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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 57ème jour de séance, 143ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 28 JANVIER 1999

PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER

vice-président

          SOMMAIRE :

PRÉVOYANCE RETRAITE 1

ASSURANCE VEUVAGE 18

La séance est ouverte à neuf heures.


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PRÉVOYANCE RETRAITE

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Philippe Douste-Blazy créant les plans de prévoyance retraite.

M. Jacques Barrot, rapporteur de la commission des finances - Cette proposition de loi offre à l'Assemblée et au Gouvernement une occasion qu'ils auraient tort de laisser échapper car, après de longues années de débat, la nécessité d'instituer dans les délais les plus rapides possibles une prévoyance retraite est désormais très largement admise. De plus, les modalités de mise en oeuvre proposées dans ce texte sont, elles aussi, susceptibles de recueillir un large accord. Dans ces conditions, pourquoi en retarder la mise en place, au risque de retarder les bénéfices d'une telle réforme ?

Nos régimes de répartition connaîtront obligatoirement une baisse du taux de remplacement, c'est-à-dire que le montant de la retraite, rapporté aux derniers salaires -actuellement de 70 %-, passerait à 60 % en 2015 et à 50 % en 2040, sans pour autant éviter une hausse des cotisations. La presse, ce matin encore, évoque le rapport de M. Charpin, délégué général au Plan. Il faudra bien atténuer le choc de cette diminution du taux de remplacement.

Instituer une prévoyance retraite, c'est alléger la charge des futures générations et c'est surtout le moyen, selon les termes mêmes d'un membre de la majorité, M. Jean-Claude Boulard, de prélever sur la croissance externe. Je le cite : "Un pays développé et démographiquement vieillissant comme la France doit impérativement élargir l'assiette du financement de ses retraites. Telle est la raison du caractère incontournable des fonds de pension. En participant, par exemple, au financement de la croissance d'un pays comme la Chine, les fonds de pension prélèveront sur la production intérieure chinoise. Il est logique que si l'épargne dégagée par les fonds de pension contribue au financement de la croissance d'un pays, qu'il y ait un retour à travers les revenus du capital".

M. Bernard Accoyer - Excellent !

M. Jacques Barrot, rapporteur - Excellent, en effet. Et pourquoi priver les 14 millions de salariés du privé d'un dispositif dont bénéficient déjà les personnels de l'éducation nationale par le biais du CREF, la fonction publique, à travers la PREFON, les agriculteurs avec le COREVA, les élus locaux, les professions indépendantes du fait de la loi du 11 février 1994 ; sans parler des retraites mutualistes des anciens combattants ? Claude Evin lorsqu'il avait défendu la loi du 31 décembre 1989, avait lui aussi fait de la capitalisation le fondement des régimes de prévoyance.

Un très large accord s'est donc fait sur la nécessité de ces "fonds de pension" -je n'aime pas beaucoup la formule et avais pris soin, jadis, de parler d'"épargne retraite" pour bien marquer que nous souhaitons un dispositif à la française, différent de ceux des anglo-saxons.

La présente proposition de loi arrête des modalités susceptibles de recueillir, elles aussi, un large accord. Je ne polémiquerai pas sur l'abandon de la loi Thomas par la majorité... Le texte de M. Douste-Blazy en reprend l'architecture tout en l'amendant utilement. Il prévoit un système de retraite supplémentaire à cotisations définies par capitalisation, donnant droit prioritairement à une rente viagère, lors de la cessation d'activité. Ces plans d'épargne retraite sont créés dans le cadre de l'entreprise ou de la branche par voie d'un accord collectif. Ces fonds sont gérés par des structures dédiées, les fonds d'épargne retraite, soumis à un agrément administratif et relevant du code des assurances, du code de la mutualité, ou constitués sous forme d'un organisme de prévoyance. La protection et l'information de l'adhérent sont assurées tant de manière individuelle que collective, notamment par un comité de surveillance par plan, et par un contrôle conjoint de la Commission de contrôle des assurances et de la Commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance.

Enfin, la loi prévoit une règle de concentration maximale des engagements réglementés des fonds d'épargne retraite en titres de créances au niveau de 65 %.

En quoi ce texte diffère-til de la loi Thomas ? Il recherche, d'abord, une plus grande équité en prévoyant des versements obligatoires identiques pour tous les salariés dans le respect d'un plafond de 4 % et une contribution de l'employeur identique à celle du salarié. Quant aux versements facultatifs, ils peuvent seulement être doublés par l'employeur. On évite ainsi de voir privilégier certaines catégories de salariés comme cela avait été reproché au texte précédent.

Pour affirmer fortement la complémentarité avec la répartition, j'ai déposé un amendement qui, tout en maintenant l'exonération des cotisations sociales dans le cadre de l'enveloppe de déductions ouvertes pour l'ensemble retraite et prévoyance complémentaire (85 % du plafond de Sécurité sociale), assujettit l'abondement de l'employeur aux cotisations d'assurance vieillesse. On manifeste ainsi que la prévoyance retraite est vraiment là pour compléter, et non pas pour concurrencer les régimes de répartition.

Ce texte accorde aussi une place accrue à la négociation collective et aux syndicats représentatifs qui entrent pour un quart dans la composition du Comité de surveillance du plan de prévoyance retraite aux côtés des élus des adhérents et des élus des employeurs.

S'agissant des placements, la proposition prévoit des règles qui orientent bien cette épargne longue vers les besoins de l'économie, tout en retenant des dispositions moins audacieuses. La proposition de loi impose 60 % de placements en produits financiers de l'Union européenne. Cela permet de ne pas exclure en pratique des contrats à prestation définie.

Dans ces conditions, Monsieur le ministre, pourquoi retarder la mise en place de ce dispositif ? Plus tôt on commencera, plus tôt les salariés en recueilleront les fruits ; et nos entreprises disposeront des fonds propres qui leur sont nécessaires et qui leur permettront de demeurer -ou du moins de maintenir leurs sièges sociaux- dans notre pays.

Mais, manifestement, une course de lenteur s'est engagée dont on ne perçoit pas l'issue. Les déclarations gouvernementales se succèdent et sont loin de nous rassurer.

Ce fut le 28 octobre la déclaration du ministre des finances, précisant que le Gouvernement présenterait très rapidement en 1999, un texte spécifique. Puis ce fut la déclaration de Lionel Jospin affirmant : "Nous aborderons cette question dans la seconde partie de l'année 1999". Enfin, Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget, déclare à LCI : "Le Gouvernement réfléchit et sa réflexion fera l'objet de décisions dans le budget de l'Etat pour 2000, discuté à l'automne 1999, et dans le budget de la Sécurité sociale pour l'année 2000".

Ces perspectives ne sont en rien rassurantes car si le Gouvernement n'entend pas recourir à un texte spécifique, soit le dispositif prendra l'allure d'un "cavalier", soit il sera fragmentaire et peu lisible, à cheval sur deux textes et d'une portée fort limitée. Et, enfin, si le Gouvernement optait pour un projet de loi spécifique qui nous dit qu'il sera inscrit à l'ordre du jour de notre Assemblée avant le début de l'année prochaine ? C'est très peu probable, et cela veut dire une adoption au plus tôt au premier semestre 2000.

Franchement, c'est beaucoup de temps perdu ; et pourquoi les salariés français devraient-ils patienter trois années supplémentaires ? Je ne vois pas pourquoi cette proposition de loi ne serait pas l'occasion d'ouvrir le débat et de permettre à la France de s'engager sans tarder dans une voie qui, de toute façon, sera pour elle une nécessité, et pour laquelle il n'existe pas vraiment d'alternative.

Les raisons avancées pour une attitude dilatoire tiennent d'autant moins, que, je crois l'avoir démontré, ce texte présente un dispositif équilibré et bien entendu amendable. Votre rapporteur souhaite vivement que la discussion puisse s'engager et aboutir à une discussion constructive.

En tant que rapporteur, je dois préciser que la commission n'a pas voulu se prononcer sur les amendements. Mais fidèle au mandat que m'a confié la commission, je le suis aussi à mes convictions... (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

M. Philippe Douste-Blazy - De 1999 à 2010, les plus de soixante ans passeront de 18 % à 27 % de la population et le rapport entre cotisants et retraités de 2 à 1,3. Si rien n'est fait, les retraités de 2008 toucheront 58 % de leur dernier salaire, contre 64 % aujourd'hui ; les diplômés des années 1990 arrivés à la retraite percevront 38 % de leur dernier salaire.

On ne résoudra pas ce déséquilibre démographique et financier en augmentant les cotisations et en diminuant les pensions.

Dans une démocratie avancée, les salariés ont droit à une retraite digne.

Dans les années 1960 et 1970, l'assurance vieillesse née en 1945 fut complétée par les régimes complémentaires obligatoires et l'élargissement du minimum vieillesse. Dans les années 1980, le pouvoir d'achat des retraites fut maintenu, mais hélas on n'engagea aucune réforme. L'information existait pourtant, grâce aux travaux de M. Strauss-Kahn. Bientôt, l'arrivée à l'âge de la retraite des générations du baby-boom déséquilibrera notre système de solidarité et de partage du revenu national entre actifs et inactifs.

Aujourd'hui se pose un choix politique. Acceptons-nous d'entrer dans le XXIème siècle comme a fini le XIXème siècle, de vivre aux côtés de retraités qui, en 2020, seront en dessus du seuil de pauvreté, acceptons-nous un éventuel conflit de générations, une régression sociale ?

L'avenir des retraites touche au lien social entre les générations, entre les actifs et les retraités. Le financement par répartition était adapté à une économie financée par l'inflation, en très forte croissance et où les actifs étaient quatre fois plus nombreux que les retraités. L'assurance vieillesse durant les années 1950 a su financer les retraites de tous, même de ceux qui n'avaient pas cotisé, grâce à une forte croissance liée à la reconstruction et à une forte inflation. L'inflation n'existe plus. Il convient donc de compléter les cotisations vieillesse par des profits sur les marchés financiers dans une économie où les taux d'intérêt sont supérieurs au taux de croissance.

Le système actuel n'offrant pas de garanties financières, les Français se sont intéressés à toutes les formes d'épargne longue et d'épargne retraite. Jean-Pierre Thomas a réussi, par ses efforts de pédagogie, à faire adopter une proposition de loi visant à créer des fonds de pension en France. Ils devaient ajouter un étage supplémentaire au régime général et au régime complémentaire.

L'absence de fonds de pension crée aujourd'hui une inégalité entre les Français qui peuvent prévoir leur avenir en épargnant et ceux qui ne le peuvent pas. Les plans d'épargne entreprise qui visaient à la constitution d'une épargne longue en actions pour les salariés se transforment peu à peu en fonds de prévoyance retraite dotés d'avantages fiscaux qui pourraient à terme déstabiliser le financement du régime général.

Un tabou doit être levé : la retraite par capitalisation existe déjà, mais elle est inégalitaire, réservée aux fonctionnaires ou aux salariés des grandes entreprises ; l'assurance vieillesse recourt à la capitalisation pour gérer sa trésorerie, et les fonds de prévoyance anglo-saxons jouent un rôle dynamique dans l'économie mondiale.

La France peut-elle rester à l'écart, peut-elle renoncer à l'un des supports d'une épargne longue, pourtant nécessaire à l'investissement ? La France peut-elle continuer d'opposer le capitalisme financier à l'intérêt des salariés, des futurs retraités et des retraités eux-mêmes ?

Pour autant, la répartition n'est pas un système obsolète. Jamais nous ne remettrons en cause la répartition, qui consacre la solidarité entre les générations.

M. Jean-Louis Debré - Très bien !

M. Philippe Douste-Blazy - Elle est un gage de cohésion sociale.

Mais, seule, la répartition ne peut plus assurer la pérennité des principes fondateurs de la Sécurité sociale de 1945. Les fonds de retraite, dont il faut définir la spécificité française, pourront conjuguer la croissance et le progrès social. Les fonds de prévoyance n'ont pas vocation à se substituer à la répartition ; ils constitueront un étage supplémentaire de l'assurance vieillesse.

Ce troisième étage doit être financé par des versements et des cotisations des employés et des employeurs ; après des accords d'entreprise ou de branche, ils seront obligatoires. Il y a là un nouveau champ ouvert au dialogue social et une nouvelle approche de la participation voulue par le général de Gaulle. Une loi instituerait aussi une part facultative pour encourager les salariés à se constituer une épargne retraite, dans certaines limites.

Ce que nous souhaitons avant tout, c'est ouvrir à tous les Français l'accès à l'épargne retraite.

Les fonds de retraite sont aussi une occasion exceptionnelle d'entamer une réflexion sur le pouvoir dans l'entreprise.

Rien ne justifie de confier exclusivement aux partenaires sociaux la gestion des fonds de retraite, ni non plus de les exclure alors que les salariés sont les premiers concernés par la valorisation de leurs cotisations sur les marchés financiers.

On peut rechercher à la fois la sécurité des placements et une rentabilité élevée dans une institution où les partenaires sociaux assurent une fonction de contrôle : les comités de surveillance. Quant à la gestion, elle relève de spécialistes responsables devant les salariés et les employeurs. L'expérience des fonds de prévoyance en Suisse prouve que la performance économique est compatible avec la logique sociale. Les fonds de retraite peuvent être un facteur de refonte des rapports entre salariés et employeurs par une participation accrue du travail dans le gouvernement des entreprises.

Ainsi, en jouant de la mondialisation, nous exploiterons toutes les sources de richesses pour consolider les principes de notre République démocratique, laïque et sociale.

Nous ne pouvons reculer encore une fois les échéances pour des raisons idéologiques ou partisanes.

Le fonds de deux milliards gérés par l'Etat pour consolider les retraites est bien en deçà des 300 milliards annuels qu'il faudra trouver chaque année à partir de 2020. C'est dès maintenant que le Gouvernement doit garantir les retraites des prochaines décennies.

Nous connaissons le problème, nous connaissons les solutions.

L'opposition propose un texte raisonnable, équilibré et parfaitement acceptable grâce aux modifications apportées en commission des finances ; je remercie mes collègues de l'opposition d'avoir participé à ce travail, et tout particulièrement mon ami Jacques Barrot d'avoir accepté d'être le rapporteur de cette proposition qui s'inspire d'une philosophie politique qui nous est commune ("Très bien !" sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Le Gouvernement, lui, dit vouloir régler le problème mais réclame de nouveaux délais. Pourquoi attendre les conclusions du rapport Charpin qui recommanderont les mêmes solutions, voire attendre la loi de finances 2000 ? Ce texte permettrait de répondre dès maintenant à l'attente des Français. L'intérêt général commande à chacun, dans l'opposition comme dans la majorité, d'assumer ses responsabilités politiques.

J'espère qu'à l'issue de cette discussion générale nous pourrons passer à l'examen du dispositif de cette proposition. Le refuser, serait une erreur pour les retraités, une erreur pour les Français, ce serait une erreur pour ce Gouvernement et sa majorité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Jérôme Cahuzac - C'est la deuxième fois que nous examinons une proposition de loi sur les fonds de pension, et les choses semblent moins claires, sur certains bancs, qu'on ne l'aurait cru... (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

La loi Thomas, votée voici près de deux ans, et qui faisait la synthèse de plusieurs propositions de loi, constituait une très forte incitation à l'épargne individuelle en actions, au moyen d'avantages fiscaux et sociaux considérables. Elle méconnaissait la tradition sociale française, en ce qu'elle tenait à l'écart de la gestion des fonds les partenaires sociaux, qui n'avaient pourtant nullement démérité, ainsi qu'en témoigne leur rôle essentiel dans les réformes des régimes de base complémentaires survenues en 1994, 1996 et 1997. En outre, elle fixait un plancher d'investissement en actions, ce qui était une deuxième erreur : s'il est en effet possible de tabler, à très long terme, sur un rendement supérieur à celui de la répartition, les risques liés aux fluctuations boursières sont grands, a fortiori pour ceux, et ils sont nombreux, qui n'ont pas vingt-cinq ou trente ans devant eux. Sans doute est-ce pour cela que le précédent gouvernement a tant peiné, d'ailleurs en vain, à prendre les décrets d'application, et que l'actuel n'a même pas essayé. Au moins la loi Thomas a-t-elle eu le mérite de lancer le débat, débat que nous pourrons, je le crois, conclure en dépassant les clivages partisans.

Aujourd'hui, la situation a évolué. Il y a la proposition de loi qu'a rédigée M. Douste-Blazy, il y a celle, pas tout à fait identique, qu'il vient de défendre, il y a celle présentée par le rapporteur, et il y a tous ceux qui veulent la loi Thomas, rien que la loi Thomas et toute la loi Thomas. L'article 3 de la proposition du président du groupe UDF semble avoir gêné notre rapporteur, en particulier à cause du mot "doivent" figurant à l'avant-dernière ligne : il s'agit d'imposer un prélèvement supplémentaire, non pour sauver la répartition, mais pour instituer une capitalisation obligatoire. C'est une avancée conceptuelle intéressante, mais je n'ai pas eu le sentiment, en écoutant M. Barrot, que c'était cela qu'il défendait - et je m'en réjouis ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste). Si l'on craint que les régimes par répartition viennent à manquer de financement, il est étrange d'instituer un prélèvement supplémentaire pour créer un nouveau système au lieu de soutenir celui qui existe ! Mais je vois avec plaisir se profiler une évolution vers une ligne plus raisonnable : celle d'un régime facultatif-obligatoire : facultatif car subordonné à l'accord des partenaires sociaux, mais obligatoire une fois cet accord acquis.

En vérité, le passage à la capitalisation est impossible, à supposer qu'on la veuille. Elle supposerait d'abord le sacrifice de la dernière génération à avoir cotisé, à moins que la collectivité souscrive, pour la doter en capital, un emprunt dont le volume équivaudrait - en retenant l'hypothèse d'un pourcentage de 15 % de retraités parmi la population, d'un rendement de 5 % des placements et d'un montant de pensions maintenu - à trois années de PIB !

Les défenseurs de la capitalisation tirent argument du fait que les taux d'intérêt sont supérieurs à la croissance, pour démontrer que notre économie est sous-capitalisée, mais en vérité ce ne sont pas les économies européennes qui souffrent de sous-investissement. Prendra-t-on le risque d'investir les fonds de pension en Asie, en Russie, au Brésil ? On ne peut jouer avec les retraites, avec l'espoir de nos concitoyens.

Enfin, la capitalisation est profondément inégalitaire, non seulement entre les générations, mais encore au sein d'une même génération. A revenus faibles, cotisations faibles, et ce d'autant plus que le revenu disponible est consommé, faute de pouvoir faire autrement. C'est donc un mauvais système, et je donne acte à M. Barrot, une fois de plus, de son évolution. Sans doute a-t-il compris, pour avoir été associé à l'élaboration de la loi Thomas, le risque de "siphonage" des régimes par répartition qu'elle comportait, et c'est pourquoi il nous propose aujourd'hui de ne plus désocialiser les sommes consacrées à l'épargne retraite. Je ne désespère pas qu'il parvienne à convaincre d'autres, au sein de l'opposition, de suivre la même évolution...

Cela dit, le texte qui nous est soumis, même s'il a été sensiblement amélioré par le rapporteur, demeure inégalitaire, ne serait-ce que parce que la défiscalisation ne bénéficiera qu'aux personnes imposables. On ne peut faire comme si tous les salariés étaient redevables de l'impôt sur le revenu. Rien n'est prévu, en outre, dans le cas d'accidents graves de la vie : il faudrait au moins que leurs victimes aient le droit de récupérer les sommes bloquées. Enfin, si la sortie en rente est privilégiée, pourquoi ne pas envisager une sortie partielle en capital ? Je suis d'ailleurs heureux de constater que certains de nos collègues du groupe DL ne l'excluent plus.

Ce système, qui reste injuste, ne satisfera pas ceux qui ne jurent que par la loi Thomas. Pour sa part, la majorité a pris la décision d'abroger celle-ci, et notre débat de ce matin aura au moins eu le mérite de montrer, d'une part, que la question est moins sulfureuse qu'on ne le dit, et, d'autre part, que l'on ne peut instaurer une telle formule d'épargne indépendamment de toute réforme de la répartition -surtout si l'on souhaite, comme nous, qu'elle soit acceptée et gérée par les partenaires sociaux.

Il y a deux méthodes possibles. L'ancienne majorité avait commencé, en 1993, par réduire les droits des salariés du régime général, avant d'instaurer, quelque temps plus tard, un système de capitalisation, sans qu'il y ait la moindre cohérence entre les deux démarches.

M. Bernard Accoyer - Et vous, vous n'avez jamais rien fait ! C'est un véritable déshonneur politique !

M. Jérôme Cahuzac - Notre démarche à nous est différente : nous entendons examiner à la fois les moyens d'abonder le fonds de réserve constitué cet automne et ceux d'aider les Français à se constituer un complément de retraite (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Contrairement à ceux qui ont réduit les droits de tous et mis ensuite la collectivité à contribution pour offrir des droits nouveaux à quelques-uns seulement, nous voulons garantir les droits de tous et créer des droits nouveaux dans le respect du droit du travail, sous le contrôle des partenaires sociaux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Louis Debré - En attendant, vous ne faites rien !

M. Bernard Accoyer - Aucun argument ne peut justifier que la France reste plus longtemps le seul pays développé à n'avoir pas provisionné les retraites de sa population. La responsabilité de certains, pourtant prompts à donner des leçons, est particulièrement lourde, et force est de reconnaître que, jusqu'à présent, seules trois initiatives courageuses ont été prises. Sans la réforme des retraites du secteur privé conduite en 1993 par le Gouvernement d'Edouard Balladur, le déficit de l'assurance vieillesse serait d'une tout autre ampleur aujourd'hui !

M. Jérôme Cahuzac - De combien ?

M. Bernard Accoyer - Deuxième initiative courageuse : la tentative d'évaluation et de réforme des régimes spéciaux de 1995, par le gouvernement d'Alain Juppé. Ce fut, enfin, par le même Gouvernement, la création des plans d'épargne retraite par la loi du 25 mars 1997.

Depuis dix ans, la passivité et le manque de courage politique des gouvernements socialistes menacent l'avenir des retraites.

Depuis longtemps les projections démographiques sont connues. On sait que le déficit de la branche vieillesse est structurel et que les régimes spéciaux, les régimes particuliers et les régimes de fonctionnaires sont en grand danger.

La population française vieillit, son espérance de vie s'allonge, tandis que la natalité baisse depuis plus d'un siècle, à l'exception des deux poussées qui ont suivi les deux conflagrations mondiales, dont le fameux baby-boom.

Il suffit d'une simple addition pour déterminer la date critique : ajouter à la date du baby-boom, 1945, l'âge de la retraite, 60, et vous obtenez 2005. Qu'ont fait les gouvernements de gauche pour préparer cette échéance, qu'un élève de cours primaire est capable de calculer ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - C'est ridicule.

M. Bernard Accoyer - Tout à été fait pour retarder les décisions. Depuis les travaux de la commission de protection sociale du Plan, présidée par M. René Teulade en 1989 et la publication du livre blanc remis à M. Rocard à 1991, les projections ont été confirmées.

Malgré cela, les socialistes, au pouvoir comme dans l'opposition, ont constamment refusé d'ouvrir les yeux, à moins que par calcul politique, ils aient sciemment refusé d'agir. Quand le gouvernement Juppé a voulu, avec la commission Le Vert, évaluer l'état des régimes spéciaux, M. Jospin, alors premier secrétaire du parti socialiste, a soutenu les grévistes de la SNCF, refusant tout examen de la situation de ces régimes très spéciaux qui élargissent la fracture sociologique entre les salariés protégés et les salariés exposés à la concurrence internationale. Qu'avez-vous fait pour ces derniers ? Ce sont eux, pourtant, qui financent la protection sociale.

En 1997, le PS s'est opposé avec beaucoup de véhémence à la proposition Thomas instituant les fonds de pension.

En 1998, au cours de l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, le Gouvernement a refusé d'agir en repoussant la proposition du groupe RPR d'étendre aux salariés du secteur privé le bénéfice des retraites supplémentaires par capitalisation réservées depuis des décennies aux agents et anciens agents des collectivités publiques.

Jadis, c'est vrai, les salariés du privé pouvaient espérer des salaires élevés et une progression plus rapide que celle des fonctionnaires. La sécurité de l'emploi ne constituait pas un avantage très important. Mais qui oserait soutenir que tout n'a pas changé, depuis plus de quinze ans ?

Qu'est-ce qui justifie le refus du Gouvernement d'offrir aux salariés du privé les mêmes droits qu'à ceux du public, sinon une certaine forme de sectarisme, à moins qu'il ne s'agisse de clientélisme électoral (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Monsieur le ministre, pouvez-vous sérieusement avancer que la mission Charpin apportera quelque chose de nouveau ? Ce énième rapport -dont l'essentiel est déjà officieusement connu- ne justifie pas que soit repoussé à la fin de l'année l'examen d'un texte instituant ce que vous avez baptisé "l'épargne retraite", c'est-à-dire des fonds de pension, que d'éminentes personnalités socialistes appellent de leurs voeux.

Si vous avez changé d'avis et acceptez maintenant l'idée d'introduire, à côté du système par répartition, un système par capitalisation, alors rien ne justifie d'attendre encore.

Alors que quinze années sont nécessaires pour consolider un système par capitalisation, les tergiversations de la gauche nous occupent depuis bientôt dix ans. Dix ans de perdus, au détriment des jeunes, des futurs retraités et des retraités eux-mêmes, mais aussi du régime par répartition, qui doit supporter seul une chargé écrasante.

Il serait imprudent de croire que la création in extremis avant la dernière réunion de la commission des comptes de la Sécurité sociale, du "fonds de réserve de la retraite par répartition" suffise à garantir l'avenir du régime général. Il n'est en effet doté que de 2 milliards, somme dérisoire au regard des besoins de financement du régime par répartition qui, dès 2005, aura besoin de dizaines, puis de centaines de milliards chaque année ! Deux milliards, cela n'équivaut qu'à trois semaines de remboursement de la dette sociale, que votre Gouvernement a allongé de cinq ans en 1997. En outre, les hypothétiques recettes de ce fonds sont illusoires et sans commune mesure avec les besoins.

La situation est préoccupante. Comme nous ne voulons pas croire que vote attentisme soit de nature politique, nous espérons que, sans plus attendre, le Gouvernement va prendre enfin ses responsabilités. Chaque jour qui passe ne fait qu'aggraver la situation.

Le groupe RPR soutient la proposition de Philippe Douste-Blazy. Pour les gaullistes, la sauvegarde du régime par répartition est nécessaire. C'est ce régime qui constituera le socle de la retraite des générations des plus jeunes, mais pour ces dernières, notre devoir est de leur apporter en outre un système par capitalisation que l'on appellera volontiers "épargne retraite" si cela doit permettre son acceptation par la majorité.

Depuis toujours, le RPR est attaché au paritarisme, au partenariat, à l'intéressement et à la participation. Cette proposition de loi va dans ce sens, puisque les versements des employeurs doivent abonder ceux des salariés.

De plus, les plans de prévoyance contribueront un outil de financement très utile pour les entreprises françaises.

Notre retard en ce domaine est la première cause des prises de contrôle par des fonds étrangers de nos plus belles entreprises. Les centres de décision partent, puis les productions se délocalisent, fuyant de trop lourdes charges. Ce sont bien souvent des fonds de pensions britanniques, hollandais, scandivanes ou américains qui acquièrent nos entreprises ; si bien que les salariés français travaillent désormais de plus en plus pour financer les pensions de vieillesse des retraités étrangers !

Il est urgent de légiférer. La gestion partenariale de ces fonds alimentera le dialogue social, tout en finançant la croissance internationale.

M. Cahuzac a voulu polémiquer sur le caractère facultatif des fonds de pension : pour le groupe RPR, ils doivent l'être en effet, car on ne peut alourdir encore les charges qui pèsent sur nos concitoyens. Le régime fiscal et social des cotisations, les plafonds prévus pour les cotisations salariales et patronales garantissent la pérennité de la retraite par répartition, qu'ils renforcent en le complétant.

Monsieur le ministre, en acceptant cette proposition de l'UDF, soutenue par le RPR, vous pourriez atténuer les conséquences dommageables des atermoiements de la gauche, qui inquiètent à juste titre les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. François d'Aubert - Une fois de plus, l'Assemblée nationale est amenée à examiner un texte sur les fonds de pension.

En nous remettant à l'ouvrage un an et demi après l'adoption de la loi Thomas, j'ai l'impression que nous sommes, comme Sisyphe, perpétuellement en train de refaire la même chose sans pour autant régler le problème.

Cette énième discussion pose le problème du respect de la loi. En effet, la proposition de loi de M. Thomas, après plus de trois ans de discussion, avait été adoptée, jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et promulguée le 25 mars 1997.

Nul n'est censé ignorer la loi et la France n'est pas une république bananière ; or, aujourd'hui, le Gouvernement ignore la loi.

Certes, une majorité peut défaire ce qu'une autre majorité a fait ; mais en un an et demi, le Gouvernement de M. Jospin n'a ni abrogé, ni modifié la loi Thomas : il doit donc l'appliquer. Près de deux ans s'étant écoulés sans que soient publiés les décrets d'application, nous sommes en droit de faire un recours devant le Conseil d'Etat. En tant que futurs retraités, nous avons tous intérêt pour agir et saisir la justice administrative face à cet abus de pouvoir.

Le refus du Gouvernement d'appliquer la loi Thomas est d'autant plus condamnable que cette loi concerne la retraite.

Refuser d'admettre les réalités, c'est jouer avec l'avenir de dizaine de millions de Français.

Les faits sont connus. Du fait de l'allongement de la durée de vie et de la dénatalité constatée depuis 1965, nos régimes par répartition seront dans l'impossibilité de maintenir le pouvoir d'achat des futurs retraités d'ici une dizaine d'années.

En 2040, les dépenses de retraite auront augmenté de plus de 300 milliards de francs. Si le Gouvernement n'adapte pas la législation, le montant des pensions baissera de près de 30 %. Cette bombe à retardement touchera le régime général, les régimes complémentaires et bien évidemment les régimes spéciaux.

Le Gouvernement, en commandant rapport sur rapport, semble découvrir le problème. Or, dès 1982, vous-même, Monsieur le ministre, dans un livre sur l'épargne retraite écrit avec Denis Kessler, souligniez qu'à terme notre système de retraite devait évoluer. Il y a près de dix ans, le livre blanc sur la retraité a été publié. Tout y était. Michel Rocard, qui était alors Premier ministre, affirmait "Dans vingt ans, le système de retraite va exploser... il y a de de quoi faire sauter cinq ou six gouvernements". Faudra-t-il attendre encore dix ans ? Depuis, un second livre blanc a été publié et une série de rapports tant français, qu'internationaux, réalisés.

Dans ces conditions, il est surprenant que le Premier ministre attende la publication d'un nouveau rapport, le rapport Charpin.

En fait, cet attentisme n'a qu'un objectif, gagner du temps pour masquer les divisions de la majorité.

La gauche a été élue en affirmant haut et fort qu'il n'y avait pas de problème -à part vous, Monsieur le ministre. Le Premier ministre avait même promis de revenir à l'indexation des pensions sur les salaires et non sur les prix -il n'en a d'ailleurs rien fait.

L'immobilisme règne et les retraités, depuis juin 1997, sont les grands perdants de la politique du Gouvernement. Ils ont dû supporter l'augmentation des taxes sur l'épargne, le relèvement de la CSG, la diminution de l'abattement de 10 % pour l'impôt sur le revenu.

Par cette politique de l'autruche, la gauche nous prépare une guerre des générations.

Certains partisans de la terre brûlée affirment fièrement qu'il est trop tard pour instaurer des fonds de pension. A qui la faute ? Pas aux partis de l'opposition.

Par ailleurs, le problème du financement des retraites se posera à compter de 2015 et durera pendant près de quarante ans. Il est donc urgent d'agir, mais on peut encore le faire. Il faut vingt à trente ans pour la montée en puissance des fonds de pension.

D'autres considèrent que la croissance et le retour du plein emploi suffiront pour faire face au papy-boom. Les derniers travaux du Commissariat du plan prouvent le contraire.

Il y a une solution et la majorité le sait ; c'est l'instauration de fonds de pension. Mais une partie de cette majorité est incapable de rompre avec ses archaïsmes idéologiques. Le Gouvernement, pour repousser l'indispensable réforme, trouve toujours une bonne raison : un rapport, une élection, un congrès syndical, les questions de M. Untel ou de M. Machin.

Le groupe Démocratie Libérale considère que l'on ne peut pas gouverner en pratiquant l'art des contorsions. Sur le sujet des retraites, nous avons été fidèles à nos convictions et objectifs : maintenir et renforcer notre régime par répartition en instaurant des compléments par capitalisation. Ce sont des députés membres de notre groupe qui ont, en 1992, déposé la première proposition de loi sur les fonds de pension.

Les fonds de pension ne sont pas une recette miracle, mais c'est sans nul doute la solution la plus rationnelle sur le plan économique. La capitalisation est moins dépendante des facteurs démographiques que le système par répartition.

Les contributions des salariés et des employeurs servent à financer l'économie productive.

La retraite par répartition fonctionne avec deux moteurs, les cotisations des salariés et celle des employeurs, et un "booster" fiscal, la déductibilité de ces cotisations. La capitalisation a un moteur de plus : l'économie productive.

Les fonds de pension ont en plus trois grands avantages.

Ils permettent à des millions de salariés d'être des actionnaires. Pourquoi laisser aux retraités des Etats-Unis ou du Royaume-Uni le droit de s'enrichir grâce au travail des salariés français ? Ne serait-il pas logique que les retraités français profitent également de ces dividendes et des dividendes des entreprises étrangères ?

Par ailleurs, les fonds de pension amènent plus de transparence dans la gestion des entreprises.

Ils irriguent le tissu économique car ils alimentent en fonds propres les entreprises et contribuent ainsi à la croissance et à l'emploi.

Pour ma part, comme M. Accoyer, je préférerais que ce soient des fonds de pension français qui investissent dans les entreprises françaises, de façon à éviter des OPA étrangères. Pour la Bourse, les fonds de pension sont nécessaires.

Certains experts prétendent qu'on ne peut pas à la fois préparer les retraites et stimuler la Bourse. En réalité, il est indispensable que les fonds de pension investissent principalement en action, car ce sont encore les actions qui, à long terme, ont le meilleur rendement.

La discussion d'aujourd'hui prouve que la gauche refuse de traiter en profondeur le problème des retraites et qu'elle se contente de rustines, telles que la constitution d'un fonds de réserve. Dans les années soixante-dix, la situation des retraités s'est considérablement améliorée du fait d'un volontarisme politique. Du fait de son immobilisme, le gouvernement de Lionel Jospin sera responsable de la paupérisation des futurs retraités. Gouverner, c'est agir et c'est prévoir. La majorité -hélas !- refuse de préparer l'avenir et d'agir. L'opposition vous engage à prendre des mesures rapides en votant cette proposition de loi, tout en rappelant qu'il convient d'abord d'appliquer la loi Thomas (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Georges Sarre - On voudrait nous faire croire qu'il n'y a rien de plus urgent que d'instaurer en France un système de fonds de pension. Or la précipitation dans ce domaine est inutile et dangereuse : inutile, car c'est déjà se tromper que de postuler le caractère inéluctable d'un tel système ; dangereuse, car la retraite par capitalisation n'est pas sans risques.

Le lobby de l'intermédiation financière met en avant la prétendue catastrophe des régimes de retraites qui résulterait de la diminution du nombre des cotisants par rapport à celui des allocataires.

M. Bernard Accoyer - C'est de l'arithmétique, niveau CP !

M. Georges Sarre - Le ratio passerait mécaniquement de 1,7 aujourd'hui à 0,8 en 2040 ; à cette échéance, les cotisations devraient donc avoir été augmentées de 60 %, à moins que les prestations aient été réduites de moitié. Mais il faudrait plutôt examiner le "ratio de dépendance", rapportant l'ensemble des inactifs aux actifs occupés : on constaterait que l'augmentation du nombre des plus âgés est strictement compensée par la diminution de celui des plus jeunes.

En outre, on pose comme postulat qu'à l'horizon 2040, notre triste exception française, à savoir le chômage de masse, n'aura pas régressé. Or la baisse du taux de chômage de six points d'ici 2040 permettrait d'absorber la dégradation du ratio de dépendance.

M. Alfred Recours - Tout à fait !

M. Georges Sarre - On parle aussi d'un manque d'épargne, alors qu'il y a un excédent d'épargne de 200 milliards... Ce qui pose problème, c'est bien plutôt la faiblesse des émissions d'actions par nos entreprises, liée au mécanisme sclérosant des noyaux durs et autres participations croisées, chers à M. Balladur.

Comme le montre le récent exemple d'Alcatel, les mouvements erratiques de capitaux mettent en danger les entreprises qui recherchent aveuglément un profit maximum.

M. Alfred Recours - Et immédiat !

M. Georges Sarre - Les marchés subissent aussi les conséquences du choc démographique : les jeunes épargnent en achetant des actifs, les plus âgés désépargnent en les cédant ; le risque est réel, à terme, d'un effondrement des cours.

La solution, c'est la mise en place d'un produit d'épargne salarial attractif et l'association des partenaires sociaux à la gestion des fonds ainsi constitués. Il s'agit de systématiser ce qui existe déjà -les plans d'épargne entreprise dans le secteur privé, la PREFON dans le secteur public. L'effort des entreprises dans le financement des retraites doit porter davantage sur la valeur ajoutée, moins sur la masse salariale. Enfin, le financement des ménages doit évoluer, par un transfert des cotisations vers la CSG, assise sur l'ensemble des revenus.

Il n'y a donc aucune fatalité à l'instauration de fonds de pension, et l'on peut concilier solidarité et efficacité. Le débat gagnerait en clarté si ceux qui sont favorables aux fonds de pension évoquaient franchement le problème de la recomposition du capitalisme français...

M. Pascal Terrasse - Nous sommes invités à examiner une proposition de loi portant création de plans de prévoyance retraite, alors que le Gouvernement s'est engagé lors du débat sur le financement de la Sécurité sociale à abroger la loi créant les plans d'épargne retraite. Il paraît donc légitime de nous interroger sur la différence entre les deux.

Alors que depuis une quinzaine d'années, les fonds de pension sont source de débats, de contradictions et d'échecs sociaux dans certains pays anglo-saxons, vous nous proposez de doter notre pays d'un étage de retraite par capitalisation. Il s'agirait de rééquilibrer un système qui, pendant trop longtemps, a presque tout misé sur la répartition.

M. Bernard Accoyer - A qui la faute ?

M. Pascal Terrasse - En réalité, ce texte équivoque et parfois contradictoire, répondant aux souhaits de différents lobbies, remet en cause la protection sociale et le lien social.

Economiser pour ses vieux jours, selon le sens commun, c'est préparer sa retraite. On ne peut, cependant, se satisfaire d'une définition aussi large qui englobe, pêle-mêle, l'acquisition d'un logement, la souscription d'un contrat d'assurance vie, l'ouverture d'un livret A, l'achat de valeurs mobilières ou de parts de SICAV,...

Mieux vaut partir de l'objectif poursuivi. Une opération de retraite a pour but d'assurer, à partir de la demande de liquidation de la pension, le service d'un revenu de remplacement qui fera l'objet d'une revalorisation régulière. Elle comporte une première phase, l'acquisition de droits et une seconde, le versement de la prestation. Les cotisations acquittées sont aussitôt converties en droits personnels à retraite ; si le décès de l'assuré intervient avant liquidation, aucun droit n'est ouvert au profit de ses héritiers ou de tiers désignés, sauf réversion. La gestion du régime est collective, c'est-à-dire qu'il y a mutualisation intégrale des opérations entre cotisants et retraités.

Les opérations de capitalisation obéissent à des règles différentes. En effet, épargner est un acte personnel ; si, dans votre proposition, la gestion de l'épargne est collective, les résultats seront attribués individuellement à chaque épargnant. De plus, selon l'article 8, l'épargne est transmissible aux héritiers.

Mais nul ne pouvant être contraint à épargner contre sa volonté, un système d'épargne ne peut être que réversible : or tel n'est pas le cas dans votre proposition.

Il est faux de prétendre qu'en raison du vieillissement de la population, un système de capitalisation serait indispensable. Ce qui compte, en effet, c'est la façon dont, à un instant donné, on partage le PIB entre les actifs et les inactifs. Il y a là un choix social à effectuer.

M. Jérôme Cahuzac - Très bien !

M. Pascal Terrasse - Dans le système par répartition, on joue sur les cotisations sociales ; dans le système par capitalisation, sur les prélèvements fiscaux sur les revenus du capital.

Dans son livre Sauver les retraites, page 109, Philippe Douste-Blazy écrit : "Créer un troisième étage de retraite obligatoire revient à accroître les prélèvements qui pèsent sur les entreprises. Il ne faut pas mentir : quoi qu'on fasse, les prélèvements augmenteront pour financer les retraites".

M. Philippe Douste-Blazy - Eh oui !

M. Pascal Terrasse - Mais votre proposition est de nature à pénaliser les salariés à revenus modestes, car ils ne bénéficient pas des mêmes avantages fiscaux.

Certains voient dans les fonds de pension un moyen de lier le financement de l'économie et nos systèmes de retraite. Denis Kessler, comme Jean Arvis, président de la Fédération française d'assurance, ont rappelé que faute de fonds de pension français, les Anglo-saxons possèdent plus de 30 % de la capitalisation boursière française.

Rappelons que le taux d'épargne est déjà élevé dans notre pays. Favoriser la création d'un fonds de prévoyance aurait seulement pour effet de diriger l'épargne vers les actions.

Par ailleurs, il faut veiller à ce que la comparaison des rendements ne remette pas en cause le contrat implicite entre les générations sur lequel est fondée la répartition. De plus, l'exemple des fonds anglo-saxons montre que les intermédiaires financiers, par leur comportement, mettent parfois en difficulté les entreprises, et par voie de conséquence les salariés...

Dans la conclusion de son ouvrage, Philippe Douste-Blazy écrit : "La question des retraites paraît parfaitement révélatrice de notre difficulté à envisager collectivement l'avenir. Le débat n'a jamais eu lieu". Il a cependant occupé pendant quatre ans des fonctions ministérielles... En réalité, cette proposition vient à la fois trop tard et trop tôt. Trop tard, car la perte de temps occasionnée par le débat sur la loi Thomas n'a pas permis de prendre réellement en compte les problèmes. Trop tôt, car ce texte ne s'intègre dans aucune vision d'ensemble.

Le Premier ministre a demandé au Commissariat général du plan d'élaborer un diagnostic sur l'ensemble des régimes de retraites, y compris les régimes spéciaux. La priorité des priorités, exprimée par Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité à l'occasion du débat sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, est de conforter nos régimes de retraite par répartition. C'est une priorité, une exigence essentielle de justice et de solidarité.

L'évolution de notre système de retraite devra respecter trois principes : il s'agira d'un processus continu, qui devra s'étaler sur plusieurs décennies ; les efforts devront être partagés équitablement entre actifs et inactifs, entre catégories sociales, entre générations ; les régimes de base et complémentaires légaux devront demeurer le pilier, le socle sur lequel repose l'essentiel des revenus de remplacement.

Un véritable débat démocratique sur l'avenir des retraites est donc indispensable. C'est une question de notre temps. Demain, se tiendra à l'Assemblée nationale le premier colloque international sur le vieillissement. Le débat est nécessaire car des présupposés sont admis comme vérités universelles évidentes alors qu'ils sont pour le moins discutables. Alexis de Tocqueville nous rappelle qu'un gouvernement, aussi savant et puissant qu'on l'imagine, ne saurait agir sans le concours de la population. Tous les citoyens doivent se saisir du problème dans un débat démocratique de même ampleur que ceux actuellement en cours sur l'euro ou les 35 heures.

Les Français devront faire des choix et s'engager dans les chemins toujours actuels du progrès et de la justice sociale. Ils devront les aborder aussi dans la perspective de l'Europe et l'ensemble de la réforme de 1995 en Italie est un bon exemple, car elle résulte d'un accord général entre partenaires sociaux et non entre représentants des seuls partis politiques.

C'est en refusant les fausses bonnes idées, les peurs, les replis, les prévisions catastrophiques, qu'ensemble nous pourrons convaincre collectivement que, oui, décidément les retraites ont un avenir. Mais cet avenir ne passe pas par le système que vous nous proposez aujourd'hui. C'est pourquoi les socialistes ne s'associent pas à votre analyse (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gilbert Gantier - Avec cette nouvelle proposition de loi, nous constatons que le Parlement et la France font, une fois de plus, du surplace. Je le regrette vivement.

Depuis dix ans, pas une année, voire pas un semestre sans que l'on évoque la nécessité de nous préparer au choc des retraites programmé pour les années 2015-2040. En 1997, en adoptant la loi Thomas, nous avions cru avoir réglé une bonne partie du problème. La nouvelle majorité a décidé de considérer comme nul et non avenu le vote intervenu sous la précédente législature. Une telle décision ne grandit pas notre démocratie, surtout quand il s'agit de retraites, sujet où l'idéologie ne devrait pas avoir place.

Mais la majorité actuelle n'a pas su échapper à ses archaïsmes. En refusant d'appliquer la loi Thomas, en reportant la réforme de semestre en semestre, le Gouvernement et la majorité plurielle font preuve d'irresponsabilité. Quand le Premier ministre, lors de sa dernière intervention audiovisuelle, affirme qu'il n'y a pas d'urgence en matière de retraites, il refuse de voir les réalités.

Il y a, en effet, péril en la demeure. Les faits sont têtus. L'allongement de la durée de la vie, associé à un phénomène général de dénatalité, modifie les structures démographiques de notre pays comme celles de nos partenaires. Si, en 1750, l'espérance de vie d'un homme ne dépassait pas 27 ans, elle est aujourd'hui de 75 ans. En moins de 40 ans, la longévité humaine s'est accrue de 20 %. Et chaque année, l'espérance de vie augmente d'un trimestre. Nous faisons face à une véritable révolution démographique, d'autant que -et je le regrette vivement- en l'absence de politique favorable à la famille, la natalité diminue.

Plus de personnes âgées, moins de jeunes, le financement des retraites est menacé. En 2020, la France comptera moins de 20 % de jeunes et près de 30 % de plus de soixante ans. Le Premier ministre veut-il nous fait croire que cette évolution est sans conséquences pour notre régime de retraite ?

A la sortie de la seconde guerre mondiale, il était économiquement rationnel d'instituer la retraite par répartition. Il y avait peu de retraités, pas de chômage et un essor démographique. Nous pouvons regretter que, par facilité, les gouvernements de l'époque n'aient pas obligé les caisses de retraite à faire des réserves et n'aient pas déjà favorisé le développement de fonds de pension qui sont, par nature, moins sensibles aux aléas démographiques. Mais c'est ainsi.

Aujourd'hui, au pied du mur, le Gouvernement tergiverse. Les rapports, nombreux, concluent tous dans le même sens. Du livre blanc aux rapports du Conseil d'analyse économique, il faut retenir une chose : les compléments de retraite par capitalisation sont devenus indispensables.

L'immobilisme du Gouvernement est d'autant plus criant que tous les autres pays ont, ces dernières années, adapté leur législation à la nouvelle donne démographique. Tous disposent d'un régime de base par répartition et de régimes complémentaires par capitalisation dont ils favorisent le développement. Par ailleurs, un grand nombre d'entre eux ont déjà reculé l'âge de la retraite. Pour associer les avantages de la répartition avec ceux de la capitalisation, nos partenaires ont mixé les deux systèmes.

La France, optant pour la seule technique de la répartition, a décidé de faire bande à part. A très court terme, la fameuse exception française pourrait nous coûter très cher... Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Suisse, les pays scandinaves ont décidé, afin de pérenniser leurs régimes de retraite, de les réformer. Dans son dernier discours sur l'état de l'Union, Bill Clinton les a placés au coeur de son programme et décidé d'y consacrer les excédents budgétaires. Le laxisme pratiqué depuis 1981 par les socialistes nous empêche d'agir ainsi...

En Espagne, on a décidé de créer un fonds de réserve alimenté par des recettes obtenues en période de conjoncture favorable, et d'inciter fiscalement à la constitution de fonds de pension.

Les Italiens ont profondément réformé leur système de retraite en 1995 et institué un régime désormais unique. Les départs anticipés ont été rendus moins attractifs et un nouveau projet de réforme est en cours de préparation.

Les Etats d'Amérique latine, malgré la jeunesse de leur population, ont eux-mêmes engagé de vastes réformes de leur système de retraite. Dès 1981, le Chili a instauré un régime de fonds de pension. Le Pérou, la Colombie, l'Argentine, l'Uruguay, le Mexique et la Bolivie ont mis en place des législations favorables à la capitalisation. L'encours des fonds de pension d'Amérique latine dépasse déjà 110 milliards de dollars.

Au sein de l'économie mondiale, la France fait donc cavalier seul. Malheureusement, rien ne prouve que nous serons les seuls à avoir raison...

En 1982, François Mitterrand a décidé d'abaisser la retraite à 60 ans. Il savait pertinemment que cette décision était à terme impossible à respecter. Mais peu importe ! Non seulement la France est le seul pays occidental à s'en tenir à l'âge de 60 ans, mais certains syndicats, relayés par certains socialistes, souhaitaient même, il y a quelques années, avancer la retraite à 55 ans !

M. le Ministre - .Pour les députés...

M. Gilbert Gantier - Nombre de nos partenaires ont prévu de reculer l'âge de la retraite dans les prochaines années. L'âge légal de départ passera de 65 à 66 ans en 2006 aux Etats-Unis ; le Japon a prévu de passer à 65 ans en 2013, l'Allemagne en 2002 comme l'Italie. En Norvège et au Danemark, l'âge de départ est déjà fixé à 67 ans.

L'espérance de vie à l'âge de la retraite est passée à près de deux dizaines d'années. La pénibilité du travail ayant fort heureusement diminué, il serait logique, premièrement, de supprimer les régimes spéciaux qui se caractérisent par des cessations d'activité à 55, voire 50 ans, et, deuxièmement, de programmer un recul progressif de l'âge légal de départ à la retraite pour l'ensemble des salariés.

Certains considèrent qu'en période de fort chômage, il est irrationnel de reculer l'âge de la retraite. Or ce sont les pays qui ont le plus fort taux d'activité entre 55 et 65 ans qui ont le plus faible taux de chômage. Les gouvernements, en favorisant les départs en préretraite à 55 ans, ont au contraire privé l'économie du savoir-faire de ces salariés et n'ont en aucun cas amélioré la situation de l'emploi (Protestations sur les bancs du groupe communiste).

Il faut mettre un terme à la retraite guillotine et favoriser la cessation progressive d'activité.

L'instauration de fonds de pension est une nécessité. Le refus de la gauche de l'admettre est incompréhensible. Leur absence en France entraîne la prise de contrôle de nos meilleures entreprises par des capitaux étrangers qui peuvent du jour au lendemain décider de changer le lieu d'implantation des sièges sociaux et des centres de décision et de recherche. L'absence de fonds de pension asphyxie aussi nos entreprises en les privant de ressources. Elle condamne la place de Paris à n'être qu'un marché de seconde catégorie. Enfin, il est inadmissible d'empêcher le retraité français de bénéficier des réussites des entreprises françaises ou étrangères !

Au lieu de subir ou de récuser la mondialisation, nous devons l'apprivoiser et essayer d'en tirer le maximum d'avantages. Nous devons passer de la mondialisation subie à la mondialisation partagée. Il y a deux ans, les partis de gauche ont refusé les fonds de pension version Thomas ; aujourd'hui, la majorité refuse la version Douste-Blazy, peut-être pour mieux nous présenter son propre projet ; mais quand ? Dans un semestre, dans un an ou jamais ?

La retraite est un sujet trop sérieux pour donner lieu à des polémiques et pour être un terrain d'affrontements idéologiques. En refusant le débat aujourd'hui, la gauche prouve qu'elle n'a pas évolué.

M. Guy Hascoët - J'aurai l'occasion de dire à M. Douste-Blazy pourquoi je le remercie de son initiative parlementaire : je vais commencer par lui expliquer pourquoi nous voterons contre son texte. En quoi la constitution de fonds à côté des cotisations du système de répartition serait-elle une réponse à la crise démographique ? N'y aurait-il pas un autre objectif, qui n'est pas clairement énoncé...

Nous examinerons la question sans a priori idéologique. Ne rien décider c'est accepter le chaos social. Mais accepter les fonds de pension à l'américaine, c'est favoriser l'égoïsme occidental et le pillage des économies, en particulier des économies émergentes. Cruel dilemme !

D'abord, on ne tient pas suffisamment compte du fait qu'une partie de la population n'accédera pas à une retraite car, depuis dix ou quinze ans, elle vit dans une situation qui l'empêche de cotiser pour atteindre les 40 ans. Tout projet doit intégrer une retraite minimum pour les exclus, notamment les plus jeunes.

Ensuite, la philosophie du système par répartition est d'assurer la solidarité entre générations, et non de pérenniser le droit de ceux qui en ont acquis un sans se soucier des autres paramètres.

Dans ce contexte, nos objectifs pourraient être d'abord d'assurer les conditions de pérennisation de l'ensemble des systèmes de retraite, en réaffirmant notre attachement à la répartition. Au-delà, si l'on se croit capable de mobiliser des centaines de milliards pour construire un système, on pourrait en contrepartie faciliter la vie des actifs auxquels on va demander beaucoup en leur offrant un droit de tirage de quelques années de formation au cours de leur vie professionnelle. Ils assumeraient ainsi mieux les mutations, et l'ensemble des jeunes pourraient intégrer plus rapidement la vie professionnelle. Il y aurait une véritable solidarité entre retraités, actifs, jeunes et nous contribuerions aussi à construire ce nouveau contrat social que beaucoup espèrent, dans l'esprit des fondateurs des caisses de retraite.

Enfin, sur le plan financier où je suis néophyte, je ne comprends pas pourquoi les sommes considérables accumulées par la répartition ne pourraient pas, elles aussi, obtenir une valeur ajoutée. Et si les caisses de retraite sont obligées de rechercher des plus-values, il faut pouvoir orienter cette épargne vers des choix éthiques et peut-être en faire un levier de l'économie solidaire et du tiers secteur.

M. Yves Cochet - Très bien !

M. Christian Cuvilliez - Le choix politique que nous devons faire aujourd'hui constitue un enjeu de société et de civilisation : quel sort entendons-nous réserver aux personnes âgées et aux retraités du siècle prochain ?

Certains, comme les auteurs de la proposition, considèrent que le déficit démographique est une fatalité et échafaudent des projets néo-malthusiens conformes aux dogmes néo-libéraux, qui nous ramènent au siècle passé.

Mais s'agit-il de gérer la protection sociale selon les exigences du marché, au nom de la solidarité et de la cohésion sociale, de trouver des ressources nouvelles pour un système de protection sociale conforme aux exigences de soins et de santé ?

Tel est le choix de civilisation. Substituer un mode pervers de capitalisation au mode vertueux, même s'il est perfectible, de la répartition, c'est revenir aux pratiques déplorables et quelquefois spoliatrices d'avant l'instauration des assurances sociales de 1928, comme les pratiquent sans vergogne les places boursières anglo-saxonnes.

M. Bernard Accoyer - Toujours dans la nuance.

M. Christian Cuvilliez - C'est substituer une loterie à la garantie d'un salaire différé ou d'une épargne collégiale sans risque, substituer la logique parasitaire de l'actionnaire à celle de solidarité entre générations et de cohésion nationale.

Ce choix est inacceptable pour les communistes. Nous l'avons dit -assez haut et assez fort- pour être entendus quand, lors du débat sur le financement de la Sécurité sociale, nous avons fait de l'abrogation de la loi Thomas un des préalables de notre abstention, qui sans cela eût été opposition.

Le système de répartition est certes perfectible. Comment se satisfaire que dans un couple, l'homme perçoive une retraite moyenne de 8 600 F, et la femme de 3 600 F ? Que les retraités isolés touchent, réversion comprise, 6 300 F en moyenne ? Comment accepter que 20 % des personnes âgées vivent avec moins de 3 000 F par mois, et que les retraités soient assujettis à la CSG et à la CRDS ?

L'allongement de la durée de la vie -dans les pays développés- est fruit de progrès mais déséquilibre la pyramide des âges. La prise en charge du quatrième âge est de plus en plus lourde. Nul ici, j'espère, ne souhaite juguler cette tendance par une "euthanasie sociale" c'est-à-dire une réduction drastique des soins et des allocations. Cependant on voit à propos de la mise en oeuvre de la prestation spécifique dépendance qu'il ne manque pas d'esprits forts pour obtenir la réduction des budgets sociaux dans les départements. L'allocation autrefois servie selon des barèmes nationaux devient le jouet de majorités changeantes et dans la plupart des départements -gérés par la droite- l'établissement des droits donne lieu à toutes sortes de tracasseries.

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Quelle caricature !

M. Christian Cuvilliez - En revanche, le nombre de moins de 20 ans décroît, mais cela ne se traduit pas, heureusement, par une baisse des dépenses d'éducation et de santé. Le risque majeur est, pour demain, la diminution de la population active des 20-60 ans.

Il convient d'attendre les conclusions du commissaire au Plan fin mars, sur la question des retraites avant de prendre des décisions.

Mais toutes les études, et l'expérience montrent que pour répondre aux besoins des jeunes et des aînés, il faut que les actifs travaillent. Or beaucoup sont exclus et c'est le chômage endémique et la précarité de masse qui réduisent les recettes et creusent les déficits sociaux.

Il s'agit d'imaginer des nouvelles formes de financement plus favorables à l'emploi et aux salaires. Nous l'avions proposé lors du débat sur le financement de la Sécurité sociale.

La majorité en a compris la nécessité et a mis en oeuvre de grands chantiers destinés à résorber le chômage.

La loi sur les emplois-jeunes a constitué une bouffée d'oxygène pour les intéressés et a bien mieux contribué à leur insertion sociale que les SIVP, SMIC-jeunes et autres TUC. Le deuxième grand chantier est celui des 35 heures, qui devraient produire tous leurs effets dans quelque temps.

Le Gouvernement ne devra pas relâcher ses efforts pour autant, car ce qui sape les ressources des régimes par répartition, c'est la dégradation considérable de l'emploi et des salaires sur lesquels sont assises les cotisations. Les fonds de pension n'échapperaient pas à cet écueil, car ils ne favorisent pas l'égal accès de tous à la retraite : comment des personnes subvenant à peine à leurs besoins pourraient-elles épargner ? Le groupe communiste réfute en bloc les fonds de pension et leurs dérivés, comme il réfute les conclusions du rapport Charpin, telles que publiées dans la presse.

Le recours à la capitalisation accentuera la spéculation financière et la guerre économique. Bon nombre de chefs d'entreprise y voient surtout un moyen de stabiliser leur actionnariat tout en renforçant leurs fonds propres. Quant au recul de l'âge de la retraite, il est tout aussi inacceptable car il ne fera qu'augmenter le nombre des chômeurs de plus de 55 ans, alors que 60 % des salariés qui liquident leur retraite ne sont plus en activité. Enfin, la remise en cause des régimes spéciaux, fruit des luttes des salariés, serait inique.

Il n'y a pas de solution durable en dehors d'une politique de l'emploi plus offensive et d'une réforme des cotisations patronales. Il faut sortir du cercle vicieux dans lequel les entreprises, en comprimant leur masse salariale, contribuent de moins en moins au financement d'une protection sociale dont elles accroissent le coût. Il conviendrait en particulier de moduler les cotisations en pénalisant les entreprises qui remplacent l'homme par la machine et en favorisant celles qui créent des emplois stables et bien rémunérés. Surtout, élargir l'assiette aux revenus financiers serait la mesure la plus efficace pour renflouer la protection sociale et lutter contre la spéculation : l'application du taux auxquels sont assujettis les salaires, c'est-à-dire 14,6 %, rapporterait plus de 50 milliards. Participent de la même logique notre proposition de moratoire sur les licenciements et celle, adoptée en décembre, de taxer l'employeur licenciant un salarié de plus de 50 ans. Enfin, accorder le droit à la retraite à partir de 37 annuités et demie de cotisations (Exclamations sur les bancs du groupe UDF) aurait le double mérite de stimuler l'emploi et d'offrir un repos mérité aux salariés assujettis à des tâches pénibles.

Les propositions du groupe communiste sont une alternative sérieuse à la proposition de loi de la droite, contre laquelle nous voterons.

Mme Muguette Jacquaint - Très bien !

M. Henri Plagnol - Toute réflexion sur l'épargne retraite par capitalisation et sur les fonds de pension doit se situer dans le contexte européen, et la proposition de loi de Philippe Douste-Blazy, excellemment amendée par Jacques Barrot, est une contribution importante à l'édification de l'Europe économique et sociale. Les fonds de pension sont en effet une nécessité pour l'Europe économique et une chance pour l'Europe sociale.

Chaque fois, Monsieur le ministre, que vous poussez à la constitution, dans le secteur de la banque et des assurances comme dans ceux des transports ou de la défense, de grands groupes européens, vous pouvez mesurer à quel point le manque de capitaux propres de nos entreprises nous est préjudiciable. Cette seule raison suffirait à faire des fonds de pension une nécessité absolue. Nous ne pouvons rester les derniers en Europe à nous priver de cette arme essentielle, d'autant que le lancement de l'euro est un formidable accélérateur des transferts de capitaux et des fusions-acquisitions. Pouvons-nous imaginer que les salariés français d'un grand groupe européen soient les seuls à ne pouvoir participer au capital de leur groupe ?

Par ailleurs, tous les pays européens sont confrontés aux mêmes problèmes démographiques et au chômage. Ils ont la chance de jouir d'un modèle social original, très éloigné du modèle américain, et c'est pourquoi ils souhaitent non seulement consolider leurs régimes par répartition, mais encore les enrichir d'un étage supplémentaire, accessible à tous les salariés.

Notre proposition de loi ouvre la voie à un modèle authentiquement européen, apte à faire face à la mondialisation dans de bonnes conditions. Il ouvre également un vaste de champ de négociation aux partenaires sociaux, au niveau des branches comme à celui des entreprises. Qui plus est, la gestion paritaire des fonds de pension garantira aux salariés que l'emploi et le long terme seront au coeur des stratégies suivies, comme c'est le cas, aux Etats-Unis, pour les fonds gérés par les partenaires sociaux.

M. Yves Cochet - Et la spéculation ?

M. Henri Plagnol - La majorité, qui plaide en faveur d'un droit européen du travail pour équilibrer l'Europe marchande, a une extraordinaire occasion de relancer la négociation sociale à l'échelon européen et de compléter la législation européenne du travail. Nous avons déjà obtenu la création de comités d'entreprise européens ; nous souhaitons maintenant que se constituent des comités paritaires européens, qui apportent au problème des retraites une solution originale et contribuent à édifier cette Europe sociale que nous appelons de nos voeux (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

La discussion générale est close.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - J'ai trouvé, comme chacun ici sans doute, ce débat intéressant.

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Merci !

M. le Ministre - Le texte issu des réflexions de M. Douste-Blazy, qui a récemment consacré un ouvrage au problème des retraites, aura permis à chacune des forces politiques de définir sa position sur le fond de cette question importante. Je rends hommage au rapporteur et à la plupart des orateurs, qui ont défendu leurs idées avec ardeur sans tenir de propos excessifs. Je résisterai, quant à moi, à la tentation d'ironiser sur l'opposition, qui présente un second texte deux ans seulement après la loi Thomas : est-ce à dire que celle-ci ne lui donne pas toute satisfaction ?  Je me garderai également de pointer les différences entre la proposition déposée et celle dont nous discutons, ou encore les divisions apparues en commission au sein de l'opposition : cela n'aurait pas grand intérêt.

Le cadre historique dans lequel se situe notre débat remonte au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Notre pays a choisi la répartition. C'était un choix juste dans son principe, puisque notre système repose sur la solidarité, juste dans ses modalités, puisqu'il a permis d'associer les partenaires sociaux à la gestion des retraites, et juste au vu des résultats, dans la mesure où, en moyenne et même s'il existe d'importantes inégalités, le revenu des retraités est égal, voire supérieur, à celui des actifs.

La loi Thomas menaçait le système par répartition, car elle enlevait des ressources au régime général, excluait les partenaires sociaux du débat et favorisait surtout les plus hauts revenus. Elle était en outre si difficile à mettre en oeuvre que le précédent gouvernement n'est pas parvenu à prendre les décrets d'application. Il est vrai qu'elle n'en a guère eu le temps... Au cours du débat sur la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999, Mme Aubry et moi-même avons pris l'engagement d'abroger la loi Thomas, ce qui sera fait courant 1999.

Pourquoi repoussons-nous aussi la proposition du groupe UDF ? Parce qu'elle vient de l'opposition ? Ce n'est pas notre genre (Murmures et sourires sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Nous pourrions avoir d'autres mauvaises raisons de le faire : voir par exemple dans le dépôt de ce texte une manoeuvre de l'UDF, qui sait que le Gouvernement travaille sur cette question et qui tenterait de le doubler sur la corde... Ce serait un argument bien mesquin (Sourires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Les divergences entre l'UDF et Démocratie Libérale ne justifient pas plus notre refus de cette proposition.

Mais se pose d'abord un problème de calendrier. Notre priorité doit être de consolider la répartition. En outre, une différence de méthode oppose la majorité et l'opposition : la concertation n'est pas terminée, et pour nous la concertation n'est jamais du temps perdu, mais du temps gagné. Depuis vingt mois, dans de nombreux domaines, le Gouvernement a pu de la sorte avancer là où nos prédécesseurs achoppaient. Je pense au GAN, au CIC...

M. Jean-Luc Préel - Aux médecins !

M. le Ministre - La concertation doit être menée à son terme pour que nous aboutissions à un texte qui soit accepté par les Français.

Par ailleurs, tout comme la loi Thomas, votre proposition menace la répartition en prévoyant des exonérations de cotisations sociales. "La question des exonérations est difficile à trancher", admet dans son livre M. Douste-Blazy, qui ajoute : "La capitalisation ne doit pas vampiriser la répartition".

Votre texte porte aussi atteinte aux droits collectifs des salariés, puisque l'employeur pourrait, à l'issue d'une concertation alibi, imposer unilatéralement un dispositif de prévoyance. S'il est vrai que les salariés souhaitent la création de tels systèmes, il faut les laisser négocier.

Enfin, votre proposition est incomplète. Ainsi, vous n'avez prévu aucune possibilité de sortie anticipée en cas d'accident de la vie. Vous me répondrez que le travail législatif sert à amender les textes...

M. le Rapporteur - Absolument.

M. le Ministre - Il reste que votre proposition a été rédigée trop rapidement.

Nous voulons quant à nous consolider la répartition par la création de "fonds d'épargne salariaux", ainsi que les a nommés M. le Premier ministre.

Le problème, ancien, n'est pas exclusivement démographique. M. Accoyer nous a fait sourire tout à l'heure, en affirmant qu'une simple addition permettait de déterminer la date critique.

M. Pascal Terrasse - C'est un peu simpliste !

M. le Ministre - En effet. Si les choses étaient si simples, ce calcul aurait été fait dès les années 60. Depuis le début de la Vème République, la droite a été au pouvoir pendant 28 ans et la gauche, pendant 12 ans. Vous portez donc les deux tiers de la responsabilité... (Sourires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

Mais en réalité, le problème est aussi économique. Dans les années 50 et 60, la croissance économique a compensé le handicap démographique.

Ceux qui voient dans la capitalisation une solution miracle se trompent. Comme l'a dit M. Cahuzac, il est impossible de substituer un système à l'autre. En outre, si elle était possible, une substitution même partielle ne suffirait pas à résoudre le problème des retraites, qui tient essentiellement au nombre de salariés, à la productivité du travail et au nombre des consommateurs. Qu'il achète des droits dans un système conventionnel ou qu'il souscrive des obligations, un salarié qui épargne renonce du même coup à une part de sa consommation. Il y a une certaine imposture intellectuelle à prétendre que la capitalisation à elle seule sauvera les retraites, sauf à aborder le problème, beaucoup plus complexe, de l'accumulation du capital.

Faut-il faire monter le taux d'épargne au risque de porter atteinte à la croissance ? Ce serait faire la politique de Gribouille. C'est ainsi que le précédent gouvernement, pour résoudre un problème de financement, a réduit la consommation en augmentant la TVA, ce qui a tué la croissance.

Ne cherchons pas l'équilibre vers le bas, mais vers le haut, et pour cela confortons la croissance.

Pour sauver la répartition, nous avons institué un fonds de réserve.

M. Bernard Accoyer - C'est une imposture !

M. le Ministre - A votre place, Monsieur le député, je serais plus prudent, car vos propos figureront au Journal officiel et un jour, on vous les ressortira.

Certes, deux milliards ne suffisent pas, et de loin, c'est pour amorcer le processus. Au cours des années à venir, ce sont plusieurs dizaines de milliards qui seront versés à ce fonds. Ce ne sera encore qu'un élément de solution du problème, mais si on avait mis en place ce fonds plus tôt, si par exemple les recettes de privatisation des années 1986 à 1988 ou de 1993 à 1997 y avaient été affectées, il serait doté aujourd'hui des dizaines de milliards nécessaires (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Il faut rendre hommage à la majorité d'avoir décidé cette création et faisons en sorte que nous nous dotions dans les prochaines années, par différents canaux, de sommes qui constitueront un élément de réponse au problème.

Néanmoins il faut offrir aux salariés qui peuvent et souhaitent épargner pour leur retraite un instrument adapté. Une vraie concertation a été engagée. Didier Migaud et Jérôme Cahuzac ont publié des rapports très intéressants ; le commissaire au Plan, Jean-Michel Charpin, est en train d'achever ses travaux sur ce sujet et un texte d'ensemble vous sera présenté en 1999. Cette épargne retraite aura pour caractéristiques d'avoir un caractère collectif, de se fonder sur des accords des partenaires sociaux, d'être accessible à tous les salariés, d'être plus solidaire et centrée sur la protection des adhérents, enfin, d'être plus innovante en tenant compte des réflexions sur l'épargne-temps et en offrant la possibilité d'une utilisation anticipée.

En conclusion, la loi Thomas n'était pas bonne et la preuve, c'est que vous en proposez une autre.

Ni la loi Thomas ni votre proposition ne règlent le problème des retraites par répartition.

Un texte sur l'épargne retraite est néanmoins utile : le Gouvernement est en train de l'élaborer et je ne doute pas qu'il aura votre soutien (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - La commission des finances, n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du Règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.

Si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

Le passage à la discussion des articles de la proposition de loi, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - La proposition de loi n'est donc pas adoptée.


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ASSURANCE VEUVAGE

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. François Rochebloine et plusieurs de ses collègues relative à l'assurance veuvage.

M. François Rochebloine, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - L'assurance veuvage a été instituée par la loi du 17 juillet 1980 pour aider le conjoint survivant en attendant qu'il puisse se réinsérer dans la vie active.

En effet, si le décès précoce d'un conjoint constitue d'abord un drame intime, il peut également déboucher sur un drame social, car il entraîne souvent une réduction importante des ressources de l'époux survivant, particulièrement quand il s'agit d'une femme chargée de famille et n'ayant pas d'activité professionnelle.

Le veuvage constitue un risque social, mais son traitement contraste fortement avec le développement des garanties offertes aux assurés sociaux contre les autres risques.

Depuis 1980, le dispositif n'a que très peu évolué et n'atteint pas ses objectifs, à savoir assurer une protection contre les aléas du veuvage aussi complète que celle afférente aux autres risques.

Si la situation des veuves ayant atteint l'âge leur permettant de prétendre à une pension de réversion est relativement satisfaisante, il n'en va pas de même pour les autres.

L'allocation servie se caractérise par des conditions d'attribution restrictives, une durée de versement très limitée et un montant modeste.

La loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 a certes prévu d'affecter 18 millions de plus au régime de l'assurance veuvage mais il est regrettable que cette mesure s'accompagne de plusieurs régressions par rapport au droit existant.

Pourtant, les dépenses d'allocation de veuvage absorbent moins du quart du produit de la cotisation correspondante, le reste servant à limiter le déficit de l'assurance vieillesse. C'est pourquoi la présente proposition de loi prévoit d'affecter la totalité de ces excédents à la couverture sociale du risque veuvage, afin d'améliorer les conditions d'attribution et de calcul de l'allocation veuvage, beaucoup trop restrictive comme le soulignent à juste titre les associations de veuves, en particulier la FAVEC.

Le plafond de ressources est fixé à un niveau très bas, puisque le cumul de la prestation et des ressources personnelles de l'intéressé ne doit pas dépasser 11 790 F par trimestre, soit 3 930 F par mois.

Jusqu'au 1er mars 1999, le montant de l'allocation est fixé à 3 144 F par mois la première année, 2 065 F par mois la deuxième année et 1 573 F par mois la troisième année. Ainsi l'allocation de veuvage devient inférieure au revenu minimum d'insertion pour une personne seule -soit 2 502 F par mois- dès la deuxième année. Le fait qu'une prestation d'assurance soit inférieure à une prestation de solidarité dont le montant correspond en principe au minimum vital illustre l'état de déshérence dans lequel a été laissée l'assurance veuvage.

L'absence de modulation du montant de l'allocation veuvage en fonction du nombre d'enfants à charge constitue également une anomalie injustifiable. Ainsi le RMI servi à une mère isolée ayant deux enfants atteint 4 504 F par mois, alors qu'une bénéficiaire de l'assurance veuvage se trouvant dans la même situation ne percevra que 3 144 F par mois.

L'article 38 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 apporte trois modifications à ce régime.

D'une part, le bénéfice de l'allocation est subordonné à une condition de durée d'affiliation du conjoint décédé. D'autre part, l'allocation perd son caractère dégressif. Enfin, en contrepartie de l'unification de son taux, la durée normale de service de l'allocation est réduite de trois à deux ans.

Selon le Gouvernement, la première mesure qui figurait déjà dans un texte réglementaire, correspondait à la volonté du législateur lors de la création de l'allocation veuvage. Mais le Conseil d'Etat n'a décelé aucune trace de cette volonté supposée et a jugé illégale la condition précitée.

L'unification du taux de l'allocation veuvage sur celui de la première année est, en revanche, une mesure très positive qui était demandée de longue date par les associations de veuves civiles. Il est cependant regrettable qu'elle ait été partiellement gagée par la suppression de la troisième année de l'allocation pour les veuves ou veufs âgés de moins de cinquante ans.

Le Gouvernement a fait valoir que le troisième taux de l'allocation était inférieur au montant du RMI et que les intéressés étaient déjà amenés à demander le bénéfice de cette dernière prestation.

Pourtant ces deux prestations ne sont pas équivalentes aux yeux des personnes concernées. En termes de dignité personnelle, la perception d'une allocation d'assurance du chef d'un conjoint décédé a une autre signification que celle d'un revenu d'assistance soumis aux règles de l'aide sociale, notamment à une contrepartie d'insertion et à la mise en oeuvre de l'obligation alimentaire pesant sur les parents des bénéficiaires.

Cette différence est d'autant plus douloureusement ressentie que les personnes concernées n'ignorent pas que les cotisations versées par leurs conjoints au titre de l'assurance veuvage permettraient d'améliorer très sensiblement les prestations. C'est cet état de fait qui justifie la gestion séparée du risque veuvage prévue par la proposition de loi.

En moyenne, les dépenses annuelles de l'assurance veuvage ont représenté moins du quart de ses recettes -23 % sur la période 1990-1997- et l'excédent est actuellement de l'ordre de 1,6 milliard.

Or l'article L. 251-6 du code de la Sécurité sociale dispose que "les excédents du fonds national d'assurance veuvage sont affectés en priorité à la couverture sociale du risque de veuvage".

Cet alinéa a été introduit en 1987, suite à un amendement du gouvernement reprenant l'amendement d'un député.

Philippe Séguin, alors ministre des affaires sociales, avait reconnu que les excédents croissants de l'assurance veuvage tenaient "au caractère sans doute trop rigoureux des dispositions adoptées en 1980", et qu'une réflexion urgente s'imposait dans les mesures à prendre "pour remédier à certaines situations particulièrement difficiles que connaissent les veuves".

On peut donc s'interroger sur la pratique consistant à transférer à l'assurance vieillesse la totalité des excédents, à droit constant, du fonds national d'assurance veuvage, et à consacrer à l'allocation veuvage moins du quart du produit de la cotisation d'assurance veuvage. Les gouvernements successifs ayant été incapables de respecter une règle indicative d'affectation prioritaire, cette proposition de loi tend à garantir l'affectation intégrale des excédents à la couverture du risque veuvage. Cette modification, qui aurait pour effet d'imposer un gestion financière séparée de l'assurance veuvage et de l'assurance vieillesse n'entraînerait pas pour autant la création d'une "branche" veuvage au sens de la loi de 1994.

Les ressources susceptibles d'être affectées à la protection contre le risque veuvage seraient ainsi substantiellement accrues. Tout en respectant les limites imposées aux initiatives financières des parlementaires, je voudrais indiquer les améliorations souhaitables.

Tout d'abord, afin de réduire les disparités entre les veuves selon leur âge au moment du décès de leur conjoint, il convient de rétablir la troisième année de service de l'allocation pour les veuves ayant droit à l'assurance veuvage avant leur cinquantième anniversaire. Il serait même souhaitable de prévoir une durée unique de service de l'allocation, fixée à cinq ans, avant le cinquante-cinquième anniversaire.

Ensuite, il faudrait moduler l'allocation en fonction du nombre d'enfants encore à charge, comme pour le RMI.

En troisième lieu, il serait nécessaire de relever le plafond de ressources, actuellement fixé à 3 930 F par mois : le montant maximum de l'allocation s'élevant à 3 144 F par mois, l'allocation effectivement servie est aujourd'hui réduite dès lors que les ressources personnelles de l'intéressé dépassent 786 F par mois.

Enfin, on pourrait utiliser les excédents non seulement pour améliorer l'allocation veuvage, mais aussi pour apporter d'autres améliorations à la couverture du risque veuvage, par exemple en relevant progressivement le taux des pensions de réversion de 54 % à 60 %.

L'adoption de cette proposition de loi, conforme à l'esprit du dispositif créé en 1980 rendrait l'assurance veuvage à la fois socialement plus efficace et financièrement plus transparente. Une telle réforme devrait faire l'objet d'un véritable consensus, car il en va de la situation de plusieurs milliers de personnes, que le législateur a trop longtemps oubliées (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Jean-Luc Préel - Notre pays compte aujourd'hui plus de trois millions de veufs et de veuves. Le veuvage est un état dramatique psychologiquement et, souvent, difficile financièrement. Le législateur l'a enfin reconnu comme un risque social par la loi du 17 juillet 1980, instituant l'assurance veuvage, financée par une cotisation de 0,1 % sur tous les salaires.

Le but était de procurer au conjoint survivant une aide financière temporaire pour franchir le cap le plus difficile. Mais les conditions de ressources sont aujourd'hui beaucoup trop restrictives ; en outre, la réinsertion des bénéficiaires qui sont essentiellement des femmes au foyer de moins de 55 ans est quasi impossible.

L'excédent cumulé du fonds depuis 1981 avoisine 25 milliards. En application de la loi du 25 juillet 1994, qui a regroupé l'assurance veuvage et l'assurance vieillesse au sein d'une branche unique, cet excédent est affecté à l'assurance vieillesse ; l'affectation exclusive à la couverture sociale du risque veuvage me paraît indispensable.

Pour l'assurance vieillesse, les diminutions de recettes seront intégralement compensées par une taxe additionnelle sur le tabac. Celle-ci devrait réduire la consommation de tabac, comme le souhaite le ministère, et même, par voie de conséquence, réduire le nombre des veuves et des veufs...

Quant à l'argument selon lequel rien n'avait été fait depuis plusieurs années, il est stupide ! Quand il y a un problème, il faut essayer de le résoudre, sauf à dissoudre l'Assemblée nationale...

Les excédents du fonds doivent servir à relever le plafond de ressources, à augmenter le montant de l'allocation et à tenir compte du nombre d'enfants à charge.

Dans la loi de financement de la Sécurité sociale, non seulement le Gouvernement n'a pas amélioré la situation des veuves, mais il les a pénalisées doublement. En effet, il a présenté un amendement limitant à deux ans l'allocation veuvage et refusé deux amendements que j'avais déposés, au nom de l'UDF, destinés à prendre en compte la jurisprudence de la Cour de cassation concernant la majoration pour enfants et les polypensionnés.

Il a annoncé son intention de présenter une réforme d'ensemble des règles de cumul pour les polypensionnés dans un projet de loi portant diverses mesures d'ordre social, mais ses modalités ne sont pas encore connues...

Il est urgent de légiférer. Très attaché à la loi et à la défense des droits des conjoints survivants, je me félicite d'une proposition qui vise à affecter la totalité des excédents du fonds national d'assurance veuvage à la couverture de ce risque.

L'UDF votera cette excellente proposition de loi, mesure de pure justice sociale qui, je n'en doute pas, devrait recevoir l'assentiment de tous (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Muguette Jacquaint - Sur ce sujet, en effet, l'accord devrait être général, au-delà des clivages politiques. La France est, après le Canada, le pays où le nombre de veuves est le plus important : près de 3 millions, dont 16 000 allocataires de l'assurance veuvage. Créée en 1980, étendue en 1991 aux régimes agricoles, celle-ci visait à "garantir aux conjoints survivants sans ressources, moyennant une charge supplémentaire minime, car répartie sur l'ensemble des actifs, une rente de survie". Ce souci est toujours d'actualité : les veuves qui n'ont que peu ou pas du tout exercé d'activités professionnelles sont menacées par la précarité et l'exclusion.

Cette allocation ayant très peu évolué, il nous faut aujourd'hui la réformer. Financé par une cotisation de 0,1 % sur les salaires, le Fonds national d'assurance veuvage est excédentaire depuis sa création. Entre 1990 et 1997, les dépenses n'ont représenté que 23 % des recettes et le total des excédents cumulés s'élève à 12,4 milliards de francs. Du fait de la création en 1994 d'une branche unique vieillesse-veuvage, ces excédents sont utilisés pour combler les déficits de la branche vieillesse. Cette branche unique devant être réformée, la présente proposition de loi vise à ce que les excédents du Fonds national soient effectivement alloués à ce à quoi ils sont destinés.

On ne peut qu'approuver ce souci. C'est cependant loin d'être suffisant pour satisfaire aux attentes des allocataires. Il faudrait également modifier les critères d'attribution qui imposent actuellement de résider en France, d'être âgé de moins de 55 ans, d'avoir assumé ou d'assumer la charge d'un enfant, de ne pas être remarié ni vivre maritalement, de ne pas percevoir plus de 3 930 F par mois.

Le critère parental, en particulier, est sévère. Que fait-on pour ceux ou celles qui n'ont pu avoir d'enfants ? De même ceux qui en ont eu plusieurs devraient bénéficier d'une allocation majorée. Le plafond de ressources -3 930 F par mois- mériterait aussi d'être révisé. Il prive d'allocation une veuve employée à temps partiel, ce qui ne fait que l'enfoncer davantage dans la précarité.

A ces difficultés, le Gouvernement a apporté quelques réponses. Lors du débat sur la loi de lutte contre les exclusions, nous avions appelé l'attention sur les difficultés des veuves à accéder à l'emploi. Le Gouvernement a donc institué un dispositif qui permettra de cumuler pendant un an allocation veuvage et revenu professionnel, à hauteur de 100 % pendant les trois premiers mois, de 50 % les six mois suivants, de 25 % les trois derniers mois.

Dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, il a par ailleurs été décidé que l'allocation sera versée pendant deux ans au taux le plus intéressant, soit 3 144 F. Le gain sera de plus de 1 000 F par mois pour la deuxième année de perception et, pour les veufs et veuves âgés de 50 à 55 ans lors du décès de leur conjoint, il sera de 1 500 F mensuels à compter de la troisième année.

Toutes ces améliorations ne peuvent se concrétiser sans votre intervention, Monsieur le secrétaire d'Etat qui, seul, échappez à l'arbitraire de l'article 40. Si la voie réglementaire n'est pas possible, un DMOS ou le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale pourra en être le support législatif.

Mais se posera le problème du financement. Pour répondre aux besoins, pour apporter davantage de justice sociale et rompre avec les politiques d'austérité de nos prédécesseurs -objectifs de la gauche plurielle et de son gouvernement- il faudra dégager des moyens supplémentaires. Une réforme des cotisations patronales est urgente. Elle pourrait prendre la forme d'une cotisation modulée en fonction de la politique de l'emploi et des salaires de l'entreprise. On pourrait en élargir l'assiette aux produits financiers. Si l'on fait jouer la solidarité nationale jusqu'au bout, on ne pourra plus tirer prétexte d'un possible déséquilibre de la branche vieillesse pour s'opposer à cette proposition de loi.

Ce texte, certes, ne règle pas tout ; les critères d'attribution, en particulier, ne sont pas révisés et la situation des veuves et veufs appelle une réflexion plus globale. La paternité de cette proposition de loi peut surprendre : les mêmes qui, hier, prescrivaient une protection sociale privée, qui ont soutenu le plan Juppé et les restrictions budgétaires qui l'accompagnent, les mêmes s'inquiètent aujourd'hui du sort des veuves et des veufs.

S'agissant des niches parlementaires, les députés communistes ont toujours été objectifs : ce qui leur importe avant tout, ce sont les conditions d'existence des Français. Aussi, dans l'attente de voir se concrétiser toutes les réformes souhaitables dans l'intérêt des veuves et des veufs, les députés communistes voteront cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Bernard Perrut - Cette proposition de loi aurait pu faire l'objet d'un consensus, elle aurait pu être le premier texte social de 1999. Mais le ministre et le président de la commission ne le souhaitent pas et la majorité plurielle, je le regrette, refuse tout débat.

M. Christian Cuvilliez - Vous n'avez pas écouté ce qui vient d'être dit !

M. Bernard Perrut - Le veuvage, au même titre que la maladie, l'invalidité ou la vieillesse est un "risque social". Les trois millions de veuves posent un vrai problème de société. Si celles qui sont âgées de plus de 55 ans perçoivent une pension de réversion, ce n'est pas le cas des plus jeunes. Songeons à ces femmes de 30 à 45 ans, rencontrées dans nos permanences, chargées d'un ou plusieurs enfants et pour lesquelles l'activité professionnelle est inaccessible. Baudelaire avait brossé le tableau d'une de ces malheureuses dans le Spleen de Paris : "Sans mari, tu es exclue, sans argent, tu n'es rien".

La veuve reste seule pour affronter le vide laissé par le mari, et par le père ; d'autant que la disparition des traditions familiales ne fait que l'isoler davantage.

Les veuves et leurs associations ne demandent pas l'assistance mais leur juste part de solidarité nationale. Vous ne voulez pas les entendre, et c'est regrettable.

On s'est d'abord préoccupé des veufs et veuves les plus âgés. Puis la loi de 1980 instaura l'allocation veuvage. Mais les conditions d'affiliation et de ressources sont trop rigoureuses. Il faut les revoir. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 n'introduit pas de véritable amélioration. L'allocation veuvage sera désormais unique, limitée à 3 144 francs par mois et au bout de deux ans elle laissera place au RMI. Les veuves et veufs n'apprécient pas qu'une aide sociale se substitue à une prestation sociale. En outre, vous avez repoussé la majoration pour enfant et modifié le plafond du cumul entre ressources propres et pension de réversion, malgré notre opposition.

L'effort financier en faveur des veuves et veufs est de 544 millions en 1998 alors que le produit de la cotisation veuvage est de 1,6 milliard. L'affectation prioritaire définie en 1997 par l'article L. 251-6 du code de sécurité sociale n'est pas respectée puisque les sommes non utilisées sont transférées à l'assurance vieillesse.

Affecter l'ensemble du produit à l'allocation veuvage, comme le prévoit la proposition, permettrait de moduler cette allocation en fonction des enfants à charge, d'assouplir les conditions de cumul et de porter par étape à 60 % la pension de réversion pour les plus âgés. Mais apparemment, vous privilégiez le PACS (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) plutôt que de légiférer en faveur des conjoints survivants.

M. Pascal Terrasse - Démagogue !

M. Bernard Perrut - Au-delà de cette proposition, je vous demande des engagements clairs de faciliter l'insertion professionnelle des veuves. Leurs situations sont diverses, mais elles ont un courage forgé dans la détresse. Le veuvage, rupture dans la vie professionnelle, ne doit pas être une coupure dans la vie sociale. La cause des veuves et des veufs est pour le groupe DL une grande cause nationale et il soutient cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme Marie-Françoise Clergeau - J'agis depuis de nombreuses années en faveur des conjoints survivants, et j'interviens avec d'autant plus de détermination que ce vaste chantier recouvre de multiples champs et nécessite une coordination. Or cette proposition traduit une vision restrictive et cloisonnée des politiques publiques et reste peu précise sur l'utilisation des excédents.

Il faut au contraire assurer la complémentarité des différents outils pour renforcer la solidarité envers les plus modestes.

La majorité a déjà pris des décisions.

L'allocation veuvage sera versée pendant deux ans au taux le plus intéressant au lieu d'un an, avec éventuellement trois ans supplémentaires, ce qui peut représenter jusqu'à 66 000 F de plus avec possibilité de recevoir les prestations familiales. Des mesures d'incitation à la reprise d'un emploi permettront le cumul pendant un an de l'allocation avec les revenus tirés d'une activité. Le taux de la pension de réversion a été revalorisé de 2 %, ce qui concerne plus de 600 000 conjoints survivants.

Ce sont là les premiers éléments d'une réflexion plus vaste menée actuellement, en concertation avec les associations représentatives. Une dynamique est née. Il convient donc de refuser des choix dont les conséquences budgétaires la compromettraient.

M. le Rapporteur - Faux ! Les mesures sont gagées.

Mme Marie-Françoise Clergeau - Dans ce processus en cours, je souhaite souligner quatre points : l'effort pour l'emploi, l'adaptation fiscale, la situation de "polypensionnés"...

M. Pascal Terrasse - Absolument !

Mme Marie-Françoise Clergeau - ...et les droits successoraux. La possibilité du cumul de l'allocation avec des revenus d'une activité est un premier pas qu'il conviendra de prolonger. Par exemple, les conjoints survivants qui bénéficient à 55 ans de la pension de réversion ne peuvent prétendre aux emplois d'aide à domicile dans le cadre de la PSD alors que leur expérience et leur disponibilité sont grandes. Il conviendrait de remédier à cette situation.

M. le Rapporteur - Ça n'a rien à voir avec la proposition.

Mme Marie-Françoise Clergeau - Il faut intégrer davantage les femmes isolées dans les dispositifs d'insertion professionnelle. Sur le plan fiscal, pour ne citer qu'un point, les réductions d'impôts accordées à un conjoint survivant au titre de gros travaux et de travaux d'entretien de la résidence principale sont réduites de moitié.

M. le Rapporteur - Hors sujet !

Mme Marie-Françoise Clergeau - J'ai donc proposé un amendement à la loi de finances pour 1999 visant à remplacer le terme de célibataire ou couple marié par celui de foyer fiscal.

Il faut aussi trouver une solution pour les polypensionnés défavorisés par la règle du cumul.

M. Bernard Accoyer - Très bien !

M. Alfred Recours - C'est vital.

M. Jean-Luc Préel - Vous l'avez refusé en loi de finances ! Il fallait voter mon amendement.

Mme Marie-Françoise Clergeau - Enfin, contrairement aux règles successorales en vigueur dans la plupart des pays européens, en France le conjoint survivant n'est pas l'héritier exclusif de l'époux décédé. Seule une minorité de couples effectuent une donation au dernier survivant. Il faut donc modifier le code civil.

Autant de questions qu'on éluderait en suivant une démarche trop hâtive et mal adaptée à la diversité des situations. Le groupe socialiste se prononce donc pour le rejet de la proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bernard Accoyer - Au-delà de nos différences, la cause des conjoints survivants est de celle qui peut nous rassembler. L'injustice envers ceux et celles qui ont connu le veuvage était inacceptable. Aussi le Parlement instaura-t-il en 1980 l'assurance veuvage. Depuis, la question n'a guère suscité d'intérêt. Nous espérons que vous nous montrerez plus ouvert que le ministre des finances ne l'a été sur la question urgente des retraites.

L'allocation veuvage doit être mieux prise en compte par notre système de protection sociale -le sort des conjoints survivants ne se confond pas avec celui des déshérités...

Dès lors que notre système social couvre le risque de maladie, il n'est pas normal qu'il y ait rupture du principe de solidarité le jour où le malade décède.

Or la condition de ressources à laquelle est soumise l'allocation veuvage est draconienne : le plafond des ressources totales est fixé à 3 930 F par mois, soit un niveau voisin de celui des minima sociaux, et la récente revalorisation s'est faite sans tenir compte des enfants à charge. Elle ne change rien, en outre, au fait qu'un quart seulement des recettes de la cotisation d'assurance veuvage est affecté à la couverture de l'allocation veuvage, et que le milliard et demi restant est détourné pour renflouer l'assurance vieillesse. Ce n'est pas parce que celle-ci est mal en point du fait de l'incurie des gouvernements de gauche (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) que les veuves et les veufs doivent continuer d'être privés de leur dû.

Il serait difficilement compréhensible que le Gouvernement et la majorité ne saisissent pas l'occasion qui leur est offerte d'adresser un signal clair aux veuves et aux veufs, si malmenés récemment sur le plan fiscal, en affectant à la couverture du risque veuvage la totalité des excédents du Fonds national d'assurance veuvage, ainsi que le souhaitait Philippe séguin en 1987 (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Le groupe RPR apporte son soutien à cette proposition de loi, et ne doute pas que la majorité et le Gouvernement feront de même (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Gérard Terrier - On ne peut soupçonner le Gouvernement et la majorité d'être indifférents aux problèmes des veuves et des veufs : j'en veux pour preuves l'article 38 de la loi de financement de la Sécurité sociale et l'article 9 de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions. A compter du 1er mars prochain, l'allocation veuvage sera versée au taux maximum, c'est-à-dire 3 144 F, pendant deux ans au lieu d'un, soit 1 079 F de plus la deuxième année, et cet avantage pourra même être maintenu pendant trois ans aux veuves et aux veufs entre 50 et 55 ans. En outre, cette allocation peut désormais être cumulée, dans les mêmes conditions que le RMI, l'API ou l'ASS, avec un revenu d'activité. Enfin, le plancher de la pension de réversion, qui concerne 600 000 personnes, a été revalorisé de 2 %.

Certes, il reste des attentes non satisfaites, mais la situation des polypensionnés devrait être traitée dans le prochain DMOS.

M. Pascal Terrasse - Ce serait justice !

M. Gérard Terrier - Pourquoi voterons-nous contre cette proposition de loi ? Tout d'abord, parce que rien n'y est dit de l'utilisation qui sera faite des excédents. Ensuite, parce qu'elle revient sur le choix, fait en 1994 par l'ancienne majorité elle-même, de ne pas créer une branche veuvage, et donc sur la nécessaire solidarité entre les branches. Enfin, parce que son adoption aurait pour effet de dégrader d'un milliard et demi le solde de la branche vieillesse, seule à rester déficitaire en dépit des mesures de rééquilibrage déjà prises.

L'opposition démontre, une fois de plus, son inconséquence : juste après avoir examiné une proposition de M. Douste-Blazy se donnant pour objectif de sauver les retraites, nous en examinons une autre qui contribue à les menacer davantage ! ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste)

La majorité soutiendra toute mesure améliorant la condition des veuves et des veufs et enrichira sa réflexion des conclusions que remettra le commissaire général du Plan. Elle devra également y intégrer le cas des couples vivant en concubinage, sujet que nul n'aborde, mais dont les statistiques attestent l'importance. C'est parce que nous voulons répondre efficacement, et non pas de façon démagogique, aux légitimes préoccupations des veuves et des veufs que nous rejetons cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé - Comme vous le savez, l'assurance veuvage permet aux veuves et aux veufs de bénéficier, sous condition de ressources, d'une allocation mensuelle au cours des deux ou trois ans qui suivent le décès de leur conjoint, afin de faire face à ses conséquences immédiates. Son financement est assuré par une cotisation de 0,10 %, acquittée par les salariés en plus de leur cotisation d'assurance vieillesse. Cette cotisation rapporte un peu plus de 2 milliards par an, alors que le montant total des allocations versées n'est que de 500 millions environ. Il y a donc un excédent théorique d'un milliard et demi. La proposition qui vous est soumise consiste à l'affecter en totalité à l'assurance veuvage.

Avant de répondre sur le fond, je voudrais rappeler que c'est un DMOS de 1987 qui a modifié l'article L. 251-6 du code de la sécurité sociale pour y ajouter les mots "en priorité".

M. Pascal Terrasse - Qui était ministre des affaires sociales à l'époque ?

M. le Secrétaire d'Etat - En même temps, le Parlement invitait cependant le Gouvernement à mener "une réflexion urgente sur les mesures qui s'imposent... pour remédier à certaines situations difficiles que connaissent les veuves".

Vous nous proposez aujourd'hui, Monsieur le rapporteur, de revenir sur la loi de 1987, que celle de 1994 n'avait pas remise en cause, et de rétablir l'article L. 251-6 dans sa version antérieure. Chose étrange, vous utilisez, pour défaire ce que vos amis ont fait, les mêmes arguments qu'il y a douze ans ! J'avoue avoir du mal à comprendre... ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste) Peut-être ces revirements (Protestations sur les bancs du groupe UDF) trouvent-ils leur explication dans le fait que ledit article, aussi bien dans sa rédaction actuelle que dans celle que vous proposez de rétablir, n'a aucune portée pratique quant à la protection sociale des veuves et des veufs.

Le Fonds national de l'assurance veuvage coexiste avec le Fonds national de l'assurance vieillesse au sein de la branche vieillesse. Le premier prend en charge les veuves de moins de 55 ans, en leur versant une allocation temporaire ; le second verse aux veuves de plus de 55 ans les pensions de réversion, qui ne sont financées par aucune cotisation spécifique et représentent un montant total de quelque 15 milliards, soit dix fois l'excédent du fonds d'assurance veuvage. Les transferts financiers au sein de la branche sont donc tout à fait justifiés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Alfred Recours - C'est limpide.

M. le Secrétaire d'Etat - Nous devons aussi envisager la question de l'affectation de l'excédent en songeant à la situation déficitaire de la branche vieillesse qui est, Monsieur Accoyer, une préoccupation majeure du Gouvernement.

Je connais votre attachement à la situation des veuves et des veufs, notamment pour les plus modestes. Qu'a fait le Gouvernement, en ce domaine, depuis juin 1997 ?

Nous avons d'abord augmenté, à compter du 1er juillet 1998, le taux de liquidation de la pension de réversion des veuves de mineurs de 52 à 54 % : cette mesure tout à fait légitime, quand on sait que la quasi-totalité de ces veuves ne perçoivent pas de pension personnelle et ne sont pas imposables, avait été refusée aux mineurs par le précédent gouvernement.

Nous avons aussi revalorisé de 2 %, au 1er janvier 1999, le minimum de pension de réversion du régime général et des régimes alignés. Cette revalorisation concerne 600 000 veuves. Faut-il rappeler que la loi de 1993 sur la revalorisation des retraites ne prévoyait qu'une revalorisation de 0,6 % ?

Dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999, nous avons réformé l'allocation veuvage, qui sera versée pendant deux ans au taux le plus intéressant. Les veuves bénéficieront ainsi, pendant deux ans, d'une allocation de 3 107 F, alors que le montant actuel est de 2 041 F. Nous éviterons de la sorte la double inscription au RMI et à l'assurance veuvage la deuxième année, Monsieur Accoyer. Les veuves bénéficieront donc pendant deux ans d'un traitement spécifique lié à leur situation. Cette mesure leur procurera un gain mensuel de plus de 1 000 F soit plus de 12 000 F pour la deuxième année de perception.

Pour les veuves ou les veufs âgés de 50 à 55 ans au moment du décès de leur conjoint, cet avantage pourra même être maintenu pendant trois ans, ce qui représentera un gain de 1 500 F par mois soit, cumulées sur trois ans, 54 000 F d'allocations supplémentaires.

La loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions aide en outre les personnes touchées par le décès de leur conjoint à trouver un emploi, car elle autorise pendant un an le cumul de l'allocation veuvage avec les revenus d'une activité, à hauteur de 100 % pendant les trois premiers mois et de 50 % pendant les neuf mois suivants.

Le Gouvernement continue par ailleurs de travailler en concertation avec la Fédération des associations de veuves civiles chefs de famille.

M. Pascal Terrasse - Excellente association !

M. le Secrétaire d'Etat - Mme la ministre de l'emploi a annoncé, lors de l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qu'une réflexion était engagée sur le cumul de la pension de réversion et de la pension personnelle dans le cas où la veuve bénéfice de pensions de réversion dans plusieurs régimes. Nous espérons être en mesure de vous présenter un nouveau dispositif dans les prochains mois.

Il ne me paraît pas opportun d'aller plus avant dans l'examen de cette proposition, qui pose un problème de fond : celui de la solidarité au sein de la branche vieillesse. L'adoption de ce texte fragiliserait le régime général de retraite, dont elle aggraverait le déficit de 1,5 milliard. Le Gouvernement entend aborder de manière globale la situation des veuves, dans le cadre du débat général sur les retraites qui interviendra avant la fin de l'année, conformément à l'engagement de M. le Premier ministre. Je vous demande donc de rejeter cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. le Rapporteur - Je regrette qu'une telle proposition ne fasse pas l'objet d'un consensus et je remercie le groupe communiste de la soutenir.

S'il est vrai que la loi de financement de la Sécurité sociale a amélioré la situation des veuves, la somme en jeu, d'après la CNAM, ne s'élève qu'à 18 millions (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

En outre, ma proposition étant gagée sur la taxe sur les tabacs, vous ne pouvez dire, Monsieur le secrétaire d'Etat, que son adoption aggraverait le déficit actuel.

On nous parle de réflexions en cours. Moi, je vous propose du concret. Je déplore l'attitude du Gouvernement.

En dehors de toute préoccupation partisane, je vous suggère une solution de compromis, qui devrait recueillir l'assentiment général : puisque vous refusez d'affecter la totalité de l'excédent à l'assurance veuvage, je vous propose de ne lui en affecter que 50 % (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL ; rires sur les bancs du groupe socialiste).

Ce serait déjà un progrès significatif.

Je ne cherche qu'à donner une portée juridique contraignante à des dispositions qui, entrées en vigueur, ne sont toutefois pas appliquées.

Je vous demande de voter le passage à la discussion des articles, car on comprendrait mal qu'une telle proposition soit repoussée (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. le Président - La commission des affaires culturelles n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du Règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.

Si, conformément aux dispositions du même article du Règlement, l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

Le passage à la discussion des articles, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'Assemblée ayant décidé de ne pas passer à la discussion des articles, la proposition n'est pas adoptée.

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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