que j'observe aujourd'hui dans le public, comme d'ailleurs dans la phase la plus aiguë de la crise de 1996, c'est une confusion totale et une remise en cause de ces repères, d'abord par manque d'information et ensuite par confusion, puis, parce qu'au fil du temps on a découvert la présence de plus en plus fréquente de dérivés du b_uf, de sous-produits du b_uf dans des produits qu'on ne soupçonnait pas (les gélatines, les bonbons, les produits pharmaceutiques, les cosmétiques, le fil chirurgical, etc...).

Donc, la maîtrise du risque déclaré qui paraissait assez bonne est en déclin dans la perception publique.

Il y a d'autres facteurs sur lesquels je ne vais pas m'appesantir, mais il y a une objection éthique qui est fondamentale et qui donne son caractère central à la question des farines animales, c'est la fameuse histoire des herbivores que l'on a transformés en carnivore sinon en cannibales et, de manière unanime, il y a une violence et une véhémence dans les réponses qui je vous assure ne prêtent pas au sourire, c'est cette perception qui est au centre de tout.

Il y a une autre dimension. Tout à l'heure, le Professeur Mc DONNELL a cité l'exemple de Mercedes qui faisait un rappel et disait que nous étions dans une situation différente. Nous le sommes d'autant plus que nous sommes dans une situation de produits alimentaires. La différence avec Mercedes est que les voitures ne se mangent pas. Manger signifie faire pénétrer en soi un aliment et, sur le plan psychologique, symbolique, cela a des implications sans commune mesure avec aucune autre forme de consommation. Nous le savons aussi bien dans la recherche fondamentale que dans le marketing et les approches appliquées des sciences humaines.

En l'occurrence, nous avons pu observer qu'il y a des peurs archaïques que certaines qualifieraient d'irrationnelles, mais que je me refuse pour ma part à appeler irrationnelles, qui sont mises en _uvre dès que les produits alimentaires sont considérés.

Ce qu'il faut apprécier dans cette crise, c'est qu'on ne peut pas la réduire à la question du b_uf. Ce qui est remis en cause à travers cette crise et à travers les crises qui l'on précédée, ce sont tous les produits alimentaires transformés par l'industrie dans un premier temps, puis tous les produits alimentaires tout court. Il ne faut pas oublier que nous avons traversé des épisodes qui ont resserré l'étau autour des consommateurs dans leur perception.

Première étape, très lointaine : toutes sortes de produits issus de l'industrie ou de la transformation industrielle ont été considérés de façon défavorable. Il y a eu des crises sur les colorants dans les années 70, il y a une crise sur le veau aux hormones, plus récemment la première crise de la vache folle, ensuite les dioxines, puis un incident sur le coca-cola, puis une avalanche d'incidents sur la listériose et la salmonellose.

Le résultat est le suivant : dans un premier temps, lorsque nous écoutions les citoyens, ceux-ci disaient : « le problème de l'alimentation moderne est qu'on ne sait plus ce que l'on mange. » Or, sur un plan symbolique, culturel, savoir ce que l'on mange est très important car c'est un peu savoir ce que l'on est. Nous avons répertorié toute une série de croyances apparemment universelles qui mettent en relation la représentation que le mangeur a de lui-même avec ce qu'il absorbe. Nous sommes ce que nous mangeons. Si nous ne savons pas ce que nous mangeons, nous ne savons plus très bien ce que nous sommes.

Dans les dernières semaines, ce que j'ai entendu, c'est : « on sait plus quoi manger. » L'étau s'est refermé. Jadis, dans un temps relativement peu reculé, on disposait de solutions de repli aisées. Le manque de maîtrise du risque déclaré n'était pas total, on pouvait se retourner vers des solutions de rechange. Il y a eu des effets paradoxaux de certaines mesures de sécurité, en particulier celles qui ont été prises à l'occasion des crises sur la listériose, car la listériose portait sur des produits traditionnels et non des produits industriels (fromages au lait cru, charcuterie artisanale, produits familiers), des produits « refuges » pour les Français qui avaient une image de terroir et de passé.

On ne sait plus quoi manger, c'est le mot aujourd'hui. Vendredi et samedi, j'ai eu l'occasion de faire deux groupes de discussion avec des citoyens de catégories socio-économiques différentes à Nantes et j'en ai retiré des enseignements qui viennent à l'appui de ce que je viens de vous dire ou qui complètent mes propos.

Premier enseignement : il y a un élément non pas irrationnel mais de contrainte économique. Dans un groupe de « col blanc », vous avez une meilleure information, des choix stratégiques de repli vers des produits de qualité, produits de label, produits bio, toutes sortes de choses qui sont d'ailleurs confirmées par les études quantitatives qui montrent que les Français se retournent vers la qualité. Cependant, dans les groupes de niveau socioéconomique plus bas, il y a une impression d'enfermement plus violente. Sur 12 personnes dans le second groupe, j'ai eu 12 personnes violemment convaincues que les farines animales sont toujours données à tous les animaux.

Les subtilités de la distribution différentiée des farines animales à telle ou telle catégorie ou à telle ou telle espèce ne sont pas saisies. Après la fin de la première crise, il était logique qu'on abandonne les farines animales qui avaient été déclinées, et le fait qu'on en rediscute aujourd'hui pour prendre des mesures spectaculaires est interprétée de façon inversée, c'est-à-dire que c'est la preuve qu'on en donne toujours puisqu'il faut les arrêter.

La solution pour ces personnes est aussi de se retourner vers des produits de qualité plus coûteux, labellisés, mais sur 12 personnes seulement 2 peuvent le faire occasionnellement, les autres se sentent enfermés dans une espèce de ghetto (les grandes surfaces), d'où une véhémence qui est comme vous l'imaginez encore plus forte.

Je voudrais finir sur le caractère rationnel ou pas. Les médias en particulier mais aussi d'autres instances parlent de psychose.

Je rappelle que « psychose » est un terme clinique employé en psychiatrie qui ne me paraît pas adapté à cette situation. Cela relève de pathologie mentale gravissime, ce n'est pas ce que j'observe chez les citoyens et les consommateurs. J'observe plutôt des stratégies d'optimisation du rapport coût/bénéfice et, après tout, c'est une assez bonne définition d'une rationalité économique. Voilà ce que cela donne : un risque est évoqué. Ce risque, je n'ai aucun moyen de l'évaluer d'autant que les experts, les scientifiques, les politiques, sont partagés, les discours sont divergents.

De toute façon, l'évocation d'un risque suffit à contaminer la situation, c'est-à-dire la perspective possible d'un risque suffit à empoisonner la situation. Comment intervient le rapport coût/bénéfice ?

Si on me fait courir un risque, en contrepartie je peux en tirer un bénéfice ; cela nous renvoie à un modèle style OGM, c'est ce que l'on entendait pour les OGM. Monsieur le DEAUT connaît bien cela.

Quel est le bénéfice éventuel des OGM pour le consommateur ? Nul, pas perçu, pas de prix, pas davantage. Par conséquent, pourquoi accepter les OGM ?

Dans le cas de la vache folle, dans le cas des crises alimentaires en général, c'est plus pointu que cela. Le rapport coût/bénéfice est très difficile à établir positivement pour une raison simple : en France comme en Angleterre, le b_uf était et est encore en grande partie le centre même du système alimentaire. On dit en français gagner son beefsteak alors qu'on disait jadis : gagner son pain.

Si votre stratégie économique, professionnelle, tourne autour de la manière de gagner votre beefsteack et qu'on fait peser des doutes sur votre beefsteack, on ne vous donne guère de moyens de vous en tirer confortablement, et il est clair que le mécontentement est important mais aussi le sacrifice. Il n'est pas judicieux de comparer des baisses de consommation dans des pays comme la France ou la Grèce.

On atteint des niveaux aujourd'hui en France qui sont comparables à ce que l'on avait observé en Grèce en 1996. A cette époque, on disait que cela avait plus baissé en Grèce qu'en France mais comme en Grèce on mange peu de b_uf, cela coûtait peu aux Grecs de renoncer au b_uf. Cela coûte davantage aux Français de renoncer à leur beefsteak.

Concernant les mesures, on a parlé de psychose dès l'instant que des conduites d'évitement de consommation à la suite de l'affaire Carrefour se sont manifestées, et surtout à partir du moment où les cantines, en avalanche, se sont détournées du b_uf. Dans les périodes aiguës de crise, nous savons qu'il n'existe pas de mesure magique, il n'y a pas de balle d'argent qui est la seule à pouvoir tuer le loup-garou, celle qui va mettre définitivement un terme à la rumeur, qui va régler la situation et rassurer la population.

Il n'y a pas de balle magique, il y a des effets boomerang constants, et je peux observer sur le terrain les conclusions inversées des mesures qui seront discutées, envisagées ou prises. L'euthanasie des troupeaux est la preuve que tous les troupeaux sont contaminés. Les mesures sur les farines animales sont la preuve que les farines animales sont données à tout les animaux mais encore que les saumons sont contaminés ; certaines personnes évitent même le poisson d'élevage.

Pour les politiques, il est important de prendre conscience qu'on va vers des remises en cause radicales. Certes, une crise est un moment décisif ; certes, il y a des remises en cause absolument fondamentales dans le monde agricole, dans le monde industriel, probablement dans la distribution aussi. Cependant, dans la période chaude, je ne crois pas qu'il y ait des mesures autres que des mesures de bon sens, de raison, et il ne faut pas ni surestimer le délire du consommateur ni sous-estimer sa capacité de rationalité, mais il ne faut pas non plus surestimer la possibilité de prendre des mesures qui vont ramener miraculeusement à une situation froide ou rafraîchie.

Je vous remercie.

M. REVOL - Nous vous remercions beaucoup pour cet exposé très dense qui nous ramène si je puis dire au réalisme et à la raison. Je salue l'arrivée parmi nous de Monsieur Raymond FORNI, Président de l'Assemblée Nationale. Nous arrivons à la fin de nos travaux et d'une journée qui a été très dense et très longue. Si vous le permettez, avant de donner la parole à Monsieur FORNI, Monsieur LE DEAUT et moi-même vous dirons quelques mots de conclusion.

D'abord, pour exprimer notre gratitude au nom de l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques aux intervenants que nous avons mobilisés de manière très rapide. Habituellement, quand on organise des colloques, il s'écoule des mois entre les contacts et l'organisation finale, et là je les remercie de tout c_ur d'avoir bien voulu - je sais que c'était difficile pour certains d'entre eux - venir aujourd'hui nous éclairer.

Nous remercions le Président FORNI qui nous a accueillis à l'Assemblée Nationale. Nous vous remercions toutes et tous, en particulier les journalistes venus nombreux aujourd'hui, et tous nos collègues parlementaires, députés et sénateurs, qui tout au long de la journée sont venus écouter les différentes interventions.

Les échanges de grande qualité auxquels nous avons assisté tout au long de cette journée prouvent que le débat scientifique et technologique n'est pas clos sur cette question. Ceci me conduit à dire que, compte tenu des enjeux, aussi bien de santé publique qu'économiques, je songe ici à l'inquiétude des acteurs de la filière bovine, il serait hautement souhaitable que les programmes consacrés aux recherches sur ces questions soient activés aussi rapidement que possible, et ceci aussi bien en France qu'à l'échelon européen.

Je me réjouis que Monsieur le Ministre de la Recherche nous ait annoncé ce matin qu'à l'échelon européen il avait obtenu la constitution rapide d'un groupe d'experts, avec la fixation d'un délai pour la remise d'un rapport, pour faire le point de la recherche au niveau européen.

Enfin, je me félicite que l'Office Parlementaire ait pleinement joué son rôle d'information du parlement et de l'opinion dans une situation que nous rencontrons de plus en plus souvent : celle où les enjeux scientifiques et technologiques dont on ne perçoit généralement les effets qu'à long terme, comme c'est le cas pour ce problème, font brusquement irruption dans le débat de société.

C'est notamment dans ces moments que l'Office Parlementaire doit contribuer au débat afin d'aider à dissiper des comportements irrationnels vis-à-vis de la science et de la technologie qui deviennent, hélas, de plus en plus pressants.

Je vous remercie. Je passe la parole à Jean-Yves LE DEAUT.

M. LE DEAUT - Merci Monsieur le Président. Je voudrais également remercier tous ceux qui ont accepté de venir dans des délais très courts à cette journée d'études qui a permis de faire le point sur des connaissances médicales et scientifiques très denses.

Je remercie nos amis anglais : le professeur Mc CONNELL de Cambridge, le Professeur WILL d'Edimbourg, et bien sûr tous les responsables scientifiques français qui se sont mobilisés pour venir informer le Parlement.

J'étais, comme quelques-uns d'entre nous, membre de la commission d'enquête de 1996 sur ce même sujet. Ce que l'on peut dire en ayant participé aux travaux de 1996 et à cette journée d'études, c'est que la science avance lentement alors que comme Monsieur FISCHLER vient de le dire, nos concitoyens souhaiteraient des réponses rapides à un certain nombre de leurs questions.

La science avance lentement, mais sur ce sujet beaucoup de choses ont été faites. Certes, il reste des incertitudes, on l'a vu aujourd'hui. Il reste des incertitudes sur la dose minimale infectieuse pour l'homme. Il reste des incertitudes sur les effets de dose sub-infectieuse. Y a-t-il des premières fenêtres de contamination ? Y a-t-il des deuxièmes infections qui concourent au développement de la maladie ?

Il reste une incertitude sur la durée de l'incubation chez l'homme, on en a parlé tout à l'heure. Il reste une incertitude non encore réglée sur la force de la barrière d'espèce entre le bovin et l'homme, et d'éventuelles susceptibilités génétiques. Il reste des questions posées : pourquoi dans la maladie humaine, ce sont surtout des jeunes qui sont contaminés et qui sont malades aujourd'hui ? Est-ce seulement l'alimentation qui en est la cause ?

Je me félicite qu'à l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifique et Technologiques, il y ait à la fois l'Assemblée Nationale et le Sénat ainsi que des députés et sénateurs de tous les groupes politiques. Je pense que nous avons contribué à la réduction du risque par un certain nombre de demandes répétées du Parlement qui ont été prises en compte par des décisions gouvernementales qui se sont faites dans le temps.

Ces décisions gouvernementales sont importantes dans notre pays mais aussi à l'échelon européen. Lorsqu'on regarde un tableau des décisions, on s'aperçoit que les décisions européennes viennent toujours après les décisions nationales des pays qui ont le plus de risque. La Grande-Bretagne a été la première à prendre des décisions, car il y avait un problème plus important en Grande-Bretagne que dans notre pays. Puis, la France a pris des décisions et ensuite l'Europe.

Nous vivons en Europe, et même si aujourd'hui tout le monde n'a pas le même risque de contamination, je pense qu'on doit montrer une solidarité européenne dans la réduction de ce risque.

Enfin, je voudrais dire qu'un scientifique n'a pas à rassurer, il a à dire sa vérité et en fonction de cela nos concitoyens ont à se faire leur propre opinion, mais ils se font leur propre opinion à partir du moment où on leur donne les éléments pour se la forger. Or, très souvent, l'information est quelque chose de rapide et nos concitoyens n'arrivent pas à se faire une opinion quand on est dans une période où la peur l'emporte sur la raison, et où des psychoses se développent.

Le Professeur Mc CONNELL a dit que nous étions à des niveaux d'échelle tellement différents entre la France et la Grande-Bretagne qu'il ne pouvait pas se passer la même chose en France et en Grande-Bretagne. Il a aussi clairement indiqué ce matin, et tous les scientifiques présents ici l'ont confirmé que, concernant la transmission de l'encéphalopathie spongiforme bovine, il n'y a pas de contamination avérée dans la viande rouge, donc dans la viande que nous consommons. C'est quelque chose de plutôt rassurant malgré les incertitudes qui pèsent. On arrive aujourd'hui à plus de certitudes que nous en avions en 1996.

Il nous a été aussi indiqué qu'on pouvait aller plus loin dans un certain nombre de décisions. Je crois qu'il faut avancer sur notamment les tests car les tests viennent en complément de certaines mesures qui ont été prises sur notamment l'élimination des matériaux à risque spécifiés.

Tester les animaux à partir d'un certain âge serait déjà un premier point positif comme l'on a fait dans certaines régions françaises dans lesquelles il y avait des risques plus importants.

J'ai été frappé par ce qu'a dit le Professeur HAUW qui a dit qu'aujourd'hui, en raison de la loi de 1994 sur la bioéthique, il y a une baisse très grande du nombre d'autopsies en France. On n'arrive pas à faire le point sur les maladies humaines parce que l'article 611-9 du Code de la Santé Publique, qui traite du problème des autopsies est aujourd'hui interprété par les médecins comme demandant obligatoirement le consentement des familles. J'ai vu le parcours du combattant qu'il était nécessaire de faire pour donner son corps ou des organes à la science. C'est quelque chose d'important.

Ce qui a été rassurant, et le Ministre de la Recherche l'a indiqué ce matin, c'est que le gouvernement a pris des mesures en matière de recherches. Il faut continuer à chercher car c'est en connaissant la structure du prion, et en connaissant les modes de transmission de la maladie, que nous avancerons. Le Professeur Mc CONNELL a dit une phrase qui m'a beaucoup marqué : on ne peut pas étudier des virus lents avec de l'argent rapide.

C'est avec une politique à long terme que nous pourrons faire progresser nos connaissances sur cette maladie.

Merci d'être venus aujourd'hui. Merci à Raymond FORNI de nous avoir assurés de son soutien pour l'organisation de cette journée. Merci au Président REVOL qui a organisé cette réunion avec beaucoup de dynamisme.

      CLOTURE DE LA JOURNEE PAR MONSIEUR RAYMOND FORNI, PRESIDENT DE L'ASSEMBLEE NATIONALE

M. FORNI - Clore une telle journée est toujours un exercice difficile, surtout lorsqu'on n'a pas assisté pas aux travaux qui ont été les vôtres au cours de cette journée sans doute passionnante. Je me suis dit qu'au fond un des moyens pourrait être de parler de philosophie et d'action politique ; comment, face à des événements aussi dramatiques, les politiques doivent-ils réagir ? Est-il possible d'imaginer qu'un instant ils perdent leur tendance naturelle d'exploiter, voire d'utiliser à des fins qui ne sont pas toujours destinées à régler le problème, des événements aussi douloureux que ceux que nous traversons actuellement ?

J'aurais pu aborder cette conclusion de cette manière mais ce sera sans doute l'objet d'un autre colloque que nous organiserons ici, tout à fait intéressant, puisque j'ai été confronté il y a quelques jours à la décision qu'il fallait prendre de savoir comment le Parlement allait pouvoir se saisir de cette question autrement qu'en organisant une fois de plus des « jeux du cirque », sans doute passionnants pour ceux qui s'y livrent mais en tout cas peu susceptibles de faire avancer notre réflexion.

Il m'a semblé que s'il y avait un organisme approprié dans cette enceinte du Parlement, c'est-à-dire de l'Assemblée et du Sénat, qui pouvait répondre à notre préoccupation, c'était l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques. Or, comme j'y ai siégé quelque temps, que je connais le sérieux de ses travaux pour les avoir accompagnés à une certaine époque sur d'autres sujets, moins difficiles que celui-là, il m'est apparu que cette structure était la plus à même de répondre et de fournir à nos collègues parlementaires, et au-delà d'eux à l'opinion publique, une information aussi large que possible permettant de recadrer un peu les choses, de les prendre avec suffisamment de recul et de distance afin d'examiner ce problème avec plus de sérénité.

Avant toute chose, je souhaite remercier son président, le sénateur Henri REVOL et son vice-président, Jean-Yves LE DEAUT, d'avoir pu organiser aussi rapidement cette journée.

Vous êtes ici chez vous, cher Sénateur REVOL, puisque le système même de l'Office Parlementaire repose sur une alternance régulière, qui résulte uniquement du règlement qui fixe le fonctionnement même de l'Office : une fois le Sénat, une fois l'Assemblée Nationale. Tout cela permet d'avoir des échanges extrêmement fructueux en dehors de toute opinion. Et d'ailleurs, ce n'est même pas le règlement mais plutôt l'habitude qui permet de régler les problèmes au-delà des affrontements partisans qui font parfois du tort à notre démocratie.

Parce que nous sommes des politiques, ceux qui sont dans l'Office, qui participent à l'Office, mais aussi les autres à l'extérieur, nous avons besoin pour guider notre réflexion de prendre l'avis de ceux qui travaillent au quotidien à résoudre les problèmes que nous avons à traiter et parfois à traduire en termes de lois, puisque telle est la vocation du Parlement dans nos institutions.

Je ne doute pas que le résultat de cette journée est pour vous qui y avez participé passionnant, et je suis persuadé que ce travail sera tout aussi passionnant à lire lorsque le compte rendu sera publié.

La conclusion qu'on pourrait sans doute en tirer, parce que je me suis tenu informé du déroulement de votre journée, c'est que les gouvernements d'une manière générale et depuis déjà un certain temps - ce problème étant ancien puisqu'il remonte à deux décennies au moins - ont toujours pris sur ce sujet les décisions utiles en temps et en heure. C'est l'une des conclusions à laquelle personnellement j'aboutis.

On peut bien entendu dans l'instant polémiquer, mais lorsqu'on regardera les choses avec ce recul dont je parlais il y a un instant, sans doute arriverons-nous, quelle que soit la mauvaise foi qui puisse nous guider, à cette même conclusion : les gouvernements, quels qu'ils soient, ont pris les décisions qu'il fallait quand il le fallait.

Je crois que l'explication qui vous a été fournie il y a un instant par le Professeur Mc CONNELL tout particulièrement aura permis à la fois de nous inviter à relativiser le problème que nous vivons, même si ce sont des chiffres qui n'ont pas grande signification lorsque l'on tombe dans l'explication sociologique. 1 000 fois moins de cas d'ESB et 20 fois moins de sa variante humaine en France par rapport à l'Angleterre, ce n'est pas pour nous consoler mais ce sont des chiffres qu'il faut utilement rappeler à l'opinion publique. Il est utile de rappeler, comme il l'a fait lui-même, que les décisions qui ont été prises en France, quand on les regarde de l'extérieur, ont été prises de manière extrêmement rigoureuse après en avoir examiné la faisabilité, les possibilités techniques et sans doute, de manière accessoire mais non négligeable, les coûts de mise en _uvre car tout ceci a une incidence financière qui n'est pas négligeable.

Nous avons aussi compris qu'il est sans doute plus important de bien maîtriser les facteurs essentiels, à savoir les matériaux à risque, que de multiplier les points d'intervention. Cela signifie qu'il n'y a pas lieu de polémiquer sur l'ampleur des moyens à mettre en _uvre, il n'est en effet pas question de discuter la mise en _uvre de ces moyens lorsqu'on traite de facteurs aussi essentiels. Ceci est valable pour la santé animale, mais aussi évidemment pour la santé humaine. Cela a été rappelé, je crois, cet après midi.

En revanche, pour d'autres mesures complémentaires, celle que Monsieur Martin HIRSH appelle les filets de sécurité, qui peuvent et doivent être prises, par exemple sur l'utilisation de farines animales, ou la généralisation des tests, il faut à partir du moment où elles sont moins essentielles, se poser la question de leur coût et de leur faisabilité technique. Il ne s'agit pas par exemple de décréter le test généralisé, encore faut-il savoir si les laboratoires qui les fabriquent ont la capacité de répondre dans l'heure à la décision qui aurait été prise par une autorité politique.

La table ronde sur le dépistage et le développement des tests rapides a, me semble-t-il, fait clairement apparaître que les problèmes de simple intendance sont eux-mêmes sujets à polémique, et quand je dis les problèmes de simple intendance, je devrais dire aussi malheureusement les problèmes de simple concurrence. En effet, la concurrence dans ce domaine n'est pas totalement exclue, et nous le savons bien. Aujourd'hui, entre les laboratoires suisses, ceux qui relèvent du CEA, quelques autres, ils ne sont pas très nombreux heureusement à être sur le marché, il y a des objectifs commerciaux à atteindre qui ne sont pas négligeables. Le risque n'est toutefois pas très grand car nous sommes tenus suffisamment informés des nouveautés et des découvertes pour savoir ce qu'il en est aujourd'hui du problème des tests.

Je crois enfin, et c'est peut-être le plus important, que vos débats ont parfois hésité autour des mots utilisés, les scientifiques ayant peut-être parfois quelques préétablis liés à la maîtrise qu'ils ont de leur sujet que nous n'avons pas, nous, parlementaires non spécialistes, et que n'a pas non plus a fortiori l'opinion publique, qui n'est pas différente du monde politique dans lequel nous évoluons. Nous avons en effet quelques difficultés à percevoir la lumière dans l'avalanche d'informations que nous recevons. Ce qui nuit à la lisibilité et à l'approche rationnelle de ce problème.

C'est pourquoi il faudrait pouvoir faire comprendre, synthétiser cette journée complète de travail en quelques phrases non techniques, ce qui est un exercice difficile, et susceptibles de convaincre nos concitoyens, ce qui l'est encore plus.

Quand Jean-François MATTEI indiquait, il y a quelques jours, que nous sommes confrontés avant tout à un problème de communication de gouvernement, je suis d'accord avec lui. Toutefois, la communication du gouvernement serait plus compréhensible si elle n'était pas, en quelque sorte, en concurrence avec les annonces et les commentaires d'autres communicants, prononcés d'ailleurs en toute honnêteté mais parfois avec quelques arrière-pensées. Je pense en particulier, vous l'aurez compris, à cette demande de la FNSEA de sortir des circuits la viande des animaux nés avant 1996, laissant croire ainsi que nous consommons aujourd'hui une viande dangereuse pour notre santé.

Quoi de mieux pour entretenir cette atmosphère d'insécurité alimentaire ? Comment éviter après cela que les gens pensent que l'affaire est bien plus grave qu'on ne le leur dit ?

Tout cela fait partie d'un mécanisme qui conduit à des comportements dont on a des difficultés à apprécier la rationalité et la logique. Autant une information fracassante peut infléchir l'opinion publique en quelques instants, autant le travail d'explication nécessite une véritable investigation pour être crédible.

Prenons l'exemple d'un article du Monde paru le 17 novembre dernier sur cette affaire d'animal atteint d'ESB et introduit, peut-être sciemment, dans l'abattoir de Villers-bocage. Cet article, d'une page entière, décrit pas à pas les détails des faits, ce qui a amené à l'espèce de panique à laquelle nous sommes confrontés, pour arriver aux deux dernières phrases qui en sont la synthèse :

« Au lieu de retenir que la vache malade a été interceptée avant d'être introduite dans le circuit d'abattage/transformation, on a focalisé sur le fait que la viande des autres animaux du même élevage, non malades, mais potentiellement suspects, a pu être diffusée et consommée. Le doute est ainsi instillé, la psychose peut commencer. »

Ce sont les deux dernières phrases de cet article.

Les spécialistes auront apprécié la précision des termes utilisés, mais le problème réside dans le fait qu'il aura fallu une page entière du quotidien et plusieurs semaines d'enquête pour que cette conclusion soit crédible. Cependant, qui a lu cet article ? Je n'ose pas dire qui lit le Monde ; on en connaît le nombre par le chiffre inscrit à la dernière page. Qui a lu cet article parmi ceux qui parlent, semble-t-il, en toute connaissance de cause de ces problèmes, y compris parmi les responsables politiques ?

Pourtant, il ne s'agit que d'un aspect parmi 100 de l'ensemble du dossier ; c'est un exemple que nous pourrions multiplier à l'infini. Faut-il croire que nous sommes condamnés, tout comme celui qui poussait le rocher pensant atteindre le but, à redescendre parce que l'information, une petite phrase, ruine tous les efforts que vous avez consenti à faire pour remonter la pente ?

Pourtant, nous avons dépensé une énergie considérable. L'Assemblée a fourni un rapport d'information du Professeur MATTEI il y a 3 ans. Il y a à peine 8 mois, nous avons eu un rapport d'enquête de notre ami CHEVALLIER. Bien entendu, l'Assemblée continuera à travailler sur ce sujet la semaine prochaine encore, puisque le 28 novembre nous consacrerons, au lieu et place des questions orales sans débat, 4 heures de débat au problème de sécurité alimentaire. Ceci permettra sans doute, du moins nous l'espérons, d'avoir grâce à votre travail, une série de questions mieux éclairées que celles que nous avons parfois à l'occasion des questions d'actualité qui se déroulent chaque semaine les mardis et mercredis.

Moi-même, je le dis sans préjuger des décisions que nous prendrons dans quelques semaines, pourquoi ne pas imaginer une nouvelle commission d'enquête, qui a d'ailleurs été demandée, qui porterait sur l'ESB et qui reprendrait le travail de Jean-François MATTEI et de Daniel CHEVALLIER ?

Cela ne me choquerait pas de revenir ainsi sur un problème dont on a le sentiment qu'il n'a pas été complètement traité, malgré les efforts que nous avons consentis.

A force de nous informer, de rechercher des informations nouvelles, dès qu'elles arrivent, nous sommes dans le rôle qui normalement est le nôtre : celui du contrôle de l'action du gouvernement. Le triptyque parlementaire, voter la loi, voter le budget, contrôler l'action du gouvernement, ne peut pas se dispenser de ce troisième pilier, qui devrait être beaucoup plus utilisé qu'il ne l'est à l'heure actuelle. Il n'est point nécessaire pour cela de transformer notre règlement, il suffit d'utiliser les outils qui sont à notre disposition.

Lorsque je dis à notre disposition, c'est à l'ensemble de la représentation nationale, opposition et majorité que je m'adresse. Faire comprendre à l'opinion, grâce à ce travail de contrôle de l'action du gouvernement, que nous sommes à même à un moment donné de faire des propositions qui permettent de résoudre une question est, je crois, l'essentiel du travail qui est le nôtre sans forcément que les médias soient les seuls à intervenir sur un sujet aussi difficile. Bien entendu, le comportement des médias à la recherche de l'événement qui fait l'actualité est légitime et normal et je n'entends pas le remettre en cause par cette remarque.

Il y a un instant, le Professeur WILL disait qu'on ne sait pas comment va évoluer la maladie humaine au Royaume-Uni, et ce que l'on ignore au Royaume-Uni, on l'ignore aussi chez nous. Cela me paraît être une évidence, et tous ceux qui font aujourd'hui des pronostics, même si on peut avoir quelque idée lorsqu'on est un spécialiste, s'aventurent beaucoup sans doute. Nous ne connaissons ni les périodes d'incubation, ni le développement de la maladie, ni comment elle se transmet. Nous sommes dans une certaine ignorance, et c'est cette ignorance qui fait peur.

Ceci me conduit à vous dire, Mesdames et Messieurs, que nous avons malheureusement sans doute encore beaucoup de travail devant nous, sans doute pour des années. Il nous faudra remettre sur le métier cet ouvrage.

Nous en sommes désolés compte tenu des conséquences et des problèmes que cela entraîne pour nous tous, pour nos concitoyens, pour des professionnels dans le cadre de filières qui seront à l'évidence désorganisées par les réactions auxquelles nous assistons aujourd'hui. C'est ainsi, et le Parlement sera là, je l'espère, non pas pour répondre ou apporter une réponse à tout, car celui qui sait tout est bienheureux et je ne connais pas de bienheureux en politique.

Je souhaite simplement que vous continuiez mes chers collègues dans le droit fil de ce qui a été initié aujourd'hui par l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, et je vous remercie cher Sénateur REVOL et cher Jean-Yves LE DEAUT pour ce que vous avez déjà accompli.

(Applaudissements...).

La séance est levée à 18 heures.