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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 9ème jour de séance, 22e séance

3ème SÉANCE DU MERCREDI 14 OCTOBRE 1998

PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER

vice-président

          SOMMAIRE :

LOI DE FINANCES POUR 1999 (suite) 1

    MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 10

    ARTICLE PREMIER 17

    ART. 2 18

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.


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LOI DE FINANCES POUR 1999 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 1999.

M. Jean-Pierre Balligand - Avant de formuler quelques observations au sujet de la taxe professionnelle, je voudrais souligner le caractère quelque peu surréaliste de notre discussion. Nous sommes en pleine crise financière mondiale et nos collègues de l'opposition s'en tiennent au problème du taux de croissance, en mettant en doute la prévision de 2,7 % -en réalité 2,5 %, plus 0,2 % de report de l'année antérieure.

La vie économique mondiale est peut-être à un moment historique. Pendant des années, nous avons entendu dire que c'en était fini de la politique des Etats en matière économique, qu'il était nécessaire d'homogénéiser les dispositifs et qu'il fallait faire confiance à la fluidité des marchés et réduire l'intervention de l'Etat ; certains partis politiques de notre pays donnaient en exemple les Etats-Unis de M. Reagan, l'Angleterre de Mme Thatcher et le Japon.

Il faut aujourd'hui regarder les choses en face : nous voyons arriver la fin de l'ultralibéralisme, avec une crise financière gravissime. L'Etat japonais, pour prendre cet exemple, est en train d'apporter aux banques privées japonaises entre 2 000 et 3 000 milliards de francs -soit 20 à 30 fois ce qu'on a apporté au Crédit Lyonnais. C'est la socialisation des pertes : on fait payer au contribuable japonais les conséquences des risques financiers qui ont été pris. Même chose pour la Federal Reserve, avec un abondement de 20 milliards de francs ; ajoutons à cela les 40 milliards de la Banque mondiale, les 15 milliards de subventions accordés au FMI par le gouvernement américain, plusieurs dizaines de milliards de dollars sans doute insuffisants pour soutenir le Brésil.

Comme je l'ai écrit dans un article sur "la globalisation, l'Etat et le marché", je pense qu'il va falloir, au niveau européen, trouver un système de mixité entre capitaux publics et privés, permettant de disposer, à côté des banques traditionnelles, d'institutions qui ne se contentent pas de spéculation à court terme, mais qui travaillent sur le moyen terme.

Ce n'est pas le président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts qui le dit, mais le membre de la commission des finances. J'espère que le Parlement aura l'occasion d'y réfléchir.

J'en viens à la taxe professionnelle. Monsieur le ministre, votre dispositif est remarquable.

M. Jean-Pierre Brard - Ingénieux, pervers...

M. Jean-Pierre Balligand - Certaines idées ne sont pas propres à la France. En Angleterre, on a mis en place le "Uniform business rate", système intéressant mais qui ne correspond pas à notre conception de la décentralisation.

M. le Président - Il faudrait aller vers votre conclusion.

M. Jean-Pierre Balligand - Ce système très simple -un taux national- est exactement ce qui avait été proposé dans le quinzième rapport du Conseil des impôts -lequel avait provoqué un petit tollé parmi les responsables des collectivités locales, quelle que soit leur appartenance.

En Allemagne, dans les années 80, on a retiré les salaires de la base de calcul de l'impôt économique local. Mais dans ce pays, une loi organique fixe les règles de répartition des dotations entre l'Etat fédéral et les Länder. En France, c'est Bercy seul, sans aucun écrit, qui décide... D'où l'interrogation des élus sur le montant de la compensation jusqu'en 2003.

Nous avons donc décidé de déposer des amendements. D'abord, un amendement du rapporteur général demande que soit établi chaque année un rapport sur les effets du dispositif. Ensuite, il nous parait souhaitable de passer à une taxe professionnelle d'agglomération ; il faut le faire maintenant car si on attend, les élus communaux ne seront pas d'accord, compte tenu des distorsions entre communes.

M. le Président - Vous avez doublé votre temps de parole. Je vous demande de conclure.

M. Jean-Pierre Balligand - Je conclus.

Il serait, enfin, nécessaire de délier les taux. Les élus locaux ne sont pas des irresponsables...

La taxe professionnelle a augmenté de 5,8 % par an pendant dix ans. Votre système est loin d'être aussi intéressant. En 2003, il y aura donc déjà une perte sèche -8,5 milliards selon nous. C'est pourquoi nous demandons que soit assuré un système de compensation correcte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Michel Bouvard - Très bien !

M. le Président - Si chacun dépasse ainsi son temps de parole, je serai obligé d'être plus sévère.

M. Didier Quentin - Je consacrerai mon propos à dénoncer le nouveau mauvais coup porté aux familles, sur lesquelles vous vous acharnez.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Cela faisait longtemps...

M. Didier Quentin - C'est un sujet essentiel car malgré vos velléités de faire passer le PACS pour un progrès de la civilisation, la famille reste le fondement de la vraie solidarité ; et l'avenir de notre pays comme celui de l'Europe est inscrit dans sa démographie.

Dans le budget 1998, vous avez divisé l'allocation de garde d'enfants à domicile par deux, supprimé les allocations familiales pour des milliers de familles, considérablement diminué la réduction d'impôts pour les emplois à domicile. Cette année, vous reprenez subrepticement d'une main ce que vous donnez de l'autre, en faisant ainsi preuve d'une certaine dose de duplicité. Après avoir enfin entendu les arguments des parlementaires de l'opposition qui avaient dénoncé la mise sous condition de ressources des allocations familiales, mesure qui pénalisait fortement les classes moyennes, vous vous lancez dans une nouvelle mauvaise croisade avec le plafonnement du quotient familial.

M. le Ministre - C'est vous qui l'avez voulu !

M. Didier Quentin - Décidément vous cédez toujours à l'archaïsme et en revenez à la lutte des classes, cette idée neuve du XIXème siècle !

M. Jean-Pierre Brard - C'est M. Boutin ! (Sourires sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

M. Didier Quentin - Vous essayez d'introduire la lutte des classes dans les familles, d'opposer les Groseille aux Le Quesnoy ! Mais la politique familiale a sa propre logique ; elle ne doit en aucun cas être un adjuvant d'une politique sociale hasardeuse.

Le Gouvernement veut nous faire croire que dorénavant il soutient la famille, mais la réalité est bien différente. Contrairement au message adressé par M. Jospin à l'issue de la conférence de la famille, c'est bien l'ensemble de la politique familiale qui est mis aujourd'hui en cause. Les 5 milliards prélevés en 1998 ne seront pas rendus ; bien au contraire, en abaissant le plafond du quotient familial à 11 000 F, le Gouvernement augmente de 5 milliards l'impôt sur le revenu de 400 000 familles.

Vous essayez de justifier le plafonnement du quotient familial en prétextant que le coût des enfants a baissé, et que le quotient familial est un cadeau fait aux familles, et aussi que le quotient familial est une niche fiscale parce que les enfants des classes moyennes coûteraient proportionnellement moins cher à leurs parents que les autres.

En fait, le coût des enfants n'a pas baissé depuis 20 ans. En répondant au principe "à niveau de vie égal taux d'imposition égal", le quotient familial est un instrument de justice fiscale très performant. Le plafonner revient à taxer plus lourdement les familles que les célibataires ou les couples sans enfants, et les familles nombreuses plus que les autres. Au demeurant, ce système ne profitera pas aux familles les plus modestes.

Le plafonnement répond donc à un choix idéologique et budgétaire, et non à la recherche de davantage de justice. Voilà un domaine où la stratégie présidentielle de M. Jospin, pour reprendre la délicate expression de notre camarade Bocquet, sacrifie la stratégie nationale de la France. Je n'irai pas jusqu'à dénoncer avec Châteaubriand ceux qui mettent les malheurs de leur pays au nombre de leurs espérances...

Je préfère, avec le président Chirac, rappeler que la politique familiale ne peut être ni de droite ni de gauche ; elle doit être familiale. Elle n'existe pas quand elle a pour effet de diminuer le revenu relatif des familles, comme nous le déplorons dans ce budget. Elle cesse d'être vraiment familiale quand elle commence à dépendre d'une redistribution entre familles ; et elle redevient familiale quand elle fait appel à la solidarité nationale. C'est à quoi nous nous efforcerons par nos amendements (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Eric Besson - Ce budget est bon parce qu'il est susceptible, on l'a dit, de soutenir la croissance.

L'indispensable réforme de la taxe professionnelle que vous proposez mérite d'être soutenue avec vigueur.

M. Jean-Pierre brard - Voilà au moins un soutien, mais c'est le seul !

M. Eric Besson - Qui, à gauche comme à droite, n'a pas affirmé que la taxe professionnelle était un boulet pour l'emploi ? François Mitterrand a résumé d'un adjectif lapidaire ce qu'il fallait en penser. A droite, les condamnations de la taxe professionnelle n'ont pas manqué, de Jean-Pierre Fourcade en 1979 à M. Lamassoure en 1996 en passant par M. Pasqua en 1992 et par M. Sarkozy en 1994.

M. Jean-Pierre Brard - C'est l'appel aux morts !

M. Eric Besson - Pourtant, en commission, nous avons eu la surprise d'entendre les membres de l'UDF, à l'exception de ceux de Démocratie libérale, rivaliser d'imagination pour justifier leur rejet d'une réforme qu'ils avaient annoncée et souhaitée, et que la gauche va réaliser. En fait, cette réforme dote le Gouvernement d'un outil supplémentaire pour lutter contre le chômage. Alors que le mode de calcul actuel fait obstacle à la création d'emplois, votre dispositif est une incitation à l'embauche.

Fallait-il, comme le soutient l'opposition, renoncer à cette réforme pour faire porter l'effort sur la baisse du coût du travail ? Il y a là une question qu'il faudra traiter. M. Strauss-Kahn a déclaré en commission qu'il n'aimait pas choisir entre fromage et dessert, qu'il voulait l'un et l'autre. Nous attendons donc qu'après la réforme de la taxe professionnelle, le Gouvernement nous dise comment il entend baisser le coût du travail non qualifié.

Si la droite avait supprimé la part salariale de la taxe professionnelle, nous aurions été obligés de lui donner raison. Réjouissons-nous que la gauche le fasse car, avant d'être un cadeau aux entreprises, la réforme est un cadeau pour l'emploi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Georges Tron - M. Balligand a déploré que nous fassions du problème de la croissance le thème récurrent de nos interventions. C'est qu'il s'agit bien d'une question fondamentale.

Je ne vous ferai pas de procès en affirmant que le taux annoncé de 2,7 % est absolument hors d'atteinte ; j'espère au contraire que l'on y parviendra. Mais le contexte actuel conduit à s'interroger. Rappelez-vous ce que sont devenues les prévisions de 1992 dans l'exécution du budget de 1993. La situation internationale est difficile. Ce qui se passe en Russie -chute de 60 % du rouble et dégradation des comptes- risque d'avoir des effets sur l'Allemagne. Le Japon va subir une récession de 2,5 %. En Amérique latine, la croissance passe de 5 % en 1997 à 1,6 % en 1999. Aux Etats-Unis, son rythme est tombé de 5,5 % au début de l'année à 1,8 % à la fin du printemps. En Europe, nous en sommes à 2,5 % aujourd'hui, contre 4 % au deuxième trimestre de 1997, avec une baisse continue du dollar.

La situation de la France est-elle de nature à nous rasséréner ? La consommation des ménages incite à l'optimisme. Mais la croissance de la production industrielle fléchit, les exportations stagnent, les perspectives d'embauche sont étales, le mouvement des stocks dans les entreprises s'est arrêté, les importations de biens d'équipement diminuent, les encours de crédits aux entreprises se contractent. La consommation des ménages, moteur actuel de la croissance à laquelle elle a contribué pour 0,6 % au deuxième trimestre, est un facteur volatil, fondé sur la confiance que la hausse du chômage en août pourrait compromettre. La reprise de l'investissement, qui a atteint 3,8 % au premier semestre, va-t-elle résister à la baisse de la demande extérieure ? Enfin, la dépréciation du dollar renforce les inquiétudes.

Je ne dis pas que le taux de 2,7 % de croissance ne peut pas être atteint, et tant mieux si nous y parvenons. Mais votre budget est tout entier bâti sur cette hypothèse. Si celle-ci n'est pas vérifiée, je serai alors dans le cas de vous demander : "Avez-vous été assez prudent quand il fallait l'être ?". La réponse sera évidemment négative (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Dominique Baert - On ne peut oublier qu'une crise boursière et financière secoue bon nombre d'économies, et il est de notre responsabilité d'en apprécier la portée et les conséquences. Le plus vraisemblable est toutefois que notre croissance ne sera pas fortement remise en cause l'an prochain. L'opposition, bien sûr, clame le contraire, mais sait-elle seulement apercevoir la croissance, elle qui a choisi, voici dix-huit mois, de s'autodissoudre par désespoir de ne point la voir poindre à l'horizon ? (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

La croissance est aujourd'hui réelle, et résulte de notre stratégie macroéconomique. Nous avons fait le bon choix : celui de la croissance tirée par la consommation et par l'investissement, et donc moins sensible aux ondes de choc extérieures. Notre croissance se tient mieux, mieux qu'avant, mieux qu'ailleurs.

M. Michel Bouvard - Quelle autosatisfaction !

M. Dominique Baert - Il en résulte de meilleures conditions de vie pour nos concitoyens, de meilleurs débouchés pour nos entreprises, et donc des perspectives d'emplois et de revenus supplémentaires. Telle est notre démarche, économiquement vertueuse et socialement indispensable (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Oui, il y a un avant et un après. Consommation des ménages : + 0,2 % au premier semestre 1997, + 4,2 % au cours des douze mois suivants. Pouvoir d'achat : + 0,8 % en 1996, + 3,3 % en 1997, + 5,7 % en 1998. Investissement : - 0,5 % en 1996, + 0 % en 1997, + 3,3 % en 1998. Quant à l'indice de confiance des consommateurs (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), il a atteint, ces derniers mois, son meilleur niveau depuis dix ans, le point le plus bas ayant été observé en décembre 1995, soit deux ans et demi après votre retour au pouvoir et six mois après votre captation de tous les pouvoirs ! Voilà l'avant, et voilà l'après ! Voilà la défiance, et voilà la confiance !(Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Georges Tron - C'est le même discours qu'en 1982 !

M. Dominique Baert - Il nous faut cependant continuer d'agir pour soutenir cette croissance, et ce budget y contribue. Trois leviers d'action sont à privilégier. Le soutien du pouvoir d'achat et des revenus des ménages, d'abord, grâce à l'abaissement de la TVA, à l'augmentation du crédit d'impôt pour les travaux dans le logement, à l'accord salarial dans la fonction publique -que M. Carrez dénonçait hier avec vigueur- et à divers allégements ou suppressions de taxes. Ensuite, la dépense publique, investissement d'avenir, avec priorité à l'emploi, à la lutte contre l'exclusion, à la justice, à l'environnement, à la sécurité, à l'éducation et à la recherche, soit au total, en volume, 37 milliards supplémentaires injectés dans l'économie...

M. Georges Tron - Et s'il n'y a plus de croissance, comment ferez-vous ?

M. Dominique Baert - Cette dépense publique sera d'autant plus efficace qu'elle donnera aux collectivités locales les moyens de relayer les initiatives gouvernementales (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) - d'où les amendements de la commission des finances sur la DCTP et la DSU - et qu'elle sera démultipliée par une initiative européenne : l'Union européenne doit plus que jamais réfléchir, compte tenu de sa configuration politique actuelle, à la perspective d'un grand emprunt, de nature à soutenir sa croissance et, partant, l'emploi.

Troisième levier, enfin : l'investissement. Ses facteurs sont complexes, mais je suis persuadé que la reprise de la demande et l'allégement de la part salariale de la taxe professionnelle des PME dès 1999 créent un terrain propice.

Les moteurs de notre croissance intérieure ne devraient donc guère s'affaiblir, ce qui ne nous dispense pas de contenir les conséquences de la crise financière internationale sur l'économie réelle -je pense notamment à des secteurs comme le textile ou le machinisme agricole-, d'agir sur les taux d'intérêt, pour lesquels une marge de baisse existe encore en Europe, et de lutter contre la spéculation, par exemple en instituant une taxe de 0,05 % sur les mouvements de capitaux au sein de l'Union européenne.

Un taux de croissance ne se décrète pas, mais il s'entretient. Ce sont nos concitoyens, consommateurs et investisseurs, qui feront, ou ne feront pas, la croissance de l'an prochain. Qu'ils espèrent, et la France créera des emplois ; qu'ils doutent, et elle en détruira ! A trop jouer les Cassandre, l'opposition prend le risque de jouer la France perdante (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Michel Bouvard - Cassandre avait raison !

M. Dominique Baert - En vérité, après avoir rendu patente l'impuissance de sa gestion, la droite cherche dans le dénigrement et dans la procédure je ne sais quel "Viagra" pour sa réanimation politique ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

J'emprunterai ma conclusion à Antoine de Saint-Exupéry : "Seul l'inconnu épouvante les hommes. Mais, pour quiconque l'affronte, il n'est déjà plus l'inconnu." (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

La discussion générale est close.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - M. Auberger a posé, à juste titre, le problème du cours du dollar. La vérité est que personne ne peut savoir quel sera ce cours dans un an. La tradition, qui en vaut une autre, est de se fonder, lorsqu'on élabore le projet de budget sur le cours du mois d'août. Depuis août, le dollar a baissé, puis remonté, et bien malin qui peut dire s'il vaudra, en janvier, cinq francs cinquante ou six francs vingt ! S'il devait s'établir durablement à cinq francs vingt ou cinq francs dix, cela ne serait évidemment pas sans conséquences, mais celles-ci seraient moindres que par le passé, du fait de l'euro. De toute façon, il fallait bien faire une hypothèse, et nous ne pouvions guère faire autrement que de recourir à la règle habituelle.

M. Auberger, en revanche, érige l'erreur en institution lorsqu'il essaie de démontrer qu'il n'y a pas baisse des impôts (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR). Il est vrai qu'il y a une différence entre l'effet brut, qui est de 12,5 milliards, et l'effet net, qui n'est que de 7,2 milliards, mais le deux chiffres figurent dans le même tableau du document publié par le Gouvernement, et si l'on peut penser que 7,2 milliards, ce n'est pas assez, on ne peut pas dire que ce n'est rien ! C'est deux fois plus, en tout cas, que ce que viennent d'annoncer nos amis allemands pour 1999. A cela, M. Auberger répondra que les Allemands font porter l'effort sur l'impôt sur le revenu, et nous sur les droits de mutation et les impôts indirects ; c'est oublier que l'impôt sur le revenu pèse deux fois plus lourd, dans le PIB, chez eux que chez nous. Ils ont peut-être raison de faire ce qu'ils font. Mais chez nous c'est la TVA qui est trop lourde, alors que l'impôt sur le revenu n'est pas important -j'entends en masse, même si certains taux sont élevés.

Sur la croissance, Monsieur Auberger, vous déclariez l'an dernier à pareille époque : "je ne vois pas de raison d'attendre une amélioration significative de la conjoncture et de la croissance l'an prochain". Tout le monde peut se tromper. Mais quand on s'est trompé, on est plus discret l'année suivante.

M. Georges Tron - Et six ans après, que fait-on ?

M. le Ministre - Vous évoquez 1992. Mais cette année-là l'erreur était générale, et a été commise dans tous les pays. Et ce n'est pas parce que nous nous sommes trompés en 1992, et vous l'an passé, qu'il faut vous précipiter dans l'erreur cette année ! J'aime mieux, sur ce sujet, l'intervention de M. Tron. Je ne suis pas d'accord avec lui -du moins dans l'ensemble, car je suis d'accord avec nombre de points de son intervention- mais au moins il s'interroge, ce qui est légitime. Il n'est pas raisonnable en revanche d'être péremptoire, et d'affirmer que nous n'aurons jamais ce taux de croissance, alors que nombre d'organismes internationaux en annoncent plus encore.

Je veux rassurer M. Tron : la Chambre de commerce de Paris a publié en septembre une enquête portant sur 6 500 entreprises, ce qui est un bel échantillon. Elle confirme l'amélioration de la situation des entreprises dans tous les secteurs d'activité, et conclut que la reprise est "désormais bien enracinée". Devant un tel résultat, alors que l'environnement international était mauvais, nous n'avions pas de raison de réduire nos prévisions de croissance.

Mme Michèle Alliot-Marie - Un sondage de septembre reflétait cependant un pessimisme des entreprises.

M. le Ministre - Elles étaient moins optimistes qu'en juillet, c'est vrai. Mais c'est que le niveau de confiance a atteint en juillet un record historique : même s'il est redescendu à cause de la crise internationale, il reste élevé. Cela pourra changer ; mais personne aujourd'hui n'a de raison fondée d'affirmer que nous ne pourrons pas avoir les 2,7 %.

Enfin, M. Tron affirme que, si les choses vont mal, le budget sera totalement déséquilibré. Mais les recettes ne sont pas indexées linéairement sur la croissance. Bien sûr, si celle-ci est nulle ou négative, mon calcul ne tient pas. Mais à la marge, avec une erreur de 0,1 ou 0,2 % il tient à peu près : l'effet sur les recettes d'une erreur de cet ordre serait limité. Si l'économie mondiale plonge et qu'on a 0,5 % de croissance, ce sera différent. Mais rien ne permet de le penser. Chacun reconnaît que l'Europe est en train d'entrer dans une phase de croissance. Même si les économistes des institutions privées -banques, instituts de conjoncture-, qui sont généralement prudents, et qui annonçaient 2,5 % pour 1998 alors qu'on a eu 3 %, annoncent pour 1999 les mêmes 2,5 %. Il n'y a donc pas lieu de s'arracher les cheveux. Je continue de penser que la croissance que nous avons prévue sera là, et s'il s'en faut de 0,1 %, le budget n'en sera pas déséquilibré.

M. Bocquet a notamment affirmé qu'il fallait soutenir la consommation par l'augmentation du pouvoir d'achat. Le pouvoir d'achat du revenu disponible augmentera de 2,8 % en 1998 et de 2,5 % en 1999. La consommation est donc bien soutenue par le pouvoir d'achat, et les statistiques la concernant sont plutôt bonnes.

M. Bocquet approuve la disposition de la part salaires de la TP, mais juge que la réforme ne prend pas assez en compte les plus-values financières. On a le droit de souhaiter qu'elles soient prises en compte davantage, c'est une question d'appréciation. Mais je ne voudrais pas laisser croire qu'elles ne le sont pas du tout. En effet, la cotisation minimale va tripler. Or elle est assise sur la valeur ajoutée, c'est-à-dire les salaires plus les profits. Son augmentation est donc une manière de faire intervenir dans la TP une fiscalisation de profits. On peut juger que ce n'est pas assez ; mais, dans le principe, nous avons tenu compte de la remarque émise à ce sujet en commission des finances.

M. Bocquet, comme beaucoup d'orateurs, dont M. Balligand, a soulevé le problème de la compensation et de son indexation pour les années suivant la première. Les parlementaires sont des élus nationaux, mais je comprends qu'ils aient présent à l'esprit les préoccupations des élus locaux qu'il leur arrive de rencontrer. (Sourires) Et ceux-ci s'inquiètent, parce que toutes les précédentes opérations sur la TP se sont mal passées, à cause d'un mauvais mode d'indexation : ce fut le cas par exemple en 1987. Mais celui que nous proposons est satisfaisant pour les collectivités. M. Balligand a dit que la base de la TP a cru plus vite ces dernières années que si lui avait été appliquée l'indexation que nous proposons. C'est vrai de la base totale, non de sa part salaires : celle-ci a cru moins vite que l'inflation augmentée de la moitié du PIB, qui correspond à l'indexation proposée.

MM. François d'Aubert et Marc Laffineur - Cela dépend des communes.

M. le Ministre - Bien sûr : je parle en moyenne nationale. Mais cela signifie que notre système a une dimension de solidarité : la progression sera un peu moins rapide qu'elle ne l'aurait été dans une commune où l'emploi se développe, un peu plus dans une autre où il va moins bien. C'est en somme de la péréquation.

M. Bocquet a formulé des propositions relatives à la TVA. Le Gouvernement en a entendu certaines, par exemple sur les déchets, et surtout sur les compteurs EDF : cette baisse très bien choisie, car on est sûr de sa répercussion sur le consommateur, avait été proposée par le groupe de M. Bocquet, et a été retenue par le Gouvernement.

M. Méhaignerie a dit que nos débats seraient vains si ce budget devait être rayé d'un trait de plume dans quelques mois. C'est évident, mais il n'y a aucune raison qu'il en soit ainsi. Entre 1994 et 1997, il y a eu, chaque année, des annulations, alors qu'il n'y en a pas eu en 1998 ; il n'y en aura pas plus en 1999.

On a déjà évoqué 1992, et je ne veux pas polémiquer. Mais si l'année 1993 a été marquée par une crise mondiale, on a enregistré en 1994 une croissance de 2,7 % : pour autant, vous n'avez pas sensiblement réduit le déficit -malgré d'importantes cessions d'actifs qui sont allées au budget général- ni les dépenses comme le voudrait aujourd'hui M. d'Aubert. S'il est aujourd'hui possible, avec ce même taux de 2,7 %, de les réduire de 55 milliards, pourquoi pas en 1994 ? Mais quittons ces polémiques sur le passé, elles sont stériles.

Vous avez exposé, Monsieur Méhaignerie, ce que vous feriez à notre place, et ici je n'ai guère de commentaire à faire : vous avez expliqué ce que serait un budget de droite. Souffrez que nous ne fassions pas celui-là. Vos choix sont légitimes ; ce ne sont pas ceux de la majorité.

Mme Odette Grzegrzulka - Ni des Français...

M. le Ministre - En effet, car si cette majorité est là, c'est bien parce que les Français l'ont voulu.

Sur la taxe professionnelle, vous avez déploré notre réforme, bien que beaucoup de membres de l'opposition aient naguère prôné quelque chose d'analogue. Vous auriez préféré une baisse des cotisations sociales sur le travail non qualifié.

M. Michel Bouvard - Comme Mme Aubry.

M. le Ministre - Moi aussi ! Chacun sait qu'il y a un problème du travail non qualifié dans ce pays, et qu'il faut faire un effort dans ce sens ; personne n'est contre. Le problème est que la baisse des cotisations sur le travail non qualifié ne figurait pas à notre programme, qui comportait en revanche la réduction de la part salariale de la taxe professionnelle. Une fois encore, souffrez que ce Gouvernement applique le programme sur lequel il a été élu, comme vous l'auriez fait vous-même ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Vous avez ensuite critiqué cette réforme sous prétexte qu'elle profitait avant tout au secteur des services. Mais c'est précisément pour cela qu'elle est au contraire bonne : c'est dans ce secteur que se créent le plus d'emplois.

Votre intervention sur cette affaire de taxe professionnelle était au total exemplaire : vous avez énuméré toutes les raisons de ne pas bouger, comme si vous vouliez fournir un archétype du conservatisme.

M. Pierre Méhaignerie - J'ai indiqué une alternative !

M. le Ministre - Pourtant, les citations de M. Besson sont là pour le prouver, vous êtes tous d'accord pour juger cet impôt mauvais, au moins dans votre for intérieur ! Mais vous êtes à ce point empêchés de reconnaître ce que ce Gouvernement fait de bien que vous vous sentez obligés d'aligner des raisons pour condamner les réformes que vous souhaitez (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Pierre Méhaignerie - Mme Aubry aurait donc tort ?

M. Philippe Auberger - Sornettes !

M. le Ministre - M. Auberger s'est réveillé ! Mais a-t-il entendu que son tour était passé ? (Rires sur les bancs du groupe socialiste)

Ce que je constate -ce n'est pas une preuve absolue, mais au moins une indication- c'est qu'avec votre politique, de 1995 à 1997, la croissance française était inférieure à la croissance européenne et qu'avec notre politique, la situation s'est inversée.

M. Pierre Méhaignerie - On ne peut juger sur un an.

M. le Ministre - Certes et c'est pourquoi j'ai dit que ce n'était pas une preuve absolue. Mais cela milite davantage dans mon sens que dans le vôtre. Et, comme vous, si j'ai bien compris, j'espère que ce retournement de situation se poursuivra.

M. Pierre Méhaignerie - On pourrait aussi remonter jusqu'en 1981 !

M. le Ministre - Je n'ai pu écouter toute l'intervention de M. Crépeau mais on m'a rapporté qu'il avait fait des propositions intéressantes et nous les examinerons bien sûr avec beaucoup d'intérêt.

M. d'Aubert, qui appartient au nouveau groupe "Dérive libérale" (Rires sur les bancs du groupe socialiste), nous a reproché de considérer la France comme un îlot de croissance. Il aurait raison si c'était vrai mais ce que j'ai dit, c'est que cet "îlot" s'entendait à toute l'Europe. Par ailleurs, nous prenons en compte l'environnement international : à preuve, nous avons estimé notre croissance à 2,7 % alors que nous aurions le potentiel pour atteindre 3,2 %. Il ne faut donc pas caricaturer, d'autant que j'ai ici une déclaration faite l'an dernier par M. Madelin...

M. Philippe Auberger - Vous avez assez à faire en répondant aux présents pour ne pas vous soucier des absents !

M. le Ministre - Il suffit de prononcer le nom de M. Madelin pour que M. Auberger jaillisse tel un diable de sa boîte !

M. Philippe Auberger - Cessez de faire le guignol !

M. le Ministre - Je cite M. Madelin parce qu'il est à la tête du mouvement auquel appartient M. d'Aubert. L'an passé donc, il déclarait : "L'année 1998 sera plus mauvaise que 1997 : nous allons droit dans le mur".

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances - Il parlait pour lui !

M. le Ministre - "Je donne rendez-vous à M. Strauss-Kahn pour la fin de l'année", ajoutait-il. J'honorerai ce rendez-vous, tout comme d'ailleurs le pari fait avec M. Auberger !

M. Philippe Auberger - C'est vous qui avez parié, pas moi !

M. le Ministre - Vous avez accepté par votre silence inhabituel ! "Vous ne ferez jamais trois points de croissance", aviez-vous jeté, à la suite de quoi j'avais parié que nous ferions au moins 2,8 % et proposé qu'en tout état de cause, nous distribuerions ensemble un tract dans la circonscription du perdant pour expliquer qu'il s'était trompé. Mais puisque vous dites que vous n'avez pas accepté, l'aveu me paraît suffisant : je vous tiens quitte ! (Sourires)

M. d'Aubert a tiré argument de ce que nous essayons de refondre la dépense publique pour dire que nous ne faisions que remplacer certaines dépenses par d'autres. Selon lui, nous aurions mieux fait de nous contenter de supprimer. Mais le fait qu'on puisse diminuer des dépenses n'entraîne pas obligatoirement qu'on doive le faire ! L'essence d'un budget est de traduire des choix ou des priorités. C'est ce qu'a fait la majorité avec celui-ci : nous avons affecté 30 milliards à des dépenses que nous jugions plus nécessaire.

Je suis surpris d'autre part, Monsieur d'Aubert, que vous soyez tombé dans un piège tout à fait élémentaire : on ne peut à la fois dire que nous avons beau jeu de baisser les prélèvements obligatoires quand nous nous appuyons sur une croissance forte et annoncer que cette croissance risque de faire défaut. Ou cette croissance est forte et vous n'avez aucune raison de vous inquiéter, ou elle ne l'est pas et baisser les prélèvements obligatoires est d'autant plus méritoire. Mais j'ai déjà relevé le même genre de contradictions chez d'autres qui disent : "Lorsqu'il y a croissance, il faut en profiter pour réduire les déficits" puis, tout aussitôt : "La croissance risque de cesser en 1999, il faut réduire les déficits" ! Autant avouer qu'il n'y a pas de lien entre les deux !

Le problème, c'est que vous n'avez qu'une seule thérapeutique : réduire la dépense et les déficits. Nul besoin de lier cela à la croissance !

M. Georges Tron - J'ai dit l'inverse !

M. le Ministre - En effet, mais c'est tout de même la position de la majorité de l'opposition.

M. Idiart a bien mis en évidence ces contradictions de la droite, sensible dans l'écart entre les discours tenus dans les circonscriptions, où l'on ne peut demander moins d'infirmiers et d'instituteurs, et les discours tenus ici. Il a également bien souligné la contradiction entre les propos d'aujourd'hui et la pratique passée : la dépense publique dans les années 1994-1997 n'a pas été ce qu'en dit la droite à présent !

M. Idiart a défendu les avancées demandées par la commission des finances et je m'engage devant lui à essayer de convaincre Bruxelles d'aménager la TVA dans le sens qui nous convient.

S'agissant de la sortie du pacte de stabilité, qui a étranglé les communes, il a suggéré d'aller plus loin que ce qu'envisage le Gouvernement et qui est cependant sensiblement plus favorable pour les communes que le dispositif Juppé puisque nous proposons 15 % de la croissance pour 1999, 25 % pour 2000 et 33 % pour 2001... au lieu de zéro ! Nous regarderons ensemble comment améliorer les choses.

M. Brard a posé la question d'un débat sur l'avenir de notre système financier. J'ai déjà dit que j'acceptais l'idée. Faut-il le faire en commission des finances, parce que cela intéresse surtout les spécialistes, ou en séance plénière ? Je vous laisse juges. En tout cas, si vous souhaitez qu'un débat ait lieu sur l'avenir du système financier avant qu'on examine la loi sur les caisses d'épargne, je n'y vois pas d'inconvénient. Je suis disponible : que la commission des finances choisisse les modalités. Ce débat pourrait avoir lieu en janvier, quand nous en aurons fini avec le budget (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean-Pierre Brard - Voilà une avancée !

M. François d'Aubert - Rappel au Règlement, article 19. Vous avez ironisé tout à l'heure, Monsieur le ministre, sur le nom de notre groupe parlementaire. Si la discussion est libre dans cette enceinte, il faut respecter les groupes et les parlementaires, qui concourent à l'exercice de la démocratie. En vingt ans, c'est la première fois que j'entends un ministre faire de l'ironie sur le nom d'un groupe (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste). Je vous demande de retirer vos propos.

M. le Ministre - Je n'avais pas imaginé qu'en signalant le penchant de votre groupe pour le libéralisme, je serais insultant à votre égard. Mais je suis heureux de vous accueillir au club de ceux qui ne veulent pas trop de libéralisme.

M. Français d'Aubert - Je voudrais répondre.

M. le Président - L'incident est clos.

M. François d'Aubert - Rappel au Règlement !

M. le Président - Soyez bref, alors.

M. François d'Aubert - Je sais que vous aimez ironiser, Monsieur le ministre, mais je ne peux accepter cela à propos du nom de mon groupe, c'est une question de dignité. Retirez, s'il vous plaît, ce que vous avez dit.

M. le Ministre - Si je ne réponds pas, vous allez vous fâcher. Si je réponds, vous trouverez que ce n'est pas de la bonne manière, et vous ferez un troisième rappel au Règlement. Permettez-moi tout de même de m'étonner, après m'être entendu tout à l'heure, traiter de "guignol", de vous trouver dans la peau d'une jeune fille effarouchée ! (Rires) Mais si cela vous chatouille à ce point, c'est promis, on ne le fera plus.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - A mon tour, je répondrai brièvement à d'autres orateurs. M. Feurtet avait ouvert le débat par une belle et forte expression, la "férule du réel". Il a évoqué la taxe Tobin, comme aussi M. Cochet. C'est une idée sympathique, mais peu pratique, car elle devrait être appliquée par tous pour être efficace. M. Cochet a souhaité aussi qu'on parle de "développement soutenable" et proclamé l'an I de la fiscalité écologique : j'ai cru comprendre qu'il serait l'an prochain en soldat de l'an II pour continuer dans cette voie (Sourires).

M. Dominati a commencé par être enchanté de ce budget, mais il s'est lancé ensuite dans un jeu de bonneteau bien subtil, comparant les ressources de l'Etat en 1998 et 1999. Il a cité un taux de 4,3 %, supérieur à la croissance : mais il n'avait pas lu le rapport général où il aurait trouvé qu'à périmètre constant, la progression n'était plus que de 3,5 %, soit moins que celle du PIB. C'est que, parmi les recettes supplémentaires, 32 milliards ne sortent pas de la poche du contribuable, mais de la clandestinité -dont 14 milliards payés par la Poste pour les retraites de ses anciens fonctionnaires.

M. Bouvard a interpellé le Gouvernement sur la TVA. C'est qu'il se souvient qu'un gouvernement qu'il soutenait avait dépensé 100 milliards pour supprimer le décalage d'un mois de la TVA et pris 60 milliards aux ménages. Je comprends qu'il soit impatient de voir réparer les fautes dont il fut le complice.

M. Fuchs a fait passer un moment de fraîcheur, avec des arguments solides et convaincants.

M. Belviso a souhaité qu'on allège la TVA sur les installations sportives. Cela serait possible, puisque la mesure coûterait 500 millions. Mais le Gouvernement a préféré augmenter le budget de la Jeunesse et des sports, qui progresse de 3,5 % et franchit le cap des 3 milliards : cela bénéficiera aux associations et aux clubs.

Mme Boutin a annoncé son divorce avec les associations familiales (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), puisqu'elle critique un dispositif retenu à la suite d'une longue discussion avec ces dernières. M. Quentin l'a rejointe.

M. Julien Dray - Elle est déjà mariée !

M. le Secrétaire d'Etat - M. Carraz a parlé avec humour de "la dictature des bigoudis". Mais les suggestions fiscales qu'il a faites sont sérieuses et méritent un examen attentif.

M. Gantier n'aime pas les emplois-jeunes, c'est son droit. Nous considérons, nous, que c'est une dépense utile pour donner à des jeunes qui seraient, sinon, au chômage une chance de rentrer dans la société. Quant aux "couples modestes" dont il a parlé à propos de mesures familiales, ce sont des couples qui gagnent plus de 48 000 F par mois lorsqu'ils ont deux enfants (M. Michel Bouvard s'exclame).

M. Barrau a trouvé des mots convaincants pour réclamer une action plus résolue en ce qui concerne la TVA sur l'entretien du logement, mais M. Strauss-Kahn lui a déjà répondu.

M. Hériaud a su pratiquer la critique constructive et faire progresser le débat.

M. Bapt partage le souhait du Gouvernement que le Conseil de l'euro soit un contrepoids à la Banque centrale, notamment pour fixer la parité entre l'euro et le dollar. C'est bien notre volonté.

M. Guyard s'est inquiété des conséquences de la réforme fiscale pour les villes nouvelles : chacun connaît leur dynamisme, et je suis sûr qu'elles trouveront les solutions adaptées.

A propos de l'emprunt européen, M. Loos a déjà reçu une réponse de M. Strauss-Kahn, et je me réjouis de sa volonté d'améliorer la croissance.

Mme Bricq a dit fort justement qu'il fallait parler de faits, non de fantasmes, d'actions et non de paroles.

M. Lellouche a inventé Jacques Attali comme caution intellectuelle -je n'ai rien à ajouter (Rires).

M. Douyère a versé au débat toute son expérience de la fiscalité. Je suis sûr que ses propositions éclaireront le Gouvernement.

M. Dray a fustigé les dogmes libéraux...

M. Julien Dray - Avec quel talent !

M. le Secrétaire d'Etat - Avec modestie en tout cas (Rires). Il a considéré que la mesure sur la TP relevait d'une politique de l'offre. Mais si la croissance attendue l'an prochain provient de la consommation -2,7 %- elle sera due aussi à une demande accrue de biens d'équipement par les entreprises -5,7 %- et cette réforme de la TP, ciblée sur les PME contribuera à nourrir cette demande.

Mme Alliot-Marie a considéré qu'il fallait faire quelque chose en direction des classes moyennes, qui représentent 80 % de la population française, et a proposé d'agir sur l'impôt sur le revenu ; mais mieux vaut toucher à un impôt qui est payé par tout le monde, y compris les plus modestes, plutôt qu'à un impôt qui n'est payé que par la moitié de la population.

M. Mitterrand a souligné l'importance d'une évolution de la fiscalité agricole, parallèlement à l'adoption de la loi d'orientation. Le Gouvernement est attentif à ses observations.

M. Strauss-Kahn a déjà en partie répondu à M. Balligand, qui comme le Gouvernement refuse l'idée d'un taux national de taxe professionnelle et qui attend avec impatience la taxe professionnelle d'agglomération. Jean-Pierre Chevènement est, lui aussi, impatient de venir en débattre. Quant à la compensation que nous proposons, les chiffres prouvent qu'elle est correcte.

M. Besson a démontré avec talent, à propos de la taxe professionnelle, que bien souvent opposition varie et que bien fol est qui s'y fie... Ses explications montrent que cette réforme devrait, normalement, être votée à l'unanimité.

M. Tron s'est inquiété pour la croissance mais M. Strauss-Kahn lui a répondu en écho à M. Baert qui avait fort bien exposé les raisons d'avoir confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe DL une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du Règlement.

M. Marc Laffineur - "La France a longtemps été plus pessimiste que le reste de la planète. La voici plus optimiste. Si le débat parlementaire n'est pas un exercice démocratique de lucidité collective, 1999 sera pour tous l'année des illusions perdues." Ainsi s'exprimait Jacques Attali, dans L'Express du 20 octobre dernier...

M. Jean-Pierre Brard - M. Attali n'a jamais été gauchiste...

M. Marc Laffineur - En tout cas, il a été assez longtemps à l'Elysée. Evidemment, on sait comment il a géré une certaine banque...

Quoi qu'il en soit, la lucidité que M. Attali appelle de ses voeux doit nous conduire à renvoyer en commission ce projet de loi de finances.

Celui-ci en effet, en premier lieu, ne correspond plus du tout au contexte économique. Préparé en juin sur des hypothèses arrêtées en mars, il ne prend absolument pas en compte la crise qui s'est développée depuis. Le Gouvernement se cache derrière des formules rassurantes et présente l'euro comme un rempart, mais il faut avoir le courage de dire que la France et l'Europe ne seront pas épargnées par la tourmente.

Notons que le FMI est en partie responsable de la situation actuelle. Il s'est décrédibilisé en se montrant incapable d'anticiper la crise asiatique et impuissant à limiter ses effets. Il a même, à certains égards, participé à la propagation de la récession. En Russie, il a engagé des capitaux qui ont transité par la Banque centrale pour terminer dans les caisses des organisations mafieuses sans même avoir été réinjectés dans le circuit économique.

La crise asiatique s'est déclarée d'abord au Japon. Une bulle financière s'est développée, alimentée par les opérations hasardeuses des banques japonaises, dont les créances douteuses représentent près de 3 700 milliards de francs. Tokyo connaît une récession sans précédent depuis plus d'un demi-siècle : en rythme annuel, le PIB nippon a reculé de 3,3 %, la production industrielle a diminué en un an de 7,6 %, ni l'investissement ni la consommation ne semblent sur le point de repartir ; le vieillissement de la société japonaise est un facteur d'inquiétude supplémentaire et les plans de sauvetage proposés ne sont guère convaincants.

Une crise plus vaste touche l'ensemble de l'Asie du Sud-Est depuis janvier 1997. L'absence de transparence financière, la spéculation effrénée, le surendettement des entreprises se sont conjugués à un effet de surchauffe ; les premiers symptômes de la crise ont fait fuir les capitaux, accélérant l'effondrement des marchés intérieurs.

Cette crise a entraîné une chute de la consommation, et donc des cours, de certaines matières premières et en particulier du pétrole. Les pays d'Amérique latine et la Russie en ont subi les conséquences.

Les Etats-Unis n'échappent pas à la tourmente. Leurs relations avec les pays sud-américains pénalisent leur croissance. Wall Street perd confiance et la consommation intérieure est directement menacée par la chute de la Bourse.

L'économie russe, déjà très fragile, encore très centralisée, minée par la corruption et la mafia, a perdu le contrôle de sa monnaie. La Russie est au bord du défaut de paiement ; ainsi la situation russe menace directement toute l'Europe orientale.

Mais au-delà, c'est l'Allemagne, très impliquée financièrement dans cette zone, qui risque de se trouver confrontée à cette situation alarmante, ce qui ne manquerait pas d'avoir des répercussions sur notre économie.

Si l'on ajoute à cela les difficultés actuelles de la Grande-Bretagne, victime d'une monnaie trop forte et qui semble parvenue à la fin d'un cycle de croissance, le constat n'est guère encourageant.

Peut-on, dans ces conditions, faire comme si la croissance de la France pouvait rester insensible à la conjoncture internationale ? C'est pourtant l'attitude que le Gouvernement a choisi, puisqu'il n'a revu que de 0,1 % ses estimations de croissance, alors que, même protégée par le pôle de stabilité que constitue la zone euro, la France ne saurait être épargnée.

Jacques Attali note ainsi que le budget se révèle complètement faux avant même que l'on entame son examen et que la croissance de la production, la hausse des prix, la valeur du dollar seront de 10 à 30 % inférieures aux hypothèses qui ont servi à calculer les recettes.

On voit bien déjà que la croissance de notre pays n'atteindra pas les 2,7 % prévus par le Gouvernement. Tous les instituts retiennent désormais des chiffres qui se situent plutôt entre 2 et 2,4 %. Quant à l'inflation, les 1,3 % prévus par le Gouvernement sont eux aussi nettement surévalués. Enfin le budget échafaudé par Bercy s'appuie sur un dollar à 6 F, estimation bien peu probable au regard de la conjoncture.

Le Gouvernement s'enferre dans un optimisme irraisonné pour ne pas remettre en cause le fragile équilibre budgétaire qu'il a eu grand mal à bâtir.

Contraint de reconnaître que la demande de l'étranger diminuera, il arbore une grande confiance dans la consommation intérieure et dans l'investissement, qu'il ne fait rien pour soutenir !

Les facteurs qui soutiennent aujourd'hui la croissance menacent de s'estomper demain. La crise asiatique permet à nos entreprises de bénéficier d'un prix du pétrole faible et d'une réduction du coût des produits importés. De surcroît, de nombreux achats actuels sont liés à un effet de rattrapage, lié à la reprise de 1998, ou sont rendues indispensables par l'arrivée de l'euro et le cap de l'an 2000. Mais ces atouts sont temporaires et des dangers se font jour.

D'abord, la propagation de la crise ne sera pas sans conséquence sur la demande extérieure. De plus la spirale déflationniste à l'oeuvre en Asie du Sud-Est va accroître la concurrence avec ces pays qui bénéficieront de monnaies plus compétitives.

En France, la chute de la Bourse se traduit déjà par l'apparition de moins-values qui contribuent à assombrir les perspectives de croissance d'autant que la confiance des Français s'en trouve ébranlée. Les anticipations des entrepreneurs reflètent déjà ce phénomène, puisque ces derniers ont révisé leurs perspectives à la baisse.

Enfin la responsabilité du Gouvernement est engagée, si les fruits de la croissance attendue ne sont pas au rendez-vous. Il s'agit principalement des dépenses pour les emplois jeunes ou les 35 heures.

Vous attendez de ces mesures, dites-vous, un fort recul du chômage. Mais on ne fait pas reculer le chômage en alourdissant le coût de la main-d'oeuvre. La réduction de temps de travail aboutira dans la plupart des domaines à un renchérissement des coûts de production, néfaste pour l'emploi. La réduction du temps de travail ne doit pas se décréter, elle doit être librement consentie et négociée.

Mme Odette Grzegrzulka - Voilà la dérive libérale !

M. Marc Laffineur - Vous n'aimez pas la libre discussion ?

On le voit, ce projet de loi de finances est lourd de menaces.

Ainsi la France risque de ne pas respecter l'objectif des 3 % de déficit. Le décalage entre la croissance espérée et la croissance effective sera d'au moins un demi-point, soit environ 20 milliards perdus pour les caisses publiques. S'y ajoutera une hausse des dépenses d'interventions sociales liée à une dégradation de la situation économique.

Ce budget artificiellement gonflé est donc condamné à déraper durant son exécution. Vous devrez alors soit abandonner certaines dépenses, et vous aurez des problèmes avec votre majorité, soit laisser filer le déficit budgétaire, et vous aggraverez la position de la France en Europe.

M. le Ministre - J'ai déjà entendu cette phrase. Vous recopiez vos argumentaires ?

M. Marc Laffineur - Pas du tout ! Un déficit budgétaire peut être justifié s'il s'accompagne d'une réduction des prélèvements, mais pas quand il résulte d'une nouvelle augmentation des dépenses publiques.

Le projet de loi de finances, frappé d'un défaut de fabrication originel, va en outre aggraver la situation de notre pays.

Le gouvernement de Lionel Jospin réitère la politique menée par celui de Michel Rocard, en gaspillant les fruits de la croissance et en gageant des dépenses structurelles, importantes et nouvelles, sur des recettes conjoncturelles, temporaires et incertaines.

Déjà en 1997 et 1998, la majorité n'a pas profité d'une conjoncture très favorable pour lancer des réformes. Pire, elle a abandonné les réformes amorcées, notamment celles des retraites et de la fiscalité préparées par le gouvernement précédent.

Elle aborde 1999 avec la même frénésie de dépense publique.

Pourtant la France s'est qualifiée pour l'euro de justesse, et possède au sein de la zone euro les plus mauvais taux de déficit public. A nouveau en 1999, avec un déficit budgétaire prévu de 2,7 % et un déficit public attendu de 2,3 %, elle fera moins bien que ses partenaires.

De surcroît ces prévisions négligent la conjoncture économique réelle et reposent sur un excédent de la Sécurité sociale qui semble bien improbable.

Même en acceptant les hypothèses hasardeuses du Gouvernement, on constate que nos partenaires font beaucoup mieux que nous pour assainir les finances publiques et parvenir ainsi à l'équilibre à l'orée du XXIème siècle.

Les autres gouvernements socialistes d'Europe ont compris que les périodes de croissance doivent servir d'abord à réduire les déficits. Au contraire le gouvernement de la gauche plurielle a choisi d'augmenter les dépenses publiques de 2,1 %, soit le triple de l'inflation probable, au prétexte que la dépense publique permet de lutter contre le chômage. Mais les résultats du mois d'août démentent cette thèse, avec 33 000 chômeurs de plus et une hausse du taux de chômage de 1,1 %.

La progression très forte de la dépense publique grève ainsi durablement le budget de notre pays alors que la conjoncture n'est pas à l'abri d'un retournement de tendance de grande ampleur.

Puisque la consommation intérieure joue chez nous un rôle déterminant dans la croissance, la logique voudrait que le Gouvernement diminue les dépenses afin de baisser les impôts sur les ménages et dynamiser ainsi l'activité économique. Or, il fait exactement le contraire. En dépit d'un habillage habile, il est clair que les impôts augmenteront en 1999.

Ainsi le rapport économique et financier qui accompagne le projet de budget évalue l'augmentation de la pression fiscale à 9,5 milliards pour les entreprises, et à 5 milliards pour les ménages. Le Gouvernement masque cette réalité en présentant la réduction de la majoration de l'impôt sur les sociétés comme une baisse d'impôts, mais personne n'est dupe. Depuis juin 1997 déjà, la pression fiscale sur les entreprises s'est alourdie de 58,8 milliards, et sur les ménages de 16,8 milliards. Même si une partie de l'augmentation des recettes de l'Etat est liée à la croissance attendue, ces recettes sont autant de prélèvements supplémentaires.

Parmi ces hausses, celle de l'impôt sur le revenu est en 1999 la plus significative. Alors que la réforme engagée par le précédent Premier ministre avait diminué cet impôt de 25 milliards, en attendant 50 milliards supplémentaires, Lionel Jospin a suspendu ce programme. Après s'être attaqué l'an dernier aux allocations familiales, le Gouvernement a décidé d'abaisser le plafond du quotient familial à 11 000 F, au lieu de 16 380 F actuellement. Il diminue également le montant de l'abattement accordé par enfant marié. Ces mesures vont rapporter 3,9 milliards prélevés sur les contribuables. Pour plus de 530 000 d'entre eux le seul abaissement du plafond du quotient familial va entraîner une hausse moyenne de leurs impôts de 6 200 F pour 1999. Les premiers touchés seront les couples avec un seul enfant, puisqu'ils ne perçoivent pas les allocations familiales que le Gouvernement se félicite de rétablir après les avoir supprimées pour 1998.

La progression des impôts frappe aussi les entreprises. La réforme de la taxe professionnelle, qui est une bonne nouvelle, est assortie de lourdes contreparties. Tout d'abord cette réforme sera sans effet pour les commerçants et les artisans qui travaillent seuls. Pour les entreprises concernées, la cotisation minimale de la taxe professionnelle passera de 0,35 % de la valeur ajoutée aujourd'hui à 1,5 % au terme de la réforme. De plus, le taux plafond de cotisation subira une hausse déguisée. Enfin la taxe de péréquation perçue auprès des entreprises installées dans les communes où les taux de taxe professionnelle sont inférieurs à la moyenne augmentera, elle aussi, et avant même l'aboutissement de la réforme, la réduction pour emploi et investissement disparaîtra. Notons aussi l'augmentation en Ile-de-France de la taxe sur les bureaux, la diminution de l'avoir fiscal et l'augmentation de la taxe sur les activités polluantes.

Tous ces éléments prennent place dans le contexte du passage décrété aux 35 heures, qui devrait générer un surcoût de 11 % pour les entreprises. On le voit, le bilan apparaît bien moins positif que ce que les effets d'annonce veulent accréditer.

Les recettes supplémentaires attendues pour 1999 auraient permis d'éviter cet alourdissement, si vous n'aviez pas choisi de ne consacrer qu'un tiers des 52 milliards attendus à la réduction des déficits, et de financer avec les deux autres tiers des mesures nouvelles. Vous exposez ainsi nos finances publiques à des dépenses inscrites dans la durée, alors que les moyens nécessaires pour les supporter ne sont pas garantis dans le futur.

Car non seulement les mesures prises par le Gouvernement vont peser lourdement sur le budget de 1999, mais leur coût à venir semble difficilement supportable.

Par exemple la mise en place des 35 heures induira une charge de 7 milliards l'année prochaine, mais le coût brut total sur cinq ans est estimé par le Sénat à 183 milliards. Comment faire face demain à ces dépenses nouvelles ?

Le programme des emplois-jeunes soulève les mêmes questions : après les 8,5 milliards dégagés cette année, le dispositif en coûtera 18 l'an prochain, et 35 en vitesse de croisière. En cas de retournement de la conjoncture, les charges demeureront, et les moyens manqueront cruellement. Tous ces chiffres illustrent les incertitudes auxquelles le budget ne répond pas, les difficultés auxquelles il ne prépare pas. Il ne fait que gérer le quotidien, sans s'inscrire dans la durée ni réformer notre pays.

Au manquement éthique grave que constituait, dans le projet initial, la remise en cause rétroactive de l'exonération attachée aux contrats d'assurance-vie, s'ajoutent un prélèvement de 5 milliards sur les caisses d'épargne et un tour de passe-passe autour de la notion de fiscalité écologique, le Gouvernement récupérant, sous couvert de simplification, deux milliards au détriment de l'ADEME. Autant de modifications qui doivent nous inciter à renvoyer le texte en commission, afin que la représentation nationale n'ait pas à se prononcer sur un "budget virtuel" - pour reprendre, encore une fois, les termes de Jacques Attali (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Les axes sur lesquels devrait reposer le budget sont, selon nous, les suivants : diminution des dépenses publiques, baisse de la pression fiscale, réforme de l'Etat, création de fonds de pension pour sauver les retraites, programme de privatisation.

La France détient le record des dépenses publiques et de l'emploi public au sein de l'OCDE : 25 % d'emplois publics, au lieu de 15 % chez nos partenaires. Or, l'efficacité de la dépense publique est toujours inférieure à celle de la dépense privée. Ce n'est pas là un credo libéral, mais l'expression du simple bon sens (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) : l'argent est toujours mieux utilisé par celui qui le détient que par un tiers déresponsabilisé. C'est pourquoi nous proposons de réduire de 1% par an la part des prélèvements publics, ce qui suppose un effort d'économie de 55 milliards environ, réalisable en redéployant les aides à l'emploi, en réformant l'Etat et en diminuant les dotations aux entreprises publiques. Cet effort nous offrira, qui plus est, une marge de manoeuvre en cas de distorsion entre les recettes attendues et les recettes effectives - ce qui ne manquera pas de se produire si les prévisions de croissance ne sont pas corrigées.

Vous savez à quel point nous sommes attachés à la baisse des prélèvements. Je reviendrai cependant sur le reproche, un peu facile, adressé au Gouvernement précédent pour avoir augmenté le taux normal de la TVA. Cette hausse était à la fois temporaire et nécessaire à la qualification de la France pour l'euro. Aujourd'hui, en revanche, vous refusez de baisser la TVA, alors que vous en avez les moyens et que vous avez promis de le faire ! M. Fabius déclarait en juin : "La gauche moderne doit savoir baisser les impôts et les charges." Il semble qu'il n'ait guère été entendu...

La réforme de l'Etat suppose, d'abord, une réduction du nombre des fonctionnaires : ne remplacer qu'un départ à la retraite sur deux permettrait, en cinq ans, de diminuer les effectifs de 150 000 (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Yves Cochet - Les effectifs d'enseignants, par exemple ?

M. René Dosière - Allez dire cela aux lycéens !

M. Marc Laffineur - Il faut également favoriser les départs volontaires, comme dans le secteur hospitalier, et arrêter le recrutement de quasi-fonctionnaires. L'Etat y gagnerait 15 milliards par an. Nous avons, en France, de très bons fonctionnaires, mais il convient de réorganiser l'administration, au moyen de contrats de modernisation, d'intéressement des agents, de meilleures perspectives de formation, de valorisation des compétences et d'évolution des carrières.

Nous devons aussi nous préoccuper de l'avenir de notre système des retraites, en créant pour cela des fonds de pension : nous irons droit dans le mur si nous ne réagissons pas.

Enfin, l'ensemble du secteur concurrentiel doit être privatisé, à commencer par Air France, car il y va de l'avenir de cette compagnie, avec laquelle aucune autre grande compagnie ne veut s'allier tant qu'elle reste propriété de l'Etat.

Parce que les hypothèses et les données sur lesquelles repose l'élaboration du projet de budget apparaissent aujourd'hui irréalistes et même caduques, parce que ce projet ne soutient pas la croissance mais la gaspille, parce que les orientations du Gouvernement sont diamétralement opposées aux principes libéraux qui sont les nôtres, nous demandons le renvoi du texte en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe RPR et du groupe UDF).

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances - J'invite, naturellement, l'Assemblée à rejeter cette motion de renvoi. La commission des finances s'est réunie près de quinze heures, au cours desquelles elle a examiné 444 amendements -plus 170 au titre de l'article 88- et en a adopté une soixantaine. Il est donc tout à fait inutile de la réunir à nouveau, et il convient au contraire d'entamer sans tarder l'examen des articles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre - Les trois motions de procédure prévues par le Règlement n'ont donné lieu, en vérité, qu'à des discours répétitifs, sans rapport avec elles : la preuve en est que nous avons entendu trois fois le même discours, et parfois les mêmes phrases, les mêmes expressions, mot pour mot, comme dans le cas du discours de M. Laffineur, dont certains passages reprenaient tels quels, m'a-t-il semblé, ceux des discours de MM. d'Aubert, Jegou et Méhaignerie... (Protestations sur les bancs du groupe DL)

M. François d'Aubert - C'est injurieux !

M. le Ministre - Ce n'est pas la faute de M. Laffineur : son seul tort est d'avoir parlé le dernier...

M. Gilles Carrez - Il est des vérités qu'il est bon de rappeler !

M. le Ministre - On dit aussi que le comique naît de la répétition...

Sur le fond, M. Laffineur préconise de réduire de 150 000 en cinq ans les effectifs de la fonction publique, mais je ne sache pas que ses amis, lorsqu'ils étaient au pouvoir, les aient réduits de 120 000 en quatre ans - heureusement. Et lorsque j'entends M. Laffineur réclamer la diminution des dotations aux entreprises publiques, j'ai envie de lui demander en retour : à quelles entreprises ? Je l'autorise même à m'interrompre pour me répondre : c'est facile, il n'y a que quinze lignes budgétaires entre lesquelles choisir... (Protestations sur les bancs du groupe DL) J'ajoute qu'une telle réduction serait, de toute façon, sans effet sur le déficit budgétaire, les dotations aux entreprises publique figurant dans un compte d'affectation spéciale. Enfin, je dois reconnaître que nous défendons, sur la question des privatisations, des politiques différentes - à ceci près, tout de même, que lorsque nous avons dû privatiser le CIC parce que nous y étions tenus par un engagement pris par nos prédécesseurs auprès de la Commission européenne, nous l'avons fait, alors qu'eux-mêmes avaient échoué à le faire !

M. Philippe Auberger - Et le Crédit foncier ? Et le Crédit lyonnais ?

M. François d'Aubert - Ce débat se passerait mieux, Monsieur le ministre, si vous vous livriez moins à l'autosatisfaction. Depuis deux jours, vous ne cessez de proclamer que vous êtes les meilleurs, les champions... Je vous invite à plus de modestie, et à moins de condescendance envers une opposition qui, étant aux affaires, a mené une politique dont vous récoltez aussi les fruits, et qui a notamment permis la construction de l'euro.

Parmi vos prévisions, on a peu parlé de celle qui concerne l'inflation. Vous retenez pour 1999 un taux de 1,3 %. Pourtant il ressort du rapport économique et financier annexé à la loi de finances que l'inflation est très calme, et qu'en juillet on était plutôt sur une pente de 0,8 %. Je ne comprends donc pas pourquoi vous faites preuve de pessimisme sur ce seul point, à moins que ce soit pour gonfler un peu les recettes et dissimuler la hausse réelle des dépenses. Tout cela mérite d'être revu.

Je veux d'autre part répondre à votre question sur les dotations en capital. Vous vous flattez de réussir les privatisations, mais c'est enfantin quand on recapitalise juste avant -à ceci près que c'est sur le dos du contribuable. Sur les dotations en capital -qui figurent, c'est vrai, sur un compte d'affectation spécial- il y a sans doute des économies à faire ; vous-même en faites puisqu'il y a 2 milliards de moins sur ce compte en 1999. Mais nous pensons franchement -voilà un exemple- que la recapitalisation du Crédit Lyonnais n'est pas nécessaire. Même chose pour le Crédit Foncier. Voilà des économies possibles (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Dominique Baert - Cette motion de renvoi est paradoxale, alors que jamais, dans toute l'histoire de la Ve République, la commission des finances n'avait été autant associée à la préparation d'un budget, en particulier sur la fiscalité du patrimoine, la fiscalité locale, la fiscalité écologique. Dès le 21 juillet le budget était connu. Le 9 septembre nous avons eu de nouvelles précisions. Et notre rapporteur général a rappelé le travail accompli par la commission. Cette motion est donc paradoxale, à moins que M. Laffineur ne souhaite simplement que nous parlions de ses propres idées : allégement massif de l'imposition des revenus élevés, réduction drastique du nombre et des moyens des fonctionnaires, arrêt des emplois jeunes, programme audacieux de fonds de pension prôné par M. Madelin... Mais tout cela, notre assemblée est majoritairement contre. Alors, non, nous n'en parlerons pas. Il n'y a pas lieu de revenir en commission : nos options sont claires, et nous en débattrons ici et maintenant, à l'Assemblée et devant l'opinion. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Philippe Auberger - Je veux appuyer la motion de M. Laffineur sur trois points. Tout d'abord vous avez été très discret, Monsieur le ministre, sur l'évolution des prélèvements obligatoires. Puisque vous avez gagné un pari, et que vous êtes magnanime, admettez que vous en avez perdu un autre : la stabilisation des prélèvements obligatoires en 1997. Vous aviez annoncé qu'ils ne dépasseraient pas 46 % ; or on arrive à 46,3 %. Vous dites que cette augmentation est due au fait que les allégements de l'impôt sur le revenu par M. Juppé n'étaient pas financés. Mais si un allégement n'est pas financé, et si vous le compensez par une hausse d'impôt à due concurrence, cela n'accroît pas les prélèvements obligatoires ! L'argument est donc sophistique.

En 1998 vous avez prétendu que les prélèvements, notamment ceux de l'Etat, allaient diminuer. Mais c'est que vous ne teniez pas compte dans ce calcul des plus-values déjà constatées, alors que vous en tenez compte pour les prévisions de recettes : ce n'est pas correct. Il y a en réalité une hausse de 0,2 %. Quant aux prélèvements des collectivités locales, dont les budgets sont maintenant tous votés, on constate que leur baisse est illusoire. Et l'on peut dire la même chose pour 1999.

Deuxième point : vous créditez les ménages de la totalité des 4 milliards d'allègement de la TVA. En réalité il n'y a pas que les ménages qui paient la TVA de façon définitive : c'est aussi le cas des administrations publiques, par exemple des collectivités locales, qui bénéficieront de l'allégement. On estime que les deux tiers au plus de la TVA sont supportés par les ménages : cessons de dire qu'ils bénéficient de la totalité de l'allégement.

Troisième point, concernant la taxe professionnelle : vous affirmez avoir annoncé dès juillet que son effet net serait de 7 milliards et non 12. C'est inexact. C'est le 8 septembre que nous avons découvert, au comité des finances locales, et la hausse de la cotisation minimale, et celle de la taxe de péréquation, et la suppression de l'écrêtement pour emploi et investissement. C'était la veille de la présentation du budget au Conseil des ministres. En juillet, les entreprises croyaient bel et bien que la TP serait allégée de 12 milliards. Ce ne sera que 7 : il aurait été plus honnête de le dire dès le début.

Ainsi ces questions fiscales comportent encore beaucoup de points obscurs, sur lesquels vos explications sont insuffisantes, et ceci justifie pleinement le renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Jacques Jegou - Dès le début de cette discussion, Monsieur le ministre, vous avez présenté ce projet de loi de finances comme un joyau, et dit combien vous étiez content de votre travail, préparé de longue date. Peu après, rentrés dans nos foyers, nous apprenons par la presse que vous accordiez 2 milliards supplémentaires à ceux qui feront des travaux d'entretien dans leur maison. Le lendemain, nous entendons à la radio qu'après avoir refusé en commission les amendements contre la rétroactivité, vous aviez été touché par la grâce, et que vous cédiez, non sans doute aux demandes de l'opposition, mais à l'émotion des épargnants. Quant à la réforme de la taxe professionnelle, qui suscite des désaccords non seulement dans l'opposition, mais au sein de la majorité et même du PS, nous croyons savoir que les tractations continuent, et que vous pourriez faire de nouvelles propositions

Contrairement à ce qui a été dit, les idées que nous avons exposées dans nos motions se rejoignent. L'opposition est à la fois unie, dans l'Alliance (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), et plurielle ; chacun de ses membres s'exprime avec son talent et ses convictions propres. Pour ma part, j'ai rédigé mon discours avec mes collaborateurs sans aller prendre mes idées ailleurs.

Et à ce propos, je m'inquiète qu'une de mes questions soit restée sans réponse : elle avait trait à ces professions auxquelles vous rendez leur privilège en revenant sur la mesure courageuse arrêtée par le gouvernement Juppé. Mais peut-être aurons-nous, sur ce point aussi, une surprise de dernière heure...

Pour toutes ces raisons, M. Laffineur a raison de demander le renvoi en commission. J'ajouterai cependant un dernier point : Monsieur le ministre, vous êtes particulièrement brillant...

M. Jean-Pierre Brard - Que signifie cette discrimination à l'encontre du Secrétaire d'Etat ?

M. Jean-Jacques Jegou - ...Mais la façon que vous avez de ridiculiser l'opposition, le ton que vous employez à notre égard ne sont pas de mise avec les parlementaires qui s'apprêtent à accomplir un des actes les plus importants en démocratie : le vote du budget. Essayez de nous traiter un peu différemment (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Jean-Pierre Brard - S'agissant de la motion de renvoi, je n'ai pas grand chose à ajouter à ce qu'a dit le ministre. Je relèverai simplement un point qui enlève beaucoup de sa pertinence à la demande de M. Laffineur -et que M. Jegou, qui projette sur les autres ce qu'il a subi par le passé, ne parle pas de tractation !- : je veux parler de l'assurance que vient donner le ministre quant à l'organisation d'un débat sur l'avenir du secteur bancaire et financier.

Cette question est pour nous cardinale car on ne saurait définir une politique et se donner des outils pour la mener si l'on ne fait d'abord la clarté sur ce que doivent être la structure de ce secteur et ses finalités. Nous avions donc insisté pour que ce débat se tienne et l'expérience vient de prouver qu'on a toujours raison de persévérer.

La chose pourrait donc avoir lieu en janvier. Sous quelle forme ? Pour notre part, nous n'opposons pas le débat en commission et le débat en séance plénière -les deux sont complémentaires-, mais nous pensons qu'une discussion aussi importante ne peut être menée dans la confidentialité. Le Gouvernement a par ailleurs toute latitude pour l'inscrire à notre ordre du jour. Enfin, il y a matière à débattre : si nous voulons sortir de la pensée unique, il faut nous écouter les uns les autres en essayant de tirer la leçon des échecs passés. Nous pourrons au surplus nous appuyer sur certaines contributions : M. Balligand a, par exemple, publié dans Le Monde du 29 septembre un article des plus intéressants, même si je n'en partage pas toutes les conclusions, et qui montre qu'un champ s'ouvre là au dialogue. Une politique gouvernementale peut mettre en oeuvre un projet de société mais ne peut remplacer celui-ci. Or les conditions dans lesquelles a été élue la majorité plurielle font que nous n'avons pas eu le temps de mettre au point, en commun, un tel projet. Ce que nous n'avons pu faire avant, il faut le faire maintenant, si nous voulons faire autre chose qu'approuver des projets ou des propositions de loi : construire une espérance !

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. le Président - J'appelle dans le texte du Gouvernement les articles de la première partie du projet de loi de finances pour 1999.

ARTICLE PREMIER

M. Gilbert Gantier - J'ai hésité entre m'inscrire sur cet article et opposer une question préalable car, depuis quelque 22 ans que je participe aux discussions budgétaires, je n'avais jamais vu qu'on oublie de se conformer à l'article premier de l'ordonnance du 2 janvier 1959, aux termes duquel "lorsque des dispositions d'ordre législatif ou réglementaires doivent entraîner des charges nouvelles, aucun projet de loi ne peut être définitivement voté, aucun décret ne peut être signé, tant que ces charges n'ont pas été prévues, évaluées et autorisées dans les conditions fixées par la présente ordonnance."

Depuis l'origine de la Ve République, chaque article de la première partie de la loi de finances était assorti d'un exposé des motifs évaluant, soit la charge nouvelle, soit la recette qui en résultait. Pour la première fois cette année, ce n'est pas le cas. Je puis certes trouver cette évaluation dans le recueil des voies et moyens, téléphoner au ministère ou même questionner les journalistes qui sont en général mieux informés que les députés, mais cette lacune n'en sera pas moins choquante et je tiens donc à protester contre ce manquement à l'ordonnance de 1959 et aux traditions de notre République (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Philippe Auberger - Comme nous devons savoir ce que nous votons, je poserai trois questions.

Premièrement, pourquoi l'évaluation des prélèvements obligatoires pour 1998 ne tient-elle pas compte de la révision des recettes fiscales de l'Etat, pourtant annexée à la loi de finances et absolument nécessaire pour évaluer les recettes de 1999 ? Peut-on maintenir la prévision qui figure dans le rapport économique et financier ? D'autre part, comment pouvez-vous dire que les prélèvements obligatoires de l'Etat vont baisser quand les recettes fiscales nettes progressent de 5,2 %, plus que le PIB ? Enfin, peut-on maintenir la prévision d'une baisse des prélèvements obligatoires pour l'année en cours, et en annoncer une autre pour l'an prochain ? Je souhaite des réponses précises à ces questions (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Ministre - L'ordonnance organique n'impose pas, Monsieur Gantier, de fournir l'information dont vous parlez dans l'exposé des motifs. Mais il est vrai que c'est une pratique assez courante -d'ailleurs respectée ici même à plusieurs articles -voyez par exemple l'article 22, page 56. Mais ce n'est pas le cas pour chaque article et, c'est regrettable, vous avez raison, car cela rendrait les choses plus claires.

M. Auberger a posé trois questions. Oui, il a été tenu compte des évaluations révisées -voyez page 20.

M. Philippe Auberger - Ce n'est pas la question.

M. le Ministre - Alors, je l'aurai mal comprise.

M. Philippe Auberger - Ma question portait sur l'année 1998 : les prévisions relatives aux prélèvements obligatoires de cette année ont-elles été révisées dans le rapport économique et financier ?

M. le Ministre - Elles l'ont été : on attend une baisse de 0,2 point pour cette année par rapport à 1997.

Vous avez posé une autre question sur les collectivités locales. La prévision est faite pour l'an prochain comme l'a été celle de l'année dernière pour cette année -et vous voyez qu'elle n'était pas mal faite.

L'article premier est très classique, il autorise l'Etat à continuer à percevoir l'impôt. Si nous commençons de tels débats sur un tel article, je ne sais pas quand nous en aurons terminé !

L'article premier, mis aux voix, est adopté.

ART. 2

M. Gilles Carrez - Cet article abaisse le plafond du quotient familial. Or il y a un an, c'est votre collègue Mme Aubry qui avait décidé de supprimer les allocations familiales (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Yves Cochet - Pas pour tout le monde !

M. Gilles Carrez - Cela suscita un tollé, on fit remarquer à juste titre que toutes les familles devaient être traitées de même et Mme Aubry comprit son erreur. Encore fallait-il habiller la retraite : un rapport fut demandé à Mme Gillot, qui conclut en faveur du rétablissement des allocations supprimées. Mais 4 ou 5 milliards étaient en jeu, et Mme Aubry eut l'idée de les récupérer sur le quotient familial, pensant que cela revenait à peu près au même. Mais vous avez eu tort, Monsieur le ministre, de vous laisser refiler ce bébé. Cette mesure entraîne en effet une hausse de l'IR, et donc de la pression fiscale. Cela vous perturbe d'ailleurs tellement que vous l'avez caché...

M. le Rapporteur général - Mais, non, c'est dans le rapport.

M. Gilles Carrez - Du coup, la baisse des impôts de 16 milliards annoncée par M. Strauss-Kahn doit être corrigée, elle n'est plus que de 12 milliards. De plus, on mélange les allocations familiales, prestation sociale, et le quotient familial, notion fiscale. Or, les effets ne sont pas identiques. Un couple avec enfant, qui n'était pas concerné l'an dernier, sera affecté par la mesure sur le quotient familial.

M. Christian Cuvilliez - A partir de quel revenu ?

M. Gilles Carrez - Les allocations familiales sont versées jusqu'à l'âge de 20 ans, mais le quotient peut jouer jusqu'à 25 ans.

Et puis, mettez-vous à la place d'une famille qui a été pénalisée en 1998 par la suppression des allocations et paiera pourtant plus d'impôts en 1999 sur ses revenus de 1998 ! Une telle disposition ne peut qu'être impopulaire, et je m'étonne qu'un homme aussi avisé que vous, Monsieur le ministre, ne l'ait pas évitée. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF)

M. Christian Cuvilliez - Nous ne pouvons, nous, que nous féliciter de cet article : il permet de revenir sur la mise sous condition de ressources des allocations familiales, qui était contraire aux principes mêmes d'une politique familiale et risquait de constituer un précédent dangereux, notamment pour le remboursement des soins par la Sécurité sociale ; on donnait ainsi du crédit à ceux qui voudraient remplacer le principe de solidarité par l'assurance et l'assistance. Nous sommes très satisfaits que le Gouvernement ait pris en compte l'attachement légitime de nos concitoyens à une politique de la famille -que la droite tente pour sa part d'utiliser pour tenter de justifier des privilèges inacceptables.

A cet égard, l'avantage actuellement généré par le quotient familial est très excessif. Nous réclamions depuis longtemps un abaissement du plafond ; les économies ainsi réalisées doivent bien sûr être utilisées pour améliorer l'efficacité de la politique de la famille, notamment en direction des familles modestes.

M. Philippe Auberger - Quelques mots sur les prélèvements obligatoires de 1998. Je me suis reporté au rapport économique et financier ; les impôts d'Etat sont affichés à 15 % : c'est ce qui était annoncé l'année dernière. Les plus-values constatées représentent 0,2 % et le taux n'a pas été révisé.

En ce qui concerne les administrations publiques locales, on a annoncé une baisse de la fiscalité ; or ce n'est pas le cas.

Je suis donc prêt, Monsieur le ministre, à prendre le pari que ce que vous avez annoncé sur les prélèvements obligatoires de 1998 ne sera pas réalisé, pas plus que ce que vous aviez annoncé pour 1997 et ce que vous annoncez pour 1999.

En ce qui concerne l'impôt sur le revenu, la réduction de l'avantage lié au quotient familial entraîne une augmentation des prélèvements de 4 milliards ; or, celle-ci ne figure pas dans le rapport parmi les augmentations d'impôts.

On nous dit que cela compense le rétablissement des allocations familiales ; mais les prestations familiales n'ont rien à voir avec les prélèvements fiscaux ! Ceux-ci vont bel et bien, avec cette mesure, augmenter de 4 milliards ; et au total, les prélèvements au titre de l'impôt sur le revenu vont augmenter de 17 milliards.

Cette mesure est particulièrement injuste pour les 250 000 couples avec un enfant qui ne peuvent bénéficier des allocations familiales.

J'ajoute que si le régime des allocations familiales a été déséquilibré pendant un certain nombre d'années, en raison du succès -dont on peut se féliciter- de l'allocation parentale d'éducation, on prévoit désormais qu'il va être à l'équilibre sans mesure supplémentaire (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. François d'Aubert - Monsieur le ministre, nous ne pouvons pas être d'accord avec cet article 2, d'abord parce que nous ne voyons pas quelle est votre politique à moyen terme en matière d'impôt sur le revenu.

Les gouvernements des pays européens ont maintenant pour habitude de fixer des perspectives concernant les prélèvements obligatoires ; M. Schröder, par exemple, a affiché sa volonté d'une baisse programmée de l'impôt sur le revenu. Vous, nous ne savons pas ce que vous voulez faire... Envisagez-vous de réduire le nombre de tranches ? Envisagez-vous une meilleure coordination entre la CSG et l'impôt sur le revenu ? Quelles sont vos intentions concernant le taux de la tranche la plus élevée ? C'est un point très important car des Français préfèrent, pour des raisons fiscales aller vendre leurs talents dans des pays voisins...

M. Yves Cochet- Ce sont de mauvais citoyens.

M. François d'Aubert - La recherche de l'efficacité commanderait un abaissement de ce taux.

Malheureusement, je sais qu'il y a ici des sujets tabous... Pouvez-vous cependant nous donner des indications sur vos intentions pour les prochaines années ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

Mme Dominique Gillot - Que n'avons-nous pas entendu l'année dernière quand, pour améliorer la redistribution en direction des familles les plus démunies, et alors que la branche famille souffrait d'un déficit de 14 milliards (Protestations sur les bancs du groupe du RPR), il a été décidé de mettre les allocations familiales sous conditions de ressources ! La concertation n'avait pas permis de parvenir à un accord sur un autre dispositif, mais il a été inscrit dans la loi que cette mesure était temporaire.

M. Michel Bouvard - Parce que vous avez reculé !

Mme Dominique Gillot - Le Premier ministre m'a demandé de mener une concertation avec tous les partenaires de la politique familiale. Force m'a été de constater que le principe de redistribution annoncé par le Gouvernement n'était pas contesté. Sur le dispositif, nous sommes arrivés à un accord pour revenir à l'universalité des allocations familiales.

La modulation de l'impôt comme outil de redistribution a été choisie à l'unanimité, tout comme la conférence de la famille de juin dernier a accueilli les propositions du Premier ministre. Et c'est bien ce qui vous contrarie, car vous n'avez pas pu garder la famille en otage.

Si l'abaissement du plafond du quotient familial modifiera en effet la situation d'un couple avec un enfant gagnant 36 000 F, ce couple commencera à redistribuer réellement à partir de 40 000 F de revenus, à hauteur de 280 F. Un couple avec deux enfants à 32 000 F, qui perdait ses allocations en totalité, commencera à redistribuer à partir de 50 000 F, à hauteur de 138 F par mois, en ayant récupéré ses allocations familiales. Pour une famille de trois enfants, la redistribution commencera à se déclencher à partir de 65 000 F par mois, alors que précédemment elle perdait 1 500 F par mois à partir de 37 000 F (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Je remercie le Gouvernement d'avoir accepté cet arbitrage, qui nous a permis de renouer un dialogue fructueux avec les partenaires de la politique familiale. Cessez de prendre la famille en otage. Elle ne vous appartient pas. Comme l'a dit le Président de la République, que vous avez cité, elle n'est ni de droite ni de gauche. La famille a des besoins auxquels il faut répondre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Marc Laffineur - Dans cet article, je ne vois pour ma part que l'abaissement du plafond du quotient familial de 16 000 F à 11 000 F. Les familles y gagnent-elles vraiment ? Cette décision s'ajoute à vos mesures de l'an dernier. Aujourd'hui vous prenez aux familles 3,9 milliards, exactement la même somme que vous vouliez donner au PACS la semaine dernière.

Ces associations familiales dont vous vous prévalez, Madame Gillot, les avez-vous consultées aussi sur le PACS ? L'ont-elles approuvé à l'unanimité ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. le Ministre - L'opposition tente désespérément de faire croire que les impôts ne baissent pas en se livrant sur le quotient familial à un calcul savant. Si, les impôts diminuent. Parmi les 16 milliards de baisse, comptons les 2 milliards de hausse de l'ISF, qui représentent une baise pour ceux qui ne la paient pas. Il en va de même avec l'absence, pour la première fois, de hausse de la TIPP sur le super, qui équivaut à 3 milliards de baisse d'impôt.

M. Gilles Carrez - Ce n'est pas de l'arithmétique, c'est de l'algèbre !

M. le Ministre - Les Français savent compter ! Les sondages, où apparaissent pour la première fois les mesures fiscales, montrent que celles-ci sont bien perçues.

Monsieur Auberger, je prends avec vous un pari.

M. Philippe Auberger - Vous avez perdu celui de l'an dernier.

M. le Ministre - Non, car les recettes que vous aviez inscrites dans la loi de finances pour 1997 étaient fausses. En 1998 par rapport à 1997, et en 1999 par rapport à 1998, les prélèvements obligatoires ont baissé et baisseront chaque fois de 0,2 %. Etes-vous prêt à prendre ce pari ? Sinon, cessez vos critiques !

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce jeudi 15 octobre, à 9 heures.

La séance est levée à 0 heure 55.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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