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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 8ème jour de séance, 18ème séance

1ère SÉANCE DU MARDI 13 OCTOBRE 1998

PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1

    ORDRE DU JOUR DE L'ASSEMBLÉE 1

    MALTRAITANCE DES ENFANTS 2

    NÉGOCIATIONS SUR L'AMI 2

    SÉCURITÉ SANITAIRE DANS LES HÔPITAUX 3

    CAMPAGNE PUBLICITAIRE POUR LES 35 HEURES 3

    35 HEURES ET RÉDUCTIONS DE SALAIRES 4

    ETRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE 4

    LYCÉES 5

    KOSOVO 5

    MATERNITÉS 6

    LYCÉES 7

    PACS 7

    BUDGET DE LA FRANCOPHONIE 8

LOI D'ORIENTATION AGRICOLE (suite) 9

    EXPLICATIONS DE VOTE 12

FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR 16

REQUÊTE EN CONTESTATION D'OPÉRATIONS ÉLECTORALES 16

SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION 16

LOI DE FINANCES POUR 1999 16

ANNEXE ORDRE DU JOUR 29

La séance est ouverte à quinze heures.

M. le Président - Je signale qu'il n'y aura pas de suspension de séance après les questions au Gouvernement : nous passerons immédiatement aux explications de vote et au vote par scrutin public sur la loi d'orientation agricole.


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

ORDRE DU JOUR DE L'ASSEMBLÉE

M. Dominique Paillé - Monsieur le Premier ministre, cette assemblée a vécu vendredi un événement marquant de son histoire (Interruptions sur divers bancs). Sans esprit polémique (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), les Français en ont tiré la conclusion qui s'impose, celle du dysfonctionnement de l'Assemblée, lui-même dû à la non-application de son Règlement intérieur.

Or, toujours sur le PACS, vous vous apprêtez à solliciter à nouveau notre assemblée en la faisant délibérer, au mépris de plusieurs articles du Règlement, durant le week-end des 7 et 8 novembre.

Ce sujet de société est important et mérite d'être travaillé dans la sérénité, en prenant tout le temps nécessaire pour en analyser tous les aspects et incidences.

Pourquoi une telle précipitation ? Quelle est l'urgence ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

M. le Président - Le Premier ministre étant à Bruxelles, c'est le ministre des relations avec le Parlement qui va vous répondre (Huées sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement - Le fait de siéger le samedi 7 et le dimanche 8 novembre, en plus du mardi 3 novembre, correspond à une application normale de l'article 48 de la Constitution, qui confère au Gouvernement la prérogative de définir l'ordre du jour prioritaire des assemblées. L'article 50-2 du Règlement de l'Assemblée nationale en tire la conséquence en prévoyant que les séances supplémentaires demandées par le Gouvernement sont de droit.

L'opposition ne peut déposer 900 amendements sur 20 articles et s'étonner de devoir siéger ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Quand on fait de l'obstruction, il faut en assumer les conséquences. Je me permets de vous renvoyer au discours de Michel Debré présentant la Constitution devant le Conseil d'Etat (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

MALTRAITANCE DES ENFANTS

M. Jean Léonetti - Selon le rapport de l'ODAS, le nombre d'enfants en danger en France a augmenté de 10 % l'an dernier. Aux termes de ce rapport alarmant, "l'effritement de la société et de la famille jouent un rôle aigu dans l'atteinte portée... à l'enfant. Il semble donc nécessaire d'agir rapidement afin de préserver la cellule familiale, consolidée dans des solidarités de proximité".

Ne serait-il donc pas plus judicieux et plus urgent de consacrer une enveloppe financière aux enfants et aux familles en difficulté, plutôt que de s'acharner à imposer au pays un PACS où la "solidarité" n'est qu'un mot et qui ne sert qu'à permettre des économies d'impôts aux plus fortunés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Comme vous je pense que la famille est le lien majeur irremplaçable où se construit l'enfant, à la fois sur le plan affectif et sur celui des repères et valeurs (Interruptions sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). Je vous rappelle que le Premier ministre a présidé une conférence de la famille qui a permis, avec l'accord unanime des associations syndicales et familiales, de définir une politique familiale ambitieuse qui prend en compte les évolutions de la famille, y compris leurs aspects les plus néfastes, comme les violences que vous évoquez.

La loi de financement de la Sécurité sociale, que vous allez discuter dans quelques jours, prévoit un milliard de plus pour l'action sociale de la CNAF, justement pour aider ces familles en difficulté, mais aussi pour mettre en place des lieux d'accueil et de rencontre parents-enfants. Je pense qu'il ne sert à rien de montrer du doigt ces familles, il faut les accompagner et les responsabiliser. C'est ce que fait l'école cette semaine en ouvrant ses portes à tous les parents (Interruptions sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR) pour que l'on reconnaisse leur rôle éducatif.

C'est ce que nous faisons de manière plus globale par les mesures prévues dans la loi de financement de la Sécurité sociale et par le travail mené dans la délégation interministérielle à la famille.

Sans doute est-il difficile pour vous d'entendre que l'ensemble des associations familiales a accepté notre programme, pourtant c'est la vérité (Interruptions sur les bancs du groupe UDF).

Quant au PACS, personne dans ce pays ne doit dire aux gens comment ils doivent vivre et aimer, mais c'est notre rôle que de les aider à mieux vivre pour mieux aimer (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

NÉGOCIATIONS SUR L'AMI

M. Yves Cochet - Le 13 février dernier, le Premier ministre a énoncé, par communiqué, les quatre conditions à remplir pour que la France signe le projet d'accord multilatéral sur les investissements.

Le 28 avril, lors de la réunion des ministres de l'OCDE, la France n'a pas signé, sans doute parce que les conditions n'étaient pas toutes remplies. Le Gouvernement s'est engagé à informer les parlementaires et l'opinion de la suite des négociations. Or, jusqu'à aujourd'hui, aucune information ne nous a été donnée par le Gouvernement sur ce projet.

La semaine prochaine a lieu une réunion de l'OCDE où les négociations doivent reprendre. De nombreux syndicats, associations et formations politiques, notamment de la majorité, sont opposés au projet dans sa forme actuelle. Pensez-vous que les conditions fixées sont réunies et que la France va signer l'AMI ? Ou au contraire va-t-elle s'en abstenir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV)

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - Effectivement lors de la réunion des ministres de l'OCDE, en avril dernier, le gouvernement français a demandé et obtenu une suspension de six mois des négociations afin de consulter la société civile et d'évaluer les incidences de l'AMI. Mme Lalumière, députée au Parlement européen, assistée de M. Landau, ancien directeur des relations économiques extérieures, a procédé à ces consultations, interrogeant les associations, les syndicats, les milieux culturels et les entreprises. Mme Lalumière a fait part hier au Premier ministre du résultat de ces consultations. Il arrêtera prochainement la position du Gouvernement français et la portera à la connaissance du Parlement, ainsi que de nos partenaires européens (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

SÉCURITÉ SANITAIRE DANS LES HÔPITAUX

M. Jean Rigal - Dans la nuit du 25 au 26 septembre dernier, à l'hôpital Edouard Herriot, à Lyon, une défaillance de l'alimentation électrique a provoqué le décès de plusieurs malades du service des soins intensifs.

Cette affaire dramatique fait l'objet d'une enquête administrative et le Parquet de Lyon a ouvert une information judiciaire. Mais je suis sûr que si un tel accident s'était produit au centre hospitalier d'une ville moyenne, le directeur de l'agence régionale d'hospitalisation, véritable proconsul sanitaire, aurait fermé le service concerné, voire l'hôpital tout entier (Applaudissements sur divers bancs du groupe RCV et du groupe UDF). Je ne demande certes pas quant à moi la fermeture de l'unité hospitalière en cause, mais je voudrais que nous nous interrogions sur la fragilité et la relativité de la notion de sécurité sanitaire, dans les grands hôpitaux comme dans ceux de proximité. D'autant qu'un autre centre hospitalier important, cette fois dans la région Midi-Pyrénées, a été frappé par un problème d'ordre infectieux.

Ces accidents regrettables devraient tempérer les certitudes de ces statisticiens péremptoires qui s'acharnent à décrédibiliser les hôpitaux de proximité afin de mieux liquider l'ensemble de leurs services. Qu'en pensez-vous, Monsieur le secrétaire d'Etat à la santé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et quelques bancs du groupe socialiste)

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé - Il n'y a pas lieu d'opposer petits et grands établissements hospitaliers, car ni la sécurité sanitaire ni les dangers ne se répartissent ainsi.

Dans la nuit du 25 au 26 septembre, une panne s'est produite, à l'hôpital Edouard-Herriot de Lyon, entre deux grands postes de raccordement EDF, ce qui a entraîné l'évacuation de plusieurs malades. Mais dans aucun des cas de décès le rapport avec ladite panne d'électricité n'a été établi. A votre place, donc, je ne tirerais pas de conclusion hâtive. Une enquête est en cours et nous avons quant à nous envoyé aussitôt après une circulaire à tous les hôpitaux pour leur rappeler leurs obligations en termes de sécurité électrique.

Vous avez, d'autre part, fait allusion aux cas de légionellose constatés à l'hôpital de Tarbes. Ils ont donné lieu à inspection et à plusieurs décisions, telle que la chloration du système, par deux fois. Et nous continuons l'enquête.

D'une manière générale, il ne saurait être question de stigmatiser une structure hospitalière en raison de sa taille, quelle que soit celle-ci. J'aurai l'occasion de le redire à propos des maternités, que nous entendons non pas sanctionner mais mettre en réseau afin d'améliorer la sécurité sanitaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

CAMPAGNE PUBLICITAIRE POUR LES 35 HEURES

M. Robert Pandraud - Madame la ministre de l'emploi, il a plusieurs fois été question du marché de 25 millions que vous avez cru devoir passer afin de chanter la gloire des 35 heures. Vous nous avez dit que la procédure légale avait été respectée -dont acte. Je note cependant que la commission des marchés avait émis un avis défavorable et que le contrôleur financier avait par conséquent refusé son visa. Vous êtes passée outre, ce qui est votre droit. Sauf que ce n'est pas vous, autorité politique, qui avez signé cette décision mais un fonctionnaire, votre directeur-adjoint de cabinet. Certains diront que ce n'est pas très courageux de votre part. Je trouve simplement cette façon de faire imprudente et j'espère que vous apporterez à ce fonctionnaire aide administrative et assistance juridique s'il est amené à comparaître devant la cour de discipline budgétaire ce qui, compte tenu de vos fonctions, ne peut être votre cas (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Pour être complet, Monsieur le ministre, vous auriez dû préciser que la commission des marchés n'a donné un avis défavorable que sur le caractère d'urgence de la procédure, comme elle le fait d'ailleurs le plus souvent -mon prédécesseur le sait aussi bien que moi. Comme nous tenions à ce que la campagne commence avant l'été et à ce que les chefs d'entreprise reçoivent les brochures en juillet plutôt qu'en septembre, nous avons passé outre. Cela étant, l'appel d'offres a été fait dans les délais et l'ouverture a été totale pour le choix des agences.

Comme j'ai pris quelques jours de vacances, c'est bien mon directeur-adjoint de cabinet qui a signé la décision de recourir à la procédure d'urgence -car cela ne posait aucun problème juridique. Mais croyez bien que je n'ai de toute façon pas l'habitude de me défausser de mes responsabilités. Lorsqu'une erreur est commise, je l'assume complètement et je continuerai toujours à le faire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur de nombreux bancs du groupe communiste).

35 HEURES ET RÉDUCTIONS DE SALAIRES

M. Hervé Gaymard - Lors du débat sur la réduction du temps de travail, Madame la ministre, vous avez dit que les 35 heures créeraient des emplois sans entraîner de réduction de salaires. Pourtant, dans une interview publiée par la revue américaine Leaders, M. Strauss-Kahn déclare ceci : "Les salariés devront accepter des restrictions salariales. Bien que le Premier ministre ait dit que les salaires ne devaient pas être baissés, il a dit aussi que les augmentations devraient être contrôlées. Un gel des salaires nominaux sur une période donnée et des salaires réels pour une période plus longue sont des possibilités". Êtes-vous d'accord avec le ministre de l'économie et des finances ? Et ne craignez-vous pas que lesdites restrictions salariales n'aient pour effet de diminuer, à terme, la demande, compte tenu de la crise internationale que nous traversons et que le Gouvernement ignore superbement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Une fois de plus, je suis d'accord avec le ministre de l'économie et des finances ("Ah !" sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). En effet, j'ai toujours dit que la réduction du temps de travail créerait d'autant plus d'emplois qu'elle n'accroîtrait pas le coût du travail et qu'elle permettrait aux entreprises de gagner en compétitivité.

Un des moyens de le faire -et ce que font 90 % des entreprises qui ont déjà signé- consiste à maintenir les salaires et à prévoir pour l'avenir une modération salariale.

Permettez-moi de vous rappeler qu'en 1996, après les prélèvements opérés par les gouvernements que vous souteniez, le pouvoir d'achat des salariés a baissé de 1,6 % (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF) ; qu'en 1977, il a augmenté seulement de 1 % ; qu'en 1998, il va augmenter, malgré la réduction du temps de travail, de 2,5 %, et que, surtout, l'ensemble de la masse salariale distribuée va s'accroître, puisque des emplois se créent dans les entreprises signataires. Or les chômeurs devenus salariés vont évidemment consommer plus, car ils en ont largement besoin.

J'ajoute que la CFDT vient de publier une enquête portant sur 6 000 salariés passés à 35 heures : 95 % d'entre eux se disent très satisfaits. D'autre part, un sondage d'Usine Nouvelle montre que 18 % des entreprises sont déjà en train de négocier et que 20 % s'apprêtent à le faire dans les prochaines semaines. Tout cela ne vous incite-t-il pas à plus d'optimisme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

ETRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE

M. Thierry Mariani - Il y a toujours 60 000 clandestins sur notre territoire (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Je sais que vous préférez les appeler les "sans-papiers", mais ils sont bel et bien "hors-la-loi", ces clandestins demeurant en toute impunité sur notre territoire. Ils sont encore 60 000, vous le savez et vous ne faites rien ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

Après deux circulaires et le vote d'une loi qui marque un renoncement à maîtriser les flux migratoires, qu'attend le Gouvernement pour réagir ? Que ces étrangers passent un PACS blanc afin d'obtenir leur régularisation ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

Nous vivons dans un Etat de droit. Alors le Gouvernement va-t-il oui ou non faire respecter les lois de la République ? Va-t-il oui ou non procéder à l'expulsion des clandestins restés en France ? Si oui, dans quels délais ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim - Sur 14 000 étrangers en situation irrégulière -ceux, je vous le rappelle, que nous avons trouvés à notre arrivée aux affaires en juin 1997-, 77 000 ont été régularisés sur la base des critères définis par la circulaire, parue dès le mois de juin, du ministre de l'intérieur. 35 000 recours gracieux ont été déposés auprès des préfets, ainsi que 30 000 recours hiérarchiques, certains étrangers faisant les deux types de recours.

Cette opération est menée avec un double souci d'humanité et de fermeté, et les mesures de reconduite sont exécutées dans le cadre de la loi (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR).

De nombreux députés RPR - Combien ?

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim - Le Gouvernement entend continuer d'agir avec la volonté d'intégrer les étrangers en situation régulière et d'amener les autres à quitter le territoire, soit volontairement, soit sous l'effet de mesures de reconduite (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR). Rien n'a changé : telle est bien la politique que nous appliquons (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste).

LYCÉES

M. Guy Hermier - Depuis plusieurs jours, les lycéens et les collégiens, soutenus par leurs parents et leurs enseignants, manifestent par milliers dans tout le pays contre le manque de professeurs, la surcharge des effectifs et la détérioration des conditions de travail. Ils ont raison de vouloir étudier dans de bonnes conditions, et peuvent compter sur le soutien de notre groupe ("Ah !" sur les bancs du groupe RPR), qui ne leur a pas fait défaut lorsque la droite menait la politique qui a conduit à la situation actuelle ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR) Le Gouvernement a pris des mesures sans attendre pour recruter des personnels, enseignants et non enseignants, et pour améliorer les conditions de travail, mais peut-il confirmer l'engagement qu'il a pris en juin : celui de débattre, avec les intéressés mais aussi au Parlement, des conclusions à tirer de la consultation nationale des lycéens à laquelle il a procédé au printemps dernier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - Vous avez raison de mettre en évidence le fait que les lycées sont le point sensible de notre enseignement, d'où la consultation que nous avons lancée -certains nous reprochaient d'interroger les lycéens ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL)

S'agissant des moyens, dois-je rappeler que le budget de l'éducation nationale est passé de 198 milliards en 1988 à 345 milliards en 1998 ? Aujourd'hui, le taux d'encadrement est, dans le secondaire, d'un professeur pour onze élèves, ce qui signifie que le problème essentiel est celui de la répartition des moyens : il y a encore trop de classes sans professeurs et de professeurs sans classes, et c'est pourquoi je me suis attaqué, pour la première fois, à la déconcentration des mouvements de personnel, par un décret qui paraîtra demain. Je ferai ce qui est en mon pouvoir pour que tous les élèves aient les professeurs auxquels ils ont droit, mais j'ai affaire à une gestion archaïque (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe du RPR).

Quant à la réforme des lycées proprement dite, un débat de principe a eu lieu au sein de votre commission des affaires culturelles, et les débats techniques auront lieu avec les spécialistes (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). Nous en reparlerons le moment venu, c'est-à-dire à l'occasion de la discussion du budget de l'Éducation nationale. Pour le reste, l'ordre du jour de l'Assemblée ne dépend pas de moi seul (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

KOSOVO

M. Pierre Brana - M. Milosevic semble avoir donné des assurances permettant d'éviter une intervention armée en Yougoslavie, et l'OTAN a donné quatre jours aux autorités de Belgrade pour traduire ces assurances en actes. La France a donné son accord pour l'adoption des ordres d'activation par le Conseil atlantique et rappelé les objectifs qu'elle poursuit : mettre fin aux massacres, aux destructions, aux déplacements de populations, et mettre en place une autonomie substantielle dans le cadre des frontières existantes.

Sous la menace, Slobodan Milosevic a donc concédé quelques avancées. Seront-elles suffisantes ? Depuis plusieurs mois, en effet, il abuse la communauté internationale par ses promesses tout en continuant sa politique de répression et de discrimination. Pouvez-vous, monsieur le ministre des affaires étrangères, nous communiquer les éléments qui ont conduit la France à adopter sa position actuelle et nous dire quelle sera l'implication concrète de notre pays dans le processus de surveillance qui se déroulera sous l'égide de l'OSCE ? Enfin, dans l'hypothèse d'une intervention armée, le Parlement sera-t-il informé et consulté sur l'engagement de nos forces militaires ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste)

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Un élément nouveau, en effet, est apparu après sept mois de pressions continues exercées par le groupe de contact - car, je le rappelle, c'est en tant qu'émissaire du groupe de contact que M. Holbrook a accompli son excellent travail, et c'est après l'avoir entendu que le groupe de travail vient de le mandater pour la suite de sa mission. Des contacts sont en cours avec M. Geremek, président en exercice de l'OSCE, pour organiser la surveillance au sol, tandis que la surveillance aérienne devra faire l'objet d'un accord entre l'OTAN et les autorités yougoslaves, et que celles-ci devront, en outre, faire une déclaration unilatérale en vue d'un règlement politique de la question du Kosovo, comportant la perspective d'élections.

Un pas important a donc été franchi grâce à la détermination collective dont nous avons su faire preuve dans le cadre du groupe de contact. L'accord reste toutefois à concrétiser, et nous devrons donc, dans les quatre jours à venir, rester vigilants, exigeants et unis. La solution n'est pas encore trouvée, mais nous tenons enfin une piste (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe du RPR).

MATERNITÉS

M. Maurice Adevah-Poeuf - Nous avons eu la surprise de lire, au Journal officiel du 10 octobre, un décret modifiant substantiellement le titre premier du livre VII du code de la santé publique, et fixant notamment un seuil annuel de 300 accouchements pour le maintien des maternités. Vous aviez pourtant déclaré il y a six mois, monsieur le secrétaire d'Etat à la santé, que nul ne prétendait qu'une maternité soit "bonne" à 301 accouchements et "mauvaise" à 299, et je vous connais suffisamment pour savoir que vous n'avez pas changé d'avis entre-temps... (Applaudissements et rires sur de nombreux bancs du groupe du RPR) La vraie question est de savoir sur quels critères reposeront les dérogations prévues par le décret : sera-t-il tenu compte du seul éloignement géographique, ou également de critères de qualité ? Quant aux établissements bénéficiaires de dérogations, leur donnera-t-on les moyens nécessaires pour se mettre aux normes ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste)

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé - Il ne vous aura pas échappé que ce décret a été présenté samedi aux représentants des gynécologues et obstétriciens, qui attendaient ces précisions, ainsi qu'un plan d'ensemble de surveillance des grossesses et des accouchements à risques, afin de réduire nos taux de mortalité infantile et maternelle, qui sont assez médiocres par rapport à ceux de nos partenaires européens.

Chaque année en France, 9 000 enfants naissent prématurés : or 40 % d'entre eux voient le jour dans des maternités qui ne disposent pas d'un service adéquat pour les recevoir. Ils sont donc près de 4 000 à être transportés, et 30 % d'entre ceux-là en garderont des séquelles graves. Notre plan d'ensemble permettra donc de sauver un millier d'enfants par an.

De même, 15 % des accouchements à risques surviennent dans des maternités insuffisamment équipés. Il ne s'agit pas pour autant de mauvaises maternités. Je ne reviens pas sur ce que j'ai dit quant au seuil des 300 accouchements, qui est du reste ancien : il figure déjà dans une directive de 1972 signée de Mme Marie-Madeleine Dienesch (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Il n'est pas question de fermer brutalement des maternités. Les STROS nous donnent un an pour revoir l'organisation des soins dans les régions. Nous avons trois ans pour faire travailler les maternités en réseau.

En outre, il y aura des dérogations quand une petite maternité se situe dans une zone isolée ou si le trajet est difficile.

L'objectif est d'améliorer la prise en charge de la mère et de l'enfant. Dans votre région, Monsieur le député, la maternité à laquelle vous pensez compte 320 naissances par an. En réseau, elle en recevra entre 400 et 500 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

LYCÉES

M. Yves Durand - Monsieur le ministre de l'éducation nationale, je vais vous interroger à mon tour sur le mouvement des lycéens. Il est normal qu'il nous préoccupe, tout comme il préoccupe les parents, qui voient aujourd'hui leurs enfants dans la rue.

Les revendications des lycéens sont souvent confuses, voire contradictoires. Mais au-delà des problèmes de moyens, nous percevons un certain mal de vivre dans les lycées, où le lycéen voudrait être reconnu en tant que citoyen (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Les lycéens ne font que réclamer ce qu'ils avaient souhaité pendant la consultation que vous avez eu le courage de mener et qui a débouché sur le colloque de Lyon.

Quelles mesures comptez-vous prendre et selon quel calendrier ? Ne faudrait-il pas parvenir à un véritable partenariat avec les régions, qui sont responsables des bâtiments et n'ont pas toujours pris leurs responsabilités ? (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) Enfin, quelle message adressez-vous aux lycéens, dont les revendications, vous l'avez reconnu, sont légitimes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - Vous voulez connaître les mesures immédiates et je vais vous les indiquer. Elles ne seront pas démagogiques. Je ne suis pas un marchand d'illusions.

Nous sommes en train de mettre en place cette semaine les conseils de la vie lycéenne. Reconnus en tant que citoyens, les lycéens vont disposer de moyens pour se réunir (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Les emplois du temps suscitent de nombreux problèmes. Certains des élèves que j'ai reçus revendiquent la semaine de 39 heures (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Dès la Toussaint, les programmes seront allégés.

Même s'il existe des difficultés locales, je pense qu'il ne faut pas incriminer les régions, qui ont fait des efforts importants. Reste le problème de l'entretien des locaux. J'ai écrit à ce sujet au président de l'association des présidents de conseils régionaux, M. Valéry Giscard d'Estaing... (Exclamations prolongées sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

M. le Président - Le sujet était suffisamment important pour qu'on écoute la réponse dans le calme.

PACS

M. Dominique Dord - Ma question s'adressait à M. le Premier ministre. Elle porte sur l'échec qu'il a essuyé vendredi... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV ; applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) malgré la présidence complaisante de M. Cochet (Mêmes mouvements).

Ce fait rarissime a montré le désarroi de votre majorité. C'est le pays tout entier qui s'interroge sur votre réforme : des juristes, des fiscalistes, des praticiens du droit, des sociologues, des philosophes, des pédiatres, des milliers d'élus locaux, la grande majorité des associations familiales et les représentants des différentes confessions religieuses (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Notre collègue Mattei a su trouver les mots pour faire valoir nos positions sur le PACS. Il a imaginé d'autres solutions pour répondre aux problèmes rencontrés par les concubins, qu'ils soient homosexuels ou hétérosexuels.

Toutes ces interrogations vous laissent-elles de marbre ? Il fallait ouvrir un grand débat national, sous le signe de la tolérance. Or les Français viennent d'apprendre que votre texte va revenir en urgence dans quelques jours (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et sur de nombreux bancs du groupe RCV). Quel acharnement !

Délibérément, vous ignorez les dispositions de l'article 84, alinéa 3, du Règlement : "Les propositions repoussées par l'Assemblée ne peuvent être reproduites avant un délai d'un an" (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Votre manoeuvre constitue un détournement de procédure : après avoir un petit peu bricolé sa rédaction, vous allez présenter de nouveau votre texte, l'exposant d'ailleurs à la censure du Conseil constitutionnel (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Pourquoi ne pas en faire un projet de loi et suivre la procédure normale, qui passe par le conseil des ministre et le Conseil d'Etat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

M. le Président - La parole est à Mme la Garde des Sceaux (Mmes et MM. les députés socialistes et RCV se lèvent et applaudissent).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - La majorité a bien l'intention d'adopter le PACS (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; huées et claquements de pupitres sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Vous avez raison, Monsieur le député, sur un point : le sujet mérite mieux que de mesquines polémiques. Il faut permettre à cinq millions de nos compatriotes de vivre dans la dignité, qu'ils soient homosexuels, hétérosexuels, ou simplement, sans avoir de liens charnels, qu'ils souhaitent bénéficier d'un statut juridique.

Quant à l'initiative parlementaire, j'estime qu'elle est parfaitement justifiée en la matière (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) dans la mesure où sept propositions de loi ont été déposées depuis dix ans, dans les deux assemblées, sur le sujet. Je m'étonne donc que l'on s'insurge, à la droite de cette assemblée, quand la représentation nationale ne fait qu'user du droit ouvert par l'article 39 de la Constitution ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Le Gouvernement soutient cette initiative depuis le début : les premières réunions ont eu lieu à la Chancellerie, avec les rapporteurs et ceux qui sont à l'origine du texte, en juillet 1997. A chaque étape aussi, j'ai donné, en son nom, mon opinion et j'ai dit ce que je refusais, car il importait de baliser la voie.

L'incident de vendredi nous fournira l'occasion de mieux montrer encore à quel point nous tenons à cette proposition, en affirmant le soutien de l'ensemble de la gauche (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

BUDGET DE LA FRANCOPHONIE

Mme Odette Trupin - Monsieur le ministre délégué à la coopération et à la francophonie, dans le discours que vous avez prononcé en novembre au sein du Cercle Richelieu, vous aviez rappelé tout l'intérêt politique que notre pays peut trouver dans le développement de la francophonie comme communauté d'Etats réunissant d'ores et déjà le quart des pays du monde : réponse à l'expansion des valeurs anglo-saxonnes, qui contribue à une uniformisation de la planète ; espace du dialogue propice à l'apaisement des tensions ; forum privilégié d'une coopération Nord-Sud plus vaste et dynamique ; outil, enfin, pour le développement des technologies de la communication et de l'information. Les choix budgétaires seront-ils à la mesure des enjeux ? En particulier, vos crédits d'intervention refléteront-ils l'importance que le Gouvernement attache à cette forme de notre présence dans le monde ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - En effet, devant le Cercle Richelieu, j'ai défini la francophonie comme une grande ambition pour la France, comme un défi mondial. Pour être à la hauteur de ce défi et de cette ambition, le Gouvernement a pris des mesures dont vous trouverez la traduction dans le budget que nous allons examiner. Dans le contexte que vous connaissez et alors que, n'en doutons pas, des voix vont bientôt s'élever pour réclamer une baisse des prélèvements obligatoires, les crédits de la francophonie croîtront !

Nous inscrivant dans la perspective du sommet de Hanoï, nous avons fait le choix d'accroître de 43 millions notre participation à la francophonie multilatérale et d'en consacrer 22 aux "Inforoutes", 15 au renforcement de la présence de notre langue dans les grandes instances multilatérales et 8 à la création d'un observatoire de la démocratie. En outre, sur les 130 millions destinés à l'audiovisuel extérieur, 80 iront à TV5 pour aider à sa réorganisation et en faire une chaîne authentique, non plus une simple juxtaposition de programmes nationaux.

Mais moderniser la francophonie, c'est aussi réorganiser les opérateurs. La réforme de l'Agence de la francophonie est lancée et nous avons commencé de réévaluer les missions de l'agence universitaire.

Le besoin de francophonie s'affirme, comme en témoigne l'installation d'enseignants de français béninois au Nigeria.

Premier partenaire de la francophonie, la France est aux aguets de tout ce qui peut affranchir cette politique des pesanteurs de l'histoire et contribuer à la solidarité des peuples. Mais elle s'enrichit elle-même de la vitalité de cet espace et ce d'autant plus qu'elle fait l'effort de l'ouvrir au reste du monde.

Les Français ayant besoin de se mobiliser pour cette cause, je vous remercie, Madame, de votre question ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)


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LOI D'ORIENTATION AGRICOLE (suite)

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur le projet de loi d'orientation agricole.

M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche - Au terme de cette première lecture qui nous a occupés plus d'une semaine, il me faut souligner la très grande qualité des travaux parlementaires. Le débat a toujours été courtois et sérieux, ce qui nous a permis d'examiner, en séance plénière, près de mille amendements. Le projet en sort considérablement enrichi et je veux en remercier tous ceux qui y ont contribué, en premier lieu votre excellent rapporteur (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Le texte sur lequel vous allez vous prononcer mérite réellement d'être qualifié de loi d'orientation agricole. Le champ couvert est considérable. Tout d'abord, cette loi, reconnaissant la multifonctionnalité de l'agriculture, jette les bases d'une politique agricole rénovée, équitable et, de ce fait, plus légitime. En second lieu, elle modernise l'action publique, le contrat territorial d'exploitation permettant de passer de l'administration à la contractualisation. Le pluralisme syndical est effectivement reconnu. Un élan est redonné à l'installation des jeunes, grâce à un contrôle plus efficace de l'agrandissement des structures. La définition des signes de qualité est clarifiée et le rôle des producteurs dans leur gestion renforcé. S'agissant de la dissémination des OGM, les pouvoirs publics reçoivent les moyens d'appliquer effectivement le principe de précaution et la parité progresse grâce à l'amélioration du statut des conjoints d'exploitants. L'emploi et le statut des salariés sont mieux garantis. Enfin, le projet précise la place de l'agriculture dans la gestion du territoire et favorise la modernisation de notre appareil de formation et de recherche.

Réorienter ne signifie pas rebrousser chemin, passer l'acquis par pertes et profits, administrer davantage encore, ou oublier que la fonction première des agriculteurs est de produire...

M. Philippe Auberger - Ah !

M. le Ministre - C'est avoir le courage et la lucidité de corriger les effets pervers de politiques trop exclusivement fondées sur la recherche des quantités, pour recentrer notre action sur les hommes et sur les territoires. Nous voulons faire de notre agriculture une agriculture de produits identifiés, à forte valeur ajoutée : c'est le plus sûr moyen de garder nos parts de marché en Europe et d'en conquérir de nouvelles ailleurs !

Nous voulons regarder les choses en face et tirer le bilan d'une politique qui fait du couple baisse des prix-aides directes la condition de la compétitivité. Le soutien aux agriculteurs ne sera mieux compris que si nous lui donnons une autre justification que de compenser des baisses de prix décidées afin de permettre à nos produits de s'écouler sur les marchés mondiaux.

Il est paradoxal que les tenants d'une agriculture d'entreprise, d'"agri-managers", fassent reposer l'expansion de la production sur une telle politique et prônent une compétition dont le coût est intégralement assumé par la collectivité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Ce "réalisme" est à bien courte vue. On baisse aujourd'hui les prix garantis et, demain, on acceptera une nouvelle réduction de la protection communautaire !

Partager le constat mais refuser d'agir sur les causes des inégalités économiques et sociales, des déséquilibres territoriaux et des évolutions incontrôlées en se contentant d'alimenter des controverses vides de sens, c'est subir.

La première inflexion de notre politique est là : il nous faut fixer de nouvelles règles pour une plus juste répartition des soutiens publics, pour que nos agriculteurs puissent produire et vivre sur l'ensemble du territoire, créer des emplois et participer à la préservation des espaces naturels ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Il importe de réduire les écarts de revenus entre les agriculteurs.

Personne ne comprendrait que l'intervention publique ne serve qu'à garantir les revenus les plus élevés alors que le déséquilibre territorial et social s'accentuerait (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Pour être légitimes et pérennes, les politiques publiques, outre le soutien à la production, doivent infléchir les prétendues tendances lourdes en incitant les agriculteurs à prendre en considération toutes les dimensions de leur métier.

Pourquoi railler l'enrichissement des tâches du métier d'agriculteur ? A qui fera-t-on croire que l'instauration des CTE comporte le moindre risque d'inciter les agriculteurs à négliger la production ? (Nouveaux applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) Ces producteurs d'un nouveau type qui existent déjà, contribuent autant que les autres à la création de richesses et les contrats territoriaux doivent concerner le plus grand nombre.

Dans ce pays, l'innovation fait peur. Dès qu'une idée nouvelle est avancée, de grands esprits se récrient : "ça ne marchera jamais !" Il faudrait leur donner des garanties que les changements entrepris ne bouleverseront pas les relations entre l'Etat et les agriculteurs. On brocarde la sur-administration, mais on ferraille contre une mécanique contractuelle qui tend à regrouper toutes les aides dans un cadre global et cohérent. Si l'on veut que les agriculteurs privilégient une logique de projet au lieu d'une logique de guichet, il faut leur donner un cadre et des orientations. Les CTE sont d'abord une démarche dont il faudra élaborer les règles avec les agriculteurs eux-mêmes.

Une politique faite pour les hommes doit réellement privilégier l'installation, en particulier celle des jeunes, sur l'agrandissement des exploitations. J'ai la volonté de limiter la restructuration sauvage qui, depuis 1990, s'est accélérée, en améliorant le contrôle des structures.

Je ne peux accepter l'approche exclusivement libérale de ceux qui revendiquent le laisser-faire dans le cadre national mais proclament leur attachement aux aides compensatoires lorsqu'il s'agit d'affronter la concurrence sauvage sur les marchés internationaux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

N'oublions pas qu'en 1962, le droit de préemption accordé aux SAFER fit l'objet de qualificatifs comparables à ceux qu'a suscités l'article 16 du projet. L'outrance n'apporte rien au débat. L'important c'est de mettre notre législation en harmonie avec notre objectif de partage de l'emploi : seule une politique active d'installation, qui suppose une maîtrise de la concentration des exploitations, peut y contribuer.

Si nous voulons atteindre l'objectif d'une occupation équilibrée de notre territoire, il nous faudra toujours plus résolument tirer le meilleur parti de l'extrême diversité de nos terroirs et du savoir-faire des agriculteurs. L'originalité de notre modèle agricole trouve dans cette approche, fondée sur des produits diversifiés créateurs de valeur ajoutée, sa pleine justification. Si nous avons une viticulture prospère et conquérante, c'est que nous avons su garder la maîtrise du produit entre les mains de producteurs nombreux. Le partage de la valeur ajoutée est plus aisé lorsque les agriculteurs peuvent en conserver une part significative. Restaurer le lien entre l'agriculteur et son produit constitue l'un des moyens les plus efficaces pour lui permettre de tirer un revenu normal de son activité.

On a trop souvent sous-estimé les petits produits, les créneaux nouveaux, les demandes de consommateurs à la recherche d'une alimentation plus naturelle. L'agriculture biologique a été trop longtemps ignorée. Les produits d'origine, hormis les vins, ont été trop souvent considérés comme des produits sans avenir par les tenants d'une alimentation standardisée. Les ventes directes de produits fermiers n'ont pas été encouragées par les réglementations tournées vers la production industrielle. Mon souci est de faire en sorte que cette facette de notre agriculture représente une part plus importante de notre production et dispose de moyens nouveaux pour prendre son essor. Une telle agriculture, loin d'être marginale, constitue l'un de nos atouts majeurs pour l'avenir.

Ce projet, en reconnaissant la multifonctionnalité des agriculteurs, définit une nouvelle conception de ce métier. Parce qu'elle contribue à la production, au développement de l'emploi, mais aussi à la protection et au renouvellement des ressources naturelles et à l'équilibre du territoire, cette agriculture-là mérite le soutien des pouvoirs publics.

Ce texte prépare l'avenir parce qu'il concilie les intérêts légitimes des agriculteurs et les attentes de la société ; parce qu'il ouvre une voie à la rénovation de la politique agricole européenne, et parce qu'il est innovant (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. François Patriat, rapporteur de la commission de la production - Après cinq jours et cinq nuits d'un débat serein et courtois, votre assemblée a terminé ce matin l'examen de la loi d'orientation agricole. Elle adopte 265 amendements -sur près de mille-, plus de 22 % émanant de l'opposition.

Ce travail fructueux a permis un échange constructif sur l'avenir de l'agriculture française. Le texte répond aux engagements que le Gouvernement avait pris, en juin 1997. Dense et cohérent, il ouvre des perspectives nouvelles en prenant en considération la dimension "sociétale" et environnementale de notre agriculture, outre la dimension économique qui demeure primordiale.

Les agriculteurs doivent produire des produits bruts, non transformés, mais la vocation exportatrice de la France implique la mise sur les marchés -français, européen et mondial- de produits élaborés, identifiés et accrochés à un territoire, issus de tous les types d'agriculture, dont nous affirmons la complémentarité.

Nous avons été amenés à réfléchir sur le modèle agricole adapté à la France. Pour affronter les échéances futures, nous nous sommes tous retrouvés sur les objectifs, mais nous avons divergé sur les moyens.

Quels sont ces objectifs ? Redonner un sens à une agriculture riche en hommes, accrochée au territoire, capable de produire des biens de qualité et respectueuse de l'environnement. Emploi, économie, territoire, qualité, environnement sont les mots-clefs autour desquels les agriculteurs se mobilisent pour légitimer les soutiens publics qui leur sont dus.

Pour ce qui est des outils, le CTE répond à une double exigence : pour les uns, il s'agit de tempérer ce productivisme et de mieux protéger l'environnement ; pour les autres, ceux de la montagne et des zones intermédiaires, il s'agit de leur garantir un revenu de nature à les maintenir sur ces territoires.

Qu'on ne me parle pas de sur-administration ni de nationalisation rampante. ("Mais si !" sur les bancs du groupe du RPR) Il s'agit simplement de tempérer le productivisme et la course aux hectares destructrice d'emplois.

Cette loi d'orientation agricole s'adresse aux agriculteurs et aussi à la société. Certains auraient voulu lui ajouter une loi forestière, une loi fiscale, toutes deux viendront en leur temps.

Nul d'entre nous n'a le monopole du coeur à l'égard des propriétaires, des artisans, des commerçants ou des employés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Notre souci est de préserver un milieu rural équilibré où toutes les composantes se retrouvent. Nous avons adopté un texte audacieux, enrichi par des amendements concernant notamment les interprofessions, la qualité, la biovigilance. C'est pourquoi j'invite tous les parlementaires à approuver ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. André Lajoinie, président de la commission de la production - A l'issue de ce débat, je souhaite souligner la qualité du travail effectué aussi bien en commission que dans cet hémicycle, et l'attitude d'ouverture du ministre de l'agriculture à l'égard des amendements parlementaires. Nos échanges parfois vifs n'ont pas empêché un travail constructif.

La société a de nouvelles exigences envers son agriculture. La loi du marché ne peut pas être la force qui décide de la forme et de la nature de l'agriculture future. En souhaitant faire converger l'aspiration à des produits de qualité et la volonté des agriculteurs de vivre de leur activité, ce texte valorise les dimensions productives, environnementales et d'aménagement du territoire de l'agriculture. Mais, pour que le CTE, pierre angulaire de cette loi, innovation nationale et bientôt, j'espère, européenne, représente une réelle rupture avec les démarches antérieures, avec la course productiviste effrénée, au mépris de l'aménagement du territoire, de l'environnement et du sort des travailleurs, il faudra que des moyens importants soient mis à la disposition de cette nouvelle orientation.

La majorité de l'Assemblée a souhaité que ce texte soit un point d'appui pour les négociations européenne et mondiales à venir. La volonté de défendre la préférence communautaire est une bonne base. Il faudra certainement aller plus loin pour que ces négociations ne marquent pas un nouveau progrès dans le libéralisme économique débridé, ce qui mettrait à mal nos orientations.

Il appartient aux acteurs du monde rural de se saisir des possibilités qu'offre cette loi et au Gouvernement, par ses décrets d'application, d'en faire respecter l'esprit. Notre commission devra être vigilante, car l'expérience montre que des lois peuvent être détournées de leur objectif.

C'est dans ce souci qu'ont été adoptés des amendements visant au respect de la pluralité syndicale et à la prise en compte des projets des agriculteurs dans les CTE.

Votre commission vous invite à voter ce projet qu'elle a amendé (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Joseph Parrenin - Ce mardi 13 octobre est à marquer d'une pierre blanche pour l'agriculture française (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). La politique agricole ne pouvait plus limiter son ambition à encourager l'augmentation de la production, elle devait élargir ses objectifs, permettre aux agriculteurs d'exercer, outre leur fonction économique, leur fonction sociale et environnementale. Ce projet cohérent et équilibré rend l'espoir au monde rural.

Depuis lundi dernier, nous en avons débattu pendant 51 heures dans un esprit d'ouverture. Je tiens à rendre hommage au ministre, au rapporteur et au président de la commission et à tous les collègues qui ont enrichi ces débats.

L'agriculture française qui, depuis des dizaines d'années, connaît des révolutions et des restructurations importantes, méritait pleinement cette objectivité dans nos débats.

Ce projet contient d'importantes innovations. Les CTE en constituent la base ("L'avenir jugera" ! sur les bancs du groupe du RPR). Ce pacte, à la fois économique et territorial, entre l'agriculteur et l'Etat redonnera tout son sens à l'intervention financière publique. Il aura, bien sûr, une vocation économique mais prendra enfin en compte la multifonctionnalité de l'agriculture ("Baratin ! sur les bancs du groupe DL).

Il encouragera l'amélioration de la qualité des produits : nos longs débats sur les différents signes de qualité ont montré qu'ils constituaient des armes importantes sur les marchés et répondaient à une demande des consommateurs.

En encourageant l'amélioration qualitative des produits, il permettra de répondre aux demandes des consommateurs. En incitant à la diversification, le CTE favorisera le maintien et le développement de petites et moyennes exploitations. Enfin, ce contrat contribuera à préserver l'espace, les ressources naturelles et les paysages, et encouragera les agriculteurs à entretenir et à faire connaître leur terroir.

Le CTE a pour objectif de fixer les agriculteurs sur l'ensemble du territoire, en prenant en compte les forces et les faiblesses de chaque région. Christiane Lambert, quand elle était présidente du CNJA (Interruptions sur les bancs du groupe DL), demandait "des voisins plutôt que des hectares". J'ajouterai : "pas de villages sans paysans". Ce contrat a des ambitions fortes et justifiées qui correspondent aux attentes des agriculteurs, du monde rural et de l'ensemble des citoyens.

Une autre avancée majeure du projet est la création d'un nouveau statut de collaborateur pour les conjoints qui ne souhaitent être ni coexploitants, ni associés d'une exploitation sociétaire. Leurs droits sociaux sont améliorés et une revalorisation sans précédent des plus faibles retraites est amorcée en 1998 ; elle se poursuivra jusqu'à la fin de cette législature, comme s'y était engagé le Premier ministre.

L'emploi salarié, souvent oublié, obtient une reconnaissance publique par la mise en place du titre emploi simplifié agricole, par la création des comités d'oeuvres sociales et culturelles et par la participation des salariés agricoles aux commissions paritaires d'hygiène et de sécurité.

Ce projet de loi d'orientation agricole est un véritable acte d'espoir en l'agriculture française et un message de confiance adressé aux agriculteurs.

Les députés socialistes le voteront et ils souhaitent aussi adresser un message très fort à l'Europe, afin que la réforme de la PAC tienne compte des attentes des agriculteurs français. Nous sommes totalement solidaires du Gouvernement et des responsables agricoles de notre pays pour défendre l'avenir de notre agriculture. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Christian Jacob - Monsieur le rapporteur, si nous nous sommes souvent opposés sur le fond, je vous donne acte d'avoir manifesté un certain souci d'objectivité et je vous remercie d'avoir contribué à faire adopter certains amendements de bon sens de l'opposition contre votre majorité et contre le Gouvernement ! (Rires sur divers bancs et applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

Monsieur le ministre, le fait que vous ayez refusé d'inscrire comme objectifs la baisse des charges sociales et la réforme des cotisations agricoles montre que vous n'avez aucune intention d'agir en ce sens.

Nous sommes heureux d'avoir fait adopter, contre votre avis, quelques amendements sur la vocation exportatrice de l'agriculture et sur le développement des biocarburants.

Le CTE, outre son caractère trop administratif, pose un problème de fond : il est financé sur le dos des régions défavorisées puisqu'il y aura transfert de crédits provenant du fonds de la gestion de l'espace, du fonds d'installation, des OGAP et des crédits "qualité" des offices. Ce sont donc les régions les plus défavorisées qui vont payer la note ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Sur le contrôle des structures, vous avez refusé quelques amendements de bon sens concernant la transmission de biens par donation, héritage ou mariage : désormais, avant de léguer ses terres par testament, il faudra en demander l'autorisation à une commission comprenant des écologistes ; même chose quand deux jeunes agriculteurs voudront réunir leurs biens par mariage !

M. Jean-Pierre Brard - Vous tiendrez la chandelle !

M. Christian Jacob - On peut s'attendre à toutes sortes de dérives maintenant que les amis de Mme Voynet siègent dans ces commissions ! (Exclamations sur les bancs du groupe UDF)

Grâce aux cinq jours et cinq nuits de discussion que nous avons passés sur ce projet, Monsieur le ministre, nous avons pu lever le voile sur votre budget : il est massacré ! (M. le ministre de l'agriculture proteste) Aucun autre budget n'enregistre une telle baisse : 6 % ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Vous m'avez répondu que les documents de M. Strauss-Kahn n'étaient pas assez précis, mais alors à quoi se référer si ces documents officiels sont des faux ? (Applaudissements sur les mêmes bancs)

Vous nous avez ensuite annoncé que les aides à l'installation seraient désormais liées aux CTE. Mais comment allez-vous faire, puisque lesdites aides sont de droit, dès lors que l'on remplit certaines conditions, alors que les CTE sont facultatifs ? Nous assistons bel et bien à une remise en cause des aides à l'installation ! ("Hou !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Ce projet ne reposant sur aucune vision d'avenir et n'offrant pas de perspectives aux jeunes, le groupe RPR votera contre (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Félix Leyzour - La discussion a été certes passionnée mais aussi sérieuse, longue, approfondie, comme le méritait le sujet. Les députés communistes y ont fait valoir leur sensibilité politique, leurs analyses et leurs propositions, conscients que, même si le nombre d'agriculteurs a considérablement diminué, l'agriculture n'en joue pas moins un très important rôle économique, social et écologique.

Le débat a été sans complaisance mais très ouvert, grâce notamment au président et au rapporteur de la commission (Murmures sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL) qui, chacun dans son rôle, ont tous deux laissé s'exprimer la diversité des opinions. Je rends aussi hommage au ministre, qui a su accepter les amendements de nature à enrichir son texte. Nous avons jugé celui-ci sur son contenu et sur la façon dont il s'inscrit dans le contexte européen et mondial. En fixant comme objectif un mode de développement plus durable, en ciblant davantage la qualité sans pour autant renoncer à la quantité, en s'attachant à lutter contre les concentrations excessives, à aider les plus modestes, à assurer la relève et à répartir plus justement les aides publiques, ce texte dessine ce que peut être une agriculture vivante et qui sache résister aux pressions du libéralisme à tout crin, une agriculture différente du modèle américain. La loi pourra ainsi servir de point d'appui à une réorientation des politiques européennes.

Nous avons contribué à faire inscrire que si la loi sera mise en oeuvre dans le cadre de la PAC, celle-si doit s'articuler autour de la préférence communautaire ; nous avons insisté pour que le CTE intègre mieux l'acte de production et pour que les contrats-types n'empêchent pas l'adoption de projets plus originaux. Nous avons proposé que les aides publiques soient modulées en fonction des exploitations et accepté qu'elles soient plafonnées. S'agissant des SAFER, nous souhaitions faire admettre le principe de la location-vente, afin d'alléger le poids du foncier sur les jeunes qui s'installent. Le débat a fait ressortir quelles ont déjà la possibilité de louer : reste à préciser les conditions financières de cette opération.

Nous avons fait passer un amendement permettant au ministre, en cas de chute anormale des prix à la production, de faire procéder à l'affichage des prix à la production et à la consommation, ce qui permettra de contrer certaines pratiques de la grande distribution.

S'agissant des retraites, nous avons proposé que la revalorisation prévue soit accélérée dès les premières années de l'échéancier et nous avons été suivis, comme nous l'avons été dans notre lutte contre la précarisation des salariés agricoles. Enfin, nous avons contribué à faire de la modernisation de l'enseignement agricole un objectif clé.

Compte tenu du préjugé favorable qui était le nôtre et des améliorations apportées, le groupe communiste votera ce projet. Une fois celui-ci adopté définitivement, il nous restera à nous impliquer fortement dans son application sur le terrain (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. François Sauvadet - Conscients qu'une loi d'orientation agricole constitue un grand rendez-vous entre l'agriculture et la nation, et qu'il n'y en avait pas eu depuis 35 ans, nous abordions la discussion de ce projet avec beaucoup de sérieux. Nous n'en avons que plus déploré les conditions de son examen : nous avons dû en effet nous interrompre à plusieurs reprises pour débattre d'autres textes et au dernier moment, Monsieur le ministre, vous avez déposé des amendements lourds de conséquences sur des sujets très importants dont nous n'avons pas pu discuter à fond.

Malgré l'ambition affichée, nous avons le sentiment que vous avez plutôt opposé les différentes vocations -production, aménagement du territoire, respect de l'environnement, qualité...- de l'agriculture que cherché à les rassembler. Vous avez aussi semblé opposer les propriétaires aux fermiers, et même les territoires entre eux. C'est seulement par voie d'amendement que la vocation exportatrice de la France a été affirmée, alors que la France est une très grande puissance agricole ! C'est également grâce à des amendements qu'un certain équilibre entre les différents acteurs du monde rural a été préservé.

Nous avons cherché à renforcer le chapitre sur les organisations de producteurs, ainsi que les moyens consacrés à la protection de l'environnement. Plusieurs de nos amendements ont été adoptés, et il y a eu des avancées sur d'autres points, comme le statut des conjoints ou la revalorisation des retraites, la majorité poursuivant le travail commencé par M. Vasseur (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), mais dans l'ensemble nos inquiétudes n'ont pas été levées.

Le contrat territorial d'exploitation est une idée intéressante en soi, mais je crains que les espoirs qu'il fait naître ne se changent en désillusions : ses contours restent flous, et son financement est assis sur des redéploiements, 300 millions seulement étant inscrits pour 400 000 exploitants potentiellement intéressés (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre - La première année !

M. François Sauvadet - Je voudrais qu'on nous explique comment seront sélectionnés les heureux gagnants...

En vérité, le sort de la loi se jouera à Bruxelles, avec la réforme de la PAC, et nous craignons une recentralisation, une renationalisation de la politique agricole, à laquelle notre agriculture aurait plus à perdre qu'à gagner.

La même vision étatiste imprègne le dispositif relatif au contrôle des structures, qui comporte le risque, étant trop rigide et trop contraignant, de démanteler nombre d'exploitations familiales. Quant à la gestion des droits à produire, vous avez esquivé toute réflexion à ce sujet !

Nous dénonçons aussi l'absence de toute mesure fiscale, notamment en faveur de la transmission d'exploitation et de l'investissement dans les secteurs d'aval. Comment une loi d'orientation peut-elle se contenter de renvoyer à un décret sur un sujet de cette importance ?

Enfin, le signe de qualité supplémentaire qu'apportera l'indication géographique de provenance ne comportera aucune des garanties que donnerait un cahier des charges. Cela ne manquera pas d'aggraver la confusion dans l'esprit des consommateurs.

Une loi d'orientation engage le pays pour les années qui viennent. Celle-ci prépare-t-elle l'avenir ? Nous ne le pensons pas, et c'est pourquoi nous prenons date en votant contre ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Marie-Hélène Aubert - Le groupe RCV se réjouit que le Gouvernement ait entrepris de réorienter l'agriculture française, et nous voterons donc cette loi, qui exprime enfin une vision globale de l'agriculture dans sa multifonctionnalité, sans hésitation, mais non sans interrogations.

Nous nous sommes attachés à améliorer encore le texte, et avons déposé à cet effet de nombreux amendements, avec plus ou moins de succès. Il faut reconnaître, à ce propos, que la procédure parlementaire a été parfois confuse : application élastique du Règlement, dépôt d'amendements de dernière minute, tel celui sur les organismes génétiquement modifiés. Sur le fond, d'ailleurs, cet amendement illustre l'ambiguïté qui subsiste quant au modèle d'agriculture que nous voulons défendre : la simple traçabilité ne règle pas le problème de fond.

La modulation et le plafonnement des aides sont des outils indispensables à la mise en oeuvre des objectifs que nous nous fixons, et les jeunes agriculteurs devraient plutôt s'en réjouir (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR) : ce n'est pas nous qui les "enfermons", monsieur Jacob, ce sont plutôt eux qui nous emmurent ! (Applaudissements et rires sur plusieurs bancs du groupe RCV et du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe RPR)

Le plus difficile reste à venir : je veux parler de la réforme de la PAC. Les propositions de la Commission sont particulièrement inquiétantes, car fondées sur une pure logique de marché dont il reviendrait aux Etats de supporter les coûts sociaux et écologiques. C'est irresponsable et inacceptable, et nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour clarifier la position de la France, malgré le contexte délicat de la cohabitation. En attendant, nous restons et resterons attentifs au devenir de ce texte important, aussi bien en seconde lecture que pour la préparation des décrets, afin que l'agriculture mérite vraiment, enfin, le qualificatif de "durable" (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste).

M. Philippe Vasseur - J'ai le redoutable honneur d'intervenir le dernier (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) : redoutable pour vous, bien plus que pour moi... (Vives exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste) Dès le début du débat, monsieur le ministre, nous vous avions mis en garde, et son déroulement, loin de nous rassurer, a confirmé nos craintes, qui se propagent dans nos campagnes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Soyez plus attentifs, pour une fois que vous êtes présents ! (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe DL, du groupe RPR et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Vous vous êtes abrités, tout au long du débat, derrière l'avis, unanimement approbateur, qu'auraient donné les organisations professionnelles. Force est de constater que la réalité est tout autre sur le terrain (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe RPR et du groupe UDF). J'en veux pour preuve un seul exemple : vous avez publié samedi un communiqué donnant votre interprétation des manifestations à la suite desquelles certains députés ont vu leur permanence murée par de jeunes agriculteurs (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), manifestations que vous expliquez par l'adoption de trois amendements, dont deux votés à l'initiative de l'opposition et un à celle de Mme Aubert. Vérifications faites, la réalité est, encore une fois, tout autre. J'ai ici la note adressée par le CNJA à des comités départementaux : elle appelle les militants à manifester contre cinq et non trois amendements, mais aussi contre votre déclaration sur les aides à l'installation. Celles-ci, avez-vous dit, "ne sauraient être tenues à l'écart de l'intégration des aides publiques aux CTE", ajoutant que ce point avait fait l'objet d'une "concertation sérieuse avec l'ensemble des professions agricoles". Or le CNJA dément formellement s'être prononcé sur cette question. Je tiens ce document à votre disposition (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Philippe Vasseur - Voulez-vous un autre exemple ?

Plusieurs députés DL, UDF et RPR - Oui !

M. Philippe Vasseur - Ce matin, dans la Voix du Nord, j'ai lu une déclaration d'un responsable départemental d'un syndicat d'exploitants agricoles membre de la FNSEA : "Cette loi manque d'ambition. Nous avons l'impression d'avoir été bernés" (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Comment pouvez-vous prétendre avoir reçu l'approbation des professions agricoles ?

De plus en plus d'agriculteurs se rendent compte qu'en effet ils ont été bernés.

Il y a dans votre projet de bonnes idées...

Plusieurs députés socialistes - Ah !

M. Philippe Vasseur - La CTE en est une. Mais quand les socialistes ont de bonnes idées, ils en font de mauvaises mesures (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Nous ne trouvons rien de concret sur le financement des CTE ni la fiscalité agricole. Il manque à ce projet une orientation volontariste. Votre texte place la France en position de faiblesse à l'approche des négociations sur la réforme de la PAC.

M. le Président - Monsieur Vasseur, vous concluez.

M. Philippe Vasseur - J'ai chronométré les précédents orateurs... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Mes chers collègues, vous les avez écoutés avec un intérêt poli, mais je constate que mes arguments vous font mal (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Vous portez une lourde responsabilité, Monsieur le ministre. Je vous donne rendez-vous l'année prochaine...

Plusieurs députés RPR - Au Sénat !

M. Philippe Vasseur - Nous prenons date. Convaincus que vous nous conduisez dans l'impasse, les députés du groupe DL, tout comme ceux du RPR et de l'UDF, voteront contre votre projet (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

A la majorité de 316 voix contre 242 sur 567 votants et 558 suffrages exprimés, l'ensemble du projet est adopté.

La séance, suspendue à 17 heures 20, est reprise à 17 heures 30, sous la présidence de M. d'Aubert.

PRÉSIDENCE DE M. François d'AUBERT

vice-président


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FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le Président - L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au vendredi 30 octobre 1988 inclus a été fixé ce matin en Conférence des présidents.

Cet ordre du jour sera annexé au compte rendu de la présente séance.

Par ailleurs, la Conférence des présidents a décidé, en application de l'article 65-1 du Règlement, que le vote sur l'ensemble du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 donnera lieu à un scrutin public le 3 novembre 1998, après les questions au Gouvernement.

Enfin, je vous informe que, par décision du Bureau, M. Abdou Diouf, président de la République du Sénégal, sera reçu dans l'hémicycle le mercredi 21 octobre après les questions au Gouvernement.


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REQUÊTE EN CONTESTATION D'OPÉRATIONS ÉLECTORALES

M. le Président - En application de l'article L.O. 181 du code électoral, j'ai reçu du Conseil constitutionnel communication d'une requête en contestation d'opérations électorales.

Conformément à l'article 3 du Règlement, cette communication est affichée et sera publiée à la suite du compte rendu intégral de la présente séance.


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SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION

M. le Président - J'informe l'Assemblée que la commission des finances a décidé de se saisir pour avis du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999.


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LOI DE FINANCES POUR 1999

L'ordre du jour appelle la discussion générale du projet de loi de finances pour 1999.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Je commencerai par remercier tous les parlementaires présents...

M. Charles de Courson - Ils sont bien clairsemés !

M. le Ministre - ...pour l'intérêt qu'ils portent à ce débat -et je suis convaincu qu'ils auront à coeur de rapporter ce qui se sera dit à leurs collègues !

Il y a un an, Christian Sautter et moi vous présentions le premier budget de cette législature, le premier aussi de ce gouvernement. Notre économie n'avait pas encore émergé, alors, d'une longue période d'atonie -elle avait commencé, sans doute, en 1992-, période pendant laquelle le chômage avait crû de façon quasi inexorable tandis que les exclusions redoublaient. La France n'était pas qualifiée pour l'euro et, selon certains mauvais esprits, la crainte qu'elle ne le fût pas aurait même eu quelque lien avec la dissolution du printemps 1997...

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Certes, en un an, on ne pouvait tout faire et un long chemin reste à parcourir, de sorte que nous ne pouvons nous réjouir sans immédiatement avoir une pensée pour tous ceux qui ont de bonnes raisons de juger que les choses ne changent pas assez vite -chômeurs, titulaires d'emplois précaires, exclus... Pour autant, le Gouvernement est fondé à soutenir que nous sommes sur la bonne voie. En effet, il y a un an, nous avions conçu notre budget en prévoyant une croissance de 3 % : le pari sera tenu, puisqu'elle pourrait atteindre 3,1 %.

Il y a un an, nous prévoyions aussi la création de 200 000 emplois marchands : l'INSEE en annonce 280 000.

Il y a un an, nous disions que le chômage baisserait en 1998 : le nombre des chômeurs enregistré a diminué de 200 000.

Il y a un an, nous escomptions une hausse de 2,3 % du pouvoir d'achat : elle sera certainement de 2,8 %. Il y a un an, nous affirmions que le déficit des comptes publics serait réduit à 3 % du PIB : il ne dépassera pas 2,9 %.

Les prélèvements obligatoires que nous avions promis de stabiliser, diminueront de 0,2 % et, comme nous nous y étions engagés, la part des dépenses publiques dans le PIB baissera de 1 %. Tous les objectifs fixés par la loi de finances pour 1998 sont atteints ou en passe de l'être, quand nous ne les avons pas dépassés ! On parlera sans doute de chance.

Mme Nicole Bricq - Il n'est pas interdit d'en avoir.

M. le Ministre - Je ne veux pas répéter ce que Napoléon disait des malchanceux et je reconnaîtrai que l'environnement international a été "porteur", en dépit de la crise asiatique qu'on nous reprochait de ne pas prendre suffisamment en compte. Mais cette conjoncture n'aurait pas été suffisante sans les choix que nous avions arrêtés dans notre projet de loi de finances. Entre 1992 et 1997, la croissance française avait toujours été en deçà de la croissance européenne moyenne, de sorte que nous avions accumulé un retard d'1,7 point, ce qui représente la perte de quelque 300 000 emplois. En 1998, en revanche, notre croissance sera de 0,2 point supérieure à la moyenne européenne : cela ne peut s'expliquer par l'environnement, qui est le même pour tous, mais bien par une politique qui favorisait la croissance, au lieu de lui nuire, comme par le passé (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Dès la campagne électorale, la majorité avait annoncé qu'elle relancerait la consommation, pour relancer la production et l'investissement. C'est ce qu'elle a fait, malgré les critiques !

La préparation de ce budget a été ardue, mais particulièrement pesée : parce que nous avons tenu à y associer les parlementaires. Dès la fin de la précédente discussion budgétaire, le Gouvernement avait annoncé l'ouverture de trois chantiers de réflexion : sur la fiscalité du patrimoine, sur la fiscalité locale et sur la fiscalité écologique. Ces trois sujet ont donné lieu à des rapports -de MM. Migaud et Hervé et de Mme Bricq, respectivement-, dont les deux tiers, sinon les trois quarts, ont été repris dans le présent projet de loi de finances. Mais, dès le printemps, ce travail avait permis de débattre pour la première fois des grandes orientations financières, au sein de la commission des finances, puis en séance publique, dans les deux assemblées.

En outre, M. Sautter et moi-même avons tenu à ce que le rapport économique et financier qui vous est distribué soit profondément remanié et enrichi. Beaucoup d'entre vous ont reconnu que cet outil avait gagné en utilité.

Tout cela, à quoi s'ajoute la concertation menée avec les partenaires sociaux, m'autorise à dire que la réflexion a été plus poussée que par le passé.

Il y a cependant un autre élément nouveau : la dégradation du climat international.

Lorsque nous débattions, il y a un an, nous nous inquiétions de la situation internationale. Les fortes pressions qui s'exerçaient alors sur la balance des paiements de la Thaïlande, de la Corée et de l'Indonésie obligeaient le FMI à intervenir. On pouvait craindre un ralentissement économique dans ces zones.

L'action internationale a eu plutôt tendance à rétablir la situation sur le plan financier. Mais une crainte forte s'est emparée des investisseurs qui avaient placé leur argent en Asie et, au cours de l'année 1998, les capitaux ont fui cette zone, se reportant sur les bourses des pays développés, ce qui explique leur montée considérable. Cette fuite vers la qualité a consisté à privilégier les titres les moins risqués.

Puis est survenue la crise russe qui a provoqué une fuite des capitaux vers les marchés d'emprunts d'Etat et les bourses occidentales se sont écroulées. Cette crise a touché les pays occidentaux, les marchés financiers d'Asie et ceux d'Amérique latine.

C'est dans ce contexte qu'ont eu lieu il y a une dizaine de jours à Washington une réunion du G7, ainsi qu'une réunion du FMI et de la Banque mondiale. J'ai le sentiment que ces réunions ont été très utiles.

Premièrement, parce que tous les pays ont convenu qu'il fallait mettre l'accent sur la croissance, ce qui n'était pas acquis, mais la crise avait transformé les pusillanimes en combattants. Bien entendu, la situation bancaire et macro-économique du Japon suscite toujours des craintes.

Deuxièmement, tous ont manifesté la volonté d'organiser une surveillance moderne des institutions et des marchés financiers, c'est-à-dire d'assurer la transparence, l'information, d'éviter des situations telles que celle qui fut à l'origine de la crise coréenne ou telles que la faillite, il y a quelques jours, des fonds de couverture LTCM, qui met en péril l'ensemble du système à partir d'une initiative privée. Lorsqu'en avril dernier, je disais au G7 qu'il fallait contrôler ces procédures, on n'y voyait que les élucubrations d'un socialiste toujours soucieux de tout contrôler. Depuis, le climat a complètement changé et tout le monde accepte l'idée qu'il faut contrôler ces fonds de couverture des organismes privés.

Troisièmement, de nouvelles facilités de crédit ont été ouvertes, destinées en premier lieu au Brésil avec l'idée que les organisations internationales doivent intervenir avant la crise, en amont, surtout pour aider des pays qui, comme le Brésil, mènent de bonnes politiques. Ce progrès de l'intervention marque un certain recul de la pensée libérale.

Quatrièmement, je me réjouis de la nouvelle architecture du système monétaire international, destinée à lui permettre de s'adapter aux évolutions de l'environnement et de l'économie qui se sont produites depuis sa construction, il y a cinquante ans.

Je suis rentrée de ces réunions d'abord fortement préoccupé, car si l'économie européenne va bien, l'activité économique se ralentit aux Etats-Unis et continue de susciter l'inquiétude au Japon, je me suis en même temps réjouis que la volonté d'agir sur la croissance et de réformer les règles prudentielles soit aujourd'hui manifeste. Le concept nouveau de surveillance sera appliqué d'ici à quelques semaines, dès que les études préalables et la concertation auront abouti. Je n'écarte pas l'idée que dès le début de l'année 1999, des modalités nouvelles de surveillance du système financier international puissent être mises en place. Enfin, je caresse l'espoir que nous tenions là une des premières chances de contribuer à maîtriser les effets de la mondialisation. Un mécanisme reposant intégralement sur le marché se révèle impuissant à faire fonctionner l'économie planétaire. Les partisans de la réglementation ont marqué des points.

D'autre part, les propositions françaises ont été largement entendues par nos partenaires européens à Vienne, il y a trois semaines. Aucun Français n'aura à rougir de l'oeuvre de longue haleine qui consistera à faire entrer ces propositions dans les faits. La France continue d'être au premier rang de ceux qui proposent de réformer le système mondial. Le libéralisme exagéré des années 70, 80 et même du début des années 90 se révèle impuissant à maîtriser les difficultés actuelles, à garantir la croissance et à inventer de nouvelles mesures de régulation. La nouvelle cordée franco-allemande qui est en train de se mettre en place saura ouvrir la voie à des propositions nouvelles d'intervention.

Quelles conclusions tirer de cette analyse ?

En premier lieu, ce qui se passe depuis quelques mois valide les choix européens du Gouvernement. On a beaucoup dit que l'euro nous protégeait, comme un bouclier ou un paratonnerre. Certes, un bouclier ne dispense pas de mener bataille, mais il y a là une réalité incontestable : l'euro a des effets bénéfiques. J'en vois une illustration frappante : entre le 7 et le 8 octobre, le yen a subi une fluctuation de 20 % par rapport au dollar ; pratiquement dans le même temps, en dépit d'une crise politique qui provoque généralement de fortes fluctuations, la lire italienne n'a varié que de un pour mille. Actuellement on constate que les parités ne bougent pas. Nous avons les taux d'intérêt les plus bas du monde, le Japon mis à part.

Donc, première conclusion : la crise que nous venons de vivre valide un choix européen où la zone euro, sans être à l'abri des péripéties extérieures, les ressent moins violemment. Les planches du radeau ayant été resserrées, la mer démontée a moins tendance à le disloquer.

Deuxièmement, nous avons bien fait de miser sur la demande intérieure. En 1997 encore, notre croissance était largement tirée par les exportations. Elle est désormais totalement tirée par la demande interne -consommation et investissements. Dans ces conditions, les fluctuations de la demande extérieure nous portent évidemment moins préjudice.

Deux chiffres pour illustrer cette évolution. Au deuxième trimestre 1997, avant les élections, la croissance des exportations était de 15 % en rythme annuel ; elle ne sera plus que de 2 % fin 1998, c'est donc un ralentissement considérable. Mais dans le même temps, la croissance de la demande interne est passée de 0,5 % à 4 %, ce qui a mis l'économie française, plus que d'autres, à l'abri des fluctuations internationales. C'est la raison principale pour laquelle notre taux de croissance est désormais supérieur à la moyenne européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Ainsi lorsque j'entends certains parlementaires de l'opposition me reprocher un optimisme excessif, je leur réponds qu'effectivement je suis optimiste parce que cette croissance, fondée sur la demande interne, est robuste. Nous sommes probablement en dessous de notre potentiel ! Alors pourquoi jouer les Cassandre et raisonner comme il y a quelques années lorsque la politique économique conduite était différente ?

La troisième conclusion à tirer, c'est qu'il faut garder le cap sur le moyen terme et viser à une croissance durable, en pensant déjà à l'an 2000 et à l'an 2001. Vous constaterez d'ailleurs dans quelques jours que les prévisions de croissance des organismes internationaux pour notre pays sont encore plus élevées pour l'an 2000. Contrairement à l'habitude française de faire succéder à deux ans de croissance quatre ans de relative stagnation, ce qui explique l'importance du chômage dans notre pays, il faut veiller à prolonger la croissance sur 3, 4 ou 5 années, avant l'inévitable retour.

Cela implique de travailler non seulement sur la demande, mais sur la qualité de l'offre, sur l'innovation : il faut que les entreprises françaises se préparent dès aujourd'hui à affronter leurs concurrents asiatiques car ceux-ci reviendront sur nos marchés lorsque l'économie de ces pays aura retrouvé son rythme de croissance. Il faut aussi, pour assurer une croissance durable, assainir nos finances publiques. Je vous confirme que, pour la première fois depuis un quart de siècle, le rapport de la dette publique au PIB décroîtra en l'an 2000. C'est le résultat de la politique engagée depuis 1997.

M. Philippe Auberger - On n'en prend pas le chemin ! Le ratio de la dette augmentera encore en 1999.

M. le Ministre - Effectivement, il y aura encore une très faible augmentation en 1999, puis le pourcentage baissera à partir de l'an 2000.

J'en viens à un sujet qui a fait couler beaucoup d'encre, la prévision de croissance pour 1999. J'espère que les intervenants de l'opposition nous expliqueront pourquoi ils la mettent en cause, car c'est un de leurs principaux arguments pour contester la qualité de ce budget.

Première objection, on me dit : la prévision est ancienne, l'environnement a changé depuis. C'est inexact, car le chiffre a été fixé fin août, ce qui est normal pour un projet de budget qui doit être déposé en septembre.

Autre objection, cette prévision ne tiendrait pas assez compte de la dégradation de l'environnement international. En avril dernier, nous avions prévu une croissance de 2,8 % -qui tenait d'ailleurs déjà compte de la détérioration de l'environnement- et nous avons finalement retenu un taux de 2,7 %. Mais la différence de 0,1 % recouvre deux rectifications : d'un côté, la dégradation de l'environnement international a fait baisser de 0,4 % nos prévisions, mais dans le même temps les plus récentes projections de consommation et d'investissements pour 1999 effectuées par l'INSEE et d'autres organismes nous ont amené à ajouter 0,3 point. La critique n'est donc pas fondée.

On me reproche d'être néanmoins trop optimiste. Désolé, notre prévision n'est en rien optimiste. D'ailleurs, le FMI, qui n'est pas composé de joyeux drilles euphoriques (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR), fait une prévision analogue...

M. Philippe Auberger - Si seulement le FMI était infaillible !

M. le Ministre - Monsieur Auberger, pour l'année 1998 les prévisions du FMI étaient justes alors que les vôtres étaient complètement fausses ! Je ne rappellerai pas, au moins pour le moment, toutes les sornettes que vous avez dites l'an dernier à cette tribune, mais elles devraient vous conduire à plus de réserve.

Le FMI prévoit donc une croissance de 2,8 pour la France en 1999 et les chiffres que vont publier dans quelques jours la Commission européenne et l'OCDE sont très proches. Les instituts privés français, eux, sont un peu en dessous, ils annoncent un taux de 2,5. Mais l'année dernière ils avaient également annoncé 2,5 et nous avons fait 3,1 ! Aujourd'hui l'écart entre nos prévisions respectives s'est réduit et comme ces économistes sont généralement très pessimistes, leurs chiffres confortent les nôtres.

On peut toujours élaborer des scénarios catastrophe. Mais je ne crois pas que la dramatisation soit un mode sérieux de conduite des affaires du pays. La responsabilité des décideurs politiques est d'être lucides dans l'analyse et sereins dans l'action, et cela que l'on soit dans la majorité ou dans l'opposition.

Alors pourquoi l'opposition répète-t-elle que nous ne pouvons pas tenir ce rythme de croissance ? Pour masquer ses erreurs passées ? Je me rappelle que, l'an dernier, M. Alain Madelin disait sans rire que le Gouvernement "allait dans le mur" avec ses prévisions de croissance. Des murs comme cela, on en redemande ! (Sourires sur divers bancs) Bien entendu, avoir eu raison pour 1998 ne veut pas dire qu'on aura raison pour 1999, soyons modestes ! ("Ah !" sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR) Mais s'être trompé pour 1998 ne garantit pas d'avoir raison pour 1999... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Donc, avec l'humilité qui sied aux prévisionnistes ("Oh !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), je dis que le taux de 2,7 n'est qu'une prévision et j'invite ceux qui se sont beaucoup plus trompés que nous à plus de réserve (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

D'autres se disent que si l'opposition engage le combat sur ce thème, c'est parce qu'il y a une sorte de plaisir malsain à dénigrer la France (Vives protestations sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR). Mais vous avez raison, on ne peut pas y croire ! Pas de votre part, Monsieur de Courson ! Ceux qui affirment cela sont des médisants ! Il ne vous viendrait jamais à l'esprit de vous délecter des malheurs supposés du pays.

Je lisais dans un quotidien du soir paru aujourd'hui une phrase de Chateaubriand disant à Charles X qu'il avait "tort de mettre les malheurs de son pays au rang de ses espérances". Mais je ne pense pas que vous fassiez cela (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Certains avancent une autre explication à l'acharnement que met l'opposition à critiquer la prévision de croissance : c'est plus facile que de faire des propositions (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Je ne crois pas que ce soit la bonne car des propositions, vous en faites, parfois avec un peu d'amnésie, mais vous en faites. Certains d'entre vous proposent par exemple de baisser les impôts... en oubliant que les prélèvements obligatoires n'ont jamais autant augmenté qu'entre 1993 et 1997 (Mêmes mouvements). Je vais d'ailleurs proposer au Président de l'Assemblée nationale de remplacer la magnifique tapisserie qui est derrière moi et qui représente l'école d'Athènes par la courbe des prélèvements obligatoires. Ainsi les Français qui regardent la séance des questions pourraient voir que ces prélèvements augmentent quand la droite est au pouvoir et diminuent quand la gauche y est (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Charles de Courson - Et les déficits ?

M. le Ministre - Oh, vous n'êtes guère charitable, Monsieur de Courson, car si l'on affichait aussi la courbe des déficits, les Français risqueraient de s'apercevoir que le plus grand déficit jamais atteint dans l'histoire de France depuis Charlemagne l'a été en 1994 sous M. Balladur (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste ; protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Depuis que les sociaux démocrates allemands ont amorcé une baisse des impôts, j'entends certains, dans l'opposition, dire "voilà de bons socialistes". J'observe à ce propos que la droite n'aime les socialistes qu'étrangers, hier Blair, aujourd'hui Schröder...

M. Maurice Leroy - Ils sont étrangers mais pas socialistes !

M. le Ministre - Je vous laisse le soin de distinguer les Français des étrangers, laissez-moi la compétence permettant de distinguer les socialistes de ceux qui ne le sont pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Nos camarades allemands, disais-je, ont annoncé une baisse d'impôts de 10 milliards de DM en quatre ans, soit 33 milliards de francs, ce qui ferait 8 milliards par an. Ce n'est pas mal, mais cette année nous ferons quant à nous 16 milliards de baisse d'impôts, deux fois plus donc que nos amis allemands (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gilles Carrez - C'est faux !

M. Philippe Auberger - Présentation truquée !

M. le Ministre - De toute façon, la baisse d'impôts est en quelque sorte une spécialité socialiste. Voyez la dernière en 1997 : 25 milliards d'impôts sur le revenu en moins (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Certes, elle a été votée par la précédente majorité, mais qui l'a financée ? Nous, car vous aviez négligé de le faire. Pour arriver au déficit prévu, nous avons dû instituer un prélèvement supplémentaire sur les sociétés. J'incline à penser que les Français sont plus redevables de cette grosse baisse d'impôts à ceux qui l'ont financée qu'à ceux qui l'ont simplement annoncée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Pour être juste, je dois dire que l'opposition fait aussi des propositions concernant les déficits. Nous prévoyons quant à nous, contrairement à ce qu'elle prétend, un effort important puisqu'il s'agit de passer d'un déficit de 3 % du PIB à un déficit de 2,3 %. 0,7 point de PIB, c'est le plus gros effort européen. Il est vrai aussi que notre déficit se situe plutôt au-dessus de ceux de nos voisins...

Un député RPR - Nous avons le plus élevé !

M. le Ministre - Héritage du passé ! Quoi qu'il en soit, nous entendons continuer à faire baisser le déficit, et donc les intérêts payés au titre de la dette, lesquels représentaient en 1980 5 % de la dépense publique contre 20 % aujourd'hui, ce qui signifie que les marges de manoeuvre de l'Etat ont fondu en proportion. Cela ne gêne pas les libéraux, convaincus que moins l'Etat intervient, mieux on se porte. Mais cela gêne tous ceux qui, comme moi, pensent que l'Etat doit pouvoir intervenir en faveur des écoles ou de la recherche, construire des routes, assurer la défense du pays. Si nous voulons que le budget de l'Etat reste un instrument d'intervention, il faut retrouver des marges de manoeuvre et donc réduire le déficit.

C'est aussi un devoir moral envers nos enfants et les générations futures, car il n'est pas légitime de reporter sur elles les dépenses d'aujourd'hui.

C'est également une exigence de justice sociale, car ces intérêts que nous versons par centaines de milliards ne vont généralement pas dans la poche des Français les plus modestes mais vers les plus hauts revenus. Les 20 % de budget qui servent à payer les intérêts de la dette sont autant de perdu pour la redistribution.

Certains dans l'opposition proposent que l'on abaisse davantage le déficit. Je leur réponds qu'en général les économistes considèrent qu'il n'est pas opportun, quand la croissance se ralentit, de faire un budget déflationniste (Exclamations sur les bancs du groupe DL).

D'autres vont plus loin dans l'étrangeté et présentent les arguments suivants : baisser le déficit de 0,7 point, c'est facile compte tenu de la croissance, l'actuelle majorité n'y a donc aucun mérite ; il va y avoir moins de croissance que prévu, il faut donc abaisser davantage le déficit. Le raisonnement me paraît quelque peu contradictoire.

Pour ma part, je considère qu'étant donné nos perspectives de croissance, faire baisser le déficit de 0,7 point est ambitieux sans être exagéré.

L'opposition dit encore : il faut réduire les dépenses. Mais en général, on ne précise pas lesquelles. Celles destinées aux infirmiers, aux instituteurs ?...

M. Méhaignerie nous dit même : il faut une croissance zéro, c'est-à-dire rester au même niveau en francs constants, ce qui supposerait environ 20 milliards d'économies.

M. Charles de Courson - 18 !

M. le Ministre - Devons-nous pour cela supprimer le programme des emplois-jeunes, réduire les dépenses de lutte contre l'exclusion, geler les minima sociaux ? Même si nous faisions tout cela, nous n'arriverions pas au chiffre voulu par vous. Mais surtout, si nous le faisions, cela voudrait dire que nous reviendrions sur tous les choix économiques effectués par la majorité depuis seize mois. Ce serait faire comme si les Français n'avaient pas clairement exprimé, en juin 1997, leur souhait d'une autre politique. C'est celle-là que nous menons !

M. Madelin, lui, a fait encore plus fort en réclamant une baisse de 55 milliards...

M. Philippe Auberger - Ce n'est pas notre maître à penser !

M. le Ministre - J'en prends acte avec plaisir, car c'est lui qui a augmenté de deux points la TVA et de 100 milliards les prélèvements (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Jacques Jegou - Il n'est pas resté !

M. le Ministre - Je m'arrête ici sur le chapitre de M. Madelin, car vous êtes finalement plus sévères encore que moi à son endroit... (Rires)

Reste que les budgets des années 1993-1997 étaient très différentes des voeux que vous formez aujourd'hui. En un mot, vous nous demandez de défaire aujourd'hui ce que vous avez fait hier ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Philippe Auberger - C'est du guignol !

M. le Ministre - La politique que vous proposez aurait, dans les circonstances actuelles, des effets déflationnistes. Vous criez à la caricature, mais rappelez-vous plutôt la politique menée il y a un peu plus de soixante ans par Laval, qui a entraîné les conséquences que l'on sait à force de vouloir diminuer à tout prix les dépenses publiques. En vérité, il n'y a pas d'exemple de pays qui ait soutenu sa croissance en réduisant ses dépenses publiques : cela pourrait se défendre si la croissance risquait d'être trop forte, mais tel n'est pas le cas.

Comment le budget s'équilibrera-t-il, me demanderez-vous, si la croissance n'atteint pas les 2,7 % prévus ? Je veux rassurer le parlementaire de l'opposition que j'entendais ce matin, à la radio, exprimer la crainte d'une augmentation des impôts. Imaginons, en effet, que nous n'ayons que 2,5 % de croissance, soit 0,2 point de moins. Je n'y crois pas un seul instant, mais j'étudie néanmoins cette hypothèse. Il y aurait 16 milliards de richesse nationale produite en moins, et donc 2,4 milliards de manque-à-gagner fiscal pour l'Etat, celui-ci prélevant quelque 15 % du PIB. Cela ne serait pas de nature à mettre en péril l'équilibre d'un budget de 1 500 milliards, d'autant qu'une partie notable des impôts sont assis sur les revenus de 1998 : à qui fera-t-on croire que les finances publiques seraient menacées parce qu'il manquerait un milliard et demi ? Nos prévisions n'ont tout de même pas l'ambition d'être exactes au millième près !

M. Francis Delattre - On se croirait revenu à l'automne 1992 !

M. le Ministre - Ce budget est entièrement orienté vers la croissance. La croissance, en effet, n'est pas simplement une prévision, mais un objectif ; elle ne tombe pas du ciel, mais se construit par des mesures prises en fonction d'un contexte donné. Le contexte, vous l'avez dans le rapport économique et financier : ce sont 230 000 emplois supplémentaires dans le secteur marchand, plus 70 000 emplois-jeunes, soit exactement le même nombre d'emplois nouveaux que l'année précédent, car si la croissance est plus faible, elle sera rendue plus "riche en emplois" par la réduction du temps de travail.

Le contexte, c'est aussi un pouvoir d'achat en progression de 2,5 % l'an prochain et de 2,8 % cette année - les taux les plus élevés de la décennie. C'est, pour la seconde année consécutive aussi, une croissance de 6 % de l'investissement - à comparer à la baisse de 0,1 % enregistrée en 1997. C'est un déficit des comptes publics ramené à 2,3 % au prix d'un effort de 50 milliards, l'équilibre des comptes sociaux étant enfin atteint et l'équilibre primaire du budget de l'Etat retrouvé pour la première fois depuis 1991 (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Ce sont des prélèvements obligatoires en baisse, l'an prochain comme cette année, de 0,2 point, conformément à la promesse faite par le Premier ministre.

M. Philippe Auberger - Et l'an dernier ?

M. le Ministre - Vous avez peut-être oublié qu'il avait fallu augmenter l'impôt sur les sociétés pour compenser la baisse de l'impôt sur le revenu...

Le contexte, enfin, c'est une réduction à 40 % de la part des prélèvements publics sur la croissance.

M. Gilles Carrez - Les deux tiers, en réalité !

M. le Ministre - C'était le cas jusqu'en 1997, avec un pic impressionnant en 1996 : 87 %, en raison des deux points de TVA supplémentaires. Rien d'étonnant à ce que la consommation ait chuté ! En 1998 et 1999, en revanche, la limitation à 40 % des prélèvements publics sur la croissance garantit la poursuite du mouvement de baisse de ces prélèvements. Nous vous présenterons d'ailleurs, dans quelques semaines, une projection triennale de l'évolution des finances publiques.

L'augmentation des recettes engendrée par la croissance permet, au total, d'accroître de 16 milliards les dépenses publiques -soit 1 % en termes réels- pour financer les priorités de la majorité, tout en réduisant de 16 milliards les impôts et de 21 milliards le déficit. On aurait pu faire d'autres choix, mais celui que propose le Gouvernement paraît à la fois équilibré et conforme aux attentes des Français.

Ce budget est aussi un budget de réformes : réforme de la taxe professionnelle, de la taxe sur le gazole, de la TVA -avec une baisse sensible de la TVA sur les abonnements au gaz et à l'électricité, que M. Balladur avait relevée-, des droits de mutation, sans oublier celle de la taxe d'habitation, qui sera présentée dans le cadre du collectif. Chacune de ces réformes aurait suffi, à elle seule, à remplir une loi de finances de nos prédécesseurs ; leur ampleur conjuguée est sans précédent dans l'histoire de notre pays (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Vous pouvez vous en plaindre, car les réformes fiscales de la majorité ne sont pas celles qui vous plaisent : elles servent, en effet, la justice sociale, la croissance, l'emploi, la consommation, l'environnement ! (Mêmes mouvements) Les Français trouvent les impôts trop lourds, et voici qu'ils baissent ; ils les trouvent également trop nombreux, et voici que huit d'entre eux disparaissent -ce qui n'a guère de précédent non plus !

Enfin, ce budget est un budget de justice.

Si on compare la loi de finances pour 1998 et le projet de budget pour 1999, les prélèvements sur les revenus du capital vont augmenter de 28 milliards et les prélèvements sur les revenus du travail vont diminuer de 20 milliards (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Ces transferts traduisent bien une orientation politique. D'ailleurs, les réformes de l'année dernière, comme la suppression des niches fiscales, et celles qui sont prévues cette année auront pour effet d'accroître de 12 milliards la contribution des 10 % des ménages les plus riches et d'alléger de 8 milliards celle des autres. C'est bien la justice sociale qui est mise en oeuvre et nos concitoyens commencent à s'en rendre compte.

Ce budget est bien sûr celui du Gouvernement, mais aussi celui de toute la majorité, car il a été construit dans la concertation. Je remercie, à cet égard, MM. Migaud et Bonrepaux, ainsi que tous les membres de la commission des finances. Christian Sautter et moi-même assumons toute notre responsabilité sur ce budget, mais je souhaite saluer ceux qui ont voulu l'améliorer. Vos amendements seront acceptés s'ils ne remettent pas en cause l'équilibre budgétaire et améliorent effectivement le dispositif.

Ensemble, plus que jamais ensemble, nous avons construit le projet de budget dont la France a besoin. Nous allons encore l'améliorer, et l'opposition peut y contribuer si elle le souhaite. La majorité pourra se montrer fière du budget pour 1999, comme elle est fière de la loi de finances pour 1998, dont nous observons aujourd'hui les résultats (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - Comme vient de le souligner Dominique Strauss-Kahn, ce projet de budget, adapté au contexte macro-économique, traduit nos grandes orientations politiques. Il va consolider la croissance et la demande intérieure par des mesures favorables à l'emploi et à la consommation. Qu'il s'agisse des recettes ou des dépenses, les mesures proposées vont développer l'emploi, renforcer la justice sociale, améliorer la qualité du service public et le cadre de vie de nos concitoyens.

Nous avons réparti nos marges de manoeuvre quasiment en trois tiers : 16 milliards pour la baisse des impôts : 16 milliards pour financer nos priorités ; 21 milliards de baisse du déficit.

Le budget de l'Etat va retrouver l'équilibre primaire, pour la première fois depuis 1991, ce qui signifie qu'il n'y aura plus à emprunter pour rembourser les intérêts de la dette.

L'augmentation du poids de la dette dans la richesse nationale se ralentit, du fait de notre politique de réduction des déficits et du niveau favorable des taux d'intérêt. Aussi la charte de la dette ne progressera-t-elle l'an prochain que de 2,4 milliards. Il y a quelques années, le service de la dette augmentait de plus de 20 milliards par an. On mesure à quel point notre politique dégage de nouvelles marges de manoeuvre.

Nous avons fixé la progression des dépenses à 1 % en volume, pour financer nos priorités. Cette modeste progression s'accompagne d'ailleurs d'un réexamen systématique des dépenses, si bien que 30 milliards ont pu être redéployés, afin que l'Etat dépense mieux.

S'agissant des recettes, les mesures prises favoriseront la redistribution entre ménages aisés et ménages modestes, de même qu'elles rétablissent l'équilibre entre fiscalité du capital et fiscalité des revenus d'activité.

Enfin, ce budget sera plus transparent que dans le passé, le Gouvernement ayant procédé à une opération sans précédent de budgétisation, voire de rebudgétisation, rompant ainsi avec certaines traditions. Plus de 45 milliards de dépenses sont ainsi réintégrés dans le budget général, conformément aux exigences du Conseil constitutionnel, dont certaines décisions récentes doivent beaucoup à plusieurs spécialistes des finances publiques présents parmi vous.

Il y a peu encore, on a masqué la réalité des dépenses en débudgétisant certaines d'entre elles, comme le financement du prêt à taux zéro. Pour notre part, nous inscrivons clairement dans le budget des dépenses qui étaient jusqu'alors financées par des fonds de concours et n'apparaissent pas dans la loi de finances initiale. De même, nous supprimons certaines procédures d'affectation de dépenses dans le cadre de comptes spéciaux du Trésor, afin de rendre plus lisible le budget général.

Notre fiscalité est depuis longtemps critiquée pour son injustice, sa lourdeur et sa complexité. Le Premier ministre a fixé, dans sa déclaration de politique générale, les objectifs que devait atteindre l'indispensable réforme de la fiscalité. Le budget pour 1999 constitue une étape importante : aucun gouvernement, en effet, n'avait osé entreprendre, depuis vingt ans, de corriger la taxe professionnelle ou la taxe d'habitation. Pour défendre l'emploi, nous voulons supprimer la taxe professionnelle assise sur les salaires et prendre une série de mesures en faveur de ceux qui produisent, qui bougent, qui créent, qui innovent. C'est une fiscalité favorable au mouvement et non à la rente que nous entendons promouvoir.

Notre réforme vise aussi à renforcer la justice fiscale, par une augmentation de 30 % du rendement de l'ISF, par des mesures importantes de lutte contre l'évasion fiscale, par la révision des bases locatives des impôts locaux, qui ne figure pas dans le projet mais vous sera soumise dans le collectif budgétaire, par des baisses ciblées de TVA et, pour la première fois depuis vingt ans, par le gel de la TIPP sur l'essence sans plomb.

Cette réforme a encore pour but de préserver l'environnement, en alignant progressivement notre fiscalité sur le gazole sur l'écart européen moyen.

Enfin, il faut simplifier notre système fiscal, dont la complexité avantage les puissants. Cette réforme comprend la suppression de plusieurs taxes et un allégement considérable des formalités administratives. Il s'agit donc d'une vraie réforme de structure, autour de cinq objectifs : l'emploi, la justice fiscale, l'écologie, l'innovation et la simplification.

Dès la loi de finances pour 1998, certaines mesures fiscales ont été prises en vue de favoriser l'emploi : le crédit d'impôt emploi, le crédit d'impôt pour la réalisation de dépenses d'entretien de l'habitation principale. Cet effort est considérablement amplifié par la suppression de la taxe professionnelle assise sur les salaires, créée en 1975. C'est un impôt très critiquable parce qu'il constitue un frein à l'embauche.

Malgré cela, aucun gouvernement n'avait entrepris de le réformer en profondeur. Le Conseil des impôts avait proposé de "nationaliser" cet impôt, en instaurant un taux unique national. Le Gouvernement a écarté une voie aussi radicale, mais il va supprimer sur cinq ans la taxe professionnelle sur les salaires.

Je sais que cette réforme a suscité des controverses. On s'interroge sur ses effets en matière d'emploi et les élus locaux s'inquiètent des mesures de compensation. J'affirme que la suppression de la part salariale aura un fort effet sur l'emploi, parce qu'elle bénéficiera principalement aux petites entreprises et aux secteurs à forte intensité de main-d'oeuvre. La réforme va profiter avant tout au secteur tertiaire : la TP baissera de près de 50 % dans le BTP, de plus de 40 % dans le commerce, de plus de 50 % dans les services en général, de près de 60 % dans l'artisanat, alors qu'elle ne diminuera que de 20 % dans l'industrie.

Or les 280 000 emplois créés depuis juin 1997 l'ont été presque exclusivement dans le secteur tertiaire, BTP compris, l'emploi dans l'industrie manufacturière demeurant stable. Or, dans ces secteurs tertiaires, la densité en emplois est inférieure chez nous à ce qu'elle est dans les autres pays comparables. Raison de plus de faire un effort en ce domaine.

Cette réforme avantagera les PME, déjà épargnées par les mesures fiscales arrêtées l'an passé : la baisse de la taxe professionnelle sera en moyenne de 40 % dans les entreprises dont le chiffre d'affaires est de moins de 50 millions, et seulement de 25 % dans celles où il dépasse 500 millions. En outre, dès l'an prochain, cette taxe sera supprimée totalement pour tous les salaires inférieurs à 500 000 F et la baisse bénéficiera alors pour 80 % aux entreprises faisant moins de 50 millions de chiffre d'affaires. Or, depuis 1981, les entreprises de moins de 200 salariés ont créé 1,3 million d'emplois, tandis que celles de plus de 200 salariés en détruisaient plus d'1 million.

Je voudrais maintenant dissiper les inquiétudes exprimées par certains élus locaux. En premier lieu, cette réforme n'entravera en rien la libre administration des collectivités locales. Les dotations de l'Etat qui, ensemble, représentaient en 1996 30 % des recettes des communes, en représenteront 36 % au terme de la réforme. On peut difficilement parler d'inflexion notable ou de changement qualitatif si l'on songe qu'en Grande-Bretagne, 80 % des dépenses nettes des collectivités locales sont financées par l'Etat et qu'en Allemagne comme aux Pays-Bas, ces recettes dépendent également pour l'essentiel des transferts de l'Etat (Exclamations sur les bancs du groupe UDF). On peut comparer sans s'inspirer des exemples étrangers, vous le voyez !

D'autre part, le Gouvernement et la majorité restent attachés à la péréquation : à elles seules, 5 % des collectivités perçoivent 95 % du produit de la taxe professionnelle.

Le mécanisme de compensation que nous avons mis en place, en collaboration avec Jean-Pierre Chevènement et après plusieurs réunions avec les élus locaux, est le plus souvent favorable à ces mêmes collectivités, notamment aux plus défavorisées d'entre elles. A l'initiative du ministre de l'intérieur, nous avons écarté les options retenues en 1982, lorsque la part "salaires" avait fait l'objet d'un abattement de 10 %, et en 1987, lorsqu'avait été institué un abattement général de 16 % à la base, et nous avons donc renoncé à utiliser la DCTP, une dotation en régression sous l'effet des mécanismes mis en place par le gouvernement Juppé.

Nous avons préféré un système plus sûr pour les collectivités : la suppression de la part "salaires" sera compensée franc pour franc par une dotation qui évoluera comme la DGF, soit comme l'inflation augmentée de 50 % de la croissance du PIB. A l'issue des cinq ans, cette dotation sera "sanctuarisée", c'est-à-dire purement et simplement intégrée à la DGF. On peut mesurer l'avantage escompté en se référant à l'évolution sur une période passée de cinq années : entre 1992 et 1997, la DGF a progressé de 12 % alors que les bases "salaires" de la taxe professionnelle n'augmentaient que de 10,5 %. Or la part "salaires" représentait 50 % des bases en 1980, 40 % en 1990 et 34 % aujourd'hui.

Par ailleurs, le mécanisme contribuera à réduire les inégalités entre collectivités, puisque celles qui sont situées dans des zones en difficulté ou confrontées à des restructurations n'auront plus à courir après la compensation partielle et précaire procurée par la FNPTP. Il restera aux collectivités la part "investissement", qui constitue les deux tiers de l'assiette et qui a, elle, crû de plus de 30 % entre 1992 et 1997.

En outre, la suppression totale de la réduction pour embauche et investissement, la REI procurera des recettes supplémentaires aux collectivités, à compter de 2000, en contrepartie de la suppression d'une compensation de 3,2 milliards seulement cette année.

Enfin, la réforme de la taxe professionnelle n'entravera en rien la mise en place d'une taxe professionnelle d'agglomération qui garantira aux collectivités une efficacité accrue des services publics, et aux entreprises un taux unique dans un espace économique cohérent. En effet, les groupements futurs bénéficieront, dans ce cadre, de la compensation des bas salaires exactement comme les groupements déjà constitués.

Il s'agit donc d'une bonne réforme équilibrée, juste et favorable à l'emploi.

Celui-ci exige aussi un développement de l'activité dans le secteur du bâtiment et du logement. C'est à quoi concourront, outre la suppression de la taxe professionnelle sur les salaires, plusieurs mesures de ce projet de loi de finances : en premier lieu, la baisse des droits de mutation à titre onéreux, à la fois sur les ventes de locaux d'habitation et sur les cessions de locaux professionnels. Les droits sur les immeubles d'habitation, dénommés, à tort, "frais de notaire", passeront désormais en moyenne à 6 % -soit une baisse d'un cinquième-, par la suppression, évidemment compensée, de la part régionale.

Quant aux droits de mutation applicables aux cessions d'immeubles industriels et commerciaux, ils seront réduits de 18,2 % à 4,8 %, cette réforme s'opérant à ressource constante pour les collectivités locales.

Ces deux réformes seront complétées, à l'initiative de Louis Besson, par des avantages consentis aux bailleurs privés de logements intermédiaires.

La bonne transmission des entreprises est également un élément essentiel au maintien de l'emploi. Lorsqu'elle se fait de façon anticipée, elle gagne en efficacité ! Nous vous proposons par conséquent que les droits de mutation dus en cas de donation soient réduits de 50 % lorsque le donateur est âgé de moins de 65 ans et de 30 % lorsqu'il a entre 65 et 75 ans. Votre commission des finances a adopté un amendement supprimant cette deuxième limite pour un an : je peux d'ores et déjà vous indiquer que le Gouvernement y consentira.

Nous recherchons, en second lieu, une fiscalité plus favorable à la justice sociale. L'effort sera donc poursuivi en modernisant la taxe d'habitation, en durcissant la fiscalité sur les gros patrimoines et en allégeant les impôts indirects pour les ménages.

Je n'insisterai pas sur la modernisation de la taxe d'habitation et de la taxe foncière, qui résultera de l'actualisation des valeurs locatives : elle vous sera soumise dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 1998. C'est une réforme essentielle qui se traduira à l'automne 2000 par des transferts de charges substantiels entre contribuables, transferts allant vers plus de justice et vers une meilleure correspondance entre les facultés contributives et l'impôt acquitté. Les transitions nécessaires seront bien sûr ménagées.

Les aménagements à la fiscalité du patrimoine qui doivent beaucoup au rapporteur général, visent à empêcher une évasion que les imprécisions de la loi permettent aujourd'hui. Il convient aussi d'achever le rééquilibrage entre la fiscalité du travail et celle du capital.

C'est pourquoi le Gouvernement propose, d'une part, des mesures destinées à lutter à la fois contre l'évasion fiscale et les délocalisations de personnes physiques et, d'autre part, la création d'une nouvelle tranche de 1,8 % pour les 800 patrimoines de plus de 100 millions. L'ensemble de ces mesures contribuera à augmenter de 30 % le rendement de l'ISF, qui pourrait ainsi être porté de 11 à environ 14,5 milliards en 1999.

M. Philippe Auberger - Si la Bourse le permet !

M. le Secrétaire d'Etat - Dans la même logique, le Gouvernement souhaite adapter l'exonération des droits de succession applicable aux produits d'assurance vie et qui profite essentiellement aux plus gros patrimoines. La commission ayant repoussé le dispositif initialement envisagé pour des raisons de constitutionnalité, un nouveau système vous sera soumis à l'initiative de votre rapporteur général.

Enfin, pour que la fiscalité ne favorise pas les placements financiers des entreprises, il est proposé de ramener à 45 % en 1999 le taux de l'avoir fiscal dont elles bénéficient. Ce durcissement de la fiscalité des placements des entreprises sera éventuellement complété au cours de la discussion budgétaire.

Pour ce qui est de la TVA que la majorité s'était engagée à baisser, une première étape a été franchie dans le budget pour 1998, qui a abaissé de 20,6 % à 5,5 % la TVA applicable aux travaux de rénovation dans le logement social.

Cette mesure sera amplifiée en 1999. L'ancienne majorité avait relevé le taux de la TVA sur les abonnements à l'électricité et au gaz, par deux fois, en 1994 et 1995. Nous vous proposons de revenir au taux de 5,5 %, ce qui bénéficiera tout particulièrement aux ménages modestes. Cette mesure s'accompagnera d'un abaissement à 5,5 % de la TVA sur certains appareillages pour les personnes handicapées, sur la collecte, le traitement et l'élimination des déchets faisant l'objet d'un tri sélectif, ainsi que sur les travaux d'amélioration des logements sociaux privés. Si vous souhaitez aller plus loin, le Gouvernement est ouvert aux initiatives parlementaires sur ce sujet, mais dans le respect des contraintes budgétaires et communautaires. Je rappelle que, depuis l'été 1997, le Gouvernement a allégé la TVA de près de 10 milliards.

D'autre part, certaines taxes, tels le droit de timbre sur les cartes nationales d'identité ou le droit d'examen pour les permis de conduire, qui pénalisent surtout les ménages modestes et les jeunes contribuables, ont été abolies le 1er septembre de cette année. Cette mesure bénéficiera à plus de 4 millions de ménages.

Troisième objectif : une fiscalité plus favorable à l'écologie. En ce domaine, le Gouvernement s'est beaucoup appuyé sur le rapport de Mme Bricq. Notre souci de pénaliser les activités polluantes et d'encourager les comportements protecteurs de l'environnement inspire des mesures fiscales que certains saluent comme marquant l'an I de la fiscalité écologique. C'est le début d'un effort qui sera poursuivi.

Il est d'abord indispensable de mettre fin à une singularité de la France en Europe en ce qui concerne l'écart de taxation du gazole et de l'essence sans plomb : 1,43 F par litre contre 0,93 F par litre en moyenne dans l'Union européenne. La différence par rapport à l'écart moyen communautaire sera supprimée en 7 ans. En 1999, un premier rattrapage -de 7 centimes- s'accompagnera, pour la première fois depuis vingt ans, d'une stabilité de la TIPP sur l'essence sans plomb, carburant moins polluant.

En outre, des dispositions favorables aux véhicules propres, notamment aux véhicules bicarburés, seront prises.

Enfin, la multiplicité des taxes sur la pollution, affectées à des organismes très divers, rend illisible la politique fiscale de lutte contre la pollution et crée de réelles difficultés de gestion. C'est pourquoi le Gouvernement propose de substituer, dès l'année 1999, aux taxes existantes une taxe unique, appelée taxe générale sur les activités polluantes, qui sera affectée au budget de l'Etat et redistribuée aux acteurs de la lutte contre la pollution.

Quatrième objectif : une fiscalité plus favorable à l'innovation. Afin de favoriser le capital de proximité investi dans les entreprises de croissance, la déduction fiscale pour les personnes physiques qui investissent dans des PME nouvelles sera pérennisé et le régime des fonds communs de placement dans l'innovation sera assoupli. En outre, un nouvel avantage fiscal s'attachera aux dons faits par les particuliers aux associations de soutien à la création d'entreprise.

Enfin, le mécanisme de déduction du revenu global des pertes en capital réalisées par les investisseurs qui n'hésitent pas à prendre des risques, sera amélioré.

Quant au crédit d'impôt recherche, qui a permis d'accroître les dépenses de recherche et développement des entreprises, il sera reconduit pour cinq ans et réorienté, notamment en direction des PME.

Enfin, le régime des bons de souscription de parts de créateurs d'entreprises et le dispositif de report d'imposition des plus-values réinvesties dans les entreprises nouvelles seront étendus à toutes les entreprises à fort potentiel de croissance de moins de quinze ans.

Cinquième objectif : la recherche d'une fiscalité plus simple. D'ores et déjà, sous l'impulsion de Marylise Lebranchu, la simplification des relations entre l'administration et les petites entreprises a été engagée. Cette démarche est poursuivie dans le présent projet. D'abord, dès 1999, seront exonérés de TVA les biens livrés et les prestations facturées par les entreprises dont le chiffre d'affaires n'excède pas, selon les professions, 175 000 F ou 500 000 F, au lieu de 100 000 F actuellement. Les entreprises très nombreuses qui en bénéficieront n'auront plus à souscrire de déclarations de TVA, ce qui représente un allégement des charges et une réduction de l'"impôt papier" appréciables.

D'autre part, un allégement des obligations déclaratives pour plus de 800 000 entreprises réalisant moins de 5 millions de chiffre d'affaires qui sont soumises au régime réel simplifié d'imposition aboutira à supprimer plus de 7 millions de déclarations chaque année.

S'agissant des particuliers, la production d'un certificat de scolarité ne sera plus exigée pour obtenir la réduction d'impôt pour frais de scolarisation. Plus d'une famille sur deux bénéficiera de cette mesure.

Enfin, l'effort de suppression des petits impôts sera poursuivi. Ainsi, après le droit de timbre sur les cartes d'identité, le droit d'examen pour l'obtention du permis de conduire, la taxe sur les aéronefs et le droit de timbre sur les contrats de transport, six nouvelles suppressions d'impôts -dont la taxe sur les briquets et les allumettes- interviendront dans la loi de finances pour 1999. Au total, celle-ci aboutira à l'abrogation de 58 articles législatifs du code général des impôts, à la suppression de dix procédures déclaratives concernant plus d'un million de petites entreprises et plus de trois millions de particuliers. Près de quinze millions de formulaires par an seront ainsi supprimés ! Ces chiffres attestent de la volonté simplificatrice du Gouvernement.

J'en viens aux priorités du Gouvernement en matière de dépenses. Les dépenses de l'Etat progresseront de 1 % en volume en 1999, soit 16 milliards, auxquels s'ajoutent les efforts d'économies et de redéploiements sur l'ensemble des budgets -30 milliards. La priorité est donnée, comme l'an dernier, à l'emploi et à la justice sociale, d'une part, à l'amélioration des missions de service public et de la vie quotidienne, d'autre part. Qu'il s'agisse de l'emploi, de la santé et de la solidarité, de la justice, de la sécurité publique, de la culture, de l'enseignement ou de la recherche, le Gouvernement soutient une action en profondeur et obstinée, qui s'inscrit dans la durée.

L'emploi constitue la première priorité. Le nombre de chômeurs a déjà diminué de près de 120 000 personnes depuis l'été 1997. Les crédits du budget de l'emploi progresseront de 6,1 milliards en 1999, soit 3,9 % avec une double ambition : enrichir la croissance en emplois, grâce à la réduction du temps de travail et à l'allégement des charges sociales sur les bas salaires ; réintégrer les exclus dans le monde du travail.

S'agissant, par exemple, des emplois-jeunes, 100 000 nouveaux postes seront créés l'an prochain, ce qui portera le total des bénéficiaires à 250 000.

De même, le volume d'entrées nouvelles dans les contrats emploi consolidés sera doublé pour atteindre 60 000 en 1999. Les moyens destinés à la santé et à la solidarité, augmenteront de 4,5 % notamment pour créer 2 000 places nouvelles en centres d'aide par le travail, et pour lutter contre la toxicomanie et le sida.

La politique de la ville sera relancée : avec 1 milliard de crédits, ce budget enregistre la plus forte progression, soit 32 %. Les dépenses d'intervention augmenteront de 50 %, en particulier au profit des contrats de ville et des grands projets urbains.

Le budget du logement progressera pour sa part de 4 % qui seront surtout consacrés à l'accès au logement des plus modestes et à la rénovation du parc de logements.

Si l'on ajoute à cela le triplement des crédits affectés à la lutte contre les exclusions -ils passent de 2,4 milliards à 7,7 milliards-, vous voyez que le Gouvernement se donne les moyens de mettre en oeuvre les lois que vous avez votées.

En ce qui concerne l'éducation, les dotations de l'enseignement scolaire progressent de 4,1 % pour atteindre 12 milliards. Je suis curieux d'entendre les suggestions de l'opposition tendant à réduire ce budget, compte tenu de ce qui se passe dans nos lycées et dans nos rues actuellement ! Cette progression permettra notamment d'accueillir 60 000 emplois-jeunes supplémentaires pour encadrer les élèves et de créer, à la rentrée 1999, par redéploiement, 3 300 emplois d'enseignants du second degré et 616 postes de non-enseignants.

La santé scolaire bénéficie de 400 emplois de médecins, infirmiers et assistantes sociales.

Par ailleurs, afin de développer l'apprentissage des langues vivantes dès le premier degré, 1 000 assistants étrangers supplémentaires sont recrutés à la rentrée 1998, soit un quasi-doublement des effectifs.

Compte tenu des besoins démographiques et sociaux, les moyens consacrés à l'enseignement supérieur augmentent de 5,5 % ; 650 emplois de personnels non enseignants, dont 40 affectés au développement des nouvelles technologies dans les IUFM, et 150 emplois de personnels de bibliothèques seront créés dans les universités à compter du 1er septembre 1999. Au total, en deux ans, près de 2 000 emplois de personnels non enseignants auront été créés. De plus, afin de permettre aux universités d'assurer la formation des étudiants dans les meilleurs conditions, 1 500 enseignants-chercheurs supplémentaires seront recrutés à la rentrée 1999. Ces chiffres prouvent notre détermination à préparer l'avenir.

En outre, des moyens importants sont prévus au titre du futur plan social étudiant.

Deuxième priorité, l'amélioration des conditions de la vie quotidienne : assurer un service public de qualité et d'accès facile pour tous fait partie des volontés fortes du Gouvernement et de la majorité.

C'est pourquoi la priorité donnée à la justice en 1998 sera renforcée en 1999. Ce ministère disposera de 26,3 milliards, soit une progression de 5,6 %. Cela permettra de faire progresser de front de nombreux chantiers visant à mieux répondre aux besoins des usagers et à renforcer les libertés. L'accélération des procédures pénales, le développement des modes alternatifs de règlement des litiges, celui des maisons de justice, autant d'exemples concrets de nos efforts pour rapprocher la justice de nos concitoyens. Dans ce cadre, 930 emplois sont créés.

Dans le même temps, les moyens alloués à la sécurité publique sont accrus de 3 % et atteignent 53,2 milliards. L'augmentation concerne notamment les moyens de fonctionnement de la police et les crédits d'investissement du ministère de l'intérieur.

Les effectifs de la police atteindront 133 100 agents, soit une hausse de 2,6 %. En particulier, 7 600 adjoints de sécurité supplémentaires seront recrutés et affectés en priorité dans les zones sensibles.

Le budget de la culture connaîtra également une progression dynamique : avec 15,7 milliards, il représentera 0,97 % du budget de l'Etat.

Quant au secteur audiovisuel public, son budget s'élève à 18,5 milliards, soit une progression de 2,6 %. La redevance augmente au même rythme que les prix. Dans la perspective de la réforme de l'audiovisuel public annoncée récemment par le Premier ministre, la part des recettes publicitaires dans le budget de France 2 passera dès l'an prochain en dessous de 50 % de ses recettes totales, réduisant ainsi la dépendance des chaînes publiques par rapport à la publicité.

L'environnement, enfin, constitue une composante essentielle de notre cadre de vie. Compte tenu du nombre croissant de ses missions, les moyens de ce ministère connaissent une progression de 15,1 %, soit 2,2 milliards, auxquels s'ajoute le produit de la nouvelle taxe générale sur les activités polluantes -1,9 milliard.

La protection de la nature et la prévention des risques bénéficieront de la création d'un fonds de gestion des milieux naturels. Enfin, la maîtrise de l'énergie et le développement des énergies renouvelables seront encouragées par la mise en place de la nouvelle fiscalité écologique.

Mesdames et messieurs les députés, j'ai souhaité, à travers cette fresque du projet de budget pour 1999, vous montrer la cohérence de nos choix. Toutes les mesures présentées vont dans le même sens : croissance plus forte et plus riche en emplois, volonté de justice sociale, du partage des fruits de cette croissance au profit de ceux qui en ont le plus besoin. La confiance retrouvée de nos concitoyens, mais aussi de nos entreprises montre que nous avons choisi la bonne voie : la réussite économique et la solidarité, loin de s'exclure, peuvent aller de pair et se renforcer mutuellement. Grâce à l'action du Gouvernement, notre pays pourra rentrer dans le XXIème siècle plus fort, plus juste, plus rayonnant (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 40.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


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ANNEXE
ORDRE DU JOUR

L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au vendredi 30 octobre inclus a été ainsi fixé en Conférence des présidents :

CET APRÈS-MIDI, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, les explications de vote et le vote par scrutin public sur le projet de loi d'orientation agricole, et à 21 heures :

    - discussion générale du projet de loi de finances pour 1999.

MERCREDI 14 OCTOBRE à 9 heures, 15 heures, après les questions au Gouvernement, et 21 heures,
JEUDI 15 OCTOBRE à 9 heures, 15 heures et 21 heures,
VENDREDI 16 OCTOBRE, à 9 heures, 15 heures et 21 heures,
et, éventuellement, SAMEDI 17 OCTOBRE, à 9 heures, 15 heures et 21 heures :

    - suite de la discussion générale et discussion des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 1999. (Le débat sur l'article 42 relatif à la participation de la France au budget des Communautés européennes aura lieu le jeudi 15 octobre à 15 heures).

MARDI 20 OCTOBRE, à 15 heures, après les questions au Gouvernement et les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble de la première partie du projet de loi de finances pour 1999, et à 21 heures :

    - discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 1999 ;

@ODJ-SOUSPROJ = enseignement supérieur, recherche et technologie.

MERCREDI 21 OCTOBRE, à 9 heures :

@ODJ-SOUSPROJ = culture ;

à 15 heures :

    - questions au Gouvernement ;

à 17 heures 30 et 21 heures :

@ODJ-SOUSPROJ = enseignement scolaire.

JEUDI 22 OCTOBRE, à 9 heures :

@ODJ-SOUSPROJ = environnement ;

à 15 heures et 21 heures :

@ODJ-SOUSPROJ = équipement et transports.

VENDREDI 23 OCTOBRE, à 9 heures, 15 heures et, éventuellement, à 21 heures :

@ODJ-SOUSPROJ = outre-mer.

LUNDI 26 OCTOBRE, à 10 heures, 15 heures et 21 heures,
MARDI 27 OCTOBRE, à 9 heures, 15 heures, après les questions au Gouvernement, et 21 heures,
MERCREDI 28 OCTOBRE, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et 21 heures,
JEUDI 29 OCTOBRE, à 9 heures, 15 heures et 21 heures,
et VENDREDI 30 OCTOBRE, à 9 heures, 15 heures et 21 heures :

    - discussion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999.


© Assemblée nationale


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