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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 9ème jour de séance, 21ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 14 OCTOBRE 1998

PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1

    ASSURANCE VIE 1

    TRIBUNAUX DE COMMERCE 2

    LYCÉES 2

    PROCESSUS DE PAIX ISRAELO-PALESTINIEN 3

    PRÊTS PAP DU CRÉDIT FONCIER 3

    ACCORD MULTILATÉRAL SUR LES INVESTISSEMENTS 4

    CONCENTRATIONS DANS L'INDUSTRIE AÉRONAUTIQUE 5

    PRÉVENTION ET SANCTION DE LA DÉLINQUANCE JUVÉNILE 6

    POLITIQUE MONÉTAIRE 6

    CRÉDIT FONCIER DE FRANCE 7

LOI DE FINANCES POUR 1999 (suite) 8

La séance est ouverte à quinze heures.


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

ASSURANCE VIE

M. Marc Laffineur - En l'espace d'une semaine, le groupe DL et l'ensemble de l'opposition ont remporté deux victoires sur la majorité (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Après notre victoire, vendredi, sur le PACS, due au manque de conviction et de mobilisation du groupe socialiste, le Gouvernement vient de renoncer à modifier rétroactivement le régime fiscal de l'assurance vie (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). C'est une deuxième victoire pour DL et pour l'ensemble de l'opposition (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), qui s'est battue avec insistance pour défendre dix millions de Français que vous entendiez spolier, au mépris de la parole de l'Etat, du principe de non-rétroactivité et du principe d'égalité devant l'impôt. Cela fait quarante ans que les gouvernements successifs, à la suite d'Antoine Pinay (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), s'efforcent d'inciter nos concitoyens à modifier leurs habitudes d'épargne au profit de l'assurance vie, et vous avez voulu trahir cette confiance, en cachant, qui plus est, votre dispositif dans un article censé "moraliser" l'assurance vie, et dont le retrait constitue, en lui-même, un aveu ! Etes-vous prêt à reculer sur d'autres sujets, sous la pression de DL et de l'ensemble de l'opposition ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et sur plusieurs bancs du groupe du RPR ; exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - Vous vous trompez de cible, car notre propos est bien de moraliser l'assurance vie, mais vous avez bien fait de citer Antoine Pinay, car la "rente Pinay" a longtemps été utilisée pour échapper à l'impôt sur les successions... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) De même, l'assurance vie est utilisée aujourd'hui pour exonérer de droits de grosses successions, et c'est pourquoi le Gouvernement a fait la proposition dont vous parlez. Comme elle pouvait poser un problème de constitutionnalité (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL), il s'en est remis à la sagesse de la commission des finances et de son rapporteur général (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), mais le nouveau dispositif permettra d'atteindre le même objectif, de façon juridiquement incontestable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

TRIBUNAUX DE COMMERCE

M. Jacky Darne - Les travaux de la commission d'enquête sur les tribunaux de commerce ont fait ressortir l'importance des conséquences des décisions prises par ces juridictions sur le développement économique et sur l'emploi. Ils ont également fait apparaître de graves défaillances dans la façon dont est rendue la justice commerciale dans notre pays, et préconisé une réforme ambitieuse, comportant notamment l'introduction de l'échevinage, la redéfinition de certaines fonctions telles que celle de greffier, d'expert, d'administrateur judiciaire ou de mandataire-liquidateur, ainsi que l'amélioration des procédures de prévention, de redressement et de liquidation. Le Gouvernement entend-il reprendre ces propositions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Vous avez raison de souligner que la justice commerciale et, au-delà, l'ensemble de notre droit économique, appellent une réforme profonde et urgente, visant à prévenir plus efficacement les difficultés des entreprises, à mieux protéger les intérêts des salariés et des créanciers, à lutter contre la délinquance économique et financière et à faire en sorte, plus généralement, que le cadre juridique ne soit plus une entrave au développement économique.

Le rapport conjoint de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale des services judiciaires et celui de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale ont mis en lumière certaines pratiques douteuses, voire frauduleuses, sans mettre en cause, cependant, l'honorabilité de l'ensemble des juges consulaires, qui sont bénévoles, et dont beaucoup font très bien leur travail.

J'ai fait, au conseil des ministres de ce matin, une communication en vue d'une réforme globale, comportant l'introduction de magistrats professionnels dans les tribunaux de commerce et de magistrats consulaires dans les cours d'appel, la refonte de la carte judiciaire, la définition d'un véritable statut des juges de commerce et des professions auxiliaires -régime des incompatibilités et des conflits d'intérêts, application effective des sanctions disciplinaires, transparence des tarifs, contrôle des pratiques- et la simplification des lois relatives à la prévention des difficultés des entreprises. Le Gouvernement est donc déterminé à entreprendre une réforme d'envergure, qui s'attaquera aux vrais dysfonctionnements de la justice consulaire sans pour autant jeter l'opprobre sur l'ensemble de ceux qui la rendent (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

LYCÉES

M. Philippe Vuilque - Les lycéens ont à nouveau manifesté hier. Vous avez annoncé ce même jour, Monsieur le ministre de l'éducation nationale, de premières mesures concrètes (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), mais ils restent en attente d'une amélioration rapide de leurs conditions d'études, lesquelles ont été révélées par la consultation du printemps sur la réforme des lycées. Pouvez-vous nous donner quelques précisions supplémentaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - Comme je l'ai dit hier, nous avons pris les mesures permettant de mettre en place les comités de la vie lycéenne au sein des établissements. Quant à l'allégement des programmes, il sera entrepris après la Toussaint (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Quant au problème de fond, celui de l'inadéquation des moyens aux attentes, une réponse lui a été apportée ce matin au conseil des ministres, ainsi qu'au Journal officiel, où est enfin paru le décret déconcentrant la gestion des personnels (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe RPR).

PROCESSUS DE PAIX ISRAELO-PALESTINIEN

M. Jean Besson - Demain doit se tenir aux Etats-Unis une réunion au sommet entre MM. Clinton, Arafat et Netanyahou, afin de relancer, une fois de plus, le processus de paix au Proche-Orient, mais hier une nouvelle vague de violence a secoué la région : deux Palestiniens ont tué un Israélien à Hébron, et un Palestinien a été blessé dans une explosion en Cisjordanie, de sorte que le Premier ministre israélien a annoncé que tout accord était exclu.

Politiquement, les positions se durcissent au sein de l'OLP comme du gouvernement israélien, où Ariel Sharon vient de devenir ministre des affaires étrangères. Quelles sont les chances de succès du nouveau Sommet ? Que peut faire la France pour aider au nécessaire redémarrage du processus de paix ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - La France a soutenu depuis des mois, par ses déclarations et par des initiatives constantes, la reprise du processus de paix, malheureusement arrêté. Elle a soutenu l'engagement des Etats-Unis en le complétant par son action propre. Aujourd'hui surgissent de nouvelles difficultés, alors qu'on pouvait espérer, à l'occasion de la rencontre aux Etats-Unis, une relance certes modeste puisqu'on parle d'un retrait de 13 % alors qu'il devrait atteindre 30 à 40 % d'après les accords d'Oslo. Des obstacles ont surgi, ce qui n'est pas étonnant, car de part et d'autre il existe des forces déterminées à empêcher la reprise du processus, sous prétexte de sécurité. Mais quand on pense, comme nous, que la sécurité ne peut exister durablement que par la reprise du processus et sa poursuite jusqu'à ce que soit établie et consolidée la cohabitation entre les deux peuples, on ne saurait admette que de tels prétextes paralysent cette reprise, qui n'est pas aussi satisfaisante qu'on pourrait le souhaiter, mais dont le Proche-Orient a impérieusement besoin. La France sera au côté des protagonistes de bonne foi pour relancer et consolider le processus. On ne peut pas encore désespérer de la prochaine rencontre : il n'est pas totalement impossible qu'elle aboutisse à des résultats (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste).

PRÊTS PAP DU CRÉDIT FONCIER

M. Albert Facon - Les dispositions gouvernementales qui permettent l'aménagement des prêts PAP à taux fixe souscrits auprès du Crédit foncier de France et du Comptoir national des entrepreneurs, issues du décret du 19 mars 1998, posent des problèmes d'application. De nombreux emprunteurs pensaient légitimement bénéficier de tels prêts, puisque l'intégralité de leurs échéances a été réglée auprès du Crédit foncier. Ils étaient persuadés d'avoir souscrit un prêt aidé dans cet établissement. En réalité, dans de nombreux cas, ils ont conclu un contrat préfinancé à 100 % par une autre banque, souvent la BNP, non liée par la convention visée à l'article premier du décret, et pour lequel le Crédit foncier de France n'est engagé qu'à hauteur de 20 %. Il s'agit de familles modestes, qui connaissent des difficultés, et espéraient beaucoup de la mesure gouvernementale, qui permet une négociation à un taux qui n'excède pas 7 %. quand le taux initial dépassait allègrement les 10 %. Les familles aisées ont certainement pu négocier facilement avec leurs banques. Mais celles qui connaissent des fins de mois difficiles, et qui sont peu considérées par les banques, continuent de galérer, d'être victimes de saisies, de voir leurs maisons mises en vente. Les accédants doivent pouvoir bénéficier de la mesure du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - En effet, le 16 janvier, le Gouvernement a annoncé une décision permettant le réaménagement des prêts d'accession à la propriété du Crédit foncier de France et du Comptoir des entrepreneurs. C'était une mesure de justice majeure. De nombreuses familles avaient souscrit des prêts d'accession à la propriété à un taux fixe supérieur à 10 % -l'inflation était alors forte- et dont les échéances augmentaient avec le temps.

Bilan de notre décision : 370 000 familles ont vu leurs charges de remboursement diminuer de 6,5 % en moyenne, et bénéficieront d'ici la fin de leur emprunt d'un allégement total de 27 700 F, sans frais ni allongement de la durée du prêt, contrairement à ce qui eut lieu en 1993. Voilà écarté pour elles le spectre du surendettement.

Mais d'autres organismes avaient pratiqué ces prêts. Ils se divisent en deux groupes. D'un côté le monde HLM et le Crédit immobilier de France nous ont volontairement emboîté le pas, prenant les frais à leur charge : voilà 225 000 familles de plus "sauvées". De l'autre, le Crédit agricole, la BNP et les Caisses d'épargne n'ont pas encore fait ce pas. Le Gouvernement regrette ce refus, qui pénalise des familles modestes, mais il n'a pas autorité pour contraindre ces organismes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

ACCORD MULTILATÉRAL SUR LES INVESTISSEMENTS

M. Robert Hue - Monsieur le Premier ministre, les négociations sur le projet AMI doivent reprendre à l'OCDE le 20 octobre. Chacun se souvient de l'émotion soulevée au printemps dernier par ce projet, qui a suscité un vaste mouvement de protestation de personnalités et d'organismes divers. La fin de non-recevoir du Gouvernement français a fortement contribué à son report, tout comme l'opposition de la France a porté un coup sévère au projet transatlantique dit NTM, concocté par M. Brittan, au nom de la Commission, et par l'administration américaine.

Depuis lors ces tractations ont connu de nouveaux développements. Le 18 mai à Londres, en marge du sommet Europe-Etats-Unis, un arrangement a été conclu. Il inspire une nouvelle mouture du NTM, dite "partenariat économique transatlantique", à l'initiative du même M. Brittan, et qui entérine notamment les lois extraterritoriales américaines. Après plusieurs parlementaires communistes, notamment Jean-Claude Lefort auprès de Mme Lalumière, je souligne notre totale opposition à l'AMI, en raison des menaces qu'il fait peser sur nos choix politiques et sociaux comme sur notre souveraineté. Nous ne saurions cautionner un tel accord, même sous un habillage plus présentable : nous souhaitons son abandon. Pouvez-vous nous faire part des intentions du Gouvernement, à la veille de la reprise des négociations, et nous dire comment vous entendez mener celles-ci dans la transparence, notamment en y associant la représentation nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe du RPR)

M. Lionel Jospin, Premier ministre - En 1995, dans le cadre de l'OCDE, ont été engagées des négociations sur un accord multilatéral sur l'investissement, sans véritable transparence alors comme depuis. En février 1998, quand sont apparus les vrais enjeux et les risques du projet, et quand l'émotion s'est emparée d'une partie de l'opinion en France, mais aussi dans d'autres pays, le Gouvernement, notamment par la voix de M. Strauss-Kahn, a immédiatement posé quatre conditions à la poursuite de la négociation. Tout d'abord, l'exception culturelle : les biens culturels ne sont pas des marchandises. Ensuite, le refus d'accepter dans le mécanisme de l'accord les lois extra-territoriales américaines, dont nous refusons l'application sur notre territoire (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV). Troisièmement, le respect des processus d'intégration européenne. Enfin, celui de normes sociales et environnementales.

En avril 1998, voyant que les choses ne pouvaient être clarifiées, le Gouvernement a demandé et obtenu une suspension des négociations pour six mois, afin de procéder à une évaluation et de consulter la société civile. Fin mai, j'ai chargé Mme Catherine Lalumière, députée au Parlement européen, de mener cette consultation. Durant de longues semaines, dans un remarquable travail, elle a rencontré les organisations non gouvernementales, les associations concernées, les milieux culturels, les organisations syndicales, les représentants des fédérations professionnelles et des entreprises. Mme Lalumière m'a remis son rapport avant-hier. Les conclusions en sont claires. La contestation de ce projet ne porte pas sur des aspects sectoriels ou techniques, mais sur la conception même de cette négociation. Celle-ci pose notamment des problèmes fondamentaux touchant à la souveraineté des Etats, puisqu'ils sont soumis de s'engager de manière irréversible.

Un député UDF - C'est comme Amsterdam !

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Une chose est de procéder à des délégations de souveraineté dans une Communauté qui est la nôtre, et dans un processus contrôlé par les Etats ; autre chose est de concéder des abandons de souveraineté à des intérêts privés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) Mais même du point de vue de nos entreprises -et nous sommes un pays qui investit puissamment à l'extérieur- l'accord pourrait n'avoir qu'un intérêt limité. Certains Etats en effet, et d'abord les Etats-Unis, ont mis des réserves considérables sur le contenu même de cet accord. La position américaine comporte quatre cents pages de réserves, dont celle-ci : l'accord ne pourrait s'appliquer aux Etats-Unis que dans la mesure où il ne remet pas en cause les compétences des Etats fédérés. Or la portion du territoire américain ne relevant pas d'Etats fédérés est plutôt réduite... (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Dans ces conditions, le rapport conclut que l'accord n'est pas réformable. Mme Lalumière propose de rechercher un nouvel accord, d'une architecture différente, dans le cadre de l'OCDE ou de l'OMC.

Je vous annonce que la France ne reprendra pas les négociations dans le cadre de l'OCDE le 20 octobre. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe du RPR) Nous avons commencé à en informer nos interlocuteurs.

La France proposera à ses partenaires de reprendre les négociations sur les problèmes d'investissements sur des bases totalement nouvelles et dans un cadre associant les pays en voie de développement. Ce cadre, à nos yeux, est tout naturellement l'OMC, dont les modes de travail, l'approche progressiste et le caractère universel garantissent un examen sérieux et équilibré.

La France souhaite rester un pays ouvert aux entreprises étrangères et aux investisseurs et elle est soucieuse d'appuyer le développement international de ses propres entreprises. Mais quand on voit les bouleversements récents, hâtifs et parfois irraisonnés, qui ont secoué les marchés, il ne nous paraît pas sage de laisser les intérêts privés mordre trop sur la sphère de souveraineté des Etats. Ceux-ci doivent rester des acteurs majeurs dans la vie internationale.

C'est dans cet esprit que nous reprendrons les discussions et la représentation nationale en sera tenue informée. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV et quelques applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

CONCENTRATIONS DANS L'INDUSTRIE AÉRONAUTIQUE

M. Pierre Lellouche - Ma question s'adresse au Premier ministre, parce qu'elle relève de plusieurs départements ministériels, mais aussi parce qu'elle touche un intérêt national majeur, notre industrie aéronautique.

Tous, nous sommes fiers du travail accompli depuis 40 ans par les grands groupes publics et privés qui ont fait de la France une puissance aéronautique et spatiale.

La situation est cependant en train d'évoluer rapidement du fait des regroupements sans précédent qui ont lieu aux Etats-Unis -Boeing a aujourd'hui un chiffre d'affaires de 275 milliards de francs, soit 3 fois et demie celui du premier groupe européen !- et du fait des restructurations industrielles qu'ils entraînent en Europe.

A côté d'un certain nombre de PME, il y a en Europe trois grands groupes : deux groupes entièrement privés, British Aerospace en Grande-Bretagne, avec un chiffre d'affaires de 83 milliards de francs, et DASA en Allemagne, avec un chiffre d'affaires de 51 milliards, et le groupe français que vous avez, à juste titre, constitué en juillet dernier en réunissant Matra-Haute Technologie et l'Aérospatiale, qui réalise 83 milliards de chiffre d'affaires.

Le problème, c'est que DASA et British Aerospace, qui se sont engagées dans la fabrication de l'avion de combat Eurofighter, ont maintenant annoncé leur intention de fusionner en une entreprise européenne qui serait la base d'un regroupement général de toutes les industries aéronautiques et spatiales européennes. Cela risque de marginaliser totalement notre propre industrie qui, depuis 1985, est engagée dans un projet d'avion de combat différent, et surtout de donner à ces deux groupes une majorité automatique au sein de la société Airbus, portant ainsi un coup mortel au leader ship français sur cette société.

Que faire pour réintégrer la France dans le jeu ? Faut-il, comme l'a suggéré M. Gayssot dans une interview au Financial Times début septembre (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), bloquer la réforme d'Airbus pour éviter la fusion anglo-allemande, au risque de prendre la société Airbus en otage et de compromettre ses projets d'investissements ? N'est-il pas temps de lancer avec vos collègues, M. Blair et M. Schröder, une initiative politique forte et surtout d'accélérer la privatisation d'Aérospatiale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

M. Alain Richard, ministre de la défense - Je reconnais le caractère très objectif de votre question, qui touche effectivement à un domaine majeur.

Au cours de l'année écoulée, ce Gouvernement a pris des décisions qui permettent à nos capacités industrielles de jouer pleinement leur rôle au sein d'un regroupement européen que nous estimons tous souhaitable. Le cadre politique et les objectifs en ont été fixés par la déclaration du 9 décembre 1997.

Il est vrai que des discussions ont lieu entre les trois grands groupes : elles ont d'ailleurs pris un caractère plus dynamique avec la mise en route du processus de fusion Matra-Technologie et Aérospatiale, processus qui s'effectue de façon rapide et positive et s'achèvera en 1999.

Ce rapprochement comporte-t-il des risques pour Airbus ? Si nos partenaires industriels commettaient l'imprudence de vouloir conclure un accord à deux, effectivement il y aurait un risque car tenter d'instituer ainsi une majorité automatique à Airbus mettrait en cause l'équilibre du GIE, ce qui ne pourrait être accepté par la France : c'est exactement ce qu'a dit Jean-Claude Gayssot. Mais ce n'est pas nous qui, alors prendrions Airbus en otage !

Les initiatives politiques que vous appelez de vos voeux sont déjà prises par le Premier ministre à chacune de ses rencontres avec les autorités allemandes et britanniques. Par ailleurs, les négociateurs d'Aérospatiale ont formulé des propositions dynamiques pour parvenir à un accord équilibré. Bien entendu, il y a des annonces de presse, des rumeurs que l'on fait circuler parce que cela fait partie du jeu, mais tous les partenaires savent à quelles conditions peut être structuré un groupe européen bien équilibré, qui serait la réponse la plus efficace aux pressions américaines (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

PRÉVENTION ET SANCTION DE LA DÉLINQUANCE JUVÉNILE

M. Gérard Hamel - Depuis de nombreux mois, des députés de l'opposition proposent de mettre sous tutelle les allocations familiales versées aux parents d'enfants délinquants. En juillet 1997, j'ai moi-même pris un arrêté municipal conduisant à recueillir les enfants de moins de 12 ans circulant seuls la nuit (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du RPR). Cet arrêté a fait l'objet d'attaques virulentes, notamment de la part de Mme Royal, qui a osé dire que je prenais les enfants pour des chiens ! (Interruptions sur divers bancs) Cet arrêté a eu au moins le mérite d'ouvrir dans le pays un débat essentiel.

En octobre 1997, j'ai déposé une proposition de loi visant à responsabiliser les parents. Aujourd'hui un sondage paru dans l'hebdomadaire du parti socialiste montre qu'une majorité d'adhérents de ce parti se prononce pour l'interdiction de circuler la nuit pour les jeunes enfants et pour la mise sous tutelle des allocations familiales versées aux parents d'enfants délinquants. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du RPR)

Monsieur le Premier ministre, puisque vous considérez désormais l'ordre comme une valeur de gauche, qu'attendez-vous pour mettre en oeuvre ces mesures de bon sens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Nous serons tous d'accord, je pense, pour dire que les familles, non seulement sont responsables des enfants, mais jouent un rôle irremplaçable dans leur éducation, leur fournissant des repères pour la vie en collectivité et les initiant aux valeurs communes.

Plusieurs députés RPR - D'où le PACS !

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Ces familles, on peut essayer de les responsabiliser en les montrant du doigt lorsqu'elles se trouvent en difficulté, mais nous préférons, nous, suivre une autre voie : les aider pour les mettre en position de s'acquitter de leurs responsabilités, comme l'ont d'ailleurs préconisé Mme Lazerges et M. Balduyck dans leur rapport.

Quant à la mise sous tutelle des allocations familiales, la loi autorise déjà le juge à la prononcer lorsque la famille ne s'acquitte pas de ses devoirs, par exemple de l'obligation alimentaire. Laissons donc le juge en décider et soutenons plutôt les parents qui ne parviennent pas à renouer le dialogue avec leur enfant, dont la vie commence de déraper. Dès la rentrée, nous créerons à cet effet des lieux de rencontre, des lieux d'aide, pour un milliard pris sur les crédits d'action sociale de la caisse d'allocations familiales. C'est ainsi qu'on aidera les familles, non en cherchant des boucs émissaires et en recourant à la coercition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR)

POLITIQUE MONÉTAIRE

M. Georges Sarre - M. Oskar Lafontaine, futur ministre des finances de l'Allemagne, vient de faire une déclaration particulièrement intéressante : se prononçant pour une baisse des taux d'intérêt, il a considéré qu'on ne saurait parer la Banque centrale de la vertu d'infaillibilité -en quoi il a tout à fait raison.

Cela, et le fait que le futur président de la Bundesbank pourrait être choisi au sein du SPD, remettant en cause le dogme absurde selon lequel la politique monétaire serait une sorte de science exacte, totalement neutre et indépendante, et devant de ce fait échapper au contrôle des élus du peuple.

Au nom de l'Europe monétaire, les gouvernements français, de gauche comme de droite, ont longtemps accepté de maintenir des taux d'intérêt assassins pour l'investissement, ce qui revenait à accepter le chômage de masse, quitte à être sanctionnés par les électeurs... Maintenant que le contexte européen est en train de se modifier, la France ne pourrait-elle, comme en ce qui concerne l'AMI, laisser triompher le bon sens en suivant l'exemple allemand ?

D'autre part, le mandat de M. Trichet vient à échéance à la fin de l'année : le Gouvernement entend-il promouvoir à la tête de la Banque de France la candidature d'une personnalité nouvelle, capable de prendre en compte les exigences de la croissance et de l'emploi ? Plus généralement, entend-il réintroduire la politique dans la gestion monétaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe du RPR)

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Cette assemblée n'est pas un concile, susceptible de conférer ou de confirmer une infaillibilité que le Gouvernement n'a d'ailleurs jamais reconnue ! Le rôle de la Banque centrale, et de la future Banque centrale européenne, est d'assurer la stabilité des prix dans le cadre de la politique de l'Union et la situation actuelle prouve qu'il n'y a là nulle contradiction dans les termes : l'inflation demeure très faible et la croissance en France et en Europe, même insuffisante, est la plus forte du monde. (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) Cela vous gêne ? Il faut vous y faire !

Il convient en effet d'inviter que les taux d'intérêt français et allemands ne divergent. La moyenne européenne est en train de baisser, l'Espagne, le Portugal et l'Irlande ayant diminué leurs taux directeurs. Pour l'ensemble de la zone, la convergence vers les taux français et allemands représentera 0,4 points de baisse, ce qui contribuera à la croissance. Les changements intervenus après les dernières élections allemandes nous permettrons sans doute de travailler plus étroitement avec le gouvernement de ce pays, en particulier au sein du Conseil de l'euro, partenaire politique -certains disent "contrepoids"- de la Banque centrale. Notre croissance à venir sera ainsi mieux assurée et cela dépasse largement les questions de personnes. M. Trichet est gouverneur de la Banque de France jusqu'en septembre 1999 et, jusqu'à cette date, il aura ma confiance et je continuerai à travailler avec lui dans le respect de l'indépendance mutuelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

CRÉDIT FONCIER DE FRANCE

M. Jean-Jacques Jegou - Il y a près de trois ans, le gouvernement Juppé devait se résigner à demander à la Caisse des dépôts de reprendre la quasi-totalité des actions du Crédit foncier de France. Il a ensuite essayé de trouver un repreneur pour cet établissement : en vain et voici donc deux ans et demi que le Crédit foncier fonctionne en dehors de toute règle prudentielle, au grand dam de la Commission bancaire. Que compte faire le Gouvernement pour mettre fin à cette situation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Cette situation ne peut en effet s'éterniser : il n'est pas dans la vocation de la Caisse des dépôts de porter un établissement de cette nature, même pour le compte de l'Etat, et il convient d'observer les règles prudentielles, qui exigent une recapitalisation du Crédit foncier. La Commission bancaire n'a autorisé celui-ci à rester dans l'état "intermédiaire" où il se trouve depuis deux ans et demi que faute de repreneur. En effet, à la différence de ce qui s'est passé pour le CIC et pour le GAN, nous n'avons pas mieux réussi là que le gouvernement Juppé : le seul candidat à la reprise a été un opérateur américain, dont la position sur la place n'était pas assurée. Les discussions sur le projet industriel avaient avancé, il commençait d'en être de même pour les discussions sur le projet social mais, lorsque nous en sommes venus à l'aspect patrimonial, nous avons constaté que notre partenaire n'était pas disposé à payer le Crédit foncier ce qu'il vaut et, étant garant des intérêts de l'Etat, j'ai préféré rompre les négociations, fin août-début septembre.

Qu'allons-nous faire maintenant ? ("Ah !" sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR) Je suis heureux de l'intérêt que vous manifestez pour les dossiers financiers, quelle qu'en soit l'actualité !

Eh bien, nous allons prendre les choses dans l'autre sens : je veux dire par là que nous allons d'abord recapitaliser le Crédit foncier pour reprendre la procédure de cession dans quelques mois. Je pense que la nouvelle rassurera M. Balligand, président du conseil de surveillance de la Caisse des dépôts et je ne doute pas que nous ne finissions par trouver un preneur satisfaisant aux trois conditions que je pose : l'existence d'un projet industriel permettant à l'établissement de se développer ; la prise en compte des intérêts du personnel ; celle, enfin, des intérêts de l'Etat et du contribuable, via une rentrée financière qui sera bien utile !

Lorsque ces trois conditions seront remplies, la procédure juridique pourra être lancée : cela devrait être au cours du premier semestre de 1999. Rendez-vous donc à cette date pour faire ensemble le bilan de l'opération ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 20 sous la présidence de M. Paecht.

PRÉSIDENCE DE M. Arthur PAECHT

vice-président

M. le Président - La séance sera levée impérativement à 19 heures 20.

M. Jean-Pierre Brard - Pourquoi ?

M. le Président - Je ne suis pas obligé de vous livrer les secrets de la présidence ! (Sourires)


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LOI DE FINANCES POUR 1999 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion générale et discussion des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 1999.

M. Philippe Auberger - Quand vous avez présenté le budget pour 1999, Monsieur le Premier ministre, vous avez annoncé trois objectifs. Mettre la France à l'abri des turbulences internationales et préserver la croissance ; réduire le déficit ; réformer la fiscalité de façon significative. Mais tout cela ne restera-t-il pas de l'ordre du voeu pieux ?

Certes, notre pays a réussi jusqu'ici à rester à l'abri des perturbations extérieures. Mais quand la crise s'est propagée à la Russie, et que bientôt peut-être la Chine sera touchée, que le dollar a perdu 10 % en six mois, et que des pays comme l'Italie et la Grande-Bretagne connaissent un net ralentissement économique, n'est-on pas en droit de se demander si la reprise n'est pas derrière nous ? Le budget a pris comme hypothèse un dollar à 6 F, mais il est aujourd'hui à 5,40 F -et s'il reste à ce niveau, cela pourrait nous coûter un point de croissance.

N'y a-t-il pas d'ailleurs contradiction à prétendre ne pas avoir lieu d'être inquiet et, dans le même temps, proposer aux autres pays du G7 un vaste plan d'action en 12 points pour mieux juguler les crises financières ?

La détérioration de la situation économique risque, à bref délai, d'avoir des répercussions importantes sur la psychologie des acteurs économiques. Les ménages sont particulièrement sensibles à la situation de l'emploi. Or, après une amélioration incontestable, les chiffres de juillet et d'août ne sont pas bons. Et l'on voit que l'amélioration était due surtout au travail intérimaire, aux contrats à durée déterminée, voire aux emplois-jeunes.

Quant aux entreprises, si elles ont été sensibles à la baisse des taux d'intérêt, elles constatent que leurs résultats diminuent alors que la chute de la bourse va rendre l'appel aux financements extérieurs plus difficile. Leurs programmes d'investissement risquent d'être différés.

Depuis un mois, toutes les enquêtes annoncent une détérioration de la situation économique. Sans doute le Gouvernement aurait-il mieux été inspiré d'écouter les conseils du premier secrétaire du parti socialiste, et d'attendre un peu avant d'arrêter son objectif de croissance économique.

Le budget de 1999 devrait être, nous dit-on, une étape décisive pour l'amélioration des comptes publics : il est prévu de ramener le déficit budgétaire de 257 à 237 milliards. Mais déjà les plus-values fiscales permettent d'escompter ce résultat en 1998, et il n'y aurait donc aucun réel progrès en 1999. Surtout, la baisse annoncée est obtenue en faisant sortir du budget de l'Etat les dotations à Réseau Ferré de France, à l'établissement de défaisance du Crédit Lyonnais et aux Charbonnages de France, dont le financement serait assuré par la vente de titres. Mais la conjoncture boursière a obligé à différer ces opérations et l'on peut nourrir quelques doutes.

En outre, ramener le déficit à 237 milliards, c'est accepter que le budget courant soit en déficit de 100 milliards, c'est-à-dire qu'on emprunte pour financer les dépenses courantes et fasse ainsi porter aux générations futures le poids du fardeau. Le poids de la dette publique atteindra 58,7 % du PIB, on n'est plus très loin du seuil fixé à Maastricht.

Certes, on nous dit que l'ensemble des déficits publics ne dépassera pas 2,3 % du PIB en 1999. Mais qui peut croire une telle prévision, qui repose sur l'hypothèse peu crédible que les comptes de la Sécurité sociale seront à l'équilibre, grâce à une progression de la masse salariale plus forte -alors que la croissance sera plus faible- et à un ralentissement de la progression des dépenses d'assurance maladie -alors qu'aucune réforme structurelle n'a été entreprise.

Ce faisant, on nous cache que nous serons, parmi les pays de l'euro, celui qui fera le moins de progrès pour rétablir ses comptes publics. Ne gaspille-t-on pas ainsi la chance que représente la croissance ?

Enfin, on nous annonce une baisse des prélèvements obligatoires et une grande réforme fiscale. Pour les prélèvements obligatoires, la majorité actuelle avait pris en 1997 l'engagement de les stabiliser puis de les diminuer. Or, ils ont augmenté à la fin de l'année 1997, passant selon Eurostat, à 46,3 %. Qui peut croire qu'ils vont baiser après toutes les mesures d'aggravation contenues dans les lois de finances et les lois de financement de la Sécurité sociale ?

Pour les seules recettes fiscales de l'Etat, la prévision fait apparaître, à périmètre constant, une augmentation de 75 milliards, soit 5,2 %. Qui peut croire qu'avec de tels chiffres on peut aller à une baisse des prélèvements obligatoires de l'Etat ?

Certes, le ministre de l'économie et le rapporteur général ont bien tenté de masquer la réalité des chiffres.

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances - Pas du tout !

M. Philippe Auberger - Mais votre tableau des baisses d'impôt est tronqué, puisque vous oubliez de mentionner que l'IR rapportera 4 milliards de plus du fait de la réduction du plafond applicable au quotient familial.

M. Gilles Carrez - Très bien !

M. Philippe Auberger - Quant à la réforme de la TP, elle devait entraîner 12 milliards d'allégements pour les entreprises. Mais par diverses astuces, on leur en reprend les cinq douzièmes. Pour la plupart des contribuables, la réforme fiscale sera illusoire.

Votre projet de budget ne répond pas aux nécessités de la conjoncture, au bon usage des fruits de la croissance, aux attentes des Français. Le président de notre assemblée a porté, sous une forme très policée, un jugement sévère. Devant la Société d'économie politique, il a posé deux questions : l'embellie de notre PNB n'aurait-elle pas été mieux utilisée pour faire baiser la dette et les impôts ? Le projet de loi de finances ne présente-t-il pas une faible capacité d'évolution par rapport aux aléas de l'avenir ? En deux questions, il a résumé l'avis que toute personne objective peut émettre sur ce projet.

Aujourd'hui, les agents économiques ne se satisfont plus de prévisions lénifiantes. Ils veulent disposer de perspectives plus crédibles, qu'il faut avoir le courage de présenter aux Français. Nos concitoyens savent bien qu'en période agitée la prévision est aléatoire. Aussi, pourquoi ne pas sortir du carcan des dotations budgétaires annuelles fixées une fois pour toutes ? Lorsque les circonstances le commandent, la gestion publique doit faire preuve de flexibilité.

Votre budget se caractérise par un relâchement des dépenses publiques, qui depuis quatre ans n'ont jamais si vite augmenté. Il devient dès lors impossible de consacrer les fruits de la croissance à la réduction des déficits et des impôts. Il est indispensable à nos yeux de redéfinir les priorités.

Il en va de même pour la réforme fiscale. Comme l'a souligné le Président de la République, il faut absolument reprendre l'effort de diminution des charges sur les bas alaires, comme l'a aussi démontré M. Malinvaud. Les mesures en faveur de l'emploi s'essoufflent. Les crédits nécessaires aux 35 heures représentent à peine 40 000 emplois, là où Mme Aubry, il y a six mois, en espérait au moins 500 000. De l'allégement de la taxe professionnelle, vous escomptez 25 000 emplois supplémentaires la première année, et 100 000 au bout de cinq ans, pour un coût global de 40 milliards. Or Mme Aubry a refusé d'avaliser une telle estimation. La baisse des charges sur les bas salaires mérite donc d'être relancée.

Le produit de l'impôt sur le revenu augmentera cette année de 17 milliards. Cet alourdissement, profondément démotivant, conduit les jeunes diplômés dynamiques à s'expatrier. L'allégement de l'ensemble du barème, engagé par Alain Juppé, doit être poursuivi, à l'instar des Anglais, des Italiens et bientôt des Allemands. De même, il est urgent de familialiser totalement la décote, pour aligner la situation fiscale des contribuables mariés modestes sur celle des non-mariés.

M. Michel Bouvard - Très bien !

M. Philippe Auberger - Enfin, le Gouvernement prétend moraliser les avantages fiscaux liés à l'assurance-vie. Mais n'est-il pas immoral que l'Etat revienne sur la parole donnée ? (Approbations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - De quand date votre texte ?

M. Philippe Auberger - Si l'assurance-vie doit une part de son succès aux avantages qui s'y rattachent, c'est que les droits de succession ont un caractère confiscatoire, depuis qu'ils ont été doublés en 1984 par un gouvernement socialiste. Une réforme de cette imposition est donc urgente.

Au total, ce projet de budget n'emporte pas l'adhésion, bien au-delà de l'opposition, parce qu'il ne comporte ni grand dessein ni perspectives claires. Alors que les deux gouvernements précédents s'étaient astreints à proposer des prévisions quinquennales, nous ignorons où vous entendez aller, alors même que vous prétendez disposer de la durée. Cette carence s'expliquerait par la désunion de la majorité plurielle, qui interdirait d'afficher des objectifs trop précis. D'autres pensent qu'un tel affichage compromettrait les ambitions présidentielles du Premier ministre (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Il ne m'appartient pas de trancher. Jeudi soir, le Premier ministre a affirmé qu'après avoir découvert le mouvement, il venait de découvrir l'ordre. A lire ce projet de budget n'aurait-il pas oublié le mouvement ? Ce projet est dépourvu de tout élan, de tout dynamisme. Aussi le groupe RPR refusera-t-il de l'approuver (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Alain Bocquet - Après un budget de 1998 qui soldait les mauvais comptes de la droite, voici le premier budget de la gauche. L'attente de nos concitoyens est forte, souvent angoissée. Ils ont beaucoup misé dans le changement. Les engagements pris doivent être tenus.

Nous n'avons pas la prétention de détenir toutes les réponses au problème budgétaire posé en pleine crise internationale. Nous savons aussi que les choix du parti dominant de la majorité sont respectueux des contraintes de Maastricht et du pacte de stabilité. Mais nous sommes un groupe de la majorité qui a des idées pour combattre efficacement les dogmes de la spéculation financière, et de la loi de l'argent pour l'argent. Si on nous écoutait un peu plus, la majorité ne s'en porterait que mieux pour affronter le retournement de conjoncture qu'on annonce. Ce budget doit être guidé par deux ambitions, que notre peuple soit plus heureux et la France plus forte !

Ce projet, que nous avons déjà fait évoluer vers la gauche, n'est pas à la hauteur des menaces qui pèsent sur la croissance et l'emploi.

L'horizon économique s'obscurcit, les experts prévoient l'essoufflement de la reprise. La priorité donnée partout à la Bourse et à la croissance financière est en train de déboucher sur une crise mondiale. Le FMI et le G7 exigent toujours plus de rigueur budgétaire, refusant de s'attaquer à la dictature des marchés financiers. C'est la voie ouverte à une guerre économique à outrance, dont certains se réjouissent. Je salue donc la réponse adressée par le Premier ministre à Robert Hue au sujet de l'AMI.

Qui peut croire que la zone mark ou euro sera un havre de paix ? Ceux qui se réjouissent que des capitaux spéculatifs se réfugient conjoncturellement dans les pays de l'Union européenne, oublient qu'ils y arrivent avec leurs exigences de rentabilité. Les fonds de pension américains viennent de sanctionner Alcatel au motif que ses managers sont incompétents pour n'avoir pas annoncé 35 000 licenciements.

De même, si l'euro intéresse les brasseurs d'argent facile, c'est qu'il s'annonce comme une monnaie de combat, d'autant plus attractive qu'elle est flanquée du pacte de fer anti-social qu'est le "pacte de stabilité", et gérée par une Banque centrale européenne la plus ultra-libérale de la planète. Très vite l'euro s'avèrera être un bouclier de papier.

Ce qu'il faut, ce n'est pas sauver le système financier actuel, mais dégager de nouveaux rapports fondés sur l'emploi et le crédit pour la croissance réelle.

La France doit prendre des initiatives, en Europe et dans le monde, pour une révision en profondeur du système monétaire international, pour promouvoir de nouveaux mécanismes -comme la taxe Tobin- susceptibles de contenir les mouvements spéculatifs et de favoriser le co-développement.

Dans un pays qui compte trois millions de chômeurs, le budget ne peut se limiter à répartir le surplus de rentrées fiscales en accompagnant une reprise fragile : il doit soutenir l'activité et s'attaquer aux causes structurelles de la crise. Les députés communistes proposent quatre priorités : soutenir la demande par l'augmentation du pouvoir d'achat des salariés et des retraités, relancer l'investissement productif et l'innovation, donner aux collectivités locales les moyens de leur politique, lutter contre la spéculation. Ils apprécient que le Gouvernement ait repris plusieurs de leurs propositions, mais le compte n'y est pas : c'est la démarche elle-même qui nous interpelle, car elle laisse la voie ouverte à de nouvelles dérives financières.

Réduire la part des salaires dans l'assiette de la taxe professionnelle, c'est positif pour l'emploi mais ne pas y inclure les actifs financiers, c'est fournir à la spéculation boursière un formidable aliment, tout comme le projet sur les fonds de pension, la poursuite des privatisations ou encore le projet de destructuration des caisses d'épargne. On ne peut sortir de cette contradiction qu'en ayant une attitude ferme contre les spéculateurs.

Donner des gages à un ultralibéralisme qui fait preuve de son incapacité à répondre à la crise ne pourrait que fragiliser notre économie. Au contraire, il faut se dégager de ses dogmes, de sa logique qui ramène tout à l'argent au mépris des êtres humains, des intérêts de la France et de son peuple. Notre projet communiste n'est pas d'"encadrer" le capitalisme pour le rendre un peu plus civilisé, mais de le dépasser.

Si on n'y prend garde, la France sera conduite sous la pression de la Banque centrale européenne, à geler au début de l'année des crédits votés et à annuler les effets positifs des 35 heures et des emplois-jeunes. Le budget pour 1999 doit, au contraire, traduire les engagements précis du parti communiste et du parti socialiste et empêcher, par le relèvement du pouvoir d'achat ou du SMIC et des minimas sociaux, un retournement de la conjoncture. Un budget de gauche doit contenir des avancées progressistes, des signes forts en direction de ceux qui sont le plus en difficulté.

Le CNPF s'insurge quand on évoque l'intégration des biens professionnels dans l'assiette de l'impôt sur la fortune, mais il passe sous silence le véritable impôt sur la grande pauvreté que constitue la TVA : elle représente 13 % des revenus des ménages ayant un faible niveau de vie et moitié moins pour les ménages les plus aisés. Il faut réduire en priorité cet impôt qui frappe la consommation populaire. Son taux doit être baissé sensiblement sur les produits alimentaires, la consommation d'eau, de gaz, d'électricité. Quand le Gouvernement prévoit plus de 50 milliards de rentrées supplémentaires en 1999 au titre de la TVA, il peut bien en consacrer la moitié à réduire l'impôt sur la consommation. Pourquoi ne pas accepter nos propositions de réduction de la TVA sur les lunettes, les appareils auditifs, la collecte et le traitement des déchets, les pompes funèbres, les droits d'accès aux installations et activités sportives ? Qu'on ne nous dise pas qu'une réduction des taux de TVA n'est pas euro-compatible : il existe déjà des produits taxés à 2,1 % !

Le Gouvernement indique que sa réforme de la taxe professionnelle créerait, à terme, 100 000 emplois, mais le coût serait de 60 milliards, soit 600 000 F pour un emploi -d'ailleurs non assuré. Et-ce vraiment un bon calcul ? Nous ne pouvons approuver cette réforme telle qu'elle nous est présentée. La majorité des élus locaux s'y opposent, et ils ont raison ! Vous avez affirmé, Monsieur le ministre, que la compensation serait assurée par "le gouvernement actuel"... Mais les suivants ? Mieux vaut tenir que courir, c'est pourquoi nous voterons contre et proposerons d'autres solutions plus favorables à l'emploi et à l'autonomie communale.

Le budget doit s'attaquer à la spéculation financière en supprimant les avantages fiscaux dont elle bénéficie. Les revenus du capital doivent être imposés comme les revenus du travail, ce qui est loin d'être le cas. Intégrer les biens professionnels dans l'assiette de l'impôt sur la fortune serait une simple mesure de justice qui contribuerait aussi à combattre les dérives spéculatives. La revue Challenges relève que "les patrimoines n'ont jamais autant augmenté que pendant la première année du pouvoir de la gauche plurielle", et le Conseil national des impôts a récemment plaidé pour une telle mesure.

Quand il y a trois millions de chômeurs, un budget de gauche se doit d'être créateur net d'emplois et d'accompagner la création de droits nouveaux pour les salariés dans les entreprises. Quand l'investissement privé piétine en dépit de la baisse historique des taux d'intérêts nominaux, le total des investissements civils de l'Etat, dont l'effet multiplicateur sur le secteur privé est reconnu, ne doit pas stagner à 72 milliards, soit moins que lorsque la droite est revenu au pouvoir en 1993 ("Eh oui" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Les budgets sociaux, comme ceux de l'éducation nationale, de la solidarité, de la santé, du logement, des collectivités locales, doivent recevoir les moyens nécessaires pour répondre aux besoins urgents. Quant à la taxe générale sur les activités polluantes, elle ne saurait être un moyen pour Bercy de centraliser le produit de l'impôt pour mettre en difficulté les agences de l'eau et les collectivités locales. C'est l'avenir du traitement de l'eau qui est compromis ("Très bien !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Il est grand temps que l'on réfléchisse à créer les conditions d'un grand service public de l'eau. L'argent de l'eau doit aller à l'eau et chaque citoyen doit être à égalité devant ce bien de première nécessité.

Ce budget doit répondre aux attentes des Français et donner des signes clairs d'une telle volonté politique : donner enfin la retraite anticipée aux anciens d'Afrique du Nord, porter le minimum des retraites agricoles à un niveau décent, créer les emplois publics dont le besoin est reconnu, faire droit à la proposition du parlement des enfants d'une infirmière dans chaque groupe scolaire, assurer aux salariés le droit de prendre leur retraite après quarante annuités et donner une nouvelle impulsion aux contrats ARPE pour l'embauche des jeunes.

De la même façon, il faut être plus offensif en matière de protection sociale. Pour que la loi de financement soit de gauche, elle devrait inclure des mesures telles que le versement des allocations familiales dès le premier enfant et l'inclusion des profits financiers dans l'assiette de la cotisation patronale.

Le débat budgétaire commence à peine. Il dépend de tous les députés de la majorité d'infléchir le budget selon leurs convictions. C'est une question de volonté politique. Nous avons cette volonté. Avec les salariés, les organisations syndicales et le mouvement associatif, les députés communistes souhaitent que la gauche adopte un budget de combat pour l'emploi et contre la spéculation financière, le budget de justice dont la France a besoin. Nos concitoyens savent qu'on ne peut pas tout faire tout de suite, mais il y a des urgences sociales qui méritent des réponses immédiates. C'est pourquoi le PCF fait circuler une pétition qui recueille des signatures par centaines de milliers (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Nous viendrons les déposer lundi prochain à Bercy. Trop de fantômes du libéralisme hantent les bureaux de votre ministère, nous sommes là pour vous aider à les chasser, Monsieur le ministre. Il y va de l'intérêt commun de notre majorité, qui doit avoir l'audace et le courage de décider de profondes réformes de structure. La réussite et le changement sont à ce prix.

Que les choses soient claires : nous sommes dans la majorité et nous entendons y rester ("Ah !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) : nous voulons, dans le cadre qui a été fixé l'an dernier, mettre toute notre énergie, notre capacité d'initiative et de réflexion au service du progrès social attendu par notre peuple. Que personne ne s'y trompe !

C'est dans cet état d'esprit que nous abordons l'examen du budget 1999, avec la volonté de l'améliorer de manière à répondre aux besoins. (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Qu'on n'attende de nous ni le silence ni la surenchère : ces deux démarches opposées en apparence ne sont en vérité que deux faces d'une même impuissance, d'une même faiblesse, d'un même refus de construire le changement. Les députés communistes se situent sur un autre registre : nous voulons être efficaces et utiles, c'est tout différent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

M. Pierre Méhaignerie - Nous avons été plusieurs, Monsieur le ministre, à trouver défensive votre intervention d'hier, à sentir qu'elle s'adressait davantage à vos propres amis qu'aux membres de l'opposition... Philippe Auberger a résumé tout à l'heure l'essentiel de nos critiques : l'embellie aurait pu être mieux utilisée. Jacques Delors ne dit pas autre chose lorsqu'il vous suggère, dans Le Nouvel Observateur, d'être plus ambitieux dans la réduction des dépenses publiques non prioritaires, ni le président de la commission des affaires étrangères lorsqu'il déclare que la France aurait dû "viser plus haut" dans la réduction du déficit, ni le président de l'Assemblée nationale lorsqu'il estime que le Gouvernement "prend des risques face à la conjoncture" (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Brard - Heureusement, ils ne sont pas au Gouvernement ! (Rires)

M. Pierre Méhaignerie - Quant à votre satisfaction d'hier, elle devrait être tempérée par l'amère expérience de 1992. Dans le débat budgétaire pour 1993, le Gouvernement avait retenu une prévision de croissance de 2,6 %, que nous jugions trop optimiste. On nous opposait alors des arguments qui ressemblent à ceux d'aujourd'hui. Le président de la commission des finances nous disait : les fondamentaux sont bons, l'économie française est assainie. Pour le ministre du budget, la France réalisait une des meilleures performances parmi les pays industrialisés. Quel fut le résultat six mois plus tard ? Une croissance négative et une explosion des déficits, qui passaient de 15 à 50 milliards pour la Sécurité sociale et de 160 à 340 milliards pour le budget de l'Etat... Il a fallu quatre ans d'efforts et de sacrifices pour remonter la pente et satisfaire aux critères de Maastricht (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Sans vouloir jouer les Cassandre, il eût été préférable, pour la qualité du travail parlementaire, de préparer un budget plus proche de la réalité, ou au moins de prévoir un fonds d'action conjoncturelle.

Tous nos débats seraient vains si dans quelques mois, d'un trait de plume, ce budget était modifié de fond en comble sous la pression de la conjoncture internationale. Or ce risque existe, comme vient de le rappeler M. Bocquet.

Vous dites, Monsieur le ministre, que ce budget favorisera la croissance : nous ne le croyons pas. Existe-t-il des alternatives ? Nous le pensons. Elles sont difficiles à mettre en oeuvre pour tout gouvernement, mais tout de même plus faciles dans une période de croissance et pour un gouvernement qui dispose de la durée. Ces réformes devront un jour être engagées, avec beaucoup de pédagogie, car leur succès exige le soutien de l'opinion.

Cette alternative passerait en premier lieu par une croissance zéro de la dépense publique en francs constants pendant trois à cinq ans. Les marges financières ainsi créées permettraient plus de justice envers les salaires faibles du secteur privé, grâce à un allégement des charges sociales. Cette politique renforcerait l'attractivité du territoire, alimenterait plus sûrement à terme la croissance, et simplifierait la vie des citoyens.

Je pars d'un constat : il y a aujourd'hui chez les salariés une forte attente de pouvoir d'achat supplémentaire. Elle sera encore aiguisée par l'application des trente-cinq heures et du double SMIC. Depuis cinq ans le pouvoir d'achat a été confisqué par la hausse des prélèvements. Dans ce budget, il aurait été plus juste pour les hommes et plus efficace pour l'économie de consacrer 15 à 20 milliards à poursuivre la réduction des charges sur les bas et moyens salaires. Vingt milliards de plus sur trois ans permettraient la franchise de cotisation sur les 3 000 premiers francs, répercutée pour l'essentiel sur les salariés grâce aux conventions collectives de branches. Un rapport du Conseil économique et social paru il y a un an défendait cette solution.

Trois arguments nous conduisent à la soutenir. Tout d'abord, la presse a récemment mis en lumière que, malgré un taux de chômage de 11 %, beaucoup d'entreprises ne trouvent pas la main d'oeuvre dont elles ont besoin. Dans certaines branches en effet le salaires ne sont pas à la hauteur de tâches difficiles et ingrates. En second lieu, les jeunes qui arrivent sur le marché du travail ont été, pour les trois quarts, sur les mêmes bancs de lycée jusqu'au baccalauréat. Accepteront-ils que les uns soient voués à travailler vingt ou trente ans pour le SMIC et sans perspective de promotion, quand les autres auront la considération, la sécurité et un plan de carrière ? Troisième argument : aujourd'hui un père de deux enfants payé au SMIC dispose, après impôts et cotisations, du même revenu qu'un bénéficiaire du RMI. Est-ce le meilleur moyen d'inciter à un retour au travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Voilà l'intérêt d'une croissance zéro des dépenses publiques. Ce n'est pas facile, mais cette mesure pourrait avoir pour alliés les salariés du secteur privé dont le pouvoir d'achat doit s'accroître. Ce serait le seul moyen d'assurer la simplification des procédures et la réorganisation de l'Etat. J'ai reçu il y a trois ans les représentants des grandes entreprises internationales : ils s'étonnaient d'avoir affaire chez nous, pour tout problème, à dix ou quinze administrations différentes. Cette complexité, on la retrouve dans le domaine social : le rapport de M. Kaltenbach, de la Cour des comptes, a montré que certaines familles étaient socialement suivies par huit ou dix structures différentes. C'est à la fois un gaspillage et une atteinte à leur dignité.

A ceux qui objectent le manque d'agents dans les services publics, je rappellerai les marges de productivité existantes, et les horaires réels dans certains services administratifs. Ce matin s'est réunie l'Association des maires de petites villes, que préside M. Malvy. Ils ont eu la surprise de voir les préfets leur proposer le remplacement de deux policiers par un seul gendarme. Cela ne justifie-t-il pas une remise en ordre dans l'administration et dans l'Etat ?

Justice pour les salaires trop faibles ; simplification administrative ; mais aussi attractivité du territoire. Pourquoi sommes-nous privés, pour le championnat de football, de la plupart des joueurs de l'équipe de France, qui sont en Italie, en Grande-Bretagne ou en Espagne ? (Murmures sur les bancs du groupe communiste) Nos impôts ne donnent-ils pas le sentiment que la créativité est mieux récompensée à l'étranger ? N'est-il pas étonnant que le très beau film de Spielberg "Il faut sauver le soldat Ryan" n'ait pu être tourné en France pour des raisons fiscales ? Est-ce préparer l'avenir que de pousser les sièges sociaux et les chefs d'entreprises performants à gagner Barcelone ou Bruxelles parce qu'à cause de notre impôt sur la fortune ils devraient payer un impôt supérieur à la totalité de leurs revenus ? M. Bérégovoy avait d'ailleurs eu la lucidité de revenir sur cette position.

Enfin votre réforme de la taxe professionnelle ne suscite pas l'enthousiasme espéré. Nous avons constaté en commission qu'elle ne convainquait ni bien sûr l'opposition, ni l'ensemble de la majorité, et pas même tout le Gouvernement. Cette mesure a été trop rapidement engagée, sans qu'on ait examiné sérieusement l'alternative, qui avait les faveurs de Mme Aubry, d'une poursuite de la réduction des charges sociales. Trois arguments nous conduisent à préférer cette solution. Tout d'abord la baisse des charges est économiquement plus efficace, comme le démontrent tant les expériences étrangères que le rapport Malinvaud. Ensuite votre réforme est socialement plus injuste. N'ayant pas reçu les simulations que vous aviez promises, nous avons fait les nôtres. Soient une entreprise de services, où le salaire moyen est de 20 000 F, et une entreprise industrielle où il est de 8 000 F. L'avantage accordé représente pour les salariés de la première une aide indirecte de 9 500 F, contre seulement 1 500 pour ceux de la seconde ! Nous ne comprenons pas qu'on défavorise ainsi les salariés de l'industrie, secteur soumis à la compétition, où les salaires sont faibles et la main-d'oeuvre difficile à trouver.

En troisième lieu votre réforme déresponsabilise les collectivités locales. Le doublement de la cotisation minimale pénalisera les communes où les salaires sont bas et qui ont réussi à maintenir la TP en-dessous de la moyenne nationale. Il ne restera plus qu'à délier les taux des impôts locaux vers le haut pour laisser libre cours à la dépense et annuler votre réforme en quelques années.

L'efficacité de la dépense publique n'est pas assurée en France, ni par ce gouvernement ni par d'autres. L'Etat n'est pas bien géré. La centralisation le met à la merci des groupes de pression. Les différences se creusent au détriment des salariés du privé. La complexité de notre société éloigne le citoyen de la vie publique. Vous avez dit que, dans une économie ouverte, 0,5 % de croissance en plus ou en moins font la différence. Or ce 0,5 % dépend de la modernisation de l'Etat, de la maîtrise des dépenses, de l'allégement de la fiscalité, de l'assouplissement des rigidités. Sur ces points nous avons pris du retard, et je crains que nous en prenions encore.

Parce que vous n'engagez pas ces réformes de structure, je crains, une fois passée la conjoncture favorable, que vous poursuiviez dans le modèle qui nous condamne depuis quinze ans à un taux de croissance inférieur d'un demi-point à la moyenne de l'OCDE. Avec l'embellie actuelle et la durée dont vous disposez, vous auriez pu engager ces réformes de structure. Parce que vous ne le faites pas, nous ne voterons pas ce budget (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Michel Crépeau - Ni démagogie, ni technocratie. Ce sont, selon les radicaux de gauche, les deux écueils à éviter dans ce débat.

Monsieur le Premier ministre, c'est au pied du mur qu'on voit le maçon. Nous avons déposé un certain nombre d'amendements : qu'allez-vous en faire ?

La fiscalité est un sujet sensible, explosif depuis toujours en France, et qui exige d'avoir l'audace des réformes nécessaires tout en évitant la précipitation.

J'entends dire sur tous les bancs...

M. Jean-Pierre Brard - A propos, où sont les radicaux de gauche ?

M. Michel Crépeau - ...que la fiscalité est trop lourde : avec ce genre de phrases, on peut toujours se tailler un beau succès en France ; sous l'Ancien Régime, on a même fait une révolution sur ce thème !

Mais la question est plutôt de savoir si la fiscalité est trop lourde ou mal répartie...

M. Jean-Pierre Brard - Très juste !

Plusieurs députés RPR et UDF - Elle est les deux à la fois !

M. Michel Crépeau - En effet, il est dans la logique du libéralisme et de la pensée unique de dire que la fiscalité est trop lourde. Aux Etats-Unis, elle l'est moins, certes, car les hôpitaux et les écoles sont payés par les usagers. Il n'y a pas de miracle : ce qui n'est pas payé par le contribuable l'est toujours par l'usager !

M. Jean-Pierre Brard - De La Rochelle à La Palisse !

M. Michel Crépeau - C'est ainsi qu'on institue la société duale : le confort pour les riches et toujours plus de misère pour les pauvres. Cette politique ne peut pas être celle d'un gouvernement de gauche (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste ; interruptions sur les bancs du groupe UDF).

Vous n'allégerez pas la fiscalité, essayez plutôt de la répartir mieux !

Monsieur Brard, vous demandez où sont les radicaux de gauche : je vous rappelle que c'est l'un des nôtres, Joseph Caillaux, qui a fait voter l'impôt progressif sur le revenu. A l'époque il tenait compte des revenus du capital, ce qui n'est plus vrai. Cet impôt, qui se voulait équitable, a ainsi perdu une partie de son sens ("Très juste ! " sur les bancs du groupe communiste).

La CSG, au contraire, qui a été très critiquée, y compris à gauche, porte aussi sur les revenus du capital et, à mon avis, c'est l'une des mesures les plus intelligentes du gouvernement Rocard.

Dans notre pays, mieux vaut être très riche ou très pauvre. Si on est très pauvre, on peut se faire assister, si on est très riche, on peut pratiquer l'évasion fiscale -les îles Caïman portent bien leur nom ! Mais si vous avez le malheur d'appartenir aux classes moyennes, l'impôt vous écrase.

Nous plaidons pour un impôt sur le revenu avec une assiette plus large incluant les revenus du capital et un barème plus progressif. On peut même se demander si tout le monde ne devrait pas le payer, ne serait-ce que symboliquement. Je ne vois pas non plus pourquoi vous ne fiscalisez pas la redevance sur la télévision : 90 % des Français ont la télévision, 1 500 fonctionnaires sont affectés au recouvrement de cette taxe, dont le taux est identique quel que soit votre revenu. Je ne serais pas du tout choqué que le service public de la télévision soit financé par l'impôt, comme l'école, d'autant qu'aujourd'hui les gens passent plus d'années devant la télé qu'à l'école !

En revanche, ne vous gênez pas pour imposer Bouygues, etc : quand je vois les milliards dépensés pour la publicité par Canigou et Ronron, il y aurait de quoi faire avec cela une vraie politique sociale !

La TVA, qui rapporte 40 à 50 % du budget, est l'impôt injuste par excellence. En plus les taux sont incompréhensibles : si je vais boire un Coca-Cola chez Mac Donald, la TVA sera de 5 %, mais si je bois un Perrier dans un bistrot, je paierai la TVA au taux de 20 % ! Cela ne peut que réjouir nos amis d'Outre-Atlantique, mais cela peine beaucoup nos hôteliers et restaurateurs, qui sont des éléments importants de la société française et du corps électoral !

Et quand je demande que les voitures électriques et les autres véhicules moins polluants soient taxés à 5 %, on me répond toujours Bruxelles, Bruxelles, Bruxelles... Sauf pour les crottes en chocolat et les couches-culottes ! (Sourires) Le parti communiste -c'est un grand succès de la révolution prolétarienne !- vient en effet d'obtenir la baisse sur le chocolat ! (Rires sur divers bancs)

Alors, c'est bien de faire l'euro, mais tant qu'il n'y aura pas harmonisation de la législation fiscale et sociale, on butera sur ce genre de problèmes. Puisque nous avons la chance d'avoir, pour la première fois, des gouvernements sociaux-démocrates dans tous les grands pays européens, il faudra s'efforcer de les convaincre de mener une politique de relance et de moduler les taux de TVA d'une façon plus juste. Sinon, vos prévisions de croissance ne seront pas tenues et vous serez obligés de geler une partie des crédits que nous allons voter. ("Eh oui !" sur les bancs du groupe UDF)

J'en viens à la technocratie, le pouvoir de ceux qui savent. Voyons, Monsieur le secrétaire d'Etat, ne vous vexez pas, je pense que nous avons d'excellents ministres des finances et du budget, plein de talents ! Mais ils souffrent tout de même de deux infirmités liées à leurs fonctions : une certaine surdité aux amendements parlementaires et un rétrécissement du col de l'escarcelle ! (Rires sur divers bancs) Ce sont des maladies professionnelles, en quelque sorte !

Parlons des écotaxes -ou des pollutaxes, comme disent les écologistes. A priori, cela peut sembler une bonne idée d'appliquer une TVA à 5 % sur la collecte sélective des déchets et à 20 % sur l'incinération. Mais en réalité, c'est une mauvaise idée. Les bourgeois ont des locaux pour conserver à la fois le sac des ordures ménagères, le sac des papiers, le sac des déchets verts, le sac des bouteilles, le sac de la tôle. Mais si vous habitez une HLM avec une cuisine minuscule et un petit placard sous l'évier ne pouvant contenir qu'un sac de 30 litres, vous ne pratiquerez jamais la collecte sélective ! ("Il a raison !" sur les bancs du groupe du RPR) Autrement dit, les villes qui ont beaucoup de logements sociaux paieront la TVA au taux plein alors que Neuilly paiera le taux allégé...

J'en viens à la taxe professionnelle. Nous avons tous dit que c'est un impôt stupide parce qu'il est assis en partie sur la masse salariale et donc décourage l'emploi. Mais je peux vous dire que les petites entreprises artisanales ne se sentent pas concernées car la taxe ne s'applique qu'à partir de quatre salariés.

D'autre part, nous allons bientôt voter la loi sur l'intercomnmunalité instituant des communautés d'agglomération financées par une taxe professionnelle unique, à taux unique. Permettez donc au maire de La Rochelle, qui a créé voici déjà cinq ans une communauté de villes alimentée par une taxe unique, de vous faire part de son expérience. Si nous avons tout fait pour accroître le nombre des entreprises, c'était bien sûr pour créer des emplois, mais aussi pour nous procurer des ressources. Or vous annoncez que tout va passer à terme par la DGF ! J'aime bien ce gouvernement, mais il n'est pas éternel et d'autres viendront en disant : "Par ici la bonne soupe !" Si vous voulez supprimer la part salariale de la taxe professionnelle, trouvez autre chose !

Dans ma communauté de villes, le produit de la taxe professionnelle a crû de 7 % en cinq ans. La DGF de 2 % seulement. Et je vais dépendre de l'Etat qui, un jour ou l'autre me signifiera qu'il est obligé de réduire cette DGF ? Vous êtes en train de donner un sacré coup de couteau aux lois de décentralisation ! Vous faites peut-être plaisir à vos tout-puissants services, mais Gaston Defferre doit se retourner dans sa tombe !

En bref, on ne peut parler de la taxe professionnelle avant le régler le problème des communautés d'agglomération ! (Approbations sur les bancs du groupe UDF)

Pour le reste, vous avez la chance de ne vous être pas trop trompés -moins que vos prédécesseurs- dans vos prévisions, mais tout dépend désormais des mouvements de capitaux ! M. Soros est beaucoup plus puissant que n'importe quel ministre des finances et si j'avais à signer un PACS, c'est avec lui que je le ferais plutôt qu'avec M. Strauss-Kahn ! (Sourires) Comment maîtriser ces va-et-vient ? Le ministre a dit qu'il allait y penser, et il fera bien... En tout cas, j'ai beaucoup apprécié le silence qui est tombé sur l'hémicycle lorsque le Premier ministre a évoqué les échanges mondiaux. Il est clair que ni l'Etat ni la Communauté européenne ne doivent abandonner leurs pouvoirs au profit des groupes privés, dont l'intérêt général est le cadet des soucis !

Mais les mouvements sont aussi monétaires : le franc-or, le franc germinal comprenait 223 mg d'or ; en 1928, le franc Poincaré en était encore à 65 mg ; en 1936, le franc Auriol n'en avait plus que 43 ou 44. A la Libération, on en était encore au dollar convertible en or. Puis M. Nixon a instauré le règne du dollar-papier : les Etats-Unis n'impriment des dollars qu'en fonction de leurs besoins, de sorte qu'ils tiennent tout. Tant que vous n'aurez pas réformé cela, vous n'aurez rien réformé et nous ne ferons que manier des idées : hélas, pour quoi que ce soit, le pouvoir est ailleurs qu'à l'Assemblée -dans un ailleurs qu'on ne contrôle pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur de nombreux bancs du groupe UDF et du groupe DL)

M. François d'Aubert - Ecoutant les ministres hier, j'ai eu le sentiment que de bonnes fées s'étaient penchées sur le berceau des auteurs, forcément géniaux, de ce budget. Mais peut-être ces fées étaient-elles trop nombreuses : d'où quelques constructions un peu trop miraculeuses, quelques mirages aussi.

En premier lieu, les obstacles semblent avoir été effacés à coups de baguette magique. Partout ailleurs qu'à Bercy, on se rend compte que la croissance mondiale ralentit : de 3 à 4 % ces dernières années, elle n'est plus que de 2 à 2,5 %. Pourtant, à vous entendre, notre économie ne devrait en être affectée que marginalement en 1999.

De même le dollar baisse. Les autorités américaines semblent décidées à le laisser tomber en-dessous des 5,50 F actuels, pour améliorer leur position vis-à-vis du Japon. Or miraculeusement, la France devrait être l'an prochain un îlot préservé, où le dollar serait à 6 F en moyenne, de sorte que nos exportations d'Airbus ou d'automobiles ne pâtiraient point.

La Bourse aussi baisse. En un an et demi cinq millions d'actionnaires s'étaient enrichis virtuellement de près de 300 milliards de dollars. Depuis juillet, ils les ont perdus. Que devient l'effet-richesse ? Vont-ils continuer à projeter d'acheter, de consommer ? Ces épargnants, ces cadres ne vont-ils pas plutôt se sentir beaucoup moins riches, et la consommation ne va-t-elle pas se ralentir ? Une fois encore, persuadés du miracle, vous répondez par la négative ! Vous seriez mieux avisés de vous inquiéter, y compris pour le rendement de l'ISF que vous voulez augmenter de 33 % pour faire plaisir au groupe communiste.

Après les miracles, les mirages. Le nuage du Tchernobyl monétaire et financier s'arrêterait selon vous à la ligne bleue de l'euro. Certes, celui-ci nous a protégés jusqu'ici des spéculations contre les monnaies européennes faibles. Mais un euro fort ne va-t-il pas pénaliser l'Europe vis-à-vis de la zone dollar ?

D'autre part, l'Union monétaire restera-t-elle crédible longtemps si la France continue de faire bande à part ? Quand nos partenaires réduisent énergiquement leurs déficits publics, leurs dépenses et leurs impôts, nous maintenons un déficit structurel. Quand ils font de la flexibilité, nous réduisons autoritairement de la durée du travail. Quand ils allègent la fiscalité sur l'épargne, nous continuons à l'alourdir comme si l'une des règles d'or de l'Union monétaire n'était pas la libre circulation des capitaux, et donc leur libre délocalisation vers les pays où ils sont le moins imposés. Quand nos partenaires résolvent la lancinante question des retraites grâce aux fonds de pension, le Gouvernement se borne à créer un anémique et complexe fonds de garantie, exactement comme s'il n'y avait pas urgence à agir plus efficacement. Quand nos partenaires privatisent sans état d'âme, vous vous obstinez à refuser la privatisation d'Air France et des autres entreprises publiques du secteur concurrentiel. Quelle distance donc entre vos discours pro-européens et ce jeu solitaire !

Vous semblez mythifier la demande intérieure, qui serait le seul bon moteur de la croissance. Cette illusion risque de faire passer au second plan les contraintes de la concurrence et de la productivité, et d'inciter les Français à se replier sur eux-mêmes. Or les chiffres ne sont déjà pas réconfortants pour ce qui est de notre commerce. Une chute de 10 % du dollar par rapport au franc fait baisser la croissance de 0,5 point et le solde des biens manufacturés s'est réduit de 25 % entre 1997 et 1999. Beaucoup d'éléments montrent que la demande extérieure ralentit, de sorte que l'activité pourrait faire de même. Sans compter qu'à trop miser sur la demande intérieure, on s'expose à des déconvenues...

Par exemple, que deviendra l'investissement immobiliser après la disposition du dispositif Périssol, le 31 décembre 1999 ? Quid des anticipations de consommation, compromises par l'effet-richesse négatif que j'évoquais à l'instant ? Quid des effets d'un dollar faible sur les investissements étrangers, ou même des conséquences de la transformation de la taxe professionnelle en taxe sur les équipements installés ? La compensation donnée aux communes étant insuffisante, celles-ci seront tentées de relever leur taux, au détriment de l'investissement. Quid enfin des effets de la réduction du temps de travail, sur les salaires et le pouvoir d'achat ?

Un rendez-vous douloureux n'est pas à exclure pour le début 1999. Vous vous souvenez sans doute, Monsieur le ministre, de ce gouvernement qui à l'automne 1992, prévoyait une croissance de 2,4 % et un déficit de 165 milliards : or, 1993 s'est terminé avec une croissance négative de 1,3 % et un déficit de 315 milliards, malgré les mesures du gouvernement Balladur. Si les 2,7 % n'étaient pas atteint l'an prochain, vous n'auriez guère le choix, il vous faudrait soit geler des dépenses, soit laisser filer le déficit, avec le risque que la France soit le mauvais élève de l'Europe et se fasse même infliger des pénalités. Vous agissez comme si la France était un îlot de croissance au milieu de la tourmente mondiale : ne vaudrait-il pas mieux réviser dès maintenant les prévisions ?

Vous commettez une erreur profonde en laissant filer la dépense publique -car ces 2,3 % ne correspondent pas à un effort de maîtrise de la dépense publique, seulement à une approche molle de l'indispensable réforme de l'Etat.

Saluons quand même l'effort de redéploiement, qui porte sur une trentaine de milliards, dont 12,2 milliards de révision des services votés et 15 milliards d'ajustements. Vous avez trouvé 30 milliards à économiser, c'est bien que l'on peut diminuer la dépense de l'Etat. Mais ces économies ont été aussitôt réinjectées dans des mesures dispendieuses telles que les 35 heures ou les emplois-jeunes -et je ne parle pas de l'initiative européenne du Premier ministre pour favoriser la croissance par la dépense publique.

Il serait possible de diminuer vraiment la dépense budgétaire en la stabilisant en francs courants, ce serait un signal positif pour les opérateurs économiques pour nos partenaires. Economiser chaque année 55 milliards, dès cette année et pendant cinq ans, c'est possible. A condition de s'attaquer à la réforme de l'Etat, de lutter contre les gaspillages et de réformer des dépenses devenues incontrôlables. Voyez par exemple ces dizaines de formules d'aide à l'emploi, 161 milliards au total sans compter les interventions de l'UNEDIC. Il est temps de distinguer ce qui relève de l'assistance et ce qui relève de l'assurance, et de mesurer l'efficacité réelle des politiques publiques en matière d'emploi.

En ce qui concerne l'aide à l'emploi, par l'abaissement des charges -seule technique efficace- la politique gouvernementale est d'une illisibilité coûteuse. L'an dernier, Mme Aubry déversait des flots de critiques sur la ristourne Barrot, mais cette année elle la réhabilite -sans doute parce qu'elle n'a pas été associée à l'accouchement secret du système mis au point par Bercy pour supprimer la part salariale de la taxe professionnelle. Quelle est donc la politique gouvernementale en matière de réduction des charges pesant sur les emplois non qualifiés ?

En fait, vous n'avez pas la volonté politique de réduire la dépense publique, qui est pourtant la clé d'une baisse des prélèvements obligatoires. Un jour, c'est au nom du keynésianisme, un autre au nom d'un socialisme suranné. Tous les pays européens ont opté pour la maîtrise réelle des dépenses publiques, mais nous restons à la traîne. Ayant en vue la perspective d'un pactole fiscal de 70 milliards supplémentaires en 1999, vous ne savez pas résister à la tentation de dépenser plus -un gros tiers ira à la dépense, alors que l'occasion était belle d'effectuer des réformes de fond. Vous gaspillez les fruits de la croissance.

Vos choix vont à l'inverse de la politique de maîtrise de la dépense publique décidée à Amsterdam. Vous avez été discret hier, Monsieur le ministre, sur la montée en charge des emplois-jeunes et de la réduction de la durée du travail ou sur la débâcle dans cinq ans du régime de retraite de la fonction publique. Vous avez été discret sur le coût des 35 heures dans l'administration, à la SNCF, à l'EDF ou à la Poste. Pour celle-ci, il faudra embaucher 15 000 agents supplémentaires, mais comment les paiera-t-on ? Il faudra soit augmenter le timbre-poste, soit supprimer des aides à la presse, soit faire appel au contribuable. Autant de bombes à retardement pour les budgets à venir.

En vous écoutant hier, Monsieur le ministre, on avait l'impression de feuilleter un livre des records, hélas très hexagonal. Ainsi, selon vous, le rapport entre la dette publique et le PIB décroîtra en l'an 2000 pour la première fois depuis un quart de siècle. Mais en 1999, il continuera d'augmenter, on peut douter que ce rêve de l'an 2000 se réalise. Il est en outre tendancieux d'accuser le précédent gouvernement de ne pas avoir eu le souci de faire baisser ce ratio d'endettement, alors que toute notre politique budgétaire visait à réduire le coût de notre endettement par une baisse rapide des déficits publics et des taux d'intérêt (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DL et du groupe UDF).

Vous vous présentez aussi en champion de la baisse des prélèvements obligatoires. N'exagérons rien : cette baisse est mécanique lorsque la croissance est forte. Elle vous permet de camoufler les 50 milliards d'impôts supplémentaires payés par les ménages et les entreprises et de faire oublier le quasi-doublement de la CSG, les mesures anti-familles et le matraquage de l'épargne.

Signe supplémentaire que vous ne maîtrisez pas grand chose, les impôts affectés aux organismes de Sécurité sociale -dont la CSG- passeront de 3 % à 5,2 % du PIB -on comprend mieux comment Mme Aubry s'y prendra pour équilibrer les comptes de la Sécurité sociale en 1999 !

Sans complexe, vous vous proclamez encore le champion de la baisse des impôts. Ce ne sont certes pas les épargnants qui vous croiront, ces "rentiers" que vous n'aimez guère. La fiscalité sur le patrimoine a augmenté de 40 % en deux ans, 55 milliards supplémentaires auront été prélevés sur le capital en 1998 et 1999. Et vous en "rajoutez une couche", cette année, avec l'assurance-vie. Ne vous étonnez pas que l'épargne puisse, elle aussi, se délocaliser.

Pour 1999, vous affichez des baisses d'impôts de 16 milliards, dont 6 milliards pour les ménages -en y englobant d'ailleurs des mesures prises en 1998. Mais vous oubliez de parler des hausses, qui ne sont pas limitées au "décile supérieur" de la population. Ainsi l'impôt sur le revenu va augmenter de 5 milliards à cause de la baisse du plafond applicable au quotient familial, de la suppression progressive de la réduction d'impôt pour intérêts d'emprunt et de la fin de l'allégement fiscal pour gros travaux. Il augmente en moyenne de 6 400 F pour les 500 000 familles qui n'ont qu'un enfant, et il augmente par rapport au PIB. Où est la baisse annoncée ?

Cependant, votre nouveau partenaire social-démocrate, M. Schröder, promet une baisse de 8 milliards par an de l'impôt sur le revenu allemand, avec une baisse du taux de la tranche supérieure de 53 % à 48,5 %. Voilà quelqu'un de courageux ! Pourquoi vous qui plaidez pour une croissance soutenue par la consommation, ne baissez-vous pas davantage les impôts sur les ménages ?

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances - Vous n'avez pas montré l'exemple !

M. François d'Aubert - Vous auriez pu amorcer la baisse de la TVA, que nous nous étions engagés à faire diminuer lorsque la croissance serait de retour. Au reste, ne soyez pas trop ingrat avec l'augmentation de deux points de 1995 : elle a permis de gagner la bataille de l'euro -car on revenait de loin en 1993-, et de financer la ristourne de charges sur les entreprises. Ils représentent en 1999 une recette d'environ 80 milliards ; peut-être est-ce cela qui vous fait hésiter à tenir l'engagement de Lionel Jospin !

M. le Président - Vous avez dépassé votre temps de parole.

M. François d'Aubert - Je vais conclure. En face de ces 80 milliards, vous offrez 4 milliards aux ménages, portant essentiellement sur les abonnements EDF.

Nous pensons à Démocratie Libérale -mais c'est aussi l'avis de M. Lang et de M. Fabius- qu'il fallait profiter d'une conjoncture aussi porteuse pour baisser les impôts : 55 milliards d'impôts en moins, c'était jouable, dès 1999, en commençant par ramener la TVA de 20,6 à 20 %.

Nous proposons un plan de cinq ans qui aurait trois objectifs : l'harmonisation européenne, la reconnaissance de l'initiative et la cohésion sociale.

Cessez d'attaquer les familles, les classes moyennes, les épargnants par esprit d'idéologie.

Le Gouvernement n'a pas pris la mesure des enjeux. Quant à notre combat, loin d'être idéologique, il est celui du bon sens et du réalisme. Nous défendons un budget plus libéral avec la volonté de mettre en oeuvre de vraies réformes à la place de mesures allant à contre-courant des politiques économiques menées dans les autres pays industrialisés. Il est urgent de changer de cap, au bénéfice d'une France plus forte et plus dynamique. Vous l'avez compris, le groupe Démocratie libérale votera contre ce projet de budget ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR)

M. Jean-Louis Idiart - En 1981, le Gouvernement et la majorité socialistes ont fait reculer l'inflation. Aujourd'hui, je vais tâcher d'en rabattre sur l'inflation verbale de l'orateur précédent.

Depuis un an, la situation de notre pays s'est beaucoup améliorée, au-delà même de vos prévisions. Après les excès de l'ultra-libéralisme et de la spéculation financière, qui ont parfois menacé la démocratie, les peuples se tournent vers la gauche. Même les plus fervents soutiens de Reagan et de Thatcher trouvent des vertus à Tony Blair ou à Gerhard Schröder. Encore quelques années, et la droite nous reconnaîtra, a posteriori, quelques mérites à nous aussi. Le conservatisme se nourrit toujours des progrès de la veille pour combattre les progrès nouveaux.

Au niveau international, nos choix apparaissent aujourd'hui comme les meilleurs possibles : économie d'échanges, liberté d'entreprendre, régulation par les pouvoirs publics, solidarité et justice sociale. Les gouvernements Balladur et Juppé ont conduit la droite dans une impasse, parce que leurs conceptions conservatrices les ont paralysés. M. Juppé lui-même ne croyait pas à la capacité de notre pays à impulser une nouvelle croissance. Le budget 1998 a permis de relancer la consommation et l'investissement. Les résultats sont là. La question aujourd'hui n'est plus comment boucler un budget, mais comment utiliser les fruits de la croissance.

La droite nous reproche de consacrer une part trop importante de cette croissance à alimenter la consommation ou la dépense publique. Décidément, elle n'apprend pas vite.

Vous avez fait d'autres choix, et d'abord celui de résorber la dette, pour renforcer l'initiative. Résorber la dette n'est pas un dogme, mais un outil. De même, consacrer une part de la croissance à la diminution des impôts, c'est aider les entreprises, soutenir la consommation et développer la solidarité. Diminuer les impôts n'est pas non plus un dogme mais un outil.

Enfin, augmenter les dépenses publiques est également une nécessité.

La droite, qui nous reproche ces choix, aurait-elle le visage de Janus ? Sur le terrain, elle réclame plus de services publics ; mais ici elle exige moins de dépenses publiques. Nous préférons, nous, répondre aux demandes de la population, comme nous nous y engageons.

Nous sommes très attachés à un rééquilibrage entre taxes indirectes et impôts directs, notamment sur le patrimoine. Mais comme la TVA représente une part importante des recettes, tout transfert généralisé entraîne des conséquences lourdes pour le budget, tandis que l'harmonisation européenne, que nous souhaitons, rend la réforme plus compliquée.

Vous proposez de réduire la TVA de façon ciblée, en tenant compte de nos souhaits relatifs aux travaux de réparation et de rénovation des logements. Nous vous demandons, pour ce dossier, de faire preuve à Bruxelles de plus d'énergie encore.

Nous accordons une importance particulière à la fiscalité de l'environnement, moyen de préserver la santé et d'améliorer la vie quotidienne de tous. La différence de prix entre le gazole et l'essence sera comblée en sept ans, alors que pour la première fois depuis vingt ans les taxes sur l'essence n'augmentent pas. J'appelle votre attention sur le nécessaire renouvellement des matériels de transport en commun. Nous approuvons la baisse du taux de TVA sur le traitement des déchets faisant l'objet d'un tri sélectif. La création de la TGAP donnera du poids et de la lisibilité à la fiscalité de l'environnement.

A l'occasion de la préparation du budget pour 2000, nous aurons à étudier de près les recettes des agences de l'eau, afin de leur conserver leur caractère décentralisé. La réforme de la taxe professionnelle, décision courageuse, était attendue. Charge pour les entreprises, cette taxe procure des recettes aux collectivités locales. Il est donc normal d'en débattre. Mais ne voit-on pas à cette occasion les libéraux se transformer en chevaliers protecteurs de la taxe professionnelle ? Cet impôt réputé imbécile et anti-économique commence à devenir presque intelligent parce que sa réforme est enfin proposée.

M. Christian Cuvilliez - Il ne faut pas exagérer !

M. Jean-Louis Idiart - Comme quoi être conservateur, c'est avoir peur même de voir appliquer ses propres propositions. Le débat sur la compensation, sur la capacité d'initiative fiscale des collectivités locales, sur leurs rapports avec le budget de l'Etat, mérite d'être mené à son terme. Nous aurons alors à traiter aussi du lien entre intercommunalité et fiscalité, et à envisager une nouvelle étape de la décentralisation. En engageant une réforme de la taxe professionnelle, vous ouvrez un chantier plus large qui intéresse les socialistes au plus haut point, parce que la décentralisation est une part de nous-mêmes.

Si les dotations de l'Etat aux collectivités locales progressent cette année, la part de la dotation portant sur la croissance mérite d'être renforcée.

Enfin, l'annonce de la révision des bases des impôts locaux, dans le cadre du prochain collectif, répond à une longue attente des collectivités locales.

Le réaménagement de l'ISF permettra un meilleur rendement de cet impôt. Nous souhaitons examiner comment inclure dans son assiette les oeuvres d'art, en écartant les oeuvres contemporaines pour ne pas nuire à la création.

Le renforcement de la progressivité de l'impôt et le caractère redistributif de la politique familiale vont dans le bon sens, et plusieurs amendements répondront aux problèmes de certaines personnes seules qui bénéficiaient antérieurement d'une demi-part supplémentaire, ainsi que des retraités dont la déduction de 10 % a été bloquée par M. Juppé.

Les priorités de la majorité sont largement financées. Les crédits de l'emploi augmentent de 3,9 % pour atteindre 161 milliards, permettant de porter le nombre des emplois-jeunes à 250 000 fin 1999, de financer la réduction du temps de travail et les exonérations de charges sur les bas salaires et de doubler le nombre des CEC. La politique du logement social soutient l'activité économique : 120 000 PALULOS, 80 000 PLA, majoration de 4,5 % des crédits de l'allocation-logement. Les crédits de la solidarité et de la santé progressent également de 4,5 %, permettant de mettre en oeuvre la loi contre les exclusions. Le budget de la délégation interministérielle à la ville augmente de près d'un tiers, et atteint le milliard. La priorité à l'éducation est confirmée, avec une augmentation de 4,1 % des crédits de l'enseignement scolaire et de 5,5 % de ceux de l'enseignement supérieur. Les crédits de la jeunesse et des sports augmentent de 3,4 %, ceux de la justice de 5,6 %, ceux de l'environnement de 14,8 %, ceux de la sécurité de 3 %, ceux de la culture de 3,5 %.

Ce budget répond à un grand nombre de nos attentes. Notre pays a besoin de confiance, de dynamisme et de volontarisme pour développer la croissance. La droite n'a pas cru notre pays capable de se mobiliser pour sortir de la stagnation, et nous ne l'entendons exprimer que des peurs et des interrogations. Ce budget est un instrument pour construire la France de l'initiative et de la solidarité que nous voulons. Nous le voterons après avoir contribué à l'améliorer (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Guyard - Les réformes de la fiscalité locale sont à la fois nécessaires à la lisibilité de celle-ci et cohérentes avec l'objectif de création d'emplois. Elles doivent cependant, pour que leur efficacité soit maximale, être complétées s'agissant d'une part de la taxe professionnelle dans les villes ayant connu un développement très rapide et s'étant, de ce fait, beaucoup endettées ; d'autre part de la taxe d'habitation dans les villes comptant un pourcentage élevé de logements sociaux.

Les villes nouvelles sont particulièrement concernées par l'un et l'autre phénomène, et leur endettement par habitant atteint 22 000 F, soit plus du triple de la moyenne des communes de même population. Elles bénéficiaient, jusqu'à présent, de la croissance de l'activité et de compensations de taxe professionnelle de la part de l'Etat, mais la suppression de la part salariale menace leur équilibre financier : s'il y avait été procédé en 1994, elles y auraient perdu 42 millions cette année. Il est donc indispensable de prévoir une forme de compensation supplémentaire.

La révision des valeurs locatives ne bénéficiera guère aux habitants des HLM d'Evry, qui sont déjà 45 % à être exemptés, en tout ou en partie, de taxe d'habitation, et elle s'accompagnera d'une diminution de 6 millions de la compensation versée par l'Etat, obligeant la commune à surtaxer les logements non sociaux - dans la limite du maximum que le Gouvernement a eu la sagesse de fixer - au risque de chasser, en quelques années, le peu de représentants des classes moyennes qui reste. Il faut donc étendre la solidarité au niveau national, afin que cette mesure, bonne en elle-même, ne pénalise pas les communes les plus dynamiques (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Loos - Ce débat budgétaire doit porter aussi sur la crise financière internationale et sur le cadrage macro-économique qui en découle. Les Etats-Unis étant en fin de cycle et le Japon confronté à une crise bancaire grave, il appartiendrait à l'Europe de tirer la croissance, ce qui pose deux questions fondamentales : celle-ci ayant été largement favorisée par la conjoncture internationale antérieure et par le cours du dollar, l'optimisme reste-t-il de mise dès lors que la tendance s'inverse ? Le budget 1999 est-il de nature à relancer ou à entretenir la croissance ?

L'Etat continue d'emprunter pour financer ses dépenses de fonctionnement, réduit parallèlement ses dépenses d'équipement et tente d'agir sur l'emploi en réduisant la taxe professionnelle, mais l'effet sera faible, et plus que compensé, au demeurant, par celui du passage aux 35 heures. Il serait plus efficace de réduire les charges sociales salariales. Quant à la suppression de l'amortissement Périssol, elle provoquera une baisse de l'activité de construction, que ne compensera pas la hausse de la réhabilitation induite par l'augmentation des crédits de l'ANAH. Vous comptez sur une progression de la consommation des ménages, mais il est difficile d'y croire, alors que les négociations sur les 35 heures risquent de geler les augmentations salariales jusqu'en 2002. Enfin, si le grand emprunt européen que vous appelez de vos voeux doit financer des infrastructures publiques rentables, et si vous croyez vraiment à vos prévisions de croissance, qu'est-ce qui vous empêche de faire la même chose au niveau national ? Quant à la TVA sur les services d'entretien ou de restauration, l'argument de l'"eurocompatibilité" ne tient pas, puisque ces services ne "voyagent" pas et ne sont donc pas soumis à la concurrence entre pays.

En vérité, vous donnez des signaux à vos amis, mais ils ne sont ni assez convaincants ni assez efficaces pour entraîner la croissance attendue. Si on n'atteignait pas ces 2,7 % de croissance, quelles seront les régulations prioritaires que vous ferez subir à votre budget ? D'autre part, vous comptez beaucoup sur l'Europe, que ce soit pour engager de grands emprunts ou pour obtenir certaines baisses de TVA. Je souhaite savoir ce qu'ont répondu les Allemands et les Anglais à votre proposition de grand emprunt, et si elle a une chance d'être réalisée (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme Nicole Bricq - Ce budget présente quatre qualités évidentes. Tout d'abord il est rationnel, fondé sur des faits, non sur des conjectures ou des fantasmes. On le sait : la demande intérieure est soutenue, la consommation et l'investissement reprennent, le chômage recule, et la zone euro est stable, car son développement est largement autocentré. Deuxième qualité du budget : sa continuité avec celui de 1998, qui donnait déjà la priorité à l'emploi et au soutien de la croissance. Surtout il nous donne les moyens de financer nos grands engagements : emplois-jeunes, loi contre l'exclusion, réduction de la durée du travail.

Troisième qualité : la fiabilité. On a beaucoup débattu sur les prévisions de croissance. Je crois qu'elles sont prudentes, et que nos choix sont validés par la crise financière, puisque nous avons choisi de baser la reprise sur la demande intérieure. Certains semblent penser : "Levez-vous, orages désirés"... Je ne veux pas faire de procès d'intention et supposer qu'ils se réjouiraient d'un malheur potentiel de la France. Mais je crois que nous sommes entrés dans un cercle vertueux entre consommation, production, création d'emploi et investissement.

Enfin, c'est un budget de réforme dans la méthode. Le calendrier du débat budgétaire a été allongé ; ce débat a tenu compte du travail parlementaire ; nous faisons de la redistribution entre les revenus du capital et du travail ; nous engageons une réforme de la fiscalité locale ; et nous introduisons pour la première fois une fiscalité écologique. Je m'exprimerai à l'article 30 à propos de la taxe générale sur les activités polluantes, sur laquelle j'ai quelques nuances par rapport à Yves Cochet ; je crois que c'est un pari, qui peut être gagné ou perdu.

J'en viens maintenant à ce que nous dit l'opposition. Tout comme elle jugeait infaisable le budget de 1998, elle dit maintenant que le sujet n'est pas celui de 1999, mais de 2000. Curieuse manie de prendre toujours un an d'avance, pour se donner l'air intelligent de celui qui voit plus loin... Pourtant l'an dernier vous vous êtes trompés, et n'en tirez pas les leçons. L'opposition ne comprend pas qu'on puisse faire un budget de gauche, et pourtant réaliste. Nous, qui avons toujours plaidé pour la régulation, la production et la solidarité, nous nous retrouvons dans ce budget. Le mouvement qui conduit la grande majorité des peuples européens à se doter de gouvernements socio-démocrates ou de gauche montre que nous sommes dans le vrai, et que vous êtes loin de la réalité.

En outre, l'idée d'une initiative européenne de croissance, que nous avons toujours soutenue, redevient tangible. C'est le sens de la proposition du Premier ministre...

M. Pierre Lellouche - ...qu'a aussitôt écartée M. Schröder !

Mme Nicole Bricq - Ne pariez pas sur le pire. En dehors des prévisions de croissance, les deux grandes critiques de l'opposition portent sur le niveau des prélèvements obligatoires et celui de la dépense publique. Baisser les prélèvements ? Qui ne le souhaite ? M. d'Aubert vient de reprendre l'argumentation libérale, que développait M. Madelin dans un "contre-budget" paru dans le Figaro magazine. Ce dernier demande qu'on réduise la dépense publique de 55 milliards. Il supprime au passage les emplois jeunes, pourtant plébiscités par nos concitoyens, et propose un revenu familial d'activité garanti qui permettrait en réalité un sous-SMIC. Tout cela n'est pas sérieux.

Votre priorité est la baisse de l'impôt sur le revenu. Mais quand vous l'avez faite, c'était pour les plus hautes tranches, et dans le même temps vous augmentiez l'impôt le plus injuste, la TVA, cassant du même coup la reprise. Si l'impôt sur le revenu augmente cette année, c'est l'effet mécanique de la bonne conjoncture intérieure. Vous invoquez la politique fiscale de M. Schröder. Mais la politique du SPD converge avec la nôtre. Il ne touche pas à la TVA pour ne pas pénaliser la consommation. En outre la structure de l'impôt n'est pas la même : TVA et impôt sur le revenu rapportent respectivement en France 800 et 350 milliards, alors qu'en Allemagne leur rendement est équivalent.

Votre argumentation sur la baisse des charges, qu'a développée M. Méhaignerie, est plus subtile. Ici encore, qui ne la souhaite ? Mais l'important est de savoir comment la faire, et comment la financer. La condition de cette baisse est la maîtrise des dépenses de la Sécurité sociale. Il faut aussi réfléchir à la contradiction entre innovation technologique et baisse des charges sur les bas salaires. De cette baisse ciblée, on connaît les défauts : elle décourage les moins formés d'accroître leur qualification ; elle alourdit les charges sur les salaires plus élevés ; elle incite les entreprises à dévaloriser les diplômes.

Il est normal que ce débat nous oppose : vous défendez le libéralisme et nous la régulation. Mais on ne voit pas pourquoi la dépense publique ne pourrait pas venir, elle aussi, soutenir la croissance ! Je crois donc que vos arguments ne sont pas fondés. Ce budget garantit la justice sociale ; tout en préservant les équilibres (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre Lellouche - A la veille de ce débat, d'après un journal du soir, le ministre des finances aurait reproché à l'opposition de se délecter à l'avance des difficultés qu'entraînera pour l'économie française la crise internationale. Et de citer Chateaubriand : nous mettrions "le malheur de notre pays au nombre de nos espérances"...

M. Alfred Recours - Ça y ressemble.

M. Pierre Lellouche - La méthode ne nous surprend pas. Elle est désormais indissociable de votre style de gouvernement. Quiconque vous critique s'expose au même terrorisme de type stalinien (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). A propos du PACS vendredi dernier, nous étions rétrogrades et en voie de lepénisation. Critiquions-nous les trente-cinq heures ? Nous voilà nostalgiques du travail des enfants ! Dans le débat sur l'immigration, le ministre de l'intérieur m'a traité de maurrassien. Et si aujourd'hui nous avons du mal à croire à vos prévisions de croissance, nous sommes de mauvais Français, à la mentalité d'émigrés...

Et pourtant votre budget est irréaliste, "irréel", écrit même Jacques Attali dans L'Express du 8 octobre. Permettez-moi de citer son texte.

M. Jean Glavany - Sur qui l'a-t-il plagié ?

M. Pierre Lellouche - "Voilà un document, excellent au demeurant, préparé avec le plus grand soin et la plus extrême compétence par un gouvernement honnête et réaliste, qui se révèle complètement faux avant même que l'on n'entame son examen. La croissance de la production, la hausse des prix, la valeur du dollar seront de 10 à 30 % inférieures aux hypothèses qui ont servi de base au calcul des recettes. Quant aux dépenses, elles devront être malheureusement massivement augmentées pour financer le soutien qu'il faudra apporter aux grandes banques françaises, prochaines victimes de la crise, et en raison de la nécessité d'augmenter sensiblement la protection sociale."

Mais M. le ministre de l'économie n'est ni stupide ni aveugle. Je me suis donc demandé pourquoi il ne voulait pas voir ce que tout le monde sait, à savoir l'existence d'une crise internationale gravissime qui, partie de l'Asie tropicale, a gagné le Japon, la Chine, la Russie et l'Amérique latine.

Pourquoi persistez-vous à ne rien voir ? Imperturbablement vous maintenez vos prévisions. Pourquoi ? Parce que vous avez reculé devant tous les choix difficiles : réforme de l'Etat, réduction des dépenses publiques, financement des retraites. En revanche, vous avez dépensé beaucoup d'argent pour les emplois-jeunes, les 35 heures, la revalorisation des traitements des fonctionnaires -qui représentent le tiers du budget ! Alors pour que ces objectifs cadrent avec les recettes, vous annoncez une croissance de 2,7 %.

En tant que citoyen, je souhaite que ce pronostic soit exact et même dépassé ! Mais que se passera-t-il si vous vous trompez ? Vous êtes engagés dans une partie de joker avec la France ! Nous sommes le seul pays en Europe à consacrer un éventuel excédent de recettes à l'augmentation des dépenses !

Un mot sur votre argument principal face à la crise : nous serons protégés par l'Europe, dites-vous. Cela me rappelle l'accident de Tchernobyl, dans les années 1980 : les autorités de l'époque nous ont expliqué que le nuage radioactif s'était arrêté aux frontières de la France.

Aujourd'hui, on nous explique que la crise ne touchera pas la France parce que l'euro nous protège. Mais de deux choses l'une : ou bien les autorités monétaires vont tout faire pour tirer l'euro vers le haut et alors il y aura une déflation accélérée en France, ou bien les marchés jugeront vos objectifs tellement irréalistes qu'il y aura une spéculation contre le franc dans les trois années précédent l'entrée en vigueur de l'euro.

Vous avez claironné que vous baissiez les impôts, mes collègues ont déjà démontré ce qu'il en était. Je prendrai seulement l'exemple de la taxe sur les locaux commerciaux, dont l'augmentation va se traduire pour certains petits commerçants par des charges considérables. Dans ma circonscription, un hôtel de 2 500 m2 va économiser 5 000 F sur la taxe professionnelle, mais payer 120 000 F de plus en taxe sur les locaux commerciaux et même 240 000 F dans quatre ans ! Vous allez ainsi détruire quatre emplois dans cet hôtel. Bravo pour cet excellent budget ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

M. Raymond Douyère - Tous, nous nous posons la même question : pouvons-nous tenir le rythme de croissance de 2,7 % sur lequel est bâti ce budget, face à la crise internationale ? Internationale, mais pas européenne : elle affecte l'Asie, l'Amérique centrale, mais l'Europe reste un îlot de croissance, les taux d'intérêt y sont au plus bas, l'inflation est jugulée et le pacte de stabilité encadre et réduit les déficits publics.

Les causes profondes de cette crise internationale, ce sont la volatibilité des capitaux, en particulier des fonds de pension, les dysfonctionnements de certaines économies et aussi du système monétaire et bancaire mondial. "La main invisible" censée réguler les marchés vient d'être prise dans le sac, au sens étymologique du saccage.

Il faudra bien procéder à une remise en ordre et, contrairement à ce que prônent les libéraux, c'est toujours la puissance publique qui a réalisé ce type de remise en ordre : la crise des caisses d'épargne américaines a coûté 175 milliards de dollars au budget fédéral, la réserve fédérale est intervenue pour sauver LTCM qui avait 21 milliards de dollars de pertes, touchant une quinzaine de banques, et au Japon l'Etat procède actuellement à l'injection de 60 000 milliards de yens, soit 3 813 milliards de francs français, presque l'équivalent de notre PIB !

On voit le résultat de ce que prônent les libéraux et que nous avons toujours dénoncé : la privatisation des profits et la nationalisation des pertes !

Comment le président d'un fonds qui gagne 50 millions de dollars par an pourrait-il être sensible à la misère qu'il déclenche à l'autre bout du monde par ses actions spéculatives ?

Les taux de rentabilité qui sont actuellement exigés partout, 15, 20 %, ont des effets drastiques sur les économies et entraînent des désordres internationaux.

Les Etats doivent donc intervenir pour dégager des solutions, qu'il s'agisse de la réforme du FMI et de la Banque mondiale ou de la création de mécanismes tels que la Tobin tax ou l'obligation de constituer une réserve imposée, comme au Chili, aux investissements à court terme.

C'est dans ce contexte qu'a été bâti ce budget. Il me semble pouvoir être tenu car il traduit une politique volontariste de baisses d'impôts qui bénéficient à l'ensemble des acteurs économiques.

J'aborderai plus particulièrement trois points : la taxe professionnelle, la baisse de la TVA, le régime fiscal de l'assurance vie.

Sur la taxe professionnelle, on peut s'interroger sur le niveau de l'indexation qui sera mis en place. Mais la vraie question, c'est celle des contreparties à demander aux entreprises. Nous qui sommes partisans de toujours lier les avancées pour les entreprises à des avancées pour les travailleurs, nous pensons qu'il aurait fallu opérer cette baisse dans le cadre de la négociation annuelle sur l'emploi. S'il n'y a pas de contreparties en termes d'embauches, nous n'atteindrons pas les 350 000 emplois dont la création est prévue dans le secteur privé. Certes, cela présente des difficultés techniques mais la question méritait discussion.

La baisse de la TVA est ciblée sur le logement, ce qui est une bonne chose, mais il convient d'aller plus loin en appliquant le taux minimal de 5,5 % à l'ensemble des travaux effectués dans les logements des particuliers car cela créerait des emplois.

S'agissant enfin de l'assurance vie, nous ne pouvions accepter la première proposition du Gouvernement : sur une succession de 190 millions, 60 millions transmis par l'assurance vie n'auraient été soumis à aucune taxation ! Le projet a donc été revu à la lumière de nos observations et prévoit maintenant une taxation à la sortie, lors de la réalisation, de 20 % au-delà d'un million, le tout assorti en 1998 d'une taxe sur les sociétés d'assurances. Pour ma part, j'avais avancé un autre dispositif qui me semble meilleur en ce qu'il lève bien des objections : il s'agirait de taxer, selon un taux à déterminer, l'ensemble des contrats pendant toute leur durée. Outre que cela procurerait des recettes importantes à l'Etat, cela permettrait de maintenir un régime de transmission sans imposition tout en assurant une meilleure justice fiscale et sociale.

Grâce à l'action du Gouvernement, la croissance française va se trouver confortée. Il faudrait qu'il en soit de même à l'échelle de l'Europe. Nous avons la chance aujourd'hui que 11 des gouvernements de l'Union soient sociaux-démocrates. Pour une fois, le roi est nu : on ne pourra dire que M. Kohl empêche de prendre telle ou telle disposition ! Nous serons au contraire en mesure de changer la Commission si elle usurpe certains droits et, surtout, grâce à des mesures librement discutées entre tous ces gouvernements, de conforter la croissance pour conforter l'emploi. Je souscris donc à la proposition faite hier par Lionel Jospin, visant à lancer un emprunt européen en vue de grands travaux, ainsi qu'à celle de M. Prodi, visant à utiliser les excédents de réserves des banques centrales. Nous pourrions ainsi, ensemble, aller au-delà du Pacte de stabilité et de l'Union monétaire pour imposer un véritable contrat social européen ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Julien Dray - Je suis bien content de ne pas être libéral. Pour tous ces prêtres du marché-roi, ces apôtres de la déréglementation, ces fanatiques de la main invisible, quel camouflet que la crise financière ! Et pour certains de nos collègues de l'opposition, quelle désillusion de voir s'écrouler tant de croyances au rythme de l'effondrement des bourses !

M. Jean-Pierre Brard - Ce sont des dévots ; ils ne sont jamais déçus.

M. Julien Dray - Maintenant, ils sauront : le marché n'est pas tout. Il ne régule ni n'organise rien à lui seul. Pis, il menace de s'auto-détruire tant la sphère financière fragilise l'économie réelle. Dire qu'il y a deux ans, les mêmes voulaient en rajouter en tentant de mettre en place des fonds de pension, comme si ceux des Anglo-saxons ne suffisaient pas à mettre en danger toute l'activité productive.

Ceux-là pourront cesser de clamer avec Alain Minc que la mondialisation est "heureuse" : la crise systémique montre qu'elle se fait en réalité sous l'égide des marchés financiers.

Tout ayant une fin, voici donc que sonne le glas du terrorisme intellectuel néo-libéral, pour lequel il n'y avait qu'une politique économique possible. Sous son influence, on se résignait à n'ajouter qu'un supplément d'âme social à la brutalité du libéralisme économique, à poser un bout de scotch ici, à rafistoler là, avant un coup de peinture final. La mondialisation était devenue l'argument majeur de l'impuissance.

La reine est nue. Le réel, aujourd'hui, c'est la crise de ce système où la financiarisation exerce sa tutelle sur toutes les autres activités : un épais nuage orageux. Le risque existe à présent que la peinture se craquelle et que les bouts de scotch se détachent un à un. Quel contraste saisissant avec la douce euphorie de l'an passé !

Cette période de turbulences dans laquelle nous entrons se caractérise avant tout par l'incertitude. Je me garderai bien, en tout cas, de jouer les Cassandre de l'année à venir, recommandant à ceux qui s'y risqueraient d'ouvrir un cabinet de voyance ! ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste)

Tout ce que nous pouvons souhaiter dans cette conjoncture, c'est que nous ayons ici même un vrai débat où nul ne se réfugie derrière des certitudes établies. Car il y a urgence à poser la seule question utile : comment éviter la récession généralisée qui ruinerait tous les efforts entrepris par le Gouvernement pour résoudre la crise sociale ?

Le temps qui nous est imparti nous empêchant de déterminer dans le détail toutes les mesures qui s'imposent, je me contenterai d'esquisser quelques pistes de réflexion pour une utilisation optimale de nos deux principaux outils de politique économique.

La crise nous impose de modifier sensiblement l'orientation de nos politiques monétaire et budgétaire, dans un sens expansionniste.

La première est restée si longtemps identique qu'elle ressemble maintenant à une statue de marbre. Une détente monétaire en Europe fait figure d'impérieuse nécessité après que le pragmatisme de la Banque américaine s'est illustré par la chute du dollar et la baisse des taux. Le maintien du statu quo, qui nous a déjà coûté un million d'emplois au début des années 1990, serait dévastateur pour notre économie. La surévaluation de notre monnaie aggraverait le manque de crédit qu'engendre la crise déflationniste venue d'Asie.

Il est grand temps d'admettre qu'une monnaie forte n'est pas une monnaie surévaluée, qui entrave les exportations et assèche le crédit. Au contraire, une monnaie forte s'adapte aux modifications de son environnement pour se mettre au service de la croissance. Voilà pourquoi le dollar reste une monnaie forte alors que le "franc fort" était une monnaie fragile.

Ce budget ayant été élaboré en fonction d'un dollar aux environs de 6 francs, hypothèse maintenant soumise à discussion, nous devons, pour conserver toute son efficacité à cet instrument, peser sur la politique monétaire.

Je ne pense pas cependant que ce soit suffisant pour éviter que les ondes de choc de la crise mondiale se traduisent chez nous par une récession. Afin de mettre toutes les chances de notre côté, il nous faut mobiliser également l'outil budgétaire au service d'une politique expansive de soutien à la consommation et à l'investissement.

M. Ollier remplace M. Paecht au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER

vice-président

M. Julien Dray - En période de dépression et de déflation mondiales, il est inutile d'escompter atteindre 2,7 % de croissance grâce à la demande externe. La conjonction d'une forte contraction des importations des pays émergents et d'un dollar très bas freinant nos exportations nous oblige à essayer de "solidifier" la reprise de la consommation et de l'investissement. Il ne faudrait pas en effet sous-estimer l'effet psychologique négatif que peut avoir la crise sur les comportements des ménages et des entreprises.

Or, à cet égard, le projet de budget n'est pas totalement satisfaisant. Nous devons l'améliorer, d'autant que nous disposons des marges de manoeuvres nécessaires. En effet, à la différence des fameux 3 % de déficit, aucun de nos engagements européens ne nous oblige à descendre au niveau des 2,3 % escomptés pour cette année. J'irai même un peu plus loin : même les 3 % ne sont pas sacrés. Ce chiffre n'a aucun fondement économique réel, comme on le verra au cours des mois qui viennent. Certes, aller au-delà signifie pour le Gouvernement de réduire moins rapidement la dette. Mais, en faisant de la réduction des déficits une religion, nous nous privons d'investissements pour réduire la pauvreté, de sorte que nous finirions par léguer à nos enfants un chômage de masse, ce qui est bien plus décourageant et coûteux que des intérêts à rembourser !

Le moyen le plus efficace de réduire la dette de l'Etat n'est pas, paradoxalement, d'économiser, mais d'investir !

Si nous menions cette politique audacieuse pour la première fois depuis bien longtemps, le différentiel entre les recettes et les dépenses ne serait pas subi. Vous dites, Monsieur le secrétaire d'Etat, avoir cette volonté de donner priorité absolue à la demande intérieure. Cependant, la suppression de la part de taxe professionnelle assise sur les salaires entre-t-elle bien dans ce cadre ? Si elle allège la pression fiscale, c'est au bénéfice des entreprises sans contrepartie sérieuse en termes d'embauche. Quelles améliorations sur le front de l'emploi ou de la consommation vont apporter ces 7 milliards de réduction de charges ?

En outre, pour les collectivités, la compensation par l'Etat aboutit de fait à un transfert de charges des entreprises vers les ménages. Ce type de relance s'apparente donc plus à une politique de l'offre alors que l'effort devrait porter sur la demande.

Nous disposons pourtant de moyens d'action considérables, et qui permettraient de faire d'une pierre deux coups. Les mesures de soutien à la demande peuvent, en sus de relancer l'activité, réduire l'injustice de notre système fiscal en redonnant un sens à la notion républicaine de progressivité de l'impôt.

Ici, l'urgence est la réduction de la TVA, impôt dégressif et qui pèse sur la consommation, de façon nettement différenciée : elle représente 8 % du revenu d'un smicard contre 5 % de celui d'un salarié gagnant 100 000 F par mois.

En ce sens, les amendements du groupe socialiste visant à abaisser au taux réduit la TVA sur les travaux de rénovation et sur le traitement des ordures complètent avantageusement le dispositif initial du Gouvernement. Je défendrai pour ma part une mesure supplémentaire : il s'agirait de taxer uniformément la restauration au taux réduit de 14 %, afin de mettre fin à une inégalité de traitement entre les salariés qui n'ont pas la possibilité de manger chez eux ou dans une cantine d'entreprise et les autres. En outre, ce sont les formes de restauration traditionnelles qui sont les plus taxées alors que ce secteur est le quatrième employeur privé de France. Enfin, les fast food, qui embauchent et licencient aussi vite qu'ils fabriquent leurs hamburgers, sont ceux qui profitent le plus de la disparité des taux.

Dans le même ordre d'idées, tout ce qui nuit à la progressivité et à la justice fiscale doit être corrigé. Il convient donc de poursuivre sur la voie ouverte l'an dernier, en vue d'un rééquilibrage entre revenus du travail et revenus du capital. Des mécanismes comme celui de l'avoir fiscal, que vous avez très justement choisi de réduire, ou comme celui du prélèvement libératoire, pénalisent à outrance les premiers.

Voilà pourquoi je propose que nous abordions dans ce débat budgétaire la question de la taxe "Tobin", qui pourrait rapporter des milliards. Lorsque l'économie était principalement industrielle, c'était l'industrie qui était la plus lourdement taxée. Maintenant que la finance et la spéculation dominent, au nom de quelle bizarrerie de l'esprit nous interdirions-nous de toucher à ces flux ?

Bien sûr, j'entends déjà les discours sur la fuite des capitaux qui en résulterait. Mais croyez-vous réellement qu'une taxe de 0,05 % sur les opérations en devises soit de nature à faire fuir tous les capitaux ? Soyons sérieux. Les investisseurs fuiraient la France, pays moteur de l'euro, à cause d'une taxe de 0,05 % ? Et pour aller où ? Dans les pays émergents ? Au Brésil, en Russie ?

M. le Président - Il faudrait conclure.

M. Julien Dray - Je termine. Il n'est pas vrai non plus que la Tobin Tax n'ait de sens qu'au niveau international. Si tel était le cas, pourquoi le contrôle des capitaux à court terme instauré par le Chili est-il un succès ? Il va bien falloir que quelqu'un se décide à se jeter à l'eau, compte tenu de l'extrême besoin de régulation du système financier international.

Je revendique ce rôle pour notre pays. La France doit commencer et donner un signal à toutes les nations, peut-être par un amendement à ce budget (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Nous pourrons prolonger la séance jusqu'à 19 heures 30 (Approbations sur divers bancs).

Mme Michèle Alliot-Marie - Dans tous les pays, ce sont les classes moyennes qui tirent l'économie vers le haut. Elles représentent en France près de 80 % de la population, ceux qui travaillent et qui créent, mais aussi ceux qui supportent l'essentiel de l'effort de solidarité. Ce sont les artisans, les commerçants, les agriculteurs, les ouvriers qualifiés, qui voudraient s'en sortir et préparer l'avenir de leurs enfants, ou les cadres, professions libérales, patrons de PME qui ont vu leurs revenus diminuer, leur statut remis en cause.

Or, que faisons-nous pour ces classes moyennes ? Le budget et la fiscalité les concernent particulièrement puisqu'ils forment l'essentiel des 50 % de Français qui paient l'impôt sur le revenu. Force est de constater que ce sont toujours les mêmes qu'on sollicite, au risque de décourager l'effort et l'activité. On sollicite les actifs des classes moyennes quand on accroît l'IR de 5 milliards, on sollicite les familles des classes moyennes quand on plafonne le quotient familial. On sollicite les retraités des classes moyennes, déjà touchés par le transfert de la cotisation maladie sur la CSG, ou par la modification du régime de ceux dont l'assiette de cotisation est atypique. A présent, c'est l'assurance vie : certes, vous avez reculé à propos de la rétroactivité, mais pas complètement. Ce faisant, c'est encore les classes moyennes que vous frappez -car les plus riches ont toujours des solutions pour échapper à la taxation.

L'intérêt de l'Etat et de la cohésion sociale serait qu'on prenne enfin en compte cette classe moyenne, si essentielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Gilbert Mitterrand - "Les dispositions fiscales ont leur place dans une loi de finances". Cette vérité à laquelle j'adhère (sourires) a été rappelée avant-hier lors de l'examen de la loi d'orientation agricole. Elle signifie que celle-ci appelle une suite fiscale.

Certes, les choses ne sont pas simples, tant la fiscalité agricole s'est construite à partir de mesures spécifiques et dérogatoires empilées, justifiées par les intérêts de l'économie et des exportations, le souci de l'aménagement du territoire, et de l'emploi rural en particulier, mais qui constituent aujourd'hui des freins par rapport aux priorités affichées d'autre part -que ce soit par exemple la transmission d'entreprises et l'installation des jeunes ou le développement des fonds propres et des investissements. L'absence d'une définition de l'exploitant agricole, la nature juridique multiple du foncier, qui est à la fois un outil de production, un objet de spéculation, un élément du patrimoine, la confusion du revenu réel d'exploitation, du revenu disponible et du revenu comptable, du chef d'exploitation et du chef de famille sont autant de difficultés Pour les surmonter, on élabore de plus en plus des montages juridiques alambiqués, véritables usines à gaz où la transparence ni l'efficacité ne trouvent leur compte. Le maintien de la structure familiale ou individuelle est découragé par la fiscalité qui pousse à la création de sociétés. L'Etat n'est pas forcément gagnant à cette évolution.

Mme Michèle Alliot-Marie - Nous sommes d'accord !

M. Gilbert Mitterrand - Vous voyez qu'on peut y arriver !

Mme Michèle Alliot-Marie - Mais c'est vous qui nous rejoignez !

M. Gilbert Mitterrand - Il est d'ailleurs paradoxal que, si la fiscalité agricole et les impératifs économiques encouragent l'exploitation sociétaire, d'autres dispositions pénalisent cette évolution.

Un examen d'ensemble est donc devenu nécessaire, et cette loi de finances offre peut-être un cadre approprié pour y réfléchir. Elle est aussi l'occasion de rappeler les engagements pris par le ministre de l'agriculture, stimulé par François Patriat, excellent rapporteur de la loi d'orientation agricole, à l'occasion d'un amendement après l'article 64 : créer un groupe de travail entre les différentes administrations, dont la vôtre, et les professionnels, en vue de la remise d'un rapport en octobre prochain.

Je souhaite que vous nous confirmiez cet engagement, pour votre part, Monsieur le ministre. Dans ce cas aussi, l'objectif est politique : il s'agit bien de replacer l'homme et ses activités au coeur de nos préoccupations (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.

M. le Président - A la demande de la commission, la prochaine séance aura lieu à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 30.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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