Accueil > Archives de la XIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (1998-1999)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 38ème jour de séance, 98ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 25 NOVEMBRE 1998

PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1

    TAUX DE CONVERSION DE L'EURO 1

    BILAN DES PRIVATISATIONS 3

    AIDE À DOMICILE 3

    FISCALITÉ DES RETRAITÉS 4

    CANNABIS 4

    AMIANTE 5

    RETRAITE DES SALARIÉS AYANT COTISÉ QUARANTE ANNUITÉS 6

    POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE 7

    MATRISE DES DÉPENSES DE SANTÉ 7

    PRATICIENS HOSPITALIERS 8

    SIMPLIFICATIONS ADMINISTRATIVES POUR LES PETITES ENTREPRISES 8

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES (suite) 9

RÉVISION DE L'ARTICLE 88-2 DE LA CONSTITUTION (suite) 13

    MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 23

La séance est ouverte à quinze heures.


Top Of Page

SOUHAITS DE BIENVENUE AUX PRÉSIDENTS
D'ASSEMBLÉES PARLEMENTAIRES D'AFRIQUE

M. le Président - Sur décision du Bureau se tient actuellement au Palais Bourbon un colloque sur la politique africaine de la France. Plus de trente présidents d'assemblées parlementaires d'Etats africains assistent aujourd'hui à nos débats. En votre nom, je tiens à leur redire l'attachement de l'Assemblée tout entière à la coopération entre les Etats africains et la France et à leur souhaiter une très chaleureuse bienvenue.

(Mmes et MM. les députés ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent).


Top Of Page

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

TAUX DE CONVERSION DE L'EURO

M. Valéry Giscard d'Estaing - La question que je souhaite poser à M. le Premier ministre porte sur la dernière décision à prendre avant le passage à la monnaie unique, c'est-à-dire le taux de conversion entre le franc et l'euro.

L'article 104 L alinéa 4 du traité de Maastricht prévoit que le Conseil, statuant à l'unanimité, arrêtera le taux de conversion de chaque monnaie en euro, le jour de l'entrée en vigueur de ce dernier, soit le 1er janvier 1999 ou le 31 décembre 1998. Ce taux doit être simple. Pendant trois ans, les Français vont utiliser les signes de deux systèmes monétaires. Il faut qu'ils puissent les comparer aisément. Ne leur compliquez pas trop la vie !

Pour des raisons techniques, le Conseil européen du 17 juin 1997 a fixé le taux de conversion avec cinq décimales. Ainsi dans la brochure diffusée à leur intention par le Gouvernement, nos concitoyens apprendront-ils qu'un euro égale 6,58450 F et qu'un achat de 54 F -prix d'un baril de lessive ou d'un poulet fumé- représentera 8,20108 euros. Absurdité née des fantasmes d'une technostructure financière ! Naturellement, ces sommes seront arrondies, mais l'on ne pourra alors empêcher nos concitoyens de penser que cela se fait à leur détriment. C'est pourquoi je vous propose de fixer le taux de conversion d'un euro à 6,50000 F (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). Cela ne changera rien pour nos concitoyens, ni à leurs salaires, ni leurs retraites, ni à leurs loyers. Et sur le plan extérieur, cet ajustement de 0,8 % de notre taux de change ne posera aucun problème sérieux quand l'écart moyen entre le prix d'achat et le prix de vente de cent deutschmarks dans la même journée atteint 7 % -346 F contre 322 F. Un ajustement de 0,8 %, voilà qui ne serait pas cher pour simplifier la vie des Français !

Monsieur le Premier ministre, pour faire aimer l'euro, ou au moins le faire acceptez, pouvez-vous nous garantir un taux de conversion simple entre le franc et l'euro ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et sur quelques bancs du groupe du RPR)

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Le ministre de l'économie et des finances, expert en ce domaine, me pardonnera de m'aventurer sur ses brisées et de répondre moi-même au Président Giscard d'Estaing. Il a pensé, comme moi, que ce serait courtoisie. Mais de ces terres arides, il va me falloir faire naître des fruits simples... ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste)

La parité entre les monnaies des onze pays participant à l'euro a d'ores et déjà été fixée mais le cours de l'euro en francs ne sera connu précisément que le 31 décembre 1998. En effet, l'ECU comporte aujourd'hui des monnaies qui flottent et l'incertitude qui y est liée ne pourra être levée qu'alors. Le cours de l'euro est aujourd'hui voisin de 6,60 F mais il est vrai que le cours officiel, fixé le 31 décembre, le sera avec cinq décimales, conformément au règlement adopté par le Conseil le 17 juin 1997, après six mois de négociations difficiles. Ce taux, nous l'avons donc quasiment trouvé à notre arrivée. J'aurais préféré, comme le Président Giscard d'Estaing, qu'il soit plus simple mais comment aurait-il pu l'être, dès lors que chaque pays devait établir une parité idéalement simple ?

Mais ce taux de conversion n'est pas fait pour être retenu : il a même paradoxalement vocation à être oublié. Dans la période de transition, l'important ne sera pas pour nos concitoyens de comparer les anciens prix en francs aux nouveaux prix en euros, mais bien leurs dépenses et leurs revenus en euros afin d'évaluer leur pouvoir d'achat.

Le double affichage des prix et des salaires sera généralisé entre 1999 et 2002 : il ne comportera que deux décimales puisque aucune unité monétaire ne sera inférieure au centime d'euro. En revanche, le taux à cinq décimales sera utilisé pour les opération financières et toutes celles mettant en jeu des sommes considérables. Ce niveau de précision est dans ce cas indispensable afin que nul n'y perde ou n'y gagne.

Le Gouvernement s'attache par ailleurs, en étroite concertation avec les associations de consommateurs, à réduire les difficultés pratiques grâce à la distribution à 33 millions d'exemplaires, d'un guide d'information et la fourniture d'une calculette comprenant en mémoire le taux de conversion, à la partie de la population qui pourrait rencontrer des difficultés particulières. Enfin, des observatoires départementaux de l'euro recenseront les difficultés rencontrées (Murmures sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Il faut choisir entre la simplicité nécessaire et l'équité indispensable. Cela implique deux références, l'une pour l'ensemble des consommateurs dans les transactions courantes, l'autre pour les grands opérateurs économiques, afin que ni les ménages ni les institutions n'y perdent.

Nous nous sommes inscrits dans la logique que vous nous aviez préparée, Messieurs de l'opposition. Je ne doute pas toutefois que notre ministre de l'économie et des finances, à la fois simple, efficace, équitable et néanmoins sophistiqué, saura tirer profit de l'interpellation, comme toujours pertinente, du Président Giscard d'Estaing (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

BILAN DES PRIVATISATIONS

M. Pierre Carassus - Cet exposé magistral a renforcé mon adhésion à l'euro...

Ma question s'adresse au ministre de l'économie. Le Premier ministre a déclaré dimanche lors de la convention nationale du parti socialiste que privatiser n'était pas l'objectif du Gouvernement pour lequel seul importe l'intérêt général.

Tout authentique républicain se reconnaîtra dans ces déclarations qui rompent avec la stratégie du tout-libéral des gouvernements précédents, si dévastateurs pour l'emploi. Pour autant, certaines déclarations gouvernementales me laissent dubitatif.

Prenons l'exemple de France Télécom : si les salariés et les usagers -pardon, les "clients"- n'ont rien gagné à la privatisation, les actionnaires ont été, eux, très bien servis, à en croire la publicité racoleuse que fait la direction.

Des pans entiers du service public sont abandonnés aux lois des marchés financiers, sans retombées positives évidentes. Au regard de l'intérêt national, Monsieur le ministre, quel bilan faites-vous des privatisations déjà engagées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV)

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - En 1986, le Gouvernement d'alors avait établi une longue liste d'entreprises à privatiser, en se fondant simplement sur l'idée qu'il vaut mieux qu'une entreprise soit privée que publique. Des dizaines d'entreprises ont ainsi été destinées à la privatisation, d'une façon parfois un peu ridicule -souvenez-vous, par exemple, que Thomson Multimedia avait été estimée à 1 F alors que l'entreprise vaut aujourd'hui plusieurs milliards !

Pour l'actuel Gouvernement, la privatisation n'est en rien un objectif. Elle n'est pas davantage un expédient budgétaire, à l'inverse de ce qui s'est passé entre 1993 et 1997, où 80 des 160 milliards de recettes de privatisation ont servi à financer le budget général (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Dans le secteur financier, des engagements visant à recapitaliser des entreprises qui allaient mal ont conduit à céder celles-ci, en contrepartie de la recapitalisation. Généralement, ces engagements avaient été pris avant notre arrivée au pouvoir, mais c'était sans doute une bonne chose que de mettre fin à des hémorragies qui coûtaient cher aux contribuables. Mais, en l'absence de tels engagements et de réelles raisons de privatiser, certaines entreprises que la majorité précédente avait destinées à la privatisation ont été gardées dans le secteur public et s'y trouvent fort bien. Je pense en particulier à la CNP.

Dans le secteur industriel, je prendrai l'exemple de Thomson et de l'Aerospatiale. La volonté de constituer, dans le premier cas, un grand pôle de l'électronique de défense, dans le deuxième, un grand pôle aéronautique français puis européen, a conduit à des alliances avec des entreprises privées, l'Etat y perdant éventuellement la majorité. Les entreprises en cause mais aussi la souveraineté nationale ont beaucoup à gagner à la constitution de tels pôles.

Quant à France Télécom, il est aujourd'hui le quatrième opérateur mondial dans le domaine des télécommunications. Ce n'est pas une entreprise privatisée, Monsieur le député, mais une entreprise publique détenue à plus de 62 % par l'Etat. C'est aussi une entreprise qui a besoin de passer des alliances afin de devenir le plus grand opérateur mondial. D'où l'opération qui a lieu en ce moment : 20 milliards sont levés pour "nourrir" France Télécom et améliorer le service rendu aux usagers. Avec 3 % du capital, les salariés seront le deuxième actionnaire après l'Etat. Outre que cette opération permet de financer d'autres entreprises publiques -Réseau Ferré de France, par exemple- elle est un succès car elle apporte la preuve qu'une entreprise publique peut être une entreprise qui gagne. Nous pouvons en être fiers (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

AIDE À DOMICILE

M. Etienne Pinte - Pour une réponse plus complète et plus honnête, vous auriez dû rappeler, Monsieur le ministre, que Thomson Multimedia a été recapitalisée par l'Etat à hauteur de 11 milliards. Le contribuable a donc été mis à contribution.

Mais ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi. Un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale a été adopté, qui porte de 30 à 100 % l'exonération de charges sociales patronales dont bénéficient les associations d'aide à domicile. Nous pourrions nous en réjouir si cela ne se faisait pas aux dépens d'autres personnes âgées. Je veux parler de celles qui, âgées de plus de 70 ans, emploient directement une aide à domicile et qui jusqu'à présent bénéficiaient à 100 % de cette exonération, ce qui ne sera plus le cas. Pourquoi obliger ces personnes à passer désormais par une association ? Pourquoi limiter leur liberté de choix ? Plus d'un million de personnes sont concernées par cette baisse de l'exonération (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Notre approche consiste à prendre à la fois en compte la dépendance physique et financière des personnes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Par ailleurs, nous réfléchissons sur les métiers de la dépendance, sachant que la France est l'un des pays où les personnes âgées sont le plus placées en établissement, alors même qu'il est bien connu que leur santé morale et mentale se dégrade moins en cas de maintien à domicile. C'est pourquoi le Gouvernement entend favoriser à la fois le maintien à domicile et le recours à de vrais professionnels -ceux que l'on retrouve en général dans les associations d'aide à domicile. D'où l'amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale qui porte de 30 à 100 % l'exonération des cotisations patronales desdites associations, mesure dont le coût est estimé à 650 millions.

Il y a en France des personnes de plus de 70 ans qui emploient une ou plusieurs personnes à domicile. Seules 10 % d'entre elles le font pour plus de 15 heures par mois. Ce sont celles, titulaires des plus hauts revenus, qui sont visées par la suppression de l'exonération à 100 %. Les personnes qui perçoivent la PSD, une allocation handicapés ou une allocation d'aide sociale continueront, elles, à bénéficier de l'exonération à 100 %. Dans cette affaire, notre objectif est de maintenir le plus possible de personnes âgées à domicile, de leur apporter un service de qualité et d'aider ceux qui en ont le plus besoin (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

FISCALITÉ DES RETRAITÉS

M. Jean-Marie Demange - Il y a un an, le Gouvernement augmentait fortement le taux de la CSG sur les retraites et sur l'épargne, en même temps qu'il abaissait le plafond de la demi-part fiscale dont bénéficient les personnes seules ayant élevé un ou plusieurs enfants. Trop, c'est trop !

Mais comme si cela ne suffisait pas, la semaine dernière, le Gouvernement a obstinément refusé de geler la baisse du plafond mis à l'abattement fiscal de 10 %, et ce alors même que l'Assemblée nationale s'était unanimement prononcée en faveur d'une stabilisation de ce plafond. Les retraités sont donc en colère et en ont assez de payer toujours plus d'impôts. Quand cesserez-vous, Monsieur le Premier ministre, de vous acharner fiscalement sur les retraités ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Et ne renvoyez pas une fois de plus, la faute sur l'ancien gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - C'est drôle comme vous renvoyez chaque fois, sans qu'on vous le demande, la faute sur l'ancien gouvernement ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste) Votre question est largement démagogique. N'espérez pas que vous ferez prendre aux Français des vessies pour des lanternes !

Qui a modifié l'abattement pour frais professionnels des retraités ? La précédente majorité ! (Exclamations et protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF) Quant au fait que tout le monde paie la CSG, cela peut poser des problèmes aux tout petits contribuables -nous y réfléchissons-, mais la mesure est d'équité.

Enfin, si vous avez assisté aux derniers débats, vous savez que le Gouvernement s'est engagé pour l'an 2000 à maintenir à 20 000 F le plafond de l'abattement fiscal dont bénéficient les retraites. Aucun de vos arguments n'est donc valable. Mais ce qui compte surtout, c'est la conception que l'on a de la justice fiscale. La nôtre repose sur l'idée que les revenus du travail et les retraites doivent être moins taxés que ceux du capital. C'est la politique que nous mettons en oeuvre, elle plaît aux Français, chacun défend ce qui lui convient. Nous, c'est le travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

CANNABIS

M. Nicolas Dupont-Aignan - Dans beaucoup de quartiers, les trafics de drogue se multiplient. Les services de police les combattent et les éducateurs locaux font de la prévention. Mais comment ces acteurs de terrain pourraient-ils être efficaces et légitimes alors que des membres du Gouvernement militent pour la dépénalisation du cannabis, en semblant ignorer que la plupart des toxicomanes ont commencé par les drogues douces ? Que pensez-vous des déclarations de la présidente de la mission interministérielle de lutte contre la drogue, dans Le Figaro du 17 novembre ? Selon ses propos, il ne serait pas si grave de dépénaliser le cannabis ; il s'agirait simplement de ne plus poursuivre pénalement les usagers. Que pensez-vous de sa demande d'une évolution de la politique pénale ? Pour sa part M. Kouchner, ministre de la santé, reconnaissait hier dans Le Parisien qu'il existait des expériences de dépénalisation. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces expériences ? Le Gouvernement autorise-t-il en certains points du territoire la vente libre du cannabis ? Partagez-vous la position de votre ministre de la santé qui déclare dans Le Parisien qu'il ne faut pas se focaliser sur cette drogue ? Acceptez-vous de voir ainsi banalisé l'usage de stupéfiants ? Sur un sujet aussi grave pour l'avenir de notre société, quelle est la position exacte du gouvernement pluriel ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Puisque vous êtes attentif aux titres des articles, puis-je vous demander de lire le texte qui les suit ? Dans celui-ci, je dis simplement des choses que chacun peut savoir, puisque le bilan de la santé des jeunes dans notre pays vient d'être publié ; et c'est à cette occasion que Mme Maestracci et moi-même avons commenté deux faits. Le premier est que l'on constate -que cela nous réjouisse ou non- dans la réalité, autour de nous, dans les quartiers, une banalisation du cannabis (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Constater scientifiquement une réalité ne traduit en rien une acceptation ou un laxisme. Ce que vous auriez dû également trouver dans l'article, c'est l'idée suivante : comme le constatent aujourd'hui tous les gens sérieux, non seulement en France mais par le monde, il s'agit aujourd'hui de prendre en charge la personne, et non le produit. En effet le cannabis ne vient jamais seul : il est généralement le terme d'une trajectoire qui commence avec le tabac et se poursuit avec l'alcool. Il faut donc proposer pour ces jeunes un projet qui prenne en charge l'ensemble de ces toxiques. Il n'est pas question de dépénalisation ("Ah !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Ce que dit simplement l'article, c'est que des expériences sont poursuivies entre le Parquet et l'hôpital de telle ou telle ville, pour éviter que les interpellations soient porteuses d'effets pervers, mais soient au contraire l'occasion d'informer les jeunes et leurs familles sur les dangers de tous ces toxiques -de tous, dis-je : il n'y a pas d'un côté le cannabis, qui fait peur, et de l'autre l'alcool, qui ferait partie d'une culture acceptée. Car je rappelle qu'il n'y a aucun mort dû au cannabis, mais 60 000 morts dus au tabac et 50 000 à l'alcool ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

AMIANTE

M. Patrick Leroy - Madame la ministre de la solidarité, j'étais ce matin, avec mon collègue Maxime Gremetz, aux côtés des travailleurs de l'amiante qui manifestaient devant l'Assemblée afin de sensibiliser l'opinion aux exigences de prévention et de réparation des maladies professionnelles liées à l'amiante. Ils approuvent comme nous l'annonce faite par le Gouvernement d'une mesure qui leur ouvre la possibilité de partir en pré-retraite dès cinquante ans. Mais le problème reste complexe, et la mesure est perfectible. Tout d'abord le facteur du tiers doit être revu, car aujourd'hui les salariés doivent, pour en bénéficier, avoir été exposés au moins trente ans. Des pathologies comme les plaques neurales ou les épaississements pleuraux doivent être introduites dans le dispositif. Un élargissement du champ d'application est d'autre part souhaitable. Le droit à une retraite à taux plein doit être ouvert à toutes les victimes, que leur maladie exclut du monde professionnel. Pour les veuves dont le conjoint a péri avant l'âge de cinquante-cinq ans, des problèmes subsistent : nous proposons qu'elles perçoivent la pension de réversion dès le décès du conjoint, pour faire face aux aléas de la vie.

Ces premières mesures constituent une étape importante vers la nécessaire reconnaissance des maladies professionnelles liées à l'amiante. Mais l'élaboration d'un statut des travailleurs de l'amiante reste un problème d'actualité, tout comme le niveau de ressources des travailleurs qui partent en retraite anticipée. Sur ces points les salariés, comme nous, seront attentifs aux réponses du Gouvernement. D'autre part, quand sera mis en place un plan de prévention et d'élimination effective des risques liés à l'amiante ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - En matière de prévention, il faut aller vite, mais sans précipitation : il y a en effet peu d'experts capables de détruire les immeubles concernés dans des conditions de sécurité maximum. Depuis la publication du rapport à ce sujet, nous n'avons pas perdu de temps, mais nous essayons de faire courir le moins de risques possibles à ceux qui travailleront au désamiantage. Dès janvier paraîtront des décrets qui permettront de mieux repérer l'amiante dans les bâtiments, et d'engager les opérations de destruction ou d'aménagement sans risque pour les travailleurs. Un plan de gestion des bâtiments sera mis en oeuvre. Nous travaillons d'autre part à un fichier national qui permettra à tous de savoir exactement où il y a de l'amiante. Toutes ces mesures devraient permettre en début d'année une avancée considérable en matière de prévention.

Vous avez évoqué les problèmes que posent les maladies professionnelles. Ceux des salariés qui ont déjà déclaré des maladies professionnelles liées à l'amiante ne voient pas s'appliquer à eux la règle du tiers : ils peuvent partir en pré-retraite dès maintenant à cinquante ans. C'est uniquement pour ceux qui n'en ont pas déclaré que l'on applique la règle : on déduit de l'âge légal de départ en retraite le tiers du nombre d'années passées au contact de l'amiante.

Faut-il aller plus loin ? Je crois que ceux qui n'ont "que" des taches pleurales -si j'ose dire- et qui ont toutes les chances de ne pas déclarer de maladie grave ne relèvent pas du même traitement que ceux qui souffrent d'une telle maladie. Mais nous devons travailler sur d'autres métiers, comme le défloquage ou le calorifugeage, dont la situation doit être clarifiée. J'ai demandé aux directions départementales du travail et de la santé, ainsi qu'aux caisses régionales d'allocations familiales, d'engager des études ciblées par secteur d'activité et par région, afin que nous puissions compléter au plus vite le dispositif de pré-retraite. C'est là une priorité pour le Gouvernement.

Quant aux veuves, elles auront droit aux pensions de réversion de droit commun, bénéficiant du droit à la pension acquise par le conjoint dans le cadre du dispositif de cessation anticipée d'activité. Elles auront droit d'autre part au dispositif qui vient d'être voté dans la loi de financement, et qui leur assure un gain de 12 000 F dès la deuxième année de la réversion et de 18 000 à partir de la troisième. Tout ce dispositif devrait nous permettre de sortir enfin du problème de l'amiante. Nous allons avancer rapidement, mais en veillant à une sécurité totale pour les salariés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

RETRAITE DES SALARIÉS AYANT COTISÉ QUARANTE ANNUITÉS

M. Maxime Gremetz - J'apprends avec beaucoup de satisfaction que Pinochet ne bénéficie pas de l'immunité (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV ; applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Madame la ministre de la solidarité, notre pays connaît une situation contradictoire : alors que tant de personnes aspirent à un travail, d'autres sont épuisées par des conditions de travail insupportables ou par un surcroît de labeur. L'aspiration à l'abaissement de l'âge de la retraite est légitime. Mais les crédits destinés à financer les départs anticipés, tels qu'ils ont été votés en première lecture, accusent une forte baisse. Nous avons déposé une proposition de loi permettant notamment à toute personne ayant cotisé quarante ans de partir en retraite sans condition d'âge, avec une pension à taux plein. C'est une mesure de justice, mais aussi une forme de réduction du temps de travail, qui peut créer des milliers d'emplois. Par ailleurs, la suppression de la condition d'âge pour pouvoir bénéficier de l'ARPE, quand il s'agit de salariés ayant cotisé quarante annuités, qui va dans le même sens, fait l'objet d'une proposition de loi que vient de déposer le groupe socialiste. Par conséquent, Madame la ministre, la volonté existe dans votre majorité plurielle, et il n'y a aucun obstacle à ce que nous décidions cette mesure si attendue. Quand le Gouvernement compte-t-il inscrire cette question à notre ordre du jour ?

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Vous l'avez très bien dit, partir en retraite quand on a quarante ans de cotisations, c'est d'abord une mesure de justice sociale, mais aussi une mesure favorable à l'emploi. L'ARPE, mis en place par les partenaires sociaux, a donné lieu au départ d'environ 125 000 personnes en pré-retraite, et à l'embauche de 110 000 jeunes. Je rappelle d'autre part le mécanisme applicable aux chômeurs indemnisés ayant cotisé plus de quarante ans. Enfin, sur proposition du groupe communiste, nous avons voté une mesure permettant à toute personne qui perçoit le RMI ou une allocation de solidarité d'accéder à la pré-retraite quand elle a quarante annuités de cotisation.

Il faut aller plus loin, vous avez raison de le dire. Le système mis en place par les partenaires sociaux ne s'applique aujourd'hui qu'aux personnes de plus de cinquante-huit ans. Le Premier ministre a fait savoir le 10 octobre aux partenaires sociaux que l'Etat était prêt à aider, à auteur de 40 000 F par an, une mesure de pré-retraite pour les salariés qui ont cotisé quarante ans et qui ont commencé tôt. Le MEDEF a fait savoir qu'il n'avait pas envie de recueillir l'argent de l'Etat. J'espère que ce n'est pas pour renoncer à un objectif fort, demandé par nos concitoyens.

Les négociations ont commencé. Je ne peux que considérer les propositions de loi socialiste et communiste comme un engagement auprès des partenaires sociaux, afin qu'ils aboutissent vite et loin. Si ce n'est pas le cas, le Gouvernement prendra ses responsabilités, comme la majorité qui le soutient (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE

Mme Béatrice Marre - Le conseil des ministres de l'agriculture, qui s'est tenu hier et avant-hier dans une composition modifiée par le résultat des élections en Allemagne, a évoqué, pour la première fois depuis longtemps, la réforme de la PAC dans le cadre d'Agenda 2000. La date-butoir de fin mars 1999, arrêtée par le Conseil européen de Cardiff, sera-t-elle respectée ? Quelles sont les lignes de force de la position française dans la négociation politique qui s'engage ? Quelles sont les chances de parvenir à un accord préservant les intérêts de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Il est délicat de faire en quelques minutes le bilan d'un conseil où il a été notamment question de la vache folle -sur laquelle le principe de précaution et le refus de donner un blanc-seing à la Commission ont motivé notre abstention-, de l'assouplissement des règles de restitution et de la maîtrise de la production porcine -sur laquelle nous avons été unanimement suivis.

Le calendrier de Cardiff sera-t-il tenu ? Il faut le souhaiter, car rien ne serait pire que d'aller en ordre dispersé à la bataille des négociations de l'OMC, ni que de maintenir une incertitude préjudiciable, en France comme dans les autres pays, à l'installation des jeunes agriculteurs. Le document adopté hier laisse le jeu ouvert : il prend acte des propositions de la Commission et écarte simplement les solutions dont personne ne veut. Notre position est que la négociation ne doit en aucun cas se limiter à la réforme de la PAC, et que tous les sujets doivent être mis sur la table : il serait inadmissible que seuls les agriculteurs soient mis à contribution pour financer Agenda 2000 !

S'agissant de la PAC proprement dite, la contrainte financière nous impose de maîtriser les dépenses. Pour ce faire, de deux choses l'une : soit nous entreprenons, comme le propose la Commission, une réforme dont l'ampleur requière que l'on recoure au cofinancement, ce que le Gouvernement comme le président de la République refusent car ce serait la mort de la PAC, soit nous essayons de bâtir une PAC économe et rénovée, au moyen d'une stabilisation, voire d'une réduction des dépenses - en renonçant, par exemple, à réformer le règlement laitier, ou en plafonnant et en modulant les aides. Sur toutes ces questions, je ne puis qu'inviter l'Assemblée à lire attentivement l'excellent rapport que vous avez rédigé et qui est rendu public aujourd'hui... (Sourires ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

MATRISE DES DÉPENSES DE SANTÉ

M. Pierre Hellier - Les médecins libéraux organisent aujourd'hui, à l'appel de trois syndicats représentatifs, une journée nationale d'information et de sensibilisation de l'opinion publique aux fâcheux bouleversements que la loi de financement de la sécurité sociale apporte à notre système de santé. Il n'est plus question, en effet, de maîtrise médicalisée, mais de maîtrise comptable des dépenses : pénalités collectives, lettres-clés flottantes, sanctions sans recours dès la première année de dépassement. Quant à l'institution du médecin référent, si elle a pu appâter MG-France, elle va à l'encontre du principe du libre choix. Le premier devoir du médecin est de soigner, et ce n'est qu'ensuite qu'il doit songer aux conséquences économiques de ses décisions. Le Gouvernement entend-il examiner avec bienveillance les propositions du Sénat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et sur plusieurs bancs du groupe RPR)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Trois syndicats de médecins libéraux ont en effet lancé une campagne de sensibilisation. Nous nous sommes efforcés, dès notre arrivée, de travailler avec les médecins, ce qui n'a pas toujours été facile, compte tenu de leurs divisions, et c'est le syndicat MG-France, en effet, qui est à l'origine de l'institution du médecin référent. Je crois, comme vous, que seule la maîtrise médicalisée permet de soigner mieux grâce à une meilleure allocation des moyens et à une plus grande responsabilisation des médecins. Le principe du médecin référent ne porte nullement atteinte au libre choix : nul ne sera contraint d'y recourir, mais je gage que les patients seront nombreux à comprendre qu'ils ont tout intérêt à choisir un médecin qui travaille en réseau avec des spécialistes et avec des établissements hospitaliers.

Les médecins doivent prendre conscience que, s'ils vivent de leur art, c'est parce que la sécurité sociale solvabilise les patients (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), et que si elle n'existait plus, le tiers d'entre eux disparaîtrait. Les dépenses remboursées augmenteront de 16 milliards l'an prochain ; peut-on parler, dans ces conditions, de rationnement des soins ? Nous n'accepterons pas, en revanche, que certaines professions fassent délibérément déraper le système, ainsi que l'a annoncé un certain syndicat, ni que d'autres professions, comme les pédiatres, paient à cause de ceux qui ne jouent pas le jeu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

PRATICIENS HOSPITALIERS

Mme Odette Trupin - L'hôpital public manque cruellement de personnel qualifié, notamment dans des spécialités comme la chirurgie, l'anesthésie, la psychiatrie, la gynécologie ou la pédiatrie, où de nombreux postes restent vacants, les internes optant en majorité pour une carrière libérale. Ce constat doit nous conduire à remettre à plat le système de formation initiale, ainsi que le statut des praticiens hospitaliers.

Vous avez été l'un des premiers à réagir, Monsieur le ministre, à cette situation anormale pour l'avenir de nos hôpitaux publics. Quelles mesures prendrez-vous pour faire face à ces difficultés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Cette question se place dans la suite de la précédente. Certains pensent seulement à réduire le nombre des médecins, alors qu'il y a des besoins non satisfaits dans certaines spécialités. Ainsi pour les urgences. Depuis juin 1997, nous en parlons avec les praticiens hospitaliers et nous créons 240 postes pour l'an prochain. Le problème, c'est que les hôpitaux ne les affectent pas toujours aux spécialités recommandées -nous avons demandé aux ARH d'être attentives à ce sujet.

Il manque globalement 5 % de praticiens à l'échelle du pays et nous avons mis en place un groupe de travail pour y réfléchir. Nous verrons à mettre en place des filières nouvelles d'internat pour certaines spécialités, notamment la gynécologie, l'anesthésie, la pédiatrie. Que faire de plus ? Nous créerons des postes d'assistants, après l'internat, pour amener à la filière hospitalière de nouveaux médecins. Enfin, pour défendre l'hôpital public, il faut des réseaux : on ne peut avoir toutes les spécialités partout. Voilà comment nous défendrons l'hôpital public, qui est la perle de notre système de santé (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

SIMPLIFICATIONS ADMINISTRATIVES POUR LES PETITES ENTREPRISES

M. Dominique Baert - Il y a 2,2 millions d'entreprises de moins de dix salariés pour lesquelles la simplification des formalités paraît indispensable. Je sais que c'est une priorité du Gouvernement. En décembre 1997, vous avez présenté, Madame la ministre du commerce et de l'artisanat, 37 mesures de simplification. Et vous venez d'en présenter de nouvelles au Conseil des ministres. Pourriez-vous nous apporter quelques précisions à ce sujet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat - Le Premier ministre vous avait demandé, en vous confiant une mission, de réfléchir au long terme. Sur les 37 mesures que vous avez rappelées, vingt sont appliquées, six sont en cours d'examen à l'Assemblée, et les autres font l'objet de négociations, qui devraient bientôt aboutir, entre Mme Aubry et les organismes sociaux, pour que ceux-ci acceptent -en particulier s'agissant des cotisations patronales des travailleurs indépendants- de simplifier leurs formulaires.

Par ailleurs, la mise en place de la COSAC, qui regroupe plusieurs organismes, permettra à chaque ministère de fournir tous les ans un bilan des simplifications réalisées. Ajoutez à cela cette notion de "micro-entreprise", que vous venez de définir en première lecture et qui simplifiera l'installation : la déclaration de TVA fera l'objet d'un seul formulaire au lieu de cinq ou dix, dans le cas des entreprises faisant moins de cinq millions de chiffre d'affaires.

Mais c'est avec les partenaires sociaux que nous devons travailler le plus. Nous avons mis sur le Net l'ensemble des informations, mais je sais que la plupart des petites entreprises n'y ont pas accès. Je compte donc surtout sur les services de proximité et les relations humaines. Voilà dans quel esprit nous travaillons et tout cela s'inscrit dans un mouvement de longue durée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).


Top Of Page

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES (suite)

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi organique modifiant l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.

M. le Président - Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que le vote aurait lieu par scrutin public, en application de l'article 65-1 du Règlement.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Je redirai brièvement pourquoi le Gouvernement demande à l'Assemblée de ne pas retenir cette proposition de loi. Certes, le sujet ne manque pas d'intérêt et on peut remercier M. Sarkozy de l'avoir abordé. Mais cette proposition est inutile, car le problème ne se pose presque jamais -cette année, les seuls cas de rétroactivité sont favorables aux contribuables. Par ailleurs, elle serait la plupart du temps inopérante -ainsi, en matière d'assurance vie, elle n'aurait rien changé. Enfin, elle n'est pas très équitable : l'an dernier, elle aurait empêché l'Assemblée de revenir sur les quirats, pourtant particulièrement injustes. Et puis, elle présente un vrai danger politique : qu'est ce qui empêcherait, si elle était adoptée, une majorité en fin de mandat d'engager la suivante en votant in extremis une mesure fiscale contraire à la politique voulue par ses successeurs ? Pour toutes ces raisons, il faut rejeter ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois - La commission n'est pas de cet avis. Le texte est utile, car il permettra d'éviter des scandales comme celui que nous avons vu en 1984, lorsque le gouvernement Mauroy est revenu sur l'exonération du foncier bâti accordée en 1973 aux constructeurs de maisons neuves (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF).

Par ailleurs, la commission des lois a souhaité que le texte s'applique à tous les avantages fiscaux, y compris l'assurance vie. Enfin, la proposition est équitable : pourquoi l'Etat, seul, se dispenserait-il d'obligations qu'il impose à d'autres ? Lorsqu'une entreprise passe à un nouveau propriétaire, celui-ci doit reprendre les contrats antérieurs. Les contribuables ne doivent plus être des citoyens de seconde zone ! Voilà un texte moderne, qui renforce l'état de droit, et que je vous invite à voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Nicolas Sarkozy - Ce débat aura eu trois mérites au moins. Il aura d'abord permis d'éclairer l'opinion publique sur le choix de la majorité et de l'opposition : celle-ci est pour la modernisation, celle-là pour la conservation, cela est clair désormais. La modernité, en matière fiscale, c'est le respect scrupuleux des engagements de l'Etat.

Ensuite, le Premier ministre se félicite de voir naître une Europe monocolore... Nous sommes alors en droit de poser la question : pourquoi tous les contribuables européens ne subissent pas la rétroactivité fiscale alors qu'ils subissent des gouvernements socialistes, pourquoi les Français seuls auraient droit à la rétroactivité fiscale et aux socialistes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) C'est au moins un de trop !

Monsieur le Président de l'Assemblée, nous voyons dans votre présence un geste de courtoisie envers l'opposition. De grandes voix socialistes ont tenu des propos, Monsieur le Président, dont je me suis inspiré avec les présidents des trois groupes de l'opposition pour rédiger ma proposition. En 1996, Monsieur le Président, quand vous avez dénoncé la rétroactivité fiscale dans un recours qui fera date devant le Conseil constitutionnel, vous avez eu raison ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Monsieur le président socialiste de la commission des finances, vous qui faites autorité, vous avez eu raison, dans un recours, qui restera célèbre, devant le Conseil constitutionnel, de dénoncer en 1997, vous aussi, la rétroactivité fiscale ! (Mêmes mouvements)

Quant à vous, Monsieur Didier Migaud, rapporteur général du budget, distingué socialiste, comme vous avez eu raison de signer non pas un mais deux recours devant le Conseil constitutionnel pour dénoncer la rétroactivité fiscale ! (Mêmes mouvements) En quoi ce qui était si juste, si sensé, il y a un an ou deux, de la part de socialistes si prestigieux, deviendrait dangereux ou inutile de la part des modestes députés de l'opposition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Quelle contradiction ! Nous avons eu un bon débat, et le ministre de l'économie était là pour répondre à l'opposition, qui y a été sensible. Comment comprendre alors que le premier groupe de l'Assemblée, simplement parce qu'il s'agissait d'une proposition de l'opposition, nous ait privés de sa présence ? Quant aux Verts, que j'entends si souvent prôner une autre manière de faire de la politique, aucun n'est venu entendre nos arguments. Il n'y avait qu'un seul député socialiste, le célèbre président Ayrault, mais aujourd'hui nous constatons que les coups de sifflet ont été nombreux pour appeler à voter contre une proposition dont le ministre de l'économie nous dit que de toute façon elle ne sert à rien.

Alors, quand l'opposition présentera des propositions servant à quelque chose, quelle sera votre mobilisation !

Nous voulions prendre l'opinion publique et les contribuables à témoin. L'opposition s'est fait entendre. Il faut vous y habituer, ce ne sera pas la dernière fois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Daniel Feurtet - Le débat sur la rétroactivité des dispositions fiscales a permis à l'Assemblée d'évoquer des questions de fond. Pour autant, il n'a pas convaincu les députés communistes de la pertinence de la réforme proposée.

Plusieurs députés RPR - Vous n'étiez pas là !

M. Daniel Feurtet - Mais si ! Mais quand je suis intervenu, vous étiez presque tous aux Quatre Colonnes. Quand il vote une loi nouvelle qui en modifie une antérieure, le législateur ne s'arroge aucun droit exorbitant : il prend en compte une réalité nouvelle, avec l'intention de renforcer la sécurité juridique des citoyens.

La non-rétroactivité, inconcevable en droit pénal, le sera pour donner des droits nouveaux en matière sociale.

Le droit à la sécurité juridique ne peut être évoqué à tout propos. N'est-il pas étrange que ceux qui le défendent dans le domaine fiscal sont les mêmes qui jugent les salariés archaïques quand ils disent leur attachement aux conquêtes sociales ?

A pousser la logique jusqu'au bout, ne faudrait-il pas envisager que les lois ne puissent jamais modifier l'exercice d'un droit et que, par exemple, les textes de la droite sur le trentième indivisible en cas de grève ou la remise en cause de la retraite à 60 ans soient nuls et non avenus ?

Nous refusons de contester ces mauvaises dispositions par ce biais car ce qui est en cause, c'est l'exercice de la souveraineté nationale par le suffrage universel.

Rousseau écrit dans Du contrat social : "La souveraineté est inaliénable. Il est absurde que la vérité se donne des chaînes pour l'avenir." Il ajoute : "Nos politiques ne pouvant diviser la souveraineté dans son principe, la divisent dans son objet (...) Ils font du souverain un être fantastique et formé de pièces rapportés".

La rétroactivité fiscale n'est pas une commodité de l'administration. Tous les gouvernements sont confrontés au problème de l'équilibre des dépenses et des recettes fiscales.

Le principe de l'annualité budgétaire traduit le droit du Parlement de lever un impôt nouveau, ou d'autoriser la perception des impôts existants. Cela ne l'empêche pas de voter des autorisations ou des lois-programmes étalées dans le temps. En cas de besoin, des lois d'étape viendront corriger la loi initiale.

Au terme d'une législature, verrait-on un Gouvernement malveillant charger la barque pour son successeur en lui imposant un passif qui ne pourrait être modifié ?

Ce serait tellement contraire au bon sens qu'aucun autre pays ne l'admet. Cela n'interdit pas la majorité et l'opposition de s'entendre pour conserver une loi intacte. Au reste la règle de cinq ans proposée par les auteurs de la proposition de loi existe déjà : c'est la durée d'une législature.

Les citoyens ont à demander aux candidats ce qu'ils entendent maintenir ou changer dans le système fiscal s'ils sont élus. Ce contrôle citoyen est essentiel pour imposer le respect des engagements.

En fin de compte, la proposition de loi cherche une réponse juridique à un problème politique. Les députés communistes voteront contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

M. Henri Plagnol - La proposition a pour objet de permettre à l'Etat de prendre un engagement clair pour une durée limitée à cinq ans, dans le domaine fiscal, vis-à-vis des citoyens contribuables, et de l'obliger à tenir sa parole.

Il est curieux d'entendre la majorité plurielle invoquer les grands principes, les Lumières, Rousseau, pour s'opposer au droit élémentaire que possède le citoyen de voir l'Etat respecter sa parole. Notre débat est révélateur : la majorité, qui se dit progressiste, qui a constamment les droits de l'homme à la bouche, se fait l'avocat, face à une proposition de modernisation intelligente, du conservatisme le plus archaïque. En effet on ne peut pas sérieusement prétendre que la proposition de Nicolas Sarkozy ne fait pas progresser l'état de droit. Pour les Lumières, la rétroactivité était le contraire de l'équité, c'était l'absence de sécurité juridique sans laquelle il n'y a pas de démocratie. La proposition tend ainsi à restaurer l'équilibre des pouvoirs entre l'Etat et les citoyens. Les lois de rétroactivité fiscale seront encadrées, pour demeurer exceptionnelles.

La proposition est aussi de nature à favoriser la création de richesses et d'emplois, car les entreprises et les épargnants ont besoin de perspectives juridiques claires, pour pouvoir effectuer leurs choix en fonction de règles inscrites dans la durée. Les citoyens sont fatigués de voir chaque alternance remettre en cause des pans entiers de notre fiscalité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Puisque votre majorité aime se donner une couleur verte, qu'elle se demande comment inciter les entreprises et les consommateurs à faire des choix écologiques s'ils ne bénéficient pas d'avantages fiscaux durables ?

La proposition de Nicolas Sarkozy permet de réintroduire du long terme, de rendre le marché, dans une compétition internationale acharnée, un peu moins prisonnier du court terme. En refusant un libéralisme intelligent, vous vous soumettez en fait à un marché aveugle.

Enfin, cette proposition est un premier pas dans la recherche d'un Etat plus modeste, qui apprenne à dépenser moins pour pouvoir baisser les impôts. Lorsque vous retirez 2 milliards à l'audiovisuel public, vous cherchez comment garantir aux professionnels que la parole de l'Etat sera respectée. Pourquoi l'Etat, lorsqu'il promet aux citoyens lourdement ponctionnés qu'ils paieront un peu moins d'impôts, ne se donnerait-il pas là aussi les moyens de respecter sa parole ? Au lieu du toujours plus, nous vous proposons le toujours moins. Comment demander de la vertu aux contribuables si l'Etat lui-même s'en exonère ? Nous proposons donc de renforcer le pacte social qui fonde la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Bernard Charles - Nos collègues de l'opposition ont souhaité que l'Assemblée débatte de la rétroactivité des lois fiscales. Dois-je leur faire observer que l'ancienne majorité l'a elle-même souvent mise en oeuvre ? En réalité, ils essaient de semer le doute dans l'esprit de nos concitoyens, laissant accroire qu'avec eux, ce serait toujours moins d'impôt et avec nous, toujours plus. Dois-je leur rappeler que nous devons tous ici défendre la démocratie, ce qui passe par la plus extrême vigilance face à de telles initiatives démagogiques ?

Messieurs, vous avez tenté un coup politique. C'est de bonne guerre, surtout lorsque pour attester d'une alliance, mieux vaut masquer par cet accord sur une proposition de loi présentée dans la fenêtre réservée, les divisions sur des textes beaucoup plus importants. L'opposition devrait plutôt s'attacher à proposer une alternative crédible.

Par ailleurs, si une telle loi était aussi indispensable que M. Sarkozy l'a prétendu, pourquoi ne pas avoir ouvert le débat alors que vous étiez au pouvoir ?

Plusieurs députés RPR, UDF et DL - Nous n'avons pas eu le temps.

M. Bernard Charles - Vous avez bien eu le temps pour d'autres choses !

M. Sarkozy propose que les avantages fiscaux consentis pour une durée de cinq ans ne puissent être pendant ces cinq années remis en cause par le législateur. Ainsi toutes les décisions prises, en fin de législature notamment, s'imposeraient à toute nouvelle majorité, ce qui porterait atteinte de manière intolérable au suffrage universel et à l'alternance, fondement de la démocratie. C'est pourquoi les députés du groupe RCV ne voteront pas cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Gilbert Gantier - La majorité socialiste et communiste juge dangereuse la proposition de loi limitant la rétroactivité fiscale élaborée par M. Sarkozy et cosignée par les présidents des groupes RPR, UDF et DL. Elle a refusé vendredi dernier tout débat et à l'entendre, il n'y aurait aucun problème. Pourtant, il y a peu, le Gouvernement a dû reculer sur l'assurance-vie, devant le tollé suscité chez de nombreux contribuables. Ce recul aurait dû amener les groupes de la majorité à pousser la réflexion.

Mais si la gauche condamne cette proposition de loi, c'est parce qu'elle est la championne de la rétroactivité et de l'instabilité fiscales. En un an, le Gouvernement a, de manière rétroactive, diminué la réduction d'impôt pour emplois de proximité, modifié à plusieurs reprises la loi en faveur de l'investissement dans les DOM-TOM, abaissé le quotient familial, majoré de 15 % l'impôt sur les sociétés, augmenté la taxation des plus-values, relevé la CSG, instauré une taxe générale de 2 % sur les revenus de l'épargne... Excusez du peu !

En 1983, le gouvernement de Pierre Mauroy avait supprimé, toujours de manière rétroactive, l'exonération de taxe foncière pour les logements neufs. Nous avions à l'époque protesté contre ce reniement.

La France souffre d'une hyperinflation de mesures fiscales, source d'instabilité juridique qui suscite découragement et sentiment d'injustice. Comment les Français pourraient-ils avoir confiance dans un Etat qui ne cesse de renier sa parole en remettant en cause des avantages fiscaux ? Cette insécurité n'incite pas non plus les investisseurs étrangers à s'implanter dans notre pays.

La proposition de Nicolas Sarkozy apporte un début de réponse en intégrant dans notre droit fiscal la pluriannualité. Une majorité pourra décider, seulement dans le cadre des lois de finances, qu'un avantage fiscal ne pourra pas être supprimé durant les cinq premières années de son application. Ce délai serait renouvelable une fois.

Il n'y a rien de démagogique ni de scandaleux dans cette proposition. De nombreux pays ont choisi la pluriannualité et s'interdisent la rétroactivité en matière fiscale. Il ne serait pas scandaleux d'aller plus loin et de n'autoriser cette dernière que si la loi est plus favorable. On pourrait au moins accepter le principe selon lequel la loi fiscale applicable à une imposition donnée est celle qui prévaut au moment du fait générateur.

Au nom du respect des contribuables, au nom du respect de l'Etat de droit et pour en finir avec l'instabilité de la loi, le groupe Démocratie libérale votera cette proposition, porteuse de progrès et de justice (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Jean-Louis Idiart - La proposition de loi sur la non-rétroactivité fiscale présentée par les groupes de l'opposition est soumise aujourd'hui à scrutin public, comme nous l'avons souhaité.

Monsieur Sarkozy, ne vous érigez pas en donneur de leçons ! Durant toute la discussion budgétaire, c'est bien volontiers que nous vous aurions accueilli en commission des finances ou ici même pour débattre de votre proposition. Nous vous avons malheureusement peu vu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) Votre proposition que nous aurions tant négligée, à vous entendre, et que votre minorité souhaitait si ardemment, a été débattue vendredi en présence d'une vingtaine de députés de droite seulement. En commission des lois, elle a été adoptée par les deux voix des deux seuls députés de droite présents. Où étaient vos zélateurs, Monsieur Sarkozy ?

Pourquoi pas, tant qu'à faire, une proposition de loi sur la non-rétroactivité en matière sociale ? Vous auriez pu utilement compléter votre texte... Mais, chacun l'aura compris, c'est le conservatisme qui inspire votre texte démagogique (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF). Or, nous devons faire preuve d'une responsabilité particulière quand nous traitons de l'impôt. Dénigrer l'impôt est facile mais extrêmement dangereux : cela fait le lit d'un populisme fatal à la démocratie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

La République est née quand les citoyens ont souhaité contrôler l'assiette, la collecte et l'utilisation de l'impôt. Pourquoi vouloir aujourd'hui restreindre le droit du peuple souverain qui, à chaque élection, se prononce et mandate ses représentants ? Comment priver une nouvelle majorité élue par le peuple de la possibilité de modifier ce que le peuple a rejeté ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste) Aucune vue économique ni financière ne saurait primer sur le libre choix des citoyens en démocratie. Toute concession sur ce sujet est dangereuse.

Le rapporteur général du budget a jugé vendredi dernier cette proposition tout d'abord inconstitutionnelle car elle limiterait les pouvoirs fiscaux reconnus au législateur par les articles 34 et 39 à 51 de la Constitution. Il l'a jugée inopportune car seuls les engagements pris devant le peuple et ensuite tenus sont de nature à conférer du respect à la politique. Il l'a jugée enfin dangereuse car elle risquerait de rendre les alternances conflictuelles.

M. Sarkozy nous invite aujourd'hui à revenir sur une faculté qu'il a lui-même utilisée lorsqu'il était ministre du budget. Pourquoi n'a-t-il pas fait adopter alors un texte similaire ? Tout simplement parce que ce n'est pas réaliste. Etre dans l'opposition lui donne une inspiration nouvelle mais lui fait perdre en sens des responsabilités... Au demeurant, son texte est inutile. Plus des deux tiers des dispositions rétroactives sont favorables aux contribuables. C'est le cas de toutes celles du projet de loi de finances pour 1999... que vous n'avez pas voté.

Ce texte est incantatoire : il vise seulement à faire parler de soi sans rien faire avancer (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

A la majorité de 290 voix contre 231 sur 527 votants et 521 suffrages exprimés, l'article unique de la proposition de loi organique n'est pas adopté.

La séance, suspendue à 16 heures 45, est reprise à 16 heures 55, sous la présidence de M. Ollier.

PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER

vice-président


Top Of Page

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE

M. le Président - M. le Président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le ministre des relations avec le Parlement une lettre l'informant que l'ordre du jour prioritaire du mardi 1er décembre, après-midi et soir, est ainsi modifié :

A 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

    - explications de vote et vote sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999, en nouvelle lecture ;

    - explications de vote et vote sur le projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 88-2 de la Constitution ;

    - suite des propositions de loi relatives au pacte civil de solidarité.


Top Of Page

RÉVISION DE L'ARTICLE 88-2 DE LA CONSTITUTION (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 88-2 de la Constitution.

M. le Président - Hier soir, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

Mme Nicole Catala - Le débat d'aujourd'hui a quelque chose d'irréel, d'abord parce qu'il ne nous est pas proposé de débattre sur le fond du traité d'Amsterdam, alors même qu'il constitue la raison d'être de la révision constitutionnelle ; ensuite parce que ce découplage entre révision constitutionnelle et ratification nous a dispensés jusqu'ici d'expliquer au peuple ce qui est vraiment en cause ; enfin, parce que le nombre de députés de gauche présents hier et aujourd'hui est bien inférieur à celui de la première discussion du Pacs, alors même que nous traitons d'un sujet majeur pour l'avenir du pays.

Et pourtant, la réalité est là : voici venir, à un horizon tout proche, une altération supplémentaire de la souveraineté française. Ce n'est pas moi qui l'imagine, c'est le Conseil constitutionnel qui le constate, en des termes sans équivoque : le remplacement de l'unanimité par la majorité au sein du Conseil, et le passage à la codécision avec le Parlement européen -qu'il soit automatique ou nécessite une décision dans cinq ans- pour le franchissement des frontières de l'Union est de nature à affecter, dit le Conseil, "les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale".

Je ne suis pas de ceux qui jettent la notion de souveraineté aux oubliettes de l'histoire. Depuis que la Constitution du 3 septembre 1791 a proclamé que "la souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible" et qu'elle "appartient à la Nation", trop de Français sont morts au nom de ces principes pour qu'on puisse, furtivement, les passer par profits et pertes. Je ne dis pas cela par anti-européanisme primaire. Je sais que la construction européenne est indispensable à la paix et à la prospérité sur notre continent, et qu'elle est pour les pays de l'Est, longtemps soumis à des régimes terribles, une promesse qu'il ne faut pas décevoir. Mais la question est de savoir si la fuite en avant, tous azimuts, qu'est devenue la construction européenne, est de nature à répondre aux aspirations des peuples et aux intérêts propres de la France. Telle est ma double interrogation sur la réforme constitutionnelle qui nous est proposée : est-elle conforme à ce que je souhaite pour l'Europe ? L'est-elle à ce que je souhaite pour la France ?

Ma réponse est doublement négative. Tout d'abord, la "communautarisation" des règles concernant le franchissement des frontières extérieures de l'Union n'est indispensable ni à la puissance économique ni à la crédibilité politique de l'Europe. On ne voit pas quel avantage cette communautarisation apportera à nos peuples.

M. Philippe de Villiers - Très bien !

Mme Nicole Catala - Sinon la possibilité pour les responsables nationaux de se défausser sur les autorités de Bruxelles des décisions difficiles. L'accord de Schengen permettait déjà de maîtriser largement, dans un cadre intergouvernemental, les flux migratoires. Mais parce qu'il échappait à son emprise, la Commission l'avait condamné dans l'oeuf et n'a cessé d'en rechercher la communautarisation. Nous devrions peut-être nous interroger sur ce vertige du pouvoir qui s'est emparé de la Commission, et qui ne sera pas sans conséquences graves pour nos démocraties. Satisfaction a donc été donnée à la Commission avant même qu'un véritable bilan des accords de Schengen ait été établi. Rien ne paraît pouvoir arrêter le rouleau compresseur communautaire. Pourtant, si l'on voulait aller au-delà de Schengen, on pouvait utiliser, sur de nombreux points, la technique classique -prévue par le traité de Rome- des conventions entre Etats. On pouvait en rendre plus rapide la conclusion et la mise en oeuvre. Au lieu de quoi on a choisi l'extension des procédures communautaires, complexes, bureaucratiques et opaques. Rien ne justifiait pourtant leur extension en-dehors du premier pilier, et surtout à des problèmes aussi sensibles que l'immigration ou le droit d'asile.

Peu satisfaisante du point de vue de l'Europe, cette réforme ne l'est pas plus pour la France. Celle-ci n'a pas vocation à se dissoudre dans l'Europe. Elle devrait garder par exemple la possibilité d'accueillir dans des conditions particulières les ressortissants des pays francophones, auxquels l'unissent tant de liens. Avec le traité d'Amsterdam, elle ne le pourra plus. Notre pays fait déjà beaucoup d'efforts pour l'intégration des étrangers établis sur son sol, et dont votre politique irresponsable a multiplié le nombre (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Qu'en sera-t-il demain si nous devons accueillir des réfugiés plus nombreux ?

D'autres perspectives sont préoccupantes. En cas d'afflux soudain de ressortissants d'un Etat tiers, l'article 64 du traité prévoit que le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, pourra arrêter des mesures provisoires au profit de l'Etat concerné, qui ne pourra donc plus en décider lui-même -alors qu'il restera responsable de l'ordre et de la sécurité publics. Je vois là un dessaisissement majeur des pouvoirs indispensables à l'autorité nationale.

Autre recul important de notre souveraineté, le rôle que jouera demain la Cour de justice européenne, qui interprétera les décisions-cadres et décisions s'imposant à notre législation pénale. Ses arrêts viendront donc modifier les principes et les concepts de notre législation répressive. Tout cela n'est pas acceptable. A cette réforme que ne justifie ni l'intérêt de l'Europe, ni celui de la France, je ne saurais adhérer (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du RPR).

M. Philippe de Villiers - Très bien !

M. Gérard Fuchs - Ce projet de loi constitutionnelle ayant pour but de permettre l'adoption du traité d'Amsterdam, je commencerai, logiquement, par demander si ce traité mérite d'être adopté. Pour y répondre, j'examinerai son texte, mais aussi son contexte.

Le texte du traité a été négocié sous la responsabilité d'Alain Juppé et de Jacques Chirac, et finalement signé par Lionel Jospin.

M. Alain Juppé - Il aurait pu ne pas le signer !

M. Gérard Fuchs - Les commentaires souvent négatifs ont surtout souligné l'écart entre l'ambition des négociateurs et le résultat. L'ambition était celle d'une vraie réforme institutionnelle, rendant l'Union plus efficace dans ses décisions, et préservant son efficacité au travers d'élargissements successifs. Il s'agissait pour l'essentiel d'étendre le champ du vote à la majorité au Conseil. A cet égard la montagne a accouché d'une souris. La réforme des institutions a été renvoyée à des jours meilleurs, faute notamment d'une entente franco-allemande.

Et pourtant le traité apporte nombre d'innovations intéressantes, qui devraient notamment être appréciées sur les bancs de la majorité. Ainsi, il comporte un titre spécial sur l'emploi, dont la mise en oeuvre, anticipée à la demande du gouvernement français, permet enfin d'envisager que la lutte contre le chômage devienne une préoccupation centrale de l'Union. A cet égard, le sommet de Luxembourg sur l'emploi en décembre 1997 a lancé une dynamique.

Notons aussi un renforcement sensible du volet social des traités, avec l'intégration à part entière du protocole social de Maastricht, imposé par François Mitterrand contre Mme Thatcher, et aujourd'hui accepté de tous grâce à la victoire de Tony Blair. Je mentionnerai également la première apparition dans un traité européen de la notion de "service d'intérêt économique général", ce que l'on appelle chez nous le service public, pilier essentiel d'une société qui accepte la compétition, mais veut assurer l'égalité des chances.

Je mentionnerai encore un ensemble intéressant de références à la notion de développement durable. Pour la première fois un traité européen admet que les mécanismes du marché ne peuvent prendre en compte des phénomènes dont les effets ne seront sensibles que pour les générations futures. Je citerai enfin -sans chercher à être exhaustif- le renforcement des conditions de la liberté de circulation au sein de l'Union. Ce sont d'ailleurs ses conséquences aux frontières externes qui posent problème par rapport à notre Constitution. C'est aussi pour garantir cette liberté que le traité fait obligation aux Etats membres de respecter les droits de l'homme, avec suspension possible de l'appartenance à l'Union en cas de défaillance. Je ne comprends pas que M. de Villiers puisse juger critiquable cette disposition.

Curieusement donc, le traité contient fort peu de ce qui était prévu, mais beaucoup d'imprévu très positif. L'examen de son texte me conduit donc à dire qu'il faut le ratifier.

Mais son contexte aussi est extraordinairement porteur au regard des préoccupations que je viens d'exprimer. Car un traité n'est qu'un chiffon de papier, sans volonté réelle de l'appliquer. Or, onze Etats membres sur quinze ont un gouvernement de gauche, et notamment les autre pays les plus importants. Cela crée les conditions d'une dynamique sans précédent. Même l'Allemagne admet aujourd'hui qu'on doit parler d'une politique communautaire de l'emploi. La perspective d'une réelle coordination de la politique économique des quinze pour plus de croissance n'est plus tout à fait une utopie. Sur le plan social, saisie d'un zèle soudain et sans précédent, la Commission envisage une directive sur les droits des salariés, et même peut-être une directive limitant à quarante-huit heures, la durée de travail des camionneurs ! Sur le service public, le combat est devant nous, et il sera rude. Mais ne plus avoir en face de nous une majorité de gouvernements libéraux est une opportunité à saisir. De même, nous pouvons espérer que cette conjoncture permette de discuter d'une taxe intelligente sur l'énergie, ou du maintien d'un droit d'asile de haut niveau, bien nécessaire en ces temps de nationalismes et d'intégrismes. Ne nous privons donc pas de l'instrument que peut être ce traité pour construire une Europe moins exclusivement soucieuse des marchandises et des capitaux et davantage des femmes et des hommes qui la constituent.

Il faudra donc ratifier, demain, le traité et, pour ce faire, réviser, aujourd'hui, la Constitution. De l'article 88-2 je parlerai peu, sauf pour dire qu'il nous faudra bien un jour, à l'instar de l'Allemagne, de l'Espagne, de la Grèce ou du Portugal, inclure dans notre Constitution l'idée que des délégations de souveraineté peuvent être consenties à l'Union européenne en vue d'objectifs que nous ne pouvons atteindre seuls. Mais on m'a expliqué que le moment n'était pas venu...

Nous ne devons pas laisser passer, en revanche, l'occasion de réviser l'article 88-4 au bénéfice de notre Parlement...

M. Jacques Myard - A son détriment !

M. Gérard Fuchs - ...en étendant son droit de voter des résolutions à tous les actes législatifs de l'Union et en permettant au Gouvernement de nous transmettre d'autres actes significatifs, selon l'habile formule de compromis trouvée par notre rapporteur. Mais dans la masse des quelque 2000 documents concernés chaque année, il en est un qui est plus significatif que tous les autres : c'est le programme annuel de travail de la Commission, soumis à l'approbation du Conseil et du Parlement européen, et qui nous fournirait l'opportune occasion d'un débat d'orientation de nature à réduire le déficit démocratique de l'Europe. Le Gouvernement est-il prêt à s'engager à nous transmettre ce document ?

Le groupe socialiste votera la révision de l'article 88-2, car il souhaite qu'entre rapidement en vigueur le traité d'Amsterdam...

M. Jacques Myard - Il n'en est pas à sa première ânerie !

M. Gérard Fuchs - L'histoire dira qui, de nous deux, est l'âne... (Sourires) Le groupe socialiste votera avec d'autant plus d'allant que le Gouvernement lui aura donné satisfaction sur l'article 88-4 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Yves Bur - Européen convaincu, je suis heureux que nous ayons enfin entamé le processus conduisant à la ratification du traité d'Amsterdam. Ce traité, signé le 2 octobre 1997 par le Président de la République, a suscité une certaine déception, en ce qu'il ne comporte pas les réformes institutionnelles nécessaires et préalables à l'élargissement, mais nous en reparlerons lors du débat de ratification.

La présente révision de la Constitution s'impose en raison de certaines dispositions du traité qui portent atteinte aux conditions d'exercice de la souveraineté nationale. Le débat porte d'ailleurs moins sur le fond que sur l'occasion qui nous est offerte d'améliorer le contrôle du Parlement sur les décisions européennes. S'agissant de la libre circulation des personnes et des règles d'entrée et de séjour des étrangers venant des pays tiers, la communautarisation des règles n'a rien de choquant : elle vaut au contraire bien mieux que des législations nationales hétéroclites, plus ou moins laxistes, qui n'ont apporté aucune réponse efficace aux problèmes posés par l'immigration. Le groupe UDF votera donc la modification de l'article 88-2 de la Constitution.

Nous devons aussi nous interroger sur la façon de réconcilier les citoyens avec la construction européenne. Comme nous y invite le protocole no 13, il est souhaitable d'améliorer l'information du Parlement, par exemple en étendant le champ d'application de l'article 88-4 à l'ensemble des actes communautaires législatifs. Il nous paraît tout aussi utile que la délégation à l'Union européenne puisse donner son avis sur tous les documents de la Commission. Le débat institutionnel pose en fait la question de la démocratisation : pour que les citoyens de l'Europe se sentent associés à la construction de la maison commune, démocratie et subsidiarité devront être au coeur des réflexions sur l'Europe du XXIème siècle. Il pose aussi la question du rôle des Parlements nationaux et du Parlement européen. Seule, en vérité, une Constitution européenne nous permettra de clarifier les différents niveaux de compétence en écartant les risques de centralisation technocratique.

Oui, nous sommes favorables à la mise en oeuvre d'une souveraineté partagée plutôt qu'au maintien d'une souveraineté virtuelle. Oui, nous soutenons qu'un renforcement du Parlement européen et des Parlements nationaux permettra de remédier progressivement au déficit démocratique. Oui, nous pensons que les citoyens de l'Union européenne doivent être les acteurs d'une démocratie vivante. Oui, nous croyons qu'il nous revient de créer, grâce à la réussite de l'euro, les conditions d'une euro-confiance (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR). C'est pourquoi nous voterons ce projet de loi constitutionnelle.

M. Philippe de Villiers - Au risque de provoquer un nouveau persiflage de Mme la Garde des Sceaux, qui est largement sortie, hier après-midi, de la tradition de courtoisie parlementaire, je voudrais ajouter quelques mots au débat, quelque peu abstrait, qui s'est déroulé hier et poursuivi cet après-midi par un échange surréaliste entre M. Jospin et M. Giscard d'Estaing, comme si l'Europe était une bulle spéculative qui flotterait au loin...

Chacun se plaint quotidiennement de la toute-puissance de la Commission de Bruxelles et l'on vient d'annoncer la décision, absurde et irresponsable, de lever l'embargo sur la viande de boeuf britannique, alors qu'il y a, chaque mois, deux cents nouveaux cas d'ESB au Royaume-Uni ! Elle fait suite à la décision, absurde et irresponsable, de porter le coup de grâce aux chantiers navals du Havre en réclamant le remboursement des aides ; à la décision, absurde et irresponsable, d'empêcher la mise en oeuvre du plan en faveur de notre industrie textile et de ses 350 000 salariés ; à la décision, absurde et irresponsable, de faire opposition à l'arrêt du Conseil d'Etat sur le maïs transgénique...

M. Michel Bouvard - Scandaleux !

M. Philippe de Villiers - ...ou encore à la décision, absurde et irresponsable, d'interdire l'octroi de tarifs réduits aux familles de trois enfants et plus ! Des décisions de ce type tombent tous les jours, avec les astreintes et les amendes correspondantes !

Le traité d'Amsterdam aggrave encore le déséquilibre actuel des pouvoirs. Au bénéfice de qui ? De la Cour de justice d'abord, dont chaque nouvel article accroît la capacité d'arbitrage et d'interprétation ; du Parlement européen ensuite, grâce à l'extension de son champ de compétences et au mécanisme de codécision ; de la Commission enfin, et je m'étonne que l'on n'ait pas davantage parlé de l'article 62, qui prévoit l'investiture de son président sur la base d'orientations politiques. Les grands perdants sont le Conseil et les parlements nationaux.

M. Jacques Myard - Les peuples !

M. Philippe de Villiers - Nous aurons tout au plus le droit, comme l'a reconnu M. Moscovici, de donner notre avis à la COSAC ! Les journalistes ne nous désigneront bientôt plus que comme le "conseil régional de France" ! Je suis de ceux qui, à droite comme à gauche, refusent une telle perspective, et c'est pourquoi j'ai défendu l'exception d'irrecevabilité.

C'est avec stupéfaction que j'ai entendu hier soir M. de Charette aller jusqu'au bout de sa logique et prôner une Constitution européenne - bonjour la liste unique de l'Alliance, soit dit en passant... Mais la vérité, c'est qu'une telle Constitution est déjà en germe dans le protocole n 7 sur la subsidiarité. Le droit communautaire, même dérivé, l'emportera sur le droit national, fût-il constitutionnel. L'Europe ne reposera plus sur une association d'Etats, mais sur les droits des citoyens, qui pourront saisir directement la Cour de justice. Elle sera elle-même un véritable Etat, qui prendra des décisions à Bruxelles, battra monnaie à Francfort et rendra la justice à Luxembourg.

L'article 89 est clair. En cas de réforme de la Constitution -je dis bien réforme, car le Congrès convient pour les réformettes-, seul le peuple peut se prononcer. Nous n'avons pas le droit de détourner l'esprit des institutions tracées par le général de Gaulle. Nous n'avons pas le droit de changer la Constitution contre le peuple. Disons au Président de la République et au Premier ministre que cette question ne nous regarde pas, qu'il appartient au peuple de décider s'il faut jeter, oui ou non, la Constitution à la poubelle (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur quelques bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jacques Myard - Après l'Acte unique et le traité de Maastricht, voilà donc Amsterdam et de nouveaux transferts de souveraineté, au motif que le droit communautaire serait plus efficace. On me permettra d'en douter. En quoi sera-t-il mieux appliqué que les accords relatifs au contrôle des frontières ? L'exemple des accords douaniers violés par les Pays-Bas devrait vous inciter à plus de modestie (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du RPR).

Mais le plus grave, c'est que ce Traité va à l'encontre de l'Europe des peuples et de la subsidiarité. Le Traité va renforcer le pouvoir de la technocratie oligarchique, incontrôlée et irresponsable. Loin de construire l'Europe, le traité va la conduire vers une impasse, vers de nouveaux diktats technocratiques.

Mme Nicole Catala - Très bien !

M. Jacques Myard - Quelques naïfs prétendent que les nations vont exercer en commun leur souveraineté : c'est la thèse de la "souveraineté partagée", dernière trouvaille de ceux qui sont fatigués d'être libres.

M. Philippe de Villiers - Très bien !

M. Jacques Myard - Que signifie-t-elle quand une majorité qualifiée peut imposer ses options dans des domaines aussi essentiels que le contrôle des frontières ? Quand il sera interdit à la France de remettre en cause tout acquis communautaire ? La "souveraineté partagée" ne serait-elle pas une souveraineté limitée à la Brejnev ? Le traité tourne le dos à l'Europe des nations et nous entraîne bien au-delà de l'Europe fédérale. Il n'existera plus de séparation claire entre ce qui serait fédéral et ce qui relève de la compétence des Etats : tout sera aspiré vers le centre pour être fusionné en un droit communautaire totalitaire. La réalité du pouvoir sera confiée non à un Conseil représentant les Etats, mais à la Commission et à la Cour de justice. La République sera privée de ses compétences "régaliennes", la France réduite à un cadre administratif, et le Parlement ramené à un rôle consultatif deviendra un théâtre d'ombres. Il y a vingt-cinq siècles, un philosophe grec montrait déjà comment les systèmes politiques dégénèrent : le processus a commencé.

Il faut mettre à plat la construction européenne, rendre la primauté au Conseil, créer une Chambre haute composée de délégués des Parlements nationaux.

Aux prochaines élections, que répondrez-vous lorsque nos concitoyens vous demanderont pourquoi vous laissez entrer en France des marchandises fabriquées par des enfants ? Vous direz que c'est la faute de l'UE. Que direz-vous lorsqu'on vous demandera pourquoi vous n'agissez pas sur les taux ? Que c'est la faute de l'UE et de la BCE. De même, pour expliquer l'absence de contrôle des flux migratoires. Et vous devrez convenir que vous ne servez plus à rien, sinon à donner des avis inutiles. Peut-être méditerez-vous alors, mais un peu tard, ce mot de Montesquieu : "J'étais empereur, on m'a fait patron de galère" (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du RPR, Mme Christine Boutin, M. Philippe de Villiers, M. Georges Sarre applaudissent aussi).

M. Julien Dray - Qu'on me permette de dire d'abord ma satisfaction de la décision prise en Angleterre, qui ouvre la voie à ce qu'on puisse demander des comptes à tous les dictateurs du monde. Je sais que la France a joué un rôle important pour accélérer la procédure, et je connais votre rôle personnel, Madame la Garde des Sceaux. Tous les combattants de la liberté se réjouissent de cette décision (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) .

M. Jean-Pierre Soisson - Très bien !

M. Philippe de Villiers - Castro n'a pas intérêt à tomber malade !

M. Julien Dray - Ce n'est pas à moi qu'il faut dire cela, j'ai organisé ici même un colloque sur la libération des prisonniers politiques à Cuba ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Je remercie le groupe socialiste de m'avoir autorisé à prendre la parole devant vous afin d'exprimer publiquement mes désaccords. En montant à cette tribune, j'ai eu le sentiment de rajeunir de six ans : en 1992, notre assemblée a déjà voté une révision constitutionnelle pour adapter notre loi fondamentale à nos engagements européens, et j'ai approuvé cette modification, parce que j'estimais que la ratification du traité de Maastricht était nécessaire. Ce traité contenait déjà les fameux critères de convergence, et l'édification de l'Union économique et monétaire se réalisait sous l'égide du libéralisme économique. Mais la démarche qui guidait alors beaucoup d'entre nous avait une cohérence : la mutation du capitalisme avait rendu trop étriqué l'espace de l'Etat-nation comme seul cadre de régulation du marché. Afin que les politiques de redistribution des richesses ne se heurtent plus systématiquement à la "contrainte extérieure" -comme ce fut le cas pour la gauche en 1981 et 1982-, l'unification des politiques du continent européen permettait d'organiser une résistance à la mondialisation libérale.

Le pari de Maastricht pouvait se résumer ainsi : conjoncturellement, la France devait accepter des contraintes jusqu'à l'unification monétaire, en échange d'une perspective de coordination des politiques économiques et de solides avancées dans la voie d'une intégration politique démocratique.

Hélas, ce pari a échoué. De directives en directives, de sommets en conseils "Ecofin", de Dublin à Luxembourg, l'intégration économique n'a pas produit mécaniquement d'intégration politique. Pire, l'Europe est aujourd'hui le Fort Knox de tous les sergents du monétarisme et de tous les généraux de la rigueur (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du RPR).

M. Jean-Pierre Michel - Très bien !

M. Julien Dray - La démonstration en est faite aujourd'hui par le traité d'Amsterdam, qui met en place un dispositif diabolique. Le traité repose sur un triptyque sans faille : vide démocratique, pacte de stabilité budgétaire, indépendance totale des autorités monétaires.

Il proroge ad vitam aeternam la rigueur des critères de convergence de Maastricht, et les peuples perdent définitivement la faculté de choisir leur politique économique ; les 3 % deviennent une règle intangible dont aucun exécutif ni aucun Parlement ne pourront s'affranchir sous peine de sanctions.

Le fonctionnement de la Banque centrale européenne n'est pas moins rigide. Voyez le sort qui a été réservé aux suppliques d'Oskar Lafontaine, qui demandait une baisse des taux pour faire face à la crise financière venue d'Asie : le malheureux s'est heurté à une fin de non-recevoir de la "Dream Team" du libéralisme Trichet, Tietmayer et Duisenberg.

Dépossédés de leur souveraineté monétaire et budgétaire, les Etats-nations n'auront plus qu'une solution, flexibiliser leur marché du travail et démanteler leur système de protection sociale pour réagir aux chocs économiques.

M. Jacques Myard - Chômage ! Chômage !

M. Julien Dray - Ce qui se déroule sous nos yeux, et que l'on nous demande d'avaliser, c'est la constitution d'un vaste marché du travail jetable. Mais le traité d'Amsterdam ne contient aucune avancée politique. La conférence intergouvernementale n'est arrivée à aucun progrès institutionnel, parce que le bon fonctionnement de cette constitution économique rigide a pour corollaire le vide démocratique.

C'est cela qu'entérine le traité, qui permet au capital de mener à bien son rêve, débarrasser la sphère économique de toute intervention politique des citoyens et de toute réglementation sociale, de tout ce qui pourrait faire prévaloir l'intérêt général sur celui des plus riches.

Beaucoup, sur ces bancs, sont sensibles à ces arguments. Mais ils ont la conviction que c'est un mauvais moment à passer et qu'il sera toujours temps de construire l'Europe sociale. Cette croyance ne résiste pas à la réalité des faits, le libéralisme ne nous a pas habitués aux miracles sociaux.

M. le Président - Il faudrait conclure !

M. Michel Bouvard M. Georges Sarre - Non !

M. Julien Dray - A ceux de mes collègues de la majorité qui pensent se rassurer sur les risques du traité d'Amsterdam en se disant que la gauche est aujourd'hui au pouvoir dans 13 des 15 pays de l'Union, je rappellerai l'histoire de ces arbres de la forêt qui, voyant entrer le bûcheron, se sont rassurés en disant "Celui-ci ne peut pas nous faire de mal, puisque le manche de sa hache est fait du même bois que nous". (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. Jacques Myard - Quelle lucidité !

M. Stéphane Alaize - On ne modifie jamais la Constitution sans motifs sérieux. Le débat intervient aussi à un moment intéressant pour tous les Européens convaincus dont je suis, même si le projet dont nous sommes saisis tend simplement à donner suite à une décision du Conseil constitutionnel du 31 décembre 1997.

Le traité d'Amsterdam est le résultat de la conférence intergouvernementale sur l'union politique initiée en mars 1996, qui a mis en lumière le manque d'ambition de certains gouvernements de l'époque, et d'abord des représentants français.

Car le traité d'Amsterdam est très en deçà des espérances.

Le principal objectif de la CIG, la réforme des institutions communautaires, n'a débouché sur aucune décision forte. Mais peut-être eût-il fallu être porteur d'une vraie volonté politique susceptible d'obtenir l'approbation de la majorité de l'époque. Or, ce n'était pas le cas. Et ça l'est encore moins aujourd'hui, au risque d'ailleurs, en contredisant le Président de la République, d'affaiblir encore la France (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR).

Le mal qui a fragilisé la France lors des négociations d'Amsterdam pourrait bien réapparaître demain, si la majorité plurielle choisit une vision étriquée et opportuniste contre un projet politique ambitieux pour l'Europe lors de prochaines échéances européennes.

Rien de ce qui fait le combat du Parti communiste ou du Mouvement des citoyens ne nous est étranger. Et si nous sommes, en Européens lucides, persuadés d'avoir raison, vous n'avez pas tort de questionner certains aspects de la construction européenne. Reste que l'Europe offre de vraies garanties démocratiques. Quand on dit majorité, projet de loi, faculté pour le Parlement européen d'investir le président de la Commission, ne dit-on pas démocratie ? Quand nous sommes assurés que c'est bien le peuple français qui élit ses représentants au Parlement européen, ne sommes-nous pas pleinement en démocratie ?

Certes, on peut vouloir plus. Mais chaque chose en son temps. Ce dont a besoin le peuple en matière d'Europe, ce n'est pas de surenchère médiatique mais de pragmatisme.

M. Philippe Bouvard - Il a besoin qu'on lui donne la parole !

M. Stéphane Alaize - Il n'est pas sérieux d'exiger toujours plus d'Europe devant les caméras et de refuser ici toute avancée. D'autant que c'est le traité qui ne répond pas aux attentes des élus du peuple, pas le gouvernement actuel.

Reconnaissons aussi que le traité, en étendant le champ de certaines compétences communautaires, en permettant, par l'unification du territoire européen, d'abolir les contrôles de personnes aux frontières internes et de renforcer les règles de libre circulation des biens et des personnes, en renforçant les compétences des quatre principales institutions européennes, apporte du progrès. Sur ce dernier point, le Parlement européen obtient enfin une complète parité avec le Conseil des ministères dans la procédure de codécision. La Cour de justice des Communautés européennes, elle aussi, y gagnera.

M. Michel Bouvard - Ça, c'est sûr !

M. Stéphane Alaize - Et c'est une bonne chose !

Certes, beaucoup reste à faire. Et si l'on peut regretter la mobilisation de la procédure de réforme constitutionnelle pour des avancées qui tombent sous le sens, autant tirer parti du débat d'aujourd'hui pour obtenir un renforcement des moyens de la représentation nationale de contrôler l'action européenne du Gouvernement. Il faudra bien que le Gouvernement accepte ces avancées lors de l'une des toutes prochaines réformes constitutionnelles car nous n'aurons pas d'Europe acceptée qui ne soit comprise du peuple.

J'appelle tous les Européens ici présents à voter le projet, pour avancer et ne plus tergiverser (Applaudissements sur certains bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Michel - Ici, il n'y a que des députés français !

Mme Béatrice Marre - Le traité d'Amsterdam, malgré ses faiblesses, comporte des avancées substantielles vers une "Europe sociale, de progrès et de paix", comme le souhaitait une déclaration commune des socialistes et des communistes le 29 avril 1997.

C'est à ce titre que la ratification du traité, accompagnée de la révision de la Constitution, doivent être acceptées.

Parmi ces avancées, arrêtons-nous sur l'article 141 du traité d'Amsterdam.

Il renforce d'abord les mesures déjà existantes relatives au principe d'égalité entre hommes et femmes, en ajoutant la notion de travail "de même valeur" dans la définition des tâches devant donner lieu à rémunération identique.

Les négociateurs du traité ont souhaité assurer concrètement cette égalité professionnelle disposant le cas échéant que "le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un Etat membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans leur carrière professionnelle". L'inscription dans le traité de la discrimination positive comme moyen d'action me paraît une avancée décisive.

Surtout, l'article 141 du traité comporte une modification majeure : les institutions communautaires pourront désormais légiférer dans le domaine de l'égalité entre les hommes et les femmes en application de l'article 251 du traité, qui ouvre la possibilité pour le Conseil de statuer, dans un certain nombre de domaines, à la majorité qualifiée, et au Parlement européen de rejeter les propositions qui lui sont soumises si elles ne lui conviennent pas.

Cet exemple doit nous convaincre que la ratification du traité, et donc l'adoption préalable de la révision constitutionnelle, s'inscrivent dans la continuité de notre engagement européen. La France ne saurait aujourd'hui rompre, en refusant de ratifier le traité, l'ensemble de ses engagements européens, sans mettre en péril l'existence même de l'Union, ni compromettre son avenir propre. Non seulement la France ne perdra rien, mais elle développera sa capacité d'action. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Yann Galut - L'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que "toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution". Quand près de 50 % des textes qui nous sont soumis ne sont que la transposition en droit interne de directives européennes, nous ne pouvons que nous inquiéter du poids relatif du Parlement. L'image du parlementaire moine copiste des actes communautaires persiste. Les initiatives lancées depuis la création des délégations pour l'Union dans chaque assemblée en 1979 n'ont rien changé.

La révision constitutionnelle doit être l'occasion de renforcer substantiellement les prérogatives de notre Parlement en matière d'examen des propositions d'actes communautaires.

Les députés ne disposent pas d'outils efficaces face à la prolifération du droit communautaire. Le suivi des affaires européennes est actuellement confié aux délégations pour l'Union et aux commissions permanentes. Or la coordination entre les unes et les autres n'est pas satisfaisante. Les deux délégations doivent devenir des commissions permanentes. Outre le gain en efficacité, leur constitutionnalisation représenterait un symbole politique majeur.

Certes, l'extension du champ d'application de l'article 88-4 par la transmission aux assemblées des actes des deuxième et troisième piliers est une avancée. Mais il ne faudrait pas la limiter aux dispositions d'ordre législatif. Il appartient aux assemblées elles-mêmes de décider sur quelles propositions d'actes elles souhaitent se prononcer, comme au Royaume-Uni. C'est au Parlement de faire le tri, et non pas au Conseil d'Etat.

Déjà en droit interne, la distinction entre loi et règlement n'est plus absolue. Elle n'a donc plus aucun sens en droit communautaire dérivé. L'application de ce critère dans le cadre de la procédure prévue à l'article 88-4 conduit à des situations aberrantes : des textes aux répercussions importantes en droit interne ne sont pas transmis aux assemblées quand des documents sans intérêt le sont. "Le vide côtoie le trop-plein", comme l'a excellemment résumé la Délégation.

L'argument opposé par certains selon lequel les assemblées seraient submergées par des documents qu'elles devraient trier n'est pas recevable. En effet, la loi Josselin de 1990 prévoit déjà que tous les documents sont transmis à la Délégation, même si celle-ci ne peut se prononcer par la voie d'une résolution. Elle effectue donc nécessairement un premier tri.

La Délégation ne peut pas aujourd'hui suivre réellement l'ensemble des résolutions adoptées par le Parlement. Dès 1993, elle souhaitait que le Gouvernement lui fournisse des éléments d'information lui permettant d'apprécier comment les souhaits de l'Assemblée avaient été pris en compte dans la négociation et la décision finale. Or, cette information, loin d'être systématique, est même parfois très difficile à obtenir. Il importe donc d'inscrire dans la Constitution l'obligation pour le Gouvernement non pas de suivre les avis des assemblées mais de les tenir informées du sort qui leur a été réservé. Cette révision constitutionnelle est un préalable à la ratification du traité d'Amsterdam à laquelle je suis opposée pour les raisons que vient d'exposer mon collègue Julien Dray...

M. le Président - Veuillez conclure.

Mme Christine Boutin - Laissez-le parler ! Il dit des choses importantes.

M. Yann Galut - Je suis opposé à ce que la France délégue une part de sa souveraineté au profit d'organes technocratiques. Certes, la République peut céder certaines de ses attributions à des instances supra-nationales, à la condition toutefois que celles-ci soient démocratiques. Je comprends les réticences sur le rôle d'un Parlement européen souverain. De plus, la France n'est pas seule en Europe et une telle évolution prendra du temps. Mais pourquoi n'avoir pas saisi l'occasion de cette révision constitutionnelle pour renforcer le contrôle démocratique des instances européennes par notre Assemblée, d'autant que la CIG n'a pas renforcé les pouvoirs du Parlement européen, restés aussi ridicules qu'avant ?

Mme Christine Boutin - Très bien !

M. Yann Galut - C'est la démocratie qui s'en trouve affaiblie. Ce que les citoyens français auront perdu en pouvoir de décision et de contrôle en France, ils ne le retrouveront pas en Europe, en tant que citoyens européens. Voilà pourquoi je ne pourrai voter cette révision constitutionnelle.

M. Jacques Myard et Mme Christine Boutin - Très bien !

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Je répondrai en laissant de côté les propos excessifs ...

Mme Nicole Catala - Lesquels ?

Mme la Garde des Sceaux - ...et tenterai de répondre aux questions légitimes posées sur tous les bancs par les orateurs qui ont refusé de céder à la facilité de la démagogie. (Protestations de Mme Catala) Pourquoi vous sentiriez-vous visée, Madame Catala ? Je n'ai nommé personne.

Un très large consensus s'est dégagé sur le besoin d'Europe. Besoin d'Europe en matière de justice, de services publics, d'immigration, de sécurité, de lutte contre les discriminations. Béatrice Marre vient d'insister sur cet aspect trop souvent négligé, du traité d'Amsterdam qui reconnaît la légitimité d'une discrimination positive en faveur des femmes. J'ai une petite responsabilité dans la rédaction de cette clause qu'il m'a donc fait plaisir d'entendre évoquer. Besoin d'Europe donc pour mieux faire face aux défis de caractère transnational car il est vrai aussi que nous n'avons pas besoin de l'Europe pour tout. Si chacun reconnaît la nécessité pour les pays européens d'unir leurs efforts dans chacun de ces champs particuliers, pourquoi refuser un ensemble cohérent qui puisse vraiment avancer, notamment en prenant des décisions à la majorité qualifiée ?

Vous vous êtes presque tous enquis, et c'est légitime, du rôle du Parlement. Il nous faut rechercher un équilibre institutionnel satisfaisant entre Parlement et Gouvernement, qui ne dénature pas celui prévu par notre Constitution. Le Parlement n'a pas plus à abandonner l'Europe à l'exécutif qu'à se substituer à ce dernier sur le sujet en négociant à sa place ou en soumettant ses actes à autorisation préalable. Explorons plutôt les voies nouvelles d'un meilleur travail en commun. Il n'est d'ailleurs pas besoin pour cela d'alourdir inutilement la Constitution, M. Moscovici y reviendra.

Certains d'entre vous souhaiteraient qu'une nouvelle autorisation soit sollicitée dans cinq ans. Dois-je leur faire observer que si l'Europe, elle, se construit par étapes, un traité, lui, se ratifie d'un bloc et en une seule fois. Prenons appui sur le traité d'Amsterdam, insuffisant sur les aspects institutionnels, afin de mieux nous préparer à la prochaine étape de l'élargissement.

Mme Nicole Catala - On plonge dans le vide !

Mme la Garde des Sceaux - J'en viens au contrôle de constitutionnalité du droit communautaire dérivé, c'est-à-dire les directives et les règlements. Les directives, qui ne sont pas d'application directe, sont contrôlées par le Conseil constitutionnel, déjà compétent pour contrôler les lois de transposition, le Conseil d'Etat contrôlant les décrets afférents. S'agissant des règlements qui sont d'application directe, chaque Etat peut en contester la légalité devant la Cour de justice européenne...

Mme Nicole Catala - Ce n'est pas le problème.

Mme la Garde des Sceaux - Ecoutez mes réponses. Le débat le mérite. Je vous apporte des indications juridiques...

M. Jacques Myard - Inexactes !

Mme la Garde des Sceaux - Enfin, le droit dérivé ne fait qu'appliquer les traités qui, dans notre pays du moins, font l'objet d'un contrôle de constitutionnalité satisfaisant.

Si d'aventure chaque Etat membre s'arrogeait le droit à lui seul de contrôler la conformité d'un acte de droit dérivé, l'Union en serait paralysée. Peut-être est-ce ce que certains souhaitent (Protestations sur certains bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

N'ayons pas peur. La France est forte. Elle a plus de chances dans le cadre européen de faire prévaloir ses valeurs et le modèle de civilisation qu'il nous faut affirmer face à une mondialisation sauvage qui ne connaît que la loi de la jungle. Pour autant, l'Europe ne se mêlera pas de tout chez nous. Ne soyons donc pas frileux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Myard - Soyons aveugles !

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes - Ce débat aura été utile, permettant notamment de distinguer entre ceux qui refusent le traité d'Amsterdam parce qu'ils refusent l'Europe... (Vives protestations sur certains bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jacques Myard - Dictature de la pensée unique !

M. le Ministre délégué - ...et ceux qui souhaitent une réorientation de la construction européenne. Avec ceux-ci, nous pourrons travailler ; avec ceux-là, nous aurons plus de mal à concilier nos positions.

M. Jacques Myard - Vous n'avez pas le monopole de l'Europe !

M. le Ministre délégué - Nous allons ratifier le traité d'Amsterdam sans enthousiasme, sans état d'âme non plus, pour ce que ce texte contient et en tenant compte de ce qu'il ne contient pas. Je redis que le Gouvernement est prêt à introduire dans la loi de ratification un article 2 affirmant la nécessité d'une révision institutionnelle.

MM. André et Lellouche se sont plaints hier soir de la frilosité du Gouvernement par rapport au contrôle démocratique. Je veux leur rappeler que le projet de loi constitutionnelle a été adopté en conseil des ministres, en présence du Président de la République, et qu'il se conforme totalement à la décision du Conseil constitutionnel. Il était légitime que le Parlement s'empare ensuite de la question, ce qu'il fait avec pragmatisme, comme en témoigne l'amendement de M. Nallet, qui permet, Monsieur Fuchs, la transmission du programme annuel de la Commission.

Concernant un nouveau vote dans cinq ans sur la matière qui nous occupe aujourd'hui, je ne ferai pas une démonstration aussi implacable que celle de M. de Charette mais, comme lui, je pense que l'unanimité n'est pas la panacée et peut même nuire à la rigueur nécessaire. L'amendement prévoyant un tel vote est en contradiction avec la ratification elle-même.

A M. de Charette, je voudrais dire que le Parlement sera le moment venu associé à la décision, peut-être par une résolution au titre de l'article 88-4, puisqu'il s'agira d'une décision prise à l'unanimité du Conseil -et non d'un accord intergouvernemental qui exigerait ensuite une ratification.

A MM. Hage, Billard, Sarre et de Villiers, je voudrais dire qu'Amsterdam ne subordonne pas notre droit à un ordre juridique supranational...

M. Jacques Myard - Ah bon ?

M. le Ministre délégué - ...et qu'il faut se garder d'une frilosité qui conduit à un repli national. Je vous ai entendu, Monsieur Myard, citer Platon et je me suis alors demandé si, comme dans le mythe de la caverne, vous n'étiez pas un de ces hommes qui prennent les ombres pour la réalité. Sortez donc de cette caverne ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR) Je préfère pour ma part la référence au maréchal Lyautey qui disait que les guerres européennes étaient des guerres civiles.

M. de Villiers nous accuse de jeter la Constitution à la poubelle et réclame un référendum. Paraphrasant M. Chevènement qui a déclaré que le traité d'Amsterdam était trop nul pour être combattu -point de vue que je ne partage évidemment pas-, je dirais que le traité me paraît trop technique pour mériter un référendum. Ce fut d'ailleurs la position défendue par le Président de la République dès la conférence de presse qui a suivi la signature du traité. "La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce pour ses représentants et par la voie du référendum" dit l'article 3 de notre Constitution. En saisissant le Parlement comme nous le faisons, nous permettons donc bien à la souveraineté populaire de s'exprimer.

J'en termine en souhaitant que se développe un véritable espace public européen. M. Madelin a voulu ici critiquer l'initiative de Jacques Delors. Sans doute est-elle difficile à mettre en pratique mais elle va dans le sens souhaité.

On l'aura deviné, ma conception de l'Europe rejoint celle défendue par MM. Alain Barrau, Gérard Gouzes, Stéphane Alaize, Mme Béatrice Marre et Nicole Bricq. C'est une Europe qui soit capable de poursuivre son développement économique et social, c'est une Europe qui maîtrise son élargissement -lequel doit avoir une dimension spirituelle, comme le rappelait la semaine dernière à Prague le Premier ministre en citant Milan Kundera. Une Europe qui continue d'être fondée sur des politiques communes : c'est l'enjeu des discussions sur Agenda 2000. Une Europe démocratique et citoyenne -qui, donc, réforme ses institutions. Une Europe qui pense sa sécurité et sa défense : c'est l'un des enjeux du traité d'Amsterdam.

Cette Europe n'est sans doute pas exactement celle que dessine le traité d'Amsterdam. Mais son article 6 dit : l'Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des libertés fondamentales et des droits de l'homme, ainsi que de l'Etat de droit, principes qui sont communs aux Etats membres. Sur cette base-là, nous pouvons, je crois, bâtir l'Europe politique et sociale que nous appelons de nos voeux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Jacques Guillet une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91 alinéa 6 du Règlement.

M. Jean-Jacques Guillet - La discussion générale a révélé des inquiétudes, des espérances et surtout une grande insatisfaction, quelles que soient les familles politiques. Vous-même l'avez exprimée, Monsieur le ministre.

Insatisfaction tant à l'égard du Traité que du fonctionnement et de la finalité de l'Union européenne. Insatisfaction de nature diverse qui contraste de façon saisissante avec la quasi-unanimité qui s'apprête à se manifester en faveur du projet. Ce simple paradoxe justifierait à lui seul d'approfondir notre réflexion. Il y a assurément un lien entre le malaise que nous éprouvons et le mode de construction et de fonctionnement de l'Union européenne qu'on nous propose aujourd'hui de confirmer et d'amplifier.

Après bien des tergiversations, le voici enfin, ce projet de révision constitutionnelle qu'on s'obstine à nous présenter comme anodin !

Quelques mots supprimés, un alinéa ajouté, un seul article... C'est bien le service constitutionnel minimum qu'on nous propose, tellement minimum qu'on aurait préféré ne pas nous le servir ! Le Conseil constitutionnel, lui-même bien embarrassé, aurait certainement voulu nous éviter un tel tracas mais l'obstacle était d'une telle taille qu'il ne pouvait s'y soustraire. Cet obstacle, cet objet encombrant qui nous barre la route de l'avenir radieux promis n'est rien d'autre que notre souveraineté nationale, objet qui paraît peut-être bien archaïque et bien abstrait à certains d'entre vous mais qui est inséparable de notre démocratie. Oh ! bien sûr, depuis 1992, l'édifice est sérieusement lézardé. Est-il légitime pour autant de le raser ?

Faut-il à tout prix achever l'oeuvre immortelle commencée à Maastricht ou au contraire la rectifier pour repartir dans la bonne voie ? Voilà la question, qu'il serait utile de poser aux Français.

Six ans après, les beaux esprits trouvent quelque peu stérile de revenir sur le débat, hélas trop bref, qui eut lieu alors. Mais si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est bien justement à cause de ce débat qui mit en lumière le déficit démocratique dont souffrait la construction européenne et son fonctionnement. C'est lui qui révéla les dangers de la constitution d'un super-Etat technocratique. C'est lui et la prise de conscience collective qui en résulta qui sont à l'origine de la Conférence intergouvernementale, c'est-à-dire du processus qui aboutit, je devrais dire, s'agissant d'un port, qui échoua, à Amsterdam. Et c'est donc bien lui, je le répète, qui est à l'origine de notre séance d'aujourd'hui.

Amsterdam ne résolvant rien, bien au contraire, et les bases d'un super-Etat technocratique s'étant consolidées pendant les six dernières années, on comprend mieux la mauvaise conscience de nos dirigeants, qui ont tellement pris leur temps pour nous soumettre le traité que la France sera, peut-être, la dernière à le ratifier avec la Grèce, un an et demi après sa signature.

Pour Maastricht, la ratification avait pris six mois, référendum inclus, un an de plus aura été nécessaire pour Amsterdam, référendum exclu. Ce temps a-t-il été consacré à une ultime réflexion ? Nous le saurions, car celle-ci ne peut légitimement se faire hors du Parlement. A une information de nos compatriotes ? Nullement. A aucun moment ils n'ont été informés du contenu d'un traité qui est considéré comme bien trop compliqué pour leurs petites têtes.

Un si long délai est-il alors un effet pervers de la cohabitation que nous connaissons, hélas, depuis juin 1997 ? L'argument n'est guère recevable, puisque c'est le gouvernement d'aujourd'hui qui a signé ce qui avait été négocié par le gouvernement d'hier. Comme le rappelait M. Juppé, l'actuel Gouvernement aurait pu ne pas le faire s'il trouvait le traité si mauvais. Pendant sa campagne électorale, Lionel Jospin avait, il est vrai, émis de sérieuses réserves, comme d'ailleurs sur Maastricht, où il avait "non au non...". Il a suffi d'un modeste et hypocrite habillage sur l'emploi pour que, sitôt arrivé aux affaires, il se convertisse à son tour à cette nouvelle religion du salut qu'est l'Europe supranationale.

Rien ne justifie donc ce retard de la ratification d'un traité qu'on présente comme purement technique, sinon la mauvaise conscience des gouvernants, convaincus que l'Europe ne peut se faire qu'à l'insu des peuples, mais inquiets de la valeur de la légitimité qu'ils détiennent pour enlever à ceux-ci leur souveraineté en catimini.

Nous pourrons toujours tenter de placer des obstacles, à effet immédiat ou à effet retard. Allons ! Nous le savons bien : une fois le projet adopté, la messe sera dite. La mécanique qui est en marche ne s'arrête pas par des coups de semonce ou des balles à blanc. Si le traité d'Amsterdam a un avantage, c'est bien de clarifier la situation, d'éclairer les derniers sceptiques sur la réalité de cet engrenage implacable. Que l'on ne nous berce pas avec des déclarations hypocrites sur l'Europe des Etats, l'Europe des nations, la fidélité à la vision du général de Gaulle, pour mieux habiller la construction à marche forcée d'un super-Etat supranational qu'il rejetait au nom d'un principe simple : celui des réalités que sont les peuples, les nations. Oui, une fois le traité ratifié, nous pourrons toujours contrôler, gronder, tempêter. Les mécanismes posés seront là pour nous interdire tout retour en arrière.

On le sait déjà quant au mécanisme économique. La souveraineté, hors de tout contrôle démocratique, de la Banque Centrale, reconnue par le parlement européen, et l'adoption du pacte de stabilité, au mépris de toute ratification par les parlements nationaux, marquent la fin de toute politique économique nationale. La pérennisation des critères de convergence, les sanctions à l'égard de pays qui ne les respecteraient pas, qui peuvent atteindre 40 milliards pour la France, conduisent en cas de récession, à un système particulièrement dévastateur, pour la gestion d'une crise éventuelle d'abord, pour la cohésion de l'Europe ensuite. Comme le souligne à sa façon primesautière Alain Minc, peu suspect d'antieuropéisme : "Quand on verra que le chômage ne baisse pas, quand on verra que la Banque Centrale relèvera ses taux d'intérêts, le degré de contestation risque d'être plus fort qu'il ne l'a été... Les gouvernements nationaux trinqueront pour des responsabilités qu'ils n'exerceront plus. On ira d'alternance en alternance, ce qui ne changera pas la face du monde", ajoute-t-il lucidement.

Cette résignation à la disparition des mécanismes démocratiques au nom d'un prétendu sens de l'histoire, qui transforme l'Europe en idéologie et non plus en moyen, se manifeste encore plus nettement dans le traité d'Amsterdam, sur le plan des institutions communautaires, qu'on était censé rapprocher des citoyens. Au lieu de stopper leur dérive vers un super-Etat centralisé et sans légitimité démocratique, on l'accentue.

Tout d'abord, les pouvoirs sont dessaisis de leur compétence matérielle. Ce phénomène s'est produit presque incidemment. Au départ, personne ne doutait que la communauté n'eût qu'une compétence d'attribution, c'est-à-dire que les prérogatives qui lui étaient conférées par les traités restaient dans la souveraineté de l'Etat. Aujourd'hui, vous pouvez entendre un langage tout à fait différent dans les enceintes bruxelloises. Si quelqu'un ose dire d'un sujet qu'il n'entre pas dans les compétences de la Communauté, on lui demande de le démontrer... Le développement des politiques communes a motivé un rapprochement des législations dans tous les domaines. Aujourd'hui, le champ de la réglementation européenne est infiniment plus vaste que celui de la législation d'un Etat fédéral comme les Etats-Unis, où les Etats fédérés ont conservé une compétence législative beaucoup plus large que celle qui reste aux Etats membres de la Communauté européenne.

Dans sa décision, cause du présent débat, le Conseil constitutionnel a tenté de jeter le manteau de Noé sur une partie non négligeable de la nudité du traité. D'autres sujets sont autrement plus graves que les dispositions relatives au contrôle des frontières extérieures et à l'immigration. Le protocole sur la subsidiarité...

M. Jacques Myard - Protocole stalinien !

M. Jean-Jacques Guillet - ...fait dire à celle-ci le contraire de ce qu'elle signifie. La clause anti-exclusion réserve à la Commission le droit d'intervenir dans tous les domaines qu'elle jugera utile, lui confiant ainsi un droit d'ingérence permanent. Comment cette évolution n'aurait-elle pas de conséquences sur le fonctionnement de notre République ? Quant au passage de l'unanimité à la majorité, il retire évidemment aux Etats membres leur droit de veto. Que devient alors le compromis du Luxembourg ? Vous avez en vain tenté de nous rassurer sur ce point, Monsieur le ministre.

Par ailleurs, le Parlement se voit dessaisi d'une partie de ses pouvoirs, que les institutions européennes s'approprient. Si les Etats participent à l'élaboration des règlements définitifs, ce sont les gouvernants qui interviennent pour la conclusion de ces actes, non le Parlement. Certes, depuis 1992, et c'est heureux, l'article 88-4 prévoit une procédure d'examen préalable des projets communautaires touchant le domaine législatif, ce qui a accru le rôle des délégations parlementaires.

Mais combien de fois doivent-elles constater que le pouvoir législatif, que nous détenons par l'élection, est contourné et bafoué ! Un exemple parmi d'autres. Le ministère des finances avait un jour proposé une disposition fiscale que l'Assemblée nationale s'obstinait à refuser. Peu après, on retrouvait cette disposition dans une directive européenne sur la TVA. Le fonctionnaire du service de la législation fiscale à l'origine de cette disposition avait trouvé ce moyen élégant de la faire passer. Elle fut donc reprise dans un projet de loi dont le vote était présenté comme nécessaire, puisqu'il résultait d'une directive européenne. En vérité, si nous ne voulions pas que la souveraineté populaire soit dessaisie, les délégations devraient être sollicitées en amont pour donner des instructions au Gouvernement avant qu'il ne donne son accord pour les projets en discussion. Mais alors nous sortirions du cadre de la Vème République. Ce seul exemple montre l'incompatibilité entre le mécanisme des actuelles institutions européennes et le respect du vote populaire.

Les pouvoirs nationaux, dessaisis, sont de plus subordonnés. Dans la mesure où ils conservent un pouvoir de décision, on va limiter leur liberté et les soumettre à des autorités supérieures. Le protocole sur la subsidiarité comporte ainsi une disposition tout à fait monstrueuse.

Jusqu'à maintenant, la jurisprudence de notre Conseil constitutionnel a été très nette : les traités ont une autorité supérieure à celle des lois internes, cela vaut pour la loi ordinaire, non pour la Constitution. Celle-ci a une force supérieure à celle des traités, ce qui est dans la nature des choses. En effet, de quelle norme de droit les autorités tiennent-elles leur pouvoir d'engager la France et l'Etat dans les traités, sinon de la Constitution ? Mais la Cour de justice de la Communauté a affirmé le contraire. Or, dans le protocole sur la subsidiarité figure une phrase qui impose clairement aux Etats d'accepter les formules de la Cour de justice. On lit en effet dans son paragraphe 2 que l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité "ne porte pas atteinte aux principes mis au point par la Cour de justice en ce qui concerne la relation entre le droit national et le droit communautaire". Cette jurisprudence de la Cour a été définie par un arrêt du 17 décembre 1970 que nous avons toujours refusé, l'arrêt "Internationale Handelsgesellschaft". Je le cite : "L'invocation d'une atteinte aux droits fondamentaux ou aux principes d'une structure constitutionnelle nationale ne saurait affecter la validité d'un acte de la Communauté et son effet sur le territoire d'un Etat membre".

MM. Jacques Myard et Philippe de Villiers - Incroyable !

M. Jean-Jacques Guillet - Si l'on adopte cette disposition, on renonce à l'idée que la Constitution est supérieure au traité. On admet que le droit communautaire est supérieur à la Constitution nationale et ceci ne concerne pas seulement le droit des traités, mais également le droit constitutionnel dérivé contenu dans les règlements et les directives.

Quant au pouvoir législatif, il semble rester quelques pouvoirs aux parlements nationaux, dans la mesure où les institutions européennes n'interviennent que par voie de directives. Or celles-ci, d'après la lettre initiale du traité de Rome, sont relatives aux objectifs à atteindre et laissent aux Etats membres le choix des voies et moyens. Mais à présent, les directives entrent dans les plus infimes détails, si bien que la part de liberté qui nous est laissée est extrêmement faible. Le travail législatif se réduit à appeler loi ce qui était précédemment contenu dans une directive. Ce n'est pas cela qui comblera la fracture entre l'opinion et la classe politique. Ce travail n'a guère d'intérêt, d'autant que la Cour de justice s'est mise à reconnaître certains effets directs aux directives avant même leur transcription dans le droit interne des Etats.

Quant au pouvoir exécutif, ses marges de manoeuvre seront singulièrement réduites. Si les décisions en matière de politique extérieure sont prises par les institutions communautaires, on peut douter, étant donné la révérence de la majorité des Etats membres à l'égard des Etats-Unis, que des positions différentes des leurs puissent jamais être adoptées ; la France perdra le rôle de médiatrice, voire d'actrice, qu'elle sait encore parfois exercer -comme elle l'a montré deux fois depuis 1995- et que le monde attend d'elle.

De même, en matière judiciaire, le pouvoir d'interprétation de la Cour de justice astreint les autorités judiciaires suprêmes à faire de ces questions d'interprétation des questions préjudicielles devant le Conseil d'Etat et devant la Cour de cassation. Cette jurisprudence va jusqu'à l'obligation pour les Etats membres de reconnaître à tout juge, où qu'il soit dans la hiérarchie judiciaire, la possibilité d'écarter une règle juridique qui ne serait pas en conformité avec la règle de droit communautaire. Or une jurisprudence n'est supportable, lorsqu'elle émane de magistrats qui sont des technocrates, que s'il existe parallèlement un législateur qui a le pouvoir de briser cette jurisprudence quand elle lui paraît inopportune. Cela est possible en France. Si le Conseil d'Etat rend en matière fiscale une décision qui déplaît au ministère des finances, il est rare que l'on ne trouve pas, dans la première loi de finances, un article qui brise cette jurisprudence. Mais cela n'est pas possible sur le plan européen.

Des pouvoirs nationaux dessaisis, subordonnés, mais aussi, désormais, contrôlés. Les Etats pourront en effet être reconnus coupables et sanctionnés : l'article 7 stipule qu'un Etat qui manquera à l'un des principes de l'état de droit pourra être privé des prérogatives qu'il tient du traité, tout en restant tenu d'observer les obligations qui en résultent. Qui sera juge de ces manquements ? Comment les apprécier ? Seul l'avenir nous le dira.

Nous devions rénover les institutions et combler le déficit démocratique ; nous aurons une Commission renforcée, véritable exécutif de l'Union européenne.

Mme Nicole Catala - Hélas !

M. Jacques Myard - C'est la dictature de la Commission !

M. Jean-Jacques Guillet - Nous aurons une Cour de justice omnicompétente, qui appliquera souverainement sa jurisprudence supranationale. Nous aurons une banque centrale indépendante, qui déterminera notre politique économique et ne laissera aux Etats, comme l'a souligné M. Dray, que le social comme variable d'ajustement. Et l'on voudrait nous faire croire qu'il ne s'agit là que d'aménagements techniques !

Où est l'Europe des citoyens qu'on nous avait promise ? Quelle démocratie peut, en vérité, sortir d'un système a-démocratique par nature ? A-démocratique, parce que la nation européenne n'existe pas et ne peut sortir tout armée d'un magma de directives, de règlements et d'arrêtés. Elle est une utopie, la dernière de ce siècle fertile en utopies tragiques. Jean Monnet ne confiait-il pas à François Michelin : "L'Europe sera socialiste, parce qu'elle sera fondée sur le règlement" ? La démocratie est impensable sans la nation, ainsi que l'écrivait le général de Gaulle : "La démocratie, pour moi, se confond exactement avec la souveraineté nationale." La démocratie doit en effet reposer sur un sentiment d'appartenance communautaire assez solide pour que la minorité accepte la loi de la majorité.

La mécanique est sans retour, à moins que les nations, un moment étouffés par le carcan technocratique qu'on leur impose, ne se révoltent - et là est bien le plus grand danger pour l'unité de l'Europe. Croit-on que les peuples demeureront éternellement muets face à des contraintes dont ils ne pourront se dégager par la voie du suffrage ? Les nations ne sont pas devenues des coquilles vides, contrairement à ce qu'affirmait, en septembre 1994, le très officiel mémorandum allemand, préparatoire à la conférence intergouvernementale.

M. Alain Barrau - C'était un mémorandum de la CDU !

M. Jean-Jacques Guillet - Si le général de Gaulle s'opposait vigoureusement à l'idée d'une Europe supranationale, ce n'était pas au nom d'une mystique archaïque, mais bien au nom des réalités : si l'on veut que les nations s'unissent, il ne faut pas chercher à les intégrer, disait-il, "comme les marrons dans une purée de marrons". Il devait développer, au soir de sa vie, dans ses Mémoires d'espoir, sa conception de l'Europe : "Pour moi, j'ai de tout temps, mais aujourd'hui plus que jamais, ressenti ce qu'ont en commun les nations qui la peuplent. Il est conforme à leur nature qu'elles en viennent à former un tout, ayant, au milieu du monde, son caractère et son organisation. C'est en vertu de cette destination de l'Europe qu'y régnèrent les empereurs romains, que Charlemagne, Charles Quint, Napoléon tentèrent de la rassembler, que Hitler prétendit lui imposer son écrasante domination. Comment, pourtant, ne pas observer qu'aucun de ces fédérateurs n'obtint des pays soumis qu'ils renoncent à eux-mêmes ? Au contraire, l'arbitraire centralisation provoqua toujours, par choc en retour, la virulence des nationalités. Je crois donc qu'à présent, non plus qu'à d'autres époques, l'union de l'Europe ne saurait être la fusion des peuples, mais qu'elle peut et doit résulter de leur systématique rapprochement... Je souhaite l'Europe, mais l'Europe des réalités, c'est-à-dire celle des nations, et des Etats qui peuvent répondre des nations."

Mme Nicole Catala - Quel beau texte !

M. Jean-Jacques Guillet - Il y a deux façons de concevoir l'union de l'Europe : la synergie, qui repose sur la vision du général de Gaulle et qui donne Airbus ou Ariane, et le syncrétisme, qui rend inévitable le dessaisissement des Etats par une oligarchie. Il y a aussi deux méthodes : celle qui repose sur la volonté consciente et exprimée des peuples, et l'autre, subreptice, qui se méfie d'eux et procède par paliers économiques, pratiques, prétendument techniques, pour mieux dissimuler le but final. Ce n'est pas par hasard qu'on a gommé, dans le traité de Maastricht, à la demande de François Mitterrand, le terme "Europe fédérale" !

La France s'est-elle éloignée de la vision et de la méthode du général de Gaulle ? Cela ne fait aucun doute, si l'on mesure le chemin parcouru depuis 1992. Le sentiment de ne pouvoir empêcher le processus en cours sans "briser l'espérance européenne" - comme l'écrivait la presse parisienne lorsque le Général pratiquait la politique de la chaise vide - s'est généralisé parmi nos élites politiques et économiques. La capacité de dire non s'est évanouie, au point qu'on imagine mal la France adopter aujourd'hui une attitude comparable à celle qu'elle a eue en 1965, et qui aboutit au compromis de Luxembourg.

M. Jacques Myard - Ils volent au secours de la Commission !

M. Jean-Jacques Guillet - Rien n'empêche pourtant de reprendre la méthode gaullienne. Elle est même nécessaire si l'on veut sortir de la confusion actuelle, si bien symbolisée par la juxtaposition des drapeaux dans les cérémonies officielles. Elle est nécessaire si l'on veut atteindre le but que s'est officiellement fixé la France : l'Europe des Etats.

Quand bien même il serait d'importance mineure, ce qui n'est pas le cas, il y a transfert de souveraineté dans le traité d'Amsterdam. Nous ne détenons pas le droit légitime d'y procéder sans que le peuple français, seul détenteur de la souveraineté, n'ait manifesté expressément une telle volonté. Jamais, dans l'histoire républicaine, un transfert de souveraineté ne s'est accompli sans que le peuple dise son mot. Il est trop facile, trop commode d'affirmer que le traité est sans conséquence. Laissons les Français en juger librement : qu'ils disent oui ou qu'ils disent non, mais qu'ils s'expriment !

En 1945, lorsqu'il s'est agi de rétablir la République sur des bases nouvelles, le général de Gaulle a consulté les Français. Après son départ, les partis, liés par la loi adoptée par référendum, n'ont pu éviter de les consulter derechef par deux fois pour adopter la Constitution de 1946. C'est aussi pour restaurer la souveraineté populaire, occultée par le système de la IVe République, que le Général a fait adopter par référendum la Constitution de 1958. A chaque fois que l'exercice ou le champ de la souveraineté nationale a été en cause, un référendum a eu lieu : sur l'Algérie par deux fois, sur l'Europe par deux fois aussi, et même sur la Nouvelle-Calédonie en 1988. Et l'on voudrait aujourd'hui que les Français soient écartés du débat !

Le sujet serait, paraît-il, trop technique, et le texte du traité trop compliqué. Celui de Maastricht ne l'était pas moins, et l'on ne fera croire à personne que la seule question posée en 1992 était celle de l'union économique et monétaire : elle a même été largement occultée à l'époque, la plupart des responsables politiques confessant en public qu'elle demeurerait à l'état de voeu pieux. On nous a dit ensuite qu'il serait dangereux de rouvrir le débat sur l'Europe, le risque étant que le peuple réponde à côté de la question, bref : qu'il réponde par la négative.

M. Jacques Myard - Ils ont peur du peuple !

M. Jean-Jacques Guillet - Si la cause est juste, elle ne doit pas craindre le suffrage populaire, et c'est une bien curieuse conception de la démocratie que de refuser le débat. Quand bien même, au reste, le peuple français dirait non, l'Europe n'en sortirait pas pourtant brisée, ni la France isolée : au contraire, elle pourrait mieux manifester sa volonté politique d'une Europe des Etats.

On nous dit enfin, ultima ratio, que la décision de recourir au référendum est du seul ressort du président de la République. Argument spécieux : l'article 89 privilégie la voie du référendum, qui fait l'objet du deuxième alinéa, quand le Congrès n'est mentionné qu'au troisième. De plus, et surtout, le président de la République n'est pas seul en cause : rien n'empêche le Gouvernement de lui proposer de mettre en oeuvre l'article 11, sauf à faire sienne la thèse de la "forfaiture" défendue en 1962 et à faire définitivement triompher la pratique mitterrandienne des institutions sur la pratique gaulliste.

Refuser, dans un cas aussi flagrant de transfert de souveraineté, le recours au référendum, c'est admettre le retour au système des partis, ces partis qui recherchent de conserve l'oreiller sous lequel ils pourront étouffer l'affaire avant que le peuple ne s'en aperçoive. Pourquoi s'être déplacé à Versailles en août 1995 pour élargir le champ du référendum, si c'est pour s'apercevoir, trois ans après, qu'il est tombé en désuétude ?

Il est vrai que nombre d'articles de notre Constitution semblent, sous l'effet conjugué de notre vie politique interne et de la mécanique supranationale, devenus caducs -j'en ai fait une liste que je tiens à votre disposition. Vous auriez dû, Madame la Garde des Sceaux, aller plus loin dans la démarche de révision si vous aviez voulu adapter le droit constitutionnel à nos moeurs politiques. Mais on préfère, là encore, avancer avec prudence pour ne pas dévoiler le pot aux roses.

La République, c'est le fruit de la volonté. Il n'y a pas de République s'il n'y a pas de républicains. Présentant la nouvelle Constitution, le 4 septembre 1958, le général de Gaulle s'écriait en conclusion, après avoir appelé les Français à voter oui : "Si vous le faites, le résultat sera de rendre la République forte et efficace, pour peu que les responsables sachent, désormais, le vouloir".

La France a toujours été confrontée à des écueils, et le moindre de ceux-ci n'est pas le comportement de ses élites, leur conformisme. Au XVIIème siècle, elles étaient du côté des Modernes contre les Anciens. Aujourd'hui, elles épousent volontiers le discours sur la fin des nations, se refusant à voir qu'une autre Europe peut être construite si nous le voulons.

Il y a en politique deux attitudes : celle de résignation et du renoncement ; celle de l'honneur et de la volonté. Le général de Gaulle nous a rappelé, un jour de juin 1940, que nous pouvions trouver au fond de nous-mêmes la flamme de la Résistance et les raisons de l'espérance.

Cette alternative gouverne notre vie politique depuis la Libération. C'est celle qui est aujourd'hui présente dans nos esprits, sinon dans nos débats. J'espère que nous serons, en renvoyant ce projet en commission, nombreux à accorder nos actes et nos pensées (Nombreux applaudissements sur les bancs du groupe du RPR ; applaudissements de Mme Boutin et de M. de Villiers).

M. René André - Je salue la conviction et la talent de M. Guillet. Comme lui, nous sommes attachés à conserver la démocratie, la République et la nation au sein de la construction européenne. Comme lui, nous voulons que les citoyens soient associés à la construction de l'Europe. Comme lui nous ne voulons pas des Etats-Unis d'Europe, mais l'Europe unie des nations. Comme lui, nous sommes exaspérés par certains comportements de la technocratie bruxelloise. Mais nous savons aussi que dire non ne fut jamais une fin en soi pour le général de Gaulle, qu'après le non il y eut une action patiente et méthodique. Cette action, nous entendons la mener, c'est pourquoi nous ne voterons pas le renvoi en commission.

M. Philippe de Villiers - Quel parjure pitoyable ! Et le grand discours de Séguin, qu'en reste-t-il ?

Mme Nicole Ameline - Nous ne voterons pas cette motion de renvoi. La querelle entre souverainistes et fusionnistes est aujourd'hui dépassée. La souveraineté nationale est certes imprescriptible, mais rien n'empêche de déléguer souverainement certaines prérogatives. Reste qu'il faut adapter nos institutions nationales aux réalités européennes, en prenant le principe de subsidiarité comme base, ainsi que l'a dit Alain Madelin. Nous avons la volonté d'ouvrir ce chantier, et nous voterons contre la motion (Applaudissements sur les bancs du groupe DL).

M. Alain Barrau - Quel réquisitoire contre le Président de la République !

M. Jacques Myard - Qui a signé ?

M. Alain Barrau - Vous avez décalqué la déclaration de M. Séguin en 1992, mais la situation a changé, M. Séguin est aujourd'hui président du RPR et il prend une autre position tandis que M. Guillet, porte-parole de M. Pasqua, prépare une liste pour les élections européennes qui aura au moins le mérite de prendre quelques voix au Front national (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). Mais il n'a rien dit qui puisse justifier un renvoi en commission, alors que le débat général a eu lieu. Vous évoquez une Cour de justice qui existe depuis le Traité de Rome et construit sa jurisprudence depuis 1970. Vous avez répété avec force des arguments du débat sur Maastricht.

Mme Nicole Catala - Ils sont éternels !

M. Alain Barrau - Mais vous n'avez pas justifié le renvoi en commission. Au nom de la capacité de la France à impulser une politique en Europe et dans le monde, je vous demande de repousser la motion de renvoi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Yves Bur - La construction européenne n'a jamais été un long fleuve tranquille, il y a eu des progrès et des difficultés. Mais si nous sommes nombreux à regretter l'insuffisance de la démocratie en Europe, nous ne croyons pas opportun de recourir au référendum. Ce serait aller à l'encontre de la revalorisation du rôle du Parlement que nous défendrons tout à l'heure dans nos amendements. Il faut développer le pouvoir de notre Parlement comme ceux du Parlement européen, renforcer la présence et l'efficacité des parlementaires français dans celui-ci, mieux associer les citoyens au système de décision. Mais l'heure n'est pas au repli ou à la nostalgie : la France n'est plus en mesure d'imposer seule ses vues dans un monde globalisé. L'aventure européenne sera encore, au siècle prochain, un grand dessein, et l'UDF continuera à se battre pour l'Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Michel - La motion de renvoi a permis à M. Guillet de dire certaines choses intéressantes. Elle a permis aussi de montrer que, s'il existe encore des députés gaullistes, il n'y a plus de parti gaulliste (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). En tout cas, il n'a rien dit qui justifie un renvoi en commission, et le RCV ne votera pas sa motion -certains de ses membres parce qu'ils voteront le Traité et ne veulent pas perdre de temps, d'autres parce qu'ils souhaitent un référendum et ne veulent pas non plus perdre de temps : il faut que le Président de la République puisse dès que possible convoquer le peuple et organiser le référendum indispensable.

M. Jean-Claude Lefort - Soucieux de voter au plus vite contre la modification constitutionnelle, nous voterons contre la motion de renvoi en commission ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe du RPR)

M. le Ministre délégué - Nous nous sommes déjà largement expliqués.

Monsieur Guillet, vous vous obstinez à parler du traité d'Amsterdam pour ce qu'il n'est pas, et non pour ce qu'il est. Non, il ne signifie pas la fin de notre Constitution, ni l'abandon de notre souveraineté. Il s'agit, comme l'a indiqué Mme la Garde des Sceaux, de décider de transferts de compétences acceptés par la France au cours de la négociation. Le traité d'Amsterdam complète et corrige celui de Maastricht, sur l'emploi, dans le domaine social, en matière de services publics, de droits fondamentaux de la personne... Il introduit aussi des dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité et au troisième pilier.

Au cours d'une démonstration juridique complexe, parfois confuse, vous avez exprimé en fait une obsession : seule la nation peut faire le bien de la France et des Français (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, interruptions de Mme Boutin et M. de Villiers).

Dans votre démonstration, vous remontez à la Constitution de 1958, mettant en cause son article 55 selon lequel les traités ont une autorité supérieure à celle des lois. En réalité, vous refusez la démarche européenne depuis le traité de Rome ! (Mêmes mouvements)

Non, le traité d'Amsterdam, pas plus que l'Union européenne, ne sont une construction faite par les élites pour les élites.

Un sondage réalisé par mon ministère...

M. Philippe de Villiers - Payé par qui ?

M. le Ministre délégué - ...montre que 77 % des Français estiment que la construction européenne, telle qu'elle est, est une bonne chose pour eux.

A plus de 70 %, ils considèrent qu'elle est la bonne réponse à la mondialisation.

M. Michel Bouvard - Alors donnez leur la parole !

M. le Ministre délégué - C'est l'Union européenne qui à leurs yeux fait la force. Non, Amsterdam n'est pas synonyme de super-Etat technocratique. (Interruptions et bruits) Le débat n'est plus entre "fusionnistes" et "souverainnetistes". Qui peut ignorer que la construction européenne est une démarche originale, qu'elle comporte des éléments fédéraux, des éléments confédéraux, et beaucoup d'intergouvernemental ?

Non, Monsieur Guillet, depuis 1965 la France n'a pas fondamentalement changé de doctrine par rapport à l'OTAN. Oui, le compromis de Luxembourg est un code de bonne conduite, mais qu'il ne faut pas utiliser à tout bout de champ. La France n'a pas besoin d'y recourir pour se faire entendre, comme elle l'a montré dans la négociation sur l'AMI.

M. Philippe de Villiers - Vous avez peur du peuple !

M. le Ministre délégué - Depuis 1958, chaque référendum a porté sur une question claire, appelant une réponse par oui ou par non. C'était encore le cas pour Maastricht. L'argument de la technicité du traité d'Amsterdam a été avancé, je le rappelle, par le Président de la République lui-même. Enfin, votre lecture de l'article 11 de la Constitution est vraiment curieuse, surtout de la part d'un soi-disant héritier de la vraie foi gaulliste. C'est la première fois que j'entends dire que cet article pourrait être mis en oeuvre à l'initiative du gouvernement, surtout en période de cohabitation.

C'est contraire à l'esprit de nos institutions (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, interruptions de Mme Boutin et de M. de Villiers).

Dois-je entendre votre discours comme un réquisitoire contre le Président de la République ?

M. Jacques Myard - L'article 11 dit : "sur proposition du Gouvernement"...

M. le Ministre délégué - Dans quel monde vivez-vous donc ? (Mêmes mouvements) Dans le monde d'hier, assurément, mais un monde d'hier qui n'a ni le charme ni la mélancolie de celui de Stefan Zweig. Apprenons à ne pas dire toujours non. Sachons dire oui, pour avancer dans la construction européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Sur la motion de renvoi en commission, je suis saisi par le groupe UDF d'une demande de scrutin public.

A la majorité de 162 voix contre 10 sur 172 votants et 172 suffrages exprimés, la motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 30.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


© Assemblée nationale