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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 10ème jour de séance, 25ème séance

3ème SÉANCE DU JEUDI 15 OCTOBRE 1998

PRÉSIDENCE DE M. Yves COCHET

vice-président

          SOMMAIRE :

RAPPEL AU RÈGLEMENT 1

LOI DE FINANCES POUR 1999 -première partie- (suite) 1

    APRÈS L'ART. 4 2

    ART. 5 3

    APRÈS L'ART. 5 8

    ART. 6 9

    APRÈS L'ART. 6 9

    APRÈS L'ART. 7 10

    ART. 8 13

La séance est ouverte à vingt et une heures quinze.


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RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Christian Cuvilliez - Je me fonde sur l'article 58 du Règlement. Aujourd'hui, dans de très nombreuses villes de France, les lycées ont à nouveau manifesté.

M. Michel Bouvard - Les éleveurs de moutons aussi !

M. Christian Cuvilliez - Déterminés, responsables, fiers de leur mobilisation, ils ont réaffirmé qu'il était urgent de répondre à leurs revendications justifiées. Dans leur grande majorité, les manifestants réprouvent les exactions commises par des éléments non encore identifiés. Nous nous réjouissons que le ministre ait reçu une délégation. Quelles réponses concrètes compte-t-il apporter ? Les revendications des enseignants, rappelons-le, rejoignent celles des lycéens en faveur d'un véritable service public de l'éducation nationale.

M. le Président - Je vous remercie de cette intervention qui n'avait toutefois rien à voir avec un rappel au Règlement.


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LOI DE FINANCES POUR 1999 -première partie- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la première partie du projet de loi de finances pour 1999.

M. le Président - Nous n'avançons pas vite. Le Règlement prévoit dans son article 100, alinéa 7, que sur un amendement s'expriment son auteur, le rapporteur, le représentant du Gouvernement et un seul contradicteur. Essayons de respecter cette règle. A défaut, nous siégerons encore dimanche.

Je mets aux voix l'article 4.

L'article 4, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 4

M. Michel Bouvard - Cet amendement vise à inciter les entreprises à céder leur matériel informatique lors de son renouvellement, fréquent puisque ces équipements deviennent très vite obsolètes, à des établissements scolaires. Une telle incitation fiscale existe déjà aux Pays-Bas. Cette mesure compléterait l'effort déjà consenti par l'Etat et les collectivités locales en faveur des établissements.

M. Didier Migaud, rapporteur général du budget - Avis défavorable. Ces matériels se déprécient si rapidement qu'il est impossible de réaliser des plus-values avec eux.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - Avis défavorable également.

L'amendement 318, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Bouvard - L'amendement 317 vise à inciter les agences de presse à numériser leurs fonds dont la valorisation passe nécessairement par l'exploitation de leurs archives. Un dispositif analogue à celui de l'article 39 bis du code général des impôts permettant aux entreprises de presse de réaliser des provisions sur investissements serait le bienvenu à cette fin.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable.

M. le Secrétaire d'Etat - Même avis.

M. Philippe Auberger - L'article 79 de la loi de finances pour 1998 institue un report d'imposition des plus-values de cession de droits sociaux réalisées par les créateurs d'entreprises en cas de remploi au capital d'une PME. L'application de cet article pose actuellement des problèmes car se trouvent expressément exclues du dispositif les transmissions à titre gratuit. Nous proposons de limiter l'imposition de la plus-value au seul cas des transmissions à titre onéreux. C'est l'objet de mon amendement 66.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable, car si cet amendement était adopté, les plus-values en report d'imposition ne feraient l'objet d'aucune taxation lors d'une donation ou d'une succession.

M. le Secrétaire d'Etat - Avis défavorable également.

L'amendement 66, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - A propos de l'amendement 542, qui concerne les bons anonymes, je vais d'emblée répondre à ce que n'a pas encore dit M. Jegou... Il a parlé hier de "tractations". Mais sait-il que dans la majorité, nous discutons les portes ouvertes, ce qui n'est pas l'habitude à droite, même à l'Alliance...

M. Philippe Auberger - Provocateur ! Qu'en savez-vous ?

M. Michel Bouvard - J'ai lu hier dans Le Monde qu'il existe des divisions dans la majorité !

M. Jean-Pierre Brard - Je constate que dès qu'on parle de l'Alliance, ses membres commencent à se chamailler... J'en reviens à mon propos. L'existence des bons anonymes heurte notre volonté de transparence et de justice fiscale. Ces bons permettent des dissimulations propices à des opérations de blanchiment de capitaux. On pourrait donc souhaiter leur suppression pure et simple. Mais le Gouvernement semble opter pour une solution intermédiaire. Nous sommes prêts à un compromis.

M. le Rapporteur général - La commission a adopté l'amendement 542 qui tend à porter de 50 % à 60 % le taux du prélèvement libératoire de l'impôt sur le revenu applicable aux bons anonymes. Cette mesure devrait rapporter 250 millions.

M. le Secrétaire d'Etat - Le Gouvernement est favorable à l'amendement 542. Il est en effet conforme à l'éthique que la solidarité nationale bénéficie du concours des détenteurs de bons anonymes. En outre, l'anonymat est un vecteur important de fraude fiscale en France mais aussi en Europe. Aussi M. Strauss-Kahn et moi-même avons-nous proposé une taxation forfaitaire de l'épargne anonyme, y compris dans les pays à secret bancaire, assez nombreux en Europe. La volonté exprimée par M. Brard rejoint donc la nôtre qui est aussi d'harmoniser la fiscalité des revenus du capital et celle des revenus du travail.

M. Jean-Jacques Jegou - Contrairement à ce que peut imaginer M. Brard, je n'apprécie guère le principe des bons anonymes. Lui-même, comme le Gouvernement, fait preuve d'un certain cynisme sur le sujet. Le rapporteur se réjouit que la mesure rapporte 250 millions et l'on se récrie dans le même temps que ces bons servent à blanchir de l'argent sale. Est-ce à dire que le Gouvernement accepte tout de même d'en tirer profit ?

Dès 1996, j'ai demandé, avec M. de Courson, la suppression pure et simple de ces bons. Je ne comprends pas qu'on salive ainsi à propos des bons anonymes si on les trouve immoraux.

Cet amendement a été examiné aujourd'hui par la commission selon la procédure de l'article 91. Je n'étais pas présent, mais je ne suis pas sûr que le dispositif rapporte bien 150 millions. Au contraire, vu la situation actuelle, il se pourrait que l'Etat fasse une mauvaise affaire, si bien que certains ont pensé opposer l'article 40.

Si vous pensez tant de mal des bons anonymes, il faut avoir le courage de les supprimer.

M. Gilbert Gantier - J'ai été ému par les sentiments moraux de M. Brard, du rapporteur général et du secrétaire d'Etat. Mais alors, pourquoi ne pas supprimer ces bons anonymes ?

M. le Secrétaire d'Etat - L'opposition fait de la surenchère. Les bons anonymes sont aussi utilisés par des gens honnêtes. C'est une liberté, mais qui est coûteuse et qui va l'être un peu plus.

M. Jean-Pierre Brard - Mon amendement 542 étant accepté par le Gouvernement, je retire mes amendements 87 et 83.

Nos collègues de droite ne manquent pas d'audace. J'espère qu'ils resteront aussi vertueux lorsque nous examinerons les dispositions de l'article 8, sur l'ISF.

Que dire en effet du prince d'Arenberg, dont les noces, nous dit la presse, auraient coûté cent soixante années de SMIC ?

M. Gilbert Gantier - Ne mélangez pas tout !

M. Jean-Pierre Brard - Votre indignation aura donc été de courte durée !

M. Michel Bouvard - Qui est ce prince ? Je ne lis pas la chronique mondaine, moi...

M. Jean-Pierre Brard - Je suis enchanté que le Gouvernement veuille combattre la fraude. Cependant, tous les détenteurs de bons anonymes ne sont pas des voyous. J'apprécie l'appui de nos collègues de droite, dont nous n'allons pas tarder à éprouver la sincérité.

L'amendement 542, mis aux voix, est adopté.

M. Christian Cuvilliez - Notre amendement 85 vise à empêcher les accumulations excessives d'avantages fiscaux.

Il est en effet injuste que le crédit d'impôt correspondant à l'avoir fiscal puisse être restitué aux contribuables dans le cas où son montant est supérieur à l'impôt dont ils sont redevables.

L'amendement 85, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Bouvard - Afin d'encourager le développement du télétravail, mon amendement 320 vise à ce que les investissements nécessaires à la mise en oeuvre de postes de télétravail puissent faire l'objet d'un amortissement exceptionnel sur douze mois. L'amendement vise les investissements en matériel informatique, mais aussi en réseaux de télécommunications, car certaines entreprises ont créé des réseaux internes.

Une telle disposition serait intéressante du point de vue de l'aménagement du territoire, car elle encourageait les entreprises à développer le télétravail dans les zones rurales et en particulier les zones de montagne, qu'il ne faudrait pas exclure de l'emploi au XXIème siècle.

M. le Rapporteur général - La commission a rejeté cette mesure de saupoudrage du champ trop large.

M. le Secrétaire d'Etat - Même avis.

L'amendement 320, mis aux voix, n'est pas adopté.

ART. 5

M. Maurice Adevah-Poeuf - Je ne vois pas comment les bons anonymes pourraient être utilisés dans des opérations de blanchiment.

Mais venons-en à l'article 5, qui porte sur l'extension du régime fiscal de la micro-entreprise. Il s'agit d'un texte complexe : sept pages en petits caractères dans le "bleu", et chaque mot compte. Il tend à modifier le code général des impôts, le livre des procédures fiscales, mais pas, curieusement, le code du commerce.

Je ne suis pas sûr d'avoir saisi les tenants et les aboutissants de cette réforme. On nous dit qu'elle va simplifier les formalités administratives et tout le monde applaudit, mais toutes ses conséquences n'ont pas été mesurées.

Il s'agit de faire bénéficier du statut fiscal de la micro-entreprise toutes les sociétés d'achat-revente dont le chiffre d'affaires est inférieur à 500 000 F. Un grand nombre d'entreprises va donc être privé d'outils d'analyse : plus de forfait, plus de bilan sérieux, sauf si les obligations prévues par le code du commerce sont bien maintenues.

En outre, la simplification administrative ne sera que relative si beaucoup de formalités sont supprimées, vous créez de nouvelles obligations déclaratives, une nouvelle procédure d'évaluation d'office par les services fiscaux, et vous supprimez la décote. Avec ce nouveau système, des entreprises risquent d'être soumises à terme à des redressements.

Il faut aussi s'interroger sur la moralité d'une telle réforme : alors que les entreprises d'achat-revente font 10,7 % de bénéfices, le seul mécanisme de l'abattement va porter ce taux à 30 %. Beaucoup de chefs d'entreprise n'osent pas en rêver !

Par ailleurs, nous devons craindre les effets de seuil.

On sait bien comment sont gérées les petites entreprises. Leurs dirigeants vont s'arc-bouter pour rester juste au-dessous du seuil de 500 000 F. Les risques ne sont pas minces : extension massive du travail dissimulé, distorsions de concurrence, suppression d'emplois par externalisation de certaines tâches, à l'exemple des exploitations forestières. Autant d'effets pervers.

Enfin, toute simplification signifie moins de travail administratif. Combien de postes seront-ils concernés dans votre administration ? La question n'est pas scandaleuse.

J'ai bien conscience qu'une simplification administrative est toujours bienvenue. L'Assemblée va adopter l'article 5, que je voterai bien entendu. Mais mettons à profit la navette pour approfondir toutes ces questions et leur donner des réponses.

M. Jean-Pierre Brard - A la différence de M. Adevah-Poeuf, quand nous ne sommes pas d'accord, nous ne sommes guère portés à voter pour.

M. Maurice Adevah-Poeuf - Je ne suis pas un mystique !

M. Jean-Pierre Brard - Mais vous n'êtes pas un adepte du tiers exclu !

Le nouveau régime applicable aux micro-entreprises, dont le seuil du chiffre d'affaires est porté à 500 000 F, et qui comporte un abattement de 70 % pour l'achat-vente, de 50 % pour les services et de 35 % pour les professions libérales, supprime le système du forfait et de l'évaluation administrative. Grands sont les risques d'effets pervers. Le syndicat unifié des impôts estime que l'article 5 constitue une trappe à fraude fiscale. 15 % à 20 % des entreprises vont en effet sortir du régime déclaratif professionnel. La dispense de TVA risque d'inciter les entreprises à rechercher un effet d'aubaine, éventuellement au prix de montages frauduleux. L'absence de déclaration professionnelle, ajoute le syndicat, est une sorte d'appel implicite au travail clandestin. Le coût budgétaire de la mesure, estimé à 500 millions, est à l'évidence sous-évalué. Enfin, la baisse des prix induite par l'absence de répercussion de la TVA entraînera des distorsions de concurrence.

Mieux vaudrait conserver à la micro-entreprise le plafond actuel de 100 000 F de chiffre d'affaires hors taxe, et d'appliquer aux entreprises situées au-delà le régime simplifié d'imposition, allégé par les dispositions de l'article 6, qui limitent à deux par an le nombre de déclarations professionnelles. Cela permettrait d'éviter les effets pervers découlant de l'article 5.

Si le Gouvernement tenait à tout prix à son texte, mais comme il est ouvert à la discussion il ne peut pas s'accrocher à son projet uniquement parce que c'est le sien, on pourrait concevoir une remontée très progressive du seuil, et en évaluer au bout d'un an les conséquences en matière de fraude.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - La pertinence des questions soulevées ne peut pas dissimuler les avantages considérables de la formule proposée. Il s'agit bien d'une simplification, dont vont bénéficier 500 000 entreprises avec la disparition de 7 millions de formulaires. Très sensible pour les entreprises, cette simplification massive permettra à l'administration de libérer un grand nombre d'agents pour les affecter au contrôle fiscal, si bien que la fraude sera mieux poursuivie.

La distorsion de concurrence n'est guère à craindre. Les micro-entreprises ne récupérant pas une TVA qu'elles n'acquitteront plus, l'avantage financier du dispositif sera pour elles très limité. En particulier, les investissements nécessaires aux entreprises qui demain ne généreront plus une TVA déductible. Au Royaume-Uni, le système en vigueur, analogue à celui que nous proposons, n'a pas donné lieu à un phénomène particulier de distorsion de concurrence. En revanche, en levant l'obstacle de l'accumulation des formulaires, nous faciliterons la création d'entreprises, pour le plus grand bénéfice de l'emploi.

Quant aux trois taux choisis, ils correspondent certes à des moyennes, à des approximations, mais à des approximations que je crois assez bonnes, qu'il s'agisse de l'achat et de la revente, des prestations de services ou des bénéfices non commerciaux. En outre, il sera toujours loisible à l'entrepreneur qui les jugerait inadaptées à sa situation, par exemple parce qu'il aurait beaucoup investi par rapport à la taille de son entreprise, de revenir au droit commun et il pourra alors à nouveau déduire la TVA. Par conséquent, personne ne sera pénalisé.

Les obligations comptables qui s'appliqueront seront les mêmes qu'antérieurement, Monsieur Adevah-Poeuf, étant entendu que l'entrepreneur devra tenir un livre des achats et recettes et délivrer des factures. Le risque de fraudes ne sera donc ni plus grand ni moindre qu'avant et, comme nous aurons dégagé de nouveaux moyens de contrôle, ces fraudes seront mieux sanctionnées.

Chaque fois qu'on pose un seuil, il y a effet de seuil. Mais il en existait déjà un auparavant, placé à 100 000 F de chiffre d'affaires. Il sera déplacé et passera à 500 000 F, mais l'effet de seuil lui-même n'en sera pas accru. J'incline même à croire qu'il sera atténué dans la mesure où un plus grand nombre d'entreprises opteront pour le régime au réel.

Faut-il appliquer la mesure progressivement ? Non, car alors il serait impossible de dégager des effectifs pour renforcer les contrôles fiscaux, comme le souhaite M. Brard.

Au total, cette mesure simplifiera grandement la procédure, comme vous en convenez tous. Elle facilitera la création d'entreprises et permettra d'améliorer les contrôles, ce qui devrait rassurer les syndicats qui s'inquiétaient des fraudes éventuelles. Les avantages me semblent donc nets aussi bien pour les entreprises et pour l'administration qu'en termes d'emploi, cependant que les effets pervers seront, j'en suis convaincu, réduits. Je suggère par conséquent de mettre en oeuvre le dispositif au niveau prévu : au bout d'un an, nous dresserons un bilan pour en corriger les éventuels défauts. Je ne crois pas que nous prenions de grands risques.

La majorité doit réformer, Monsieur Brard : pour cela, il faut tenter des expériences !

M. Christian Cuvilliez - Je demande une suspension de séance.

La séance, suspendue à 22 heures 5, est reprise à 22 heures 20.

M. le Ministre - J'ai sans doute été trop long et trop peu clair tout à l'heure.

M. Michel Bouvard - Mais non !

M. le Ministre - Le contrôle fiscal des micro-entreprises peut être renforcé grâce aux effectifs dégagés par les mesures de simplification proposées ici -car il est bien entendu que ces effectifs seront affectés au contrôle fiscal. Il faudra néanmoins vérifier que des effets pervers n'apparaissent pas.

Au cours de la seconde partie du budget, nous reprendrons la question du contrôle fiscal : le Gouvernement a fait des efforts cette année à ce sujet et il entend bien reprendre certaines propositions parlementaires -venant notamment du rapport Brard.

Je comprends que certaines interrogations se fassent jour, mais il faut avancer. A mon sens, les risques évoqués ne se vérifieront pas : mais s'ils devaient se matérialiser, il faudrait corriger le dispositif. Pour en juger, le mieux serait d'observer les choses pendant deux ou trois ans, le Gouvernement rendant compte à l'Assemblée dans le cadre d'un rapport.

M. Marc Laffineur - Un rapport de plus !

M. Jean-Pierre Brard - Je me réjouis de ce travail effectué en commun : nous tricotons notre diversité pour avancer...

M. Michel Bouvard - C'est la toile de Pénélope !

M. Jean-Pierre Brard - Certes non, et ce n'est pas non plus le point de croix de l'opposition ! L'important, c'est que les effectifs dégagés puissent être réservés au contrôle fiscal, afin de rapprocher l'éthique et la fiscalité. Je me réjouis que nous puissions discuter en seconde partie de mesures à prendre contre la fraude et j'approuve que vous suiviez le principe de précaution face au risque d'effets pervers : l'engagement que vous avez pris de présenter des rapports annuels nous satisfait. Dans ces conditions, nous pouvons envisager l'article autrement.

M. Maurice Adevah-Poeuf - Les réponses du ministre me satisfont. Je ne suis pas un fanatique du contrôle fiscal, mais il en faut ! Pouvez-vous nous confirmer que ces rapports seront déposés à l'ouverture de la session, pour être exploitables dans le cadre de la loi de finances ?

M. le Ministre - Je l'entends bien ainsi.

M. Gilbert Gantier - Nous venons d'assister à une discussion fort intéressante : la majorité plurielle a fait un effort pour se mettre au singulier.

Puis nous avons assisté à la passation d'un contrat entre le Gouvernement et M. Brard. Nous nous en souviendrons comme d'un moment assez cocasse de la discussion budgétaire.

Par ailleurs, je trouve la simplification fiscale proposée par le Gouvernement assez compliquée. Il faudra penser à envoyer aux entrepreneurs concernés les nombreuses pages de l'article 5, le code général des impôts et le livre des procédures fiscales si vous voulez qu'ils s'y retrouvent.

J'en viens à mon amendement 344, qui tend à supprimer le taux forfaitaire d'abattement -70 %- en vertu duquel l'administration fiscale estime à 30 % le bénéfice retiré d'une opération d'achat-revente, alors que, d'après les informations que j'ai recueillies auprès des centres de gestion, le bénéfice réellement perçu ne dépasse guère en moyenne 10 %. Je propose donc que les dispositions de l'article 93 du CGI soient applicables aux micro-entreprises, c'est-à-dire que le bénéfice net puisse être évalué en soustrayant du chiffre d'affaires les charges liées au fonctionnement de l'entreprise.

M. le Rapporteur général - Cette substitution du BNC au BIC...

M. Gilbert Gantier - En option, seulement.

M. le Rapporteur général - ...n'a pas paru très cohérente à la commission. Avis défavorable.

M. le Ministre - Vous fondez votre argumentation, Monsieur Gantier, sur des informations recueillies auprès des centres de gestion dont il n'est pas surprenant qu'ils soient opposés à une mesure supprimant les obligations déclaratives, puisque celles-ci forment une partie de leur activité ! Avis défavorable.

L'amendement 344, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Marc Laffineur - Vous avez parlé, Monsieur le ministre, de 7 millions de formulaires en moins. J'aimerais savoir combien cela va dégager de postes de fonctionnaires et combien seront ainsi affectés aux contrôles fiscaux dont il a été question.

Je me demande aussi combien de rapports ont été demandés ici, lors de discussions budgétaires...

M. Michel Bouvard - Et ce qu'on en a fait !

M. Philippe Auberger - Et qui les a lus !

M. Marc Laffineur - En effet...

Notre amendement 367 tend à ce que les entreprises du bâtiment relèvent du seuil de 175 000 F.

M. le Rapporteur général - Si on l'adoptait, il y aurait un risque de choc fiscal pour les actuels "forfaitaires" du bâtiment. Ces entreprises avec un chiffre d'affaires entre 100 et 500 000 F seraient précipitées dans le régime du réel simplifié.

M. le Ministre - Même avis.

L'amendement 367, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur général - L'amendement 3 est de précision.

L'amendement 3, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur général - L'amendement 4 est un amendement de précision.

L'amendement 4, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Ministre - Permettez-moi de présenter en même temps les amendements 547 à 553.

Les amendements 547 et 548 précisent que les limites d'application du régime de micro-entreprise s'apprécient par rapport à la situation d'un seul contribuable.

Les amendements 549 à 552 ont pour objet d'harmoniser les dispositions relatives au régime spécial des bénéfices non commerciaux et celles prévues par le BIC.

Enfin, l'amendement 553 supprime la référence au forfait pour l'évaluation, en matière de taxe foncière, des immobilisations industrielles.

Bref, ce sont des amendements de coordination technique.

M. le Rapporteur général - La commission est favorable au 547, qui apporte une utile correction, ainsi qu'au 549, qui est pertinent. Le 548 est rédactionnel et les amendements 550 à 552 sont des amendements de précision.

L'amendement 547, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Jacques Jegou - L'amendement 92 est défendu.

M. le Rapporteur général - Défavorable.

M. le Ministre - Défavorable.

L'amendement 92, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur général - L'amendement 5 est rédactionnel.

L'amendement 5, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Jacques Jegou - Je retire l'amendement 403.

L'amendement 548 du Gouvernement, accepté par la commission, mis aux voix, est adopté.

M. Philippe Auberger - Tout d'abord, je crois que les micro-entreprises auront à faire un macro-travail pour comprendre le texte de l'article. Elles risquent de se tromper. C'est pourquoi je propose qu'elles puissent changer de régime au bout de deux ans, si elles s'aperçoivent qu'elles ont fait une erreur.

M. le Rapporteur général - La commission conçoit qu'il soit gênant que l'option soit irréversible, mais le délai de deux ans paraît trop court. Avis défavorable, donc.

M. le Ministre - Le texte est complexe, certes, Monsieur Auberger, mais la mesure elle-même est simple. Quant à votre proposition, elle est intéressante mais il faut tout de même éviter que les entreprises choisissent, selon les années, le régime qui les arrange le mieux. Je propose donc de sous-amender votre amendement en remplaçant le délai de deux ans par un délai de cinq ans. Si l'Assemblée retient ce sous-amendement, j'accepterai l'amendement ainsi sous-amendé. Bien entendu, nous lèverons le gage.

M. le Rapporteur général - Avis tout à fait favorable à ce sous-amendement.

Le sous-amendement du Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 453 ainsi sous-amendé, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 549, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 345 est retiré.

L'amendement 550, mis aux voix, est adopté.

Les amendements 551 et 552 sont adoptés.

M. le Rapporteur général - L'amendement 6 est rédactionnel.

L'amendement 6, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Gilbert Gantier - Les micro-entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires inférieur à 100 000 F sont dispensés de TVA. Le relèvement du seuil à 500 000 F créera inévitablement un effet de seuil générateur de distorsions de concurrence. C'est pourquoi je propose dans mon amendement 346 de supprimer les 26 à 30 du II de l'article 5.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable. Cet amendement est contraire à l'esprit même du texte.

M. le Ministre - Même avis.

L'amendement 346, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur général - L'amendement 7 précise le texte du douzième alinéa du 26 du II de l'article 5 relatif à l'exploitation des droits patrimoniaux des artistes-interprètes.

M. le Ministre - Cet amendement améliore la rédaction du texte sans modifier en rien les règles de fond. Avis favorable donc.

L'amendement 7, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - L'amendement 553 a déjà été présenté et débattu.

L'amendement 553, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur général - L'amendement 8 précise le cadre d'un nouveau cas d'évaluation d'office en cas d'emploi de travailleurs dissimulés relevant de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.

M. le Ministre - Avis favorable.

L'amendement 8, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur général - Même argumentation pour l'amendement 9 qui concerne, lui le cas des bénéfices non commerciaux.

M. le Ministre - Même avis.

L'amendement 9 est adopté.

L'article 5 modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 5

M. Christian Cuvilliez - L'amendement 119 corrigé vise à porter le plafond des CODEVI de 30 000 à 60 000 F. Toutes les études montrent combien il est difficile aux PME-PMI d'accéder au crédit, les taux qui leur sont consentis restant très supérieurs à ceux consentis aux grands groupes. Si le Gouvernement a exprimé le souhait de soutenir les entreprises innovantes, notamment au travers du capital risque, les mesures qu'il a annoncées ne rompent pas avec l'exigence de rentabilité des marchés financiers, dont on sait les conséquences négatives pour l'emploi. En outre, toutes les PME ne seront pas éligibles aux nouveaux dispositifs.

Il est urgent de réformer les modes de financement de l'économie en s'appuyant sur un grand pôle de financement public et semi-public pérennisé et démocratisé. Dans cette perspective, l'épargne spécialisée gagnerait à être mieux mobilisée. Il semble malheureusement que l'on ne s'engage pas sur cette voie avec la réforme prochaine des caisses d'épargne.

Si nous sommes attachés aux livrets défiscalisés, c'est qu'ils assurent une rémunération correcte de l'épargne populaire, mais aussi qu'ils offrent la possibilité d'utiliser les encours collectés dans une logique différente de celle des marchés financiers. Un nouveau type de bonification des crédits devrait accompagner cette réorientation.

On m'a objecté en commission des finances que les encours inutilisés étaient très importants, ce qui est tout à fait anormal. Il conviendrait au contraire d'activer l'épargne collectée sur les CODEVI qui pourrait servir notamment au financement des 35 heures.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable à cet amendement. Les dépôts sur les CODEVI étant très supérieurs aux engagements, rien ne servirait de relever le plafond de ces livrets.

M. Michel Bouvard - Les banques font tout pour ne pas distribuer !

M. le Ministre - Nous devons encourager les investissements dans les PME et donc offrir à ces dernières la possibilité d'emprunter à des taux intéressants, ce qui était bien l'objet des CODEVI. Mais l'épargne collectée sur ces livrets est aujourd'hui très supérieure à ce que peuvent utiliser les PME. Peut-être l'investissement repartira-t-il de façon à absorber toutes ces ressources. Nous en sommes loin aujourd'hui. Inutile donc, cette mesure se traduirait pour l'Etat par un manque-à-gagner. Au-delà, notre stratégie économique repose sur le soutien à la consommation. En favorisant par trop l'épargne liquide, nous aboutirions à l'effet inverse de celui que nous recherchons. Lorsque l'investissement aura pris le relais de la consommation pour assurer la relance, votre mesure, Monsieur Cuvilliez, prendra tout son sens. Je vous invite pour l'heure à retirer votre amendement.

M. Christian Cuvilliez - Comme nous reviendrons sur cette question lors du débat sur la constitution d'un pôle de financement, j'accepte de retirer mon amendement.

L'amendement 119 corrigé est retiré.

M. Christian Cuvilliez - L'amendement 155 a pour objet d'exonérer de la taxe sur les salaires les associations à but non lucratif. Une récente circulaire fiscale distingue clairement entre ces dernières et les associations à but lucratif qui relèvent, elles, d'un régime fiscal ordinaire. Les collectivités locales qui subventionnent largement les associations, lesquelles irriguent leur tissu social, déplorent de voir le fisc reprendre ce qu'elles ont donné.

M. le Rapporteur général - La commission, bien que sensible à votre argumentation, n'a pas retenu cet amendement, pour des raisons de coût essentiellement. La circulaire que vous avez mentionnée contient des avancées incontestables, appréciées des associations.

L'abattement actuellement en vigueur sur la taxe sur les salaires, qui est de 28 000 F, correspond à l'emploi de six salariés payés au SMIC. Il n'est pas possible d'aller au-delà.

M. le Ministre - Le Gouvernement a consenti des efforts importants sur la fiscalité des associations et ne peut aller plus loin. Je vous remercie d'avoir manifesté votre intérêt pour cette question. Attendons l'année prochaine pour voir si nous pouvons emprunter la voie que vous avez tracée.

M. Christian Cuvilliez - Je ne sais pas si je dois interpréter les propos du ministre comme une invitation à discuter de la fiscalité des associations dans le cadre des prochaines assises nationales. Je crois comprendre que tel est le cas, et je retire mon amendement.

M. Philippe Auberger - Je le reprends, Monsieur le Président, si vous voulez bien laisser l'opposition s'exprimer (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Il est aberrant, dans la conjoncture actuelle, de faire payer aux associations une taxe sur les salaires qui, bien plus que la taxe professionnelle, constitue un impôt sur l'emploi. Le Gouvernement doit se montrer cohérent.

Je souhaite simplement rectifier le gage de cet amendement, afin de le faire porter sur les tabacs et non sur l'ISF.

M. Marc Laffineur - Je suis opposé à cet amendement (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Il risquerait en effet de provoquer une distorsion de concurrence entre les entreprises, qui resteront assujetties, et les associations.

L'amendement 155 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

ART. 6

M. le Rapporteur général - Les amendements 10 et 11 de la commission sont de précision.

L'amendement 10, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, de même que l'amendement 11.

L'article 6, modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 6

M. Christian Cuvilliez - Mon amendement 122 est défendu.

L'amendement 122, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - Je défendrai en même temps mes amendements 120 et 121. Le premier vise à exonérer de la taxe sur les salaires nos hôpitaux, dont vous connaissez la situation financière. Le second vise à accorder la même exonération aux associations embauchant un chômeur de longue durée.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable. L'amendement 120 nous coûterait des milliards. Quant au suivant, dont on comprend bien les motivations, il est inutile car la réinsertion professionnelle des chômeurs de longue durée se fait en général par des contrats financés par l'Etat, comme le contrat emploi solidarité, qui sont déjà exonérés.

M. le Secrétaire d'Etat - Avis défavorable, même si je comprends votre intention.

M. Jean-Pierre Brard - Ces amendements sont retirés.

M. Philippe Auberger - Je reprends l'amendement 120, dont je souhaite modifier le gage de la même manière que précédemment.

La taxe sur les salaires pénalise d'autant plus les hôpitaux qu'elle est progressive, les salaires des médecins employés à plein temps se situent en effet dans la tranche la plus haute. En outre, la grille n'a pas été revue depuis des lustres. Cette taxation représente une charge très lourde pour l'assurance maladie. L'exonération des hôpitaux est pleinement justifiée.

M. Jean-Pierre Brard - L'amnésie est une maladie répandue dans le monde politique. Quand il était rapporteur général, M. Auberger s'était opposé au même amendement, que j'avais déposé !

M. Philippe Auberger - On peut changer, mon cher collègue !

M. Jean-Pierre Brard - Par conviction ou par opportunisme ?

L'amendement 120 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Gilbert Mitterrand - Cosigné par M. Michel Bouvard, l'amendement 12 a été adopté par la commission. Il répond à un souci de simplification administrative et d'harmonisation. Il obéit à l'adage selon lequel le silence vaut acceptation, ou familièrement, qui ne dit mot consent. Il vise en effet à supprimer le trop court délai d'un mois laissé à un héritier pour faire une déclaration d'existence aux services fiscaux lorsqu'il reprend une exploitation suite à un décès. Nous éviterons de la sorte de nombreux contentieux.

M. Michel Bouvard - Mon amendement 203 est défendu. Nous n'imaginons pas une hypothèse d'école : des pénalités ont bien été infligées à des repreneurs suite à un décès. En outre, les services fiscaux traitent ce type de dossiers de manière très variable. Nous allons harmoniser les règles, ce qui aura l'avantage supplémentaire de faire faire quelques économies à l'administration.

M. Jean-Jacques Jegou - L'amendement 504 procède de la même inspiration que les deux précédents. Je me félicite que la commission des finances se soit unie pour proposer cette clarification fiscale.

M. le Rapporteur général - Avis très favorable.

M. le Secrétaire d'Etat - M. Mitterrand a eu des mots très justes au sujet de cette formalité particulièrement pénible. Le Gouvernement partage tout à fait sa préoccupation.

L'amendement 12, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Les amendements 203 et 504 tombent, et l'amendement 121 est retiré.

L'article 7, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 7

M. Christian Cuvilliez - Je retire l'amendement 124, et je défends le 123, particulièrement important. Il s'agit de ce qu'on appelle l'amendement Tobin.

La crise financière dramatique qui déferle sur le monde suscite bien des commentaires. Elle illustre les effets pervers d'une libéralisation qui a donné un pouvoir exorbitant aux marchés financiers, lesquels prétendent aujourd'hui dicter leur loi aux gouvernements et aux peuples. Le Premier ministre a émis sur ce sujet, à propos de l'AMI, des appréciations sans équivoque. Se donner aujourd'hui pour ambition le progrès social et le développement durable implique de rendre toute sa place au politique. La question d'une réforme démocratique du système financier mondial se pose aujourd'hui avec une acuité particulière.

Notre amendement 123 tend à taxer, même de façon fort modeste, les mouvements spéculatifs de capitaux, comme l'a proposé le prix Nobel américain James Tobin. Le bien-fondé de cette idée est de mieux en mieux reconnu. Naturellement les milieux financiers affirment qu'elle est utopique et techniquement impossible à mettre en oeuvre.

Un appel du gouvernement de la gauche en France à tous les progressistes du monde pour faire appliquer cette taxe aurait un immense retentissement. Il est possible de contrer les marchés financiers par la création monétaire et le crédit. C'est dans cette perspective que nous proposons une politique européenne d'expansion monétaire, que n'interdit pas en soi l'instauration d'une monnaie unique. Au-delà, une monnaie commune mondiale n'est pas une utopie. Déjà existent, au sein du FMI, des droits de tirage spéciaux. Travaillons à rompre avec l'hégémonie du dollar au profit d'une logique de coopération internationale. La gravité de la crise financière appelle des initiatives fortes. Notre proposition d'amendement en est une.

M. Jean-Jacques Jegou - Comme c'est beau !

M. Christian Cuvilliez - Mais pas triste.

M. Julien Dray - L'an dernier, quand j'ai défendu le même amendement que le 522 de ce soir, il m'a été répondu que le contexte financier n'était pas favorable. Or, aujourd'hui, les circonstances ont changé, et les esprits aussi. Même le Financial Times admet que dans certains cas le contrôle des mouvements de capitaux peut être la moins mauvaise des solutions. Un prix Nobel américain réputé libéral a proposé de les taxer.

M. François d'Aubert - Julien Dray devient libéral !

M. Julien Dray - Je prends les bonnes idées partout où elles se trouvent ! Une taxe de 0,05 % pénaliserait non pas les investisseurs mais ceux qui jouent sur les mécanismes de change monétaire. Elle éviterait les déplacements massifs et erratiques de capitaux qui ont mis à mal les économies réelles.

Votre idée, nous rétorque-t-on, est généreuse, sympathique, mais irréaliste. C'est ce que vient encore de déclarer M. Camdessus, patron du FMI. Pourquoi au contraire un pays comme la France ne serait-il pas le premier à émettre un signal fort, au moment d'entrer dans l'euro ? Le Chili a mis en place un contrôle des mouvements de capitaux, et il est le seul des pays de sa zone à être préservé des atteintes de la crise. Partout, et aussi chez nous, des mouvements citoyens se sont mobilisés pour réclamer un contrôle de ce genre.

M. Jean-Pierre Brard - L'amendement 168 corrigé est défendu, Monsieur le Président (Sourires).

M. le Rapporteur général - Tout en admettant l'acuité d'un problème des plus actuels, la commission a repoussé les trois amendements. Tout d'abord, deux d'entre eux -ceux de MM. Dray et Cuvilliez- sont inconstitutionnels dans la mesure où ils n'indiquent pas quels seront les redevables de la taxe ni ses modalités de recouvrement. En second lieu, sur le fond, on peut s'interroger sur l'efficacité réelle de la mesure dès lors qu'elle ne serait appliquée que par la France -pour ne pas parler des possibilités de contournement que laissent les rédactions proposées.

Des mesures de régulation s'imposent sans aucun doute, mais la commission estime qu'elles relèvent plutôt d'une initiative européenne, à laquelle la France devrait bien entendu pousser. La déclaration faite par le Premier ministre à ce propos nous semble de bon augure.

M. le Ministre - Deux de ces amendements ne peuvent en effet être retenus pour de simples raisons de forme. Pour le reste, les analyses des auteurs de ces propositions rejoignent largement celle du Gouvernement. Les mouvements de capitaux, surtout ceux à court terme, sont susceptibles de perturber considérablement l'économie mondiale au moment où elle se globalise et même de mettre à mal des économies obéissant pourtant à des règles satisfaisantes : la spéculation ne distingue pas entre celles qui vont bien et les autres. Tous les instruments propres à remédier à cette situation doivent donc être pris en considération.

Lors des réunions organisées il y a une quinzaine de jours, on a par conséquent souligné la nécessité d'étudier les modalités d'une régulation des flux de capitaux et c'est dans le même esprit que le Premier ministre est intervenu hier, plus spécifiquement d'ailleurs à propos des investissements.

Mais reconnaître qu'il faut réformer le système international ne signifie pas qu'on peut le faire par n'importe quel moyen. La mesure qui nous est proposée ici est peut-être même l'une des moins propres à y parvenir. En premier lieu, parce qu'elle ne serait pas appliquée à l'échelle internationale. Il faut bien que quelqu'un commence, rétorquera-t-on. Je répondrai que, depuis trente ans que Tobin a annoncé l'idée de cette taxe, on en a beaucoup discuté dans toutes les enceintes sans avancer : c'est qu'on s'est rendu compte que cette taxe frappe indifféremment les capitaux spéculatifs et les flux engendrés par le commerce, les investissements et les échanges de services. D'autre part, la disposition est très difficilement concevable dans la zone euro qui se mettra en place le 1er janvier. N'appliquer la taxe que dans une partie de cette zone, c'est comme si on mettait un impôt sur les seuls chèques émis en Bretagne : les paiements se feraient immanquablement sur le reste du territoire.

M. Cuvilliez dira peut-être : "Vous voyez bien les inconvénients de l'euro !" Mais je le vois sourire car il sait que, grâce à l'euro, nous avons les taux d'intérêt les plus bas, si l'on fait exception du Japon. Je suis moins monétariste que vous tous car je ne pense pas, moi, qu'agir sur la monnaie puisse influer à ce point sur l'économie. En revanche, je suis d'accord pour que nous élaborions des règles prudentielles et des méthodes de surveillance, voire de contrainte, afin d'empêcher que se reproduise ce qu'on a vu récemment aux Etats-Unis avec la faillite d'un fonds de couverture.

Monsieur Dray, une taxe dans un seul pays n'a pas plus de chances de succès que la révolution dans un seul pays ! Nous n'aurions que des inconvénients à la mettre en oeuvre en France, surtout à la veille du lancement de l'euro. Je vous demande donc de faire confiance au Gouvernement qui, avec ses partenaires, s'engage à faire avancer l'idée de régulation.

M. François d'Aubert - Quelle ironie de voir l'une des propositions les plus monétaristes qu'on puisse imaginer émaner d'une partie du groupe socialiste ! J'espère, Monsieur le ministre, que, vos dons de pédagogue aidant, vous réussirez à convaincre M. Dray, le groupe communiste et les Verts que la taxe Tobin n'est pas une très bonne idée. J'ajouterai ma modeste contribution. En premier lieu, compte tenu de l'ampleur prise par la spéculation, une taxe de 0,05 % ne peut être qu'inopérante.

M. Julien Dray - Affirmation gratuite !

M. François d'Aubert - Quand on peut gagner des centaines de millions de dollars de bénéfice sur des opérations de change, ce n'est pas ce prélèvement qui vous découragera !

En second lieu, comme l'a relevé le ministre, la France ne peut se permettre de jouer les petits soldats au moment où la zone euro se met en place.

Enfin, cette taxe ne peut agir que si tout le monde la met en oeuvre en même temps. S'il en est autrement, les capitaux iront là où elle ne s'applique pas.

J'approuve en revanche l'idée d'imposer des règles prudentielles précises aux fonds spécialisés dans la spéculation -qu'il ne faut d'ailleurs pas confondre avec les fonds de pension-, de manière à éviter des accidents graves. Mais cette politique doit être menée à tous les niveaux. Nous avons connu récemment, en France, des désastres bancaires dus au non-respect de ces règles prudentielles. De grands établissements comme le Crédit lyonnais n'ont pas respecté ces règles -qui sont d'ailleurs moins dures en France et en Europe qu'aux Etats-Unis. Cette question aurait mérité d'être abordée quand on a créé la Banque centrale européenne, mais on ne pensait alors qu'à la question du pouvoir monétaire. Pourquoi la France ne prendrait-elle pas une initiative à ce sujet ? Par ailleurs, peut-on savoir quelle est l'exposition des banques françaises au regard de la crise asiatique et de la crise russe ?

M. Philippe Auberger - Je crains que ce débat soit un peu académique : la taxe Tobin a un parfum d'archaïsme, elle a été inventée il y a trente ans...

M. François d'Aubert - Vingt ans !

M. Philippe Auberger - ...à une époque où le marché des changes n'était pas encore électronique et dématérialisé. Or, le marché actuel n'étant pas forcément localisé, une taxe franco-française n'aurait guère d'intérêt. D'ailleurs, comment saura-t-on si les mouvements de capitaux sont spéculatifs ou non ? Je pense, comme M. le ministre, qu'il faut éviter d'abuser des règles prudentielles : y recourir à tout propos pourrait mettre en péril les hedge funds. Ce qu'il faudrait, c'est une réflexion approfondie sur le fonctionnement des marchés des changes, dans le cadre par exemple du G7 ou du comité des 22, en vue de mieux ordonner et surveiller les marchés : mais pour l'instant, la position des Etats-Unis rend illusoire une telle perspective et les opérateurs savent bien que la proposition faite ici est purement théorique.

M. le Président - Pourriez-vous traduire l'expression anglaise que vous avez employée ?

M. Julien Dray - Ce sont des fonds à haut risque -il n'y a pas de règle prudentielle et le contribuable paie les pertes !

M. Jean-Pierre Balligand - Je voudrais dire ceci à M. d'Aubert : les banques se sont trompées à un moment donné dans ce pays, elles ont fait un autre métier que le leur en spéculant dans l'immobilier. Aujourd'hui, il s'agit d'autre chose : les banques du monde entier ont embarqué la planète dans une spéculation sur leur métier, et on a une vraie crise financière internationale. On vit la fin du tout-libéral et on est en pleine socialisation des pertes, le FMI demande des fonds à tous les pays pour colmater les brèches. Au Japon, l'Etat doit injecter entre 2 000 et 3 000 milliards de francs -ce sont trente Crédit lyonnais !

La vraie question, c'est de créer des institutions financières qui ne travaillent pas seulement sur le court terme -car aujourd'hui, toutes les banques de la planète sont dans le collimateur des agences de notation, y compris les plus importantes, et l'on aimerait un peu plus de modestie de la part des ultra-libéraux. Il faudrait trouver à l'échelle de l'Euroland les moyens de régulation afin d'avoir des institutions qui travaillent à moyen terme au lieu de mobiliser tous les moyens financiers dans une bulle qui peut exploser. D'ailleurs, M. Auberger pourrait s'inspirer des textes de son propre parti sur la taxe Tobin (M. Auberger s'exclame).

M. Daniel Feurtet - La taxe Tobin date peut-être de trente ans, mais son auteur parlait aussi de son utilisation au service du développement. Aujourd'hui, la contraction des marchés permet une forte rentabilité des capitaux circulants.

M. Michel Bouvard - Je regrette de voir aborder ce débat par le biais d'un amendement, car il y a là en effet un vrai problème, qui concerne les démocraties et les pays industrialisés dans leur ensemble. Les mouvements de capitaux sont de nature à désorganiser l'économie de la planète, avec toutes les répercussions que cela peut entraîner pour l'emploi. C'est un sujet d'inquiétude pour tous, et la commission pourrait peut-être procéder à des auditions...

M. Julien Dray - C'est l'anti-d'Aubert !

M. Michel Bouvard - ...d'où l'on pourrait tirer ensuite des recommandations à Bruxelles. Je n'aime pas qu'on parle d'Euroland parce que cette idée d'un Etat-monnaie ne me plaît pas, mais puisqu'il y a une coordination des actions économiques en Europe. La France doit pouvoir prendre des initiatives.

M. le Rapporteur général - Je demande une brève suspension de séance.

La séance, suspendue à minuit, est reprise le vendredi 16 octobre à 0 heure 5.

M. Jean-Louis Idiart - Nous souhaitons qu'un débat s'ouvre sur ce sujet particulièrement grave. Voilà qui est fait et qui prolonge certaines déclarations de ces dernières semaines, en particulier celle du Premier ministre. Il faut maintenant que la discussion se poursuive. Nous retirons donc l'amendement 522.

M. Jean-Pierre Brard - Même chose pour le 123 et le 168 corrigé. Mais on y reviendra...

M. Philippe Auberger - Mon amendement 68 traite d'un sujet totalement différent : les intérêts de retard. Depuis la loi du 8 juillet 1987 qui les a fixés à un niveau très élevé, les taux d'intérêt ont beaucoup baissé. Je propose donc d'aligner ces taux de retard -au demeurant parfaitement justifiés dans leur principe- sur le taux d'intérêt légal.

M. le Rapporteur général - J'avais soulevé le problème l'an dernier et je ne suis pas loin de penser comme M. Auberger. Mais une telle mesure coûterait très cher et n'a pas paru à la commission de première priorité. Rejet donc, tout en souhaitant que la réflexion se poursuive.

M. le Ministre - Je ne comprends pas la position de M. Auberger. D'abord les gens dont ils parlent mettent le Trésor public en situation de banquier involontaire. Et non seulement le Trésor leur fait crédit mais en outre il le fait à un taux -9 %- inférieur à celui auquel on obtient un découvert dans une banque communale. Non seulement M. Auberger voudrait que ces mauvais payeurs bénéficient encore d'un meilleur taux mais en plus il veut en faire supporter le coût à d'honnêtes fumeurs de cigarettes ! (Sourires)

M. Philippe Auberger - J'ai apprécié la réponse du rapporteur général, mais celle du ministre n'est pas convenable car, enfin, les gens ne font pas exprès d'être en retard. S'ils ne paient pas, c'est souvent que leurs créanciers eux-mêmes ne paient pas, à commencer par l'Etat qui se montre bien souvent mauvais payeur ! Tous les chefs d'entreprise peuvent connaître ce genre de difficultés. Le sujet mériterait donc une examen plus sérieux.

L'amendement 68, mis aux voix, n'est pas adopté.

ART. 8

M. Jean-Pierre Brard - Nous en arrivons à un article qui revient rituellement et qui a une forte valeur symbolique...

Nous vivons dans un pays où les possédants savent que pour vivre heureux, il faut vivre caché, surtout si on a une grosse fortune. Et chacun sait qu'au cours des vingt dernières années, le patrimoine des plus riches s'est accru considérablement pendant que la pauvreté progressait en nombre et en intensité. Dans un excellent livre consacré aux grandes richesses, M. Michel Charlot et Mme Monique Pinçon-Charlot montrent qu'au sommet de l'échelle, chaque foyer fiscal possède les avoirs de 23 724 ménages modestes, soit l'équivalent de la population du VIème ou du VIIIème arrondissement. Cela montre l'ampleur des écarts. Ce livre contient aussi des témoignages intéressants comme celui de cette veuve d'un très riche armateur grec qui occupe une suite de l'hôtel de Paris, à Monte-Carlo : "Quand nous sommes arrivés, dit-elle, je suis tombée amoureuse d'une maison et mon mari d'une autre. Alors il a acheté les deux." Quand on aime, on ne compte pas, c'est bien connu.

M. Philippe Auberger - Mais qu'est-ce que cela a à voir avec le débat ?

M. Jean-Pierre Brard - Monsieur Auberger, pour comprendre ces situations, moi, je dois lire car dans ma circonscription, voyez-vous, je n'ai ni duchesses ni privilégiés de la fortune, encore qu'il semble que les deux aillent souvent de pair -je reconnais toutefois volontiers que je parle d'un monde inconnu pour moi.

Etre riche dans notre pays dépasse de loin le strict aspect monétaire. C'est aussi un style de vie. La grande bourgeoisie peut se contenter de la pratique, poursuivent les auteurs de l'ouvrage que j'ai cité, elle peut fonctionner comme classe sans avoir à construire la théorie de sa réalité sociale ni de sa pratique. C'est une classe qui n'a pas à se déclarer comme telle, mais surtout n'a pas à le faire.

M. Gilbert Gantier - Monsieur Brard, vous êtes un philosophe !

M. Jean-Pierre Brard - Je poursuis ma lecture. Les enfants de la noblesse et de la grande bourgeoisie bénéficient d'une atmosphère où des éléments de culture savante sont présents en nombre. Ils finissent par entretenir un rapport familier et intime avec la culture savante et légitime comme avec leur langue maternelle, incorporée comme les bonnes manières et le langage châtié. La culture devient un élément essentiel des classements sociaux...

M. Philippe Auberger - Voudriez-vous la taxer à l'ISF ?

M. Gilbert Gantier - Il va lire le livre tout entier !

M. le Président - Monsieur Brard, votre temps de parole se termine.

M. Jean-Pierre Brard - Laissez-moi vous lire encore un seul récit, celui d'une riche héritière qui visitait l'une de ses parentes, Victoire de Montesquiou, fille du duc de Montesquiou-Fezensac. Dans cet appartement au 44, avenue Gabriel, nous dit-elle, tout n'était que beauté : tapisseries des Gobelins, commodes en marqueterie, bronzes côtoyant des bustes de Rodin, tableaux de Fragonard et de Boucher, gravures de Debucourt...

Je pourrais continuer ainsi avec d'autres récits du même genre.

M. le Président - Merci d'en rester là.

M. Jean-Pierre Brard - Je conclurai d'une phrase : les comptes en banque ne suffisent pas pour évaluer la richesse aujourd'hui. Il y a tout le reste et c'est là précisément que nous allons en venir bientôt.

M. Philippe Auberger - Nous n'avons, pour notre part, aucun complexe à avoir au sujet de l'ISF. Le Président de la République a rappelé publiquement en 1996 qu'il existait un consensus sur cet impôt. Nous ne l'avions d'ailleurs pas remis en cause en 1993 et n'avons nullement l'intention de le faire non plus aujourd'hui.

Toute estimation instantanée de la richesse est fragile. Ainsi depuis juin, bien des fortunes boursières se sont effondrées...

M. Jean-Pierre Brard - Mon Dieu ! Heureusement qu'il existe les CCAS !

M. Philippe Auberger - On nous dit que l'ISF rapportera quatre milliards de plus en 1999. Rien n'est moins certain. Fragile, cette richesse est aussi insaisissable. On le sait bien, ce sont les millionnaires, détenteurs d'une fortune immobilière, plutôt que les milliardaires qui s'acquittent de l'ISF. En effet, ces derniers ont toutes facilités de délocaliser leur fortune, notamment dans certains paradis fiscaux. Nous devons y être attentifs si nous ne voulons pas encourager la fuite des capitaux, qui serait préjudiciable au développement de notre pays.

On a vu cette année fleurir des articles supplémentaires sur l'ISF. S'il convenait de remédier à certaines injustices, il n'en fallait pas pour autant tomber dans l'excès. Des dispositions existantes aussi pourraient être mieux utilisées. Ainsi au lieu de tenter de contrecarrer en vain l'évasion fiscale, mieux vaudrait que l'administration fiscale use à bon escient de la procédure d'abus de droit.

En conclusion : je suis pour la stabilité en matière d'ISF.

M. Gilbert Gantier - A chaque débat budgétaire, lorsque nous abordons l'impôt sur la fortune, M. Brard entre, tel un volcan, en éruption. L'ISF, c'est son viagra intellectuel ! (Sourires) Cet impôt ne représente pourtant qu'une part modeste des recettes de l'Etat -certes, vous le regrettez.

Vous avez évoqué tout à l'heure je ne sais quelle famille dont la fortune représente celle de je ne sais combien de ménages modestes. Mais savez-vous combien la vôtre elle-même représente par rapport aux revenus d'un habitant du Bangladesh ? Votre ambition est de taxer les riches. Je ne suis sans doute pas plus riche que vous...

M. Jean-Pierre Brard - Oh ! si !

M. Gilbert Gantier - Cela n'a rien à voir avec les circonscriptions. Votre idée fixe est de niveler la société par le bas. Pourtant, votre idéal ne saurait être que le système soviétique (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) dont nous savons où il a conduit.

J'ai traversé récemment l'ex-Allemagne de l'Est, pays que vous connaissez bien. J'y ai vu des routes et des bâtiments abandonnés, en ruines, aux côtés d'autres flambant neuf ou en train d'être reconstruits. Sont-ce les ruines, votre idéal ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

Monsieur Brard, je ne suis pas comme vous jaloux des gens riches. Ils ont une fonction sociale. Ils emploient valets, femmes de chambre, maîtres d'hôtel, tapissiers... Ce sont autant d'emplois créés, de salaires versés, d'impôts qui rentrent en retour. Vous et les vôtres préféreriez les chasser de notre pays vers la Suisse ou ailleurs. En Allemagne, l'ISF a été supprimée avec l'accord des sociaux-démocrates qui ne parlent nullement aujourd'hui de le rétablir.

Vous avez dit, Monsieur Brard, que l'ISF était pour vous un symbole. Symbole de l'égalitarisme par le bas, dont les pays de l'Est ont tout fait pour se défaire.

M. Julien Dray - M. Gantier est le copain de Boris Eltsine !

M. François d'Aubert - Le Gouvernement ne nous a pas répondu hier sur le rendement de l'ISF en 1999. M. Sautter escompte qu'il sera supérieur d'un tiers à celui de 1998. Comment ne pas en douter avec les récents mouvements de la Bourse ? Certes, une nouvelle tranche va être créée au-delà de 100 millions. Mais des précisions seraient nécessaires sur la décomposition du supplément de produit attendu. En effet, les grandes fortunes, le plus souvent investies en valeurs mobilières, auront pâti de la baisse des cours. Quel sera l'effet richesse sur le rendement de l'ISF ?

Tout cela sent la combine politique. Il y a quelques mois, pour satisfaire le groupe communiste, le Premier ministre a annoncé sa volonté de durcir l'ISF. Pour améliorer la transparence au sein de la gauche plurielle, il serait bon, Monsieur le ministre, que vous précisiez combien vous pouvez promettre au groupe communiste (Interruptions sur les bancs du groupe communiste).

Par ailleurs, a été déposé un amendement visant à incorporer les oeuvres d'art dans l'assiette de l'ISF. C'est une vieille idée, combattue dès l'instauration de l'impôt sur les grandes fortunes par Laurent Fabius et Jack Lang. Une telle mesure serait difficile à appliquer, car comment définir l'oeuvre d'art ? La tarification forfaitaire que vous allez nous proposer ne constitue pas une solution et risque d'aboutir à une véritable inquisition fiscale.

Enfin, un tel dispositif pénaliserait le marché de l'art en France, déjà défavorisé.

M. le Ministre - Les protestations de M. Auberger font plaisir à entendre : l'opposition n'est plus défavorable à l'ISF. Cependant, M. Auberger a rappelé lui-même que ses amis, en 1986, avaient supprimé l'impôt sur la fortune, qui a été rétabli en 1988, à l'initiative de la gauche et à l'unanimité...

M. le Secrétaire d'Etat - ...moins M. Gantier ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste)

M. Gilbert Gantier - Je n'en fais pas une affaire personnelle. C'est en économiste que je raisonne sur cet impôt, dont le rendement est faible en comparaison de ses inconvénients. Ceux qui aujourd'hui se délocalisent, je préférerais qu'ils restent en France, qu'ils y consomment, qu'ils y construisent et qu'ils y investissent.

Les sociaux-démocrates allemands, qui ont voté la suppression de l'impôt sur le patrimoine, sont d'ailleurs du même avis que moi. Quant aux Suisses, soyez assurés qu'ils n'y perdent pas à attirer sur leur sol les détenteurs de fortune.

M. le Ministre - Disons que l'ISF trouve aujourd'hui des partisans au-delà de la majorité. M. Gantier, lui, veut éviter que les fortunes fuient la France. Mais un tel raisonnement, poussé au bout, nous amènerait à souhaiter qu'il n'y ait plus aucun impôt. Cela me rappelle cette page d'Anatole France, dans L'île des pingouins, selon laquelle il faut taxer les pauvres et non les riches, sinon ces derniers deviennent pauvres...

En outre, je trouve que si on est attaché à son pays, on doit accepter d'y acquitter l'impôt.

M. Alain Calmat - Surtout les sportifs !

M. le Ministre - Vous faites bien, Messieurs de l'opposition, de vous rallier à l'ISF.

La progression de son produit est évaluée, dans le fascicule des voies et moyens, à 3,6 milliards, dont 1,6 milliard au titre de l'évolution spontanée et 2 milliards au titre des mesures nouvelles. Mais plus que toute autre, une telle estimation est sujette à caution, nul ne sachant ce que seront les cours des valeurs mobilières en 1999.

M. Auberger nous a exhorté à recourir davantage à la procédure d'abus de droit, ce qui revient à maintenir les textes contournés et à donner à l'administration un pouvoir d'interprétation. Or elle peut se tromper. Nous préférons modifier les textes, ce qui offre une meilleure garantie à tous.

M. François d'Aubert - Tout à fait !

M. le Ministre - La procédure d'abus de droit est utile, mais il serait dangereux de recourir à elle de manière systématique.

M. François d'Aubert - Pas d'abus d'abus de droit !

M. Philippe Auberger - Je m'étonne que le ministre découvre aujourd'hui notre position sur l'ISF, que nous avons accepté dans un souci d'apaisement. En 1993, quand j'étais rapporteur général, j'aurais très bien pu proposer la suppression de cet impôt : or je ne l'ai pas fait.

M. Alain Calmat - Ç'aurait été suicidaire !

M. Jean-Pierre Brard - Souvenez-vous de la loi de finances pour 1996 !

M. Philippe Auberger - Nous n'avons pas remis en question cet impôt et nous n'entendons pas le faire. C'est bien pourquoi j'ai déposé l'amendement 69, qui vise à revaloriser les tranches du barème pour tenir compte de l'inflation, comme il a été fait chaque année jusqu'alors. Mon amendement vise aussi à supprimer une majoration de 10 % qui avait été adoptée à titre exceptionnel, pour une période qui s'achève.

En troisième lieu, nous voulons conserver l'échelle des taux et des tranches telle qu'elle a été fixée en 1988. Nous sommes fidèles à l'esprit de M. Rocard, qui déclarait vouloir un impôt sur le capital avec l'assiette la plus large et le taux le plus réduit possible.

M. Gilbert Gantier - Je rejoins les propos de M. Auberger, tout en maintenant mon amendement 255.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable aux deux amendements. M. Auberger a satisfaction sur la suppression de la majoration exceptionnelle puisqu'elle est intégrée dans le barème normal ! (Exclamations et rires)

M. le Ministre - Rejet également.

Les amendements 69 et 255, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Gilbert Gantier - Je propose, par mon amendement 254, de supprimer la nouvelle tranche créée au barème de l'ISF, dont l'origine politique est signée.

Elle nuira à l'intérêt national, en encourageant des délocalisations. Je ne me fais guère d'illusion sur le sort qui attend mon amendement.

M. le Rapporteur général - Contre.

M. le Ministre - Avis défavorable.

M. Jean-Pierre Brard - Oui, Monsieur Gantier, l'origine politique de cette mesure est signée. Elle est un apport de certains députés au pluralisme de la majorité. Je m'étonne que vous cautionniez toujours l'absence de patriotisme de ceux qui n'hésitent à mettre dans leurs poches toutes leurs richesses et à s'en aller.

M. Gilbert Gantier - Je ne cautionne pas, je n'approuve pas, je constate.

L'amendement 254, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 8, mis aux voix, est adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce vendredi 16 octobre, à 9 heures 30.

La séance est levée à 0 heure 50.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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