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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 9ème jour de séance, 20ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 14 OCTOBRE 1998

PRÉSIDENCE DE M. François d'AUBERT

vice-président

          SOMMAIRE :

LOI DE FINANCES POUR 1999 (suite) 1

La séance est ouverte à neuf heures trente.

M. le Président - A la demande de la commission des Finances, la séance de ce matin sera levée à 12 heures 30.


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LOI DE FINANCES POUR 1999 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 1999.

M. Daniel Feurtet - On ne peut ouvrir le débat budgétaire sans prendre en compte la crise financière qui sévit de l'Asie à l'Amérique latine en passant par la Russie. Je m'en tiendrai, pour ma part, à cette question.

N'aurait-on pas persiflé celui qui, il y a quelques mois, se serait risqué à évoquer licenciements massifs, faillites, banques ruinées, alors que les principales bourses battaient encore des records et que les soubresauts de la crise en Asie relevaient, nous disait-on, d'une purge nécessaire ? Mais aujourd'hui, rares sont ceux qui minimisent l'importance de la crise financière, considérée comme la plus grave depuis la fin de la guerre froide. Certes, il en reste, y compris dans cet hémicycle, pour vouloir toujours et encore plus de rigueur budgétaire. Mais dans l'ensemble, on se rend à l'évidence et l'on s'interroge. Sommes-nous à l'aube d'une récession mondiale ? Combien de temps l'Europe restera-t-elle épargnée ?

Des millions de personnes à travers la planète vivent durement ces questions. Dans le même temps, un autre spectacle prêterait à sourire, s'il n'était lui-même à l'origine du naufrage : celui des experts occidentaux qui, encouragés par nombre de dirigeants politiques, ont si longtemps prêché la libéralisation totale des marchés financiers et qui, aujourd'hui, sous la férule du réel, se mettent à douter et se demandent, comme l'écrivait récemment le Wall Street Journal, si la crise financière ne nous place pas devant le plus grand défi lancé à l'orthodoxie libérale. Si ce n'est pas une conversion, cela y ressemble ! Mais faut-il que le péril soit imminent pour que ses plus fervents adeptes doutent d'un dogme qu'ils ont mis tant d'ardeur à défendre ?

Quand le capital menace le dispositif qui l'a fait naître, la pire des solutions vaut mieux que la banqueroute généralisée. C'est ainsi que les esprits les moins disposés évoquent eux-mêmes l'idée d'un contrôle des capitaux.

Nous ne nous plaindrons pas de cette évolution des mentalités, déjà perceptible dans le rejet par les opinions publiques de l'Accord multilatéral sur l'investissement. Quand ceux-là même qui communiaient au culte songent à le réformer, c'est que la pensée unique et ses impératifs catégoriques cèdent peu à peu sous la pression des faits. Mais ne nous faisons pas d'illusions. S'agit-il de renforcer simplement certaines règles de prudence tout en conservant la logique du système ? S'agit-il au contraire d'envisager un nouvel ordre monétaire et financier ?

Il est significatif à cet égard que le Premier ministre ait appelé à "lever cet esprit de fatalité, cette idée qu'il n'est pas possible d'agir". Ces propositions françaises en faveur d'un nouveau Bretton Woods sont une première étape. Mais d'autres pistes restent à explorer.

Le temps presse. L'Union européenne ne demeurera pas longtemps un îlot de tranquillité au milieu de la tourmente. En quelques mois, les prévisions de croissance en France ont été révisées à la baisse de 0,3 %.

Dans le même temps, le contexte politique n'a jamais été aussi favorable. Les citoyens de l'Union, certains l'ont confirmé par leur vote, aspirent à ce que les gouvernements retrouvent leur prépondérance afin de lutter contre le chômage, en faveur d'une société plus juste et plus solidaire. Saisissons l'occasion, appuyons-nous sur cet élan.

Car notre devoir est d'essayer. L'histoire abonde en défis réputés impossibles et pourtant réussis. En tout cas, les communistes n'entameront pas le choeur des éternels défaitistes qui, comme dans une publicité célèbre, clament à l'envi que "ça ne marchera jamais".

Oui, la taxe Tobin sur les transactions financières peut marcher. L'adoption de ce péage modéré pourrait s'accompagner pour tous les pays, sans exception, d'un ticket d'entrée dans les institutions financières. Notre époque, qui a élaboré la Charte des Nations Unies, ne saurait-elle inventer un instrument comparable pour tenter d'assurer la paix économique ?

M. Yves Cochet - Très bien !

M. Daniel Feurtet - Le co-développement est aussi un outil contre la crise financière. Il faut démocratiser le Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, mais aussi construire des projets ambitieux de coopération avec les pays du Sud, en particulier dans le domaine de l'eau ou des déchets nucléaires.

Il est possible d'inciter les entreprises à placer moins d'argent dans la finance et davantage en faveur d'investissements créateurs d'emplois et de richesses. Il est possible d'étudier de nouveaux circuits de financement pour l'économie, notamment au bénéfice des PME PMI et les moyens de créer des emplois dans les régions : ce pourrait être l'objet des conférences financières régionales auxquelles les formations de la gauche plurielle se sont d'ailleurs engagées.

Il est également essentiel de s'appuyer sur un secteur financier public pérenne, réorganisé et démocratisé. Le groupe communiste s'oppose aux projets de privatisation d'une partie du système bancaire français. Il souhaite, pour le moins, un grand débat public sur le sujet où serait également abordé le droit des salariés et le contrôle de la gestion bancaire.

Comment tolérer plus longtemps que la croissance et l'emploi, à l'échelle nationale et à l'échelle mondiale, dépendent de l'humeur des deux cents investisseurs mondiaux les plus puissants, c'est-à-dire des fonds de pension américains et japonais, motivés par un insatiable appât du gain ?

On ne saurait appuyer efficacement une croissance fragile sur la demande intérieure, sans desserrer un tant soit peu l'étau des marchés spéculatifs. Voilà bien le noeud.

C'est pourquoi les réponses à la crise passent aussi par une réorientation de la construction européenne en faveur de l'emploi et de la justice sociale.

Nous en sommes persuadés : la France, par son rayonnement et son histoire, a une voix originale à faire entendre. Elle peut convaincre de la nécessité de transformer le système bancaire international et faire aboutir cette exigence. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. Yves Cochet - Nous entendons aujourd'hui un double discours. D'un côté, la France et l'Union européenne ne sauraient rester plus longtemps épargnées par la crise financière internationale. Et malgré le discours tenu hier par le ministre de l'économie -qui se devait de tenir ce discours-, de nombreux facteurs plaident en effet en ce sens parmi lesquels la contraction des marchés mondiaux, la chute du prix des matières premières, une concurrence sauvage sur les produits manufacturés. Conséquence de ces évolutions, de plus en plus d'entreprises et d'institutions financières ont du mal à rembourser leurs dettes et à garantir leurs placements spéculatifs, à l'instar de LTCM. Ultime conséquence : les places boursières s'affolent, comme en témoignent le yo-yo des cours et les liquidations précipitées de titres.

D'un autre côté, à la lecture du rapport économique, social et financier du Gouvernement, on apprend que la France est riche, que l'économie va bien, que la croissance est repartie en 1998 et atteindra même peut-être 3,1 %, que les comptes extérieurs sont excédentaires, que l'inflation est au plus bas depuis trente ans, et que la consommation comme les investissements ont redémarré.

"Double bind" donc, concept cher à l'école de Palo-Alto.

M. Jean-Pierre Brard - Pouvez-vous nous dire ce que cela signifie, à nous qui sommes peu lettrés ?

M. Yves Cochet - Double contrainte. D'un côté, un discours pessimiste, de l'autre, un discours plutôt optimiste.

Si quelques clignotants sont plutôt au vert dans notre pays, d'autres non, comme les indicateurs sociaux et environnementaux. Le rapport du Gouvernement ne consacre pourtant que deux pages à l'exclusion alors qu'un million et demi de personnes n'ont que le RMI ou l'ASS pour vivre, sans même parler de ceux qui n'ont rien. Quant au coût écologique de notre croissance, il n'en dit mot.

Nous croyons, nous, au développement soutenable, ce qui n'est pas la même chose que la croissance durable.

Le rapport affirme que le chômage doit être réduit par une politique de croissance durable et soutenue de la demande : de fait, c'est le cas actuellement. Mais attention aux raisonnements datant de l'époque des trente glorieuses, aux raisonnements du type "fort bien"...

M. Jean-Pierre Brard - Ca, c'est du français !

M. Yves Cochet - On pourrait aussi dire "keynésiens" !

Le passage aux 35 heures, la loi sur les emplois-jeunes et la loi contre l'exclusion marquent la volonté du Gouvernement de redistribuer les profits sous forme d'activités humaines. C'est une démarche que nous soutenons et qui se traduit par une augmentation du budget de la solidarité.

Mais nous pensons que la logique productiviste ne crée pas d'emplois de façon durable : on le voit bien avec l'agriculture. Il faut promouvoir un développement soutenable, c'est-à-dire qui n'implique pas de sacrifices pour les plus démunis.

Je crois ainsi aux vertus redistributives des prélèvements obligatoires. La loi de finances est la seule qui concerne tous les secteurs : nous voulons la décloisonner pour la rendre plus juste et plus lisible.

Premier objectif, renforcer les outils de redistribution. Nous pensons qu'aucun adulte ne devrait vivre avec moins de 3 000 F par mois, en France, ce qui implique un relèvement des minima sociaux. Comment le financer ? En élargissant l'assiette de l'ISF, en rétablissant une tranche supérieure de l'IRPP, en créant une taxe sur les transactions de change. On dit qu'il n'est pas possible de le faire dans un seul pays sous peine de provoquer l'effondrement de la Bourse de Paris. Mais on voit ce que donne le laisser-faire !

M. Jean-Pierre Brard - Exact !

M. Yves Cochet - Et s'il était valable, ce raisonnement pourrait s'appliquer aussi aux autres impôts : or les titulaires de gros salaires et gros capitaux ne quittent pas massivement la France pour l'Angleterre ! La taxe proposée, 0,05 % sur les seuls produits spéculatifs, est tellement légère qu'elle n'inciterait pas à sortir du système bancaire français. De façon générale, les transferts pour échapper à la fiscalité ne portent que sur des petites sommes. Et il est facile de repérer les fraudes.

"L'effondrement" des bourses serait donc très limité. En fait, la Bourse sait, malheureusement, s'effondrer toute seule...

M. Jean-Pierre Brard - Et vous n'y êtes pour rien et moi non plus !

M. Yves Cochet - Certes non ! Je ne crois pas que vous fassiez des placements spéculatifs, Monsieur Brard ! (Sourires)

Dernier point, la fiscalité écologique. Je me félicite qu'à l'initiative de plusieurs groupes -je rappelle l'excellent rapport de Mme Nicole Bricq- nous abordions enfin l'an I de la fiscalité écologique. Mais les mesures proposées relèvent de "pollu-taxes" plus que d'"écotaxes". Je pense pour ma part qu'à côté de l'application du principe pollueur-payeur, il faut récompenser la vertu écologique : c'est ce que nous essayons de faire en baissant la TIPP sur le GNV et le GPL et la TVA sur le traitement des déchets.

La TVAP a été critiquée : ce serait une façon de "nationaliser" une taxe parafiscale. Je ne le crois pas. C'est une pollu-taxe à double dividende : non seulement elle permet de réparer les dégâts causés par les pollueurs, mais elle dégage des ressources pour relever les minima sociaux.

M. Laurent Dominati - Ca c'est formidable ! On gagne au grattage et au tirage !

M. Yves Cochet - Cette TVAP pourra inclure plus tard deux autres taxes très importantes pour nous : la taxe sur l'eau -redevances et taxe sur les pollutions- et la grande pollu-taxe énergie-CO2 qui pourrait constituer une ressource considérable à l'échelle de l'Europe. Car l'Europe que nous voulons ne doit pas être seulement financière et économique, mais aussi sociale, écologique et démocratique. (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. Laurent Dominati - M. Cochet est très imaginatif quand il s'agit d'inventer des taxes...

M. Jean-Pierre Brard - Ce sont ses recommandations !

M. Laurent Dominati - Mais le Gouvernement, hélas, finira peut-être par suivre ses propositions !

La présentation du budget est un livre magique : qui peut s'y retrouver dans cette avalanche de chiffres ? En fait on peut y trouver une politique de communication beaucoup plus qu'une politique économique.

Usant d'astuces assez classiques, le Gouvernement vient d'accepter, à la demande de la commission des finances, de renoncer à la rétroactivité en matière de contrats d'assurance-vie. Bravo ! C'est très habile ! On annonce d'abord qu'on va frapper fort, mais heureusement les gentils commissaires socialistes sont là, ils ont convaincu d'être un peu moins sévères : l'injustice se transforme en demi-injustice et tout le monde dit merci ! Voilà une technique de communication, mais certainement pas une politique fiscale.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - C'est la méthode démocratique !

M. Laurent Dominati - Deuxième exemple, votre attitude à l'égard des familles. Vous parlez de de redistribution en leur faveur. Mais ne leur avez-vous pas pris 4,7 milliards l'an dernier ? Vous ne faites que leur rendre, et seulement à partir de l'an prochain, ce que vous leur avez pris ! C'est la même technique : on annonce qu'on va taper très fort et finalement on tape un peu moins fort...

M. Jean-Pierre Brard - De quelles familles parlez-vous ? Celle de Mme Bettencourt ?

M. Laurent Dominati - Des familles qui ont des enfants !

M. Jean-Pierre Brard - Les familles de bourgeois !

M. Laurent Dominati - Vous devriez sortir du XIXème siècle, Monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard - Et vous de votre monde doré !

M. Laurent Dominati - Le mur de Berlin est tombé et même vos amis ont compris que le capitalisme apporte plus de profits que le paradis socialiste dont vous rêviez.

Votre technique, Monsieur le ministre, s'apparente à celle des augures, qui traçaient un carré dans le ciel, puis comptaient les oiseaux. Evidemment tout dépend du choix du carré.... Vous, vous prenez certains chiffres pour prétendre que vous baissez les impôts. Mais de juin 1997 à juin 1998, vous avez eu 43 milliards de recettes fiscales nettes supplémentaires, et pour 98-99 vous prévoyez 74 milliards, soit 117 milliards de recettes supplémentaires en deux ans. Qu'en avez-vous fait ? Certes, une partie de ces recettes est liée à l'amélioration de la conjoncture. Mais je vous rappelle que le premier texte que vous avez fait voter était une augmentation des impôts !

M. le Secrétaire d'Etat - Il fallait répondre à l'urgence !

M. Laurent Dominati - Mais bien sûr ! En 1997 les entreprises ont payé ainsi 60 milliards de plus et les ménages 16 milliards de plus. Vous annoncez aussi que la pression fiscale va baisser, que les impôts vont diminuer. Mais comment expliquez-vous dans ces conditions que, selon vos propres documents, cette pression augmente de 4,3 % alors que la croissance est de 3,8 % ? Les ponctions s'accroissent plus vite que les richesses ! Décidément, vous ne retenez que les chiffres qui vous arrangent et je pense donc que, tels les augures de Cicéron, M. Strauss-Kahn et vous-même ne pouvez vous rencontrer dans les couloirs de Bercy sans sourire à l'idée de tout ce que vous parvenez à faire accroire au peuple et à vos amis socialistes !

A la technique des augures, vous joignez celle des sorciers qui dansent pour faire tomber la pluie... et qui croient avoir réussi dès que le nuage crève. Vous vous attribuez de même tout le mérite de la croissance. Or celle-ci devrait être en moyenne de 2,9 % en Europe, contre 3,1 % chez nous : pour être généreux, on ne peut guère vous attribuer que cette différence de 0,2 % !

J'ai lu des études de l'INSEE et celles du FMI, auxquelles M. Strauss-Kahn se réfère beaucoup ces derniers temps -imprudemment à mon avis : on y explique la croissance par la baisse du dollar, par celle du prix des matières premières et par celle des taux d'intérêt, mais nulle part on n'y dit que la croissance française serait isolée ou due à un modèle particulier ! D'ailleurs, la croissance ne se décrète pas et vos 2,7 % ne sont qu'un objectif, non une prévision ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Mais, si vous n'êtes pas responsables de cette croissance, vous risquez de l'être de votre imprévision. Ce budget sera le premier de l'euro-France. Or, dans l'Europe et l'euro, les Etats qui parviendront à attirer les capitaux, ce sont ceux qui auront réussi à rembourser le plus vite leur dette publique...

M. Yves Cochet - C'est ce qu'on fait !

M. Laurent Dominati - Moitié moins vite que nous ! L'emporteront donc ceux qui rembourseront leur dette, combleront leurs déficits, réduiront dépenses et charges. Ce n'est pas dans cette voie que vous vous engagez !

Augures et sorciers, vous êtes aussi de vrais artificiers ! Quel jaillissement : vous prenez une mesure ici, vous enlevez là pour ajouter ailleurs. Ainsi, vous baissez la taxe professionnelle -mais vous relevez la cotisation minimale, la taxe de péréquation et la taxe sur les baux commerciaux et vous supprimez l'abattement pour embauche ou investissement, ce qui compense au moins partiellement la première décision. De même pour la TVA : vous vous vantez de faire mieux que les Allemands parce que vous vous attaqueriez à l'impôt principal. Vous oubliez simplement de dire que cette baisse ne porte que sur 0,7 % du produit de la TVA, soit 4 milliards. C'est à peine une erreur de comptabilité, mais vous annoncez un effet monumental ! Est-ce ainsi que vous comptez relancer la consommation ? Les Allemands, dont vous n'êtes pas jaloux, diminuent, eux, leurs impôts de 10 milliards de marks, soit 35 milliards de francs.

Cela dit, si l'effort doit être soutenu, je suis preneur ! Je suis d'ailleurs sûr que nos collègues socialistes sont impatients de voir leurs engagements tenus... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

En attendant, cette baisse n'est que de la poudre aux yeux et toutes vos mesures éparses ne font que masquer une augmentation de la pression fiscale.

Mais ce budget est surtout inquiétant en raison des incertitudes entourant la situation internationale. Vous faites de même, exactement, qu'avant la crise. Est-ce parce que vous auriez prévu celle-ci ? Non, M. Strauss-Kahn est venu ici même nous affirmer que la crise asiatique n'affecterait pas la France !

Vous ne faites même pas preuve de la prudence de l'INSEE, qui prévoit une croissance de 2,5 % s'il n'y a pas de bouleversement de la conjoncture. Or notre devoir serait de vous prévenir contre ce retournement. Dépenser de l'argent en période de croissance est trop facile. A supposer que cette croissance se maintienne comme vous le croyez, il faudrait rembourser au plus vite la dette et combler les déficits, comme c'est de notre intérêt lorsque les temps sont à la déflation. Vous ne le faites pas, mais vous ne faites pas non plus ce qu'il faudrait faire en prévision d'un retournement, hautement probable, de la conjoncture.

Je vous accorde qu'en cas de récession, il faudrait peut-être laisser filer les déficits. Mais le plus efficace pour cela est-il d'agir sur la dépense publique ou sur les impôts ? Voyez donc ce que font les entreprises : dans de telles conjonctures, elles remboursent leurs dettes, voire rachètent leurs actions, et renoncent à tout investissement, car elles ont besoin de se procurer des liquidités et d'accroître la rentabilité marginale du capital. Il conviendrait donc de baisser les charges et de réduire l'impôt sur les sociétés. Quant aux ménages, dans ces situations, ils gardent ce qu'ils ont pu épargner...

M. Jean-Pierre Brard - Ben voyons !

M. Laurent Dominati - ... Et il faut donc réduire les impôts pour maintenir la consommation -c'est pourquoi nous sommes favorables à une baisse de la TVA.

C'est pourquoi, même s'il devait y avoir récession, nous préférons une réduction des impôts à une augmentation des dépenses publiques. Sur ce point d'ailleurs, les libéraux français ne sont pas isolés en Europe : c'est ce que font la plupart de nos partenaires, qui ne battent pourtant pas comme nous le record des dépenses.

Ce budget n'est donc pas bon : vous ne limitez pas les impôts et les déficits comme cela s'imposerait si la croissance se maintient, et vous ne vous garantissez pas non plus contre la récession. Vous n'avez guère qu'une bonne politique de communication ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

M. Jean-Pierre Brard - Ce n'est pas la pensée unique, mais de la pensée atrophiée !

M. Michel Bouvard - D'autres orateurs s'étant exprimés ou devant s'exprimer au nom du RPR, je m'en tiendrai ici au problème de la fiscalité indirecte.

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez employé une expression que j'aime bien : celle de fiscalité "en faveur du mouvement plutôt que de la rente". Non que la rente, produit de l'épargne et souvent complément de retraite indispensable, doive être taxée, mais je pense qu'un budget doit contribuer au dynamisme économique et favoriser l'équipement. Lors du débat d'orientation budgétaire, j'avais par conséquent été intéressé par l'évocation de baisses de la TVA "ciblées" et j'avais plaidé pour qu'elles concernent au premier chef des secteurs où l'on pouvait espérer un retour immédiat de ces mesures, en termes d'activité et d'emploi. Hélas, votre baisse s'est limitée aux abonnements EDF, pour le grand public, et aux opérations menées dans le secteur du logement social ou avec des concours de l'ANAH, ce qui correspondait à un voeu que j'avais exprimé il y a un an. Vous baissez aussi la TVA sur quelques actions à caractère environnemental, ce qui est intéressant mais limité, comme l'a fait remarquer Mme Bricq en commission : le Gouvernement ne restitue qu'un quinzième du produit de la hausse de TVA décidée par le précédent gouvernement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Certes, vous me direz que "ce n'est pas si mal", et que je réclame une baisse après avoir voté la hausse. Mais cette hausse était temporaire, liée à une conjoncture budgétaire difficile, au moment où les critères de convergence pour la monnaie unique nous imposaient de fortes contraintes. Votre majorité s'était d'ailleurs engagée à revenir là-dessus dès qu'elle serait au pouvoir. Au pouvoir, vous y êtes, et la hausse demeure. Certes, en 1998, vous aviez les contraintes de la monnaie unique -mais je vous reproche d'avoir annulé la baisse de l'impôt sur le revenu engagée par votre prédécesseur, qui aurait rendu non imposables des milliers de petits contribuables, leur laissant ainsi des ressources sans commune mesure avec les 130 F que représente l'économie de TVA sur les abonnements à EDF. Je vous reproche aussi de poursuivre cette année les mauvais coups contre les familles : après avoir, en 1998, supprimé des parts d'imposition aux familles ayant élevé des enfants, y compris les veuves de guerre, vous vous apprêtez à prélever plusieurs milliards en modifiant le quotient familial -moins que ce que vous dépenserez pour le PACS.

S'agissant de la TVA, je vous reproche, alors que la croissance est de retour en Europe, d'en rester à des baisses symboliques. Le groupe RPR donnera à la majorité, en proposant une baisse générale, la possibilité de tenir ses engagements électoraux.

Parce que vous refuserez sans doute cette proposition, nous allons vous donner l'occasion, par plusieurs amendements, de construire un budget favorisant le mouvement, l'activité économique et la création d'emplois.

S'agissant de la TVA sur le bâtiment, à défaut d'une baisse générale qui aurait eu des effets immédiats sur l'activité des entreprises et sur l'emploi, bien supérieurs à ceux d'une baisse de la déduction d'impôt pour travaux, nous vous proposons une mesure particulière pour les monuments historiques et les secteurs sauvegardés.

Nous vous proposerons aussi d'accueillir la demande des professionnels et de nombreux élus -dont le président de la commission des finances- en baissant le taux de TVA sur la restauration.

M. Pierre Lellouche - Très bien !

M. Michel Bouvard - Cela aurait une incidence immédiate sur la consommation et l'emploi dans un secteur qui, avec 800 000 actifs et 600 000 salariés, est le quatrième employeur privé de France -l'application d'un taux de 14 % à l'ensemble du secteur permettrait de créer entre 7 000 et 13 000 emplois.

Nous vous proposons enfin une dernière baisse de TVA ciblée sur les activités sportives (Approbations sur les bancs du groupe du RPR) dont chacun s'accorde à reconnaître l'utilité sociale, et qui sont créatrices d'emploi.

Un budget de mouvement, c'est enfin un budget qui soutienne l'investissement et la compétitivité de notre pays. A cet égard, je regrette l'absence de mesures en faveur de l'immobilier de loisirs neuf, notamment dans les zones les plus fragiles. Je proposerai de prolonger le dispositif Périssol dans ce secteur pour les zones de revitalisation rurale.

Nous proposons aussi, pour accroître la capacité d'accueil, de favoriser la réhabilitation de l'immobilier touristique privé existant, par un système de récupération de TVA. Cela contribuerait aussi à soutenir le BTP. Cette proposition a été présentée il y a quinze jours par l'ensemble des associations, avec lesquelles un travail important a été fait à ce sujet par vos services, et j'espère que vous l'accepterez.

Un budget de mouvement encourageant la consommation et l'investissement et réduisant le poids de l'imposition grâce au retour de la croissance, voilà quelle est aussi notre ambition : c'est le sens des propositions que nous vous faisons. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Alain Barrau - C'est mieux que Carrez !

M. Gérard Fuchs - Nous savons tous que l'emploi est aujourd'hui la première préoccupation des Français. C'est aussi la priorité de ce budget -et je voudrais essayer d'en convaincre l'opposition.

M. Pierre Lellouche - Vaste programme !

M. Gérard Fuchs - Je ferai valoir quatre arguments. Nous avons, en effet, des conceptions divergentes de la croissance, Monsieur Dominati, mais les faits paraissent avoir tranché. Pendant quatre ans, vous avez essayé une politique de l'offre, fondée sur l'aide à l'investissement des entreprises. Nous avons fait exactement le contraire, en essayant de relancer la consommation, et d'abord celle des plus défavorisés. L'expérience nous départage. (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF)

M. Pierre Lellouche - Vous avez eu de la chance !

M. Gérard Fuchs - Au fond de vous-mêmes, vous savez bien que nous sommes pour quelque chose dans le retour de la croissance. Le fond du problème, c'est que, de même qu'on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif, on ne fait pas investir une entreprise dont le carnet de commandes n'est pas rempli.

Nous allons donc continuer de relancer la consommation, notamment grâce à des baisses de TVA qui, après adoption des amendements de la commission, seront plus substantielles que vous ne faites semblant de le croire -et je ne referai pas ici la liste de toutes les autres mesures d'incitation à la consommation. Cette politique nous a permis déjà d'obtenir une croissance supérieure à celle de nos partenaires européens, alors que c'était l'inverse quand vous étiez aux affaires.

Le budget de l'Etat augmentera de 1 %, moins que le PIB : c'est-à-dire que, tout en réduisant le poids de la dépense publique, nous pourrons apporter des incitations directes à l'emploi.

En plus de ces aspects macro-économiques, le budget apporte plusieurs stimulants directs à l'emploi. 14 milliards seront affectés aux emplois-jeunes -c'est-à-dire exactement le 1 % d'augmentation des dépenses publiques. Ces emplois-jeunes, vous vous en êtes beaucoup moqués à l'origine (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF). Mais ils se mettent en place, et ils concernent de plus en plus des jeunes sans qualification, avec de plus en plus souvent des perspectives de pérennisation.

M. Christian Cabal - Avec des emplois publics, c'est facile.

M. Gérard Fuchs - Ce ne sont pas des emplois publics.

Ensuite, il y a les 35 heures. Dans ma circonscription, une entreprise de plus de 1 000 salariés a signé un accord sur les 35 heures assorti de modération salariale -mais non de gel- qui a permis de créer 60 emplois. Quand j'ai vu l'expression du premier chômeur apprenant qu'il allait être recruté, je me suis dit que nous avions voté une bonne loi. Et j'espère qu'en dépit des réticences des organisations patronales, il y aura beaucoup d'entrepreneurs qui sauront faire leur métier, c'est-à-dire calculer l'intérêt de leur entreprise.

Enfin, ce budget comporte une mesure fiscale très incitative, une baisse de la taxe professionnelle sur laquelle j'attire l'attention de l'opposition. Nous engageons une réduction intelligente de la taxe professionnelle.

M. Jean-Pierre Brard - Ca, ça se discute !

M. Gérard Fuchs - 68 % des entreprises, principalement des petites et moyennes, seront exonérées dès la première année de la part salariale de la taxe professionnelle. Le secteur de la restauration, auquel vous vous intéressez tant, en bénéficiera. Nous pourrons mesurer l'effet de ce dispositif, puisque le président de la commission des finances a demandé au Gouvernement d'établir un rapport d'évaluation. Telle qu'elle est conçue, je suis sûr que la baisse de taxe profitera à l'emploi (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Gageons qu'il en adviendra comme des emplois-jeunes ou des 35 heures tant critiquées à tort.

M. Pierre Lellouche - On mesurera les dégâts quand vous serez partis !

M. Gérard Fuchs - Si nous ne faisons pas de bêtises, nous sommes là pour longtemps. Le projet de budget tend à créer les conditions d'une croissance durable. Ainsi le déficit s'établit à 2,3 % du PIB, soit une diminution de 0,7 % (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), ce dont vous avez été incapables !

M. Laurent Dominati - Si, nous avons même fait mieux !

M. Gérard Fuchs - Nous sommes en passe de restaurer l'équilibre primaire du budget, puisque pour la première fois la charge de la dette n'augmentera à peu près pas.

Nous travaillons également à une croissance technologiquement durable, en favorisant l'aide à la recherche, à une croissance écologiquement durable aussi, en particulier grâce à la fiscalité sur le gazole, et je remercie le Gouvernement d'avoir repris sur ce point les conclusions de la mission automobile.

Au total, ce budget se donne les moyens non seulement d'atteindre une croissance à 2,7 %, mais surtout de la maintenir les années suivantes.

Puisque la première préoccupation des Français est l'emploi, et la première priorité du budget également l'emploi, je vous invite, sur tous les bancs, à voter le projet de loi de finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Alain Belviso - Nous devons tenir compte, dans notre débat, de la dégradation de la conjoncture et de la modification de l'environnement international, qui peuvent compromettre les hypothèses sur lesquelles est bâtie la loi de finances.

M. Michel Bouvard - C'est la sagesse !

M. Alain Belviso - Pourquoi, alors que la demande intérieure est le moteur de la croissance, consacrer 40 % des marges budgétaires à la réduction des déficits ? S'agirait-il d'attendre passivement la récession pour tenter ensuite de restaurer une croissance disparue ? N'est-il pas temps de concevoir autrement le déficit et l'endettement, en mettant l'accent sur le soutien à la croissance, pour l'enrichir en emplois et améliorer ainsi les comptes publics et sociaux ? Nous sommes favorables à une politique budgétaire orientée vers une relance beaucoup plus active des dépenses propres à répondre aux besoins sociaux. Il faut faire beaucoup plus pour soutenir la demande interne, favoriser l'emploi et pénaliser la spéculation. Parvenir à cet objectif passe par l'augmentation substantielle du SMIC, des salaires et des minima sociaux. Dans le même esprit, il convient de diminuer beaucoup plus fortement la TVA, en particulier sur les produits alimentaires de première nécessité, même si le Gouvernement doit exiger pour cela une révision de la directive européenne. La Grande-Bretagne n'applique-t-elle pas le taux zéro aux produits de première nécessité ? Nos concitoyens ne comprendraient pas que le Gouvernement n'agisse pas, alors que la TVA, impôt injuste, pèse davantage sur les foyers modestes. Une étude réalisée en 1995 montre qu'un salarié au SMIC consacre 8 % de son revenu à la TVA, contre 4,8 % pour un consommateur gagnant 100 000 F par mois. Baisser la TVA sur la consommation de gaz, d'électricité et d'eau, c'est améliorer le pouvoir d'achat des familles modestes, c'est aussi lutter contre l'exclusion. Réduire la TVA sur l'utilisation des installations sportives permettrait de créer des milliers d'emplois, tout comme une diminution de la taxe sur les salaires dans ce secteur. De même, intégrer les actifs financiers dans l'assiette de la taxe professionnelle favoriserait la croissance et l'emploi.

Nous souhaitons également transformer l'ISF en intégrant, de façon modulable, les biens professionnels dans son assiette. Dans le même souci d'efficacité, nous proposons de modifier les aides publiques aux 35 heures.

Vous le voyez, nous sommes animés d'un esprit constructif. Les amendements significatifs que nous avons déposés répondent à la volonté de mieux satisfaire les attentes des Français (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste).

Mme Christine Boutin - A son arrivée M. Jospin, pris d'un grand désir de réforme, a annoncé, sans aucune concertation, la mise sous condition des ressources des allocations familiales, battant ainsi en brèche le principe d'universalité de la politique familiale (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Mais la réalité s'est imposée, et le Gouvernement a dû revenir sur cette erreur grossière (Mêmes mouvements). Cette volte-face entraîne un manque à gagner de 4 milliards. C'est pourquoi il est décidé de ramener le plafond du quotient familial de 16 380 F à 11 000 F. Or le quotient familial relève non pas de la politique familiale, mais de la politique fiscale. Il permet non pas de favoriser les familles, mais de prendre en compte le niveau de vie de chaque foyer fiscal.

M. Pierre Lellouche - Tout à fait !

Mme Christine Boutin - Il a pour fonction non pas d'opérer une redistribution entre familles riches et pauvres, mais de garantir l'équité d'imposition selon la capacité contributive. Le plafonnement que l'on impose fausse donc le mécanisme du quotient familial.

Ce mécanisme est propre à notre pays, et j'y suis assez attachée. La réforme fiscale est depuis longtemps à l'ordre du jour, et l'on peut en débattre.

Mais c'est un nouveau coup contre les familles que vous voulez perpétrer. Vous proposez un PACS qui coûtera au moins 5 milliards et déstabilisera les familles, et vous leur reprenez 4,8 milliards par le biais du quotient familial. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Michel Bouvard - C'est la vérité !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances - De quelles familles parlez-vous ?

Mme Christine Boutin - Le choix du Gouvernement est clair : ce n'est pas celui des familles, en dépit des discours à la télévision. A chacun son choix de société ! La gauche déteste l'institution familiale traditionnelle et la déstabilise pour mieux la façonner à sa convenance ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Alain Barrau - Laissez-la parler, elle défend son fonds de commerce !

M. Gilbert Meyer - Elle a raison !

Mme Christine Boutin - Le Gouvernement n'ose pas réformer le droit des successions dans son ensemble. Il se borne, dans le cadre du PACS, à modifier partiellement le système successoral. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement, avec mes collègues du groupe "Avec la famille".

M. Pierre Forgues - Que dit la Bible sur la richesse ?

Mme Christine Boutin - Mon amendement répond aux difficultés que rencontrent certains de nos concitoyens du fait des taux excessifs des droits de mutation pour les non-parents. Ces taux rendent difficile la transmission des patrimoines, à l'heure où tous les moyens devraient être utilisés pour réduire la précarité. Notre amendement vient combler le vide juridique qui existe aujourd'hui pour les frères et soeurs et tous ceux, homosexuels, hétérosexuels ou personnes sans relation sexuelle, qui veulent se faire une donation dans des conditions fiscales réalistes. Je ne doute pas que vous soutiendrez cet amendement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

M. Roland Carraz - Le Gouvernement aborde la discussion budgétaire dans des conditions économiques internationales plus difficiles que l'an dernier : la croissance française, qui reste forte, pourrait être ébranlée par un effondrement du dollar ou des marchés financiers.

Les parlementaires du Mouvement des citoyens ne partagent pas pour autant les arguments de l'opposition, et se réjouissent de la volonté maintenue du Gouvernement, au service d'une ambition de croissance de 2,7 % à laquelle il faut se tenir. Vos prévisions en effet nous semblent réalistes. Vous avez bien apprécié l'impact de la crise asiatique sur notre économie, dans laquelle la demande intérieure, le pouvoir d'achat et l'investissement industriel restent soutenus.

Nous pourrions nous inquiéter davantage de la baisse du dollar, et des mouvements erratiques des monnaies. Mais ce qui nous inquiète le plus est "la dictature des bigoudis" (Sourires) : je fais référence à ces vieilles dames américaines (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) qui symbolisent l'emprise excessive des fonds de pensions sur le système financier international. Nous ne pouvons que vous encourager, Monsieur le ministre, à mener une lutte résolue contre ce système absurde, qui pénalise les salariés eux-mêmes. Il faut agir pour réformer le système financier et le système monétaire international.

Vous tirez les leçons de cet environnement : le Gouvernement choisit la prudence. Il a raison de ne pas s'engager dans l'hypothèse d'un accident conjoncturel, mais de conserver toutefois des marges pour adapter son action en fonction de la situation. Ses choix sont donc équilibrés : baisse modérée du déficit et de la dette, hausse modérée des dépenses de l'Etat. Nous ne contestons pas ce choix. Mais nous nous interrogeons : le Gouvernement n'aurait-il pu se servir mieux de l'outil budgétaire comme arme au service de l'emploi ? Se donne-t-il tous les moyens pour stimuler la croissance intérieure et bâtir une plus grande justice sociale ?

J'examinerai à cet égard la fiscalité, la dépense publique, enfin la politique européenne.

En matière fiscale tout d'abord, nous sommes favorables à des évolutions sur la TVA. Nous avons déposé des amendements pour la réduire sur certains produits, et nous soutiendrons tous les amendements dans ce sens. Vous avez fait des ouvertures sur les travaux à domicile ; nous souhaitons ouvrir le débat sur certains produits culturels, livres ou CD, et sur des produits alimentaires ou domestiques de première nécessité. Sans oublier la restauration -secteur ou règne une inégalité criante.

La baisse de la TVA est un engagement électoral de la majorité. Tout milite pour une telle mesure, et nous déplorons de voir sur ce sujet s'exercer, là encore, désormais, la souveraineté de Bruxelles.

M. Michel Bouvard - Très bien !

M. Roland Carraz - Je ne sais si M. Bouvard m'approuvera encore quand je dirai que nous sommes favorables à un durcissement de l'impôt de solidarité sur les grosses fortunes en faisant évoluer son taux. Quant à l'impôt sur le revenu, le plus juste qui soit dans son principe puisque sa progressivité permet une réelle redistribution. Nous réclamons du Gouvernement plus d'audace dans cette direction : il ne s'agit pas de diminuer la part de cet impôt dans les recettes de l'Etat, mais de le rendre plus juste et de rétablir le lien entre le citoyen et l'Etat par le biais de la contribution. Il faut donc à la fois mieux redistribuer et mieux responsabiliser.

Dans cet esprit, nous approuvons le plafonnement des avantages liés au quotient familial, en regrettant que ce système continue à défavoriser les familles modestes. C'est pourquoi le MDC soutient l'idée d'un abattement d'impôt forfaitaire par enfant, fixé à 11 000 F.

Quelques observations sur la taxe professionnelle. Le geste spectaculaire en faveur des entreprises, qui contraste avec le faible effort consenti aux ménages, aura-t-il un effet réel sur l'emploi ? Nous aurions préféré que la part de la taxe professionnelle assise sur les salaires le soit sur la valeur ajoutée de l'entreprise. Les soixante milliards ainsi dégagés auraient pu servir à soutenir la demande intérieure, priorité des priorités.

Pour soutenir la croissance, vous avez l'arme de la dépense publique. Vous avez choisi d'en limiter la croissance à 1 % : nous aurions aimé un peu plus, et nous ne considérons pas la réduction du déficit que vous avez décidée comme un impératif absolu. Nous sommes satisfaits bien sûr de voir augmenter des budgets comme ceux de la ville, de la justice, de l'emploi et de la solidarité. Nous reviendrons au cours du débat sur les mesures concernant l'éducation et la sécurité.

Je conclurai sur l'Europe. Les parlementaires du MDC partagent la volonté du Premier ministre de soutenir fortement la croissance en Europe.

L'arrivée au pouvoir des sociaux-démocrates allemands devrait faciliter la mise en oeuvre d'une nouvelle politique économique et monétaire européenne. Nous demandons au Gouvernement d'agir pour une meilleure coordination des politiques budgétaires nationales en faveur de la croissance et de l'emploi. Nous insistons à nouveau pour une sortie du pacte de stabilité, et pour un gouvernement économique européen qui permettrait un retour en force du politique et l'affirmation de son primat sur les autorités monétaires. Bien entendu les déclarations de M. Oskar Lafontaine en faveur d'une baisse des taux et son rappel à l'ordre adressé à M. Tietmeyer ne peuvent que nous réjouir.

M. Alain Barrau - Très bien !

M. Roland Carraz - Nous approuvons la proposition française d'un grand emprunt européen au service des grands travaux. Quelle est à ce sujet la position actuelle du Gouvernement ? Il nous a semblé qu'hier, à Bruxelles, le Premier ministre s'était tenu un peu en retrait de ses déclarations antérieures.

Plus que jamais la France doit trouver, hors des sentiers battus du libéralisme et des contraintes monétaires, les voies d'une croissance fort créatrice de richesses et d'emplois. Nous souhaitons que le Parlement puisse modifier substantiellement ce projet, pour en faire un levier puissant au service de la croissance, de la consommation des ménages et de l'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. Christian Cuvilliez - Le groupe communiste demande une suspension afin de se réunir.

La séance, suspendue à 11 heures, est reprise à 11 heures 25.

M. Gilbert Gantier - Ce projet de loi de finances est mal préparé, mal orienté et inadapté. Il a été élaboré dans la précipitation. Afin de museler une majorité plurielle ombrageuse et de mettre un terme aux surenchères des communistes et des Verts, le Gouvernement en a arrêté le cadre dès le mois de juin et a annoncé en plein coeur de l'été le montant des dépenses prévues et les principales mesures fiscales.

Elaboré au printemps, ce budget apparaît aujourd'hui déconnecté des réalités et inadapté à la situation économique qui a évolué de manière considérable depuis lors. La multiplication des crises financières et les risques de déflation lui ont donné un coup de vieux avant même son adoption.

Dans l'euphorie du printemps, le Gouvernement a tablé sur une croissance de 2,7 %, un haut niveau de consommation et une forte augmentation des investissements. En juin, ce scénario semblait optimiste. Il paraît aujourd'hui surréaliste.

Tous les instituts de conjoncture ont revu leurs prévisions de croissance à la baisse : elle ne devrait pas, selon eux, dépasser 2,4 %. Comment en effet la crise qui s'est étendue de l'Asie à l'Amérique latine en passant par la Russie et l'Europe centrale ou le ralentissement de l'économie britannique pourrait-elle n'avoir aucun effet sur l'économie française ? Comment s'imaginer que les crises françaises à répétition puissent n'avoir aucune incidence sur les entreprises et sur les consommateurs ? La France n'est pas une île qui vivrait en autarcie Les risques de contagion de la crise sont élevés, mais par refus de vous déjuger, vous avez décidé de conserver un taux de croissance surévalué pour 1999 afin de justifier l'augmentation des charges publiques. Certes, comme vous, je souhaite que le taux de croissance atteigne 2,7 %, voire le dépasse ! Mais la prudence aurait dû vous conduire à rebâtir un budget sur une base plus crédible.

L'exécution de ce budget va se révéler un exercice difficile.

Plusieurs députés socialistes - Cela ressemble à vos arguments de l'an dernier !

M. Gilbert Gantier - 1999 risque de ce fait de nous rappeler de mauvais souvenirs. En 1992, alors que la plupart des instituts de conjoncture prévoyaient une récession, le Gouvernement socialiste avait tablé, pour 1993, sur un taux de croissance de 2,6 %.

Mme Nicole Bricq - Comparaison n'est pas raison !

M. Gilbert Gantier - Or que s'est-il passé ? Le PIB a diminué de 1,3 %, d'où un dérapage budgétaire de 200 milliards. En quelques mois le déficit de l'Etat est ainsi passé d'une petite centaine de milliards de francs à plus de 340 milliards. Si la France a une dette publique de 4 000 milliards de francs, c'est largement dû à l'insouciance qui caractérisa la gestion des finances publiques entre 1991 et 1993 (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Il a fallu à l'ancienne majorité du courage (Mêmes mouvements) pour réduire de moitié le déficit public : il est ainsi passé de 6 % du PIB à environ 3 % en 1997, alors que la croissance économique restait faible en France comme à l'étranger.

Si la reprise vacille, où en serons-nous à la fin de l'année prochaine ? Connaîtrons-nous un nouvel emballement de la dette publique ?

Le risque de dérapage est d'autant plus élevé que votre projet de budget est mal orienté. Vous avez, par facilité, choisi de laisser filer les dépenses de l'Etat et de gaspiller ainsi les fruits d'une croissance qui, dans notre pays, pour des raisons structurelles bien connues, ne dure jamais très longtemps. Contrairement à nos partenaires, vous n'avez pas utilisé les plus-values fiscales générées par la croissance pour réduire drastiquement le déficit et pour diminuer les impôts. Comme en 1998, les dépenses de l'Etat augmenteront plus vite que l'inflation -un point de plus.

C'est le résultat de l'accumulation de mesures dangereuses pour notre pays : les 35 heures, qui coûteront aux contribuables 9 milliards de francs l'année prochaine, les emplois-jeunes qui absorberont plus de 8 milliards de francs de crédits, au total plus de 55 milliards de mesures nouvelles.

En contrepartie, vous affirmez diminuer le déficit de 20 milliards, ce qui le portera au mieux à 2,7 % du PIB : la France restera ainsi au dernier rang des pays de l'euro !

Les périodes de croissance servent, chez les bons gestionnaires, à réduire les déficits et à entreprendre des réformes de structure. Vous avez préféré jouer la cigale. De ce fait, les Français n'ont tiré aucun profit de la croissance.

M. Gilbert Meyer - Très juste !

M. Gilbert Gantier - Vous avez augmenté les impôts en 1997 et en 1998 et vous les augmentez en 1999 (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Certes, vous annoncez régulièrement de petites baisses pour maquiller les hausses d'impôt. Mais vos mesures d'allègement sont homéopathiques et les augmentations certaines.

M. Pierre Forgues - Il rejète le faux et il finit par croire que c'est vrai !

M. Gilbert Gantier - Vous grommelez sans cesse, mais ne dites rien de précis !

Il est prévu de diminuer de façon très minime le taux de la TVA sur quelques produits.

L'impôt sur le revenu va au contraire s'alourdir avec la diminution du plafond du quotient familial. Vous justifiez cette mesure par le rétablissement des allocations familiales sans plafond de ressources. Mais 400 000 familles moyennes vont être pénalisées par cette mesure, notamment les familles n'ayant qu'un enfant et les personnes seules élevant un enfant.

En juillet, vous vous êtes félicités de régler le problème récurrent de la taxe professionnelle en supprimant la part salariale. Mais c'est un cadeau en trompe l'oeil car il s'accompagne d'une kyrielle d'augmentations de taxes et de cotisations : augmentation de la cotisation minimale et de la taxe de péréquation, suppression de la réduction pour impôt et investissement, modification du calcul du plafonnement de la taxe professionnelle, relèvement de la taxe sur les bureaux. Le Gouvernement reprend donc largement d'une main ce qu'il a parcimonieusement donné de l'autre.

L'augmentation des barèmes et l'élargissement de la base de la taxe sur les bureaux en Ile-de-France, qui alourdira à terme les prélèvements des entreprises de 1,2 milliard, est une mesure très dangereuse qui provoquera des délocalisations à l'intérieur du territoire et vers l'étranger.

En surtaxant les entrepôts en Ile-de-France, le Gouvernement incite les entreprises à les installer ailleurs, ce qui aboutira à accroître les transports de camions sur moyenne distance, au détriment de la protection de l'environnement. Cela remettra en cause le rôle des aéroports de Paris comme place internationale avec comme conséquence, la suppression de centaines d'emplois.

En taxant si fortement les entreprises parisiennes, le Gouvernement démontrera le bien-fondé de la courbe de Laffer : la matière taxable disparaît au fur et à mesure que la taxation augmente.

Au nom du symbole que représente l'ISF, le Gouvernement a décidé d'alourdir la pression fiscale sur ce qu'il nomme les contribuables privilégiés. Mais, cette catégorie est en voie de disparition à force de pratiquer le matraquage fiscal. D'ailleurs, le Gouvernement l'a compris en essayant de limiter les expatriations fiscales.

Le Gouvernement fait fausse route. C'est peut-être triste pour certains, mais, plus il y a de riches dans un pays, plus les recettes fiscales augmentent et plus il y a de créations d'emplois. Nos voisins l'ont compris.

Malheureusement ce Gouvernement privilégie le partage de la pauvreté au détriment de la création de richesse.

Ce projet de budget prépare mal la France à l'euro, qui deviendra à partir du 1er janvier prochain la monnaie des onze pays qualifiés. Aucune baisse tangible d'impôt n'est engagée au moment où l'Allemagne sociale-démocrate suit l'exemple déjà donné par les travaillistes anglais en réduisant impôts et charges publiques.

Chez nous, l'écart entre les deux taux de TVA n'est pas réduit, ce qui pénalise de nombreux secteurs d'activité. L'impôt sur le revenu demeure toujours aussi complexe et anti-économique et la famille apparaît comme le parent pauvre de votre politique.

Pour toutes ces raisons, je voterai contre ce budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR)

M. Alain Barrau - Les chiffres prévus pour 1998, dont la droite disait qu'ils ne seraient pas atteints, ont été dépassés. La croissance a été de 3,1 %.

Néanmoins, comme le ministre, restons modestes dans la présentation de ce budget, en raison de la crise internationale -même si nous en sommes en partie protégés par l'euro.

Mon intervention portera sur un seul point : un amendement présenté par la commission tendant à abaisser la TVA dans le secteur de l'entretien des logements. C'est un enjeu essentiel pour notre économie.

L'augmentation de la TVA réalisée sous le gouvernement Juppé a été une grave erreur politique et économique, même la droite le reconnaît. Il faut trouver les moyens de la baisser à nouveau et là-dessus il peut y avoir un terrain d'entente avec l'opposition. ("Tout à fait !" sur les bancs du groupe UDF)

Depuis deux ans ont été opérées des baisses ciblées représentant un total de 10 milliards. Mais nous vous proposons d'aller plus loin. Trop souvent, on invoque la règle communautaire ou on renvoie au débat avec nos partenaires européens pour refuser d'agir de façon volontariste. Or il apparaît désormais possible de faire sauter ce verrou : grâce à la France, des évolutions se dessinent après le sommet de Luxembourg et l'Europe pourrait ne plus se borner à être un marché ou une zone monétaire uniques, pour devenir un acteur de la croissance. Déjà, après nous être battus au sein du Conseil des ministres européens, nous avons obtenu des "plans nationaux pour l'emploi", qui ont été examinés en partie à Cardiff et le seront à nouveau à Vienne. Mais, en outre, la Commission elle-même a avancé des propositions en faveur d'une baisse de la TVA dans le secteur du logement : saisissons donc cette balle au bond et montrons la détermination du Gouvernement et de la représentation nationale sur ce sujet ! Notre économie et nos finances ne s'en porteront que mieux et l'image de la gauche plurielle, qui se bat pour réorienter la construction européenne dans un sens plus favorable à l'emploi, y gagnera.

Il existe un autre élément propice : alors que les propositions du Livre blanc de Jacques Delors n'ont pu jusqu'ici se concrétiser faute de volonté politique, le Premier ministre vient de relancer l'idée d'un emprunt européen, pour financer de grands travaux.

Il apparaît donc possible de se servir de l'Europe pour obtenir des baisses de TVA dans les secteurs créateurs d'emplois et pour lancer des travaux que nous ne pourrions financer à l'échelon national. Une telle politique réorienterait effectivement la construction européenne, faisant de la lutte contre le chômage l'objectif central, maintenant que l'union monétaire est acquise (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gérard Bapt - Très bien !

M. Yves Deniaud - Avec sa modestie et sa retenue coutumières, M. Strauss-Kahn nous a donné hier une leçon d'économie. J'ai particulièrement apprécié cette justification d'une dépense publique excessive -le raisonnement est nouveau et sans doute sans équivalent en Europe- : en période de croissance soutenue, dit le ministre, trop réduire les déficits risque d'abréger cette croissance ! J'avoue ma perplexité : si l'on ne met pas à profit les périodes fastes pour se rapprocher de l'équilibre, quand le fera-t-on ? J'admettrais qu'on augmente les dépenses si nous étions dans la situation des Etats-Unis ou de l'Irlande, et que nous ayons à choisir entre utiliser l'excédent budgétaire pour réduire le stock de la dette et l'utiliser afin d'accélérer une croissance donnant des signes de ralentissement, mais nous en sommes bien loin. Nous sommes les derniers de la classe de l'euro pour le déficit et nous allons encore emprunter plus que nous n'aurons remboursé.

Nous sommes tout près, dites-vous, d'une stabilisation de la dette publique. Effectivement, il ne manque que 0,2 point de PIB pour y parvenir, soit 17 milliards. Mais, dès lors, pourquoi ne pas consentir cet effort dès l'an prochain ? Les plus doctes théories ne peuvent aller contre le bon sens populaire : lorsqu'on est endetté depuis longtemps, toute rentrée d'argent inespérée doit être mise à profit pour rembourser, afin de ne pas être étranglé quand viendra un autre revers de fortune. Au lieu de réduire les impôts de 16 milliards -baisse au demeurant hypothétique comme M. Carrez l'a démontré hier-, le déficit de 20 et d'augmenter les dépenses de 37 à 40 milliards, il eût été préférable de réduire le déficit de 40 milliards et les impôts de 30, en consacrant quelques milliards à une augmentation de la seule dépense publique d'investissement.

Le prédécesseur de M. Strauss-Kahn, premier à organiser un débat d'orientation budgétaire, nous avait remis à cette occasion un document présentant le budget de l'Etat comme l'est celui des collectivités locales : le volume total des sommes empruntées par l'Etat pour rembourser le capital et les intérêts de la dette y ressortait nettement. Il serait utile de nous le fournir à nouveau, car nous ne disposons habituellement que de renseignements sur la charge de l'intérêt.

Si toute l'opposition insiste sur la nécessité de réduire les déficits, c'est parce qu'elle a tiré les leçons de l'histoire récente : n'ayant pas tiré profit de la période forte 1988-1990 pour assainir notre situation, nous avons souffert plus que nos voisins lorsque la conjoncture s'est retournée. Ce qui s'est produit peut se reproduire, d'autant que les nuages s'amoncellent, qu'on ne dissipera pas en insultant l'opposition !

Ne pas augmenter les dépenses publiques est difficile, mais, quand l'inflation n'est que de 0,7 %, cela peut être plus aisément admis. Vous vous y êtes refusés, accroissant ces dépenses de 2,3 % -soit trois fois l'inflation ! Pis, cette augmentation profite surtout aux dépenses de fonctionnement, celles qui reviennent chaque année et qu'il est donc le plus malaisé de remettre en cause. En revanche, les dépenses d'investissement civil tombent à 72 milliards, soit 4,5 % seulement du budget total. C'est dérisoire ! L'Etat n'équipe plus la France. Déjà, l'an dernier, pour la première fois, les dépenses d'investissement des collectivités locales, de 118 milliards, dépassaient celles de l'Etat, investissements civils et militaires confondus !

M. Didier Migaud, rapporteur général - A qui la faute ?

M. Yves Deniaud - Je n'exonère pas notre majorité. Il s'agit, hélas, d'une constante de la politique française. Et, l'an prochain, il y aura une baisse de 0,3 % : vous ne faites rien pour corriger la situation.

Notre Etat devient de plus en plus une machine à enseigner -de moins en moins bien-, à réglementer, à contrôler, à inspecter, sans, en contrepartie, contribuer au dynamisme de la construction ou à l'amélioration du cadre de vie.

De plus, il n'honore pas sa signature ! Les contrats de plan auront duré six ans au lieu de cinq -la décision a été prise, je le reconnais, par le gouvernement Juppé- et, pourtant, les investissements routiers n'auront été financés qu'à 81 % et les investissements portuaires à 55 %. Tout cela n'est pas de bon augure pour les nouveaux contrats ! Au contraire, en 1993, un collectif budgétaire avait soldé ces contrats, alors qu'un déficit prévu de 165 milliards nous aurait fourni une bonne excuse pour agir autrement !

Je ne crois pas et je ne souhaite pas que nous connaissions l'an prochain la même effroyable récession qu'en 1993. Cependant, faute pour vous d'avoir saisi l'occasion d'un assainissement, je crains bien que l'activité économique et l'emploi ne souffrent fort, lorsque viendra l'inéluctable baisse de la croissance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jean-Pierre Brard - Ce projet comporte un article 36, relatif aux fonds des caisses d'épargne : or, malgré ce qui est annoncé depuis plusieurs mois, le Parlement n'a toujours pas débattu du devenir de cette institution !

Moderniser notre système financier, le démocratiser, le rendre plus transparent sont des nécessités, comme le prouve l'exemple du Crédit Lyonnais. Ce n'est malheureusement pas de cela qu'il s'agit avec cet article, sur lequel nous reviendrons donc.

Plus généralement, le Gouvernement semble avoir opté pour une restructuration "impressionniste", procédant par petites touches sans nous donner à voir ni à discuter son esquisse d'ensemble -que des expériences malheureuses permettent cependant de deviner. La situation exigerait mieux : notre système financier n'est plus apte à soutenir une croissance durable. Une concurrence forcenée empêche les solidarités indispensables, et le dumping sur le crédit. Comme l'a dit une personnalité éminente de ce milieu, "nous allons tous dans le mur, mais en espérant que les autres, y arrivant avant nous, nous sauveront" !

Le culte voué aux critères de rentabilité, la globalisation financière et la place nouvelle du marché étouffent la dynamique du crédit. Pour sortir de cet engrenage, il faut se poser la question des solidarités financières à construire dans l'espace national comme dans l'espace européen.

La France avait un secteur financier public important, qui se réduit comme peau de chagrin. Pourtant, comme l'a souligné le Premier ministre, dans la tourmente financière, c'est vers la puisance publique que se tournent les acteurs économiques. Il y a donc une place pour un pôle public financier, avec une finalité qui soit aussi sociale, notamment dans les domaines du logement, du développement territorial, du financement des petites et moyennes entreprises, de la gestion de la prévoyance et de l'épargne populaire.

Ce secteur financier public ne peut avoir pour seul critère de gestion la recherche de la plus forte rentabilité à court terme. Il doit être organisé sous la forme d'un partenariat stable. Il faut une complémentarité des secteurs public et privé, notamment pour permettre l'émergence d'un prêteur en dernier ressort, assurant une mutualisation des risques.

Un débat est nécessaire, Monsieur le ministre, qui nous a été refusé jusqu'ici. Certes, nous avons eu des réponses lénifiantes de M. Strauss-Kahn, toujours d'accord pour débattre et il est vrai que sa conversation est agréable, mais pour débattre avec la commission des finances, c'est-à-dire dans la discrétion, et sans engager ni le Gouvernement ni la représentation nationale. Nous demandons instamment, avant le débat sur la réforme des caisses d'épargne -le seul qui aura lieu, les autres sujets étant réservés aux discussions de cabinet avec vue sur Notre-Dame...

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - Et sur Montreuil !

M. Jean-Pierre Brard - En effet.

Il faut une réflexion d'ensemble sur le secteur financier, car on ne peut s'en tenir au débat entre M. Strauss-Kahn et M. Van Miert sur les modalités de privatisation du Crédit lyonnais : il faut réfléchir au rôle du secteur bancaire pour l'emploi, pour l'aménagement du territoire, et cela dans le cadre d'une coopération nationale et européenne. On ne peut tout laisser à un marché unique où seul importe le taux de rentabilité, sans considération pour la question du chômage. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

M. Pierre Hériaud - Le projet de budget pour 1999 est présenté avec un triple objectif : conforter durablement la croissance et l'emploi, approfondir la solidarité, alléger les prélèvements.

C'est donc un beau projet, mais qui risque de ne pas "tenir" les objectifs annoncés. Sur quelle marge de manoeuvre s'est-on fondé ? 16 milliards pour l'accroissement de la dépense publique, 16 milliards pour l'allégement de la fiscalité, 21 milliards de réduction du déficit budgétaire.

A cela s'ajoutent des rebudgétisations -en réalité neutres- pour 23,5 milliards, dont 60 % concernent la contribution aux charges de pension de la Poste.

Le budget prévoit un déficit de 236,5 milliards, soit 2,68 % du PIB. Mais, il n'est pas du tout certain que la croissance atteigne les 2,7 % prévus. Or, un point de croissance représente 15 milliards pour le budget de l'Etat.

Ce budget est-il adapté à la situation économique ? Non, car rien n'a changé dans vos hypothèses malgré la crise asiatique. Quelle sera l'évolution des prix ? Quelle sera la croissance ? Quel sera le cours du dollar ? Nul ne le sait. Or, avec un point de croissance en moins, le déficit augmente de 0,5 point.

Au reste, ce projet de loi relève de l'art du tango, avec des "pas avant et des pas arrière", les réductions d'impôt étant compensées par des taxations nouvelles. Plus grave, les corrections apportées sont dues moins à des amendements parlementaires qu'à des négociations de couloir. C'est la presse qui nous informe, ce matin, du nouveau contenu de l'article 24, alors que la commission des finances se réunira tout à l'heure.

Ce budget intègre les promesses faites par le Gouvernement au fil de l'eau, mais il ne marque pas de volonté de rupture avec le "toujours plus" de dépenses publiques. Encore convient-il de vérifier les chiffres.

Voyez les emplois-jeunes. Il y en avait 89 000 le 30 septembre, et on en attend 150 000 pour le 31 décembre, 250 000 pour le 31 décembre 1999.

Or, le budget comporte une dotation de 13,9 milliards, alors qu'il en faut déjà 13,8 pour financer en 1999 les emplois-jeunes constatés le 31 décembre 1998. Comment financera-t-on les 100 000 emplois supplémentaires annoncés pour l'année prochaine ?

M. Jean-Jacques Weber - C'est très intéressant.

M. Pierre Hériaud - La croissance de l'emploi ne se réalise bien que par les entreprises qui créent de la valeur ajoutée. Or, leur compétitivité exige qu'on abaisse les charges sociales sur les salaires les moins élevés. Les mesures de l'article 29 sont bonnes, mais partielles : il faudrait une "remise à plat" de la taxe professionnelle.

Si la compensation prévue en 1999 pour les collectivités locales est une bonne chose, qu'en sera-t-il pour les années suivantes ? J'ai bien entendu la comparaison des 10,5 et des 12 % de DGF, mais c'est une référence du passé.

La gestion des collectivités locales ne peut s'accommoder ni d'autant d'imprécisions ni d'un surcroît de dépendance vis-à-vis de l'Etat.

Les collectivités locales sont globalement bien gérées, elles investissent chaque année davantage que ne le fait l'Etat, et leur capacité nette de financement a été nécessaire pour satisfaire aux critères de Maastricht en matière de déficit budgétaire.

Enfin, l'épargne des Français ne doit pas être rebutée par la fiscalité. La parole de l'Etat doit être absolument respectée.

En conclusion, le triple objectif affirmé n'est pas porté par un souffle puissant et ce budget est banal, n'offrant pas d'inflexion majeure, alors que la période offrait quelques possibilités. La France restera au nombre des pays ayant les plus forts prélèvements obligatoires et l'endettement va continuer de s'accroître. Nous ne pouvons que souhaiter que le débat permette d'améliorer sensiblement le projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

M. Gérard Bapt - Les dépenses du budget général progresseront de 1 % en volume, soit 37 milliards.

Cette évolution représente un bon compromis entre deux impératifs : la réduction du déficit et de la dette ; le financement des priorités du Gouvernement et de sa majorité, c'est-à-dire des actions qui traduisent la volonté politique, qui s'est exprimée lors des élections législatives -emplois-jeunes, lutte contre les exclusions, enrichissement du contenu de la croissance en emplois.

Ce budget prolonge l'action de rééquilibrage des prélèvements sur le travail et sur le capital, ainsi que l'action de solidarité en direction des ménages les plus modestes. Il vise à consolider la consommation intérieure et l'investissement des entreprises, devenus le ressort de la croissance depuis que l'économie mondiale s'est dégradée.

A cet égard, les dernières prévisions de l'INSEE, évaluant la croissance à 3 % pour 1998, sont rassurantes pour cette année, mais traduisent également une décélération sur le dernier trimestre, ce qui incite à interroger sur la prévision pour 1999 : 2,7 % ou un peu moins ? Ce taux dépendra de deux facteurs : l'environnement monétaire international et la dépréciation du dollar -particulièrement sensible dans le secteur aéronautique. Or si le passage à l'euro a protégé l'Europe de fluctuations internes, le taux de change du franc et du mark s'est apprécié de 7 % en 12 mois, et le dollar bien davantage.

De quels moyens disposez-vous pour neutraliser ce mouvement ? L'Europe politique en a-t-elle la volonté, et aussi la capacité face à la Banque centrale européenne ? Par rapport au dollar, cette dernière adoptera-t-elle une attitude pragmatique, conforme aux nécessités de la croissance et de l'emploi, ou une attitude dogmatique au service d'un super-euro ?

Les déclarations de M. Duisenberg, hier, écartant les souhaits de baisse de taux exprimés par les gouvernements français et allemand, laissent mal augurer de l'avenir ! Après M. Trichet, faut-il craindre M. Duisenberg ? Aujourd'hui, l'Europe majoritairement social-démocrate est placée au pied du mur.

Le second facteur qui commande le niveau de croissance en 1999 est la confiance manifestée par les chefs d'entreprises. Avec un taux de 5 % à 7 %, l'investissement est reparti en 1998, sans combler pour autant le retard accumulé. N'oublions pas, néanmoins, que la productivité du capital utilisé a sensiblement augmenté depuis 1993, ce qui donne du grain à moudre dans les négociations sociales sur l'aménagement du temps de travail.

De nombreux indices laissent croire à une reprise durable et soutenue de l'investissement. La mesure relative à la base salariale de la taxe professionnelle apparaît comme un appel significatif à la confiance et au dynamisme des chefs d'entreprises, même si l'effet de cette mesure devra être précisément évalué, comme nous le demandons au Gouvernement.

Pour conforter le secteur du BTP, qui en a bien besoin, nous vous proposons d'élargir le crédit d'impôt accordé au titre des travaux réalisés au domicile.

La demande extérieure, qui tire désormais la croissance, dépend avant tout de la confiance des ménages, actuellement à un niveau élevé. Les baisses ciblées de TVA que nous proposons tendent à le maintenir en 1999.

S'agissant de la TVA, je m'inquiète de la situation des activités de services à domicile, qui emploie plus de 400 000 personnes, deux fois plus qu'en 1992. Or, dans ce secteur, l'essentiel des prestations est fourni par des associations, les entreprises n'occupant qu'une place très marginale, en raison principalement du taux de TVA de 20,6 % qui leur est applicable, et que ne supportent pas les associations. Abaisser ce taux réduirait la distorsion de concurrence, et l'emploi y gagnerait.

Le rapport Malinvaud et l'article 29 relatif à la part salariale de la taxe professionnelle mettent en évidence la question du coût du travail. La réforme de la taxe professionnelle aura, avez-vous indiqué, un fort effet sur l'emploi. En outre, le budget du travail et de l'emploi comporte 43 milliards au titre de la ristourne dégressive sur les bas salaires, soit une hausse de 4 milliards. On le voit, le consensus existe pour abaisser le coût salarial du travail peu qualifié, en particulier dans les services. Faut-il accentuer cet effort dans les prochaines années, et sous quelle forme ? Le Gouvernement devra répondre, et l'Assemblée est prête à débattre. Deux points sont acquis. D'abord, le coût moyen de la main-d'oeuvre dans l'industrie place la France dans une position médiane, ce qui doit conduire à repousser la revendication de l'UIMM d'allégement par une franchise applicable à l'ensemble de l'échelle des salaires. Ensuite, la compétitivité des pays les plus développés dépend non seulement du coût de la main-d'oeuvre, mais aussi de la qualité des produits et de la qualification des salariés, ainsi que de l'innovation. Or, si la France occupe le 4ème rang mondial pour la recherche, elle n'est qu'au 9ème rang pour le dépôt de brevets. Alors que les débats publics portent principalement sur la question des charge sociales, celle de l'innovation ou du capital-risque est trop souvent esquivée. En prenant en compte les propositions du rapport Guillaume, le Gouvernement a montré toute l'importance qu'il attache à ce sujet.

Voilà pourquoi le groupe socialiste soutient votre politique économique et sociale, tout en proposant des amendements destinés à améliorer ce bon budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Gilbert Meyer - La conjoncture économique, en France, est plutôt favorable, si bien que le taux de croissance devrait atteindre environ 2,7 % l'an prochain, grâce à la consommation des ménages et à l'investissement des entreprises.

Nous récoltons ainsi le fruit des efforts réalisés par les gouvernements précédents. Il fallait les mettre à profit pour accentuer l'embellie. Or, plutôt qu'une véritable réforme, vous vous bornez à de petits aménagements, si bien que notre pays continue à être asphyxié par sa fiscalité, toujours plus lourde.

Grâce à une situation favorable, vous auriez pu engager l'an prochain un allégement de la fiscalité. Or nous ne constatons qu'un saupoudrage de mesures insignifiantes, tandis que le train de vie de la maison France s'alourdit.

La suppression de la taxe professionnelle sur les salaires, que vous placez au pinacle, est neutralisée par les autres ajustements envisagés. On comprend les inquiétudes des collectivités locales.

Relèvement du taux de l'ISF, pénalisation de l'assurance-vie, limitation de l'avoir fiscal pour les placements des entreprises, où est la justice sociale dont vous vous prévalez ? La France est déjà le pays d'Europe le plus imposé. Vos mesures risquent de susciter une fuite des capitaux. L'épargne des Français a été suffisamment malmenée, en particulier dans le domaine de l'assurance-vie. En 1998, l'exonération fiscale pour les contrats de plus de 8 ans a été annulée, et leurs revenus ont été taxés. On voudrait maintenant, sous prétexte de moralisation, spolier les épargnants en supprimant l'exonération de droits de succession. Cette mesure est d'autant plus inacceptable qu'elle s'appliquerait aux contrats en cours. Si l'Etat peut revenir si facilement sur sa parole, ne nous étonnons pas que les Français fassent de moins en moins confiance à leurs gouvernants.

Votre projet de budget nous éloigne beaucoup des promesses de 1997. Les Français auraient pourtant mérité un meilleur emploi des fruits de la croissance, en particulier par une réduction de la pression fiscale. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 30.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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