Accueil > Archives de la XIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (1998-1999)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 31ème jour de séance, 81ème séance

1ère SÉANCE DU VENDREDI 13 NOVEMBRE 1998

PRÉSIDENCE DE M. François d'AUBERT

vice-président

          SOMMAIRE :

LOI DE FINANCES POUR 1999 -deuxième partie- (suite) 1

    BUDGET ANNEXE DE LA LÉGION D'HONNEUR 3

    BUDGET ANNEXE DE L'ORDRE DE LA LIBÉRATION 3

La séance est ouverte à neuf heures.


Top Of Page

LOI DE FINANCES POUR 1999 -deuxième partie- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 1999.


Top Of Page

LÉGION D'HONNEUR ET ORDRE DE LA LIBÉRATION

M. le Président - Je suis heureux de saluer la présence, aux côtés de Madame la Garde des Sceaux, du général Douin, grand chancelier de l'ordre de la Légion d'honneur et du général Simon, chancelier de l'ordre de la Libération.

M. Christian Cabal, rapporteur spécial de la commission des finances - Les deux projets de budget annexe qui nous sont soumis aujourd'hui comportent des dotations en augmentation. Les crédits de l'ordre national de la Légion d'honneur passent en effet à 113 millions en 1999, soit une hausse de près de 3 %. Cette progression s'explique par l'application de l'accord salarial conclu dans la fonction publique et par l'augmentation des crédits de paiement destinés aux opérations en capital, qui permettront en premier lieu d'assurer l'entretien de la grande chancellerie. La restauration des couvertures du palais de Salon, évaluée à elle seule à plus de 5,6 millions, se poursuivra au cours de l'exercice et, dans la perspective de la célébration du bicentenaire de l'ordre, il faut maintenant envisager la rénovation du musée national, dont le coût est estimé à près de 17 millions. Dans les maisons d'éducation, les travaux concernant les dortoirs de Saint-Denis sont désormais achevés, mais la réfection du cloître devra se faire dans un avenir proche. La loi de finances rectificative pour 1997 avait déjà prévu 2 millions au titre des études préalables et il semble que celle pour 1998 comportera également des mesures de crédits pour ces travaux.

A cet égard, je souhaite appeler votre attention sur les inconvénients résultant de la pratique qui consiste à inscrire les crédits en loi de finances rectificative plutôt qu'en loi de finances initiale. Non seulement la grande chancellerie aurait-elle des difficultés certaines si elle devait faire face à des dépenses urgentes et imprévues en cours d'exercice, mais, surtout, cette façon de procéder empêche toute programmation linéaire des opérations en capital dont on constate partout qu'elles sont sur une longue période d'une grande régularité. On sait bien, aussi, que dépendre d'un collectif de fin d'année peut avoir pour effet de restreindre, voire de supprimer les ouvertures de crédits escomptées. Il me paraîtrait donc souhaitable qu'à l'avenir l'essentiel des dotations en capital soient inscrites avec régularité dans la loi de finances initiale : il y va de la préservation du patrimoine de l'ordre.

La hausse de 2 % des crédits de fonctionnement traduit celle des dépenses de la grande chancellerie et des maisons d'éducation. Les secours et les allocations, ainsi que les traitements des membres de la Légion d'honneur et des médaillés militaires restent stables.

Les ressources de l'ordre progressent globalement de 2,8 % : 2,86 % pour la subvention inscrite au budget de la justice et 2,24 % pour les recettes propres. Après une augmentation de 10 % en 1998, les droits de chancellerie resteront stables en 1999. En revanche, les prix des pensions et trousseaux progressent de 3,1 %.

Les crédits de l'ordre de la Libération connaissent une progression spectaculaire, de 21,9 %, qui s'explique par la mise en route d'une première tranche de travaux de réfection de l'installation électrique de la Chancellerie. Le coût total des travaux de 2,5 millions, étalé sur trois exercices, 850 000 francs de crédits étant prévus pour l'exercice 1999. Quant aux dépenses de fonctionnement, elles ne s'accroîtront que de 1,2 %. Globalement, la subvention du budget de la justice atteindre 5 millions en 1999, contre 4,2 millions en 1998.

J'en viens à l'évolution récente des deux ordres, pour rappeler que l'ordre de la Légion d'honneur exerce deux fonctions essentielles : la gestion des nominations et des promotions d'une part, la responsabilité des maisons d'éducation d'autre part. La première mission doit être accomplie en suivant les orientations définies par le grand maître. On sait que les décrets du 4 décembre 1996 ont sensiblement accru les contingents dans l'ordre de la Légion d'honneur. Ni inflationniste, ni démagogique, l'augmentation de moitié des contingents de croix d'officiers visait à infléchir une tendance au terme de laquelle les effectifs auraient chuté à 50 000 alors même que le code de l'ordre ne les limitant qu'à 125 000. J'ajoute que l'ordre ne comptait, à la date de publication du décret, que 115 000 membres.

Le Président de la République a par ailleurs défini des orientations précises qui visaient à mieux assurer le caractère universel des ordres et notamment la représentation des femmes. Les effets des nouvelles orientations se sont confirmés en 1998 : ainsi, la proportion de femmes dans l'ordre de la légion d'honneur est passée de 11,4 à 20 % entre 1995 et 1998.

L'ordre remplit une seconde mission, qui est d'éduquer les fils et les petits-fils des membres français de l'ordre qui lui sont confiés. Les maisons d'éducation accueillent chaque année près de 1 000 jeunes filles et la qualité de l'enseignement qu'elles dispensent est attaché par des taux remarquables de réussite aux examens : 93,46 % au brevet des collèges, 96,27 % au baccalauréat et 94,11 % au BTS.

Je conclurai en évoquant l'évolution de l'ordre de la Libération, pour rappeler que le précédent Garde des sceaux aurait déposé un projet de loi tendant à créer un Conseil national des communes "compagnon de la Libération". Je me réjouis donc que le Gouvernement ait déposé un texte identique dès juin 1997. Peut-être pourrez-vous nous indiquer, Madame le ministre, si ce texte sera prochainement inscrit à l'ordre du jour des travaux de notre Assemblée.

Je vous demande de bien vouloir suivre la commission des finances, qui a adopté à l'unanimité les crédits des budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Le budget annexe de la Légion d'honneur atteindra, en 1999,113,24 millions, ce qui représente une augmentation de 2,82 % par rapport à la dotation de l'exercice précédent. La subvention budgétaire augmentera de 2,86 % ; les recettes propres de l'ordre, qui s'élèveront à 7,76 millions, représentent 6,85 % des ressources du budget annexe. Ces dotations de fonctionnement, qui s'établiront à 106,31 millions de francs, augmenteront de 2,01 % et 8,15 millions serviront au règlement des traitements.

Près de 15 000 nominations, promotions et concessions sont intervenues en 1997. Les contingents annuels de croix de la Légion d'honneur ont été majorés de 50 % le 1er janvier 1997, avec l'objectif de maintenir les effectifs de l'ordre à leur niveau actuel et d'engager le rajeunissement de la population des décorés.

Les dépenses en ce capital prévues en 1999 représentent 4,93 millions en autorisations de programmes et 6,93 millions de francs en crédits de paiement, soit une augmentation de 17 % par rapport aux crédits de 1998. La dotation permettra d'achever la deuxième phase de la rénovation de la Maison de Saint-Denis. Comme votre rapporteur, je me félicite des excellents résultats obtenus, à la fin de la dernière année scolaire, par les élèves des maisons d'éducation. C'est ainsi que le taux de réussite aux épreuves du baccalauréat a été de 96,52 %, la moyenne nationale étant de 78,80 %.

Le projet de budget annexe doit permettre à l'Ordre d'assurer ses missions et, à l'approche de son bicentenaire, de les adapter à l'évolution de la société.

M. le Président - J'appelle les crédits inscrits à la ligne "Légion d'honneur et ordre de la libération".

BUDGET ANNEXE DE LA LÉGION D'HONNEUR

Les crédits ouverts aux articles 49 et 50, successivement mis aux voix, sont adoptés.

BUDGET ANNEXE DE L'ORDRE DE LA LIBÉRATION

Les crédits ouverts aux articles 49 et 50, successivement mis aux voix, sont adoptés.

La séance, suspendue à 9 heures 15, est reprise à 9 heures 20.


Top Of Page

JUSTICE

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial de la commission des finances - Sur le plan financier, le budget de la justice est convenable puisqu'il augmente de 5,29 %, soit de 1,4 milliard, pour atteindre 26,2 milliards. C'est encore un parent pauvre du budget de l'Etat mais, petit à petit, les choses s'améliorent puisque depuis 1988 la progression aura été de 77 %. En France, on dépense 439 F par an et par habitant pour la justice ; les comparaisons sont délicates mais sachons qu'aux Etats-Unis, on atteint 2 676 F.

Mais il nous faut examiner la productivité de la justice : certes la justice a besoin d'argent, mais surtout d'améliorer ses méthodes de gestion. Le nombre des affaires terminées est un bon indicateur. Or en matière civile, devant la Cour de cassation, il a baisse de 1,6 % ; devant les cours d'appel, il n'a que très légèrement augmenté -de 0,8 %- et dans le même temps, la durée moyenne de traitement a augmenté d'un demi-mois, pour atteindre 16,3 mois ; devant les tribunaux de grande instance, le nombre d'affaires terminées a diminué de 2,8 % et la durée moyenne est passée à 9,1 mois ; devant les tribunaux d'instance, le nombre d'affaires terminées a baissé de 2,3 % et la durée moyenne est stable à cinq mois.

Bref, la productivité judiciaire ne progresse pas. Or le reproche principal fait à notre justice, si décriée par les Français puisque plus de 70 % d'entre eux expriment une opinion négative, porte sur la durée des procédures. Bien sûr, il y a des délais incompressibles, liés à l'instruction des dossiers et aux droits de la défense ; un effort n'en est pas moins indispensable.

Comment améliorer la productivité ? La réorganisation de la chancellerie, tout d'abord, se présente comme un vaste chantier.

Il est ensuite nécessaire de disposer d'un instrument d'analyse convenable. Or le ministère est en ce domaine très en retard sur d'autres administrations ; ses statistiques sont souvent peu fiables et tardives : nous ne disposons aujourd'hui que des chiffres de 1996.

En troisième lieu, il conviendrait d'alléger les circuits financiers. Que le préfet soit ordonnateur secondaire des dépenses pose un problème, ne fût-il que technique, au regard de la séparation des pouvoirs. Il faudrait donner plus d'autonomie aux juridictions.

L'informatisation est vécue par l'administration de la justice comme un long calvaire. Un premier plan avait dû être abandonné, échec qui a coûté environ 300 millions. La culture informatique a du mal à pénétrer les milieux judiciaires... L'informatisation est encore très fragmentaire dans le domaine pénal et elle a encore beaucoup de retard dans le domaine civil.

Concernant la carte judiciaire, vous avez mis en place une mission focalisée sur les tribunaux de commerce : pourquoi pas ? Mais, de gouvernement en gouvernement, on a le génie de multiplier les missions, les études, et de retarder indéfiniment la réorganisation de la carte judiciaire. Or celle-ci est obsolète et sans cohérence avec notre organisation administrative. Pourquoi le tribunal de Sens relève-t-il de la Cour d'appel de Paris, et non de Dijon ? Ce n'est qu'un exemple parmi bien d'autres. Mais les gouvernements successifs ont peur de s'attaquer à ce problème et trouvent toujours de bonnes raisons de différer. Vous avez manifesté dès votre arrivée des intentions courageuses dans ce domaine ; mais vous êtes là depuis bientôt dix-huit mois et -mise à part une mission nouvelle, dont le travail semble d'ailleurs utile- sur le terrain, on n'a guère progressé. Je crois que c'est la méthode qui est en cause. La plupart des gouvernements veulent procéder globalement. Ce qui a pour effet de coaguler tous les conservatismes, qu'il s'agisse des élus locaux, des avocats, des magistrats, tous attachés au maintien de leurs petites juridictions... La tâche est si vaste qu'on pourrait procéder par petites touches, en commençant par supprimer quelques juridictions inutiles.

Toujours au chapitre de la productivité, je dirai un mot des locaux. Augmenter le nombre des magistrats est nécessaire, mais il faut leur donner les moyens de travailler. Or, trop souvent, et même si la loi de programmation a permis de rénover ou de reconstruire certains palais de justice, les retards s'accumulent. Paris est de loin la première juridiction de France, celle qui traite le plus grand nombre d'affaires. Or c'est là -avec peut-être Aix-en-Provence- qu'on travaille dans les plus mauvaises conditions. Les deux tiers des magistrats du siège au TGI n'ont pas de bureau et sont contraints de travailler chez eux. A la demande des magistrats, qui se sont souvent exprimés avec vigueur sur ce point, vous avez créé le pôle financier de la rue des Italiens qui constitue un progrès indubitable. Toutefois la coupure en deux du parquet financier, même si elle a été faite intelligemment, pose quelques problèmes de fonctionnement. En réalité ce pôle financier n'est qu'une mesure intermédiaire entre la situation actuelle, catastrophique, et la construction du nouveau tribunal dont Paris a besoin. Cette construction coûterait 2 à 3 milliards, mais elle est indispensable.

Le Gouvernement a fait, comme l'an dernier, un effort indiscutable. Mais il importe de procéder à une réorganisation administrative qui n'a que trop tardé.

Mme Nicole Feidt, suppléant de M. Jacques Floch, rapporteur pour avis de la commission des lois pour l'administration centrale et les services judiciaires - Je vous prie d'excuser l'absence de notre collègue Jacques Floch, retenu à Genève par ses obligations de président de la commission des affaires économiques de l'assemblée parlementaire de l'OSCE.

L'examen de ce budget permet de se féliciter des augmentations de crédits. Mais un budget, au-delà des chiffres, est l'expression d'une volonté politique. La commission des lois l'a bien compris, en posant cette simple question : des moyens financiers pour quoi faire ? A cette question répondent les orientations définies par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, et mises en oeuvre sous votre autorité, et ce d'autant plus qu'il a été décidé qu'aucune réforme ne serait proposée sans qu'on en précise l'impact budgétaire.

La réforme annoncée des tribunaux de commerce, assortie du recrutement de 350 magistrats, a commencé à répondre à notre interrogation. L'Ecole nationale de la magistrature devrait ouvrir une formation complémentaire pour les magistrats qui s'orienteraient vers ces juridictions. Plus globalement, le budget est revalorisé de 1 milliard 389 millions, somme jamais atteinte. Sur les onze derniers budgets, quatre seulement ont vu leur revalorisation dépasser le milliard. En 1990 : 1,150 milliard, en 1991, 1,298 ; en 1993, 1,345 et en 1996 1,339. Aujourd'hui, avec 26,258 milliards, Madame la Garde des Sceaux, je constate que vous avez bien défendu les intérêts de cette grande fonction régalienne qu'est la justice.

Mais, revenons à la question : des crédits pour quoi faire ? A lire le document publié par votre direction de la statistique et de la documentation, on peut être impressionné par le nombre de décisions rendues l'an dernier : plus de quatorze millions, toutes juridictions confondues, à quoi s'ajoutent 75 000 saisines en conciliations. Mais ces chiffres doivent être lus avec précaution, car ils intègrent plus de 10,7 millions d'amendes forfaitaires majorées relevant des officiers du ministère public. A terme, il faudra chercher des formules moins accaparantes pour le ministère de la justice. Ce sont donc près de 3,4 millions de décisions judiciaires qui ont été rendues en 1997, et l'on en prévoit 3,5 millions en 1998.

Ces chiffres augmentent constamment, car nos concitoyens utilisent de plus en plus les services de la justice comme régulateurs de leur vie familiale, sociale ou administrative. C'est vers la justice civile qu'ils se tournent d'abord et c'est peut-être à celle-ci que nos efforts de réforme devraient s'attacher en priorité : sur les 3,4 millions de décisions, 2 millions sont des décisions civiles, dont 20 % intéressent le droit de la famille, 20 % le droit des contrats, 13 % le droit du travail et la protection sociale. On voit l'importance que nos concitoyens attachent à cette justice, qui doit donc être bien rendue et dans un délai raisonnable. Or est-il raisonnable d'attendre plus de seize mois une décision de cour d'appel, un arrêt du tribunal de grande instance ou une proposition de règlement du conseil des prud'hommes ?

Le rapport du président Coulon a ouvert de grandes possibilités d'amélioration. Vous avez bien voulu me faire savoir qu'un décret serait publié avant la fin de l'année, en vue de remédier à la situation d'engorgement des cours et tribunaux, tout en modifiant certaines règles d'organisation ou de procédure, dans un souci de simplification et de modernisation. Ce projet de réforme, en élevant les compétences du tribunal d'instance, permet une réelle justice de proximité, peu coûteuse, rapide, simple et compréhensible par les citoyens. Mais il faut aussi développer les solutions amiables en conférant une force exécutoire aux transactions conclues, et améliorer le contrôle des expertises. J'y insiste, Madame la Garde des Sceaux, parce que l'image de la justice qu'ont nos concitoyens en dépend très souvent : tout le monde ne va pas en cour d'assises ! Je souhaite donc que nos efforts s'orientent d'abord vers cette justice de proximité, même si je comprends l'importance de la justice pénale pour mieux faire comprendre le respect dû à la loi.

Dans ce dernier domaine aussi, il faut lire avec précaution les statistiques si l'on veut mesurer l'exemplarité de la justice pénale. En 1997, les parquets ont reçu près de 5 millions de procès verbaux ; 79 % d'entre eux ont été classés sans suite, dont 22 %, soit près de 850 000, auraient un auteur connu. La simple lecture de ces chiffres pourrait faire conclure à l'impunité d'auteurs connus de délits ou de contraventions graves. Si l'on y ajoute la durée moyenne du traitement, qui est de 17 mois pour les crimes et de 16 mois pour les délits, il n'est pas étonnant que nos concitoyens imaginent une sorte de laxisme conduisant à l'impunité.

Et pourtant, pour la seule année 1997, ce sont tout de même 537 353 condamnations qui ont été prononcées, dont 6 % intéressent les mineurs. Les cours d'assises ont décidé 2 797 condamnations, conduisant à 1 255 réclusions criminelles d'une durée moyenne de près de 14 ans. Les tribunaux correctionnels ont prononcé 382 066 condamnations dont 16 % pour atteintes aux personnes, 31 % pour atteintes aux biens, 25 % pour conduite en état d'ivresse, 5 % pour délits économiques et financiers, 5 % pour trafic, détention et usage de stupéfiants. De même la délinquance des mineurs a fait l'objet de 121 449 procès verbaux et plaintes. Si 49 % ont été classées sans suite, 140 000 mineurs sont suivis par la PJJ dont 59 % de garçons et 41 % de filles. Tous heureusement ne sont pas des délinquants : 81 % sont surtout des mineurs en danger.

Ces chiffres permettent de comprendre mieux le rôle des personnels dépendant de la Chancellerie. Cette année, Madame la ministre, vous avez convaincu le Gouvernement de la nécessité de renforcer les effectifs et amorcé les réformes statutaires nécessaires. Reste une réforme essentielle, celle de la carte judiciaire. La commission des lois se félicite de la création d'une cellule spécialisée composée d'experts, notamment économistes, sociologues et géographes, qui doivent faire des propositions concrètes. Les premières concerneront les tribunaux de commerce.

Vous avez annoncé 140 postes supplémentaires de magistrats, 230 de greffiers et 185 places au concours de l'ENM. J'appelle votre attention sur la nécessité de veiller à la pyramide des âges de chaque corps. La commission s'inquiète, en outre, du nombre important d'auxiliaires et de vacataires : 950 assistants de justice, 1347 conciliateurs, 200 délégués des procureurs. La qualité de leur activité n'est pas en cause, mais leur nombre même pose le problème de leur statut.

Le Conseil d'Etat, grâce aux efforts remarquables de ses magistrats et de son personnel, dont l'effectif n'a pourtant guère varié, juge davantage d'affaires chaque année, si bien que le nombre de cas en attente a diminué de moitié en cinq ans. Il est encore trop tôt pour juger des effets de la réforme du statut des magistrats des tribunaux administratifs, entrée en application le 1er janvier dernier, mais le délai d'attente de jugement frise encore les deux ans - contre deux ans et demi, il est vrai, en 1991.

Ce budget augure bien de la volonté du Gouvernement de promouvoir une justice au service de tous, attentive aux plus faibles, implantée là où la population a besoin d'elle. La commission des lois a donc émis un avis favorable à l'adoption des crédits de l'administration centrale et des services judiciaires (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. André Gerin, rapporteur pour avis de la commission des lois pour les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse - La persévérance dans l'effort caractérise ce budget : plus 5,79 % pour les services pénitentiaires, plus 6,42 % pour la protection judiciaire de la jeunesse. Madame la Garde des Sceaux, vous avez tenu parole. Au-delà des chiffres, l'accent est mis sur l'amélioration des conditions de prise en charge des prévenus et des condamnés, ainsi que sur la réinsertion et les alternatives à l'incarcération.

Le Gouvernement a décidé, à juste titre, de répondre rapidement et systématiquement aux actes de délinquance des mineurs, quelle qu'en soit la gravité, de développer les mesures de réparation et de renforcer les dispositifs d'hébergement et d'éloignement, ainsi que d'engager une réflexion sur les missions des personnels. Les syndicats ont réagi négativement à ce budget à cause de la faiblesse des créations d'emplois et de l'insuffisance des revalorisations indemnitaires. Il faudra les convaincre de mettre en oeuvre les nouvelles orientations, car leur efficacité en dépend.

Outre l'amélioration des conditions de détention, il faut aussi prévenir l'indigence de ceux qui sortent de prison : 2 millions de francs y sont consacrés. On doit également réfléchir à la création d'un revenu minimum d'existence. L'extension du projet d'exécution des peines et la réforme des services d'insertion et de probation visent à favoriser la réinsertion et à prévenir la récidive, ainsi que l'institution des centres pour peines aménagées, réservés aux condamnés à des peines de moins d'un an.

L'état des établissements pénitentiaires, miroir de notre société, est préoccupant. 92 d'entre eux sont vieux de plus d'un siècle. Les personnels de surveillance, dont la mission est difficile et ingrate, veulent que celle-ci soit reconnue par la nation. Ils jugent anormal que certains d'entre eux soient affectés à des emplois techniques, et contestent les modalités d'attribution de la prime de responsabilité aux directeurs.

La politique de protection judiciaire de la jeunesse, définie par le conseil de sécurité intérieure du 8 juin 1998, s'inscrit résolument dans le cadre, qu'il faudra néanmoins moderniser, de l'ordonnance du 2 février 1945. Les procureurs seront informés en temps réel des infractions commises par des mineurs, et assistés de délégués qui interviendront notamment dans les maisons de la justice et du droit.

Si ce budget est exemplaire, nous devons être conscients que le problème de la jeunesse en danger requiert un effort gigantesque, afin que la République ait droit de cité partout et qu'il n'y ait plus de zones de non-droit. Je veux combattre de toutes mes forces, avec les républicains de notre pays, la violence et l'extrémisme, ingrédients d'une société digne d'Orange mécanique, qui risquent de détruire les fondements de notre démocratie. Un sursaut national s'impose pour rendre l'espoir aux citoyens et instaurer une culture de fraternité.

Trop de jeunes sont victimes de la loi du plus fort, de son cortège de rackets et de violences. Dans mon département, un jeune homme a été tué d'un coup de couteau, il y a un an, et son agresseur a été libéré en attendant de passer en jugement. Qu'on me comprenne bien : mon propos n'est pas de réclamer le recours au "tout-carcéral", mais une réponse appropriée à la situation créée par ces jeunes délinquants récidivistes qui sont, dans le Rhône, quelque deux cents à errer en liberté dans nos quartiers, faute de structures adaptées. Ce qu'il faut en vérité, c'est un plan Orsec, qui engage l'Etat, les collectivités et les associations, pour favoriser la réinsertion, développer une culture de la responsabilité et refonder la République.

Sensible à votre action depuis deux ans, Madame la Garde des Sceaux, la commission des lois a émis un avis très favorable à l'adoption de vos crédits (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Jean Pontier - La croissance économique, retrouvée depuis l'été 1997, et la priorité affichée par le Gouvernement depuis 1998, vous permettent, Madame la Garde des sceaux, de bénéficier d'une enveloppe égale à 1,6 % du budget de l'Etat, contre 1,55 % l'an dernier. On ne peut que se réjouir de la progression de 5,6 % de vos moyens.

La répartition des 930 créations d'emplois montre votre volonté de donner la priorité aux services judiciaires : 370 postes de magistrats, de greffiers et d'assistants de justice, à côté du traditionnel poids lourd qu'est l'administration pénitentiaire avec 344 postes de fonctionnaires, essentiellement de surveillance, même si les syndicats estiment que le compte n'y est pas. La création de 150 emplois pour la protection judiciaire de la jeunesse concrétise le rapport de la mission interministérielle sur la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs, remis au Premier ministre le 16 avril dernier.

La protection judiciaire de la jeunesse voit ses crédits progresser de 6,42 %, en rupture avec des années de stagnation, de régression, malgré d'éphémères embellies.

Vingt-six départements prioritaires bénéficient d'un renforcement du traitement de la délinquance des mineurs, grâce notamment à l'ouverture de 10 classes-relais, de 10 modules de formation et d'insertion professionnelle, de 75 places en familles d'accueil, de 36 places en hébergement collectif et de 7 dispositifs d'éducation renforcée, si injustement critiqués, il y a peu.

Parallèlement seront recrutés 200 délégués des procureurs. Nombre de magistrats se demandent sur quel texte s'appuie cette novation qui fleure bon les délégués bénévoles à la liberté surveillée tombés en désuétude dans les années soixante.

Trente emplois de suivi en milieu ouvert renforceront les services éducatifs au tribunal et les centres d'action éducative, encore trop embouteillés de mesures civiles concernant des enfants de 0 à 13 ans. Vous-même avez souligné, en avril dernier, que le secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse était "spécialisé dans la prise en charge des pré-adolescents et des adolescents les plus difficiles".

Vous comptez aussi sur l'augmentation des mesures de réparation, dont le prononcé dépend, exclusivement des magistrats, ainsi que sur l'appui des collectivités.

Si l'on ne peut qu'approuver, malgré sa timidité, le renforcement du suivi médico-social, ainsi que l'augmentation des crédits de vacation pour des médecins psychiatres, il y a lieu de s'interroger à nouveau sur la pertinence du dispositif de 1991, relatif aux conditions de détention des mineurs. Le fait de rassembler au plan régional les jeunes détenus pour une meilleure prise en charge pédagogique, sportive et culturelle, a eu des effets pervers. L'éloignement du milieu familial, de l'éducateur chargé du suivi, du conseil du mineur, ne peut être considéré comme une bonne mesure, d'autant qu'il faut stigmatiser la promiscuité et le caïdat avec les trop nombreux incidents de détention : racket, coups et violences, y compris sexuelles.

Assurer un meilleur suivi éducatif des mineurs détenus, à partir notamment de l'affectation supplémentaire de personnels de surveillance et de 6 millions de crédits de fonctionnement est bien, mais il serait plus judicieux de revenir à une implantation locale du dispositif permettant le jeu normal des différents acteurs sociaux.

Traiter particulièrement les adolescents criminels pour qu'ils ne sortent pas de prison tels qu'ils y sont entrés est un objectif humaniste qu'il faut absolument chercher à atteindre.

Vous marquez le traitement de la délinquance des mineurs de votre empreinte politique en apportant une réponse rapide, notamment par la séparation, l'hébergement, l'éloignement et l'accompagnement médico-social. Mais il faut aussi s'intéresser au volet relatif à l'enfance maltraitée, grande cause nationale s'il en est.

L'implication des conseils généraux y est forte, mais inégale. Les liens avec l'autorité judiciaire, avec les directions régionales et départementales de la protection judiciaire de la jeunesse ont besoin d'être resserrés.

Il faut enfin en venir à l'élaboration conjointe d'un schéma départemental de protection de l'enfance, avec le secteur pédo-psychiatrique, la jeunesse et les sports, l'éducation nationale, la police, la gendarmerie, ainsi qu'avec les associations agréées au titre de l'aide sociale à l'enfance, comme habilitées par le ministère de la justice.

Votre cabinet, l'Association des présidents de conseils généraux, la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée devraient veiller ensemble à ce que les besoins recensés soient enfin couverts.

Il vous faudra pour cela prévoir des moyens suffisants, au moins pour les vingt-six départements prioritaires où la délinquance et la maltraitance sont les plus fortes. Ce serait un signe nouveau et fort de la continuité de l'action de l'Etat.

Un mot enfin sur la répartition des crédits entre les secteurs public et associatif de la Protection judiciaire de la jeunesse : quand on retire les 22 millions relatifs à l'accord salarial et les 25 millions consacrés aux 150 emplois créés des 167 millions du total, on s'aperçoit que le secteur public, avec 59 millions, dont 19 au titre du fonctionnement courant, fait pâle figure face aux 61 millions prévus pour le secteur associatif habilité.

Si l'on commence, comme l'avait souhaité la mission interministérielle, à "augmenter d'une manière très significative les crédits et les postes budgétaires de la PJJ", il faut poursuivre dans cette voie. Pour le moins devrait pouvoir être réglé, comme dans l'éducation nationale et la police, le problème récurrent de la rémunération des emplois-jeunes (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Georges Hage - Le budget de la justice se trouve au coeur du grand chantier de démocratisation de la justice, il en fixe le rythme.

Il est difficile d'aller du constat de crise, du sentiment d'inégalité ressenti par les justiciables, exacerbé par les affaires, à une vraie réforme. Le mérite du Gouvernement et le vôtre, Madame la Garde des Sceaux, est d'aborder de front la question de la place de la justice dans notre société.

Les députés communistes s'inscrivent pleinement dans cette démarche novatrice. Nous refusons tout à la fois une justice aux ordres et le gouvernement des juges. La justice rendue au nom du peuple français doit garantir la séparation des pouvoirs et permettre aux juges d'échapper à toute influence. La réforme du Conseil supérieur de la magistrature rompt avec l'emprise du pouvoir exécutif sur l'autorité judiciaire.

Au regard de la pratique d'autres pays, comme les Etats-Unis, on mesure la valeur universelle des apports de la Révolution française qui continuent à irriguer le droit en refusant de faire d'une justice idéalisée l'otage des règlements de comptes politiques. Le respect de l'individu, des droits de la défense et des libertés nécessite une vigilance de tous les instants. Un pas significatif sera franchi avec le vote de la loi grâce à laquelle le Parquet ne sera plus soumis aux pressions de l'exécutif pour des demandes de classement sans suite.

Cette vigilance laïque sur la liberté devra se retrouver dans le projet sur la présomption d'innocence. La distinction du juge d'instruction et du juge de la mise en détention, la présence de l'avocat dès le début d'une garde à vue marqueront des avancées décisives. La détention provisoire comme la garde à vue portent atteinte à la présomption d'innocence.

Le nombre inutilement élevé des détenus en détention provisoire, qui sont donc juridiquement innocents, reste un problème majeur. C'est une question de dignité élémentaire. Or les mesures pour réduire une population pénale trop nombreuse sont rarement suivies d'effet.

La peine de mort heurte la conscience de nombre de nos collègues. Cette barbarie aussi cruelle qu'inutile continue à être appliquée dans trop de pays, qui prétendent par ailleurs assurer le modèle mondial de la démocratie, parfois pour des crimes vieux d'un quart de siècle, et à des condamnés qui étaient mineurs au moment des faits. La menace d'un tel châtiment pèse sur des innocents, comme Abu Jamal, que la couleur de leur peau ou leurs idées progressistes ont désignés à leurs juges.

Lors des rencontres internationales, la France doit systématiquement faire avancer le principe de l'abolition de la peine de mort partout dans le monde.

La révision de procès pour lesquels l'erreur judiciaire est pourtant certaine se heurte à la nécessité pour l'innocent injustement condamné d'apporter un fait nouveau. Cet obstacle, qui n'existe pas dans le système britannique devrait être supprimé du nôtre, et les jugements des cours d'assises doivent être susceptibles d'appel. Le projet présenté par le précédent gouvernement avait le mérite d'exister et nous l'aurions voté.

La réforme courageuse que constitue la création du Pacs doit préluder à d'autres avancées en droit civil. En matière de succession, le conjoint survivant, qui ne conserve que le quart de l'usufruit, devrait en garder la totalité. Le divorce doit devenir plus facile et moins traumatisant, sans pour autant que le faible perde ses droits.

S'agissant de la réforme des institutions judiciaires, il serait souhaitable d'étendre les prud'hommes au niveau de l'appel et de créer une juridiction paritaire pour les litiges entre bailleurs et locataires.

Ce sont non seulement des magistrats professionnels, mais aussi des représentants des salariés qui doivent pouvoir siéger dans les tribunaux de commerce.

Le budget ne suffit pas à atteindre tous nos objectifs. Pour appliquer vraiment les principes de gratuité et d'égal accès au droit, il faudrait relever le plafond ouvrant droit à l'aide juridictionnelle à deux fois le SMIC et donner de nouveaux moyens aux maisons de justice.

Il faut améliorer la justice au quotidien. Un salarié qui a gain de cause devant les prud'hommes ne peut accepter qu'un appel de l'employeur renvoie la solution de l'affaire aux calendes grecques. Les justiciables, par des moyens informatiques, devraient pouvoir obtenir copie de leur jugement dans les 48 heures.

Le nombre des magistrats va augmenter considérablement. Le président de la cour d'appel de Douai apprécie l'arrivée de trente-quatre magistrats supplémentaires dans son ressort. Mais le recrutement important d'assistants de justice me préoccupe.

Il faut renforcer les moyens des greffes et des prud'hommes, ces éternels sacrifiés. Les fonctionnaires dénoncent l'aggravation des inégalités entre agents d'une même administration.

S'agissant de l'exécution de la peine, des conditions de vie quotidienne en milieu carcéral et de la lutte contre l'indigence, vos intentions sont louables, mais elles appellent un plus grand engagement de l'administration pénitentiaire, qui a, elle aussi, besoin de moyens supplémentaires. J'ai noté avec intérêt la proposition de M. Gerin visant à créer un revenu minimum d'existence.

Pour combattre la délinquance des mineurs, il faut développer l'action sociale et la prévention. Première mise en application du rapport Lazerges-Balduyck, la création de cent cinquante emplois d'éducateurs dans les services de la protection judiciaire de la jeunesse y contribuera.

Un mineur en détention, c'est toujours un échec pour la société. Des mineurs incarcérés sans aucune prise en charge éducative et sociale, c'est inacceptable. Pour les adultes aussi, les alternatives à l'incarcération doivent être recherchées en priorité. Il faut respecter l'esprit de l'ordonnance de 1945. Rendre systématique la répression, ce serait renoncer à la mission de service public de la protection judiciaire de la jeunesse.

Nous voterons ce budget, tout en souhaitant aller plus loin dans l'humanisation de la justice.

M. Philippe Houillon - Je salue à mon tour l'augmentation des crédits de la justice, qui vont progresser de 5,5 % en 1999 après une hausse de 4 % l'année dernière. En terme de progression, c'est le troisième budget, après ceux de la ville et de l'environnement. Vous créez 930 emplois, dont 370 pour les services judiciaires, qui gagneront 140 magistrats. Vous prévoyez également des mesures de revalorisation indemnitaire pour les magistrats et les greffiers. C'est une bonne chose, même si l'effort reste modeste.

Votre action s'inscrit dans celle de vos prédécesseurs, qui, depuis quinze ans, ont toujours obtenu une hausse des crédits de la justice supérieure à celle du budget général. De 16,8 milliards 1990, le budget de la justice est passé à 23,5 milliards en 1996 et à 26 milliards aujourd'hui.

Cependant, sa part dans les dépenses de l'Etat reste voisine de 1,5 %.

Quand, à l'époque d'Internet, il faut attendre dix mois pour un jugement aux prud'hommes et encore seize mois en cas d'appel, on comprend que le décalage est devenu trop grand entre le monde judiciaire et le monde réel. Malgré vos affirmations répétées, la justice ne constitue toujours pas une priorité pour le Gouvernement, alors que le judiciaire et le juridique entrent de plus en plus dans la vie quotidienne des Français.

Trop longue, trop complexe et souvent trop chère, la justice n'est pas adaptée au monde moderne. Selon un sondage commandé par le barreau de Paris, 95 % reprochent à la justice sa lenteur et 86,2 % son excessive complexité.

En 1997, sur 4,4 millions de procès-verbaux, 3,9 millions ont été classés sans suite. Ou bien on dresse des procès-verbaux à tort et à travers, ou bien l'essentiel de la délinquance reste impuni, ce qui est grave.

Beaucoup de dysfonctionnements, dans notre société, trouvent leur origine dans la lenteur de la justice. Ainsi, chacun reconnaît que la présomption d'innocence n'est plus respectée en France. La mise en examen fait peser sur la personne concernée une véritable présomption de culpabilité et le procès se fait dans la presse, sans aucune règle. C'est inacceptable, mais cela vient de ce que le temps de la justice ne correspond plus au temps de la société, même si la justice a besoin de sérénité.

Voyez la mise en examen du président du Conseil constitutionnel. Attaché à la présomption d'innocence, je ne ferai aucun commentaire au fond avant le jugement. Cependant, des voix commencent à s'élever et la situation actuelle ne peut perdurer pendant des mois.

Une simple augmentation de crédit ne suffira donc pas à régler tous les problèmes. Il importe d'améliorer la gestion de ce qui existe. Avant d'accroître l'offre de justice, il faut régler le passif. La loi sur le surendettement a eu pour effet de faire exploser les tribunaux d'instance. Il est temps d'adopter une véritable politique de gestion des ressources humaines.

Vos initiatives concernant la carte judiciaire et la médiation vont dans le bon sens, même si les moyens prévus me semblent faibles.

Vous annoncez 350 magistrats nouveaux pour instaurer la mixité dans les tribunaux de commerce, ce qui nécessite aussi de la formation. Vous créez un juge de la détention et un juge spécialisé dans la lutte contre les sectes. En outre, le Pacs va engorger les tribunaux d'instance, sans parler du contentieux. Vous annoncez l'ouverture de maisons de la justice et la création d'un pôle économique et financier et quid de la réforme des cours d'assises ? Autant dire que tous vos crédits supplémentaires seront absorbés par ces mesures.

Je comprends que tout Garde des Sceaux souhaite imprimer sa marque. Mais ce n'est pas l'accumulation des lois qui va améliorer la qualité de la justice.

L'administration de la justice reste exsangue et la multiplication des tâches nouvelles va aggraver la situation.

La seule augmentation des moyens en personnel et en matériel ne fera pas faire des miracles à une administration lourde et mal gérée. Nous appelons de nos voeux un service public plus efficace et plus égalitaire.

Le groupe Démocratie libérale ne votera pas ce budget.

M. Jean-Louis Borloo - Je fais mienne la satisfaction de M. Houillon sur la hausse des crédits, tout en partageant les inquiétudes de M. Gerin quant aux perspectives.

Toutes les grandes démocraties sont confrontées à l'augmentation du besoin de justice.

En France, la tradition est longue d'une justice inquiétante et les incongruités du système judiciaire sont légion, la moindre n'étant pas l'existence de tribunaux administratifs, autrement plus curieuse, à mon sens, que celle de tribunaux de commerce. Si, en l'état actuel, on voulait donner à la justice française une efficacité équivalente à celle dont font preuve, en moyenne, les administrations homologues des pays de l'Union, il faudrait doubler son budget !

Dans ces conditions, que faire ? Allons-nous enfin donner à la justice la place qu'elle doit avoir, au coeur des institutions ? Si tel est l'objectif du Gouvernement, il est grand temps d'agir. Alors que le délai moyen d'attente d'un jugement est en France de 35 mois, le plus mauvais score des pays d'Europe continentale, j'ai été assez choqué d'entendre certains représentants de la justice critiquer d'autres représentants de la justice sans que la Garde des Sceaux n'intervienne haut et fort. Et quelles mesures sont prises ? Alors que les critiques fusent sur les tribunaux de commerce, on constate, à la lecture du rapport parlementaire, que le Parquet n'est représenté que pour 30 % des décisions prises par ces instances, faute, disent les intéressés, d'effectifs suffisants. Quelle réponse leur donne-t-on ? Au lieu de renforcer les parquets en sous-capacité, on puisera dans le corps des magistrats pour compléter la composition des tribunaux de commerce !

Madame la Garde des Sceaux, vous avez la confiance du Gouvernement, vous pouvez être entendue : soyez, des ministres de la justice successifs, celui qui engagera la réforme de la carte judiciaire ! Que l'on décloisonne ! Que l'Etat renonce à ses prérogatives scandaleuses en matière douanière et fiscale ! Que les gens de qualité cessent de se perdre dans des procédures incompréhensibles ! Que l'on regroupe enfin, au sein d'une seule entité, toutes les fonctions de justice sans exception -pourquoi, par exemple, un conseil de la concurrence, autre incongruité ? Quelle faiblesse d'avoir accepté, au fil des ans, que les actes des greffes ne soient pas revalorisés pour, maintenant, montrer du doigt Infogreffe ! Comment accepter qu'à Valenciennes le conseil des prud'hommes doive faute de locaux, être hébergé dans les locaux d'un syndicat ? Alors que ni le conseil, ni le syndicat en question ne peuvent travailler convenablement dans ces conditions, la proposition faite au ministère, il y a trois ans, de construire un bâtiment, est restée sans réponse à ce jour.

Le budget proposé est un budget de continuation. C'est dire qu'il ne se passera rien, alors qu'un coup de rein est indispensable. Le groupe UDF, qui a mal à la justice, ne pourra voter ce budget.

M. Jean-Luc Warsmann - Le débat budgétaire est, comme chaque année, l'occasion de dresser le bilan de l'activité du ministère et de réfléchir aux perspectives. Le débat sur la justice a été marqué par l'impulsion que lui a donnée le Président de la République en installant la commission Truche. Il témoignait ainsi de sa volonté de faire de l'amélioration du système judiciaire une priorité nationale. Qui ne sait que la justice est perçue, en France, comme trop lente, trop chère et peu accessible ? Cette perception est malheureusement fondée et, si l'on s'en tient aux délais nécessaires à l'obtention d'un jugement, la situation est extrêmement inquiétante : ils sont de plus de 9 mois pour les tribunaux de grande instance et si, en 1997, le nombre d'affaires nouvelles a, pour la première fois, légèrement baissé, il reste néanmoins supérieur au nombre d'affaires jugées. Les contentieux relatifs aux affaires familiales ne cessent de croître, ce qui traduit des difficultés sociales connues de tous. Au pénal, le nombre des affaires ne cesse de croître à mesure que les procédures de comparution immédiate se multiplient. Et en matière criminelle, il faut, en moyenne, 45 mois avant qu'un jugement soit rendu... En appel, 16 mois sont nécessaires, cependant que les tribunaux administratifs ont besoin de deux années pour se prononcer, et les cours administratives d'appel, de trois...

Cette litanie n'a pas pour objet de faire le procès de votre action, mais de marquer à quel point une réforme d'envergure s'impose, car l'effort de productivité des personnels trouve sa limite dans l'accumulation des contentieux et des stocks. Or, que proposez-vous sinon, avec des crédits qui représenteront, en 1999, 1,61 % du budget de l'Etat, la continuation de la politique menée jusqu'à présent ?

Encore un peu de transparence n'aurait-elle pas nui à la crédibilité de l'ensemble : ainsi, il aurait été plus honnête de mentionner expressément la part qui, dans les crédits attendus, correspond à des transferts ou à des dépenses déjà engagées. Il n'en reste pas moins vrai que le projet de loi de finances marque un effort particulier en faveur de la justice. Mais à quelles priorités les crédits ainsi débloqués seront-ils affectés ?

Comment ne pas se rendre compte que les 145 postes de magistrats que vous allez créer vont être consommés, pour moitié dites-vous, par bien davantage, avancent certains, par la réforme que vous annoncez ? Ce n'est pas ainsi que l'on réduira le stock des affaires non jugées. Et puis, est-il de bonne pratique de légiférer sans avoir réalisé d'études d'impact ? Qui sait réellement quelles charges supplémentaires supposent pour les greffes la lutte contre les sectes ou l'application du Pacs ?

Comment ne pas s'interroger devant des projets hachés, qui manquent de cohérence faute d'une vision d'ensemble ? Faut-il appeler le feuilleton de la réforme de la détention provisoire, la fluctuation du nombre des personnes non-incarcérées apparue au cours du débat du 3 avril 1998 dans cette enceinte, le double emploi entre votre projet de loi et notre proposition de loi, le report dont on parle maintenant... Vous aurait-on convaincue de la nécessité d'une réflexion plus poussée sur une réforme qui ne doit pas avoir pour objet, comme on aurait pu le penser au cours du débat, de réduire le nombre des prisonniers en France ? Je le répète : tout cela est incohérent et la justice souffre de l'absence, voulue par le Premier ministre, d'une nouvelle loi de programmation. Comment définir une politique rationnelle sans s'être fixé d'objectifs ?

Enfin, ce budget répond-il aux besoins de sécurité des Français ?

L'opposition vous a dit ses inquiétudes devant la remontée de l'insécurité et de la criminalité depuis le début de l'année, après quelques années de stagnation, et devant les faibles moyens budgétaires accordés tant à la gendarmerie qu'à la police -au point que le ministre a dû, pour obtenir un vote positif de sa majorité, concéder une rallonge de 500 millions. En ce qui concerne l'administration pénitentiaire, la déception est énorme pour les personnels qui travaillent dans des conditions de plus en plus difficiles du fait de la surpopulation des établissements. Un effort plus conséquent aurait été nécessaire en matière de locaux ; à Lyon, par exemple, 80 millions seraient nécessaires. En ce qui concerne les rémunérations, on parle de l'augmentation de 16 % de la prime de nuit, mais cela ne représente que 95 centimes par mois... Les personnels de direction avec le blocage des carrières voient leur pouvoir d'achat stagner. Enfin, on crée moins de postes de surveillants qu'il n'existe d'établissements...

En conclusion, force est de constater que ce budget est celui des occasions manquées. Il aurait fallu utiliser les moyens disponibles pour mener une politique à la fois modeste et efficace ; il s'agit moins de mener des réformes qui risquent de compliquer le système que de mettre fin aux dénis de justice qu'entraînent la longueur des procédures, et de faire en sorte que l'administration pénitentiaire ne se sente pas l'oubliée de la politique de la justice. Pour toutes ces raisons, le groupe RPR votera contre ce projet de budget (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Mme Nicole Feidt - Le groupe socialiste constate avec satisfaction que, conformément à ses engagements d'octobre 1997, le Gouvernement a fait des efforts significatifs en faveur du budget de la justice. Grâce à votre opiniâtreté, Madame la ministre, celui-ci constitue désormais une priorité. Sachez que nous serons vigilants à vos côtés pour que cette action s'inscrive dans la durée afin de résorber un retard endémique.

Les efforts accomplis ne doivent pas faire oublier des demandes pressantes, concernant en premier lieu la protection judiciaire de la jeunesse.

En ce domaine, il convient d'analyser l'action menée en milieu ouvert et en milieu fermé et de redéfinir les modalités d'interventions des associations. La création d'une instance de coordination est indispensable et la place de l'Etat, dont la justice et la sécurité sont des missions régaliennes, doit être clarifiée.

Par ailleurs, la double compétence de l'aide sociale à l'enfance -qui dépend des départements- et de la protection judiciaire de la jeunesse en matière d'assistance éducative cherche désespérément ses justifications. De très nombreux adolescents en difficulté sont confiés à l'aide sociale à l'enfance alors qu'ils relèveraient normalement de la protection judiciaire de la jeunesse ; l'intégralité de l'assistance éducative décidée par les juges des enfants et la protection administrative décidée par le président du conseil général sont financées par le département. S'agissant de l'hébergement, les places font défaut, tant en établissement que dans les familles d'accueil. Il serait donc nécessaire de clarifier les responsabilités de chacun.

En deuxième lieu, je suis, comme notre très bon rapporteur André Gerin, très soucieux du sort des personnels pénitentiaires, qui expriment leur mécontentement.

En ce qui concerne les effectifs, le taux d'augmentation est important cette année, mais le retard l'est aussi ; le budget 1997 ne prévoyait que 40 postes de gardiens supplémentaires, alors que le gouvernement Juppé construisait des prisons sans prévoir l'encadrement.

S'agissant des rémunérations, les gardiens de prisons estiment que les augmentations accordées dans le projet sont trop faibles, notamment en ce qui concerne les indemnités de travail de nuit, ainsi que de dimanche et de jour férié. Hommage doit être rendu à ces personnels qui ont la responsabilité de la bonne exécution des peines et doivent faire face à des situations extrêmement difficiles, dues à la surpopulation carcérale et à la dangerosité de certains détenus. Or cette augmentation ressemble à une aumône...

Je ne méconnais pas les impératifs budgétaires nationaux et l'ampleur du retard accumulé, mais, qu'il s'agisse du recrutement ou des conditions de travail et de rémunération de ces personnels auxquels la société confie un rôle ingrat, je souhaite que de nouvelles améliorations soient apportées à ce budget.

Enfin, je souligne la nécessité non seulement de favoriser les alternatives à l'incarcération, mais aussi d'éviter un recours excessif à la détention provisoire. Je sais que vous y travaillez.

Nos concitoyens attendent de la justice qu'elle ait les moyens de ses ambitions. Ce budget, en hausse de 5,60 %, marque une rupture avec les années précédentes. Le groupe socialiste le votera donc et sera attentif à la poursuite de l'effort dans les années qui viennent, car c'est le prix d'une véritable réforme de la justice... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Jean-Pierre Michel - Madame la ministre, vous avez tenu parole : vous poursuivez les efforts que vous aviez entrepris l'année dernière. Vous nous présentez un bon budget, malheureusement dans le cadre d'une loi de finances qui, contrainte par les directives européennes libérales, ne permet pas à l'Etat de remplir convenablement toutes ses missions, notamment celle dont vous avez la charge.

Les crédits que vous avez obtenus sont mis au service d'une bonne politique ; les réformes que vous avez annoncées, concernant la modernisation de la justice, notre procédure pénale et les tribunaux de commerce doivent déboucher rapidement. J'entends dire qu'elles seraient différées parce que les parlementaires ne voudraient pas travailler : je ressens cela comme une honte... Le mandat national est le premier qu'on doit exercer ; nous pouvons être requis ici tous les jours de la semaine, votre majorité doit être derrière vous pour adopter les réformes qu'elle juge nécessaires ! Si elle les juge inutiles ou inopportunes, il faut qu'elle le dise mais pour ma part, ce n'est pas mon cas.

S'agissant du secteur pénitentiaire, votre politique rompt avec celle de vos prédécesseurs de droite et de gauche. J'espère que votre majorité vous soutiendra.

Votre projet relatif à la présomption d'innocence sera, je l'espère, discuté avant la fin de l'année ; le juge d'instruction ne devra plus être celui qui met en détention et il faudra inscrire dans la loi des limitations objectives à la mise en détention provisoire et à sa durée.

En effet, si la détention provisoire peut être indispensable au début de l'instruction, il vient un moment où elle ne l'est plus, sauf à masquer l'inaction du juge d'instruction ou son échec. Il faut d'autre part instaurer par la loi un véritable numerus clausus, qui seul permettra de limiter les mises en détention, de développer les alternatives à l'incarcération, et d'améliorer les conditions de vie en prison.

Celles-ci restent mauvaises, pour les détenus comme pour les personnels ; la France est d'ailleurs régulièrement épinglée sur ce point par le Conseil de l'Europe. On sait bien qui compose pour l'essentiel la population pénale : ce sont les plus pauvres. Or l'emprisonnement réduit encore leurs ressources. Les détenus n'ont pas droit à tous les minima sociaux. S'ils peuvent percevoir l'allocation veuvage et les minima vieillesse et invalidité, l'ASS est suspendue après quinze jours, le RMI après deux mois. Aucun détenu ne peut percevoir l'allocation parent isolé, en vertu d'une mesure de 1994 sur laquelle vous pourriez d'ailleurs revenir. Enfin dans certains cas l'allocation adulte handicapé est réduite.

Tout ceci me conduit à vous demander un certain nombre de mesures. Nous avons voté une loi de lutte contre l'exclusion. Elle est malheureusement limitée aux moins exclus. On n'a pas parlé des plus exclus, notamment ceux qui sont en prison. Les gens qui avaient accès au RMI avant leur incarcération doivent le conserver. Ceux qui tombent dans l'indigence pendant leur incarcération doivent y avoir accès. Ceux qui rempliront les conditions après leur sortie doivent se le voir accordé dès le jour de leur libération, ce qui implique que les procédures d'obtention aient lieu avant. Tout cela aurait pu figurer dans la loi contre l'exclusion. On ne l'a pas fait : il n'est pas trop tard pour bien faire.

En outre, les détenus, notamment les plus défavorisés, échappent trop aux dispositifs de qualification. Il faut développer la formation professionnelle en prison, pour préparer la réinsertion ou plutôt l'insertion. Ils ne bénéficient pas non plus de mesures de lutte contre l'illettrisme, qu'il faut renforcer. Il serait bon également d'améliorer les conditions de visite des familles, et de préserver les liens entre parents et enfants, en développant des unités de vie familiale. Ces suggestions, Madame la ministre, vont dans le sens que vous avez vous-même indiqué, mais l'action doit être amplifiée et accélérée.

On a évoqué les conditions du personnel pénitentiaire, qui a droit à toute notre gratitude et à tout notre respect.

Il y a un manque de fonctionnaires, qui se traduit par un développement ubuesque des heures supplémentaires, il faut y remédier.

Le groupe RCV votera bien entendu ce budget. Mais nous souhaitons que vous alliez plus loin, et que vous obteniez du Gouvernement les moyens de le faire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. André Vallini - "Dire ce qu'on fait, faire ce qu'on dit" : tel est l'engagement qu'ont pris les socialistes au printemps 1997 devant les Français. Ceux-ci nous ont accordé leur confiance, et depuis dix-huit mois nous faisons tout pour en être dignes. S'il est un domaine dans lequel nous illustrons cette exigence morale, c'est bien celui de la justice. Le 15 janvier, Madame la Garde des Sceaux, vous avez annoncé ici même une réforme ambitieuse et globale. A ce sujet je ne comprends pas les interrogations de M. Warsmann qui regrette le manque d'un plan d'ensemble. Mme la ministre a annoncé la réforme ici même en janvier, et depuis lors les mesures se succèdent. Les chantiers s'ouvrent l'un après l'autre, dans la perspective d'une réforme en profondeur. Le Gouvernement a annoncé plusieurs textes importants, dont certains sont déjà votés. J'ai lu comme vous dans un grand journal du soir que le projet sur la présomption d'innocence serait retardé de quelques semaines, ce n'est pas très grave.

Je veux démontrer que ce budget est un bon budget -comme le reconnaît tout esprit objectif, et comme l'a admis M. Devedjian- qui permettra à notre justice, non seulement de mieux fonctionner, mais surtout de se réformer. J'en prendrai trois exemples. Le 15 janvier, Mme Guigou exprimait le souhait d'une justice plus simple, accessible, proche des citoyens. Le budget le montre : les moyens sont là, pour développer les conseils départementaux d'aide judiciaire, les maisons de la justice et du droit, la modernisation des juridictions. Mon cher confrère Devedjian, nous avons à Grenoble la chance, que vous n'avez pas à Paris, de pouvoir disposer bientôt d'un beau palais de justice, dont Mme Guigou est venue visiter le chantier.

Le 15 janvier, Mme la ministre prônait une justice plus respectueuse des libertés. Le budget le montre, les moyens sont là, notamment pour une réforme très attendue des avocats et de tous les défenseurs des droits de l'homme : la présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue, et 20 millions supplémentaires sont affectés à l'aide juridictionnelle. Les moyens sont là aussi pour la création des juges de la détention provisoire, puisque la moitié des postes de magistrats créés en 1999 est affectée à cette réforme.

Le 15 janvier Mme la ministre annonçait une lutte plus efficace contre la délinquance financière. A nouveau les moyens sont là. C'est non seulement le renforcement des pôles créés à Paris, à Lyon, à Marseille et en Corse, mais aussi les mesures de lutte contre l'argent sale et la grande criminalité financière à l'échelle européenne que vous avez annoncées au colloque d'Avignon.

En résumé, ce budget est bon, et les réformes sont en cours. Elles répondent d'ailleurs au voeu exprimé par le Président de la République. Et, même s'il ne l'avouera jamais, je me demande si, au fond de lui-même, il n'est pas satisfait du résultat de la dissolution (Sourires), en voyant l'action des socialistes, qu'il s'agisse de lutter contre la fracture sociale ou de réformer la justice -ce que M. Juppé ne parvenait pas à faire. Oui, M. Chirac a bien fait, pour tenir ses propres engagements, de dissoudre l'Assemblée et de permettre à la gauche d'arriver au pouvoir.

Dans ce tableau budgétaire lumineux, Madame la ministre, il est toutefois une ombre : l'absence de réforme des cours d'assises. Il est indispensable d'instituer un double degré de juridiction permettant l'appel. La France, qui se targue d'être la patrie des droits de l'homme, ne peut plus attendre cette réforme. Songez à Seznec, dont le petit-fils ne parvient pas, des décennies plus tard, à faire réviser le procès. Songez à Omar Raddad, à Deperrois, qui clame son innocence du fond de sa cellule et n'a aucune possibilité d'appel... Cela ne peut pas durer, Madame la Garde des Sceaux. Vous avez montré que vous vouliez une justice plus humaine : nous comptons sur vous pour que soit engagée, avant la fin de la législature, une réforme des cours d'assises (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Je veux avant tout remercier vos rapporteurs, qui ont accepté que soit modifié l'ordre du jour. Je déplore l'absence de Jacques Floch, retenu par ses obligations à l'OSCE, mais je me réjouis que Nicole Feidt ait accepté de le suppléer.

Je suis heureuse de vous présenter pour la deuxième année, le projet de budget pour la justice, d'autant plus que mon ministère, déjà favorisé en 1998, bénéficie pour 1999 d'une priorité encore accrue. Ses crédits augmentent de 1,4 milliard, soit 5,6 % à comparer avec la progression de 2,3 % du budget général de l'Etat. Surtout, la justice bénéficiera de 930 emplois supplémentaires, contre 762 en 1998 ; c'est la plus forte hausse parmi tous les ministères civils.

Pour le fonctionnement des services, les moyens nouveaux s'élèvent à 314 millions, soit 75 millions de plus que les moyens nouveaux inscrits pour 1998. Pour l'équipement, avec 1,7 milliard d'autorisations de programmes nouvelles, la justice se situe au premier rang des crédits d'équipement de tous les ministères, après seulement celui des transports, dont vous reconnaîtrez qu'il exige des investissements lourds. Les crédits de paiement augmentent de 13 %.

A la suite de ma communication au conseil des ministres du 29 octobre 1997 sur la réforme de la justice, le Gouvernement a arrêté trois grandes orientations : une justice au service des citoyens, une justice au service des libertés, une justice indépendante et impartiale. Sur le premier point, le projet relatif à l'accès au droit a été examiné en première lecture par l'Assemblée et par le Sénat, et celui relatif à la simplification des procédures pénales, déjà examiné par le Sénat, vous sera soumis prochainement. Sur le second point, le projet renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, déposé le 16 septembre, sera examiné par votre Assemblée dans quelques semaines. Sur le troisième point, enfin, le projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature sera examiné par le Sénat en deuxième et, je l'espère, dernière lecture dans quelques semaines, et le projet relatif à l'action publique en matière pénale a été déposé sur le bureau de votre Assemblée le 3 juin.

L'augmentation des moyens financiers et humains alloués aux services judiciaires traduit la volonté de mettre en oeuvre ces réformes tout en améliorant le fonctionnement quotidien des juridictions. Si, pour la première fois depuis de nombreuses années, le flux global des affaires civiles a diminué l'an dernier, il demeure supérieur au nombre des affaires traitées dans l'année, de sorte que les délais de traitement continuent de se détériorer, passant de 15,8 à 16,3 mois dans les cours d'appel et de 8,9 à 9,1 mois dans les TGI. Pour les réduire, il faut naturellement augmenter les effectifs, mais aussi simplifier les procédures et moderniser la gestion des juridictions. Je tiens à souligner au passage que les magistrats ont accompli un effort de productivité considérable : depuis un quart de siècle, le nombre des affaires a quadruplé, celui des magistrats n'a augmenté que de 20 % dans les TGI et de 50 % dans les cours d'appel, et le nombre d'arrêts rendus par magistrat a doublé.

140 emplois de magistrats sont créés au budget 1999 ; c'est sans précédent depuis quinze ans, et c'est deux fois plus qu'au budget 1998. Le nombre des places mises au concours de l'ENM est porté de 145 à 185, et 230 emplois de fonctionnaires sont créés, dont 122 greffiers et 35 techniciens informatiques. A cet effort s'ajoutent deux recrutements exceptionnels, de cent magistrats chacun.

Le budget prévoit également le recrutement pour quatre ans de 400 assistants de justice, dont le nombre sera ainsi porté à 950. Le rapport de la commission des lois précise que le concours de ces jeunes universitaires, thésards le plus souvent, donne "entière satisfaction" et permet de décharger les magistrats de "certaines tâches répétitives" ou de "recherches longues". J'ajoute que cette collaboration, qui n'est entachée d'aucune confusion des rôles, contribue au bon fonctionnement de la justice ainsi qu'à la meilleure connaissance de celui-ci par les juristes universitaires.

Une enveloppe de 18 millions est prévue pour financer l'indispensable réforme du statut de la magistrature, destinée à améliorer le déroulement de carrière et la mobilité des magistrats. Quant à la dotation de fonctionnement des juridictions, elle augmente de 5,3 %, ce qui permettra de poursuivre l'informatisation, ainsi que le développement des conseils départementaux d'aide juridique, des maisons de la justice et du droit et des pôles spécialisés dans la lutte contre la délinquance économique et financière -deux seront créés cette année, à Bastia et à Paris.

L'effort d'investissement bénéficie d'autorisations de programme en hausse de 19 % et de crédits de paiement stables. Les travaux de construction et de mise aux normes des palais de justice se poursuivent, avec le lancement des chantiers de Toulouse, de Besançon et de Rodez et l'achèvement de ceux de Rennes, de Grasse, de Nantes et de Nice. Le déficit de surface du palais de justice de Paris, dont s'est ému à juste raison M. Devedjian, est estimé à 50 000 mètres carrés, ce qui pèse sur les conditions de travail et rend nécessaire le recours à des locations extérieures. Je souhaite que les années à venir voient la construction d'un nouveau bâtiment pour le tribunal de grande instance de la capitale. Je suis consciente qu'il en coûtera 3 milliards, soit la moitié des crédits d'équipement sur cinq ans, mais j'ai engagé la discussion sur ce sujet avec le ministère des finances. Quant au pôle financier de Paris, il sera opérationnel en mars, et regroupera, sur 8300 mètres carrés, 60 magistrats et 117 fonctionnaires, qui pourront travailler en équipe avec des assistants de justice spécialisés en matière comptable et fiscale.

La mise en oeuvre du projet relatif à la présomption d'innocence, dont MM. Hage et Michel ont souligné l'importance à juste titre, exigera des moyens nouveaux. 20 millions de provisions sont inscrits au titre de l'aide juridictionnelle pour l'assistance d'un avocat dès la première heure de la garde à vue, et la moitié environ des emplois supplémentaires de magistrats seront affectés à la nouvelle fonction de juge de la détention.

Le chapitre des frais de justice qui participe directement au fonctionnement quotidien de la justice permet de financer les mesures liées au projet de loi relatif aux alternatives aux poursuites en renforçant l'efficacité de la procédure pénale. Ses crédits se montent à 1 776 millions en 1999, en hausse de 121 millions.

Des mesures nouvelles à hauteur de 42 millions permettront d'améliorer la préparation des décisions -le contrôle judiciaire socio-éducatif et les enquêtes sociales favorisent le prononcé de peines alternatives à l'incarcération- et de développer la médiation pénale et des classements sous condition, qui évitent un classement sans suite pur et simple, pour des faits de petite et moyenne délinquance. Le nombre des mesures alternatives aux poursuites est déjà passé de 38 189 en 1992 à 101 341 en 1997.

La politique d'aide aux victimes a été relancée par une circulaire du 13 juillet 1998, en partenariat avec les associations. Un groupe de travail interministériel a été créé, dont la présidence est confiée à Marie-Noëlle Lienemann.

En augmentation de 215 millions, le chapitre de l'aide juridictionnelle, qui prend en charge les dépenses de défense ou de représentation des justiciables les moins favorisés, bénéficie d'une importante mesure nouvelle de plus de 97 millions destinée à accompagner les réformes.

Le projet de décret relatif à la procédure civile, qui devrait être publié au Journal officiel d'ici la fin de l'année, a pour principal objet de remédier à l'engorgement des cours et tribunaux. La redéfinition des compétences matérielles des juridictions devrait aboutir à une extension du champ d'intervention du tribunal d'instance dont le taux de compétence passera de 30 000 F à 50 000 F. Le taux en dernier ressort des décisions de justice passera de 13 000 F à 25 000 F.

Je rappelle aussi que le projet relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits a été adopté en première lecture par votre assemblée le 29 juin 1998. La saisine du juge ne doit plus être la seule voie qui permettra aux personnes de régler leurs conflits, de faire valoir leurs droits et de bénéficier de l'aide de l'Etat. Il faut absolument promouvoir ces modes alternatifs qui demandent surtout dialogue et écoute.

Je souhaite que l'ensemble du territoire soit couvert rapidement. A cette fin, 5 millions de crédits d'interventions et 6 millions de crédits de fonctionnement supplémentaires ont été réservés dans le budget 1999.

En ce qui concerne l'administration centrale, un effort particulier est fait afin de renforcer l'inspection générale des services judiciaires, en charge de missions thématiques nombreuses mais aussi d'une mission permanente de contrôle du fonctionnement des juridictions et, plus généralement, des services placés sous l'autorité du Garde des Sceaux. Le service entend renforcer sa présence sur le terrain. A cet effet 5 postes ont été inscrits à ce budget. Les nouveaux inspecteurs -6 greffiers en chef en 1999- chargés du contrôle des greffes des tribunaux de commerce et des mandataires de justice lui seront également rattachés. C'est un des points de la réforme des tribunaux de commerce qui commencera à être mise en oeuvre en 1999.

En ce qui concerne la justice administrative, il faut répondre à l'augmentation du contentieux. Le budget du Conseil d'Etat et des juridictions administratives s'élève à 803 millions. L'augmentation en moyens de paiement est de 4,9 % à structure constante. Ce budget comprend, comme l'année dernière, la création de 21 emplois de magistrats et de 40 emplois d'agents de greffe ainsi que les crédits nécessaires à la rémunération de 15 magistrats recrutés à titre temporaire.

Les crédits d'investissement permettront d'assurer la création de la nouvelle cour de Douai, l'installation définitive du tribunal administratif de Melun, la poursuite de la politique de relogement des juridictions ainsi que la modernisation et la restauration du Conseil d'Etat.

Je veux revenir sur la carte judiciaire évoquée par M. Devedjian. Si tous les rapports précédents n'ont débouché que sur des échecs, c'est sans doute parce qu'ils préconisaient une méthode globale, que refuse, à juste titre M. Devedjian. Comment s'étonner qu'une réforme décidée à Paris et s'appliquant uniformément sur tout le territoire n'ai pu voir le jour ?

J'ai décidé de rompre avec ces pratiques et j'ai même réussi à le faire admettre par Bercy. Une mission de cinq personnes, installée en mars dernier est donc chargée de faire les choses au plus près du terrain et en concertation avec les personnels, les élus et les magistrats, afin de déboucher sur une réforme concrète des tribunaux de commerce avant la fin de 1999. Nous commencerons par les ressorts des six cours d'appel dans lesquels ces tribunaux sont les plus nombreux : Caen, Rouen, Poitiers, Dijon, Montpellier, Riom.

Le Gouvernement a arrêté ses orientations en matière de lutte contre la délinquance des mineurs lors du conseil de sécurité intérieure du 8 juin 1998, en s'appuyant sur les travaux de la mission interministérielle présidée par Mme Lazergues et M. Balduyck et sur les consultations auxquelles ont notamment participé MM. Gerin et Pontier.

Une circulaire a été adressée le 15 juillet 1998 aux parquets. Elle vise en premier lieu à ce qu'on apporte une réponse à tous les faits de délinquance commis par les mineurs, quelle que soit leur gravité, et d'abord aux premières infractions : les mineurs et leurs parents pourront être convoqués devant les procureurs ou leurs délégués. Il est prévu de recruter dans un premier temps 200 délégués spécialisés en matière de mineurs. Elle vise ensuite à développer les mesures de réparation, sanction particulièrement appropriée aux mineurs car elle permet de leur faire comprendre la portée de leurs actes, d'entendre les victimes, et d'associer les collectivités à sa mise en oeuvre. Elle prévoit enfin des dispositifs d'accueil de jour et d'hébergement diversifiés pour permettre de prendre en charge sans délai tous les jeunes adressés par les juges et, pour ceux ayant commis les actes les plus graves, de les éloigner de leur département d'origine, comme l'a souhaité M. Gerin.

L'accroissement des moyens de la protection judiciaire de la jeunesse s'inscrit dans le cadre de ces orientations et répond à l'accroissement de l'activité.

Le nombre des mineurs interpellés augmente très fortement : 92 000 mineurs en 1993, 126 000 en 1995, 154 400 en 1997. De plus, en raison de l'aggravation de la précarité, les juridictions pour mineurs enregistrent une très forte augmentation du signalement des mineurs en danger par les services sociaux : de 31 000 en 1994 à 49 500 en 1997.

Le secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse prenait en charge 36 000 mineurs et jeunes majeurs au 31 décembre 1997, dont 59 % étaient de jeunes délinquants. Le secteur associatif habilité assure, pour sa part, plus de 105 000 mesures au 31 décembre 1996, essentiellement en assistance éducative.

Une cellule de coordination de l'accueil d'urgence, associant secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse, secteur associatif habilité et aide sociale à l'enfance, en concertation avec les juridictions, sera mise en place dans les 26 départements prioritaires définis par le conseil de sécurité intérieur. Cinq conventions ont d'ores et déjà été signées, j'en espère neuf d'ici la fin de l'année.

Enfin, le nombre des dispositifs éducatifs renforcés, qui permettent d'organiser des séjours de rupture pour les mineurs les plus difficiles et de les faire bénéficier d'une présence permanente -nuit et jour- d'éducateurs, passera de 13 à 20 d'ici la fin de 1999.

Avec 150 créations d'emplois, au lieu de 100 en 1998, dont 113 d'éducateurs et de chefs de service éducatif, la protection judiciaire de la jeunesse connaîtra en 1999 le plus fort taux d'augmentation de ses effectifs depuis 1982. Les crédits de fonctionnement de ses services augmenteront de 6,8 %. Les crédits d'investissement permettront de créer de nouveaux foyers d'hébergement et de rénover des foyers existants.

Pour les services pénitentiaires, notre objectif est d'améliorer les conditions de détention. J'ai présenté le 8 avril en conseil des ministres une communication sur le rôle et la place des services pénitentiaires dans l'amélioration de l'exécution des décisions de justice.

Avec 57 458 détenus au 1er juillet 1998, la situation dans nos prisons reste très préoccupante, même si la population se stabilise depuis deux ans. L'allongement de la durée moyenne d'incarcération se poursuit : 7,8 mois en 1996, 8,1 mois en 1997.

Le nombre des personnes suivies en milieu ouvert augmente de manière significative : 123 000 personnes ont été suivies en 1997, soit 5 % de plus qu'en 1996.

Les crédits des services pénitentiaires augmenteront de 6 % et 344 emplois nouveaux seront créés, dont 220 de personnel de surveillance.

L'amélioration de la prise en charge des détenus est indispensable, d'autant qu'elle a des incidences sur les conditions de travail du personnel.

La généralisation progressive du "projet d'exécution des peines", destiné à responsabiliser davantage les détenus, ainsi que l'amélioration de leur prise en charge constituent des priorités. Un dialogue doit s'instaurer entre surveillants et détenus.

Avec 22,8 millions de crédits de fonctionnement supplémentaires, nous allons pouvoir améliorer les conditions d'hygiène. Le nombre de douches hebdomadaires passera de deux à trois et la qualité des petits déjeuners sera meilleure. Une attention particulière sera portée aux indigents, en particulier pour la préparation à la sortie.

Le maintien des liens familiaux constitue un facteur essentiel de réinsertion. Des initiatives seront prises pour simplifier l'accès aux parloirs et développer les structures spécifiques d'accueil des familles. Une réflexion est en cours sur le sujet des unités de visites familiales pour les établissements de longues peines.

Le plan pour les mineurs détenus, en cours de réalisation, repose sur l'adaptation de l'action éducative, l'amélioration des conditions d'hébergement, l'affectation de personnels mieux formés ou spécialisés et la restructuration des quartiers pour mineurs.

La modernisation du parc pénitentiaire se poursuit. Un programme d'équipement a été lancé dès 1998, en vue de construire trois nouveaux établissements à Lille, Toulouse et Le Pontet. Avec 696 millions d'autorisations de programme, nous pourrons engager une deuxième tranche, les localisations restant à déterminer.

Les normes sanitaires des nouveaux établissements seront améliorées : les toilettes seront séparées par des cloisons et des douches installées dans les cellules. Les crédits de paiement seront en hausse sensible : 438 millions, contre 278 en 1998.

Je suis consciente de l'ampleur des besoins. C'est pourquoi j'engage un programme de rénovation ambitieux sur cinq grands établissements particulièrement vétustes : Fresnes, Fleury, La Santé, Loos et les Baumettes.

Le développement des alternatives à l'incarcération passe par la mise en oeuvre d'une politique permettant aux autorités judiciaires de limiter le recours à l'emprisonnement et de prévenir la récidive.

La réforme des services pénitentiaires d'insertion et de probation sera opérationnelle en fin d'année.

Les moyens des services socio-éducatifs des établissements pénitentiaires et des comités de probation seront mutualisés, avec la création d'un service unique à compétence départementale. A ce titre, 78 emplois sont créés en 1999.

Par ailleurs, dans le cadre du programme de construction de places de semi-liberté, seront créés avant la fin de l'année, sur les sites pilotes de Metz-Barrès et des Baumettes, des "centres pour peines aménagées" pour les détenus condamnés à de courtes peines.

Mme Feidt, M. Jean-Pierre Michel, M. Borloo et M. Gerin ont insisté sur les difficultés que rencontre le personnel de l'administration pénitentiaire, qui n'est pas oublié. Il accomplit une tâche très difficile au service de la nation. Je vous rappelle que 220 postes de surveillants seront créés et que les salaires augmentent. De 91 206 F par an au 1er janvier 1998, le traitement d'un surveillant de premier échelon passera à 92 959 F au 1er janvier 1999 et à 94 286 au 31 décembre 1999.

Les primes sont au centre de nombreuses discussions. Il existe six indemnités qui n'ont pas été revalorisées depuis 1995 ou 1996. Nous allons en relever trois. L'indemnité de nuit passera de 47,25 à 48,70 F. C'est modeste, mais c'est un signe. L'indemnité annuelle de charge pénitentiaire passera de 2 400 à 2 550 F et l'indemnité de responsabilité, pour le personnel de direction, sera elle aussi réévaluée. Au total, 6 millions seront consacrés aux mesures indemnitaires, ce qui est bien supérieur aux mesures de ce type des autres ministères.

L'ensemble des moyens dégagés sera mis au service du même objectif : mettre en place une justice plus efficace et plus rapide, à la disposition des Français.

M. Hage s'est interrogé sur les perspectives. L'année 1999 sera consacrée à l'achèvement des réformes engagées et le calendrier sera respecté. En outre, nous poursuivons la réflexion sur la réforme des tribunaux de commerce et du droit de la famille. Nous continuerons de moderniser le fonctionnement des juridictions et de l'administration centrale.

J'ai demandé à l'inspection des services judiciaires d'évaluer et de faire connaître certaines expériences tentées avec succès dans le monde judiciaire. A Paris, à Bourges, à Meaux ou à Amiens, on est parvenu à réduire les délais à moyens constants.

Vous voyez que je ne me contente pas de déposer des textes. Je m'efforce d'obtenir des crédits supplémentaires et de réorganiser mon administration.

M. Borloo n'est plus ici. Il s'interrogeait tout à l'heure sur la réforme des tribunaux de commerce. La France est le seul Etat européen qui n'ait pas de juges professionnels dans ses tribunaux commerciaux. Il faut remédier à cette anomalie, d'autant que les abus ont été trop nombreux. Pour instaurer la mixité, il y aura 36 magistrats supplémentaires. Cependant, si le projet de loi vous sera présenté courant 1999, la réforme ne s'appliquera qu'à partir de l'an 2000. Ce sont donc les prochains budgets qui devront la financer.

J'ajoute que l'Ecole nationale de la magistrature dispense déjà des cours de droit économique et de justice commerciale.

Messieurs de l'opposition, vous me dites que ce budget est insuffisant par rapport aux besoins. Je n'ai pas la prétention de rattraper en deux budgets les retards accumulés ces dernières années, qu'il s'agisse des effectifs ou du matériel.

Cependant, avec l'appui du Premier ministre, nous nous efforçons de mettre à niveau l'administration de la justice et nous poursuivrons les réformes, qui seront financées.

M. Warsmann a dit ne pas y voir clair dans mon action. C'est qu'il a décidé d'être aveugle.

M. Jean-Luc Warsmann - Acceptez la critique, Madame le ministre !

Mme la Garde des Sceaux - Annoncées fin 1997, les réformes ont fait l'objet d'un débat au Parlement début 1998. En 1999, nous aurons terminé l'examen des textes législatifs, si bien que nous pourrons engager en l'an 2000 la réforme des tribunaux de commerce et celle du droit de la famille. Mon action s'étale bien en plusieurs années (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Emile Blessig - Le ministère de la justice définit ses besoins informatiques dans le cadre d'un schéma directeur pluriannuel.

En 1994, a été constitué un groupement d'intérêt public chargé de l'informatisation du livre foncier en Alsace et en Moselle. Le ministère en est membre depuis sa création.

Ce groupement est financé par une taxe perçue par les départements concernés, mais à terme, son financement sera transféré à votre ministère. Or celui-ci ne semble pas avoir pris en compte cette charge dans le schéma directeur. Qu'en est-il ?

Mme la Garde des Sceaux - Ce groupement a été constitué par l'Etat, la région, les départements du Haut-Rhin, du Bas Rhin et de la Moselle, les notaires et l'institut de droit local.

J'ai pu m'en rendre compte lors de mon récent déplacement à Metz, les travaux ont avancé. Ces investissements sont financés par une taxe spéciale, la Chancellerie apportant pour sa part une aide technique.

M. Christian Kert - J'ai pris note de vos propos concernant les personnels de l'administration pénitentiaire mais le mouvement social en cours traduit ses diverses préoccupations. Pour ce qui est des effectifs, vous prévoyez certes 220 créations de postes de surveillants. Mais les intéressés craignent que les postes ainsi créés ne comblent qu'à peine les vacances dues aux départs en retraite. De plus, les délais nécessaires à la formation des nouveaux arrivés auront pour conséquence que la première promotion ne sera à pied d'oeuvre qu'en janvier 2000, la seconde en mars 2000, alors même que ne sont en fonction, aujourd'hui, que 36 surveillants pour 100 détenus, au lieu des 40 qui seraient nécessaires.

Quant à l'augmentation de 0,95 F de la prime de nuit..., elle est en effet "modeste" et certainement insuffisante, sinon humiliante. Dès progrès sont indispensables dans ce domaine. Les personnels de l'administration pénitentiaire s'estiment d'autre part lésés par le système des primes, dont ils demandent, pour renforcer leurs droits à pension, qu'elles soient intégrées dans leur salaire.

Les surveillants sont d'autre part très attachés à l'exercice du droit de grève assorti d'une obligation de service minimum. Ils s'interrogent enfin sur leurs missions et souhaitent participer aux actions de réinsertion des détenus à condition, toutefois, de disposer des moyens et de la formation nécessaires.

Plus largement, les personnels de l'administration pénitentiaire se refusent à être les oubliés des réformes envisagées.

Mme la Garde des Sceaux - Je vous remercie de vous être fait l'écho des inquiétudes des personnels pénitentiaires, dont je reçois régulièrement les représentants. Je rappelle que les 220 postes qui vont être créés seront des créations "nettes", puisqu'aucune ouverture d'établissement nouveau n'est prévue au cours du prochain exercice. Je rappelle aussi que si mon prédécesseur a permis le départ en retraite plus tôt des surveillants -ce qui est une bonne chose- cette réforme n'a pas été financée, puisque les crédits de remplacement des nouveaux pensionnés n'ont pas été prévus. J'ai obtenu la création de 400 postes en surnombre en 1998 et de 507 autres en 1999 pour faire face à ce problème particulier.

Pour ce qui est des primes de nuit, je vous ai déjà fait connaître mon sentiment. Quant aux salaires, ils connaissent les mêmes hausses que ceux des autres agents de la fonction publique, lesquels revendiquent eux aussi, depuis quelque cinquante ans, l'intégration des primes.

Je suis, tout comme vous, très attachée à ce que les missions des personnels pénitentiaires soient reconnues pour ce qu'elles sont. Je sais qu'ils ne veulent pas uniquement "tourner des clefs" mais aussi participer aux actions de réinsertion des détenus. Beaucoup le font déjà, à la satisfaction de toutes les parties, dans le cadre de la réforme des services de probation. La nation doit reconnaître l'importance des tâches qu'assument les surveillants.

M. Jean-Luc Warsmann - Je prends la parole au nom de mon collègue Jacques Pélissard, empêché, pour vous dire sa vive inquiétude devant l'état déplorable des locaux dans lesquels la justice doit s'exercer à Lons-le-Saunier. Une solution à ces difficultés, d'autant plus grandes que le conseil des prud'hommes va perdre les siens- pouvait être trouvée par l'occupation d'une caserne de gendarmerie désaffectée qui jouxte les locaux du Palais de justice. Votre prédécesseur avait retenu le principe d'une étude à ce sujet. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Quels crédits sont prévus pour assurer, en 1999, le fonctionnement normal de la justice que tout citoyen est en droit d'attendre ?

Mme la Garde des Sceaux - Je sais les problèmes qui se posent au Palais de justice de Lons-le-Saunier et je sais aussi que le bailleur des locaux qui abritent le conseil des prud'hommes entend reprendre son bien. La Chancellerie a donc cherché de nouveaux bureaux et pris à bail un local fonctionnel. Elle a aussi engagé des négociations en vue d'acquérir, pour 10 millions de francs, l'ancienne caserne de gendarmerie à laquelle vous avez fait allusion. L'étude est en cours, mais l'opération ne peut s'envisager que dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire.

M. Jean-Luc Warsmann - J'ai évoqué dans le détail, il y a peu, le délai trop souvent inacceptable qui précède le rendu des jugements. Comment entendez-vous remédier à cette situation ?

Mme la Garde des Sceaux - Ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire, je me refuse aux effets d'annonce ; je préfère constater les progrès accomplis. Je sais que, malheureusement, les délais continuent de s'allonger, tout simplement parce que le flux des affaires civiles ne cesse de croître. Il faut donc faire porter les efforts dans trois directions : l'augmentation des effectifs, la simplification des procédures -un projet de loi vous sera soumis à cet effet- et la modernisation des méthodes de travail des juridictions. J'ai demandé un rapport à l'inspection générale du ministère sur les expérimentations les plus réussies conduites à ce jour et je suis convaincue que les efforts d'informatisation, combinés aux progrès de la déconcentration, permettront une plus grande efficacité des différents greffes. Mais, une fois encore, sachez que je ne suis pas partisane des annonces mirobolantes.

M. René Rouquet - Je m'exprime au nom de mon collègue Julien Dray, empêché, pour vous demander, Madame, comment mettre fin aux trop nombreux détachements qui empêchent le déroulement normal du travail des surveillants dans les établissements pénitentiaires. En ce moment même, à Fleury-Mérogis, les absences pour ce motif dépassent la centaine. Cette situation ne peut durer.

Mme la Garde des Sceaux - Je suis favorable au renforcement du dialogue social au sein du ministère et en particulier dans l'administration pénitentiaire. C'est pourquoi vont, pour la première fois, être créés des conseils d'établissement et des comités d'hygiène et de sécurité. En outre, une discussion est engagée, qui porte sur l'élaboration d'un code de déontologie et sur l'évolution des métiers. Le mouvement -syndical plutôt que social- qui a lieu en ce moment a pour objectif d'inciter la représentation nationale à accroître les moyens de l'administration de la justice. C'est ce que je propose, et j'espère que vous voudrez bien voter ce projet de budget, dont je rappelle qu'il prévoit des créations de postes.

Plus largement, je pense que l'amélioration des conditions de travail des surveillants passe par l'amélioration des conditions de vie des détenus. C'est bien pourquoi nous entendons lutter contre l'indigence et en faveur du renforcement des liens familiaux.

M. Jean-Pierre Balduyck - La protection judiciaire de la jeunesse bénéficie d'une augmentation significative de ses moyens. Qu'attendez-vous d'elle dans la lutte contre la délinquance des mineurs ? Les classes-relais, qui permettent un partenariat entre éducateurs, enseignants, juges, policiers et élus locaux, sont encore trop peu nombreuses. Comment comptez-vous favoriser leur développement ? Souhaitez-vous que les éducateurs et les juges participent à tous les comités locaux de prévention du la délinquance ?

Mme la Garde des Sceaux - Je vous remercie d'insister sur ce sujet très important, après l'excellent rapport qu'avec Christine Lazerges vous avez remis au Premier ministre.

Outre les classes-relais, qui ont pour objet d'accueillir les mineurs qui sont rejetés du système éducatif ou qui pratiquent l'absentéisme, nous voulons développer les mesures de réparation, particulièrement adoptées à ce type de délinquance. Nous voulons aussi diversifier les structures d'hébergement, notamment dans les vingt-six départements prioritaires.

Par ailleurs, comme vous l'avez souligné dans votre rapport, il faut assurer sur le terrain une meilleure coordination entre les différents services, qu'ils relèvent de l'Etat ou du département ; j'espère aussi que les régions, dans le cadre des contrats de plan, pourront fournir un effort supplémentaire. De plus, il faut faire en sorte que l'intervention se situe davantage en amont car avant de devenir un délinquant récidiviste, on a été un primo-délinquant, et avant d'être un primo-délinquant, on a souvent connu de graves difficultés familiales.

M. Marcel Dehoux - Ma question porte sur la refonte de la carte judiciaire. Au-delà des conservatismes qu'évoquait M. Devedjian, on s'inquiète devant le report de reconstructions.

Les élus regrettent de ne pas être associés à la réforme ; ils se souviennent d'avoir appris par la presse la suppression de commissariats, de gendarmeries, de maternités et ne souhaitent pas que l'histoire se répète, se sentant suffisamment responsables pour participer, tous ensemble, à l'aménagement du territoire.

Dans le budget 1998, des autorisations de programme étaient inscrites pour Avesnes-sur-Helpe, dans le Nord, ainsi que pour Thonon-les-Bains, Moulins et Pontoise. Dans le budget 1999, ces crédits ont disparu. Faut-il en conclure que ces juridictions vont être supprimées ?

Pour la refonte de la carte des tribunaux de commerce, vous nous avez annoncé un échéancier. J'ai d'ailleurs noté que cette réforme n'était pas entreprise dans le département du Nord. Pouvez-vous, pour la réforme de la carte des TGI, nous confirmer le calendrier et nous rassurer sur votre volonté de concertation avec les élus ?

Mme la Garde des Sceaux - L'année 1999 sera consacrée à la réforme de la carte des tribunaux de commerce. La carte des tribunaux de grande instance et des tribunaux d'instance sera réformée par la suite. Nous commençons par les six cours d'appel que j'ai citées ; celle de Douai n'en fait pas partie, mais la réforme viendra !

Comment procédons-nous ? La mission que j'ai constituée se rend sur place et examine en concertation avec les élus, les magistrats et les personnels la meilleure façon de réorganiser la carte, certains tribunaux ayant une charge de travail trop peu importante, tandis que d'autres sont surchargés. Nous ne ferons pas les choses brutalement ; nous discuterons puis chacun prendra ses responsabilités.

M. le Président - J'appelle les crédits inscrits à la ligne "Justice".

Les crédits inscrits à l'état B, titre III, mis aux voix, sont adoptés, de même que les crédits inscrits au titre IV.

Les crédits inscrits à l'état C, titres V et VI, sont successivement adoptés.

La suite de la discussion du projet de loi de finances pour 1999 est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 20.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------


Top Of Page

ERRATUM

au compte rendu de la 1ère séance du jeudi 12 novembre 1998

Page 19, 9ème paragraphe (intervention de Mme la ministre de la jeunesse et des sports) :

supprimer les mots "un audit est en cours".


© Assemblée nationale


© Assemblée nationale