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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 52ème jour de séance, 131ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 19 JANVIER 1999

PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1

    KOSOVO 1

    VIOLENCE URBAINE 2

    KOSOVO 3

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT (suite) 4

    CONTRAT FRANCO-ALLEMAND DE RETRAITEMENT DES DÉCHETS NUCLÉAIRES 4

    VIOLENCES À GIVORS 4

    KOSOVO 5

    35 HEURES 6

    DÉROULEMENT DES EXAMENS EN MARTINIQUE 7

    RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL 7

    POLITIQUE DE LA MONTAGNE 8

    LUTTE CONTRE LA DÉLINQUANCE 9

    STATISTIQUES DE LA DÉLINQUANCE 10

AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE 10

    EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 26

La séance est ouverte à quinze heures.


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

KOSOVO

M. François Asensi - Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. Les massacres perpétrés ces derniers jours par les forces serbes au Kosovo ont provoqué l'indignation de la communauté internationale mais aussi révélé son impuissance. Comment ne pas rapprocher ces atrocités de certaines barbaries commises pendant la Seconde guerre mondiale ? Le conflit dure depuis mars 1988 entre l'Armée de libération du Kosovo et les forces serbes sous les ordres de Milosevic, partisan de l'épuration ethnique. L'OSCE a fait de nombreuses tentatives de conciliation. Ses vérificateurs, chargés de faire respecter le cessez-le-feu, ont apaisé provisoirement le conflit.

La paix et la démocratie dans l'ex-Yougoslavie sont l'affaire des peuples d'Europe face à la montée des nationalismes chauvins. La nouvelle offensive serbe réduit à néant les espoirs de paix, alors que l'Armée de libération du Kosovo s'apprêtait à engager les négociations sur un statut d'autonomie supprimé par l'annexion brutale.

Hier, on a refusé au procureur du tribunal pénal international de La Haye l'accès au lieu des massacres. La paix au Kosovo est un défi pour l'Union européenne qui doit tout faire, avec l'OSCE, pour trouver une solution politique au conflit. Quelles nouvelles initiatives la France compte-t-elle proposer à ses partenaires européens pour punir les responsables des massacres et contraindre les dirigeants serbes à relancer le processus de paix ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur certains bancs du groupe socialiste)

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes - Nous sommes tous sur le coup de l'immense émotion provoquée par le massacre de 45 civils par la police serbe à Racak le 16 janvier. La communauté internationale l'a vivement condamné. La France a exprimé sa révolte et son dégoût et le Premier ministre a dénoncé cette barbarie.

Les responsables de ces massacres doivent savoir qu'ils n'échapperont pas à la justice et que le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a bien compétence au Kosovo comme le confirment plusieurs résolutions de l'ONU dont la résolution 1207. Il est impératif que les autorités de Belgrade se conforment à ces résolutions. Mme Arbour doit pouvoir enquêter.

La France est très impliquée dans la gestion de la crise. M. Keller est l'adjoint de M. Walker à la mission de l'OSCE, et le général Valentin dirige les forces de sécurisation de l'OTAN en Macédoine. Depuis plusieurs semaines nous avons tenté activement de relancer le processus politique. Les événements récents sont un défi pour la communauté internationale et la stratégie qu'elle a menée. Nous ne pouvons rester sans réagir face aux menaces de guerre. Il faut faire pression sur les deux parties, les autorités de Belgrade et l'UCK pour qu'elles engagent la négociation. Dès demain des discussions s'ouvriront dans l'Union européenne et à la fin de la semaine au groupe de contact. Nous avons toujours insisté pour une solution politique. La France fera tout en ce sens (quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

VIOLENCE URBAINE

M. Dominique Baudis - Ma question s'adresse à M. le ministre de l'Intérieur. A Toulouse et ailleurs, certains quartiers vivent dans un climat de violence intolérable. Quelques groupes dangereux tiennent la population et les agents des services publics, auxquels je rends hommage, dans la peur et sous la menace permanente. Les habitants disposent certes d'équipements, de bons transports mais ce qu'ils me demandent de vous dire, c'est qu'ils veulent avant tout vivre en paix et en sécurité. Or la violence est quotidienne, entretenue par quelques dizaines de délinquants connus de la population, de la police et de la justice.

Selon la présidente du tribunal pour enfants de Toulouse, on n'a plus affaire à de la délinquance juvénile mais à un problème de mafia. Quelques familles entendent bien que les policiers, les pompiers, les médecins n'interviennent plus dans leur quartier et tout le monde les connaît. Des organisations professionnelles et syndicales de policiers ont exprimé leur volonté de faire respecter la loi, y compris de nuit. Pour cela, ils demandent des effectifs et des moyens appropriés, ils attendent des ordres clairs. Allez-vous fournir ces moyens et donner ces ordres ? Il y a urgence (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. le Président - La parole est à M. le ministre de l'intérieur auquel nous souhaitons un bon retour parmi nous (Mmes et MM. les députés socialistes, communistes, RCV, UDF se lèvent. Tous les députés applaudissent).

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Je suis très sensible à votre accueil.

La situation à Toulouse n'a pas échappé au Gouvernement. Ni à Toulouse ni ailleurs les zones de non-droit ne seront tolérées. Il y a quelques mois nous avons remporté des succès grâce à une coopération sérieuse entre les Renseignements généraux et la Sécurité publique pour démanteler des réseaux de trafiquants de drogue. Les choses ont dérapé fin novembre et en décembre. Aujourd'hui, le problème est de nouveau posé. Surtout, il faut éviter l'amalgame entre les jeunes et les délinquants, souvent multirécidivistes, qui vivent de petits trafics et pourrissent la vie des quartiers (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe UDF). Il faut donc bien distinguer les jeunes et ces gens envers lesquels doit s'exercer la fermeté républicaine pour éviter les dérives vers une société de ghetto et donc de répression accrue (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe UDF).

M. Pierre Lellouche - Parlez-en à Mme Guigou !

M. le Ministre - Le Gouvernement se prépare à prendre des dispositions après le conseil de sécurité intérieure du 27 janvier. J'ai déjà donné des directives et j'ai pris contact avec mes collègues de l'Economie, de la Justice et de l'Emploi pour mener plus activement la lutte contre les petits caïds, y compris par des procédures fiscales en tenant compte des signes extérieurs de richesse (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe UDF). Il faut parvenir à les écarter par une coopération poussée. Le Gouvernement s'y emploiera dans les jours qui viennent (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe DL).

KOSOVO

M. Arthur Paecht - Ma question s'adresse à M. le Premier ministre et, sur un sujet aussi grave que la situation au Kosovo, n'est ni polémique ni critique. Nous venons de nous donner, à Versailles, la possibilité de faire évoluer dans le bon sens la construction européenne, y compris sur le plan politique et celui de la défense. Or, sur nos écrans sont projetées des images atroces d'un conflit, prélude à d'autres peut-être, dans une partie de l'Europe qui est à une heure et demie de vol de chez nous. Des hommes, des femmes, des enfants sont exécutés d'une balle dans la nuque, leurs corps exposés pour inspirer la terreur, ce qui nous rappelle à tous -et à moi personnellement- des souvenirs douloureux.

Tous nos dirigeants ont trouvé les mots justes pour flétrir les responsables. Mais à défaut d'une capacité politique et militaire européenne, nous ne pouvions que nous tourner vers l'Alliance atlantique.

Celle-ci, après beaucoup de tergiversations, a décidé d'envoyer à Belgrade deux hauts responsables militaires pour négocier avec le Président Milosevic.

Mais peut-on, doit-on encore négocier avec celui qui a supprimé le statut d'autonomie du Kosovo, qui expulse le représentant de l'OSCE, qui ridiculise les observateurs internationaux, qui empêche l'entrée de la femme remarquable et courageuse qu'est le procureur du Tribunal international ? Ces négociations, auxquelles nous étions tous très favorables, ont abouti à une impasse totale et à la décrédibilisation des institutions européennes.

Ce matin, dans un quotidien, le ministre des affaires étrangères a évoqué le risque de guerre. Il a raison, mais c'est ici qu'il aurait dû s'exprimer pour provoquer le sursaut d'union nationale indispensable face à une telle crise.

Quelle a été la position de la France lors de la réunion de l'Alliance atlantique ? Quels sont les risques encourus et l'avenir de la force d'extraction déployée en Macédoine, qui ne saurait être une force d'interposition ? Faute d'union entre les Européens, va-t-on se soumettre éternellement aux décisions américaines ?

"La honte revient", s'est exclamé le général Cot. Qu'allons-nous faire demain pour éviter le déshonneur de l'Europe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes - Je vous prie d'excuser l'absence de M. Hubert Védrine, qui est en Hongrie. Les autorités françaises définissent des positions et s'efforcent de les faire appliquer dans un contexte très difficile : vous avez souligné le refus de discuter de M. Milosevic et les offenses faites à l'OSCE et au Tribunal international.

Je ne crois pas que cette crise soit une occasion de critiquer l'Europe, mais plutôt un appel à l'Europe.

La France demande à l'OSCE d'établir les faits et responsabilités des massacres de Racak : aucune impunité ne doit couvrir une telle atrocité. La communauté internationale devra obtenir des autorités yougoslaves qu'elles permettent au procureur du TPI, Mme Arbour, de se rendre au Kosovo.

Au-delà, la paix au Kosovo reste un défi pour la communauté internationale et il faut nous mobiliser davantage pour enrayer l'escalade de la violence et faire prévaloir un règlement politique (Interruptions sur les bancs du groupe UDF) garantissant une autonomie substantielle au Kosovo, tout en préservant l'intégrité territoriale de la République yougoslave. Le groupe de contact se réunit à Bruxelles d'ici la fin de la semaine, il doit forcer la voix pour obtenir l'engagement de négociations directes entre les parties fondées sur ces principes.

Chacun devra prendre ses responsabilités, à commencer par le président Milosevic. Il doit être prêt à assumer les conséquences de ses actes ; c'est la position de la France et j'espère que ce sera celle de l'Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).


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SOUHAITS DE BIENVENUE A UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE ÉTRANGÈRE

M. le Président - Je suis heureux de saluer, en votre nom, le prince Norodom Ranariddh, Président de l'Assemblée nationale du Royaume du Cambodge (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent).


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT (suite)

CONTRAT FRANCO-ALLEMAND DE RETRAITEMENT DES DÉCHETS NUCLÉAIRES

M. Bernard Cazeneuve - La semaine dernière, lors de sa visite en France, M. Trittin a fait part de la décision du gouvernement allemand de mettre fin aux activités de la filière électro-nucléaire allemande et notamment aux contrats de retraitement avec les industriels français.

Cette décision est surprenante et grave. Elle est contraire aux contrats liant la France et l'Allemagne, dont certains ont force juridique de traités internationaux ("Très bien !" sur les bancs du groupe du RPR). Elle privera l'industrie française de retraitement de 20 % de sa charge, notamment l'usine de la Hague, située dans un bassin d'emploi déjà en souffrance.

Elle risque aussi de remettre en cause l'excellente collaboration entre la France et l'Allemagne dans le domaine de l'EPR. Enfin, il est grave que cette décision ne s'accompagne pas du rapatriement sur le territoire allemand des déchets envoyés à la Hague.

Que peut faire le Gouvernement pour ramener les Allemands à de meilleurs sentiments et relancer la dynamique de l'EPR, c'est-à-dire les réacteurs de nouvelle génération (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR), et contraindre les Allemands à rapatrier leurs déchets ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe du RPR)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - La coopération avec l'Allemagne demeure positive dans le domaine du nucléaire (Rires sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF) et ne se limite pas à la question du retraitement : elle couvre de nombreux sujets : la sûreté, la technologie avec le projet de réacteur nouveau EPR, pour lequel Siemens a réaffirmé son intérêt, la gestion sûre et transparente des déchets (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR).

Le retraitement présente un intérêt évident au niveau énergétique car 96 % du combustible usé est recyclé...

M. Philippe Briand - C'est vous qui êtes usé !

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - ...et qu'une tonne de combustible usé a la même valeur énergétique que 20 000 tonnes de pétrole !

L'usage du NOX dans dix réacteurs allemands n'est d'ailleurs pas remis en cause et c'est tant mieux pour l'usine de Cadarache.

Toutefois le gouvernement allemand a décidé d'abandonner au 1er janvier 2000 le retraitement de ses déchets. La loi à ce sujet fera encore l'objet de négociations. Toutefois il faut en tenir compte dès à présent.

D'une part, il faut prévoir le retour en Allemagne dès que possible de la totalité des déchets non retraités. Mon entretien à ce sujet avec M. Trittin a été très constructif puisqu'il s'est engagé à organiser le retour en 1999 de six châteaux de déchets.

D'autre part, sur le plan des conséquences économiques, les positions française et allemande divergent. L'Allemagne estime qu'il s'agit d'un cas de force majeure prévu par les contrats, la France a une interprétation différente et exige une compensation. Je suis certain que le groupe de travail mis en place à Postdam lors du sommet européen saura trouver des solutions pragmatiques respectant les intérêts et choix des uns et autres (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

VIOLENCES À GIVORS

M. Gabriel Montcharmont - La ville de Givors a été victime, le week-end des 9 et 10 janvier, de graves incidents : 22 voitures incendiées, sous le prétexte de la blessure par les forces de l'ordre d'un jeune homme mêlé à des affaires de grand banditisme.

Les faits témoignent d'une réelle perte de repères et du sens des valeurs.

La population de Givors connaît des difficultés. Des efforts admirables sont faits par la municipalité, les associations et le monde enseignant de cette ville, où vous êtes venu en janvier 1998, Monsieur le ministre, signer le premier contrat local de sécurité.

Vous avez exprimé votre ferme volonté de lutter contre l'insécurité. La solution passe par le renforcement des effectifs de police. Vous avez souhaité privilégier la police de proximité. Quelles mesures allez-vous prendre en ce sens ? Comment assurer que l'effectif réel des commissariats soit le plus proche possible de l'effectif théorique ? ("Ah !" sur les bancs du groupe du RPR et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Je connais bien la ville de Givors, où j'ai effectivement signé le premier contrat local de sécurité (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Il était utile que l'ensemble des partenaires commencent à se rapprocher.

Les récents incidents doivent servir de signal d'alarme pour tous, et notamment ceux qui n'ont pas pris conscience de la gravité des violences urbaines.

A partir du moment où ces violences se déclenchent parce qu'un malfrat impliqué dans un braquage et ayant pris plusieurs personnes en otage est blessé, c'est un signe clair que des repères essentiels ont été perdus (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR).

La solution ne réside pas uniquement dans le renforcement des effectifs de police, ni même dans l'évolution vers une police de terrain, ce qui implique une territorialisation par quartiers et blocs d'immeubles et des contacts avec les associations, les directeurs d'écoles, les gardiens d'immeubles etc... pour rompre ce face à face mortel entre les voyous et les jeunes qu'ils entraînent d'une part, et les policiers érigés en "Tuniques bleues" dans un monde sommaire marqué par la culture de la haine.

Une tâche immense nous incombe : nous ne pouvons laisser plus longtemps à l'abandon ces jeunes, victimes d'un processus de "déséducation" car nous n'avons pas été capables collectivement de leur transmettre des valeurs essentielles. C'est le problème des parents, de l'école et de toutes les institutions éducatives. Mais, c'est le B-A BA de l'éducation, on ne peut transmettre que des valeurs auxquelles on croit (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe socialiste). De l'adage "Il est interdit d'interdire" rien de bon ne peut naître que ce que nous voyons (vifs applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Se trouve également en cause la moindre capacité de la France à intégrer les jeunes issus de l'immigration, qui sont aujourd'hui deux millions à avoir moins de 20 ans : il nous faut pourtant les faire accéder à une citoyenneté pleine et entière.

On le voit, la solution ne passe pas seulement par une police de proximité. Une démarche plus globale est nécessaire pour assurer un avenir de justice à ces jeunes et amorcer le dialogue avec eux. Car si nous devons nous faire respecter d'eux, encore faut-il que nous leur adressions un message respectable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV, sur quelques bancs du groupe communiste, du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

KOSOVO

M. Paul Quilès - Je souhaite dire à mon tour l'indignation des députés socialistes devant le massacre des quarante-cinq villageois de Racak perpétré par les forces serbes qui n'est pas sans nous rappeler la tragédie d'Oradour-sur-Glane. Il s'agit bien d'une nouvelle provocation du président Milosevic à la face de la communauté internationale. Les autorités de Belgrade violent sciemment et ouvertement les résolutions des Nations-Unies comme l'accord conclu avec l'OSCE : elles ne reculent devant aucun crime pour tenter d'imposer leur volonté.

Ce massacre, qui suit tant d'autres exactions, ne traduit-il pas l'échec de la stratégie diplomatique et militaire de l'OTAN et de l'OSCE ?

Dans ces conditions, le dispositif actuel avec des observateurs au Kosovo et une force d'extraction en Macédoine chargée d'assurer leur protection est-il encore pertinent ? Je doute, pour ma part, de son efficacité.

Ne faudrait-il pas intervenir fermement auprès du Conseil de sécurité pour décider d'interventions militaires, prévues en pareille circonstance par le chapitre VII de la Charte des Nations Unies ? Faute d'une telle réflexion de notre politique en direction de la Serbie, la crédibilité même de l'Europe risque d'être affectée par les événements du Kosovo.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes - L'OSCE a clairement imputé la responsabilité de ces atrocités aux forces serbes. Cela ne pourra rester sans conséquence. A cet égard nous souhaitons vivement que Mme Arbour puisse continuer sa mission dans le cadre du Tribunal pénal international.

C'est à la suite de l'accord signé le 13 octobre dernier entre M. Milosevic et M. Holbrooke qu'une mission d'observation de l'OSCE, un dispositif de vérification aérienne de l'OTAN et une force d'extraction en Macédoine, placée sous commandement français, ont été déployés, afin de vérifier si M. Milosevic respectait les engagements qu'il avait pris, entérinés par le Conseil de sécurité. La décision prise hier soir par les autorités de Belgrade de déclarer le chef de la mission de l'OSCE persona non grata est donc absolument inacceptable. Le Conseil de sécurité réuni hier, a condamné le massacre de Racak sur lequel il a demandé au Tribunal pénal international de faire toute la lumière et appelé Belgrade à revenir sur sa décision. Il se réunit de nouveau, aujourd'hui pour faire le point sur la situation. Nous continuons de penser qu'il doit jouer tout son rôle dans cette crise.

Ces provocations constituent de nouveaux défis pour la communauté internationale. Le Président de la République et le Gouvernement procèdent à l'évaluation de leurs conséquences. Toute inflexion devra être décidée en concertation avec nos partenaires. C'est pourquoi, outre le groupe de contact, les directeurs politiques de l'Union européenne se réuniront demain. Soyez en tout cas assuré que la détermination de la France ne faiblira pas (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

35 HEURES

M. Yves Cochet - Les lois sur les 35 heures sont, à notre avis, les plus importantes de la législature (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), car elles sont les principaux outils de la lutte contre le chômage (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV) et c'est sur notre capacité dans ce domaine que nous serons jugés en fin de mandat.

Or, l'application de la première de ces lois est lente. Dans certains secteurs, comme le secteur social et médico-social, le Gouvernement pourrait l'accélérer. Six organisations d'employeurs essaient actuellement d'y imposer un accord cadre par le biais d'une nouvelle branche professionnelle, Unifed, fortement contestée par les syndicats. Sous prétexte de négociation de branche se prépare en fait, avec la réduction du temps de travail envisagée par les employeurs, un démantèlement complet des conventions collectives : dérogation aux dispositions du code du travail pour la fixation du repos quotidien, nouveau système de calcul du temps de travail effectif au détriment des salariés, régression sur les heures complémentaires, recherche de la flexibilité maximale, enfin, aucune disposition en matière de création d'emplois, pourtant objectif premier de la loi sur les 35 heures (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Il semble que votre ministère, Madame la ministre, refuse, dans un secteur qu'il encadre, de dégager les crédits nécessaires pour financer les créations de postes permises par la réduction du temps de travail. Les personnels craignent qu'il n'avalise l'accord régressif de l'Unifed. Qu'en est-il ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RCV)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Ce Gouvernement a pris ses responsabilités en intégrant le secteur sanitaire et social dans la loi sur les 35 heures alors que le gouvernement précédent l'avait écarté par circulaire du champ d'application de la loi Robien, cette circulaire ayant finalement été annulée par le Conseil d'Etat. C'est un secteur très important qui s'occupe des plus fragiles de nos concitoyens et qui emploie 400 000 salariés, dont 40 % à temps partiel. Le Gouvernement a pour premier souci d'améliorer le service rendu tout en veillant aux conditions de travail, souvent difficiles, des salariés du secteur et aux gains potentiels d'emplois.

Mais, dans la mesure où il s'agit du secteur privé, c'est au niveau des conventions collectives et de manière décentralisée que doit avoir lieu la négociation. Mais nous avons mis en place une mission d'appui, conduite par l'IGAS, à l'intention des organisations syndicales comme des fédérations patronales. Quoi qu'il en soit, mon ministère devra agréer les accords. Il ne le ferait pas s'ils n'étaient pas équilibrés ou ne respectaient pas la réglementation, notamment en matière de droits des salariés.

De façon plus générale, permettez-moi de dire aux sceptiques que l'on ne règle pas le problème du chômage dans l'urgence : il y faut du temps, nous le savons tous (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Certains pensaient que les 35 heures ruineraient les entreprises, notamment les plus petites d'entre elles : 40 % des accords conclus l'ont été dans des entreprises de moins de vingt salariés ; d'autres craignaient une baisse de pouvoir d'achat pour les salariés : celui-ci a crû de 3 %, meilleur score depuis vingt ans ; d'autres enfin prétendaient que la loi ne permettrait pas de créations d'emplois : les accords signés prévoient une augmentation moyenne des effectifs de 8 % et des milliers d'emplois ont ainsi été créés (Vives protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Ce Gouvernement a fait de la lutte contre le chômage sa priorité : il suit la voie qu'il s'est tracée, sans fébrilité, convaincu d'avancer dans le bon sens comme la moitié des entreprises qui d'ores et déjà négocient la réduction du temps de travail. Je vous donne rendez-vous au printemps : nous verrons alors qui aura gagné la bataille de l'emploi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe communiste).

DÉROULEMENT DES EXAMENS EN MARTINIQUE

M. Alfred Marie-Jeanne - Ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation.

La première classe préparatoire aux grandes écoles a été ouverte en Martinique en 1995. Les sections commerciales et littéraires étaient seules concernées au départ.

L'autorisation pour les candidats de composer en temps décalé lors des concours, vu le décalage horaire, avait été accordée en contrepartie de quelques contraintes. Les candidats étaient hébergés en internat dès la veille de chaque épreuve, encadrés et surveillés dans des conditions excluant toute communication avec l'extérieur.

Depuis, à la satisfaction générale et avec l'aide de tous, Etat et Région compris, des classes préparatoires scientifiques ont ouvert à la rentrée 1997.

Alors que la Martinique a été agréée comme centre d'examen, les candidats aux concours communs Polytechniques, Mines-Ponts et Supélec, sont obligés, pendant plusieurs périodes de 2 à 5 jours consécutifs, de concourir quotidiennement de 2 à 6 heures du matin, puis à nouveau de 8 heures à midi, ce qui porte atteinte au principe de l'égalité des chances. Monsieur le ministre, ce serait faire injure à votre formation que de tolérer allègrement une telle discrimination. Aussi toute démarche de votre part pour la faire cesser sera-t-elle hautement appréciée (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - Par une lettre que j'ai envoyée le 8 janvier, à la demande du recteur, j'ai autorisé les candidats au concours d'entrée à l'ENS de Fontenay-Saint-Cloud, pour tenir compte du décalage horaire, à composer en étant placés en internat, sous la responsabilité du lycée de Bellevue. Il en sera de même pour tous les concours pour lesquels le recteur m'en fera la demande.

Vous avez donc satisfaction. Le Gouvernement a à coeur que l'égalité républicaine soit assurée sur tout le territoire national (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL

M. Laurent Dominati - Le Gouvernement est-il capable, à propos des 35 heures, de sortir d'un discours de propagande pour tenir un langage de vérité ? L'injustice est aujourd'hui flagrante entre le secteur protégé et le secteur privé, qui subit la loi sur les 35 heures.

L'exemple d'EDF est révélateur. Pour masquer ce qui apparaît, en dépit des propos de Mme la ministre du travail, comme un échec puisqu'on annonce 6 000 à 8 000 créations d'emplois grâce à la loi alors que la croissance en a créé 300 000 en 1998 dans le secteur privé, vous poussez EDF à signer un accord, non sur les 35 heures mais sur les 32 heures, subventionné par l'Etat.

M. Bernard Accoyer - Scandaleux !

M. Laurent Dominati - Cette prétendue avancée sociale est en fait une injustice car les 600 millions utilisés ici sont pris sur les petites entreprises et sur les contribuables qui ne travaillent pas 35 heures mais 39,40 et plus (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). C'est un accord politique avec la CGT et avec M. Gayssot, qui est tout sourires, dont vous vous êtes vanté, Monsieur le Premier ministre, devant les caméras. Et au cours de la même émission, vous avez annoncé que vous appliquerez la même réglementation aux petites entreprises de moins de dix salariés ce qui les ruinera encore un peu plus.

Vous ne vous en tirerez pas comme ça ! Comptez-vous élargir l'accord sur les 32 heures à toutes les entreprises publiques ? Comment justifiez-vous que le secteur protégé soit financé par les petits, par ceux qui travaillent beaucoup ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

M. Jean-Yves Le Déaut - Zéro !

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Merci d'avoir reconnu que la croissance a créé 300 000 emplois... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Plusieurs députés DL, UDF et RPR - Pas grâce à vous !

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - ...parce que nous avons mené une politique inverse de la vôtre en relançant la croissance et en redonnant du pouvoir d'achat (Mêmes mouvements).

Cessez de changer de discours sur les 35 heures ! Vous aviez commencé par dire que cela mettrait les entreprises par terre. Maintenant, alors qu'une entreprise sur deux négocie, que déjà 30 000 emplois, et non 6 000, ont été créés par cette voie -je vous ferai porter le bilan dès cet après-midi- il vous est difficile de tenir le même langage.

En octobre dernier, vous nous reprochiez d'appliquer les 35 heures au secteur privé alors que nous étions incapables de montrer l'exemple dans le secteur public (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste). Vous avez même déposé des amendements pour rendre cette loi applicable, avec des aides de l'Etat, aux entreprises du secteur public...

Aujourd'hui, vous vous étonnez que nous appliquions au public ce que nous ne parvenons pas à imposer au privé...

En fait, les entreprises du secteur public en mono-activité, qui peuvent donc négocier plus facilement au niveau national, commencent à conclure des accords. Elles n'auront pas d'aide spécifique dans le cadre de la loi mais dans celui des contrats qui les lient à l'Etat. Ce ne sont donc pas les petites entreprises qui paieront pour elles (Protestations sur les bancs du groupe DL).

Ces dernières, qui sont très nombreuses à signer pour avant 2002 car elles l'ont compris, bénéficient d'aides bien supérieures aux grandes.

Dans quelques jours, vous verrez que le secteur privé en mono-activité suit le secteur public. Dans quelques semaines les grands groupes en pluriactivité commenceront à négocier de manière décentralisée et créeront ainsi également des emplois grâce aux 35 heures.

Les faits parleront d'eux-mêmes. Rendez-vous au milieu de l'année, quand nous préparerons avec les entreprises et les syndicats une loi de progrès social qui permettra aussi aux entreprises de mieux fonctionner. C'est cela, l'honneur de la politique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; Huées sur quelques bancs du groupe DL).

POLITIQUE DE LA MONTAGNE

M. Michel Bouvard - La sortie du moratoire sur les services publics en zones rurales et la réforme de la carte de la gendarmerie et de la police suscitent des inquiétudes parmi les élus montagnards. Mais ce qui les préoccupe surtout, c'est l'avenir des instances montagnardes -Conseil national de la montagne, instance d'évaluation de la politique de la montagne, bilan qui aurait dû être publié.

En décembre 1997, en réponse à une question posée en septembre par Augustin Bonrepaux, vous répondiez, Madame la ministre de l'aménagement du territoire, qu'il serait tenu compte des travaux d'évaluation qui devaient se terminer vers la fin de l'année en cours. Le 5 mai 1998, je vous interrogeais sur le Conseil national de la montagne et vous affirmiez qu'il serait réuni dès que possible et que cela donnerait l'occasion à M. Ollier de rendre compte des travaux de la commission permanente. En juillet 1998, au rapporteur spécial du budget de l'aménagement du territoire, il était répondu qu'un "projet très achevé" de rapport définitif avait été produit mais que le rapport final ne serait totalement rédigé qu'à l'automne. Mais lors de l'examen du budget de l'aménagement du territoire, le rapporteur spécial, membre de la majorité, désespéré titrait "l'évaluation évanouie". Le 23 octobre, devant le congrès des élus de la montagne, vous annonciez la réunion avant la fin de l'année du Conseil national.

Ma question est donc simple : quand ce Conseil va-t-il se réunir ? Quand sortira le rapport sur l'évaluation ?

Alors que commence la discussion de la loi sur l'aménagement du territoire, alors que les contrats sont en cours de discussion, quand pourrons-nous arrêter des orientations ?

Il nous reste peu de temps. Nous ne voudrions pas que votre passage au Gouvernement ne soit marqué que par la réintroduction du loup et de Daniel Cohn-Bendit sur le territoire national (Rires sur tous les bancs ; applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Je n'ai jamais été très à l'aise avec l'expression "la montagne", car les zones de montagne sont très diverses et si la situation évolue très favorablement dans les Alpes et dans le Jura, il n'en va pas de même dans le Massif central et dans les Pyrénées. Dans certains cas, la dynamique économique est manifeste, la pression foncière est forte et concentrée, l'activité touristique se développe ; dans d'autres, la situation est très difficile.

La politique en faveur de la montagne est marquée par une grande continuité. Aussi, je souhaite voir appliquer dans toutes ses dimensions -protection et développement- la loi montagne du 9 janvier 1985. Le projet que je présenterai tout à l'heure conserve toutes les dispositions en faveur de la montagne de la loi d'orientation et de développement du territoire.

Plusieurs députés RPR - La question !

Mme la Ministre - J'en viens à votre question ("Ah !" sur les bancs du groupe du RPR). Après de nombreuses péripéties, le rapport du commissariat au plan évaluant l'efficacité des dispositifs et formulant des propositions, a été remis fin novembre au Gouvernement. Le Premier ministre vient de me confirmer qu'après la concertation interministérielle, le Conseil national de la montagne sera réuni en février en Ariège. Ce sera l'occasion d'un nouvel élan pour la politique de la montagne (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

LUTTE CONTRE LA DÉLINQUANCE

M. Henri Chabert - Nous avons assisté ces dernières semaines à une nouvelle escalade de violence non seulement dans les banlieues, dont a parlé M. Baudis, mais aussi dans les centres-villes où des bandes, de plus en plus jeunes et de plus en plus armées, n'hésitent plus à attaquer les commerces en plein jour et à racketter nos concitoyens.

Il devient donc urgent d'apporter une réponse adaptée et efficace à la délinquance, par la prévention comme par la répression, c'est-à-dire en traitant chacun des maillons de la chaîne de la sécurité.

Malheureusement, la cacophonie semble régner au sein du Gouvernement, où les grandes déclarations des uns et des autres ne sont guère suivies d'actions.

Dernier exemple en date, Madame la ministre de la justice a déclaré ignorer ce qu'étaient les "centres de retenues" dont vous aviez parlé, Monsieur le ministre de l'intérieur. Ont suivi des commentaires du ministre de la ville puis de la ministre de l'environnement, à tel point qu'il faudra bientôt un décodeur pour comprendre la pluralité du Gouvernement.

Aussi nous aimerions savoir si vous devrez vous contenter de déclarations d'intention en matière de lutte contre la délinquance, dans la mesure où vous n'êtes pas suivi par vos collègues du Gouvernement. Si tel n'est pas le cas, que sont donc les centres de retenues et à quels types de délinquants s'adressent-ils ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Elu de la région Rhône-Alpes, vous connaissez sans doute le sens du mot "cacophonie" (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste), mais quand la violence urbaine se développe -et elle se développe indéniablement puisque, même si la plupart n'ont aucun caractère de gravité, près de 25 000 faits ont été recensés l'an passé-, quoi de plus naturel qu'on s'interroge et qu'on fasse des propositions ? Nous avons besoin d'un diagnostic lucide et d'idées. Vous ne me dénierez pas une certaine inventivité langagière et, pour ma part, j'ai avancé le mot "retenue". Il n'a rien de méchant et il dit bien ce qu'il veut dire. Cela étant, si l'on trouve mieux, je n'y suis pas férocement attaché : ce qui importe, c'est de réagir efficacement contre une délinquance qui, pour pratiquement un quart, est le fait de mineurs. Quelle méthode adopter ? A cette question, le Gouvernement donnera très rapidement des réponses qui vous satisferont, j'en suis sûr ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste)

STATISTIQUES DE LA DÉLINQUANCE

M. Yves Fromion - Monsieur le ministre de l'Intérieur, nous vous avons demandé à plusieurs reprises, l'an passé, de nous communiquer les statistiques nationales de l'insécurité. Vous nous avez invariablement répondu qu'elles n'étaient pas disponibles. Chacun sait pourtant qu'elles sont établies chaque trimestre... La publication des statistiques pour Paris explique sans doute l'extrême pudeur de vos services sur le sujet ! Nous voudrions cependant savoir si l'on observe, à l'échelle de la France, le même dérapage que dans la capitale, s'agissant de la délinquance des mineurs et, tout particulièrement, des vols avec violence. La représentation nationale pourra-t-elle bientôt prendre connaissance de ces chiffres ou devra-telle attendre de les lire dans le journal ?

Pour avoir assisté comme beaucoup de nos collègues à la rentrée solennelle d'une cour d'appel et de tribunaux de grande instance, je puis témoigner que les propositions tendant à "retenir" ou à éloigner les délinquants qui ne relèvent plus de l'admonestation sympathique reçoivent chez les magistrats, tant du siège que du parquet, le même accueil favorable que parmi les forces de l'ordre. Ceux qui, au sein du Gouvernement, font la sourde oreille aux demandes de leurs fonctionnaires, risquent d'être bientôt responsables d'une nouvelle aggravation de l'insécurité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Je ne dispose des chiffres de la délinquance pour 1998 que depuis ce matin ("Ah" sur les bancs du groupe du RPR). Ils sont en augmentation de 2 % et, si l'on tient compte de la diminution de 1,9 % observée en 1997, nous retrouvons donc le niveau de 1996, qui fut la deuxième "meilleure année" depuis 1990. Cela devait être précisé, non pour minimiser le problème, mais pour conjurer toute surenchère ou démagogie !

L'allusion que vous avez faite à la situation parisienne ne s'imposait pas de ce point de vue : la capitale est une ville "vieille" et la délinquance des mineurs y est donc faible -sa part n'est que de 13 %, contre 25 % en moyenne nationale.

Il est trop facile de prétendre que l'insécurité recule quand la droite est au pouvoir et qu'elle croît lorsque la gauche lui succède (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). La violence urbaine et la délinquance des mineurs sont en recrudescence depuis 1992, vous le savez et cela vous gêne. Lors de sa conférence de presse du 5 décembre dernier, le porte-parole du RPR a reconnu le fait, le datant même de la seconde cohabitation, mais il a prétendu que le constat ne remettait pas en cause le bilan de la droite, arguant que la politique pénale du Gouvernement de l'époque, avec des contrôles plus rigoureux du Parquet, avait incité les victimes à porter plainte plus fréquemment. Les statistiques, lorsque vous êtes au pouvoir, traduiraient donc un surcroît d'activité de la police, mais seraient justiciables de la lecture inverse quand nous sommes au Gouvernement ! Trêve de plaisanteries : les réalités sont assez graves pour qu'on les considère attentivement et modestement, en vue de porter le fer là où il faut (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 16 heures 5, est reprise à 16 heures 20, sous la présidence de M. Péricard.

PRÉSIDENCE DE M. Michel PERICARD

vice-président


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NOMINATION D'UNE DÉPUTÉE EN MISSION TEMPORAIRE

M. le Président - M. le Premier ministre m'a informé de sa décision de charger Mme Paulette Guinchard-Kunstler, députée du Doubs, d'une mission temporaire, dans le cadre des dispositions de l'article L.O. 144 du code électoral, auprès de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité et de M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Cette décision a fait l'objet d'un décret publié au Journal officiel du 19 janvier 1999.


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AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi no 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - La venue devant votre assemblée d'une loi consacrée à l'aménagement du territoire n'est jamais un moment ordinaire. Elle fait souvent date, et les plus anciens parmi vous disent trouver une atmosphère particulière à chaque discussion.

Par la variété des sujets qu'embrasse ce type de débat ; par la force des images qu'il suscite, par l'attention forcément respectueuse qu'il accorde à la diversité des espaces et des communautés, se trouvent mises en éveil nos mémoires, nos passions, nos perceptions du quotidien, notre projection vers le futur.

Comment ignorer les contraintes et les richesses de notre géographie, alors même que les frontières s'estompent sur le continent ?

Comment ne pas intégrer à nos raisonnements, le sens et parfois les ruses de l'histoire, qui ont vu naître et créer ici tel inventeur, installé là telle industrie, rassemblé ailleurs tels savoir-faire ou technologies ?

Comment négliger, sous prétexte que le monde change, notre patrimoine dont la seule valorisation digne d'intérêt est évidemment celle à laquelle nous invitent la jeunesse et l'avenir ?

Comment enfin ne pas rénover notre pratique démocratique pour l'adapter sans cesse aux évolutions sociales, économiques et culturelles ?

Géographie, histoire, mémoire, art du gouvernement : l'aménagement du territoire en appelle aux mille et une facettes de notre culture commune. Il s'accommode donc mal des simplifications technocratiques, de la défense d'intérêts catégoriels ou de particularismes et, a fortiori, de polémiques politiciennes.

Je suis fière de venir défendre aujourd'hui devant vous, avec conviction, une conception de l'aménagement du territoire peut-être un peu différente de celle qui a prévalu jusqu'à présent.

Mais je sais également qu'aucune mutation ou rupture ne s'affranchit de toute continuité ; il m'est donc impossible de ne pas saluer ceux qui sont montés avant moi à cette tribune pour apporter leur contribution à notre commune passion.

Dans son discours de politique générale de juin 1997, le Premier ministre avait indiqué que son Gouvernement préparerait une réforme de la loi de 1995, afin de donner un cadre nouveau à notre politique d'aménagement du territoire. Ce projet traduit cet engagement. Il s'inscrit dans un ensemble de textes : la loi d'orientation agricole que vous avez examinée en octobre dernier ; la loi qui vous sera présentée par Jean-Pierre Chevènement en février, la loi qu'Emile Zuccarelli présentera au Sénat en mars.

Ces textes, qui s'emboîtent comme des poupées gigognes, sont cohérents et complémentaires.

La loi d'orientation agricole pose les termes d'une réorientation de la politique agricole, mise au service de la redynamisation du monde rural et du rééquilibrage du développement des différentes parties de notre territoire.

La loi Chevènement fixera les nouvelles modalités du développement de l'intercommunalité et donnera des moyens d'action renforcés aux communes et à leurs groupements.

La loi présentée par Emile Zuccarelli redéfinira l'équilibre des relations entre les citoyens et l'administration, avec la volonté affirmée de renforcer les droits des citoyens. Elle précisera également les conditions nouvelles de l'intervention économique des collectivités locales.

Existe-t-il encore une place pour une politique d'aménagement du territoire ? Alors qu'on ne parle plus que de mondialisation de l'économie, de délocalisation d'entreprises, de fusions massives et accélérées de groupes multinationaux, quelle marge de manoeuvre reste-t-il au pouvoir politique ? La volonté de conduire une politique d'aménagement du territoire n'exprime-t-elle pas simplement une ambition un peu désuète des pouvoirs publics, celle de feindre d'agir sur des choses qu'ils ne maîtrisent plus ? N'est-elle pas l'expression d'une illusion sur leurs capacités à infléchir ces évolutions ? Je ne le pense pas.

Bien sûr, la mondialisation de l'économie se poursuit. Marchandises, capitaux et êtres humains circulent de plus en plus rapidement. La mobilité professionnelle, choisie ou subie, est devenue un fait "de société", et l'idée s'est installée selon laquelle les jeunes devront changer plusieurs fois de métier.

Tout cela contribue à affaiblir les solidarités traditionnelles, à renforcer l'indifférence, voire le rejet, et son corollaire, la solitude. Mais cette mobilité permet aussi d'élargir les horizons et d'enrichir les rapports sociaux et humains.

La mondialisation de l'économie, processus complexe, n'a ni supprimé l'existence des Etats nations ni effacé les territoires, cadre de la vie quotidienne des populations. Elle renforce la compétition entre les nations et entre les territoires et, ce faisant, oblige plus que jamais à les organiser pour les rendre attractifs. C'est au moment où les frontières s'ouvrent que les femmes et les hommes expriment leur besoin d'appartenance à des entités qu'ils maîtrisent.

C'est pourquoi une politique d'aménagement du territoire me semble encore aujourd'hui non seulement possible mais nécessaire.

D'abord, notre conception de la République na va pas sans l'affirmation de la solidarité nationale à l'égard des populations ou des territoires en retard.

Elle impose aussi de tout faire pour assurer l'égalité des chances entre les citoyens qui doivent bénéficier des mêmes possibilités où qu'ils vivent dans notre pays. C'est pourquoi une politique d'aménagement du territoire est nécessaire. Le libre jeu des forces économiques ne conduit pas à la meilleure affectation possible des ressources et des richesses.

M. Patrice Martin-Lalanne - Ni des services administratifs !

Mme la Ministre - La logique économique conduit ici à la concentration des richesses et des hommes, ailleurs à leur rareté. Le laisser faire est gaspillage, appauvrissement de notre économie. Il n'y a pas de territoires condamnés, il n'y a que des territoires sans projet. Aider certaines parties de notre territoire à construire et réaliser un projet de développement, c'est la voie du courage et de la responsabilité politiques.

L'euro permettra de mieux coordonner les politiques économiques et fiscales au sein de l'Union européenne. Mais d'autres étapes devront encore être franchies pour construire une Europe politique, sociale, une Europe des citoyens. Mobilisons notre énergie pour que le développement de l'Europe ne se fasse pas sans cette grande partie de la France qui se trouve à distance de la zone de prospérité allant de l'Angleterre au nord de l'Italie.

Notre projet est de construire une Europe dont la prospérité et la stabilité reposent aussi sur une histoire qui intègre le bassin méditerranéen et le développement des échanges maritimes, sans que la France ne devienne une terre de transit.

Cette nécessaire politique d'aménagement du territoire n'est ni un secteur à part de l'action de l'Etat, ni un domaine réservé à des spécialistes. En réalité, toutes les politiques publiques -fiscalité, transports, organisation des postes et des télécommunications, logement, agriculture, environnement, culture, aides au développement économique des entreprises- concourent à un certain type d'organisation du territoire.

La politique du Gouvernement dans ce domaine ne se juge donc pas aux crédits du Fonds national d'aménagement du territoire -FNADT- ou à l'importance des primes d'aménagement du territoire. Ces outils financiers n'ont qu'un poids relatif.

La première responsabilité du Gouvernement est de coordonner les politiques publiques avec celles des collectivités locales. Au-delà, il faut assurer la cohérence entre les actions nationales et les politiques communautaires, dont l'impact est déjà significatif.

A quoi bon s'efforcer de revitaliser les campagnes, si la politique agricole commune, contribue à les vider ?

Assurer la cohérence entre les politiques sectorielles et les politiques territoriales est une tâche difficile. Une fois cette cohérence établie, il faut qu'elle soit suffisamment convaincante pour inciter les acteurs privés à aller dans le même sens.

C'est sans doute cette complexité et cette difficulté qui expliquent les limites des précédentes politiques d'aménagement du territoire, et l'écart toujours très important entre les objectifs affichés et les résultats obtenus.

Au cours des "trente glorieuses", les ambitions des gouvernements successifs épousaient, en matière d'aménagement du territoire, les grands objectifs, du reste consensuels, de la planification nationale : réduire les écarts entre la France et ses voisins en matière industrielle et d'équipements lourds ; accompagner la mutation agricole ; loger les Français ; stabiliser les modes de consommation des couches moyennes urbaines ; employer dans l'industrie une main-d'oeuvre souvent peu qualifiée ; élever le niveau de formation.

Dans cette période s'est bâtie une bonne part de la puissance française. Mais nous n'avons pas fini de régler la facture.

L'exode rural, l'urbanisation désordonnée, l'allongement des distances domicile-travail, la surconsommation énergétique, la fragilité de notre tissu de PME-PMI, la concentration des centres de décision en région parisienne, ou encore l'appauvrissement de l'environnement restent le prix à payer de cette façon de produire des richesses.

Avec la rupture du système monétaire de l'après-guerre, puis avec la première crise pétrolière en 1973, l'idée qu'il fallait procéder autrement s'est imposée.

Les dramatiques reconversions de la mine et de la sidérurgie accélérèrent certainement notre prise de conscience.

Pendant quelques années, les politiques d'aménagement du territoire apparurent davantage comme des politiques de compensation, d'accompagnement. Elles perdirent une partie de leur ambition et de leur prestige.

Mais depuis quelques années, devant de véritables défis de civilisation, la relance de l'aménagement du territoire semble s'imposer.

La persistance d'un chômage massif, le constat que la croissance n'assure pas la pleine activité, les nouvelles mobilités ont conduit à se préoccuper d'un usage plus équilibré des territoires.

Mais les conditions dans lesquelles l'Etat agit se sont profondément transformées. Il ne peut plus agir seul. La décentralisation est devenue un fait. Les régions, les départements et les communes se sont habitués à un exercice libre de leurs compétences, dont au premier chef l'intervention économique et l'aménagement de l'espace.

D'autre part, l'intégration européenne de notre pays ne cesse de s'approfondir. L'aménagement du territoire n'est pas, stricto sensu, une compétence communautaire. Mais un schéma européen d'aménagement du territoire est en cours d'élaboration.

Enfin, il faut satisfaire l'aspiration des citoyens à un mode d'exercice renouvelé de la démocratie, si nous voulons réduire la fracture entre ceux-ci et la classe politique.

J'en viens aux objectifs de la loi.

Il s'agit de consolider les acquis de la décentralisation, en renforçant les capacités d'organisation des territoires et la mobilisation des énergies locales.

Cela suppose de favoriser l'insertion de notre pays dans l'ensemble européen et dans les relations économiques internationales ; de créer les conditions d'un développement économique durable, en "ménageant" notre territoire pour les générations futures ; de lutter contre le chômage ; de réduire les inégalités territoriales et de renforcer la cohésion sociale ; d'améliorer la qualité de vie de nos concitoyens ; de donner à tous les mêmes chances ; de favoriser le développement local, par des services de qualité, accessibles et mieux répartis.

Le projet du Gouvernement traduit ces objectifs et ces orientations.

Pour y parvenir, la planification territoriale et la programmation des actions doivent naître d'une réflexion décentralisée et d'un dialogue avec l'Etat.

Huit schémas de service collectif remplaceront le schéma national d'aménagement du territoire et les schémas sectoriels, prévus par la loi du 4 février 1995.

M. Christian Sauvadet - Dommage !

Mme la Ministre - Des comités stratégiques réunissant, autour des ministères et des administrations, leurs principaux interlocuteurs, ont établi des cahiers des charges et serviront de cadre à la réflexion, sous l'impulsion des préfets de région.

Il s'agit de définir les priorités sur une période de vingt ans. Bien entendu, ces prévisions seront actualisées, compte tenu des résultats des contrats de plan Etat-régions.

Par cette notion de "services collectifs", le Gouvernement veut susciter une réflexion, qui ne se limite pas à l'addition de projets d'infrastructures ou d'équipements, mais qui permette de confronter diverses offres.

La planification territoriale doit s'appuyer sur une évaluation des besoins, des capacités et des solutions nouvelles qui peuvent être utilisées pour les satisfaire. Il s'agit donc de privilégier l'ajustement aux demandes, la rigueur dans la dépense publique, le contenu en emplois et l'insertion environnementale, de dire ce qui est prioritaire et ce qui ne l'est pas.

Les huit schémas de services collectifs prévus par la loi correspondent aux domaines privilégiés d'action conjointe entre l'Etat et les collectivités locales et à des domaines d'intervention qui nécessitent une collaboration inter-régionale ainsi qu'une réflexion dans le cadre européen.

Ils seront élaborés dans un échange permanent entre le niveau national et les collectivités décentralisées.

Mais, direz-vous, en abandonnant le schéma national prévu par la loi Pasqua, ne risque-t-on pas de perdre la nécessaire cohérence des grands choix de la politique d'aménagement du territoire ?

M. Patrick Ollier - Bien sûr que si !

Mme la Ministre - Je ne le pense pas. Le schéma national prévu par la loi de 1995 établissait en réalité une fausse cohérence. Il n'était que l'addition de schémas sectoriels et c'est sans doute la raison pour laquelle cette démarche n'a jamais pu aller jusqu'à son terme.

M. Patrick Ollier - Vous n'avez pas pris les décrets d'application !

Mme la Ministre - Si la loi du 4 février 1995 a beaucoup fait rêver, elle a aussi déçu. La bonne volonté de ceux qui l'ont soutenue n'est pas en cause. Si cette loi est restée inaboutie, c'est qu'elle a été élaborée à partir d'un diagnostic unilatéral. Elle aura marqué la fin d'un cycle plutôt que l'avènement d'une vision nouvelle.

Elle était fondée sur le postulat simplificateur d'une France fracturée, écartelée entre la désertification des campagnes et l'hyperconcentration de ses agglomérations.

Ce n'est pas le constat lucide qu'il faut porter sur la quatrième puissance économique mondiale. La France dispose d'une agriculture puissante, de villes performantes, d'une population inventive, de services publics de bon niveau, et d'espaces dont la qualité en font la première destination touristique du monde.

De cette vision partielle et politiquement orientée, ne pouvaient naître que des stratégies défensives, oublieuses de la réalité. D'ailleurs la loi de 1995 ne comporte aucune référence à l'Union européenne ni au fait urbain.

La vision tutélaire et recentralisatrice dans les faits traduite par la loi Pasqua ne correspond ni à la réalité de l'organisation de notre pays depuis les lois de décentralisation, ni aux principes d'action d'un Etat moderne.

La démarche que je vous propose est aussi ambitieuse que celle de mes prédécesseurs. Elle permet une approche plus fine des problèmes, elle privilégie la concertation (Interruptions sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF) plutôt que la proclamation, l'évaluation, la mobilisation des partenaires autour de projets collectifs, plutôt que des décisions unilatérales inapplicables.

L'aménagement du territoire doit s'inscrire dans une démarche collective vers le développement durable.

Bien sûr, tout le monde est pour le développement durable. C'est devenu un thème à la mode, et la France, qui l'a adopté avec retard, a pris des engagements dans ce domaine au cours de diverses grandes conférences internationales. Mais il ne suffit pas d'en parler pour faire évoluer les choses en ce sens.

Le terme même de développement intègre l'idée de qualité, ignorée par le terme de croissance ; une politique de développement se choisit des objectifs plus complets, conformes à une haute idée de la diversité et de la dignité humaines.

Mais un développement n'est durable que s'il ne sécrète pas lui-même ses propres obstacles : une vision trop exclusivement qualitative et sectorielle du progrès peut créer des situations insupportables, endommager ou détruire de façon irréversible des ressources précieuses, voire le climat de la planète. Les exemples ne manquent pas dans le monde, mais aussi sur notre territoire, depuis les littoraux jusqu'aux montagnes.

Le développement durable implique donc, pour chacun de ses acteurs, la conscience forte de sa responsabilité vis-à-vis des autres.

Par exemple, la garantie d'une qualité de l'eau suffisante dans un bassin versant est un bien meilleur atout pour l'implantation d'activités agro-alimentaires que toutes les aides financières ; il s'agit d'un comportement de prévention de base.

Autre exemple, notre responsabilité à l'égard du climat que nous fabriquons pour nos enfants doit se traduire avec constance et raison dans les décisions d'aménagement du territoire.

Il faut donc, dans chacune de nos régions, une approche globale qui valorise les opportunités en anticipant et limitant les risques, qui respecte la diversité régionale, en garantissant une grande cohérence dans nos objectifs généraux, qui donne la priorité à l'emploi, à l'utilité sociale, à l'environnement, à l'efficacité économique.

C'est pourquoi je vous propose d'adopter, à l'occasion des prochains contrats de plan Etat-régions, une méthode commune de définition, de discussion et d'évaluation de leur contenu. Cette méthode est exposée dans les schémas de services collectifs de transports, de santé, d'énergie, des espaces naturels et ruraux, de culture, des télécommunications, de la recherche, qui ont été ou seront adressés aux préfets de région pour la concertation.

Ainsi, les projets d'investissements, tels que la création d'une infrastructure, passeront par un examen a priori de toutes les alternatives. Encore trop souvent, la concertation légale revient à demander l'avis de la population sur un seul projet, décidé par quelques-uns, et qu'il n'est plus possible de corriger qu'à la marge.

En outre, les facettes du développement, durable ou non, sont multiples et les maires par exemple savent combien une décision prise à la hâte peut produire d'effets pervers, parfois dans un tout autre domaine.

Il en est de même pour le fonctionnement des écosystèmes, par exemple quand une pollution azotée en amont d'une rivière fait apparaître des algues toxiques près de son embouchure, au grand préjudice des conchyliculteurs locaux.

Le Conseil général des Ponts et Chassées a montré, dès 1994, que le passage d'une autoroute dans une région économiquement fragile risquait de vider cette zone plus rapidement encore.

Il faut donc recourir davantage à l'expertise contradictoire et multidisciplinaire, confiée à des experts indépendants.

Enfin, si l'on veut que le développement durable ne soit pas qu'une figure de style, les modes d'évaluation et de suivi devront être définis simultanément aux projets qu'ils visent. Il faudra élaborer des indicateurs, adaptés notamment aux objectifs généraux que s'est assignée la collectivité nationale.

Je suis convaincue que cette méthode et ces principes seront appliqués avec d'autant plus de succès que les représentants de l'Etat dans les régions auront à coeur de transmettre ce message, d'organiser les débats publics nécessaires et d'associer les citoyens, sous des formes appropriées, à l'élaboration des décisions.

Quels meilleurs lieux pour cette participation que les Conférences régionales d'aménagement et de développement du territoire -CRADT-, dont le présent projet de loi accroît le rôle élargi ?

Elles doivent regrouper les élus locaux, mais aussi les représentants les plus dynamiques des PME-PMI, les associations, les entrepreneurs de la nouvelle économie sociale et solidaire, etc.

Nous voulons prendre acte de la diversité de la France et de ses nouvelles formes de coopération.

Dans cet esprit, la politique d'aménagement du territoire doit privilégier les projets fondés sur la valorisation des ressources, plutôt que la compensation de handicaps et la réparation des dégâts.

La politique d'aménagement du territoire a été longtemps dominée par les idées de compensation entre zones riches et zones pauvres, de péréquation, d'implantations autoritaires, soit ex nihilo, soit par le biais de "délocalisations", d'infrastructures ou d'équipements dans des régions réputées "défavorisées".

C'est aussi l'idée qui domine à Bruxelles et que traduisent les différents zonages.

Certes, un rééquilibrage, notamment fiscal, est nécessaire, mais il n'est pas suffisant. S'en tenir à ce seul principe conduirait à installer des zones entières dans "la culture du handicap".

Or le caractère favorisé ou handicapé d'une région est relatif et peut évoluer dans le temps. Telle région, hier prospère grâce à ses mines de charbon, s'est trouvée soudain handicapée par ses friches industrielles et contrainte à de douloureux efforts de reconversion, alors que des zones réputées enclavées ont bénéficié du développement du tourisme et se sont enrichies.

C'est pourquoi j'insiste : aucune région ne peut concevoir un avenir résidant uniquement dans des ressources provenant de la péréquation. De même, le fait de brider la région parisienne ne garantit nullement le développement des autres régions.

Le zonage du territoire communautaire ne constitue pas un but en soit, pas plus que le fait pour une région d'être incluse dans une ou plusieurs zones.

La délimitation de zones n'a d'intérêt que si elle permet, pendant une période limitée, d'accorder des moyens publics spécifiques pour créer les conditions d'un développement autonome. Dès lors qu'un zonage recouvre une part trop importante du territoire ou qu'il devient pérenne, il a manqué son objectif.

C'est dans cet esprit qu'il faut aborder les négociations européennes sur la réforme des fonds structurels et celle des zonages qui l'accompagnera. Avec le souci, également, de bien distinguer ce qui doit relever de la nécessaire solidarité européenne et ce qui incombe aux solidarités locales.

Nous ne pouvons pas tout attendre des transferts nationaux ou communautaires. Ils ne peuvent remplacer la prise en charge, par chaque niveau de responsabilité, de la part d'initiatives qui lui revient. C'est ce qu'on appelle la subsidiarité.

Il n'y a pas de territoires condamnés, mais des territoires sans projet. Bien entendu, il faut que les projets soient réalisables et adaptés.

L'idée qui sous-tend le projet du Gouvernement , c'est que l'Etat aidera prioritairement ceux qui s'organisent pour élaborer un projet. Il récompensera la créativité, l'initiative, la coopération entre les acteurs, la synergie des efforts.

Cela dit, la capacité de mobilisation dépend non seulement des moyens financiers, mais aussi et surtout des moyens en matière grise. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé, lors du dernier Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire, de créer une section spéciale du FNADT pour financer l'ingénierie de projets.

Il s'agit de redonner le goût d'entreprendre, la culture de l'autonomie.

Le cadre favorable à cette culture et au développement des projets que je viens d'évoquer est celui des pays et des agglomérations.

Je souligne, à cet égard, la totale cohérence entre ce texte et celui que Jean-Pierre Chevènement vous proposera dans quelques semaines (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Le pays peut être défini très simplement comme un territoire de projet. Il ne s'agit ni d'un nouvel échelon d'administration territoriale, ni d'une nouvelle collectivité locale. Ce qui définit le pays, c'est son projet, traduit par une charte acceptée et signée par tous les partenaires.

C'est donc un cadre très souple, permettant d'unir des volontés sur des territoires considérés par les acteurs eux-mêmes comme ayant une cohérence suffisante. Ces projets seront accompagnés par l'Etat dans les contrats de plan Etat-régions, sans faire preuve du moindre dogmatisme. Je n'ai pas en tête un quadrillage de la France en pays aux frontières établies. Plus modestement, je vous propose d'accompagner un processus déjà à l'oeuvre avec l'intercommunalité et la constitution déjà effective de nombreux pays. Cela ne fait que traduire le besoin largement ressenti de traiter un certain nombre de questions de développement local en dépassant les limites communales ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste).

Pour s'inscrire dans une démarche de développement durable, les pays bénéficient de l'expérience irremplaçable des parcs naturels régionaux dont la capacité à piloter de façon transversale des politiques locales intégrant l'environnement est unanimement reconnue.

Les parcs naturels régionaux, dont le nombre doit encore augmenter, profiteront de la création de nouveaux pays, avec lesquels, pour autant que les uns et les autres jouent le jeu, ils pourront conclure un partenariat.

Les agglomérations, quant à elles, correspondent à un niveau d'exigence supérieur. Elles ne pourront être constituées que s'il existe dans un cadre territorial donné une agglomération centre de plus de 15 000 habitants et un ensemble de communes avoisinantes qui, au total, regroupent une population de 50 000 habitants, dotées d'une taxe professionnelle unique, dans le cadre d'un établissement public de coopération intercommunal. Dotées de compétences importantes, elles pourront passer des contrats avec l'Etat.

Ces communautés d'agglomérations seront le cadre idoine pour développer la politique de la ville nécessaire pour surmonter les difficultés nées d'une urbanisation incontrôlée. La "crise des banlieues", liée au développement urbain, ne pourra être traitée que globalement en faisant jouer les solidarités locales de projet.

Or, si l'intercommunalité s'est développée dans le monde rural, elle reste embryonnaire dans les aires urbaines. Il est pourtant urgent d'y créer ces structures indispensables à la maîtrise de la croissance urbaine, à la reconquête de la qualité de la vie et à l'amélioration des relations sociales.

En fixant ce cadre dans les pays et les agglomérations, le Gouvernement ne définit pas de nouvelles collectivités territoriales ni ne modifie la répartition des compétences fixée par les lois de décentralisation.

Il s'agit d'un pas en avant mesuré et pragmatique. Sans doute faudra-t-il un jour aller plus loin. La question de l'exercice de la démocratie dans les instances de coopération intercommunale se pose avec de plus en plus d'acuité. Sur ce point, je suis d'accord avec le Président de la République lorsqu'il affirme qu'"il est temps de donner leur expression démocratique aux communautés de vie qui se sont formées dans les agglomérations comme dans les pays ruraux." Bien que cette proposition puisse être source de complexité, dans un paysage institutionnel déjà touffu, il faudra sans doute y répondre dans un avenir proche. Le Gouvernement a considéré que la discussion sur ce point n'était pas encore aboutie.

Mais, d'ores et déjà, le champ de leurs compétences feront des pays et des agglomérations, avec les régions, de vrais partenaires des contrats de plan.

C'est l'une des principales nouveautés dans la négociation des prochains contrats de plan Etat-régions. Elle fait suite au rapport élaboré par Jacques Chérèque à la demande du Gouvernement.

M. Christian Estrosi - Et les conseils généraux ?

Mme la Ministre - Ces contrats de plan comprendront deux volets : un volet régional, qui touche essentiellement aux équipements d'intérêt général pour l'ensemble de la région, et un volet territorial, qui vise à encourager les projets des territoires.

Cela découle très naturellement de la volonté du Gouvernement de favoriser le développement local. La construction d'infrastructures est indispensable, mais elle ne saurait suffire pour assurer le développement harmonieux de tout le territoire. D'où l'importance de ce volet territorial.

Les pays et les agglomérations disposeront de trois années pour élaborer leur projet et pourront signer avec l'Etat des contrats de plan jusqu'en 2003.

Ce projet de loi d'orientation fixe également le cadre de l'évolution sur le territoire des services rendus aux publics.

Le "moratoire" décidé par le gouvernement Balladur ne pouvait constituer une réponse durable. Peut-être a-t-il permis d'éviter des décisions dont les conséquences aurait été difficilement réparables. Mais, ce faisant, il a figé les inégalités, empêché l'évolution des services, freiné le dynamisme des territoires.

M. Patrice Martin-Lalande - Et vous, qu'avez-vous fait pendant deux ans ?

Mme la Ministre - Toutes les enquêtes le montrent : les Français privilégient la proximité des services publics et l'égalité de traitement entre les citoyens. Notre devoir est de satisfaire cette demande.

Nombre des dispositions prises dans la loi Pasqua pour organiser la sortie du moratoire sont restées lettre morte, notamment celle qui prévoyait l'élaboration de schémas départementaux d'évolution des services publics.

M. François Sauvadet - Quel dommage !

Mme la Ministre - Les administrations devront dorénavant élaborer des plans pluriannuels d'évolution de leurs services qu'elles transmettront à la Datar. Celle-ci conduira la concertation avec les préfets et étudiera avec eux les conséquences des programmes présentés dans l'ensemble des départements, notamment en matière d'emploi et de dynamique des territoires. Les préfets, quant à eux, mèneront les négociations au niveau local sur les évolutions souhaitables du service public.

Aucun service ne pourra être supprimé sans une étude d'impact préalable. En cas de désaccord entre une administration et les autorités territoriales, le préfet...

M. Patrice Martin-Lalande - Le préfet, toujours le préfet ! C'est l'aménagement du territoire par le préfet.

Mme la Ministre - ...pourra introduire un recours suspensif auprès du ministre concerné, après concertation.

En outre, le Gouvernement a décidé de présenter des amendements permettant de constituer des maisons de service public, qui offriront un service de qualité sur l'ensemble du territoire.

Enfin, répondant aux préoccupations de nombre d'entre vous sur la nécessité de fixer un cadre à l'évolution de certains services publics comme la poste, il proposera des amendements visant à transposer dans notre droit interne une directive communautaire prise dans ce domaine. Ainsi sera garantie une offre de service équitablement répartie sur tout le territoire.

Ce projet de loi sera discuté avec passion, si j'en juge par le nombre des amendements déposés. Cela ne me surprend pas, car l'enjeu est essentiel.

Je rends hommage à la qualité du travail accompli par le rapporteur et par la commission qui a examiné plus de 500 amendements et en a adopté 129, ce dont je me félicite. C'est la traduction des relations normales entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Le travail parlementaire contribue à enrichir les projets du Gouvernement. Cela avait été le cas avec la loi Pasqua.

Cette loi traduit une certaine idée de la démocratie, de la République et de la France (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Elle ne s'énonce ni au clairon, ni au canon, mais s'inscrit comme contribution à un véritable projet global de développement pour notre pays. Elle repose sur une confiance...

M. Patrick Ollier - En tout cas, pas envers les élus !

Mme la Ministre - ...également répartie entre l'Etat et la société civile.

Au lieu d'entretenir une opposition idéologique manichéenne et stérile entre le national et le local, la société et la communauté, le petit et le grand, la mobilité et l'identité, elle s'attache à ce qui relie, au contrat qui fait passerelle, c'est-à-dire aux conditions de détermination de l'intérêt général.

Loin de faire l'apologie de la nouveauté sans critique, elle redonne du contenu aux cadres traditionnels de notre démocratie que sont la commune et les départements.

Mais elle considère aussi que l'exercice de la responsabilité des individus, des groupes et des collectivités, ne fonctionne bien qu'à des niveaux adaptés. Nous avons à faire l'apprentissage de formes de plus en plus fines d'organisation. On ne traite pas de la biodiversité au même niveau que du chômage, du patrimoine culturel que des déchets, des échanges transfrontaliers que des bassins d'emplois.

L'ambition que je vous propose, c'est de revisiter notre façon même de faire de la politique, par un dialogue renouvelé avec nos concitoyens dans leur quotidien et leurs territoires.

J'espère vous avoir convaincus que par notre démarche, c'est la politique elle-même qui retrouvera une part de son crédit et de sa dignité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

M. Philippe Duron, rapporteur de la commission de la production - La conception moderne de l'aménagement du territoire est née voici près d'un demi-siècle. La réussite de cette idée et de cette politique se mesure aux débats qu'elle suscite, aux publications qui lui sont consacrées, et à l'intérêt que lui porte aujourd'hui notre Assemblée, dont les 1 200 amendements déposés sont la meilleure preuve. La commission a travaillé avec beaucoup de sérieux durant trois jours sous l'autorité bienveillante de son président et a enrichi le texte de près de 150 amendements.

Ce projet répond à la volonté exprimée par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale le 19 juin 1997. Il avait annoncé alors la révision de la loi du 4 février 1995 afin de prendre en compte "toutes les dimensions -écologiques, culturelles et économiques- du développement dans les régions". Le CIADT du 15 décembre 1997 avait ensuite réorienté les priorités de la politique d'aménagement et de développement du territoire.

Le présent texte fournit un cadre pour l'élaboration des futurs contrats de plan Etat-régions et une doctrine pour renégocier de manière cohérente la politique européenne des fonds structurels.

Il s'inscrit dans un dispositif plus large, qui vise à simplifier l'organisation des territoires, avec le projet de loi qui sera présenté par M. Chevènement en février, et à organiser les interventions économiques des collectivités territoriales, avec le projet de loi de M. Zuccarelli qui devrait être examiné en 1999.

Il modifie la loi du 4 février 1995, dont les textes d'application, n'ont pas tous été élaborés ni publiés. Ainsi, sa principale disposition, le schéma national d'aménagement et de développement du territoire a-t-il connu bien des vicissitudes avant que le Gouvernement ne renonce finalement à le valider. Il était donc urgent de compléter le dispositif législatif.

Ne pouvant rendre compte de l'intégralité de la discussion de la commission sur les amendements, je reviendrai sur les principales dispositions du projet de loi et vous ferai part des débat qu'elles y ont suscités.

Ce projet de loi comporte 36 articles quand la loi du 4 février 1995 qu'il modifie en comptait 88. Il n'a donc pas été fait table rase de ce texte important ni du travail parlementaire qui l'avait accompagné.

Sur le rôle de l'Etat, je souhaiterais dissiper dès à présent certaines craintes nées de l'abandon du schéma national. Ce projet de loi conserve à l'Etat son rôle majeur dans la politique d'aménagement du territoire. En effet, son article premier dispose qu'il appartient à celui-ci de déterminer cette politique à l'échelon national, après avoir consulté l'ensemble des partenaires et associé les citoyens à son élaboration et à sa mise en oeuvre. Il est le garant des choix stratégiques et des objectifs des schémas de services collectifs, au moyen desquels il assure la cohérence des politiques publiques.

La commission a réaffirmé le rôle de l'Etat dans la réduction des écarts de richesse entre les collectivités territoriales. Il a aussi pour tâche d'assurer l'égal accès de chaque citoyen aux services publics sur l'ensemble du territoire, véritable facteur d'intégration dans la société. La commission, après un long débat, a souhaité enrichir le texte sur ce point, même s'il sera traité en profondeur dans le projet de M. Zuccarelli qui traite des droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration.

La nécessité d'une politique coordonnée des services publics assurant un service moderne et solidaire a par ailleurs été clairement réaffirmée par le Premier ministre lors du CIADT du 15 décembre dernier. Cette volonté tranche avec le moratoire institué par le gouvernement de M. Balladur en 1993.

Le souci de la commission à ce propos se manifeste notamment par un amendement à l'article 15 sur le schéma de services collectifs de l'information et de la communication.

Par ailleurs, la commission a inscrit dans un article additionnel avant l'article 22 des dispositions propres à mieux garantir la présence postale territoriale, notamment en donnant un statut législatif aux commissions départementales de présence postale, prévues dans le contrat d'objectifs et de progrès entre l'Etat et la Poste signé en juin dernier.

Les contrats de plan Etat-régions nés des lois de décentralisation, ont fait la preuve de leur efficacité. S'il conserve son rôle majeur, l'Etat n'est donc plus le seul décideur en matière d'aménagement du territoire.

Le projet de loi vise ainsi à un nouvel équilibre entre l'action de l'Etat, qui reste le garant de l'équité territoriale et du respect de la décentralisation, et celle des autres acteurs de l'aménagement. La région est reconnue comme l'échelon pertinent pour l'aménagement du territoire, sans que les compétences de chacune des collectivités territoriales soient modifiées. Pour apaiser les inquiétudes sur l'avenir du département, un amendement de la commission dit que lorsque d'autres collectivités seront appelées à cofinancer les actions ou les programmes inclus dans les contrats Etat-régions, elles seront associées à toute la procédure, de la négociation à la programmation et au suivi. En vue de ce nouvel équilibre, le schéma national d'aménagement du territoire est remplacé par huit schémas de services collectifs, élaborés pour 20 ans, en harmonie avec les schémas régionaux. Par ailleurs, le rôle des schémas régionaux d'aménagement du territoire est accru. Le Conseil national d'aménagement du territoire est doté d'un vrai rôle de proposition. Il disposera d'une commission permanente, chargée d'une mission d'évaluation des politiques d'aménagement du territoire, qui se substituera au groupement d'intérêt public, prévu par la loi de 1995, qui n'a jamais vu le jour. Enfin, les conférences régionales de l'aménagement et du développement du territoire seront également renforcées.

Une autre idée importante de ce projet est la prise en considération de la dimension européenne, qui manquait dans la loi de 1995. La construction de l'Union européenne, l'ouverture des frontières, la monnaie unique nous amènent à repenser notre rapport au territoire. Il faut faciliter l'insertion dans un espace plus large, dont le centre de gravité glisse vers l'Est au rythme des élargissements, et au sein duquel s'organisent désormais les flux majeurs de l'économie, qui conditionnent les localisations des activités et des hommes. En outre, la prochaine génération des contrats de plan sera en phase avec le calendrier des nouveaux fonds structurels européens.

Une approche fondée sur les besoins des populations doit désormais se substituer aux politiques de l'offre. Trop souvent, les outils utilisés n'ont pas répondu aux attentes de nos concitoyens.

La logique de l'offre a atteint ses limites avec l'impossible élaboration du schéma national prévu par la loi du 4 février 1995 qui, afin de satisfaire chacun, ne fixait pas de choix stratégiques clairs. Désormais, les huit schémas de services collectifs partiront des besoins de services et d'équipements, et non de l'offre ou de la seule demande exprimée. Les schémas régionaux d'aménagement du territoire en garantiront la cohérence.

Ces schémas ont une double ambition : assurer une prévision à 20 ans et une programmation à 7 ans, soit la durée des contrats de plan. Ils ont vocation à fixer les orientations stratégiques de l'Etat et ses priorités d'actions. Ils constituent le cadre unique de planification de la politique nationale d'aménagement et de développement du territoire. Dans un souci de cohérence, ils seront soumis à la signature des ministres concernés et du ministre de l'aménagement du territoire.

Le projet prévoit la validation des schémas de services collectifs par décrets, ce qui a fait l'objet d'un débat intense en commission.

M. Patrick Ollier - C'est vrai !

M. le Rapporteur - Les commissaires ont cru bon d'indiquer au Gouvernement que le Parlement ne pouvait se dessaisir de toute compétence en matière d'aménagement du territoire.

M. Patrick Ollier - Très bien !

M. le Rapporteur - Tel est le sens des amendements adoptés. Le premier prévoit que les schémas de services collectifs seront soumis au Parlement dans un projet de loi. J'avais émis des réserves pour des raisons de calendrier, les schémas devant être opérationnels avant la fin 1999, et de méthodologie, une telle recentralisation me semblant contraire à la volonté que ces schémas résultent d'un dialogue entre l'Etat et la région.

Le second amendement, adopté à mon initiative, crée une délégation parlementaire à l'aménagement et au développement durable du territoire, afin de permettre un suivi continu de cette politique par le Parlement, qui pourrait aussi alerter le Gouvernement en temps utile, sans empiéter sur le rôle des commissions permanentes concernées.

Troisième idée clé : renforcer la démocratie participative.

Les Français souhaitent être davantage associés aux décisions qui les concernent, participer plus concrètement à la construction de leur cadre de vie et de travail.

Ce projet entend encourager le dialogue et la participation des citoyens, en ouvrant les différentes instances de l'aménagement du territoire aux associations.

Enfin, l'idée de développement durable, inhérente à l'ensemble du texte, est affirmée, dès l'article premier, comme l'élément nouveau et moteur de la politique d'aménagement du territoire.

A partir du constat des risques qu'un développement peu soucieux du devenir de nos enfants fait courir à la planète, le projet cherche à combiner, dans une stratégie de développement, préservation de l'environnement, efficacité économique et équité sociale.

Enfin, car c'est un préalable à l'aménagement et au développement durable, le projet vise à recomposer notre territoire autour de territoires pertinents, c'est-à-dire des espaces dont la dimension correspond à la situation professionnelle et sociale de nos concitoyens.

Dans ce cadre, il prend en compte à la fois la dimension européenne et celle des pays et des agglomérations.

L'ouverture des frontières stimule la concurrence entre les villes de l'Union européenne. Or si Paris est au deuxième rang de celles-ci, Lyon, deuxième ville française, n'arrive qu'en vingtième position et nos métropoles régionales n'ont pas une envergure internationale suffisante.

Le projet propose donc de renforcer les pôles de développement à vocation européenne capables de rivaliser avec les autres métropoles européennes en offrant un niveau de services élevé et aptes à animer des réseaux de villes et axes d'une structuration de l'ouest européen.

En ce qui concerne la dimension infra-régionale, le texte mise sur les pays et les agglomérations, que préfigurent les bassins d'emploi et les bassins de vie identifiés par l'INSEE.

La notion de pays, introduite par la loi du 4 février 1995 et qui a suscité l'intérêt des élus, est reprise ici, le projet offrant en effet aux pays, territoires de projet caractérisés par une cohésion géographique, culturelle, économique et sociale et par l'existence de fortes interdépendances entre villes et campagnes, la possibilité de s'inscrire dans les contrats de plan Etat-régions.

Les pays deviennent donc une des principales mailles du territoire régional. Le souci du rapporteur et de la commission a été ici de dépasser le clivage entre rural et urbain, qui tend déjà à s'estomper grâce à l'homogénéisation des modes de vie. Désormais les deux mondes s'interpénètrent et le pays devient un espace de réconciliation.

Certains ont craint que le pays devienne un échelon administratif supplémentaire.

L'examen en commission a montré qu'en ce qui concerne le statut du pays, il faut distinguer la phase de définition du pays et de son projet, durant laquelle les communes et leurs groupements peuvent demeurer sous la simple forme associative, de celle de la contractualisation avec l'Etat, pour laquelle le pays devra se constituer en syndicat mixte. La commission a également décidé de donner à un pays la possibilité de créer un groupement d'intérêt public pour la durée de son contrat avec l'Etat et la région. Elle a souhaité accorder la possibilité de contractualiser avec l'Etat ou la région aux groupements constituant le pays, communautés de communes à fiscalité propre ou syndicats intercommunaux à vocation multiple, si les communes qui constituent ces derniers s'engagent à les transformer en communautés avant la fin de la contractualisation.

La question de la superposition des périmètres entre pays et parcs naturels régionaux a longuement retenu notre attention : la commission a élaboré une solution conventionnelle propre à garantir l'intégrité des parcs tout en autorisant certaines communes les composant à s'associer à certaines politiques menées par les pays.

Le projet de loi renforce également le rôle des agglomérations. De ce point de vue, alors que la loi de février 1995 privilégiait une vision rurale de l'aménagement du territoire, il redonne toute son importance au fait urbain (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR) sans pour autant affaiblir l'action conduite en faveur des campagnes. C'est ainsi que l'agglomération pourra, à l'instar du pays, contractualiser avec l'Etat dans le cadre des contrats de plan Etat-régions. Cela s'imposait : le passage à une société urbaine a transformé, non seulement les modes de vie, mais aussi l'organisation du territoire et les agglomérations, qui rassemblent 80 % de la population, jouent maintenant un rôle économique déterminant. Elles concentrent en outre l'essentiel de la pauvreté et de l'exclusion. Il y a donc là un véritable enjeu de gouvernement.

La commission s'est interrogée sur la pertinence des seuils retenus pour la définition de l'agglomération. Toutefois, elle a estimé préférable de ne pas les modifier dans le présent projet, jugeant qu'il conviendra plutôt de le faire lorsque nous examinerons le projet déposé par le ministre de l'intérieur, sur l'intercommunalité.

D'autre part, la commission, dans le souci de développer la concertation et la démocratie participative, a adopté un amendement visant à créer, comme pour les pays, un conseil de développement. En vue de régler les problèmes de superposition des territoires, elle a autorisé, enfin, l'inclusion d'une agglomération dans un pays.

Un des choix stratégiques faits ici est le soutien aux territoires en difficulté. A cet égard, nous nous sommes longuement penchés sur les amendements relatifs aux DOM et nous avons introduit dans l'article 2 la notion de régions ultrapériphériques, au sens où l'entend l'Union européenne. Cependant, dans quelques mois, une loi concernant l'outre-mer devrait adapter ce texte aux réalités de ces départements.

Les lois successives sur l'aménagement du territoire n'ont pas toujours répondu aux attentes qu'elles avaient suscitées. J'ai la conviction que le point de vue pragmatique adopté cette fois par le Gouvernement permettra de relever les défis européens, de répondre aux aspirations des citoyens et aux besoins des territoires, et de réconcilier infrastructures et environnement. En favorisant le développement local, il sert la priorité donnée à l'emploi. Les enjeux de l'aménagement du territoire dépassant largement les clivages partisans, la commission s'est efforcée de dégager des solutions d'équilibre...

M. Patrick Ollier - C'est vrai.

M. le Rapporteur - Je veux croire que le débat qui s'ouvre sera empreint du même souci et nous permettra d'aboutir à une loi bonne et durable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Conformément à l'article 69 de la Constitution, le Conseil économique et social a désigné M. Jean-Claude Bury, rapporteur de la section des économies régionales et de l'aménagement du territoire, pour exposer devant l'Assemblée l'avis du Conseil sur le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire.

Messieurs les huissiers, conduisez M. le rapporteur du Conseil économique et social (M. le rapporteur du Conseil économique et social est introduit avec le cérémonial d'usage).

M. Jean-Claude Bury, rapporteur du conseil économique et social - Le Conseil économique et social a examiné l'avant-projet de loi d'orientation dans sa séance des 7 et 8 juillet 1998. Il a tout d'abord pris acte que bon nombre de dispositions de la loi du 4 février 1995 sont restées à l'état d'intentions : ainsi s'agissant de la clarification des compétences entre collectivités, de la péréquation des ressources ou de la démocratie intercommunale. Certaines ont même été abandonnées ; par exemple celles qui concernent le schéma national d'aménagement et de développement du territoire. Le présent texte y remédie-t-il ? Je dois dire que, dans un premier temps au moins, il a laissé notre assemblée perplexe.

Certes, cette dernière a approuvé les trois buts assignés conjointement à la politique d'aménagement du territoire : assurer la cohésion économique et sociale ; prendre en compte la qualité de l'environnement et mobiliser toutes les composantes du territoire en faveur de sa compétitivité. Elle a également pris acte des trois priorités arrêtées lors du CIAT de décembre 1997, à savoir mobiliser les territoires et réduire les inégalités entre eux en compensant les handicaps des zones rurales et en favorisant l'émergence de nouveaux pôles de développement ; jeter les bases d'un développement durable et consolider la décentralisation en assurant un réel partenariat entre l'Etat et les acteurs locaux, en consacrant le rôle pivot de la région. Elle a également apprécié l'organisation des territoires en espaces pertinents -pays et agglomérations-, la création du fonds de gestion des espaces naturels, l'approche intermodale en matière de transports, de même que le souci d'évaluer les politiques publiques -sur ce point, nous ne pouvons que nous féliciter des propositions de votre commission visant à donner un peu de consistance à ce dispositif.

Cela étant, nous avons formulé un certain nombre de remarques. La première portait sur la confusion qu'entretenait l'emploi alternatif des termes "développement" et "aménagement", qualifiés l'un et l'autre de durable. En effet, si la conception du développement durable est assez bien définie, celle d'aménagement durable nous apparaissait moins claire. Elle pouvait en effet laisser supposer qu'aucune évolution ne serait susceptible d'intervenir après que cet aménagement aurait été réalisé. Or, la réduction des inégalités et la revitalisation des espaces ruraux passent d'abord par le développement des territoires, le souci de mettre fin à la seule logique redistributive étant d'ailleurs affirmé dans l'exposé des motifs. C'est pourquoi, tant dans l'avant-projet de loi que dans le titre, le Conseil avait proposé d'utiliser l'expression : "aménagement et développement durable du territoire". Il se réjouit d'avoir été entendu.

En second lieu, l'avant-projet donnait souvent l'impression de privilégier l'existant au détriment d'une réflexion sur les moyens de répondre aux besoins nouveaux. Si les équipements déjà réalisés méritent en effet d'être "optimisés", cela ne doit pas conduire à l'abandon de toute nouvelle construction d'infrastructures et d'équipements, notamment en vue d'achever le maillage des zones en difficulté et de les raccorder aux grands réseaux.

La place légitime faite aux préoccupations environnementales ne doit pas bloquer le développement économique et la croissance, essentiels pour la création d'emplois. C'est dans cet esprit que nous n'avions pas souhaité placer les parcs naturels sur le même plan que les pays et les agglomérations.

En outre, le Conseil a regretté l'absence de toute référence à l'urbanisme commercial.

Notre troisième remarque portait sur la nécessaire clarification du rôle et des fonctions respectives de l'Europe, de l'Etat et de la région. Si notre Assemblée considère que la région est l'échelon pertinent pour mettre en cohérence les politiques locales, c'est à l'Etat que doit revenir la responsabilité principale de la politique d'aménagement du territoire et, notamment, du rééquilibrage entre les régions. Même s'il aurait été délicat à appliquer, l'absence du principe de péréquation nous paraît à cet égard fort préjudiciable.

Les transferts de compétences, vers l'Union européenne d'une part, vers les collectivités territoriales d'autre part, ne remettent nullement en cause ces fonctions de régulation et d'arbitrage de l'Etat. Son intervention se fait seulement plus contractuelle et il convient de tirer publiquement les conséquences des souverainetés partagées dans le cadre de l'Europe, et de préciser ce qui relève de sa décision et ce qui est effectivement délégué. Le projet de loi souffre d'un déficit sur ce point. Ainsi en ce qui concerne les services publics, pour lesquels nous nous sommes demandé comment le projet allait s'articuler avec les plans pluriannuels de modernisation, en cours d'élaboration.

Notre quatrième remarque portait sur l'abandon du schéma national d'aménagement et de développement du territoire au profit de huit schémas de services. L'élaboration de ce schéma aurait pu permettre de prendre en compte les travaux prospectifs du commissariat général du Plan, ce que ne pourront ni les huit schémas de services collectifs, ni les schémas régionaux de développement.

De même, la suppression de l'article 2 de la loi du 4 février 1995 fait disparaître, avec le schéma, le principe de son évaluation et de son réexamen tous les cinq ans. Nous avons également regretté l'abrogation des articles 15 et 16 de la loi du 29 juillet 1982, portant réforme de la planification, qui donnaient un cadre juridique aux relations contractuelles entretenues entre les grandes entreprises et le conseil régional ("Très bien !" sur les bancs du groupe UDF). Même si ce type de relation n'a pas toujours été satisfaisant dans le passé, les choix de ces acteurs économiques ont des incidences considérables sur le développement local et régional.

Le Conseil a insisté pour que la réflexion sur les schémas collectifs soit conduite de manière concomitante et que ceux-ci soient présentés dans un rapport unique, précédé d'un exposé qui en précise les enjeux et en assure la cohérence. La note de problématique introductive aux schémas de services collectifs intitulée : "Des chemins vers 2020", en cours d'élaboration à la DATAR va, nous semble-t-il, dans le bon sens.

Nous souhaitons en outre une procédure adaptée de concertation, permettant la prise en considération des attentes et des besoins régionaux.

S'agissant plus précisément des schémas de services, le contour et la vocation d'un certain nombre d'entre eux laissent notre Assemblée dubitative. Est-ce vraiment leur vocation de définir les objectifs de mobilité en fonction de la pyramide des âges des chercheurs et enseignants-chercheurs ? Peut-on vraiment parler de service de transports collectifs quand il s'agit de marchandises ?

Le Conseil économique et social s'interroge également sur le caractère de "service collectif" attribué aux espaces naturels et ruraux. Il craint que, dans un souci certes compréhensible de préservation de l'environnement, le schéma qui les concerne ne freine le développement économique plutôt qu'il ne l'encourage. Ce schéma doit par ailleurs contribuer à éviter l'extension mal maîtrisée des espaces urbanisés.

Concernant le schéma des services collectifs culturels, le Conseil économique et social se félicite de la création d'un instrument régional d'information et de coordination, qu'il avait appelé de ses voeux. Mais il ne croit pas opportun de confier ce rôle à la conférence régionale d'aménagement et de développement du territoire, dont le champ de compétence lui paraît déjà très large, et il préférerait le voir assumé par une conférence régionale de la culture, instance spécialisée dont il demandait la création.

S'agissant enfin du schéma de services collectifs sanitaires, le Conseil économique et social partage la volonté du Gouvernement d'assurer un égal accès à des soins de qualité en tout point du territoire, mais il considère toutefois que l'alinéa visant au respect du principe d'équilibre financier de la Sécurité sociale n'a pas sa place dans un projet de loi consacré à l'aménagement et au développement du territoire. C'est dire que la proposition de votre commission de supprimer cet alinéa nous paraît sage.

Notre cinquième remarque concerne la définition de nouveaux espaces pertinents de développement. Si nous approuvons sans réserve la création des pays, le risque n'est pas exclu de provoquer à la fois un alourdissement institutionnel et celui de la fiscalité locale. La possibilité est en effet donnée aux acteurs locaux de créer de facto un échelon supplémentaire sans qu'aucun autre ne soit supprimé.

Le Conseil économique et social prend acte du fait que le périmètre du pays doit si possible respecter celui des établissements publics de coopération intercommunale situés sur son territoire et dotés d'une fiscalité propre, mais il s'interroge sur la nature juridique des pays qui, selon lui, doivent rester des territoires de projet et non de pouvoir (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Nous exprimons de ce fait les plus grandes réserves quant à l'imposition de la formule du syndicat mixte comme instrument unique et obligatoire de gestion du pays. C'est pourquoi le projet de loi nous semble aller dans le bon sens puisqu'il prévoit que le pays pourra aussi prendre la forme juridique d'un établissement public de coopération intercommunale.

Au-delà de la confusion qu'entretient l'absence de clarification des compétences entre les diverses collectivités territoriales, le Conseil économique et social appelle aussi l'attention sur les problèmes que pose, au regard de la démocratie, la gestion des pays et des agglomérations. Bien peu nombreuses sont, en effet, les dispositions visant à renforcer la transparence des décisions et leur contrôle démocratique. La mobilisation des acteurs locaux au service du développement économique et de l'emploi s'en trouve affectée.

C'est pourquoi nous avons souhaité que soit créée, pour les agglomérations, une instance regroupant les représentants des milieux économiques, sociaux, culturels et associatifs, de même type que le conseil de développement prévu dans le cadre des pays. Cette proposition a été reprise, me semble-t-il, par votre commission.

Ma dernière remarque porte sur la fonction consultative.

S'agissant du conseil national d'aménagement et de développement du territoire -CNADT- et des conférences régionales d'aménagement et de développement du territoire -CRADT-, notre assemblée souhaite vivement que soit évitée toute confusion entre leurs missions et celles qu'exercent, d'une part, le Conseil économique et social national et, d'autre part, les conseils économiques et sociaux régionaux.

S'il apprécie l'instauration, en matière d'aménagement du territoire, d'une rencontre régulière entre élus politiques et responsables socioprofessionnels, le Conseil économique et social souhaite que soient préservées, ou même renforcées, les missions des assemblées consultatives existantes. Nous n'allons pas, semble-t-il, dans cette direction : je le déplore, car si le CNADT doit être associé à l'élaboration et à la révision des projets de schémas de services collectifs, c'est au Conseil économique et social d'émettre des avis sur les dits projets.

De plus, si celui-ci n'a pas formulé d'objection majeure sur l'extension du CNADT en matière d'évaluation des politiques publiques d'aménagement du territoire, il s'interroge sur les moyens dont il disposera pour remplir ce rôle, dévolu dans la loi du 4 février 1995, à un groupement d'intérêt public.

En conclusion, l'aménagement du territoire est à un tournant, et le temps est compté pour le prendre, car la nouvelle phase de programmation des fonds structurels européens qui sera engagée le 1er janvier 2000 doit être précédée par l'élaboration des schémas de services collectifs, des schémas régionaux, d'une nouvelle génération de contrats de plan.

Dans ces délais très courts, l'Etat devra mobiliser toutes les "forces vives" de la nation, afin que l'aménagement et le développement du territoire deviennent l'affaire du plus grand nombre. Le Conseil économique et social appelle l'attention sur la nécessité de veiller à la cohérence des diverses instances, cohérence d'autant plus cruciale qu'avec l'élargissement prévisible de l'Union européenne, la France pourrait ne plus bénéficier des fonds structurels européens à compter de 2006, ou n'en bénéficier que dans des proportions très réduites.

Le Conseil économique et social a vraiment l'impression d'avoir fait oeuvre utile. Plusieurs de ses propositions ont été retenues par le Gouvernement : je pense notamment à la modification du titre du projet, qui tend à en changer la philosophie, à la recherche d'une cohérence des divers schémas de services collectifs avec un texte "chapeau", à l'introduction de la possibilité donnée aux pays de prendre la forme juridique de tout type d'établissement public intercommunale, pour ne citer que quelques exemples.

Plusieurs de ses propositions ont également été reprises dans les amendements déposés par votre commission, qu'il s'agisse de l'égalité d'accès des citoyens aux services publics, de la péréquation des ressources et de la modulation des aides publiques, de la prise en compte du caractère spécifique des régions ultra-périphériques, de l'évaluation des politiques publiques, ou encore du développement de projets économiques porteurs d'investissements et d'emplois, ce qui répond à ses voeux de voir l'emploi érigé au rang des priorités.

La portée de cette loi dépendra des moyens que le Gouvernement consacrera à cette politique, mais aussi de la volonté des acteurs ; on pourra en juger très bientôt en suivant l'élaboration des futurs contrats de plan Etat-région, car des équipements structurants, des infrastructures, mais aussi des aides à l'ingénierie et à la réalisation des projets de développement restent nécessaires, tout particulièrement dans les territoires les plus défavorisés, qui n'ont pas les moyens d'assurer seuls leurs financement.

M. le Président - Je vous remercie. Messieurs les huissiers, veuillez raccompagner M. le rapporteur du Conseil économique et social.

M. André Lajoinie, président de la commission de la production - Votre projet de loi, Madame la ministre, se propose notamment de rendre l'esprit de la loi du 4 février 1995 conforme aux options du gouvernement actuel en intégrant ses préoccupations de développement durable économe en ressources, de soutien aux initiatives locales et de restauration d'un meilleur équilibre territorial. Par ailleurs, si quelques dispositions de la loi de 1995 ont été appliquées, bon nombre d'entre elles ne l'ont pas été. Ainsi, la clarification des compétences, la péréquation des ressources, l'implication des citoyens et le schéma national d'aménagement et de développement du territoire sont restés à l'état d'intention.

Votre projet définit des outils d'intervention mis à la disposition des acteurs locaux. Jusqu'à maintenant, la politique d'aménagement du territoire privilégiait une action dirigiste de l'Etat. Cette démarche trouve ses limites dans l'insuffisante mobilisation des potentialités locales et dans la modestie des moyens qui lui consacre l'Etat. Votre projet vise à aider les territoires à se valoriser à partir de leurs atouts et de leurs richesses, ce qui donne une place plus importante aux acteurs locaux, conformément au souhait des Français d'être davantage associés aux choix qui les concernent. Mais ceci implique un effort important de réduction des inégalités entre les territoires. Cette politique est légitime et cohérente si elle permet de sortir d'une simple logique de mise en concurrence des territoires, génératrice d'inégalités.

L'opposition simpliste entre des zones urbaines trop concentrées et des campagnes en voie de désertification ne permet pas de construire une politique d'aménagement efficace. Les villes aussi connaissent des difficultés ! Or la priorité donnée dans la loi de 1995 aux enjeux de la ruralité s'est faite par opposition au traitement de la question urbaine, alors même que villes et zones rurales doivent se développer de manière complémentaire. Le dynamisme des agglomérations doit irriguer les espaces ruraux qui les entourent et les villes ont un rôle structurant, notamment pour ce qui est de l'emploi, qui doit être reconnu.

On voit que la révision de la loi de 1995 se justifie pleinement. La commission de la production a proposé des améliorations qui portent notamment sur trois questions importantes.

Tout d'abord, la commission a souligné, dans sa majorité, la nécessité d'une plus grande cohérence nationale de la politique d'aménagement du territoire. L'Etat a la responsabilité de préserver l'intérêt national, dans le cadre de l'Union européenne et en assurant la cohérence des diverses politiques et en décidant des péréquations nécessaires pour réduire les inégalités entre régions.

Son action, loin de brider les dynamismes locaux, doit les encourager. Elle doit corriger les déséquilibres, être garante de la solidarité nationale et veiller à ce que la politique d'aménagement du territoire ne soit pas une juxtaposition de choix régionaux. Sans ce souci, le développement local perpétuera, au mieux, les déséquilibres et risquera, plus sûrement encore, de les aggraver.

Les mécanismes de péréquation, les interventions différenciées de la puissance publique dans les contrats de plans, la préservation et le développement des services publics, sont quelques-unes des actions par lesquelles l'Etat doit assumer sa responsabilité. La commission propose plusieurs amendements qui réaffirment ces principes.

Elle s'est également préoccupée du rôle du Parlement dans les processus d'élaboration, d'adoption, d'évaluation et enfin de révision des schémas de services collectifs, qui s'inscrivent dans une perspective de vingt ans et qui devront donc être réactualisés périodiquement. Le projet dit que cela se fera par décret. La représentation nationale doit être associée à cet exercice, ce qui éviterait que le cadre de l'aménagement du territoire soit défini par l'administration.

Notre commission propose des amendements à cette fin. Il n'est pas juste de soupçonner le Parlement de privilégier des préoccupations locales et électoralistes. Je souhaite que ce voeu unanime soit entendu.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Voeu pieux !

M. le Président de la commission - La commission a enfin fait des propositions concernant les rapports entre collectivités, qui doivent rester souples. Il faut respecter l'intercommunalité, qui se développe, de même que la coopération entre agglomérations et zones rurales. Les pays peuvent être des territoires pertinents pour établir des projets de développement, mais selon une approche pragmatique. Imposer le syndicat mixte comme unique instrument de gestion des pays freinerait leur développement. Aussi la commission propose-t-elle que les pays se structurent de façon souple, sans constituer un échelon institutionnel supplémentaire mais en coopérant avec les autres collectivités.

Par ailleurs il ne faut pas oublier le département, qui a vocation à être un partenaire actif dans l'élaboration des contrats de plan et reste un échelon démocratique irremplaçable.

La commission a, dans sa majorité, approuvé le texte ainsi amendé. Je vous remercie d'avoir salué le travail important qu'elle a accompli, et celui du rapporteur Philippe Duron, secondé par les services de la commission. Celle-ci souhaite que le Gouvernement prenne en compte les modifications préparées pour donner plus de cohérence à la politique d'aménagement du territoire, en impliquant davantage le Parlement, les collectivités locales et en mobilisant l'ensemble des citoyens sans lesquels il ne peut y avoir d'aménagement équilibré ni de développement durable.

Enfin la commission a rejeté l'exception d'irrecevabilité et la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - Précisément, j'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe Démocratie libérale une exception d'irrecevabilité en application de l'article 91 alinéa quatre du Règlement.

M. Philippe Vasseur - L'aménagement du territoire doit échapper aux clivages partisans, nous dit le rapporteur. Que n'a-t-il été entendu en premier lieu par le Gouvernement ! Cela aurait peut-être évité qu'il nous propose une nouvelle loi d'aménagement du territoire, alors qu'il existe celle de 1995. Il est vrai que le Gouvernement juge cette "loi Pasqua" inacceptable au motif qu'elle est "rurale-ruraliste". Même si c'était vrai, comme l'a dit le Président Lajoinie, il fallait alors la modifier et la compléter. Comme cela eût été moins spectaculaire, on a préféré une loi d'orientation. Mais elle ne constitue qu'une révision partielle et lacunaire de la loi de 1995. Celle-ci comptait 88 articles. 68 ne sont pas modifiés.

Sont notamment maintenues les dispositions relatives aux directives territoriales d'aménagement, aux schémas interrégionaux du littoral et de la montagne, à l'organisation de l'action territoriale de l'Etat, à l'évolution du fonds national d'aménagement et de développement du territoire et du fonds d'intervention des transports terrestres et des voies navigables, ainsi que les dispositifs d'aide assortis aux différents zonages.

Mais si j'ai bien compris, Madame la ministre, vous vouliez faire date. Vous avez donc une loi Voynet. De votre point de vue, ce doit être important, puisque les mots le sont tant pour vous. A preuve, la première modification est celle de l'intitulé -vous proposez une "loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable".

Qu'est-ce donc que ce développement durable dont on parle depuis longtemps ? J'ai cherché à le savoir. Selon vous, c'est un développement intégrant progrès social, protection de l'environnement et efficacité économique. On ne peut pas être contre. Je vous recommande d'ailleurs de vous reporter à l'article L 200-1 du code rural. Il y est question du "développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs". En émules de M. Jourdain, il y a belle lurette que nous faisions du développement durable sans le savoir !

Si vous voulez montrer qu'il faut prendre en compte la préservation de l'environnement, soit. Nous sommes tous pour une conception écologique de la société. Un élu du Nord-Pas-de-Calais peut vous le dire, qui a vu sa région exploiter le charbon pendant des décennies pour fournir de l'énergie à la France entière et devoir gérer aujourd'hui les séquelles du passé.

A ce propos, vous savez que M. Cohn-Bendit s'est rendu aujourd'hui dans la Manche pour manifester son opposition au nucléaire.

Mme la Ministre - Vous parlez de quel article du projet ?

M. Philippe Vasseur - L'Allemagne fait marche arrière sur le nucléaire et se prépare à utiliser à la place l'énergie charbonnière. On nous expliquera en quoi c'est meilleur pour l'environnement.

Mme la Ministre - Allez voir à Gardanne.

M. Jean-Pierre Balligand - C'est dur d'aller au charbon !

M. Philippe Vasseur - Fallait-il ne pas exploiter notre charbon, l'exploiter autrement ? Bien sûr, il fallait exploiter nos ressources, mais dans d'autres conditions, en sauvegardant et en valorisant la région.

Mme la Ministre - En on ne l'a jamais fait !

M. Philippe Vasseur - Donc, l'écologie, oui ; la protection de l'environnement, oui. Mais cela ne suffit pas à faire une loi d'aménagement du territoire.

Ce texte souffre de carences importantes. Le rapporteur du Conseil économique et social l'a dit, pour les équipements on privilégie ce qui existe. Reste qu'il en est de nouveaux qui sont nécessaires. Vous avez même parlé d'implantation autoritaire d'infrastructures et d'équipements. Mais circulez dans le pays. Ces équipements, on les réclame, on pleure pour que l'Etat tienne ses engagements ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) Vous avez une vision fausse de la réalité.

Manquent également dans ce projet les moyens financiers. Si le Gouvernement avait voulu en accorder plus aux services de l'aménagement du territoire, il aurait commencé par le faire dans le budget pour 1999. Ce n'est pas le cas.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - C'est l'inverse.

M. Philippe Vasseur - On a oublié aussi la péréquation financière. Or, sans péréquation financière, comment peut-il y avoir de véritable aménagement du territoire ?

Mais la principale carence de votre projet porte sur le fond. Vous nous présentez comme un choix stratégique la volonté de renforcer l'organisation des agglomérations. Très bien. Mais je rappelle qu'on nous a présenté récemment une autre loi d'orientation consacrée à la politique de la ville. L'auteur de cette loi appréciera...

Bien entendu, il faut une politique forte pour la ville, il faut mettre en oeuvre un nouvel urbanisme pour casser les ghettos qui se forment dans beaucoup de cités. Mais nous assistons, au centre même des agglomérations, à une désertification source de nouveaux problèmes. Des commerces, des équipements de loisirs installés dans les centres-ville ferment pour aller s'installer à la périphérie. Que restera-t-il, demain, dans nos centres-ville ? Tout ne dépend pas de l'aménagement du territoire, l'avenir des villes dépendra aussi de la façon dont on traitera les problèmes sociaux et la délinquance : sans sécurité, aucun aménagement n'est durable.

Mais il ne faut pas se contenter de traiter les effets, il faut s'attaquer aux causes : et c'est vrai que les politiques menées jusqu'ici, par la droite ou la gauche, n'ont pas su éviter la surconcentration urbaine. On va me dire que c'est une tendance mondiale, que partout on assiste à l'explosion de mégapoles. Mais c'est vrai surtout des pays en voie de développement. Dans nos pays, le phénomène est un peu différent : l'Allemagne, par exemple, a réussi à éviter la constitution de mégapoles.

La leçon, c'est qu'on ne fait pas une bonne politique de la ville en faisant une mauvaise politique de la campagne : or vous faites une mauvaise politique de la campagne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Ou alors c'est que vous recherchez un symbole pour démontrer que la loi Pasqua était trop ruralo-ruraliste, bonne à jeter aux orties !

Mais ce n'est pas en défavorisant les zones rurales que vous aiderez les villes. L'article 61 de la loi de 1995, qui prévoyait une loi spécifique pour le développement des zones rurales, est supprimé. L'article 18 de votre projet prévoit l'élaboration d'un schéma des services collectifs des espaces ruraux, mais il est centré essentiellement sur la conservation du patrimoine naturel. L'article 23 institue un fonds de gestion des milieux naturels. Or l'article 38 de la loi de 1995 avait créé un fonds de gestion de l'espace rural : vous ne l'avez pas supprimé, mais ses dotations financeront les contrats territoriaux d'exploitation prévus par la loi d'orientation agricole... On a l'impression d'un jeu de bonneteau dans les lois d'orientation du Gouvernement ! Introduire des mesures de reconquête écologique, c'est bien, mais ce n'est pas avec cela qu'on retiendra la population des zones rurales et qu'on l'empêchera d'aller grossir celle des villes pour y créer de nouveaux problèmes.

Aménager le territoire, c'est avoir une conception globale de l'équilibre nécessaire à notre pays. Depuis la publication en 1947 par le géographe Jean-François Gravier, du célèbre "Paris et le désert français", on a cherché un meilleur équilibre entre Paris et ce qu'on appelait "la province", mot hideux que je déteste. Puis on s'est préoccupé d'un meilleur équilibre entre l'Est industriel et l'Ouest agricole -certaines choses ont été bien faites, je pense notamment au grand plan lancé par le général de Gaulle pour la Bretagne et l'Ouest. Puis on s'est occupé des zones de conversion.

Aujourd'hui il serait important de disposer d'un schéma national d'aménagement du territoire mettant en cohérence toutes les politiques : je rejoins l'avis du rapporteur du Conseil économique et social, M. Jean-Claude Bury, qui a insisté sur l'importance d'un tel schéma.

Vous reprochez, Madame la ministre, au schéma prévu par la loi Pasqua d'être dépourvu de cohérence : et bien il fallait se donner les moyens de le rendre cohérent ! Au lieu de cela, vous supprimez le schéma national et le remplacez par huit schémas sectoriels de services collectifs d'une durée de 20 ans. Certes il faut savoir voir loin, mais 20 ans, c'est presque trois septennats ! Et j'aimerais qu'on sache aussi procéder par étapes et ne pas occulter le court et le moyen terme.

Vous dites que ces schémas, qui doivent être adoptés par décret avant la fin de l'année, feront l'objet d'une concertation. J'aurais souhaité, comme beaucoup ici, davantage de démocratie. Comme l'a dit le président de la commission de la production M. André Lajoinie, ces schémas auraient mérité d'être soumis à l'avis du Parlement. On a le sentiment que le Gouvernement fuit le débat et qu'en dépit des effets d'annonce, la technocratie l'emporte sur la démocratie.

On nous parle de décentralisation vers les régions. Mais il s'agit d'une fausse décentralisation, qui met à mal les avancées de 1982 !

Votre projet a théoriquement pour ambition de consolider la décentralisation et de renforcer le rôle des régions. Malheureusement, contrairement à ce que vous souhaitiez personnellement, Madame la ministre, les schémas régionaux d'aménagement et de développement du territoire prévus à l'article 5 n'auront aucun caractère prescriptif. A quoi serviront-ils donc ? A recommander, encore une fois ! Et ce sera tout. Or chacun sait qu'en politique, il ne s'agit pas de recommander mais de décider.

Le rôle des régions n'est pas précisément défini dans votre projet. En réalité, il n'est pas reconnu, non plus que celui des départements, grands absents de ce texte.

Ce n'est pas renforcer la décentralisation mais simplement déconcentrer que de donner de nouveaux pouvoirs aux préfets auxquels je tiens d'ailleurs à rendre hommage, notamment pour l'impartialité dont ils font preuve dans l'accomplissement de leurs missions.

Les préfets auront notamment un rôle important dans la reconnaissance des pays. Prévus dans la loi de 1995, ces derniers sont non seulement maintenus mais même confortés par l'article 19 de votre projet de loi. Ils seront dotés d'un conseil de développement et chargés d'élaborer une charte de pays. Malheureusement, votre projet supprime la disposition de la loi de 1995 selon laquelle la constitution de pays pouvait aboutir à modifier le découpage des arrondissements. Il ne faudrait pourtant pas que ces pays constituent, directement ou indirectement, un échelon supplémentaire dans le paysage administratif français déjà assez complexe.

L'occasion était rêvée de clarifier les compétences des collectivités et de simplifier les structures administratives.

L'administration française compte-t-elle ou non trop d'échelons ? Si oui, lequel faudrait-il supprimer ? Ce n'est pas ici le lieu à cet instant de lancer le débat. Mais force est de constater un manque total de lisibilité : nul ne sait déjà aujourd'hui exactement qui fait quoi et la situation risque d'être pire encore demain. Pour une fois, le parti socialiste avait été bien inspiré lorsqu'il préconisait dans son programme électoral pour les législatives de clarifier les compétences de chaque collectivité. Malheureusement, ce furent encore des mots, une promesse non tenue (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste). Une parmi tant d'autres ! Les détailler me prendrait la nuit. L'exercice serait intéressant mais fort périlleux pour l'actuelle majorité.

Mais cessons la polémique. Je me contenterai sur ce texte de vous renvoyer à ce qu'en dit le bureau de l'Association des maires de France, dont le secrétaire général, que je sache, n'est pas de droite... Il souligne que ce projet de loi ne peut être isolé de ceux à venir sur l'intercommunalité et les interventions économiques des collectivités, qu'il importe donc d'harmoniser les logiques de chacun de ces textes et de veiller à la complémentarité des réformes envisagées. Vous le reconnaissez d'ailleurs vous-même, Madame la ministre, puisque l'exposé des motifs de votre texte fait référence à ces projets ultérieurs et que vous avez à l'instant parlé de "poupées gigognes". Mais votre texte coiffe-t-il les autres ou est-il coiffé par eux ? Voilà ce qu'il serait intéressant de savoir.

Ce projet de loi d'orientation, de votre propre aveu insuffisant, souffre en outre d'un autre péché originel : son application est totalement irréaliste. L'adoption définitive du texte n'aura lieu, au mieux, qu'à la fin du premier trimestre. Restera ensuite à élaborer les décrets d'application, puis les schémas de services collectifs, qui devront faire l'objet d'une large concertation et devraient être soumis à la représentation nationale, puis à faire adopter dans chaque région le schéma régional d'aménagement et de développement du territoire, enfin à conclure les contrats de plan Etat-régions. On mesure les difficultés et l'on sait tout le mal qui résulterait d'une précipitation excessive. Si j'étais mal intentionné, je me demanderais d'ailleurs si une telle précipitation ne vise pas à créer un rideau de fumée...

Dans le même temps, se prépare à Bruxelles une réforme extrêmement grave, dont personne n'a jusqu'à présent parlé, celle de la prime d'aménagement du territoire, instituée pour rendre plus attractives aux agents économiques certaines zones défavorisées. Le protocole d'accord conclu entre la Commission européenne et le Gouvernement français le 20 décembre 1993 sauvegardait les intérêts de notre pays en ce domaine, fixant à 42,4 % de la population française métropolitaine les territoires éligibles à cette prime. Le principe avait alors également été retenu de rapprocher la carte des zones concernées avec celles bénéficiant des fonds structurels...

M. Alain Barrau - Excellente initiative !

M. Philippe Vasseur - Vingt-cinq millions de Français vivaient donc dans des zones susceptibles de bénéficier de cette prime. De surcroît, il avait été acquis que des zones particulièrement fragiles, rurales ou urbaines, pouvaient bénéficier de taux majorés.

Or, aujourd'hui, la Commission européenne envisage une réforme de cette prime telle que seuls 32 % de la population française, et non plus 42 %, seraient concernés.

Il y a là, et je vous l'avais signalé dès le 4 novembre 1997, un grave danger, d'autant que d'autres mesures aggravent les choses, notamment celles qui prévoient une réduction des plafonds. Le taux normal, appliqué aux trois quarts des régions, serait ainsi ramené de 17 à 10 %, au détriment d'une compensation efficace des handicaps. Le taux majoré passerait, lui, de 25 à 17 %. Sont concernés le Massif Central, le Nord-Pas-de-Calais, la Lorraine, la Bretagne, le Languedoc-Roussillon, l'Aquitaine, Poitou-Charentes et même l'Alsace et PACA. Enfin le taux dérogatoire de 33 % qui concerne notamment trois arrondissements du Nord-Pas-de-Calais et l'ancien pôle industriel de Longwy serait purement et simplement supprimé.

Il faut par ailleurs être conscient que les entreprises des régions qui ne seraient plus éligibles perdraient du même coup le bénéfice des aides et des accompagnements économiques qui y sont liés, les Etats-membres étant sommés d'adapter leur réglementation avant le 1er janvier 2000.

Je vous ai trouvée bien résignée à ce propos, Madame la ministre, quand vous vous contentiez de regretter l'absence d'un Conseil des ministres de l'aménagement du territoire et que vous déploriez que la réduction des zones éligibles aboutisse à exclure certaines régions du bénéfice des aides communautaires qu'elles percevaient jusqu'alors. Comment le Gouvernement envisage-t-il de réformer le système ? Par trois scénarios de l'inacceptable ! Dans le premier, la PAT serait réservée aux projets internationalement mobiles.

M. André Angot - Toyota !

M. Philippe Vasseur - Avec un tel scénario, ce n'était même pas sûr...

Afin d'attirer les grands investisseurs internationaux, on se place donc dans une logique de concurrence européenne avec comme critères le bilan des implantations internationales des dernières années et le développement futur des moyens de transport. Dans la nouvelle carte de la PAT ainsi dessinée, les territoires industriels éloignés seraient rayés de la carte, de même bien sûr que les territoires ruraux.

Dans le deuxième scénario, la PAT serait réservée aux territoires dont la situation est particulièrement dégradée, c'est-à-dire aux bassins d'emplois frappés par les restructurations.

Un député DL - La ministre n'écoute pas (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Philippe Vasseur - De cette tribune, c'est au peuple français, aux élus locaux, à tous ceux qui sont concernés que je m'adresse !

Dans ce scénario, le Gouvernement prendrait comme critères les pertes d'emplois industriels et les décisions de restructuration. Dans la nouvelle carte, seraient éliminés les territoires qui disposent d'atouts pour attirer les investisseurs internationaux.

Troisième scénario,...

M. Joseph Parrenin - Ce sont des scénarios catastrophes...

M. Philippe Vasseur - Non, ce sont ceux du Gouvernement ! L'information circule mal ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Joseph Parrenin - Sottise sur sottise !

M. Philippe Vasseur - Vous méconnaissez les réalités de l'aménagement du territoire et des propos des membres du Gouvernement ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Troisième scénario : la PAT serait réservée aux zones peu industrialisées ou en difficultés économiques. On aiderait les zones rurales à se développer en considérant que les zones industrialisées sont favorisées, ce qui permet de montrer une volonté du Gouvernement d'aider les premières. Seraient retenus des critères de population et de proportion d'emplois industriels. Dans la nouvelle carte de la PAT, des zones industrialisées bien placées sur le marché européen seraient écartées.

C'est donc sur la base de ces scénarios que seraient rayés de la carte des aides 6 millions de Français. J'espère que Madame la ministre nous dira lesquels, car cette opération de déménagement du territoire se déroule dans un manque de transparence total.

Pour toutes ces raisons, sur l'esprit, je le reconnais, plutôt que sur la lettre, nous avons le devoir de déclarer irrecevable ce texte qui va aggraver les inégalités alors que nous devrions assurer davantage l'égalité des chances entre les Français, quelle que soit la région où ils vivent et où ils veulent travailler. Nous ne pouvons accepter qu'une loi dite d'orientation aboutisse à sacrifier des territoires de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme la Ministre - Une exception d'irrecevabilité a théoriquement pour objet de faire reconnaître qu'un texte est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles. Il s'agit souvent d'un simple exercice de style et vous n'avez pas rompu avec cette tradition. Quand on n'est pas satisfait d'une loi on la modifie, avez-vous dit. C'est ce que nous faisons. Vous avez d'ailleurs reconnu que nous conservions les trois quarts des dispositions de la loi Pasqua -celles qui étaient fonctionnelles et de bon sens.

Vous avez affirmé n'être pas opposé au développement durable -il ne manquerait plus que ça !- tout en montrant par quelques exemples surréalistes que, décidément, vous n'avez toujours pas compris ce que c'était. Ce n'est pas une couche de préoccupations bucoliques sur du bon vieux productivisme (Sourires). Ce ne sont pas non plus des préoccupations propres au seul monde rural, qui se résumeraient par un article du code rural ("Très bien !" sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste). Ce sont des préoccupations qui doivent inspirer l'ensemble des politiques publiques, dans le souci de ne pas faire vivre à nos régions ce qu'une certaine conception du développement a fait subir à la vôtre... (Mêmes mouvements)

Vous nous reprochez de négliger les zones rurales. Pourtant nous avons conservé l'essentiel des dispositifs qui les concernent et dégagé les moyens pour aller au delà du bavardage électoral et de l'effet d'annonce...

Vous avez critiqué le constat cruel que j'ai dressé à propos du schéma national mais celui-ci, promis pour l'année suivant la publication de la loi, n'a pu être présenté, que je sache. Au reste, M. Pasqua lui-même a reconnu que l'exercice était largement virtuel et que ce document, purement indicatif, ne vaudrait que par les convictions qu'il susciterait.

Vous nous avez reproché de faire de la prospective à vingt ans. Mais les schémas modaux de l'ancien gouvernement n'accumulaient-ils pas les projets impossibles à financer, même sur plusieurs siècles ?

Par ailleurs, en quoi aurions-nous tort de citer le lieu où vivent 90 % des Français : la ville ? Vous avez démontré que vous n'aviez pas compris que les zonages servaient à acheminer des moyens financiers vers les territoires connaissant les plus grandes difficultés -ce qui implique qu'on puisse y renoncer avec bonheur une fois le redécollage acquis !

Vous avez fait l'impasse, enfin, sur quelques réalités triviales, à savoir que la loi Pasqua n'était qu'un programme de travail, une liste de mesures qui n'ont jamais été financées et que les crédits de l'aménagement du territoire ont été réduits de plus du tiers entre 1995 et 1997, alors que le gouvernement Jospin les a accrus depuis son arrivée. Ainsi, après les discours intéressants tenus sur le sujet, les deux milliards d'autorisations de programme ouverts dans la loi de finances pour 1995 ont été annulés pour moitié dès le mois de mai suivant ; au contraire, le gouvernement actuel a conforté le FITTVN et doté le fonds national de développement des entreprises, dont M. Pasqua considérait qu'il était un outil essentiel au service des territoires.

Pour toutes ces raisons, je ne puis approuver votre longue argumentation et je demande à l'Assemblée de rejeter votre motion (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. le Rapporteur - Bien que vous ayant écouté attentivement, Monsieur Vasseur, je n'ai pas entendu, moi non plus, d'arguments susceptibles de fonder en droit l'irrecevabilité. En revanche, j'ai noté plusieurs inexactitudes et contradictions.

Nous nous ferions plaisir avec cette nouvelle loi, avez-vous dit, en affirmant que la loi Pasqua la rendait inutile. Mais ce projet ne comporte que 36 articles et ne vise qu'à modifier ou compléter les 88 articles de la loi Pasqua, dont la plupart resteront applicables.

Vous évoquez en termes catastrophistes la désertification des campagnes, dont les habitants s'installeraient en ville. Le mouvement, aujourd'hui, est plutôt inverse : un tiers des communes rurales sont en croissance forte depuis quinze ans...

M. Patrick Ollier - Vive Pasqua !

M. le Rapporteur - Elles savent donc être attractives pour les habitants des villes.

Quant aux préfets, leur pouvoir ne sera nullement arbitraire : ils auront certes à arrêter le périmètre des pays, mais ils le feront après avis conforme de la commission régionale. Notre commission a en outre souhaité que la commission départementale de coopération intercommunale les éclaire, par un avis simple. Leur rôle ne sera donc en définitive que celui d'arbitres.

Plusieurs députés DL et RPR - Et la PAT ?

M. le Rapporteur - Ce n'est pas le sujet du débat !

Je crois donc qu'il n'y a pas matière à voter l'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

M. Bernard Perrut - Le groupe Démocratie libérale votera bien sûr l'exception d'irrecevabilité. M. Vasseur a su montrer les carences de ce texte et le silence fait sur la PAT est révélateur d'un débat tronqué. En discutant de ce projet, nous n'abordons qu'un aspect des questions intéressant "l'aménagement et le développement durable du territoire".

Ce texte ne répond pas aux attentes de nos 36 000 communes et de tous ceux qui croient à l'avenir de la France. Alors que l'Etat doit être le garant des équilibres territoriaux et de la solidarité nationale, votre budget ne dégage pas de moyens supplémentaires et vos dispositions ne servent ni l'économie ni l'emploi.

En commission, nous avons démontré que ce projet était déséquilibré, qu'il accordait notamment aux préfets des pouvoirs susceptibles de remettre en cause la décentralisation et qu'il risquait de créer pour nos petites communes des obligations de service public insupportables, dans le cadre de conventions signées avec l'Etat. Plus généralement, ce texte ne prend pas suffisamment en compte les zones rurales. Nous, élus du seigle et de la châtaigne selon l'expression du doyen Vedel, nous ne pouvons que constater la prééminence donnée aux pôles urbains et aux agglomérations.

Enfin, nous pensons que le pays doit être avant tout une communauté de vie et en aucun cas risquer de devenir l'enjeu d'une lutte de pouvoir. Or il y a bien danger, ici, d'un conflit de compétences avec les communes.

Autant de motifs de rejeter ce projet. On ne subit pas l'avenir, on le fait, disait Bernanos : vous avez manqué de la force et de la conviction nécessaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Jean-Pierre Balligand - Pour reprendre une expression utilisée par M. Vasseur contre Mme la ministre, je dirai qu'il est parfois dur de "monter au charbon" en opposant à un texte une exception d'irrecevabilité : il n'a pu faire valoir aucun argument juridique.

Cela étant, une telle notion peut être l'occasion de proposer une politique alternative. Je m'efforcerai donc de répondre sur le fond.

Cette loi est certes de portée modeste : elle laisse intacts 68 articles de la loi Pasqua. Ce n'est donc pas le grand soir de l'aménagement du territoire ! Mais le grand tort de la loi Pasqua n'avait-il pas été, lui, de faire rêver la France rurale à un aménagement du territoire tout entier marqué de l'empreinte des années 1960 ? C'était une loi de la nostalgie : que la France était belle avant guerre ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR) Ce fut une réussite pour ce qui est de l'orchestration politique -celle de la campagne présidentielle de M. Balladur, que M. Pasqua préparait alors... (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Patrick Ollier - C'est inacceptable !

M. Jean-Pierre Balligand - Mais qu'y avait-il derrière ce texte ? Trois mois plus tard, la baudruche se dégonflait, la moitié des crédits budgétaires était annulée ! Plus grave : alors que cette loi "à crédit" annonçait une nouvelle avancée de la décentralisation, rien n'est venu concrétiser la promesse. Quant aux lois sur l'intercommunalité, telle que celle du 6 février 1992, nous avons dû les faire contre vous ! Aujourd'hui, vous les revendiquez et vous vous permettez de grands discours sur le sujet !

Cette loi Pasqua n'était donc qu'un beau rêve et il faut maintenant revenir aux choses sérieuses. Une loi d'aménagement du territoire doit fournir des orientations qui trouvent rapidement application. Pourtant, il nous faut cesser de rêver sur le rôle de l'Etat. Notre pays est un pays décentralisé et, présidant avec M. Hoeffel l'Institut de la décentralisation, je suis de ceux qui luttent pour qu'on préserve cet acquis et même qu'on avance, passant à l'acte II. Cela suppose une boîte à outils : en premier lieu, nous avons besoin de développer l'intercommunalité à fiscalité propre, en nous appuyant sur la loi du 6 février 1992 qui a permis de créer plus de 1 500 communautés de communes. Mais ces structures sont souvent petites : il faut donc les rassembler. En second lieu, nous devons permettre aux pays, qui ne sont qu'un échelon de projet, non un échelon administratif, de contractualiser. C'est ce qu'autorisera cette loi.

J'ai donc déposé, au nom du groupe socialiste, un amendement visant à permettre aux communautés de communes de recevoir des dotations supplémentaires de l'Etat, comme le pourront les communautés d'agglomérations.

Comment passer sous silence, d'autre part, que la loi Pasqua ignorait les zones urbaines ? Finissons-en avec le tout-sécuritaire ! Ce qui est important, c'est une bonne organisation des agglomérations. Et pourquoi ne pas dire, puisque c'est le cas, que certaines communes extrêmement riches se refusent absolument à participer à une communauté d'agglomérations ? Il faut mettre un terme à ce scandale qui fait que le PNB des Hauts-de-Seine est supérieur à celui de la Grèce alors que son voisin, la Seine-Saint-Denis, est plus pauvre que la Creuse. Là est l'aménagement du territoire au sens noble, sans trivialité ni petitesse, et c'est à quoi servira la boîte à outils que constitue la loi Voynet. Et là est la différence fondamentale avec la loi Pasqua qui, au terme des grandes déclarations, n'a été suivie d'aucune réalisation concrète !

Nous avons enfin été nombreux à demander que la PAT ne soit pas réservée aux seuls grands projets.

Dans tous les cas, l'exception d'irrecevabilité doit être rejetée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. le Président - Je rappelle aux orateurs que leur temps de parole est limité à cinq minutes.

M. Patrick Ollier - Je suis stupéfait par les propos qu'a tenus M. Balligand, qui nous a habitué à beaucoup mieux. Que d'efforts sont donc nécessaires au groupe socialiste pour soutenir la loi Voynet ! C'est un bien mauvais argument que de s'en prendre à la loi Pasqua, vous, M. Balligand, vous, M. le rapporteur, vous, Mme la ministre, qui avez attendu deux ans sans rien faire ! C'est un bien mauvais argument, surtout, de s'en prendre à une loi qui, deux ans seulement après son adoption, faisait déjà l'objet de 102 textes d'application ! J'espère que, dans les deux années à venir, autant d'arrêtés, de circulaires et de décrets auront été publiés pour l'application de votre propre loi. Dans tous les cas, cessez-en avec les procès d'intention, les contre-vérités et les mensonges ! Reprenez l'avant-projet de schéma national préparé par le Gouvernement précédent et que votre premier geste a été de suspendre !

Et s'il faut compléter l'excellente démonstration de mon collègue Vasseur par des arguments juridiques, comment ne pas voir que la suppression du schéma national va déstructurer la politique d'aménagement du territoire, au risque d'une inégalité de traitement entre les citoyens ? Etes-vous suffisamment consciente, Mme la ministre, que votre projet de loi ne fait pas allusion à l'égal accès des citoyens aux services publics ? C'est là un autre argument qui justifie l'exception d'irrecevabilité.

Comment, encore, ne pas s'indigner de la suppression du rôle du Parlement, que vous avez complètement oublié, si bien que, pendant vingt ans, il n'aura rien à dire sur l'aménagement du territoire ? Comment est-il concevable de laisser l'administration se substituer au pouvoir politique sur ces questions ? C'est d'un véritablement contournement du Parlement qu'il s'agit ! Voilà pourquoi le groupe RPR votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Félix Leyzour - M. Philippe Vasseur a parlé longuement, très longuement, noyant des remarques que nous aurions tous pu faire dans un discours-fleuve qui charriait tous les clichés d'une politique que le pays a rejetée. Nous l'avons connu en meilleure forme oratoire, et la suffisance de son ton n'a pas démontré l'irrecevabilité. Pourquoi ne pas expliquer la loi Pasqua-Balladur, nous a-t-il demandé, sans nous dire pourquoi ses auteurs n'avaient pas cru bon de l'appliquer eux-mêmes ? C'est bien pourquoi, d'ailleurs, il nous faut discuter cet autre projet de loi, l'amender pour l'enrichir... et repousser l'exception d'irrecevabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Maurice Leroy - Ainsi, votre motivation première est bien de décapiter la loi Pasqua sur le billot de la majorité plurielle. Au lieu de répéter à l'envi qu'il faut supprimer la loi de 1995 parce qu'elle n'est pas appliquée, mieux vaudrait savoir écouter, et entendre Patrick Ollier lorsqu'il indique que cette loi a fait l'objet de rien de moins que de 43 décrets d'application et 51 arrêts, circulaires et instructions !

Sur le fond, on sent bien, Madame la ministre, votre embarras. Si M. Balligand continue, avec cohérence, de s'opposer à un texte qu'il a toujours combattu, vous nous dites, pour votre part "rassurez-vous, l'essentiel de la loi de 1995 demeure". Dans ce cas, faites mieux encore : renforcez-là !

C'est une illusion de penser que le "village planétaire" s'opposerait à nos villages millénaires. Ce à quoi il faut viser, c'est à un développement harmonieux du territoire, associant zones rurales et zones urbaines.

Et puis, si ce texte est si merveilleux, pourquoi avoir adopté plus de cent amendements ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Mais je ne demande qu'à y trouver plus de Balligand, alors continuez. En tout cas, c'est une grave erreur que d'avoir déclaré l'urgence sur un texte qui nécessite une réelle concertation de tous les acteurs locaux.

M. Yves Cochet - Elle est faite.

M. Maurice Leroy - Nous sommes trop ruralistes, dites-vous. Un peu de bon sens ! Le monde rural n'aspire pas à être une réserve de Sioux. Continuez donc à tout concentrer, et vous n'aurez pas assez de crédits de la politique de la ville pour réparer les dégâts. Il faut assurer une meilleure répartition sur tout le territoire. L'Allemagne l'a fait plus habilement que nous. L'enjeu est fondamental : c'est de construire la France du 21ème siècle. Sait-on que 10 % des communes entretiennent 80 % de l'espace avec 8 % des ressources ?

M. Christian Sauvadet - Ce n'est pas mineur.

M. Maurice Leroy - Soit moins de quatre milliards pour 400 000 km2. Ce miracle, la France le doit à plus de 300 000 élus locaux.

Par ailleurs le saucissonnage entre ce texte, la loi Chevènement, la loi Zuccarelli, est irritant. Il faudrait un projet global cohérent. Enfin ce texte rompt l'égalité de tous, élément constitutif de la citoyenneté. Le groupe UDF votera donc l'exception d'irrecevabilité.

M. Jean-Michel Marchand - Par ses propos alarmistes, M. Vasseur a voulu inquiéter les campagnes et les élus ruraux.

M. Philippe Vasseur - La PAT concerne la ville !

M. Jean-Michel Marchand - Ils n'ont aucune raison de s'inquiéter. Par rapport à la loi Pasqua, ce texte rétablit un équilibre. La réalité incontournable, c'est que 80 % de la population vit dans des agglomérations.

M. Patrick Ollier - Il faut laisser faire ?

M. Jean-Michel Marchand - Il faut permettre à ces agglomérations de développer l'intercommunalité. Quant au développement durable, nous n'en avons pas la même définition. Pour vous, l'environnement n'est qu'un critère d'ajustement économique, construire des infrastructures et des équipements étant le seul facteur de développement. Nous voulons, nous, faire vivre la démocratie, faire participer les citoyens, aménager le territoire avec le souci de le ménager. Le groupe RCV ne votera pas l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu, ce soir, à 21 heures 15.

La séance est levée à 19 heures 35.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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