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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 52ème jour de séance, 132ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 19 JANVIER 1999

PRÉSIDENCE DE M. François d'AUBERT

vice-président

          SOMMAIRE :

AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE (suite) 1

    QUESTION PRÉALABLE 1

La séance est ouverte à vingt et une heures quinze.


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AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion après déclaration d'urgence du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi d'orientation du 4 février 1995 pour l'aménagement et le développement du territoire.

QUESTION PRÉALABLE

M. Serge Poignant - Nous avons déposé cette question préalable, Madame le ministre, en raison du décalage entre vos déclarations et la réalité. Vous avez prétendu vouloir simplement réviser la loi du 4 février 1995. Pourquoi, alors, rompre avec celle-ci, votée à l'issue d'un grand débat national et d'une concertation sans précédent ?

Rappelons le contexte de 1993, quand s'est constitué le Gouvernement Balladur. Malgré les lois de 1992 sur l'organisation territoriale, la désertification des campagnes se poursuivait inexorablement. La population des grandes agglomérations continuait de s'accroître alors que celle des villes moyennes stagnait, 80 % de la population occupant 20 % du territoire.

Paris et sa zone d'influence continuaient de concentrer les pouvoirs politiques et la plupart des pouvoirs économiques nationaux. La concentration urbaine se traduisait par un mauvais maillage du territoire. A l'exception de la capitale, il n'y avait aucune ville de dimension internationale. Les villes moyennes étaient en perte de vitesse et seules les petites villes progressaient, mais au prix d'un important endettement.

De plus en plus nombreuses, des zones en crise cumulaient les handicaps. Le fossé se creusait encore entre les grandes agglomérations et les zones du "rural profond".

Le rôle de l'Union européenne devait par ailleurs changer. Dès 1990 était ouverte une réflexion sur le schéma de développement de l'espace communautaire, qui devait aboutir à une politique européenne d'aménagement du territoire.

L'Union européenne était appelée à devenir un partenaire important dans ce domaine, au même titre que les collectivités locales.

Alors que la concurrence s'accroissait au sein de l'Union et que le contexte social devenait difficile, le Gouvernement Balladur a pris l'initiative d'ouvrir un grand débat qui a abouti à la loi de 1995. Je salue aujourd'hui le travail effectué alors et notamment celui de M. Patrick Ollier.

Le principal reproche que vous nous faites, c'est que la loi Pasqua n'aurait été que partiellement appliquée. Or, quarante-six décrets d'application et cinquante deux arrêtés, circulaires et instructions ont été publiés entre 1995 et 1997. Le Conseil national d'aménagement et de développement du territoire, les conférences régionales, le comité interministériel, les comités de gestion des fonds d'intervention et l'Observatoire des finances locales ont été créés. Différents fonds, en outre, ont été abondés, même si nous aurions aimé qu'ils le soient plus rapidement. Citons le Fonds national d'aménagement du territoire, le Fonds de gestion de l'espace rural, le Fonds de péréquation des transports aériens, le Fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables ou le Fonds national de développement des entreprises ! Je veux rappeler tout cela à MM. Balligand et Leyzour.

L'élaboration du schéma national d'aménagement et de développement du territoire n'a pu aller jusqu'à son terme, mais la préparation des synthèses régionales, le recueil des propositions formulées par les départements ministériels concernés et la réalisation des études prospectives, sous l'égide du Commissariat général du Plan, étaient en bonne voie.

M. Patrick Ollier - C'est vrai !

M. Serge Poignant - L'avant-projet du schéma national avait été approuvé lors du CIADT d'Auch. Il reposait sur deux principes : développer le territoire et l'équilibrer.

Cela signifiait agir sur les nouveaux facteurs de compétitivité que sont l'éducation, l'enseignement supérieur, la recherche, la santé, l'action sociale ou la culture, et moderniser nos réseaux de communication, qu'il s'agisse des télécommunications ou des transports.

L'objectif était aussi d'encourager la coopération entre les entreprises et les acteurs locaux en favorisant l'émergence de pôles industriels, en instituant une aide à l'ingénierie de développement et en facilitant l'accès des entreprises à l'information. Afin d'encourager le développement des entreprises, il était prévu de renforcer le réseau des PME, d'attirer les grands groupes, mais aussi de préserver l'artisanat et le commerce, qui jouent un rôle important dans le maillage territorial, de maintenir les exploitations agricoles et forestières et de tirer parti de l'économie touristique.

Développer le territoire, c'était aussi favoriser l'émergence des pays et approfondir la décentralisation.

Equilibrer le territoire, c'était, dans un esprit de solidarité, dynamiser l'espace rural en désenclavant certaines zones et en choisissant un mode de développement adapté pour les zones à faible densité. C'était aussi aménager la ville en se dotant des moyens nécessaires, structurer les aires métropolitaines et veiller à un développement harmonieux de l'Ile-de-France.

Il fallait encore mettre en valeur nos territoires spécifiques : DOM, montagne, littoral, espaces frontaliers.

Enfin, ce schéma visait à préserver l'homme et son environnement, c'est-à-dire conjuguer écologie et développement.

Pourquoi ne l'avez-vous pas entériné ? De tels objectifs doivent-ils être considérés comme de beaux rêves, inspirés par des raisonnements des années 60, comme a osé le dire M. Balligand, qui nous a habitués à mieux ?

Pour terminer ce bilan, je rappellerai que les zonages ont été définis, qu'il s'agisse des territoires ruraux de développement prioritaire ou des zones de revitalisation rurale. Par ailleurs, quarante-deux pays tests ont rendu possible une évaluation à l'issue de la période d'expérimentation. A ce jour, soixante et onze pays ont été constatés par les commissions départementales.

La loi du 4 février 1995 avait deux autres objectifs : la clarification des compétences et la péréquation. La nouvelle répartition des compétences en matière d'aménagement, consécutive à la décentralisation, a laissé subsisté des recoupements de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat, qui concourent tous à l'aménagement du territoire, au développement économique et à la protection de l'environnement. Par ailleurs, cette décentralisation ne s'était pas accompagnée d'une réforme financière significative. La concertation engagée pour préparer la loi du 4 février 1995 avait mis en évidence plusieurs motifs d'insatisfaction : fonctionnement peu satisfaisant des mécanismes de péréquation ; opacité de la fiscalité locale ; raréfaction des concours de l'Etat.

Un espoir était né. Pourquoi, Madame le ministre, ne pas avoir profité du travail déjà réalisé ? Pourquoi ne pas partir de cette esquisse qu'est le schéma national ? Vous n'avez dressé aucun bilan sérieux de la loi de 1995. L'articulation entre les mesures maintenues et les mesures nouvelles proposées est à peine évoquée dans l'exposé des motifs. Ce qui est sûr c'est que, depuis votre arrivée, l'application de la loi de 1995 a été tout simplement interrompue. Cela fait un an et demi que tout est bloqué et vous déclarez l'urgence sur ce texte !

Nous considérons qu'il n'y a pas lieu de débattre aujourd'hui dans la précipitation, d'autant que ce projet appelle une concertation large des élus locaux.

Pourquoi tant de précipitation ? Le maire que je suis, comme tous les autres maires de France, sait qu'il doit organiser le recensement, qui débutera en mars. Celui-ci reflétera la physionomie de la France. Nous connaîtrons alors, par commune, le nombre d'habitants, leurs déplacements, leurs attentes, mais vous ne pourrez intégrer ces données dans votre réflexion.

La négociation des contrats de plan est engagée, la réforme des fonds structurels et la mise en harmonie des politiques européennes avec "Agenda 2000" et des politiques d'aménagement du territoire sont en cours, et vous voulez faire adopter votre projet de loi avant l'été. Nous ne pouvons l'accepter, pas plus que la procédure d'urgence sur le projet relatif à l'organisation urbaine et la simplification de la coopération intercommunale, qui viendra en discussion après celui-ci et créera les communautés d'agglomération et la taxe professionnelle unique. Vous indiquez que votre texte s'inscrit dans un dispositif plus large, comportant les textes de MM. Chevènement et Zuccarelli. La représentation nationale et les commissions permanentes auraient dû, dans ce cas, être saisies simultanément des trois textes. En effet, comment légiférer aujourd'hui sur le seuil de population des communautés d'agglomération avant d'examiner le projet sur l'intercommunalité ?

Alors que Charles Pasqua avait tracé une voie claire, votre texte est un vrai dédale. Et que dire du décret du 7 juillet dernier qui encadre déjà les interventions économiques des collectivités locales ? Que dire de la réforme de la taxe professionnelle décidée dans la loi de finances ou de la loi d'orientation agricole, si peu ambitieuse ? Sans oublier, Madame le ministre, la suggestion que vous avez faite en avril dernier à Mme Lebranchu, lors d'un colloque organisé par M. Balligand, de rédiger une nouvelle loi sur l'initiative économique et le développement local ! Une telle cacophonie ne peut que décevoir les acteurs de l'aménagement du territoire.

Cet éparpillement législatif, contraire à la volonté du Président de l'Assemblée que nous légiférions moins mais mieux, n'a-t-il pas pour but de rendre plus floue la démarche environnementale, qui est largement idéologique ?

L'article 2 substitue huit schémas de services collectifs au schéma national d'aménagement et de développement du territoire. C'était pourtant un instrument de cohérence indispensable, dont les travaux préparatoires avaient donné lieu à des débats ouverts, sincères et instructifs, et que seul le changement de majorité de 1997 avait empêché d'entériner. Il aurait en outre permis de mieux prendre en considération les exigences de la France dans le schéma de développement de l'espace européen.

A cet égard, le passage à l'euro provoquera des comportements nouveaux car les coûts sociaux et environnementaux des territoires seront immédiatement comparables. Par ailleurs, la renégociation des fonds structurels européens pour la période 2000-2006 ne peut être dissociée de notre réflexion ; lorsque plus de vingt pays -au lieu de douze auparavant- prélèveront leur part, la France verra la sienne réduite d'environ un tiers. Les fonds structurels ne peuvent donc en aucun cas se substituer à l'effort de l'Etat, mais doivent s'y ajouter.

Enfin, l'élargissement progressif de l'Europe fait apparaître avec plus d'acuité encore les maillons manquants des infrastructures. La France risque de se trouver marginalisée, le centre de gravité de l'Europe étant appelé à se déplacer vers le Nord et l'Est ; il aurait fallu poursuivre l'action entreprise pour rattraper les retards. Au lieu de cela, vous prévoyez de renoncer purement et simplement à certains engagements.

Certes nous approuvons l'introduction de la dimension européenne en préambule à l'article 1, mais nous regrettons que dans la suite du texte on n'y fasse pas davantage référence, notamment en ce qui concerne les schémas de services.

Ceux-ci, outre qu'ils ne sont pas exhaustifs -ainsi n'est-il pas question de la justice, par exemple- semblent ignorer l'évolution des besoins : ainsi faudrait-il continuer à développer nos infrastructures routières. Faute de projets d'envergure, vous allez vous contenter de répartir la pénurie.

Vous avez proposé que ces schémas soient préparés par l'administration et publiés par décret ; les élus de la nation seront donc tenus à l'écart, ce que nous ne pouvons accepter. N'est-ce pas contraire aux déclarations du Premier ministre sur le respect dû au Parlement ?

Votre projet repose sur trois piliers : les régions, les pays et les agglomérations.

La loi Pasqua avait déjà fait des régions les interlocuteurs de l'Etat dans le processus de contractualisation et les chefs de file de l'aménagement du territoire. Vous précisez le rôle des schémas régionaux d'aménagement, mais vous supprimez les dispositions qui assuraient la cohérence des projets d'équipements régionaux avec les politiques de l'Etat. Vous renforcez le rôle des conférences régionales d'aménagement du territoire, mais en instituant une co-présidence du préfet de région et du président de région, et on peut se demander quel sera le poids de l'Etat dans les décisions. Enfin, les grands oubliés de ce projet sont les départements.

M. Patrick Ollier - En effet !

M. Serge Poignant - Il ne suffit pas, Madame le ministre, d'y faire référence dans vos auditions... Aucun projet économique, routier, universitaire, culturel ou environnemental, ne peut se passer d'un financement départemental. Chaque année, les départements consacrent des milliards à des investissements indispensables aux entreprises.

Le département a toujours constitué le cadre de la solidarité entre la ville et le milieu rural. Il ne faudrait pas que les agglomérations et les pays créent une césure entre l'urbain et le rural. A cet égard, il est nécessaire que les communes péri-urbaines puissent faire partie à la fois de communautés d'agglomérations et de pays. Le pays est un espace de développement et de solidarité pertinent, mais ne doit pas être un échelon territorial supplémentaire ; sur ce point, la rigidité du projet risque d'effrayer les élus et les acteurs locaux. On abandonne une notion fondamentale, celle de constatation du pays, pour donner le pouvoir de délimitation au préfet de région. Ne revenons pas aux procédures des lois Joxe-Baylet, où les préfectures organisaient des réunions dans les communes pour les inciter, voire les obliger à se regrouper ! C'est ainsi qu'on a constitué des coquilles vides, dont le seul but était de récupérer les dotations de l'Etat.

Vous reconnaissez l'agglomération comme instrument de la politique d'aménagement du territoire, mais vous nous renvoyez à d'autres textes. Quid de la réforme fiscale ? A l'heure de la mondialisation, quelle ambition formulez-vous pour nos métropoles ? L'Allemagne envisage l'émergence de 7 à 8 pôles intercontinentaux ; en France, pour l'instant seuls Paris et l'Ile-de-France peuvent rivaliser.

Vous associez l'agglomération au seul "fait urbain", et le développement des zones rurales est relégué au second plan. Or des mesures adaptées à l'espace rural profond, à la montagne ou au littoral demeureront indispensables, de même qu'une politique de soutien aux villes moyennes. Ne laissez pas croire que la richesse n'est produite qu'à la ville ! C'est bafouer les agriculteurs, les artisans, les commerçants de nos territoires ruraux.

En ce qui concerne les services publics en milieu rural, le Gouvernement a voulu sortir du moratoire. L'action du Gouvernement en la matière ressemble au travail de Pénélope : vous clamez en octobre que vous soutenez le milieu rural dans la loi d'orientation agricole et, en décembre, vous supprimez le moratoire sur la fermeture des services publics !

Quelques mots enfin sur la fiscalité locale.

La loi de 1995 avait permis d'ébaucher une péréquation. Votre projet ne donne de moyens supplémentaires qu'aux communautés d'agglomération ayant une taxe professionnelle unique. Vous renvoyez à la réforme décidée dans la loi de finances pour 1999, qui va pénaliser les collectivités locales.

Vous optez pour la compensation budgétaire, c'est-à-dire pour la subvention d'Etat, alors que les élus locaux plaidaient pour le dégrèvement fiscal. En confisquant un pouvoir fiscal autonome, vous remettez en cause le principe de l'indépendance des collectivités locales et manifestez une volonté de recentralisation.

Il est regrettable que la réforme de la taxe professionnelle n'améliore en rien la péréquation entre communes, alors que les écarts de richesse ne font que se creuser. Votre projet élude totalement le volet économique en renvoyant au texte de M. Zucarelli. Or les acteurs du développement local sont confrontés à l'enjeu majeur de créer des emplois.

Pour conclure, l'aménagement du territoire arrive à un tournant. La nouvelle plage de programmation des fonds structurels européens doit démarrer à partir du 1er janvier 2000 et les nouveaux contrats de plan doivent être établis pour la période 2000-2006. Il vous sera difficile, dans ce délai très court, de mobiliser les élus locaux et vous affaiblissez la position de la France au moment où s'engagent des négociations capitales.

La question préalable de l'opportunité de cette loi se pose donc. Nous ne sommes pas contre l'aménagement du territoire, ni contre l'intercommunalité et la notion de pays. Mais la loi Pasqua existe et pouvait être appliquée, quitte à la compléter, notamment en ce qui concerne la clarification des compétences et la péréquation fiscale.

Mais votre projet rompt l'équilibre réalisé par la loi Pasqua, qui avait recueilli un certain consensus.

Vous avez déclaré en préambule qu'une loi d'aménagement du territoire n'est pas un moment ordinaire. Votre texte paraît bien faible et bien flou par rapport à votre discours. Il ne donne pas à notre pays les perspectives dont il a besoin.

La France est un tout, un peuple, un territoire. Le Parlement se préoccupe de l'ensemble du territoire, dont une partie ne peut être opposée à l'autre. C'est pourquoi une politique d'aménagement du territoire doit être arrêtée par le Parlement, garant de l'unité nationale.

L'action politique doit préparer l'avenir. Comme vous, nous pensons que "notre capacité à infléchir des décisions n'est pas une illusion". Mais cette conviction et cette ambition, nous ne les percevons pas dans votre projet (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Le temps qui passe magnifie les événements : vous dressez un tableau idyllique de la loi Pasqua. Pourtant le débat parlementaire n'avait pas été si simple : plusieurs centaines d'amendements avaient été déposés et le texte s'était considérablement enflé (Protestations sur les bancs du groupe du RPR), passant de 24 à 88 articles ! (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR) Nous avons voulu élaguer et aller à l'essentiel.

Quant à l'application de cette loi, vous ne pouvez pas imputer à ce Gouvernement le fait que pendant les deux ans qui ont suivi, seules les dispositions d'application ne posant pas de problème ont été adoptées -pas le schéma national, ni les schémas sectoriels, aucune mesure pour sortir du moratoire concernent les services publics ou relative à la fiscalité locale et à la péréquation intercommunales ; sept des huit rapports prévus n'ont pas été réalisés et seule une des quatre lois annoncées a été mise en oeuvre.

Depuis, le Gouvernement a fait son travail. Nous avons évalué la loi Pasqua avec le plus de rigueur possible, gardé ce qui fonctionnait, changé ce qui n'était que bavardage, ajouté ce qui manquait.

Nous n'avons pas touché aux compétences du département ; il reste un interlocuteur de l'Etat et de la région pour la négociation des contrats Etat-région. Nous avons simplement clarifié les compétences en redisant que la région est le chef de file en matière d'aménagement du territoire comme l'est le département en matière d'action sociale.

Je ne crois pas que la multiplication des infrastructures favorise la polarisation des activités sur quelques sites de stature internationale. Le succès de l'aménagement à l'allemande réside dans sa capacité à construire des réseaux de villes qui coopèrent entre elles sans stériliser les territoires qui les entourent. Mais ceci est une autre histoire (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Philippe Duron, rapporteur de la commission de la production - Vous faites l'apologie de la loi Pasqua : qui pourrait le faire mieux que le groupe RPR ? Vous en faites un dogme intangible : permettez qu'on n'y adhère pas.

Vous citez les textes d'application publiés, on pourrait faire la liste de ceux qui ne l'ont pas été.

Vous évoquez les objectifs classiques de l'aménagement du territoire, développer et équilibrer le territoire : nous y souscrivons complètement. La loi Voynet enrichit ces objectifs en tenant compte de la perspective européenne et de la notion de développement durable.

Parfois vos critiques ressemblaient plutôt à une apologie de la loi Voynet, notamment quand vous parliez des pays, de la poursuite de la décentralisation, du renforcement de l'activité territoriale... On ne peut faire de l'aménagement que dans des zones pertinentes, pays ou agglomérations. La loi Pasqua avait tendance à idéaliser le monde rural et à stigmatiser le monde urbain. La loi Voynet, elle, traite les problèmes de la ville globalement.

Vous ne couperez pas à la nécessité de déclarer l'urgence. Mais il faut faire vite pour cadrer les contrats de plan. Du fait de la création de deux volets dans les fonds mis à disposition des contrats de plan, un volet régional et un volet territorial, les élus auront tout le temps nécessaire pour élaborer des projets de pays ou d'agglomération.

Vous voyez dans la loi Voynet un ensemble de dédales : j'y vois au contraire quelques principes clairs.

Vous parlez d'éparpillement législatif : j'y vois le souci du Gouvernement de réformer de façon globale et cohérente.

Vous regrettez le schéma national : c'est un vrai débat, j'en conviens, qui oppose ceux qui veulent que la France reste centralisée à ceux qui veulent être en cohérence avec les lois de décentralisation.

Vous êtes opposé aux schémas collectifs. Je ne suis pas sûr que telle sera la position des présidents de région de l'opposition quand ils verront, demain, de quels instruments ils disposent ainsi pour territorialiser la planification.

Vous avez parlé de chaînons manquants dans les infrastructures. Il est vrai que bien des liaisons sont encore incomplètes, dans la région de Basse-Normandie comme dans bien d'autres -le Président Lajoinie pourrait évoquer les nécessaires liaisons est-ouest. Mais rien dans ce projet ne vous permet de dire que les infrastructures seront abandonnées.

Quant aux départements, en quoi sont-ils oubliés quand nous leur permettons de faire valoir leur point de vue sur la définition des périmètres, quand nous les associons, en amont comme en aval, à la contractualisation ? Nullement abandonnés, ils jouent un autre rôle, à une autre place.

Vraiment, cette question préalable ne se justifie pas (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Alain Ferry - Cette question préalable est pleinement justifiée.

Parler, comme le rapporteur, d'"une loi de méthode", c'est reconnaître qu'elle ne remplit pas son objet, d'autant qu'elle encourt la critique formulée en 1991 par le Conseil d'Etat : "trop de textes de loi ne permettent pas de distinguer l'intention de l'action".

Ce projet est placé tout entier sous le signe de la déclaration d'intention. Vous y multipliez les affirmations générales. L'article premier accumule les pétitions de principe, ce qui lui ôte toute portée normative. La notion de développement durable relève d'un discours philosophique qui n'a sa place que dans l'exposé des motifs. Et si on nous assure que ce texte tient compte de la dimension européenne qui faisait à vos yeux défaut à la loi de 1995, aucune disposition contraignante n'est prévue.

Vous opérez en outre des choix contestables. Vous cédez à la tentation de l'effet d'affichage en supprimant le schéma national d'aménagement du territoire. Certes, ce dernier n'était qu'en voie d'élaboration. Mais la phase de maturation était presque achevée. Un avant-projet avait été approuvé par le gouvernement précédent au printemps 1997. Vous auriez pu assurer sa réalisation, vous avez préféré faire table rase.

M. Jean-Pierre Baeumler - Vous avez préféré dissoudre...

M. Alain Ferry - Les huit schémas de services collectifs seront publiés par décret. Ainsi, le pouvoir que les élus avaient obtenu en 1995 est récupéré par l'administration.

Au risque de décourager les initiatives, vous alourdissez la procédure de création des pays qui, pour contractualiser, devront se constituer en syndicat mixte ou en établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre.

Les dispositions relatives aux agglomérations traduisent une vision de l'aménagement qui oppose une zone urbaine créatrice de richesse et une aire rurale perçue comme un patrimoine à protéger plutôt que comme un lieu de vie.

Enfin, vous n'engagez aucune des réformes décisives pour l'avenir. Une forte péréquation de la taxe professionnelle serait pourtant indispensable pour assurer une plus juste répartition des ressources entre les collectivités locales. Il faudrait par ailleurs instituer une fiscalité locale dérogatoire dans les zones rurales menacées de désertification.

Le groupe UDF-Alliance votera la question préalable car ce projet traduit une absence de volonté politique que vous compensez mal par les effets d'annonce.

M. Yves Cochet - Oh !

M. Alain Ferry - En fait, vous nous présentez un discours de politique générale plutôt qu'un projet de loi, ce qui m'amène à vous rappeler ce mot d'un philosophe : "le discours est souvent l'ombre de l'action" (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Nicolas Forissier - Comme l'a montré Serge Poignant, cette question préalable est parfaitement justifiée.

La loi de 1995, presque entièrement appliquée, aurait pu, à long terme, porter ses fruits. Sans doute était-il nécessaire de l'aménager, d'en renforcer certains dispositifs, mais rien ne semblait justifier une nouvelle loi d'orientation qui, du reste, ne révise que très partiellement la loi de 1995, -vingt articles seulement sur quatre-vingt huit.

Ni l'affirmation du concept très à la mode de développement durable, qui figure déjà dans la loi de 1995, ni la réaffirmation des pays n'exigeaient un nouveau texte.

La substitution au schéma national d'aménagement du territoire des schémas de services collectifs laisse planer de sérieuses menaces de recentralisation de la politique d'aménagement du territoire.

Je m'étonne, Madame la ministre, que vous fassiez des pays un axe de ce projet. Le pays, conçu comme bassin de vie et cadre d'un projet commun de développement, nous sommes beaucoup ici à le vivre au quotidien, à le pratiquer sur terrain, depuis plusieurs années. Où est la nouveauté ?

Si les lois d'orientation sont utiles à l'aménagement du territoire, car elles définissent les grandes lignes de notre organisation territoriale et fournissent des outils aux acteurs de terrain, la loi de 1995 et le grand débat qu'elle a suscité ont été très utiles. L'aménagement du territoire, ce sont avant tout des élus locaux, des associations, des socio-professionnels qui se mobilisent et s'organisent pour faire vivre leur territoire. Or de nombreux projets ont été gelés dans l'attente de ce projet.

De nombreux élus, notamment ruraux, peinent à s'y retrouver dans l'écheveau des schémas, zonages, comités, conseils et autres procédures, et votre projet va rendre les choses plus complexes encore.

Avec ce texte, le risque est grand d'une rupture entre les campagnes, les villes, les agglomérations.

L'aménagement du territoire, c'est aussi, ne l'oublions pas, des milliers de chefs d'entreprise qui ont fait le pari de s'installer en milieu rural. Nous devons redoubler d'efforts pour soutenir ces PME. Or votre texte est bien discret à ce propos.

Vous semblez parfois vouloir cantonner les campagnes dans un rôle de parcs de loisirs pour citadins, alors que seuls l'activité économique, la présence de PME et les emplois qu'elles créent peuvent assurer la survie et le dynamisme des territoires ruraux.

Comment ne pas évoquer enfin le regrettable abandon du moratoire sur la fermeture des services publics en milieu rural.

Pour toutes ces raisons, le groupe Démocratie libérale votera cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jean-Claude Daniel - Le propos de M. Poignant se résume à une question : pourquoi abandonnons-nous la loi Pasqua ? En tant qu'élu local, j'ai vécu la phase de préparation de cette loi avant de rencontrer M. Gaudin qui m'a dit : "désolé, il y avait de l'argent pendant six mois, il n'y a plus rien à distribuer"... J'ai été frustré, comme nombre d'élus locaux.

M. Poignant nous avait pourtant habitués à une lecture plus intelligente...

Selon lui, les schémas de services ne sont pas exhaustifs. En effet, justice, social, sécurité n'y figurent pas. Il incombera toujours à l'Etat de veiller à l'équité républicaine, à chacun son rôle. Ainsi centralisme et décentralisation ne seront pas concurrents mais complémentaires.

Vous nous faites un reproche qui reviendra sans doute fréquemment dans ce débat : celui de supprimer le schéma national. Mais l'élaboration de toute une gamme d'autres schémas sera l'occasion d'un dialogue plus intense entre toutes les collectivités, au premier rang desquelles sera la région.

Le département serait, selon vous, le grand oublié de cette loi. Mais il sera partie au SRAT et au contrat de plan, notamment, et certains présidents de conseils généraux, de votre bord, semblent d'ailleurs l'avoir bien compris : ils ont déjà pris le train en marche !

S'agissant du rôle des préfets, nous refusons comme vous l'intercommunalité forcée et nous comptons bien écarter le risque d'effets d'aubaine et la chasse aux primes. Un amendement Balligand obligera à tenir compte de cinq paramètres : population, DPU, coefficient d'intégration fiscale, projets et chartes, et compétences.

Quant à la répartition des services publics sur notre territoire, elle n'est plus celle que nous avons connue il y a 35 ans ! Il nous faut, non moins de services publics, mais "mieux" de services publics, c'est-à-dire des services mieux distribués.

Ce projet ne ferait aucune place au soutien à l'emploi ? Au contraire : il est tout entier tendu vers cet objectif !

Enfin, merci d'avoir dit qu'il convenait de compléter la loi Pasqua. C'est en effet ce que nous avons cherché à faire. Mieux : nous avons cherché à la réorienter, comme cela s'imposait, pour passer d'une logique de structures et de guichets à une logique des hommes, des projets et des activités et pour nouer avec tous les territoires un nouveau pacte de confiance et de développement, l'Etat conservant quant à lui son attachement au pacte républicain, gage d'équité.

Pour toutes ces raisons, nous voterons bien sûr contre la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Yves Deniaud - Plutôt que de reprendre les arguments avancés par M. Poignant, je m'efforcerai de répondre aux objections qu'on nous oppose depuis le début de ce débat.

La loi Pasqua, nous dit-on, n'a pas été appliquée, parce qu'elle était inapplicable. Pourtant, nombre de textes d'application ont été pris en deux ans et le bilan soutient la comparaison avec ce que vous avez vous-même fait sur une durée comparable. Vous voulez cependant changer cette loi : soit, vous êtes la majorité, c'est votre droit, mais vous auriez pu pour cela recourir à la méthode Pasqua. Tout à l'heure, M. Balligand a qualifié la préparation de cette loi de grande opération médiatique mais il reste qu'en sept mois de travaux préparatoires, M. Pasqua avait su se mettre à l'écoute des élus et des responsables socio-professionnels. Rien de tel de votre côté. Vous n'avez même pas évalué les résultats de la loi de 1995 ni les effets de zonages. Ce travail n'aurait pourtant pas manqué d'intérêt au moment où l'Europe s'apprête à réformer -et à restreindre- ses aides aux territoires : nous aurions ainsi pu savoir de quels crédits l'Etat devrait se doter pour compenser le déficit et cette loi y aurait gagné en utilité ! Mais tel n'est pas le cas et cette seule lacune justifierait que nous votions la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Jean-Michel Marchand - M. Poignant semble éprouver beaucoup de nostalgie quand il évoque la loi Pasqua, mais reconnaît tout de même que son application a été bien limitée ! Il conteste aussi l'urgence demandée par le Gouvernement mais les échéances de 1999 ne la justifient-elles pas ? Je pense en particulier à la négociation, capitale, des contrats de plan.

Quant aux schémas de services collectifs, ils témoignent de notre volonté d'efficacité.

La co-présidence confiée au préfet de région et au président du conseil régional s'explique par notre volonté de reconnaître la prééminence de l'Etat dans la détermination des orientations, tout en confortant les compétences de la région.

Enfin, si cette loi reprend certains éléments de la loi Pasqua, elle rompt avec celle-ci en tenant compte de la distribution réelle des hommes et des activités sur le territoire, en donnant un élan à une politique de projets et en affirmant une volonté de développement durable. Nous ne pouvons donc voter cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Félix Leyzour - Il n'y aurait pas lieu de délibérer, certes, si la loi en vigueur permettait un développement équilibré de nos territoires, mais tel n'est pas le cas. Cette loi de 1995 visait, disait-on, à résorber la fracture territoriale et, de fait, les inégalités étaient flagrantes. Mais on cherchait aussi, dans le même temps, à rassembler les élus et les acteurs sociaux autour de M. Balladur, qui se préparait à l'élection présidentielle. En définitive, ceux qui se battaient sur le thème de la fracture sociale l'ont emporté sur les tenants de la lutte contre la fracture territoriale... La recherche d'un plus grand libéralisme a alors prévalu et il n'est donc pas étonnant que l'équilibre du territoire en ait pâti (Exclamations sur les bancs du groupe UDF).

Certes, quelques fonds ont été créés : le FITTUN, le FGER, le FNDE, le FPTA... On a aussi lancé des directives territoriales d'aménagement. En revanche, on a oublié la disposition essentielle de la loi : le schéma national d'aménagement du territoire n'a jamais vu le jour -non plus d'ailleurs que les neuf schémas sectoriels, le dispositif d'observation et d'évaluation, les conventions collectives, les conventions de services publics et la loi de programmation sectorielle. Passées à la trappe également les dispositions sur la mobilité économique, sur les zones rurales, sur l'habitat ancien, sur la péréquation intercommunale !

Il y a donc bien lieu de discuter aujourd'hui d'un nouveau texte et, par conséquent, de repousser cette question préalable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. le Président - Dans la discussion générale, la parole est à M. Sarre.

M. Georges Sarre - Débattre de l'aménagement du territoire après l'unification allemande, l'élargissement de l'Union européenne et le rééquilibrage de notre sous-continent n'est certes pas chose facile, mais présente un grand intérêt. En effet, notre centre de gravité s'est déplacé vers l'est, avec l'apparition d'une zone de fort dynamisme s'étendant de Londres à Milan. L'ouest et le sud de notre pays risquent de rester en marge de ce développement.

La politique européenne d'aménagement du territoire n'existant pas -ou du moins pas encore- et les fonds structurels étant appelés à s'amenuiser, nous discutons aujourd'hui du seul instrument de régulation et de réduction des inégalités qui demeure, au moment où la vague du libéralisme tend à priver de toute légitimité l'intervention publique dont nous savons pourtant tous combien elle est nécessaire. Car qui, mieux que l'Etat, peut s'affranchir des calculs à courte vue pour planifier ?

Malgré les filtres bureaucratiques, votre projet de loi, Madame la ministre, présente une certaine originalité, qui ne fera pas taire mes réserves : à mes yeux, un schéma national d'aménagement du territoire est nécessaire. Comment, sinon, aboutir à un développement cohérent ? Votre texte affirme certes que l'Etat veillera à l'équité. Mais sans même s'appesantir, car le temps manque, sur ce qui sépare l'équité de l'égalité, comment ne pas voir qu'un cadre général reste nécessaire et qu'il revient à l'Etat de définir les orientations globales de l'aménagement du territoire, seul outil structurant à sa disposition ?

Je ne propose certes pas d'étouffer les régions, mais de prendre appui sur un schéma national et de servir ainsi les objectifs de l'Etat dans les régions. J'ajoute que je trouve surprenant que notre Assemblée n'ait pas à connaître des schémas de services collectifs -sont-ils prêts d'ailleurs ?- et plus surprenant encore que le Parlement soit écarté de leur élaboration. N'est-il pas, pourtant, directement concerné, alors que s'élabore Agenda 2000 et que la réduction des fonds structurels européens est annoncée ? Que de risques on prend, à laisser la France s'avancer ainsi désarmée !

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt vos déclarations sur les "pays" qui doivent, dites-vous, rester des cadres de projet et non pas devenir des institutions. Faut-il rappeler que le cadre institutionnel français actuel repose sur le suffrage actuel à tous les niveaux ? Il a certes des inconvénients, mais penser lui substituer un nouveau triptyque -le pays, la région, l'Europe- n'est pas la bonne solution, car le rôle du suffrage universel et donc du citoyen y serait méconnu. Il serait de bien meilleure méthode de vivifier des institutions fondées sur un suffrage universel actif et, donc, de s'appuyer sur les citoyens. Une bonne politique d'aménagement du territoire doit être liée à la représentation politique réelle du pays, non à une représentation imaginée, sans ancrage ni dans la durée ni dans la réalité.

Notre premier objectif commun, c'est l'emploi. Le développement des activités productives, l'articulation où entre l'industrie et la recherche, le rôle des services publics demandent que de nouveaux outils d'aménagement soient créés. A cet égard, l'élaboration de schémas de services fondés sur les besoins locaux est de bonne pratique. Mais le lien avec une politique cohérente de construction d'infrastructures se fera vite sentir.

En milieu rural, le souci de préserver l'environnement, dont vous témoignez avec ténacité, ne doit pas faire méconnaître les exigences du développement économique et de la croissance créatrice d'emplois.

Je vous accorde, Madame la ministre, que la planification est un exercice difficile dans un environnement ultra-libéral. Elle n'en reste pas moins l'un des rares outils à notre disposition pour préparer un avenir maîtrisé. Dans votre toilettage de la loi de 1995, dont les objectifs sont louables, je crains que vous n'ayez fait trop peu de cas de votre allié le plus sûr : l'Etat, seul capable de s'affranchir des intérêts à courte vue pour choisir la durée, l'Etat qui ne s'oppose pas aux collectivités locales mais qui défend notre place en Europe face à des voisins qui sont aussi des concurrents ; se faisant ainsi le protecteur de l'intérêt général, l'Etat qui n'est pas l'ennemi de la décentralisation mais le défenseur des citoyens qui entendent aménager leur territoire selon leur volonté et non selon celle des marchés.

M. Jean-Claude Lenoir - On sait que les lois d'orientation visent le long terme en fixant les grands objectifs de la politique publique. Mais une loi ayant été adoptée en 1995, dont vous conservez 68 articles sur 88, le texte que vous nous présentez, Madame la ministre, justifie-t-il cette appellation ? Certaines dispositions de la loi Pasqua n'ont, en effet, pas été appliquées, parce que le temps n'en a pas été donné au précédent gouvernement. Ne faut-il pas, cependant, laisser le texte adopté en 1995 s'inscrire dans la durée ? Voyez ce qu'il en a été de la loi sur l'intercommunalité adoptée en 1992. Quand la nouvelle majorité est arrivée au pouvoir, en 1993, son application était balbutiante, et très peu nombreuses ont été les communautés de communes créées avant 1995-1996. La majorité de l'époque n'a pourtant jamais eu l'idée d'abroger un texte dont la pertinence devait se vérifier à l'usage.

Trois orientations nouvelles justifieraient, selon vous, ce nouveau projet. Outre le développement durable, sur lequel je ne reviendrai pas, vous citez la recherche de territoires "pertinents" et une conception moins dirigiste du rôle de l'Etat dans l'aménagement du territoire. Pour ce qui est des pays, nous sommes nombreux ici à y être favorables. Encore faut-il, pour que cette organisation réussisse, que plusieurs conditions soient réunies.

Il faut du temps, pour que les esprits s'accommodent ; il faut une logique de projet et non plus de guichet, comme vous l'avez souligné ; il faut plus de clarté dans la répartition des compétences et des rôles, dont l'enchevêtrement actuel crée la confusion parmi les citoyens comme parmi les élus ; il faut une cohérence. Je souligne que, tout libéral que je sois, je suis favorable à l'organisation minimale du pays et que j'ai créé un syndicat mixte soumis, parce que cela me paraît sage lorsque l'on gère des fonds publics, aux règles de la comptabilité publique.

Il faut enfin plus de souplesse et de liberté. Mettre un corset à ceux qui n'en veulent pas, c'est une erreur. Beaucoup de pays ont déjà signé un contrat avec leur région. Il n'y a pas besoin d'une loi pour cela.

Enfin, pour réussir un pays, il faut des moyens. Vous nous dites que le pays est "un espace de projets" : c'est du pipeau s'il n'y a pas de crédits pour nous aider à passer au stade des réalisations.

Vous voulez défendre "une conception moins dirigiste de l'aménagement du territoire". Je ne vois quant à moi qu'un seul changement notable : la suppression du schéma national. Qu'aurait-on dit à gauche, si une majorité de droite avait fait de même ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

L'orateur précédent, que je respecte, vient de se livrer à un exercice délicat. On entend des représentants de la majorité expliquer qu'on peut lutter verbalement contre le libéralisme, toujours assimilé à "l'ultra-libéralisme", tout en enlevant à l'Etat un outil essentiel qui lui permet de jouer son rôle. On entend nos collègues justifier un texte qu'ils n'approuvent pas.

L'Etat doit conserver un rôle majeur. Vous semblez l'oublier, mais il est le garant de la cohérence des politiques, de l'équité et de la solidarité nationale. Je ne suis pas sûr qu'avec l'adoption de votre texte, il puisse continuer à jouer son rôle.

On nous dit que le conseil régional sera "le point de rencontre entre une vision de territoire nourrie de la mobilisation des acteurs locaux et une vision d'équilibre et d'intégration organisant l'intérêt national". La phrase sonne bien, mais où est cette consolidation de la décentralisation qu'attendent les élus, dès lors que les votes du conseil régional n'ont aucun caractère prescriptif ? Où est le renforcement de la démocratie, quand la création de nouvelles structures éloigne un peu plus le pouvoir de décision des électeurs ?

Vous passez à côté de choix importants. Dans votre projet, on ne trouve rien sur la clarification des compétences, rien sur la fiscalité locale et la péréquation, rien sur la coopération intercommunale ni sur les zonages. On me répondra que c'est pour bientôt. Mais pourquoi n'avoir pas déposé un seul texte ? Vous y auriez gagné en cohérence. Un tel projet aurait permis à notre pays de faire un bond extraordinaire vers une plus grande décentralisation.

M. le Rapporteur - L'auriez-vous voté ?

M. Jean-Claude Lenoir - Trois ministres vont revendiquer chacun leur part. Le rapporteur a eu raison de qualifier ce projet de "modeste dans sa forme"...

M. le Rapporteur - Mais aussi d'ambitieux !

M. Jean-Claude Lenoir - Vous laissez passer l'occasion d'engager une vaste réforme. Glissant une nouvelle structure entre celles qui existent déjà, vous ajoutez à la confusion. Nous voulions du souffle, de l'ambition, mais vous ne pourrez nous satisfaire.

Monsieur le Président, je n'en suis qu'à la moitié de mon discours. Ne voulant pas me faire la réputation d'un député qui dépasse toujours son temps de parole... (Sourires) J'en resterai là (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Patrick Rimbert - Ce projet fait partie d'un ensemble, avec le projet sur l'intercommunalité de M. Chevènement et celui sur les interventions économiques des collectivités locales de M. Zuccarelli. Que trois ministres se consacrent à l'aménagement du territoire, cela montre l'intérêt porté au sujet.

Ces trois textes, loin de rompre avec les dispositions passées, s'inscrivent dans le prolongement des lois de décentralisation de 1982 et 1983, de la loi dite ATR de 1992 et de la LOADT du 4 février 1995. Il s'agit de mettre à profit notre expérience et d'adapter notre législation aux nouveaux enjeux : l'Europe, la mondialisation de l'économie et la nécessité d'un développement durable.

Les lois de décentralisation ont permis aux élus régionaux, départementaux et communaux de prendre de nouvelles responsabilités, d'apporter des réponses locales aux mutations des "30 glorieuses". L'aménagement du territoire ne relève plus exclusivement de l'Etat. Il y a maintenant une sorte de coresponsabilité.

Les deux derniers contrats de plan ont montré que l'Etat a du mal à s'engager dans un partenariat et que les régions éprouvent des difficultés à hiérarchiser leurs priorités, faute sans doute de projets d'importance. Des voix se sont même élevées pour dire que l'intérêt général n'était plus que la somme des intérêts locaux.

La loi de 1995 avait tenu compte de cette expérience en rendant plus démocratique la détermination du projet régional, qui doit être le projet de tous.

La région, dans votre projet, Madame la ministre, est l'échelon auquel entreront en cohérence les projets territoriaux et la stratégie nationale définie par les huit schémas de services collectifs. Vous affirmez, par ailleurs, qu'elle n'est pas le seul échelon valable et qu'il faut aussi soutenir des projets définis à d'autres niveaux.

Les communes ont su utiliser les outils de l'intercommunalité pour redevenir des acteurs pertinents. Grâce à la loi ATR et à la LOADT de 1995, elles sont passées d'une logique d'équipement commun à une logique de gestion globale et d'intégration financière, même si l'intercommunalité reste, dans de trop nombreux cas, de circonstance, qu'elle ait des motivations électorales, d'autodéfense ou d'opportunité financière.

Il faut mobiliser tous les habitants, qui doivent cesser d'être des consommateurs dans une logique de guichet pour devenir des acteurs dans une logique de projet.

C'est pourquoi votre projet renforce les pays, qui cesseront d'être expérimentaux.

M. Patrick Ollier - Cela fait deux ans qu'ils ne le sont plus !

M. Patrick Rimbert - Je me souviens d'une réunion de commission départementale au cours de laquelle le préfet, à qui on demandait à quoi servait un pays, a déclaré l'ignorer, se présentant comme un simple scribe.

M. Patrick Ollier - C'était reconnaître l'autonomie des élus !

M. Patrick Rimbert - Si un des co-contractants ignore à quoi sert le contrat, alors celui-ci ne sert à rien.

Nos concitoyens, par ailleurs, souhaitent participer davantage à la définition des projets, que ce soit au niveau des quartiers, ou au sein des structures intercommunales. C'est pourquoi ce projet tend à créer des organismes associant aux élus et aux représentants de l'Etat des personnalités issues des milieux économiques, sociaux, culturels et associatifs.

C'est dans les agglomérations que nous releverons les défis de l'emploi et de la solidarité. Il faut mettre fin à cette concurrence stérile qui oppose certaines collectivités, supprimer les rentes de situation et faire taire les rivalités de pouvoir.

La loi Pasqua avait oublié la ville, accusée de tous les maux.

Mme Michèle Alliot-Marie - Caricature !

M. Patrick Rimbert - Il ne s'agit pas d'abandonner la campagne au profit des villes, mais de favoriser l'émergence de pôles alternatifs à la concentration parisienne en vue d'un aménagement équilibré du territoire.

Les régions, métropoles d'équilibre, agglomérations et pays doivent contribuer au développement du territoire national. Faudrait-il supprimer des échelons administratifs, en prenant exemple sur nos voisins européens ? Ne bradons pas notre histoire ; construisons la France de demain autour de projets de développement auxquels chaque collectivité participera en fonction de ses compétences et de sa volonté.

Les députés socialistes ont beaucoup insisté sur le rôle de l'Etat. Celui-ci doit assurer l'égalité des Français sur le territoire, d'abord par une péréquation financière entre les régions, ensuite par des mesures discriminatoires permettant à chaque territoire de développer ses projets. Dans le même esprit, nous souhaitons améliorer et préciser les articles relatifs aux schémas de services collectifs.

Enfin, nous avons formulé des propositions pour que le Parlement ne soit pas dessaisi de sujets aussi importants (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR). Un projet de loi est fait pour être discuté : nous ne sommes pas des godillots ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR)

Mme Michèle Alliot-Marie - Ah bon ? Demandez à M. Ayrault !

M. Patrick Rimbert - Un dernier mot : les moyens financiers qui seront mis en oeuvre pour appliquer cette loi seront décisifs. Force est de constater en tout cas, Madame la ministre, que votre budget est en augmentation, que vous avez abondé des fonds laissés sans ressources par vos prédécesseurs et que vous en avez créé d'autres.

Le groupe socialiste soutient donc ce projet, persuadé qu'une suite favorable sera donnée à ses amendements et aux questions qu'il pose (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Michèle Alliot-Marie - Si ce n'est pas le cas, vous votez contre : chiche !

M. Patrick Ollier - "Intéressons-nous à l'avenir puisque nous y passerons le plus clair de notre temps", écrivait Valéry... Ce projet prépare-t-il l'avenir de la France ?

Alors qu'avec Charles Pasqua nous avions, pendant un an, parcouru toutes les régions françaises pour écouter et dialoguer, ce texte-ci n'a fait l'objet d'aucune concertation sérieuse. Son premier défaut est de reposer sur un parti-pris idéologique.

En effet, son objet essentiel est de s'opposer à l'esprit de la loi Pasqua, votée dans un large consensus après un an de débat populaire et sept mois de travail parlementaire. Vous prétextez qu'elle n'était pas appliquée. Or dès mars 1996, soit un an après sa promulgation, elle faisait déjà l'objet de 42 textes d'application et de nombreuses expérimentations ; en 1997, on en était à 102 textes d'application ! Evidemment, Madame la ministre, tout s'est arrêté avec l'arrivée du nouveau Gouvernement. Depuis 1997, vous n'appliquez plus la loi Pasqua, puisque vous vouliez une loi Voynet !

On a donc perdu deux ans, pour aboutir à un texte qui constitue une véritable rupture.

Par idéologie, vous n'avez pas voulu poursuivre l'action engagée.

Idéologique aussi est l'opposition que vous recréez entre ville et campagne. Vous privilégiez les zones urbaines alors que l'Etat est avant tout responsable de la cohésion et de l'unité nationales.

Par idéologie encore, vous consacrez le pouvoir technocratique, au détriment du pouvoir politique, alors que la loi de 1995 avait affirmé la prééminence du politique. Pouvons-nous accepter qu'on enlève au Parlement tout pouvoir de décider ce que sera notre pays dans vingt ans ? Monsieur Rimbert, j'approuve ce que vous avez dit à ce sujet ; nous vous soutiendrons si vous êtes prêt à aller jusqu'au bout ! Il faut que le Parlement vote ; donner la prééminence à l'administration est inacceptable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Monsieur le rapporteur, que ne répétez-vous dans l'hémicycle ce que vous disiez fort justement en commission ?

En ce qui concerne les pays, dont nous voulions qu'ils soient constatés par les élus, le projet tend à donner au préfet le pouvoir d'en arrêter le périmètre. Là encore, on privilégie la technocratie...

Mme Michèle Alliot-Marie - Dans la majorité, certains disent la même chose que nous, mais davantage dans les couloirs que dans l'hémicycle !

M. Patrick Ollier - Idéologique aussi, la décision de supprimer des programmes d'équipement ambitieux, et en particulier le canal Rhin-Rhône, et d'importants programmes autoroutiers.

Lorsque l'idéologie rejoint l'immobilisme, nous avons votre projet de loi. La majorité plurielle est conservatrice, vous nous le prouvez. Le progrès est à droite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Ce texte, ensuite, nie les réalités du quotidien. Si les campagnes se désertifient davantage parce que nos concitoyens iront chercher dans les villes -que vous privilégiez- les services publics qui leur manquent, les problèmes des banlieues s'aggraveront encore.

Les banlieues qui brûlent et le monde rural qui se dévitalise sont les deux face du même mal.

Ce texte nie une réalité économique, celle des zones rurales, alors que nous sommes le deuxième pays exportateur du monde en produits agricoles, alors qu'en dehors de l'agriculture, les activités du monde rural, artisanales, commerciales ou touristiques, première source de devises de notre pays, contribuent à l'enrichissement de la nation !

Ce texte, enfin, ignore les exigences de la cohérence nationale et de la nécessaire solidarité : la disparition du schéma national d'aménagement et de développement du territoire va avoir de graves conséquences. Les schémas de services collectifs, déjà prévus dans la loi Pasqua, ne peuvent remplacer ce document indicatif, certes, mais assurant la cohérence des politiques.

"Ce schéma constituait un instrument de cohérence indispensable"... a dit ici même le rapporteur du Conseil économique et social. L'absence de cette référence nécessaire laisse les régions dans votre projet seules face à leurs propres schémas.

C'est lorsque l'Etat abandonne ses responsabilités que l'ordre républicain est menacé et que la décentralisation s'enlise dans l'impuissance ou se perd dans les rivalités.

Vous nous dites : le schéma national, on ne sait pas faire ! Quel aveu d'impuissance !

En 1997, nous avions préparé un avant-projet. Alors si vous ne savez pas le faire, laissez-nous le faire à votre place ! (Rires sur divers bancs) On ne supprime pas une disposition légale au prétexte qu'on n'est pas capable d'y faire face, ou alors on en tire les conséquences politiques.

Ce projet est le texte des rendez-vous manqués. Dans la perspective d'une politique conduite sur vingt ans, nous avions prévu des échéances, notamment pour la mise en oeuvre de la péréquation entre régions. Je suis consterné de voir que la gauche plurielle n'est pas au rendez-vous de la solidarité ! Cette péréquation était prévue dans la loi Pasqua, vous n'avez même pas été capables de prendre les dispositions nécessaires pour l'achever.

Pourquoi ne pas débattre non plus de la réforme de la fiscalité locale, de la clarification des compétences entre collectivités, de la démocratie directe pour l'intercommunalité, de la suppression d'un échelon territorial inutile, de la fiscalité dérogatoire pour compenser la diminution des aides européennes ? Qui a parlé ici des conséquences que vont avoir la réduction de 20 % des fonds structurels européens et la diminution de 40 % des zones bénéficiaires ? Comment allez-vous compenser ces manques ? Les douze orateurs du groupe RPR vous feront, chacun sur un sujet, des propositions concrètes.

L'UDF et Démocratie libérale, en accord avec nous, feront des critiques constructives sur ce texte, pour mettre en évidence son inopportunité.

C'est une suite de pétitions de principe. Aucune grande réforme n'y est prévue, en rupture avec la politique d'aménagement du territoire pourtant indispensable à l'avenir de notre pays. Les élus et les différents partenaires locaux ne vont pas tarder à s'en rendre compte.

Nous voulons savoir avec quelle France nous voulons franchir le cap du XXIe siècle. Le RPR souhaite que ce soit une communauté de valeurs et d'intérêts, où les différences ne seraient pas devenues d'inconciliables divergences. Or ce texte nous conduit vers la fracture territoriale. Nous voulons une France capable d'affronter, unie et sereine, une compétition internationale qui fait fi des solidarités les plus naturelles.

C'est pourquoi le groupe RPR ne peut accepter le texte que vous nous proposez (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Félix Leyzour - L'intitulé de ce projet est significatif : il s'agit d'une loi d'orientation, c'est-à-dire qui dessine une perspective, qui oriente les politiques futures. C'est un projet qui porte sur l'aménagement du territoire, mais dans une dynamique de développement, un développement que l'on veut durable.

Le projet porte modification de la loi du 4 février 1995, dite loi Pasqua, qui, de 1995 à 1997, sous le gouvernement de M. Juppé, n'a pas trouvé beaucoup d'application. Les députés de droite, qui s'amusent beaucoup dans ce débat, disent : "Pourquoi une nouvelle loi ? Il faut appliquer la loi existante". Mais ils ne nous disent pas pourquoi elle n'a pas été appliquée par ceux-là mêmes qui l'ont portée (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR). On entend ici et là qu'elle était inapplicable dans ses dispositions essentielles. Ce qui est vrai, c'est que le libéralisme à tout crin choisi après la présidentielle de 1995, s'accommode mal d'un aménagement équilibré du territoire.

Avec le changement de majorité en juin 1997, une révision de la loi s'imposait donc pour traduire les nouvelles orientations de la politique gouvernementale.

Ce projet s'inscrit dans un ensemble de textes législatifs -la loi d'orientation agricole, adoptée ici en première lecture et dont la discussion commence au Sénat, la loi sur l'organisation urbaine et la coopération intercommunale, la loi sur les interventions économiques des collectivités territoriales. Il vient en débat à un moment où se prépare sur le plan européen la réforme de la PAC et des fonds structurels.

Si j'ai bien lu le texte, les objectifs visés par ce projet sont au nombre de quatre : mobiliser les territoires et réduire les inégalités ; consolider les systèmes urbains à vocation internationale ; jeter les bases du développement durable ; renforcer la décentralisation.

Ce sont là des objectifs louables que nous approuvons. Les dispositions du projet vont-elles fournir les moyens permettant de les atteindre ? C'est à ces questions que nous nous sommes efforcés de répondre au cours du travail réalisé par la commission.

Auparavant, je voudrais m'arrêter sur la notion d'aménagement du territoire et sur celle de développement durable.

Quelles que soient les politiques mises en oeuvre, on aménage toujours le territoire, on le façonne. En fait, ce que la population entend par là, c'est un aménagement équilibré du territoire qui respecte la diversité des territoires et valorise leurs atouts. Une politique d'aménagement du territoire doit conjuguer l'action contre les inégalités territoriales avec la lutte contre les inégalités sociales. Elle entre nécessairement en contradiction avec le libéralisme auquel elle doit s'opposer.

Qu'entend-on par développement durable, expression de plus en plus utilisée ?

Selon le rapporteur, c'est une stratégie qui cherche à neutraliser les risques d'un développement inconsidéré et à optimiser les ressources à long terme, "en combinant préservation de l'environnement, efficacité économique et équité sociale". La définition n'est pas pour nous déplaire.

Soulignant l'interdépendance des nations en matière de protection de l'environnement, le rapporteur indique que ce qui est vrai à l'échelle mondiale l'est aussi à l'échelle européenne et à l'échelle régionale et c'est pourquoi, dit-il, "il existe une forte convergence entre les principes défendus par le projet de loi et ceux de l'Union européenne, notamment depuis le traité de Maastricht". Cette conclusion mérite qu'on s'y arrête.

Nous n'allons certes pas refaire ici aujourd'hui le débat sur les traités de Maastricht et d'Amsterdam. Qu'elles qu'aient pu être nos prises de position respectives sur la construction européenne, si nous avons la volonté de faire en sorte que l'Europe soit autre chose qu'un marché mettant en compétition les hommes et les territoires, nous avons devant nous un vaste champ de convergences, d'actions communes pour faire avancer des réformes progressistes, qu'il s'agisse de la banque européenne ou du pacte de stabilité monétaire, qui corsète les politiques sociales et de développement, ou de la réforme de la PAC et des fonds structurels.

Le projet répond sur de nombreux points à nos préoccupations et la discussion en commission a permis de l'améliorer.

Le groupe communiste considère en premier lieu qu'on ne peut, pour guider l'action de l'Etat, et des autres partenaires en matière d'aménagement et de développement du territoire, se satisfaire de schémas de services prévus pour 20 ans et pris par décrets. Le Parlement ne peut pas ne pas avoir son mot à dire ("Très bien !" sur les bancs du groupe du RPR). Notre haute administration, bien formée et compétente pourrait tracer à sa façon de grandes perspectives, indépendamment des changements voulus par le peuple. Pouvons-nous, nous parlementaires, nous satisfaire de gérer le quotidien et ne pas nous sentir concernés par le moyen et le long terme ?

Avec d'autres collègues de la majorité plurielle, nous avons donc proposé d'amender le texte pour affirmer la compétence du Parlement en matière d'aménagement du territoire, ce que la commission a accepté à l'unanimité.

Nous avons par ailleurs souhaité souligner davantage le rapport direct entre politiques régionales et politique nationale en liaison avec les politiques européennes qu'il convient, je l'ai dit, de réorienter.

Il faut aussi mieux affirmer le rôle des services publics, éléments structurants de la vie économique et du lien social.

S'il faut tirer le meilleur parti des équipements publics existants, il importe aussi de réaliser de nouvelles infrastructures pour répondre aux besoins. La France n'est pas un pays suréquipé. En outre, la réalisation d'équipements est source d'activités économiques et d'emplois.

Toutes les régions françaises n'ont pas les mêmes capacités de développement et il y a en leur sein de graves inégalités territoriales et sociales. Il faut donc s'orienter vers des politiques de compensation, cela doit ressortir plus clairement de ce texte d'orientation.

En ce qui concerne les territoires pertinents de développement, la région est considérée comme le pivot de l'aménagement du territoire. C'est en effet un bon niveau d'appréhension des problèmes et de mise en oeuvre des politiques.

Le département est presque entièrement remplacé dans le projet par les pays et les agglomérations. Comme beaucoup d'autres, nous avons fait des propositions pour que le département, qui est un échelon administratif de l'Etat et aussi une collectivité ayant à sa tête une assemblée élue au suffrage universel, qui joue un rôle important dans la solidarité sociale et l'aménagement, ne soit pas tenu à l'écart. Sa place sera confirmée.

Les autres territoires sont les pays et les agglomérations, qui correspondent aux relations que les gens entretiennent entre eux et avec leurs activités.

Nous avons proposé que les pays demeurent des structures souples pour conduire des réflexions, mettre en réseau des collectivités, élaborer dans la concertation des projets, sans qu'ils deviennent des structures de pouvoir, entrant en conflit avec les communes ou leurs groupements ou encore avec les départements. Cette idée a bien avancé.

La question des agglomérations est abordée, mais les questions financières, qui risquent d'être très lourdes, seront traitées dans la loi sur l'intercommunalité. Les seuils et l'incitation à s'agglomérer doivent faire l'objet d'une réflexion approfondie.

Le projet met l'accent sur le rôle d'entraînement du développement joué par les villes. Mais gardons-nous d'assécher les moyens financiers dont ont besoin les petites et moyennes villes et le monde rural inquiet des orientations qu'on veut imprimer à la PAC et aux fonds structurels.

Nous souhaitons que soit menée une réflexion sur la création de fonds régionaux pour mobiliser une partie des sommes disponibles en faveur des PME, afin de développer la production et de créer des emplois.

Telle est donc notre approche critique de ce texte. Il ne faut pas confondre dans ce cadre "l'esprit de critique", systématiquement négatif, et "l'esprit critique" qui est une façon de soumettre sans complaisance au jugement un texte pour souligner ce qu'il a de positif, mais aussi ce qu'il a d'insuffisant, voire de négatif, avec comme objectif de l'améliorer. Esprit critique et démarche constructive vont de pair.

Nous faisons des propositions et prenons en compte celle des autres afin d'arriver à un texte qui soit en phase avec les préoccupations de la population et des élus, qui ait un contenu de gauche et qui permette d'avancer vers toujours plus de démocratie, de justice, d'égalité entre nos territoires et leurs populations (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Ollier remplace M. d'Aubert au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER

vice-président

M. Yves Coussain - Préoccupation majeure dans les années 1960 et 1970, l'aménagement du territoire est progressivement passé dans les années 1980 et 1990 au rang des accessoires politiques, cédant la place à d'autres exigences ponctuelles nées de la crise économique ou liées aux conflits et déséquilibres dus précisément à un manque de détermination en matière d'aménagement du territoire.

La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire de 1995 a permis de relancer ce grand combat qui intéresse tous nos compatriotes dans leur vie quotidienne et qui concerne toutes nos régions, confrontées aux grands bouleversements sociaux et techniques.

Cette loi affichait de grandes ambitions, fixait des objectifs forts dont certains, il est vrai, n'étaient envisageables qu'à très long terme. Mais n'est-ce pas le fondement même de l'aménagement du territoire que de proposer une vision à longue échéance ? Votre insistance sur le terme "durable" nous paraît donc se justifier, comme elle justifie aussi a posteriori les ambitions de la loi de février 1995 à laquelle on ne peut reprocher de n'avoir pas été appliquée. Plus de quarante décrets et cinquante arrêtés ou circulaires sont parus. Des fonds ont été engagés, les zones tracées. Malgré les réticences de Bercy ou d'autres administrations, le traitement discriminatoire est entré dans notre droit pour combattre les inégalités. C'est un progrès considérable.

Notre projet, selon moi, fait plus que modifier cette loi et marque une rupture sur des points essentiels.

L'enjeu est trop important pour que nous n'adoptions pas une stratégie constructive. Nous essaierons de vous faire progresser vers un texte permettant à notre territoire de se placer dans une position compétitive sur le plan économique et d'offrir un environnement et un cadre de vie agréable et sûr à nos concitoyens et aux prochaines générations.

Que manque-t-il à ce projet ?

Il faudrait tout d'abord qu'il clarifie les compétences. Il n'y aura pas sans cela d'aménagement harmonieux. Les conflits de compétences sont sources de complications. Les procédures l'emportent sur les projets ; les mieux informés s'arrangent de financements croisés, mais les vrais entrepreneurs se découragent. La décentralisation a été engagée il y a plus de quinze ans, nous avons besoin de recadrer la place de chaque collectivité. De cela, hélas, il n'est pas question dans votre texte.

Autre sujet au coeur de toute démarche d'aménagement du territoire : la péréquation des ressources financières. Les inégalités entre collectivités sont choquantes. L'Etat investit plus et a plus de dépenses de fonctionnement dans les régions riches que dans les régions pauvres. Votre projet est muet sur ce point. Les objectifs et les principes fixés dans la loi du 4 février 1995 sont-ils maintenus ? Comment comptez-vous faire en sorte qu'ils soient atteints -nous savons qu'il y faudra du temps ?

Autre volet majeur, la construction d'un réseau de communications modernes offrant à tous les territoires des liaisons sûres et performantes. Faire de l'aménagement du territoire en laissant des zones complètement enclavées est une gageure. On n'attirera pas de nouvelles activités et de nouvelles populations dans des territoires mal desservis.

J'en viens à ce que contient ce texte. Le risque de complication réside dans les structures destinées à contractualiser les projets de développement.

Il y a déjà beaucoup d'échelons, perçus comme autant de collecteurs d'impôts et de niveaux de procédures perçus comme des contraintes. Parfois à marche forcée, les communes se sont regroupées en communautés. Il est bien trop tôt pour créer un nouvel étage dans l'empilement territorial. Faire obligation aux pays de se constituer en EPCI ou en syndicat mixte découragera, soyez-en sûrs, de nombreuses initiatives.

Pourquoi ne pas privilégier la souplesse des contrats d'agglomérations ? Le risque de technocratisation est lié au déficit de démocratie, évident dans l'adoption des schémas de services collectifs. Les objectifs qui leur sont assignés sont très flous, comme leur contenu dont la responsabilité est laissée à la concertation entre des partenaires divers, l'arbitrage étant fait par l'administration. Le décret se substitue à la loi et chacun donnera son avis, à la seule exception du Parlement ! Or l'aménagement du territoire est affaire de choix politiques, et donc d'élus, non de gestion administrative.

Un danger voisin de celui de la technocratisation est le danger de la recentralisation. Il tient ici à l'absence de clarification des compétences et à l'uniformisation des procédures. La France est un pays aux territoires divers, qui ne peuvent se couler dans un moule unique : la loi d'orientation doit donc autoriser les expérimentations et la différence.

Une autre de nos objections majeures à ce texte découle de l'opposition qu'on y décèle sous-jacente entre ville et campagne. Ici l'on crée des richesses, là on se remet d'une dure année de travail ! Cette opposition artificielle et réductrice ne tient pas compte de la capacité qu'a le monde rural à créer des richesses en tirant profit des nouvelles techniques d'information. Vous vouliez rééquilibrer la loi Pasqua, vous ne faites qu'inverser le déséquilibre. De plus, vous créez entre les agglomérations et les pays une concurrence, qui jouera au détriment des seconds et de leurs projets de développement, sur des espaces cohérents alliant ville et campagne.

Il y a enfin confusion, du fait de la présentation successive de ce projet, du projet relatif à l'organisation urbaine et à la coopération intercommunale et du projet sur les droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration -qui concernent également l'aménagement du territoire. Leur discussion simultanée ou, tout au moins, l'établissement d'un lien formel entre eux aurait permis une meilleure compréhension : la clarification s'impose aussi dans les compétences ministérielles !

Nous constatons donc des oublis fâcheux et des dispositions inadaptées. Grâce au rapporteur, la commission a apporté certaines améliorations à ce projet, mais l'UDF en souhaite d'autres et elle proposera à cette fin, de concert avec le RPR et Démocratie libérale, des amendements visant notamment à rétablir le schéma national, condition de la cohésion territoriale, à organiser une adoption démocratique des schémas de services collectifs, à simplifier les procédures relatives aux pays et à relever le seuil à partir duquel pourront se constituer les agglomérations.

Notre lecture de ce projet est donc très critique, mais nous nous engageons dans ce débat avec la volonté de l'améliorer, car il nous apparaît important pour nos territoires et pour nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. François Huwart - Réorienter l'aménagement du territoire est une entreprise nécessaire, voire indispensable, mais difficile.

Il est nécessaire et même louable de vouloir, conformément au pacte républicain, réduire les inégalités, répartir plus harmonieusement les hommes et les activités et créer des solidarités nouvelles entre régions, entre bassins de vie, entre ville et campagne, cela dans tous les domaines qui touchent à la vie quotidienne de nos concitoyens. Mais l'entreprise est difficile parce que notre société ne tend pas naturellement à l'harmonie et à la justice et parce que l'efficacité économique ne rime pas facilement avec justice. Une forte dose de volonté est donc nécessaire pour enrayer la désertification des campagnes et la concentration urbaine.

En outre, notre pays a le génie de compliquer structures et institutions, hésitant toujours entre les habitudes séculaires de la centralisation et le foisonnement des initiatives locales. Entre l'Europe, l'Etat, les régions, les départements, les structures de coopération intercommunale et les communes, notre architecture institutionnelle est si compliquée qu'elle déroute nos concitoyens et les élus eux-mêmes. Cette complexité excessive pose le problème de la transparence de l'action publique et de son contrôle démocratique, mais aussi de l'efficacité de l'Etat comme régulateur et coordinateur.

C'est, me semble-t-il, à toutes ces questions que le projet vise à répondre. Manifestement, le choix que vous avez fait, Madame la ministre, n'est ni celui de la recentralisation rampante dont on vous accuse pourtant, ni celui de la clarification ou de la simplification des institutions de la décentralisation. Mais cette dernière tâche est si complexe qu'on peut comprendre que le Gouvernement ne l'ait pas élue au rang de ses priorités au même titre que la lutte contre le chômage, l'insécurité et la précarité. Vous avez préféré améliorer les procédures, les rendre plus cohérentes entre elles en créant des espaces "pertinents" de coopération et en favorisant l'intégration par la contractualisation. Vous ne modifiez pas l'architecture de la maison, mais vous organisez les circulations et vous élargissez les ouvertures -en direction de l'Europe, du développement durable, de la protection de l'environnement... L'ambition n'est pas démesurée mais l'apparence du texte en est un peu compliquée et vous vous exposez dès lors au reproche d'une démarche un peu technocratique et en même temps d'inspiration un peu libérale, plus soucieux de la demande que de l'offre comme vous l'avez dit.

Même s'il prend mieux en compte le problème urbain, en l'état, ce texte ne nous apparaît pas satisfaisant. Nous avons bien compris que vous réaffirmiez le rôle de l'Etat comme régulateur et correcteur des inégalités, mais la substitution au schéma national de huit schémas collectifs ne permettra pas, à notre avis, de maintenir un lien suffisant entre politiques locales et sectorielles. Nous pensons qu'il faudrait réinstaller plus nettement l'Etat et le Commissariat au plan dans leur fonction au service de l'unité territoriale de la République. La divergence entre nous tient sans doute à la conception que nous avons de l'Europe, fédération d'Etats et non de régions, et à notre souci de conserver au département son rôle irremplaçable. En d'autres termes, nous ne sommes pas prêts pour l'instant à accepter l'affaiblissement, même relatif, de l'Etat et de ses liens avec le département, au bénéfice d'un axe Europe-régions.

D'autre part, si nous sommes convaincus de la nécessité d'un développement durable, sa transposition dans le domaine de l'aménagement du territoire, c'est-à-dire l'idée d' "aménagement durable" vous pose problème : n'y a-t-il pas risque de figer la situation en matière de constructions, d'équipements, d'infrastructures ? Nous souhaitons un juste équilibre entre environnement et développement économique et nous avons donc déposé un amendement pour que la création des pays ne soit plus subordonnée à l'avis des organismes directeurs des parcs nationaux.

Enfin, nous ne sommes pas de ceux qui opposent la ville et la campagne. Nous considérons que les espaces ruraux et les petites villes peuvent contribuer au rééquilibrage de notre société. Dès lors, il conviendrait que le lien entre les agglomérations et les pays soit mieux établi de sorte que les premières puissent s'ouvrir sur les seconds. En effet, autant nous approuvons la façon dont vous abordez le problème urbain, autant le développement des pays apparaît comme le point faible de votre texte. Il faut leur donner les moyens de se développer, et donc d'investir : cela suppose qu'ils ne soient pas l'addition de collectivités sans grandes ressources.

M. François Sauvadet - Bravo !

M. François Huwart - Ne laissons pas se développer chez les élus ruraux le sentiment qu'ils seraient les laissés pour compte de cette loi.

Telles sont les raisons pour lesquelles ce projet ne recueille pas l'adhésion des députés radicaux de gauche en l'état et pour lesquelles nous serons très attentifs à l'évolution de sa discussion (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme Sylvia Bassot - "L'effort multiséculaire qui fut longtemps nécessaire à notre pays pour réaliser et maintenir son unité malgré les divergences des provinces successivement rattachées, ne s'impose plus désormais. Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts de sa puissance économique de demain". Cette réflexion de visionnaire livrée il y a un peu plus de 30 ans à Lyon par le général de Gaulle, pourrait être aujourd'hui encore le fil conducteur pour les élus de tous bords, en matière d'aménagement du territoire.

Chacun s'accorde à favoriser l'éclosion d'un modèle français de développement, associant modernité et tradition, unité nationale et identités régionales. Il s'agirait de concilier une centralisation efficace mais limitée et une décentralisation élargie mais contrôlée avec la déconcentration des décisions.

Ce projet semble avoir été élaboré dans cet esprit, tout comme la "loi Pasqua". N'affirme-t-il pas le statut des pays et ne crée-t-il pas des agglomérations ?

Le pays constitue en effet une maille importante du territoire et se caractérise par de fortes interdépendances entre ses composantes rurales et urbaines et une communauté d'intérêt manifeste entre ses divers agents économiques et sociaux.

L'existence de ces deux articles m'amène à vous livrer quelques réflexions sur les pays et les agglomérations, pour certaines positives, pour d'autres critiques.

Je voudrais d'abord saluer le renforcement de la contractualisation dans le cadre du contrat de plan, élément nécessaire d'une politique d'aménagement du territoire dont l'échelon régional est le pivot. Je me félicite aussi de la clarification apportée par la commission à la répartition des compétences entre pays et parcs régionaux lorsqu'il y a superposition des territoires.

Je note encore que la commission a approuvé un autre amendement qui confirme vos propos, Madame la ministre, selon lesquels les pays existants ne seraient pas remis en cause. Cette mesure est d'une importance particulière pour les départements tels que l'Orne, dont le territoire est déjà entièrement quadrillé en pays.

Mes critiques porteront en premier lieu sur le fait que ce projet de loi n'est pas uniquement un texte d'orientation définissant une politique d'aménagement du territoire, mais qu'il comporte plusieurs dispositions qui en font une loi d'organisation territoriale ayant des conséquences sur l'édifice institutionnel français.

L'ambiguïté est grande : l'objectif est-il de créer une intercommunalité de territoire s'appuyant sur les agglomérations et les pays, ou une intercommunalité de projets s'appuyant sur des schémas de services collectifs ?

Votre texte n'est pas assez clair pour prévenir tout risque de voir le pays devenir un échelon administratif ou politique supplémentaire, ce qui inquiète considérablement les élus locaux. Ils craignent des coûts de fonctionnement supplémentaires et un manque de clarté pour le citoyen, qui aura à l'évidence beaucoup de mal à se repérer. Et, une fois de plus, c'est le contribuable qui pourrait se voir demander toujours davantage d'impôts.

Je souhaite par ailleurs que vous preniez en compte l'avis de la commission qui, comme tous ceux qui ont déjà une certaine expérience dans la création des pays, prônent la souplesse et la liberté de choix de leur organisation juridique.

Il est en effet parfaitement possible de contrôler les fonds publics accordés aux communautés de communes et aux EPCI en leur qualité de maîtres d'ouvrage de projets.

Pour ma part, je fais partie de ceux qui préfèrent que les subventions aillent à ceux qui réalisent des investissements créateurs d'emplois plutôt qu'à ceux qui animent et conçoivent, et qui sont de gros consommateurs de frais de fonctionnement.

Enfin, il me paraît tout à fait surprenant que l'on demande au Parlement d'étudier la possibilité d'une contractualisation avec les agglomérations, territoires qui n'ont pas encore été créés par la loi ! Comment, dans ces conditions, nous demander aujourd'hui d'approuver des seuils de contractualisation ?

En clair, on nous présente une voiture flambant neuve et arborant fièrement sa vignette verte, mais qui ne peut pas rouler puisqu'il lui manque le moteur et les roues, le pire étant que l'on n'est même pas assuré que le moteur et les roues que l'on ajoutera plus tard seront adaptés à la carrosserie que vous nous présentez aujourd'hui.

Il aurait donc été nettement plus judicieux d'examiner le projet de loi de M. Chevènement avant le vôtre, la galanterie dût-elle en souffrir.

Je dirai pour conclure qu'au-delà des discours incantatoires ou naïfs sur le rôle de l'Etat et la décentralisation, c'est une prise de conscience collective et un effort de tous les partenaires, à tous les niveaux, qui peuvent mener au succès. La compétence, en aménagement du territoire, étant partagée, la responsabilité doit se partager. L'Etat, à lui seul, ne parviendra à rien. Mais c'est lui qui peut engager le processus et entraîner l'adhésion. Encore faut-il que le pouvoir politique le souhaite et le fasse savoir clairement aux collectivités locales et aux élus, ce qui n'est malheureusement pas vraiment le cas avec ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Jean-Pierre Balligand - Le contexte dans lequel votre projet de loi est présenté à notre assemblée est bien connu : prolongements à donner à la loi du 6 février 1992 ; difficultés d'application de la loi du 4 février 1995 qui reposait sur une conception centralisatrice de l'aménagement du territoire ; prochaine négociation des contrats de plan entre l'Etat et les régions ; réduction annoncée des fonds structurels communautaires. En outre, un triple constat s'impose : il faut organiser une intercommunalité plus intégrée et plus attentive aux impératifs de la solidarité ; il faut remédier à la crise de la planification nationale, l'Etat n'ayant plus les moyens d'assumer un schéma national d'aménagement du territoire ; il faut enfin articuler plus étroitement les politiques nationales et la politique européenne tout en décuplant les moyens afin de ménager certaines zones qui ne seront plus éligibles aux fonds structurels et de conserver une certaine maîtrise de l'aménagement de notre territoire, décidé de la manière la plus décentralisée possible.

Ayant été, tout comme Patrick Ollier, l'un des cinq parlementaires appelés à préciser les commissions thématiques qui préparaient le schéma national, je peux témoigner que le travail a été accompli. Mais je peux témoigner aussi que si le texte n'en a jamais été présenté au Parlement, ce n'est pas, comme on l'a prétendu, en raison des élections, mais tout simplement parce que le pouvoir de l'époque ne savait pas comment le présenter. Il faut dire les choses telles qu'elles sont, et non ré-écrire l'Histoire ! Il faut, aussi, parler de la crise induite par le désengagement financier de l'Etat qui, sous l'ancienne législature, et c'est d'une gravité extrême, n'a pas honoré la signature qu'il avait apposée au bas des contrats de plan, décrédibilisant ainsi la démarche contractuelle.

Et l'on ne saurait passer sous silence ni la faiblesse ou l'insuffisant ciblage de nos fonds et de notre système de péréquation, ni la difficulté éprouvée à sortir du moratoire sur les services publics. Sur tous ces sujets, qu'ont fait MM. Pasqua et Juppé ? C'est peu dire que la décentralisation est restée au milieu du gué.

L'aménagement du territoire devait redevenir une politique ambitieuse, et c'est pourquoi nous avons demandé et obtenu la procédure d'urgence. Il aurait d'ailleurs été difficilement admissible que des décalages de calendrier favorisent des pré-arbitrages entre les préfets et le Gouvernement, autrement dit entre l'Etat et l'Etat. Le débat qui s'engage va enfin permettre de lever les ambiguïtés qu'une série d'arbitrages interministériels a conférées au projet de loi et qui ne saurait se limiter à être une simple correction de la LOADT du 4 février 1995, que d'aucuns ont qualifiée, en son temps, de "loi à crédit"...

Le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui a l'ambition louable de donner priorité au développement durable, d'intégrer la dimension européenne, d'engager à nouveau l'Etat dans l'aménagement du territoire au travers des schémas de service collectif et de redéfinir les pays et les agglomérations.

Alors que la loi Pasqua pêchait par l'attention excessive qu'elle portait à l'espace rural, par immobilisme et par l'impossibilité d'appliquer la plupart des dispositions qu'elle contenait, le nouveau texte joue sur la complémentarité des territoires. Il s'agit donc d'un texte exigeant. Les amendements ne le seront pas moins, car ce dont il s'agit, c'est de dépasser les oppositions stériles entre espace rural et espace urbain, entre régions et départements -tous travers qui expliquent l'échec des politiques d'aménagement du territoire menées jusqu'à présent- pour conjuguer décentralisation et aménagement du territoire au service de l'emploi et de la cohésion sociale. Il faut, pour cela, mettre un terme à cette incapacité paralysante à organiser des micro-territoires ou des zones de moyenne et de petite chalandise.

Certes inégales, les expériences d'intercommunalité nées de la loi de 1992 doivent être encouragées, car elles sont nécessaires au développement local.

Nos concitoyens veulent se reconnaître dans leurs collectivités locales, qui doivent fonctionner sans ces brouillages que causent les financements croisés, le morcellement communal, la concurrence entre les collectivités locales, les élections au second degré et l'absence d'impôts modernes. Nous devons poser la question de la légitimité de l'action publique. Il importe en effet de favoriser l'émergence d'un pouvoir local légitime, comme je l'ai préconisé il y a trois ans dans le rapport Pour un acte II de l'aménagement du territoire et de la décentralisation que j'ai remis à Lionel Jospin.

Prenons acte de la reconnaissance, dans la loi Voynet, de deux nouvelles catégories de territoires, ni trop vastes ni trop étriqués : l'agglomération, qui devra à terme s'engager dans des actions de structure avec la sanction du suffrage universel, et les pays, que j'appelle quant à moi des "unités fédératives de bassins d'emploi" dont la vocation sera de tirer parti des complémentarités entre villes et campagnes.

Je rappelle qu'une grande majorité des 1 241 communautés de communes actuelles -contre seulement 5 communautés de villes- sont composées de communes rurales. En outre, 10 millions de personnes sont concernées par les structures intercommunales à fiscalité propre de moins de 50 000 habitants.

Grâce au volet infrarégional des prochains contrats de plan Etat-régions, 20 % des enveloppes seront affectés à des projets d'initiative locale. L'Etat et les régions pourront signer des contrats avec les agglomérations et les pays qui rempliront les conditions d'intégration nécessaires.

A cet égard, pour pouvoir contractualiser sur le mode "un projet, un territoire, un contrat", il faudrait que l'intercommunalité fédérative de bassins bénéficie de véritables moyens, au même titre que le monde urbain. L'adoption de la taxe professionnelle unique, la possibilité de prélever une fiscalité additionnelle et la réforme de nos systèmes de péréquation sont les clefs du développement territorial.

Il faut enfin raisonner aux bonnes échelles. Il serait regrettable que les pays ne concernent que le monde rural et que la promotion des communautés urbaines et des agglomérations se révèle discriminatoire en termes de développement. L'égalité républicaine vaut aussi en matière d'intercommunalité ! C'est ce que j'appelle le parallélisme des formes et des moyens, ce qui ne signifie pas l'uniformité. En portant le seuil de constitution des futures communautés d'agglomération à un niveau suffisamment élevé, on permettra aux villes petites et moyennes d'assumer leurs fonctions urbaines en concertation avec les communes rurales qui les entourent.

Il n'est pas question de faire des pays de nouvelles entités administratives, mais de garantir la transparence de leur fonctionnement et de leur donner une base juridique.

Un changement culturel est nécessaire dans notre approche du territoire et du partage des responsabilités. Il est des collectivités locales qui dépensent de l'énergie à persévérer dans leur être au lieu de chercher à prendre de nouvelles dimensions. L'Etat, quant à lui, n'a pas prouvé qu'il pouvait ou qu'il savait s'engager dans un véritable partenariat avec les collectivités locales. Il doit indiquer clairement son ambition, tout particulièrement dans la définition des schémas collectifs de services publics. Si on ne dégage pas de moyens pour l'agglomération, peut-on être crédible ?

Nous devons faire en sorte que cette nouvelle loi ne soit pas une loi de désorientation.

Ce texte va mettre de nouveaux outils au service des collectivités locales. Le groupe socialiste le votera, car son adoption et celle du projet Chevènement se traduira par une vraie modernisation territoriale de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Eric Doligé - J'allais vous appeler, Madame, "Madame la ministre de la ville".

Le constat que vous dressez dans l'exposé des motifs me semble juste : le territoire national souffre de déséquilibres graves, qu'il s'agisse de la culture, des transports, de la pollution ou de la sécurité.

Mais la raison en est que l'Etat ne joue pas son rôle et ne tient pas ses engagements. Ainsi, pour que des emplois se créent dans une zone donnée, il faut qu'on puisse y circuler. Or vous retardez ou annulez la construction de routes nationales et d'autoroutes. Je n'ose parler des aéroports ! S'agissant des TGV, les décisions ne sont pas prises rapidement, et quant aux voies navigables, certaines ont disparu.

Or cela ne relève pas des collectivités locales, mais bien du Gouvernement. Dans le domaine de la santé, nous manquons de 14 000 lits médicalisés. Les départements jouent leur rôle à l'égard des personnes âgées, mais les difficultés viennent de l'Etat, qui ne finance pas les lits promis.

Même si le Gouvernement a dû reculer sous la pression de l'opposition, sa volonté de fermer des gendarmeries et des commissariats est révélatrice. On ne fait pas de l'aménagement du territoire quand on porte atteinte au droit à la sécurité de nos concitoyens.

Il y a des vrais problèmes : définir, clarifier et répartir les compétences, achever la décentralisation et la déconcentration... On ne trouve rien de tel dans votre texte.

Votre remède consiste à aggraver le déséquilibre entre le monde urbain et le monde rural, c'est-à-dire à inverser la loi Pasqua telle que vous l'avez comprise. Vous allez concentrer sur les villes l'activité économique, la richesse, mais aussi la pauvreté et l'habitat social. Il ne faudra pas se plaindre de l'hypertrophie urbaine dans les années à venir.

On ferme des postes, des gendarmeries, des gares, des hôpitaux... Est-ce cela, l'aménagement du territoire ? Je suis surpris par certains de mes collègues, qui râlent contre ces fermetures quand ils sont sur le terrain, mais semblent tout oublier à Paris. Le parisianisme est très dangereux pour les députés de province.

Ce texte et celui de M. Chevènement m'inquiètent, car vous proposez de diluer encore plus les compétences, qu'il s'agisse des collèges ou de l'action sociale. En perspective, si on est pessimiste : la suppression du département et de certaines communes, ou tout au moins la restriction de leurs attributions.

Madame le ministre, allez-vous accepter les amendements de la majorité. J'ai senti, à cet égard, le rapporteur faiblir.

Je regrette que, partant d'un constat juste, vous aboutissiez à de mauvaises propositions. L'Etat ne veut pas prendre ses responsabilités.

Ainsi, vous avez repoussé à 2003 la signature des contrats de plan avec les pays et les agglomérations : l'Etat va encore faire lanterner les collectivités locales. Je suis donc surpris que vous ayez par ailleurs déclaré l'urgence sur ce texte.

Aménager le territoire, c'est laisser les collectivités locales jouer leur rôle et non créer un échelon supplémentaire. Je regrette que vous ayez choisi d'agir à l'inverse de ce qui devrait être fait (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Michel Vaxès - Mon intervention ne porter que sur deux aspects des évolutions structurelles que votre projet vise à promouvoir.

La loi de 1995 reposait sur l'idée d'une maîtrise étatique de l'aménagement du territoire. Nous l'avons combattue.

Votre projet s'en démarque nettement, puisque vous souhaitez associer plus étroitement les acteurs locaux, l'Etat devant veiller à garantir la cohérence territoriale et la réduction des inégalités.

L'instrument essentiel serait la contractualisation avec les régions, auxquelles seraient associés les pays et les agglomérations. Nous partageons l'objectif de réduction des inégalités, mais l'action de l'Etat nous semble encore trop timide. Quand nombre de clignotants sont passés au rouge dans des domaines aussi variés que la recherche, l'équipement sanitaire, les infrastructures de transport, le logement, l'heure n'est plus à modifier la répartition de moyens demeurant constants, mais à promouvoir le développement des équipements. Certes, il faut fixer des priorités, mais pour tirer les territoires les moins bien dotés vers le haut.

Nous apprécions, Madame la ministre, votre volonté de favoriser l'initiative locale ; mais nous considérons que l'Etat a un rôle essentiel de régulation à jouer.

L'effacement relatif de l'échelon national s'accompagne de celui, tout aussi évident, de la commune et du département. Sans remettre en cause la place donnée aux régions, aux pays et aux agglomérations, je regrette que la commune, lieu d'expression de la démocratie directe, ne soit jamais citée dans le projet, sinon sous le vocable général de collectivité territoriale, et reste pour l'essentiel tenue à l'écart des procédures contractuelles. Je regrette également l'absence de l'institution départementale, pourtant dotée de compétences très importantes -en matière d'action sociale, de transports collectifs, d'infrastructures routières, d'aménagement rural, d'aide aux communes.

A l'occasion du débat sur le projet relatif à l'organisation urbaine et à la simplification de la coopération intercommunale, nous affirmerons la nécessité de mettre en commun les énergies, les compétences et les moyens. Il ne faudrait pas se priver de l'apport irremplaçable des échelons communaux et départementaux. On ne fera pas le bonheur de nos concitoyens à leur place ; associons-les à l'élaboration des politiques d'aménagement à travers les échelons institutionnels auxquels ils sont si fortement attachés (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Léonce Deprez - Je ne pense pas que les Français souhaitent voir leurs députés s'affronter sur le thème de l'aménagement du territoire. Une première observation donc : puisque 68 articles de la loi Pasqua sont maintenus, ce projet ne visant à en modifier que 20, pourquoi ne pas commencer par souligner la complémentarité entre les deux textes ? Ce serait une manière d'inviter les députés à se rassembler. La loi Pasqua affirmait que la politique d'aménagement et de développement du territoire devait concourir à l'unité et à la solidarité nationales ; nous voulons croire, Madame la ministre, que tel est aussi votre objectif : pourquoi, alors, ne pas le dire très nettement ?

Deuxième observation : la suppression du schéma national prévu dans la loi de 1995 est contraire à la logique d'une politique nationale d'aménagement du territoire. En commission, nombreux sont les députés qui ont souhaité qu'une volonté nationale s'exprime. Mais les choix stratégiques qui constituent le cadre des schémas de services collectifs ne sont-ils pas, en réalité, les composantes d'un schéma national qui, dès lors, devrait dire son nom ? Vous avez d'ailleurs vous-même, Madame la ministre, déclaré en commission : "S'il vous plaît d'appeler schéma national l'ensemble des schémas de services collectifs, libre à vous !". C'est ce je propose de faire ; on donnerait ainsi satisfaction à ceux qui se sont émus que vous supprimiez toute référence à un schéma national.

Plus la compétition économique est rude, plus la volonté politique de corriger les inégalités territoriales doit être forte ; et plus l'économie se mondialise, plus l'aménagement du territoire doit devenir un devoir national -dont le schéma national doit être l'expression. Pour que ce schéma puisse recueillir l'adhésion des Français, il faudrait que les schémas de services collectifs n'omettent pas la justice et la sécurité. Notre excellent rapporteur m'avait répondu en commission qu'elles ne relevaient pas du ministère de l'aménagement du territoire ; pourtant, comment ignorer aujourd'hui, dans une politique d'aménagement, la justice, devoir essentiel de l'Etat, et la sécurité, préoccupation majeure des Français ?

Une politique nationale d'aménagement du territoire ne peut être une addition de schémas régionaux. Ceux-ci ont besoin de lignes directrices dépassant l'addition des sept schémas de services que le Gouvernement propose. Ma quatrième proposition est donc que la planification régionale soit en cohérence avec la planification nationale -le général de Gaulle l'a dit il y a longtemps.

Nous saluons la volonté de prendre les "pays" comme entités géographiques de base de l'aménagement du territoire et du développement économique. Mais attention à ce que les agglomérations ne prennent pas la place des pays ! Pour éviter ce danger, nous proposons que le seuil limite pour la reconnaissance de toute agglomération soit porté de 50 000 à 100 000 habitants, et sur ce point nous avons bon espoir d'être entendus par le rapporteur et peut-être par le Gouvernement. Il est important de faire comprendre aux élus locaux que le pays peut être le moyen de la revitalisation de leur territoire.

Les pays doivent être reconnus d'abord au niveau départemental, quitte à demander à la conférence régionale de ratifier ces décisions.

Autre observation, il importe d'assurer la cohérence avec les parcs naturels, je crois que la commission va proposer une solution sur ce point.

Enfin je regrette que la loi ne précise pas qui fait quoi. Nous attendons avec impatience la loi Chevènement sur ce point. Il ne faut pas que le pays soit un échelon territorial de plus, mais un espace de solidarité animé par les communautés de communes. Je crois que le rapporteur nous a entendus à ce propos. Les agglomérations doivent soutenir les pays, non les étouffer.

Les moyens financiers ne sont pas suffisamment précisés. Attendons la prochaine loi...

Mais, Madame la ministre, nous vous demandons de répondre à notre volonté de dialogue en nous écoutant et en acceptant nos amendements, dans l'intérêt de tous les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Michel Marchand - Ce projet, Madame la ministre, est la première étape d'une année essentielle pour l'organisation et l'aménagement de notre territoire, dans sa dimension nationale et européenne. L'année 1999 verra en effet la négociation des contrats de plan Etat-région, la renégociation des fonds structurels européens, et la réforme de la PAC.

Votre projet donne de la cohérence aux différents textes législatifs qui concourent à l'aménagement du territoire et au développement durable : loi d'orientation agricole, loi sur l'organisation urbaine et l'intercommunalité, loi sur les interventions économiques des collectivités territoriales, politique de services publics.

Il s'inscrit dans les priorités stratégiques de la politique gouvernementale que sont l'emploi et la cohésion sociale.

Ce texte, d'une part complète la loi du 7 janvier 1983 sur la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat, d'autre part modifie la loi du 4 février 1995 relative à l'aménagement du territoire. Il reprend le concept de pays, mais rompt avec le caractère trop ruraliste de la loi Pasqua (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). Les huit schémas de services collectifs, qui remplacent un schéma national qui n'a jamais vu le jour en garantissent le caractère opérationnel.

L'Etat reste le garant de la réduction des inégalités territoriales et du renforcement de l'unité et de la solidarité, essentiels pour les territoires défavorisés. Mais il n'est plus le seul acteur de l'aménagement du territoire : les citoyens souhaitent participer plus concrètement et de manière permanente à la réflexion et à la construction de leur cadre de vie et de travail. Votre texte confirme cette volonté de dialogue en donnant aux élus et aux acteurs socio-économiques et associatifs le pouvoir d'influer sur les schémas de services collectifs et sur les schémas régionaux d'aménagement et de développement.

Les schémas de services collectifs sont élaborés en liaison étroite avec les préoccupations et les besoins des populations. Ils sont aussi les indicateurs des orientations stratégiques de la majorité plurielle : à preuve, le schéma multimodal des transports de marchandises, le schéma multimodal de transport de voyageurs, celui sur l'énergie et celui sur les espaces naturels et ruraux. Tous sont définis sur le long terme et seront évalués et actualisés à la lumière des résultats constatés.

Vous initiez une véritable politique de projets élaborée puis mise en oeuvre, après contractualisation avec l'Etat, au sein des territoires pertinents que sont les pays et les agglomérations.

La volonté gouvernementale de faire des pays et des agglomérations des partenaires des contrats de plan, tout comme les régions, est un moyen fort de concrétiser les projets élaborés et de permettre un véritable développement local durable.

Le développement durable est un concept qui nous est cher, à nous les Verts, et c'est bien ce que la France s'est engagée à promouvoir aux sommets internationaux de Rio, de New York et de Kyoto, puis par le traité d'Amsterdam.

Nous nous engageons dans un modèle de croissance qui économise les ressources naturelles, privilégie les stratégies de long terme, veille à l'équité sociale et à la solidarité, se met au service du développement local et de l'emploi. Minimiser les coûts collectifs, repenser les systèmes de transport, protéger la biodiversité et les espaces naturels, préserver les ressources raréfiées, économiser l'énergie et promouvoir les énergies renouvelables, tels sont les enjeux majeurs du développement durable.

L'environnement ne peut plus, ne doit plus être un critère d'ajustement du développement économique et nous savons bien que la réalisation d'infrastructures lourdes n'induit pas de développement automatique s'il n'y a pas au départ une volonté forte au service d'un projet collectif.

Le développement durable, c'est donc bien l'affaire de tous, c'est aussi l'affaire de l'Etat au travers de la fiscalité et des aides publiques.

Nous savons aussi combien les services publics participent à l'aménagement du territoire. Le Gouvernement s'est engagé à permettre à chacun un égal accès à des services modernes.

Le moratoire institué en 1993 n'a pas évité les suppressions et le statu quo ne peut constituer une politique, mais les adaptations indispensables devront prendre en compte les besoins des populations et conserver aux services publics toute leur qualité.

En milieu rural, éloignées des centres urbains, les maisons de services publics répondent le mieux à ces besoins. Je veux saluer à cette tribune le dynamisme de ces milieux ruraux : la commune de Vihiers, dans ma circonscription, a inauguré samedi dernier la première maison de service public du département de Maine-et-Loire.

Pour conclure, l'intérêt de ce texte est de réaffirmer le rôle régulateur de l'Etat, qui détermine les objectifs et les orientations, tout en promouvant une politique de projet s'appuyant sur les élus, les acteurs locaux, les citoyens, dans le cadre des pays et des agglomérations.

Son intérêt, c'est aussi renforcer la décentralisation en reconnaissant à la région la compétence de l'aménagement du territoire. Il reste encore à lui donner les outils juridiques nécessaires.

Il faut encore du temps pour que nos régions françaises, trop petites et trop nombreuses, puissent tenir toute leur place dans une politique de coopération européenne inter-régionale et dans la politique européenne d'aménagement du territoire.

Ce texte est une loi d'orientation et l'important, Madame la ministre, ce sont les directions que vous tracez et les outils que vous vous donnez pour sa mise en oeuvre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Blanc - Pour moi qui ai eu la chance d'assister au CIAT de juillet 1993 à Mende, de participer au débat national sur la loi Pasqua, puis de conduire le débat régional en tant que président de région, c'est un moment de tristesse de voir le manque d'ambition et de perspectives du débat de ce soir, même si le discours peut être sympathique. D'ailleurs comment être crédible en parlant d'aménagement du territoire au moment où on menace de fermeture des gendarmeries et des services de l'équipement ?

Comment être crédible quand vous nous expliquez que la loi Pasqua reposait sur un postulat simplificateur et dépassé d'une France écartelée entre la désertification des campagnes et l'hyperconcentration des agglomérations, alors que nous devons précisément avoir la volonté politique de porter remède à ces maux ?

Dans la loi Pasqua, la politique d'aménagement du territoire apparaissait comme "l'objectif d'intérêt général" et l'on précisait qu'il convenait de fixer "des dispositions dérogatoires modulant les charges imposées à chacun" et "réduire les écarts des ressources entre les collectivités territoriales". Vous avez gommé ces deux phrases et fait disparaître cette grande ambition.

Vous renoncez aussi aux modulations financières, aux solidarités et aux mesures fiscales, ainsi qu'à l'engagement de préparer un texte spécifique pour le développement rural.

Bien sûr, vous parlez de l'espace rural, mais d'une manière méprisante. Nous, nous voulons un modèle rural de développement, nous croyons qu'il est possible de l'inventer. Vous brisez cette ambition en supprimant avec le schéma national, l'engagement d'une politique forte vis-à-vis de l'espace rural, de la liberté de structure des pays.

On n'en a pas trop parlé, mais vous vous avez supprimé le canal Rhin-Rhône...

M. François Sauvadet - Eh oui !

M. Jacques Blanc - ...alors que nous espérions, en nous lançant dans des aménagements du canal de Sète au Rhône, remonter du Rhône jusque dans les réseaux des canaux européens. C'est un choix que vous devrez assumer et que nous dénonçons, comme l'abandon de certains équipements comme l'aménagement de la route nationale 88.

Qu'apportez-vous en contrepartie ? L'expression "développement durable" est sympathique et nous sommes d'accord avec cette idée dont vous n'avez pas l'exclusivité. Nous souhaitons tous un développement qui protège le capital naturel, l'environnement pour les générations futures. Nous n'avons pas attendu votre arrivée au ministère pour lancer, par exemple, des programmes pour la vallée du Lot ou d'autres opérations pour protéger notre environnement.

Vous inventez les agglomérations. Mais, comme l'a dit Mme Bassot, quels en seront le moteur, et, surtout les moyens ?

Vous mettez, il est vrai, une teinte de régionalisation. Mais cela ne va pas très loin et vous recentralisez même avec les schémas nationaux, dont on ne sait pas qui en décidera, et vous nous parlez de nouveaux schémas -schémas de services collectifs de l'énergie, des espaces naturels et ruraux.

Faire allusion à l'Europe est une bonne chose même si vous n'allez pas jusqu'au bout en ne vous engageant pas à défendre à Bruxelles les objectifs V et II

La contractualisation est bien sûr positive, encore faut-il que l'Etat respecte ses engagements, j'ai fait en son temps ce reproche à M. Gaudin. Aujourd'hui, je crains même que vous n'étaliez sur un an de plus la réalisation des contrats en cours.

Le niveau régional me paraît bon car il ne nuit pas au dialogue et n'empiète pas sur le rôle des départements, des communes, des pays, des agglomérations. Engagez-vous sur ce point.

Engagez-vous aussi à retrouver le souffle de la loi Pasqua, auquel je rends ici hommage, tout comme à notre président de séance, qui en fut un merveilleux rapporteur (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - Rarement un projet aura suscité autant de prises de position passionnées avant même de venir en discussion à l'Assemblée.

Cette appropriation est bien sûr la preuve de l'intérêt de nos concitoyens pour le sujet, de leur conscience de son importance pour l'évolution équilibrée de notre pays.

Notre débat devra toutefois le mettre en perspective, en désamorçant les procès d'intention, mais aussi en enrichissant le texte initial à la faveur des expériences de chacun. Tel est le sens des 1 000 et quelques amendements étudiés par votre commission.

Ce texte, s'il envisage une approche de l'aménagement du territoire plus pragmatique que la loi de 1995, ne se situe néanmoins pas en opposition systématique à celle-ci. Une approche idéologique et polémique serait donc inopportune et je souhaite, comme M. Deprez, un consensus.

Cette loi ne comporte que 36 articles, contre 88 pour la loi Pasqua qui a eu fort peu d'effets sur les disparités territoriales.

Nous sommes en droit d'attendre de ce texte qu'il apporte une véritable plus-value, tout en confirmant le cadre juridique et financier actuel des différents échelons.

Tel ne sera pas le cas si l'on se contente d'affirmer que le développement devrait être durable ou que l'échelon local devrait être mieux pris en compte.

On attend également de cette loi qu'elle tranche enfin le débat sur les rôles respectifs des collectivités locales et des structures de concertation que doivent être les pays et qu'elle clarifie les domaines d'intervention entre les futures agglomérations et les anciennes formes de coopération au sein des aires urbaines, à l'oeuvre depuis le début de la décentralisation.

En revanche, à ce stade, nul ne veut que ce texte vienne perturber un paysage institutionnel déjà chargé.

Vous ne souhaitez pas, madame la ministre, mettre à mal les coopérations existantes, vous n'avez pas la volonté de casser a priori ce qui existe, mais bien de proposer une vision globale d'un aménagement équilibré du territoire national, structuré en agglomérations et en pays, outils au service du développement.

Il convient de saluer la prise en compte, dans votre loi, de la notion d'agglomération qui constitue une des grandes nouveautés par rapport à la loi de 1995, qui voyait l'aménagement du territoire sous le seul angle de la ruralité. Agglomérations et pays sont deux notions complémentaires.

Les schémas sectoriels permettront de concevoir l'aménagement du territoire à partir des nécessités du terrain et des besoins des citoyens.

Il nous faudra cependant veiller à ce que cette approche n'exacerbe pas les déséquilibres territoriaux dans la mesure où les territoires les plus dynamiques auront plus de facilités à concevoir des projets de développement.

A l'heure des grands échanges européens il est impératif de mettre à niveau les infrastructures d'accès aux zones du territoire qui restent fortement enclavées.

Il faut bien insister sur le rôle régulateur de l'Etat, sur sa fonction d'arbitre et mentionner dans ce texte l'impératif de procédures de péréquations financières. Aménager le territoire, c'est s'opposer aux phénomènes de concentrations dominants en donnant plus à ceux qui ont moins. Les moyens financiers sont certes indispensables pour soutenir les projets de développement, pour corriger des déséquilibres qui vont croissant, mais la sous-consommation actuelle de certaines lignes budgétaires montre qu'il faut surtout plus de lisibilité, plus de simplicité dans les procédures d'affectations financières. De même, il faut rappeler le rôle significatif des services publics en terme d'aménagement territorial et leur importance essentielle dans les zones fragiles urbaines comme rurales. Une relance de la politique de délocalisations administratives, à laquelle le gouvernement précédent a mis un frein regrettable, désengorgerait l'Ile-de-France pour mieux mailler le reste du territoire.

Je me félicite que ce projet redonne la parole aux acteurs locaux tout en consolidant la décentralisation. Je souhaite qu'il permette, comme celui sur l'organisation urbaine et la simplification de la coopération intercommunale, d'enrichir la coopération entre les différents échelons territoriaux et qu'il favorise un réel partenariat entre tous les acteurs concernés au service d'un développement harmonieux du territoire national. N'oublions pas, cependant, que l'action publique ne peut pas tout : les choix des grands groupes privés peuvent être déterminants, par exemple. Quelle que soit son ambition, ce projet -que nous voterons- ne saurait donc être qu'un maillon dans la chaîne des solidarités territoriales (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, mercredi 20 janvier, à 15 heures.

La séance est levée à 1 heure 15.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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