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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 67ème jour de séance, 173ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 2 MARS 1999

PRÉSIDENCE DE M. Arthur PAECHT

vice-président

          SOMMAIRE :

RATIFICATION DU TRAITÉ D'AMSTERDAM (suite) 1

    QUESTION PRÉALABLE 1

    MOTION D'AJOURNEMENT 32

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.


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RATIFICATION DU TRAITÉ D'AMSTERDAM (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam modifiant le traité sur l'Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - En application de l'article 91, alinéa 4 du Règlement, M. Philippe de Villiers oppose la question préalable.

M. Philippe de Villiers - Le projet de ratification du traité d'Amsterdam est inacceptable pour deux raisons au moins.

Au-delà de la multiplicité de ses dispositions techniques, volontairement illisibles et incompréhensibles - le traité de Maastricht, en comparaison, ressemble à du Baudelaire ! -, ce texte suit un fil conducteur unique, invisible à l'oeil nu mais qui n'a pas sûrement pas échappé à ceux qui l'ont préparé et signé : la construction d'un super-Etat européen, qui implique la marginalisation des démocraties nationales, et donc des Parlements nationaux. Il est d'ailleurs stupéfiant que le Parlement français s'apprête à renoncer d'un coeur si léger à renoncer à ses propres pouvoirs !

Croyez-vous, mes chers collègues, que nos électeurs seront satisfaits quand ils sauront que le Parlement français n'a plus rien à dire en matière d'immigration et de sécurité, qu'il n'a plus de pouvoir de décision, de contrôle et même, à partir de 2003, de proposition, puisque le monopole de l'initiative appartiendra alors à la Commission de Bruxelles ? Non,bien entendu ! Les Français veulent évidemment une politique de coopération européenne, et c'est un fantasme fallacieux que de voir en chaque patriote un tenant de ce que M. Sollers appelle "la France moisie" ; mais c'est une erreur fondamentale que de croire que l'on est plus efficace en passant de la coopération à l'intégration et en obligeant chaque pays à abandonner toute capacité de décision autonome. Or, c'est bien cela qui est au coeur du traité d'Amsterdam, et c'est pourquoi nous ne pouvons l'approuver, pas plus que les Français ne l'approuveront le jour où ils découvriront ce qui a été décidé en leur nom. Ils se tourneront alors vers nous et nous demanderont : qu'avez-vous fait de vos pouvoirs, c'est-à-dire de nos libertés ?

Et j'en viens justement à la seconde raison pour laquelle la ratification demandée est inacceptable. On peut être pour ou contre le traité d'Amsterdam, mais dire qu'il n'y a pas lieu de consulter les Français au motif qu'il s'agirait d'une question mineure, voilà qui dépasse l'entendement ! Il est contraire à l'esprit et à la lettre de la Constitution que les Français n'aient été consultés directement ni sur la révision constitutionnelle préalable, ni sur la ratification du traité lui-même, et je fais, sur ce plan, une différence entre l'actuel président de la République et son prédécesseur, qui s'était finalement résolu à consulter les Français sur le traité de Maastricht. Dans le message qui nous a été adressé cet après-midi, une ligne et demie, en tout et pour tout, concernait le traité d'Amsterdam !

J'ai écouté avec attention, Monsieur le Ministre, le dialogue intéressant que vous avez eu cet après-midi avec M. Hue...

Mme Christine Boutin - Surréaliste !

M. Philippe de Villiers - Vous avez opposé l'article 3 à l'article 89, mais celui-ci est sans ambiguïté : comme l'a dit le général de Gaulle, le Congrès, c'est pour les réformettes ; dans le cas de vraies réformes, il faut consulter le peuple lui-même. Vous vous êtes félicité que le Parlement soit en train de délibérer du traité, mais vous vous êtes bien gardé de dire qu'il était en train de délibérer de l'abolition de ses propres pouvoirs et de leur transmission à des commissaires, à des juges, des banquiers, et cela, ce n'est pas à lui d'en décider, mais au peuple !

On entend dire, depuis de trop nombreuses années, que la construction européenne est une chose trop sérieuse pour être confiées aux citoyens, et M. Cheysson, lorsqu'il était ministre des relations extérieures, avait même eu ce mot malheureux, qu'il a dû regretter par la suite : "l'Europe doit se faire à l'abri des peuples". Plus récemment, un ancien président de notre Assemblée, je veux parler de M. Séguin, a déclaré que ce n'était pas à l'occasion du Parlement européen que l'on devait se prononcer sur les grandes orientations de l'Europe ! Je propose au contraire, pour ma part, que le débat sur la ratification soit suspendu et reporté au lendemain des élections européennes, afin que la représentation nationale soit au moins éclairée sur l'état d'esprit des Français.

A ces raisons politiques générales, j'ajouterai des arguments juridiques plus précis, portant sur l'article unique et sur l'amendement du Gouvernement, et tendant à démontrer qu'il n'y a pas lieu d'en délibérer, car le traité est à la fois contraire à la Constitution et aux intérêts de la France.

Il contredit frontalement l'idée de souveraineté nationale, fondement de nos institutions. On pourra multiplier les acrobaties verbales, parler de souveraineté partagée, le peuple français ne prendra plus ses décisions en pleine indépendance puisqu'elles seront prises à la majorité qualifiée par le conseil des ministres européen.

Le Conseil constitutionnel n'a pas vu l'ensemble du problème. Dans sa décision du 31 décembre 1997, il a cependant soulevé un point important, la non-conformité du traité en ce qui concerne la circulation des personnes. C'est pour réduire cette divergence que le Congrès s'est réuni le 18 janvier dernier. Mais la révision reste insuffisante pour répondre à l'objection du Conseil.

En effet, dès lors qu'il avait estimé que prendre des décisions européennes à la majorité, sur les questions de circulation des personnes, "pouvait conduire à ce que se trouvent affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale", trois possibilités s'offraient au Président de la République et au Premier ministre : abandonner la ratification et renégocier le traité ; admettre clairement dans la Constitution qu'avec le traité d'Amsterdam, on abandonnait une part de la souveraineté française ; conserver l'intégralité de la souveraineté nationale dans la Constitution, et trouver les moyens d'éviter que le traité d'Amsterdam ne puisse affecter son exercice.

La renégociation, solution la plus claire, fut écartée d'emblée.

Il fallait alors un peu de franchise pour abandonner formellement la souveraineté nationale et faire coïncider la Constitution et le traité d'Amsterdam. On n'a pas retenu cette solution, et on a conservé l'article 3 de la Constitution. Mme la Garde des Sceaux a même déclaré devant cette assemblée, le 24 novembre dernier : "Je rejette toute analyse présentant ces transferts comme des abandons de souveraineté. La souveraineté de la France est inaliénable, imprescriptible, incessible et indivisible..."

M. Michel Vauzelle, rapporteur de la commission des affaires étrangères - Très bien !

M. Philippe de Villiers - En effet. Mais dans ce cas, il fallait concilier la souveraineté nationale maintenue et l'abolition des contrôles de personnes aux frontières intérieures de l'Union.

Or la révision du 18 janvier se borne à juxtaposer trois concepts : la souveraineté nationale, l'abolition des contrôles de personnes et la communautarisation des domaines liés à la circulation des personnes, sans les rendre compatibles.

Ayant pris conscience de cette contradiction, le Conseil constitutionnel a manifesté une certaine gêne dans sa décision de décembre 1997. C'est que dans sa décision du 25 juillet 1991 relative aux accords de Schengen, il avait attaché de l'importance à la présence d'une clause de sauvegarde ainsi rédigée : "Toutefois... si l'ordre public ou la sécurité nationale exigent une action immédiate, la partie contractante concernée prend les mesures nécessaires et en informe le plus rapidement possible les autres parties contractantes".

Selon lui, cette clause permettait de concilier la souveraineté avec la suspension de certains contrôles aux frontières. Il avait appliqué la même jurisprudence lors de la révision constitutionnelle du 25 novembre 1993.

Or, dans le traité d'Amsterdam, une clause de ce type a disparu. Dans sa grande sagesse, le Président de la République l'avait fait jouer pour éviter que le nord de la France ne soit envahi par la drogue en provenance des Pays-Bas. Pourrait-il désormais maintenir ces contrôles aux frontières ? Non.

Outre la clause de sauvegarde, un autre élément essentiel manque dans le traité d'Amsterdam, c'est un rappel du compromis de Luxembourg cher à tous ceux qui partagent une conception de l'Europe comme un espace de coopération avec droit de veto en ce qui concerne les intérêts vitaux d'un peuple, qui les définit lui-même.

La révision n'a donc pas levé les objections du Conseil constitutionnel. La Constitution le cède à "la marche de l'Europe". Il est vrai que l'on en change désormais comme de liquette. Nous prenons tous les six mois le chemin de Versailles...

Mais au-delà, ce traité est-il conforme aux intérêts de la France ? Non.

Il est vital pour la défense de notre identité que nous gardions en tous points le dernier mot sur les questions de circulation des personnes à l'intérieur de notre territoire et de franchissement de nos frontières. Pourtant, le traité d'Amsterdam nous enlève ce pouvoir.

J'en suis convaincu, ceux qui dans l'opposition vont voter d'un coeur léger l'autorisation de ratifier sont emportés par un mouvement idéologique. Car à qui fera-t-on croire qu'en abolissant les frontières on contrôlera mieux les problèmes de sécurité et d'immigration ?

A des intellectuels, à des parlementaires, mais pas au peuple.

M. Richard Cazenave - Que faites-vous des 250 000 régularisés en Italie ?

M. Philippe de Villiers - Parier sur une Europe dirigée de Bruxelles pour faire ce que nous n'avons pas été capables de faire, c'est fuir nos responsabilités. De toute façon, à partir de 2003, ce n'est plus le Gouvernement qui règlera les problèmes de nationalité, d'immigration, de sans-papiers, ce seront les commissaires de Bruxelles et pour les contrer il faudra l'unanimité au Conseil. C'est une folie. Comment une nation peut-elle survivre si elle n'a plus de territoire ? Après le marché unique, la monnaie unique, le territoire unique, l'impôt unique on finira par la langue unique, bien sûr l'anglais ou l'américain.

Autre élément inacceptable, le traité d'Amsterdam subordonne nos lois et notre Constitution au droit communautaire. Il faut lire le protocole sur la subsidiarité, laquelle signifie normalement qu'on décide en bas de tout ce qui est possible et en haut de ce qui est nécessaire. Dans l'Europe du mensonge, c'est le contraire. Le protocole pérennise la jurisprudence de la Cour de justice européenne. Il confirme que le droit communautaire même dérivé est supérieur au droit national, même constitutionnel. C'est entrer dans l'engrenage d'un Etat fédéral. Or jusqu'ici, Monsieur le ministre délégué, malgré toute votre verve et votre talent, vous n'avez rien dit de ce protocole no 7 !

Deuxième aspect contestable de cette jurisprudence : elle revient à considérer que le droit communautaire, même dérivé, l'emporte sur toute loi nationale, même postérieure. Ne criez pas à l'affabulation : c'est ce que nous avons vécu en juillet, à propos des dates de chasse. Nous sommes actuellement dans une situation extraordinaire où certains de nos tribunaux administratifs s'obstinent à appliquer une directive de 1979, en dépit de la loi contraire votée par le Parlement le 3 juillet dernier ! Pour ma part, je pars d'un principe simple qui devrait être la règle sous cette verrière, comme dirait M. Giscard d'Estaing : charbonnier doit rester maître chez soi ! Si le Parlement français peut être démenti dans ces conditions par des tribunaux administratifs, à quoi sert-il ? Cette Assemblée, j'en ai peur, ressemblera de plus en plus à un conseil général : tous les problèmes essentiels seront traités ailleurs !

Je n'accepte pas que, demain, la Cour de Luxembourg vienne condamner la France au nom du traité d'Amsterdam. Je n'accepte pas que des robins appointés, cooptés, supplétifs de Bruxelles, nous briment, nous piétinent ! Ce serait une oligarchie que même les Grecs n'ont pas prévue, une oligarchie incontrôlée et totalitaire pour tout dire. Notre vie quotidienne, ce sont nos libertés : que nous nous chamaillions entre nous, que nous nous divisions, c'est notre affaire, surtout quand il s'agit de nos traditions, de notre culture, de ce que M. Lang a appelé notre âme de la nation.

Mme Christine Boutin - Eh oui !

M. Philippe de Villiers - Non seulement le traité d'Amsterdam nous invite à ratifier de façon détournée cette jurisprudence scandaleuse, malheureuse et confirmée par le Conseil d'Etat et par la Cour de cassation, mais il remet en cause le principe traditionnel selon lequel la Communauté ne détient que des compétences d'attribution, limitativement énumérées.

Depuis le traité de Rome, la Communauté ne disposait que de compétences déléguées par les Etats dans des conditions précises et aisément contrôlables. Avec le traité d'Amsterdam, nous basculons dans un système tout autre. Ainsi l'article 13, dit "clause anti-discrimination", confie à la Communauté un blanc-seing pour lutter contre toutes sortes de discriminations, vraies ou supposées, sans qu'aucune limite soit posée. C'est sur cette base par exemple que l'adoption par des couples homosexuels pourra être autorisée en Europe -les travaux préparatoires le prévoient expressément ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Dans le même esprit, l'article 2 du protocole sur Schengen donne au Conseil mission de faire le tri entre les dispositions de Schengen qui seront affectées au premier pilier et celles qui relèveront du troisième. Cela revient à autoriser le Conseil à attribuer discrétionnairement à la Communauté de nouvelles compétences.

Enfin -et je m'étonne qu'on n'y ait pas consacré plus de temps-, l'article 7 permet de suspendre les droits d'un Etat membre...

M. Alain Barrau - En cas de violation des droits de l'homme !

M. Philippe de Villiers - Et de principes de la Communauté tels qu'ils sont entendus par la Cour de justice ! Or, parmi ces principes figure la liberté de circulation, mise au service du libre-échangisme comme nous l'expliqueront fort bien nos collègues communistes, au besoin ! Si demain la France veut interdire l'entrée du poulet à l'eau de javel américain, elle se trouvera dans les pires difficultés à cause de cet article 7. Même situation si, non pas Mme Voynet qui entrera dans l'histoire pour n'avoir pas su s'y opposer, mais son successeur veut interdire l'entrée du maïs transgénique ! Même situation encore si nous voulons contrer l'arrivée de drogue en provenance des Pays-Bas !

Une telle clause peut pervertir l'esprit de tous les votes à l'unanimité prévus par le traité. En d'autres termes, on inverse totalement la perspective : alors qu'une compétence générale était reconnue aux Etats, la Communauté ne disposant que de compétences d'attribution, c'est désormais à cette dernière que reviendra la compétence générale, les Etats n'ayant plus que des compétences résiduelles. N'importe quelle directive, n'importe quel règlement seront supérieurs aux règles nationales, fussent-elles de rang constitutionnel : nous avons basculé dans un autre monde !

Le traité d'Amsterdam hypothèque en outre gravement la liberté de choix du peuple français, pour ce qui est des actions extérieures. Le budget de la PESC sera en effet soumis à la codécision du Parlement européen -on en tremble quand on connait celui-ci- tandis que le Conseil pourra de son propre chef conclure des accords internationaux -rien n'étant dit des habituelles ratifications par les Parlements nationaux.

Plus dangereuse encore apparaît la communautarisation potentielle de certaines négociations commerciales internationales, jusqu'ici intergouvernementales. En effet, l'article 133 du traité prévoit que le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, pourra, après consultation du Parlement européen, étendre l'application de la politique commerciale commune aux négociations et accords "concernant les services et la propriété intellectuelle". La procédure est exactement décalquée de celle de l'article 67-2, relatif à la circulation des personnes. Il me semble clair que cette disposition n'est pas dans l'intérêt de la France. On se souvient que, soutenu par nombre de parlementaires -à la seule exception, à vrai dire, des idéologues de l'ultralibéralisme libre-échangiste-...

M. Alain Barrau - Vous n'en seriez donc pas ? La nouvelle est plutôt bonne !

M. Philippe de Villiers - On se souvient donc que le Gouvernement, avec le soutien de la plupart d'entre nous, a imposé la suspension des négociations sur le fameux AMI, l'accord multilatéral sur les investissements qui était une véritable déclaration universelle des droits des capitaux, donnant aux multinationales le pouvoir de passer par-dessus les droits des peuples et des Etats. Avec le traité d'Amsterdam, il ne le pourrait plus parce que nous ne serions plus dans le cadre d'une négociation intergouvernementale. Comment accepter de se lier ainsi les mains dans des domaines vitaux, après l'expérience de l'AMI et sachant que va s'ouvrir un nouveau cycle de négociations, dans cette Organisation du commerce qui est le cheval de Troie des Américains ?

Certains juristes opposeront qu'une décision unanime du Conseil sera requise pour un basculement définitif, mais la procédure n'en reste pas moins inacceptable car elle pourrait être mise en oeuvre en catimini, comme l'a remarqué le Conseil constitutionnel dans la condamnation qu'il a posée de l'article 67.2.

Nous ne pouvons prendre un tel risque, alors que des négociations internationales très difficiles vont s'engager. Notre Parlement doit absolument conserver la maîtrise totale du processus et ne laisser ouverte aucune brèche par laquelle pourrait s'infiltrer le libre-échangisme que préconise la Commission de Bruxelles. Il faut donc, pour cette raison aussi, s'abstenir de ratifier le traité d'Amsterdam ou ne pas s'étonner que la France se trouve, demain, en position de faiblesse.

Le projet de loi de ratification nous est présenté assorti d'un amendement gouvernemental qui parait aussi vague que bien intentionné. L'Union va, de fait, se trouver composée de pays de plus en plus différents même s'ils possèdent un fonds culturel ancien en commun. Il faudrait donc adopter les institutions à la gestion d'un ensemble toujours plus hétérogène.

Le bon sens devrait conduire à privilégier une confédération avec, pour citer M. Balladur, des "cercles concentriques", construction qui permettrait à l'Europe de marcher à son pas, sur la base d'une coopération renforcée, comme c'est déjà le cas pour Ariane ou pour Airbus -sans que jamais les commissaires européens aient à intervenir dans ce que les ingénieurs de diverses nationalités décident. On pourrait fort bien, dans ces conditions, s'acheminer vers une Europe à 20.

Si l'amendement gouvernemental se limitait à souhaiter une telle réforme, en termes généraux, j'y souscrirais sans doute. Mais ce n'est pas du tout ce qu'il sous-entend, car il doit être interprété à la lumière de l'article qui autorise la ratification du traité d'Amsterdam. Or le protocole no 11, joint au traité, prévoit qu'à la date du prochain élargissement, la Commission devra être composée d'un ressortissant de chaque Etat-membre, à condition que la pondération des voix au Conseil ait été corrigée. Cependant, une déclaration annexée, signée par la France, la Belgique et l'Italie va beaucoup plus loin, puisqu'elle appelle au renforcement des institutions, préalable à l'élargissement par "une extension significative du recours au vote à la majorité qualifiée". Ainsi l'amendement gouvernemental revient-il à prendre parti en faveur de l'extension des votes à la majorité qualifiée du Conseil.

Sur le papier, c'est parfait, mais cela ne fonctionnera pas, parce que procéder de la sorte, vouloir forcer la main, c'est créer des poches d'amertume qui ne feront que croître. Peut-on oublier que la France, qui avait près de 25 % des voix au conseil des ministres européens en 1958, n'en a plus que 11,5 % aujourd'hui et qu'elle n'en aurait plus que 8 %, selon les règles actuelles, dans une Europe de 26 membres ? Ceux qui poussent la France à se soumettre à la broyeuse du vote à la majorité qualifiée devraient se rendre compte qu'il s'agit d'un enjeu essentiel.

M. Gérard Fuchs - Mais quel est le poids de la France seule ?

M. Philippe de Villiers - Il n'est pas question de sortir de l'Europe, mais il ne devrait pas être question, non plus, de construire une Europe sans les nations et sans les peuples. Or il y a deux manières de l'édifier : d'une part celle du traité de Rome, fondée sur la démocratie, la coopération et la préférence communautaire ; et, d'autre part, la manière actuelle, issue des dérives successives qu'ont été le traité de Maastricht, le pacte de stabilité, le traité d'Amsterdam bien sûr, qui tourne le dos à l'idée de coopération. Comment ne pas voir que la révision de la PAC revient à demander aux agriculteurs européens de s'aligner sur les prix mondiaux, conformément à ce que veulent les Américains ? Il s'agit pourtant, pour la France, d'un intérêt vital !

On s'accorde à reconnaître, sur tous les bancs, que le pouvoir, au sein de l'Union, ne cesse de s'éloigner des citoyens.

Mme Christine Boutin - Bien sûr !

M. Philippe de Villiers - Et, faute de contrôle, arrive ce qui devait arriver : fraude et corruption à la Commission de Bruxelles ! La dérive est flagrante par rapport au traité de Rome, que jamais le général de Gaulle n'aurait signé s'il n'avait pas été fondé sur les principes que je viens de rappeler. Quand les Parlements nationaux auront perdu leur pouvoir de contrôle, qui l'exercera ? Certainement pas la Commission, qui ne peut se contrôler elle-même, ni le Conseil. On assistera alors à la constitution d'une minorité de blocage autour de l'Allemagne ; le processus est déjà ébauché. La France sera alors en situation de minorité instituée, et contrainte à faire du lobbying auprès des petits pays. L'Europe, ce n'est pas cela ! C'est aller du même pas, pour éviter l'amertume.

Quant à la "repondération" des voix au sein du Conseil, c'est, plus encore qu'une illusion, un véritable danger. Pour ne gagner que quelques points de droits de vote, nous ouvririons la boîte de Pandore : comment douter, en effet, que l'Allemagne, plus peuplée que la France, ne demanderait pas à bénéficier de plus de voix qu'elle ? Et comment oublier le poids accru conféré au pays ou au bloc de pays qui dispose de la minorité de blocage -26 voix sur 87 aujourd'hui- ?

En résumé, pour que ce traité soit acceptable, il convient d'établir un principe de sauvegarde de chaque Etat, pour le cas où une majorité adverse voudrait contrarier ses intérêts vitaux. Il serait en effet difficilement acceptable que le peuple français se laisse imposer des pratiques qu'il refuse, sans même pouvoir dire qu'il n'en veut pas ! Il faut donc, au minimum, rétablir le compromis de Luxembourg et introduire ce principe en tête du traité, et préserver, à terme, la souveraineté nationale dans une Union en voie d'élargissement.

Le traité d'Amsterdam est un mauvais traité, nous en sommes tous d'accord (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Ni M. Vauzelle, ni M. Lang, en tout cas, ne semblent l'apprécier ! Quant à moi, je ne le voterai pas. Non pas pour la raison invoquée par les fédéralistes, selon lesquels il ne renforcerait pas suffisamment les institutions en vue de l'élargissement mais pour la raison inverse : parce qu'il poursuit sur la lancée de la construction d'un super Etat européen monolithique, radicalement inadapté à l'élargissement. Il faut passer à une conception de l'Europe plus ouverte, plus différenciée, plus respectueuse des identités et des libertés de choix des peuples.

Ce n'est pas l'Europe que dessine le traité d'Amsterdam et c'est pourquoi je vous demande de bien vouloir décider qu'il n'y a pas lieu de délibérer. L'Europe à construire n'est plus celle d'avant la chute du Mur de Berlin.

M. François Bayrou - Mais la super-puissance américaine demeure ce qu'elle était !

M. Philippe de Villiers - Que découvre-t-on en ce moment ? Que ses soldats français sont envoyés au Kosovo, au péril de leur vie, que 25 millions de Kurdes ont une revendication nationale qui paraît légitime...

M. Gérard Fuchs - Qui le découvre ?

M. Philippe de Villiers - Je parlais des médias -non, bien sûr, d'un homme aussi informé que vous... On nous dit que Tchetchènes, Bosniaques, Koweïti, Kosovars ont, tous, droit à une nation, et les seuls qui n'auraient pas ce droit seraient les Français ? On les enverrait au Kosovo, et eux devraient se fondre dans un magma et ne plus prétendre, jamais, à l'indépendance ?

Mme Christine Boutin - Incroyable !

M. Philippe de Villiers - C'est une aberration alors que nous vivons la révolution des nations dont le nombre est passé de 100 au sortir de la guerre à 192 aujourd'hui, avant d'atteindre 400 en 2020 ou 2030. En effet, les hommes de notre temps veulent avoir droit à leur culture, à leur mémoire. C'est cela, la nation. Ce n'est pas en raison des nations qu'il y a des guerres mais parce que les gens sont frustrés de leurs sentiments nationaux. Comme le vol s'oppose à la propriété, qui est bonne en soi, l'impérialisme s'oppose à la nation, qui est bonne en soi.

L'Europe qu'il faut construire, surtout à 25, doit être celle des nations. Si elle conserve les institutions d'il y a vingt ans, elle court à l'échec.

Avec Amsterdam, dans le droit fil de Maastricht, on use de théories artificielles qui ont marqué le XXème siècle mais qui ont toutes disparu. Quel contresens historique !

L'Europe de demain doit être démocratique. Elle doit nous protéger. Je pense en particulier à la santé publique : à l'heure du procès du sang contaminé, maïs transgénique et vache folle nous montrent que l'on n'a pas su tirer les leçons des erreurs passées.

J'aime l'Europe autant que vous, Monsieur Bayrou, mais j'entends la défendre sur la base de la nation. Je refuse que la France abandonne sa souveraineté, qu'elle perde sa substance à cause d'une Europe qui ne serait plus qu'une expérience dévoyée (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du RPR).

Mme Christine Boutin - Très bien !

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes - Jack Lang avait prédit une superproduction de science fiction, vous avez, Monsieur de Villiers, répondu à ses attentes et gâté l'Assemblée...

Dans un exercice brillant quoique un peu particulier, vous avez voulu me faire subir une interrogation orale de droit, mais certains de vos arguments juridiques m'ont échappé...

Vous avez qualifié le traité d'Amsterdam d'illisible. Mais, que je sache, Maastricht et autres n'étaient pas des modèles de clarté. Tous les traités procèdent par amendements successifs aux traités d'origine de la Communauté. C'est par un effort de codification, comme celui qu'accomplit la délégation à l'Union européenne, que nous devons en rechercher la cohérence, en faire émerger les lignes de force.

Fil conducteur de votre raisonnement : on cherche à détruire la nation française. Dans un fantasme qui m'inquiète un peu, vous voyez des commissaires partout, dans une sorte d'obsession textuelle (Exclamations sur quelques bancs du groupe du RPR).

Mme Christine Boutin - Ce n'est pas drôle !

M. le Ministre délégué - Nous avons tous nos obsessions... Votre question préalable ressemblait fort à une exception d'irrecevabilité. Mais si le débat n'est pas vain, du moins a-t-il été déjà tranché. Pour répondre aux objections soulevées par le Conseil constitutionnel, qui pourrait se prononcer à nouveau après la ratification, le Congrès a, à une majorité de 80 %, révisé notre Constitution.

Cette révision était manifestement conforme à l'article 89 et j'ai rappelé cet après-midi le texte de l'article 3, sur la souveraineté nationale.

J'ai répondu en novembre dernier sur la majorité qualifiée et sur le rôle de proposition reconnu à la Commission ainsi que sur le maintien du compromis de Luxembourg. Ce dernier étant une arme de dissuasion, il n'a pas vocation à être banalisé ni codifié.

Quant à la clause de sauvegarde, elle est doublée puisqu'elle apparaît désormais dans le troisième et dans le premier piliers.

Les Français savent que tous les Européens sont confrontés aux mêmes problèmes et que l'on ne saurait se satisfaire du chacun pour soi, le récent exemple de l'Italie le montre. Les pays d'Europe doivent agir ensemble pour renforcer la coopération judiciaire et policière...

M. Thierry Mariani - Et pour expulser les sans-papiers...

M. le Ministre délégué - ...que permet Amsterdam.

Vous présentez comme une innovation juridique la prééminence de la Cour de Justice, établie depuis 1957. Chargée de défendre les traités, elle est bien au sommet de l'ordre juridique européen. Le protocole sur la subsidiarité ne change rien à l'affaire. La Cour peut condamner un Etat pour violation des règles européennes. L'exemple de la chasse est pertinent, mais la subsidiarité n'est d'aucun effet. Pourquoi mettre bas l'édifice bâti depuis le traité de Rome ?

En fait, vous vivez dans la nostalgie d'une France solitaire que vous évoquez sous une forme poétique digne de Baudelaire...

Votre idée de mettre le débat sur Amsterdam entre parenthèses jusqu'aux élections européennes est fantaisiste et même dangereuse car la ratification par la France, la dernière, est très attendue.

Il importe donc que l'Assemblée et le Sénat procèdent maintenant à la ratification, afin que les dispositions relatives à l'emploi, au social, à la liberté, à la sécurité puissent être appliquées.

Nous avons entendu le message du Président de la République. La ligne et demie consacrée à Amsterdam se trouvant au début, tout le reste en découle. Dans ce message, le Président expose la politique européenne de la France et la situe dans la continuité de l'action de tous ses prédécesseurs. Bien sûr nous avons tous une vision différente de l'Europe, mais il y a une politique qui est celle de la France. C'est celle qu'appliquent également le Président de la République et le Gouvernement. C'est cette politique que vous rejetez.

Vous avez préconisé le référendum parce que les parlementaires ne pourraient abdiquer par un vote leur propre compétence. Mais les parlementaires savent ce qu'ils font. Ils sont des législateurs, des constituants. Ils vont maintenant débattre au fond, après que l'Assemblée aura repoussé votre question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et plusieurs bancs du groupe RCV).

M. Yves Bur - Le groupe UDF ne partage pas la phobie européenne de M. de Villiers. Pour nous, le projet européen est l'unique voie pour continuer à peser dans l'organisation mondiale qui s'instaure. Le traité d'Amsterdam même s'il ne répond pas à toutes nos ambitions, permet des avancées en matière de sécurité et de justice, grâce notamment à l'intégration de Schengen et à la coopération. Je puis témoigner que les services de police ont déjà largement assimilé les avantages d'une collaboration transfrontalière.

Comme tous les Français, nous sommes convaincus que la construction européenne doit aller vers plus de démocratie et de clarté. Nous devrons tout faire dans les prochains mois pour permettre la réforme institutionnelle, préalable indispensable à tout nouvel élargissement ; il nous faudra aussi donner plus de sens au principe de subsidiarité.

Enfin, le projet européen doit rester un projet de civilisation, fondé sur l'ouverture, les échanges, la coopération. Le groupe UDF, avec le Président de la République, est bien loin d'une Europe frileuse ; sa foi dans l'idéal européen n'a jamais été démentie. Il ne votera donc pas la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Alain Barrau - Le groupe socialiste ne la votera pas non plus. M. de Villiers a utilisé les mêmes arguments que lors de la révision constitutionnelle, en jouant sur des réflexes de peur ; il dénie le génie de notre pays et sa capacité à participer à la construction de l'Europe.

Le nouveau paragraphe 1 de l'article F est ainsi rédigé : "L'Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l'Etat de droit, principes qui sont communs aux Etats membres" ; et selon l'article F1, "Le Conseil, réuni au niveau des chefs d'Etat ou de Gouvernement et statuant à l'unanimité sur proposition d'un tiers des Etats membres ou de la Commission et après avis conforme du Parlement européen, peut constater l'existence d'une violation grave et persistante par un Etat membre de principes énoncés à l'article F, paragraphe 1, après avoir invité le Gouvernement de cet Etat membre à présenter toute observation en la matière". Est-ce là un danger ?

M. Philippe de Villiers - Oui.

M. Alain Barrau - En quoi cet article peut-il faire obstacle aux principes fondamentaux sur lesquels est fondée notre démocratie ? Je ne comprends vraiment pas votre inquiétude... Liberté, démocratie, respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, Etat de droit : tels sont bien les principes auxquels nous tenons (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Richard Cazenave - Philippe de Villiers nous a dit qu'il n'y avait pas de contradiction entre l'idée de nation et l'idée d'Europe. Tout le monde en est d'accord. La question est de savoir si le traité d'Amsterdam, à cet égard, fait difficulté. Ce n'est pas ce traité qui introduit le problème de l'application des règles communautaires. Ce n'est pas lui, non plus, qui soulève celui de la régularisation de 250 000 immigrés clandestins en Italie : bien au contraire, il devrait permettre de mieux régler ce genre d'affaire.

Sincèrement, ce traité ne mérite pas une telle inquiétude. La France a voulu que, sur les questions de sécurité, l'Europe fasse de nouveaux progrès, parce que nous avons le choix entre regarder passivement les Américains et nous doter de moyens d'action. En matière de contrôle de l'immigration, de lutte contre la criminalité, nous avons besoin d'outils communs : c'est notre intérêt national -qu'il ne s'agit bien sûr en aucun cas de brader.

Ce qu'on peut regretter, c'est que ce traité n'ait pas réglé les questions institutionnelles : on peut lui reprocher d'être insuffisant, mais pas d'être dangereux. Fidèles à l'engagement européen du Président de la République, nous rejetterons donc la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Pierre Lequiller - Pour le groupe Démocratie Libérale, le traité d'Amsterdam marque un progrès de la construction européenne, même s'il est imparfait, notamment sur la réforme des institutions préalable à l'élargissement.

Il est urgent d'ouvrir les portes de l'Union aux pays d'Europe centrale et de l'est : c'est un devoir politique, historique et culturel que le Président de la République a justement souligné. Ces pays, grâce à l'inflexibilité de leurs héros et au courage de leurs peuples, ont fait triompher la liberté, brisé la chape du communisme totalitaire et abattu le Mur de Berlin ; ils ne méritent ni notre frilosité, ni notre égoïsme. Fidèles au projet politique des fondateurs de l'Europe, nous consoliderons par cet élargissement la paix sur notre continent.

C'est aussi l'intérêt de la France qui développe avec ces pays un commerce double de celui qu'elle a avec la Chine, sextuple de celui qu'elle a avec l'Amérique latine. Paradoxalement, les Etats-Unis, premiers investisseurs dans cette région, leur apparaissent plus ouverts que les Européens. Ce sont les Américains qui tirent les principaux bénéfices politiques de l'accueil dans l'OTAN, d'ici quelques semaines, de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque. La déclaration du Président François Mitterrand -"Pas d'adhésion avant des dizaines et des dizaines d'années"- sonne encore comme une honteuse trahison.

Il est donc grand temps que les Européens fixent un calendrier impératif pour la réforme des institutions comme pour l'unification. L'Europe a toujours avancé ainsi ; s'il n'y avait pas eu de date-butoir à la réalisation de l'euro, celui-ci n'existerait pas aujourd'hui. Cela fait maintenant treize ans qu'à douze pays, puis à quinze, l'Union fonctionne mal avec des institutions prévues pour six pays. C'est donc dans ce sens que nous voterons l'article additionnel, qui reprend d'ailleurs les propositions du Président Valéry Giscard d'Estaing.

Le point étant fait sur cette lacune du traité et sur l'urgence d'y remédier, le groupe Démocratie Libérale votera sa ratification. Comme Alain Madelin l'avait annoncé lors du débat constitutionnel, notre oui est clair et sans ambiguïté, car ce traité est dans la continuité du traité de Rome, de l'Acte unique et de Maastricht, que nous avons activement soutenus.

Son apport principal est de faire avancer l'Europe en matière de sécurité intérieure, contrepartie de la libre circulation des personnes. Il nous faut, pour effacer les frontières intérieures de l'Union, contrôler efficacement et conjointement ses frontières extérieures. Il n'est nul besoin de crier au loup, à la perte de souveraineté, quand l'exigence de coopération est évidente pour combattre l'immigration clandestine, le terrorisme, le trafic de drogue, le blanchiment d'argent sale et la délinquance sexuelle.

Deuxième apport : la politique étrangère et de sécurité communes. La création de la fonction de Haut représentant de la PESC et les moyens mis à sa disposition pour définir la stratégie commune sont des avancées insuffisantes, mais concrètes.

Amsterdam renforce aussi la citoyenneté et la défense de la personne. Il pose en effet le principe de l'état de droit. Affirmant, fait majeur mais insuffisamment souligné, que l'autorité publique ne fait pas le droit, mais qu'elle est soumise au règne du droit, il consacre l'un des principes fondamentaux du libéralisme politique.

Ce traité met enfin l'accent sur la dimension sociale de l'Europe. Une Union qui compte 20 millions de chômeurs est une Union en péril et il est naturellement positif que le traité assigne à l'Europe l'objectif de l'emploi.

Voilà les quatre principales raisons, avec les progrès en matière d'environnement et de santé, pour lesquelles nous approuvons ce traité, dont nous percevons pourtant les insuffisances.

Sur l'Europe politique, les avancées sont trop timides. L'Union se montre, par ses divisions comme par son manque de cohésion miliaire, incapable de proposer et d'imposer des solutions quand, sur le continent, guerres et massacres se perpétuent sous nos yeux. Doit-on se résigner à ce que l'OTAN soit le seul lieu où l'on fasse de la politique en Europe, et à ce que l'Union soit confinée à un rôle commercial ? Doit-on accepter qu'elle soit un géant économique, mais un nain politique ? Doit-on accepter que les Américains décident de tout sur notre continent, comme sur le pourtour méditerranéen, au Moyen-Orient et bientôt en Afrique, quand c'est nous qui payons ?

Jamais les Etats-Unis n'ont eu une telle suprématie et jamais ils n'ont fait preuve d'autant de désinvolture à l'égard de leurs alliés. Mais rien ne sert de leur reprocher, si nous ne nous donnons pas les moyens d'être forts nous-mêmes. Il est grand temps d'établir, au sein de l'OTAN, un pilier européen de défense, capable d'agir éventuellement de façon autonome et de travailler à l'émergence d'une véritable industrie militaire européenne.

Deuxième insuffisance : le principe de subsidiarité, en vigueur depuis 1993, n'est toujours pas respecté, puisqu'il est laissé à la discrétion de ceux-là mêmes dont il est censé encadrer le pouvoir : la Commission et la Cour de justice. Il est essentiel que son contrôle soit effectué à tous les niveaux de l'Union, et que les parlements nationaux y soient associés. Par ailleurs, compte tenu du fait que la Cour de justice n'est pas compétente en matière de respect de l'état de droit et que la Cour européenne des droits de l'homme est rattachée au Conseil de l'Europe et non à l'Union, ne faudrait-il pas réfléchir à un contrôle européen effectif de ce principe ?

Cela dit, ces considérations techniques, certes importantes, échappent à nos concitoyens. Pour eux, l'Europe est une source d'espoir et d'enthousiasme, qui mérite un débat politique à la hauteur des ambitions qu'ils lui assignent. Certains soulèvent des problèmes d'un autre âge, des débats sémantiques sur la forme que prendra l'Europe, mais chacun perçoit que l'Europe est une construction sui generis, à nulle autre pareille. Comme le dit Alain Madelin, le vieux débat qui oppose ceux qui n'imaginent l'Europe que comme un cartel d'Etats-nations et ceux qui la rêvent comme un futur grand Etat-nation agrandi est un faux débat. La vérité est qu'elle ne sera ni l'un ni l'autre.

Jacques Chirac et Helmut Kohl, en juin 1998, en ont défini les contours : l'objectif n'est pas d'édifier un Etat central européen, mais une Union européenne forte et capable d'agir, tout en préservant la diversité des traditions politiques, culturelles et régionales.

Il faut sortir des faux débats qui occultent le véritable enjeu : Maastricht ou non, quand le peuple a tranché ; l'euro ou non, quand il est réalisé ; référendum ou non, quand la Constitution est parfaitement respectée par le Président de la République ; traité d'Amsterdam ou non, quand le Parlement se sera déjà prononcé.

L'Europe est aujourd'hui en marche et la question est de savoir quelle politique va lui être appliquée. Une fois encore, le président Giscard d'Estaing, qui a tant fait pour l'Europe, a eu raison de recentrer le débat des élections au Parlement européen sur leur véritable enjeu, c'est-à-dire sur le contrat de législature des députés européens : le budget, les politiques communes, l'activité interventionniste de la réglementation communautaire, les limites de l'harmonisation fiscale et sociale.

Le vrai clivage passe entre deux conceptions opposées.

L'une consiste à transposer au niveau européen, la conception socialiste de l'Etat interventionniste. Nous ne voulons pas du super-Etat dirigiste et centralisateur. Nous ne voulons pas du gouvernement économique européen. Nous ne voulons pas de l'impôt européen.

Nous ne voulons pas de l'objectif, assigné par Jacques Delors, de 80 % de lois décidées à Bruxelles. Nous ne voulons pas non plus que les élections européennes servent, comme l'ont proposé les socialistes, à désigner le président de la Commission et à renforcer encore son pouvoir au détriment du Conseil européen.

Nous ne voulons pas de l'unification des politiques fiscales, économiques et sociales, et encore moins de la "conférence économique et sociale annuelle réunissant les gouvernements, les partenaires sociaux et la Banque centrale", qu'a proposée hier M. Jospin à Milan, ce qui hérisse nos partenaires.

Nous voulons au contraire une Europe où le principe de subsidiarité soit enfin appliqué, où la Commission, à laquelle nous reconnaissons le mérite d'avoir joué un rôle précieux, reste à la place que le traité de Rome lui a assignée, où le maître d'oeuvre de l'Europe politique, le lieu d'impulsion et de légitimité soit le Conseil européen, où l'on respecte l'identité des Etats, des traditions, des langues, mais aussi des politiques fiscales, sociales et économiques -et à ce propos, nous dénonçons l'harmonisation voulue par Lionel Jospin et Oskar Lafontaine, qui aboutirait à appliquer à tous une politique moyenne et somme toute médiocre.

Faisons de l'Europe un formidable laboratoire de politique comparative et d'émulation, mettant en exergue la diversité des solutions adoptées, et incitant les Etats membres à choisir les meilleures. Que de leçons à retenir, par exemple, de la pratique du dialogue social et de l'abaissement des charges pour favoriser l'emploi aux Pays-Bas, de la lutte contre l'insécurité ou de l'évaluation des établissements scolaires en Grande-Bretagne, de la décentralisation de l'enseignement en Espagne, de la formation professionnelle en Allemagne !

J'ai suivi en Allemagne, des élections de Länder, et j'ai pu mesurer combien, au cours de ces campagnes, le débat portait sur les comparaisons entre Länder en matière de développement économique, d'emploi, de sécurité, de qualité du système scolaire, de fiscalité. Seule une émulation de ce type au niveau de l'Union permettra d'atteindre l'Europe de l'excellence ! Il est vrai qu'elle ne tournera pas en faveur des 35 heures autoritaires, ni des emplois-jeunes dont vos partenaires européens, comme Tony Blair ou Gerhard Schröder, ne veulent surtout pas -mais alors vous conduiraient-elles- à corriger vos propres erreurs !

Là est le véritable enjeu : veut-on une Europe libérale ou socialiste ? Là se trouve le seul clivage qui vaille. Que n'a-t-on entendu sur l'Europe socialiste en marche, sur la main basse que les socialistes européens entendaient faire sur l'ensemble des institutions européennes, sur la nouvelle ère et la cohérence qui s'annonçaient avec l'arrivée au pouvoir de gouvernements "amis" dans les pays voisins !

A vrai dire, jamais les malentendus entre Bonn et Paris n'ont été aussi nombreux que depuis que Lionel Jospin et Gerhard Schröder sont à la tête de leurs gouvernements respectifs (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) : nucléaire, politique agricole commune, agenda 2000, tous les litiges qui surgissent montrent tout autant l'insuffisante concertation entre ces deux gouvernements que le manque de lisibilité de leur message européen.

Ces malentendus ne peuvent que semer le doute chez les peuples d'Europe, alors qu'ils attendent un projet européen mobilisateur et prometteur. Ce projet ne verra pas le jour sans une France exemplaire qui sache se réformer elle-même et aborder les réalités du XXIème siècle avec courage et détermination. Or vous lui faites perdre de son crédit avec vos solutions archaïques, avec votre refus d'adapter notre pays au monde et à ses transformations, plus rapides que jamais.

L'Europe est une immense ambition, qui soulève des espoirs et des attentes considérables. Rêve de nombre de nos illustres prédécesseurs, politiques, écrivains, philosophes, elle est la réponse pacifique et humaniste aux nationalismes exacerbés. La jeunesse d'aujourd'hui vit déjà dans la réalité européenne. Pour elle, l'Europe, ce ne sont pas les débats techniques, c'est le passeport européen, la libre circulation, celle d'Eurostar et de Thalys, celle des échanges culturels et universitaires, celle des équivalences de diplômes et de la mobilité professionnelle, celle de la découverte des traditions et cultures voisines.

Nous avons la chance historique d'être la génération qui fera passer l'Europe de ce rêve séculaire à la réalité du prochain millénaire. Nous devons réussir l'Europe de tous les Européens, c'est-à-dire un continent pacifié et unifié. Nous devons aussi défendre notre modèle de civilisation et nos valeurs, qui placent l'homme au coeur de nos préoccupations.

Amsterdam n'est pas la pierre angulaire de cet édifice, mais il contribue à l'élever un peu plus. Conscients de notre responsabilité par rapport aux générations futures, convaincus que l'Europe peut être porteuse d'un humanisme libéral et solidaire, nous voterons pour la ratification du traité d'Amsterdam (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, de nombreux bancs du groupe UDF et plusieurs bancs du groupe du RPR).

M. François Loncle - Il peut sembler paradoxal de considérer la page d'Amsterdam comme déjà presque tournée : c'est pourtant ce qu'a souligné, à juste titre, notre rapporteur, en évoquant les conséquences de la révision constitutionnelle et aussi le fait que nous soyons le dernier pays à ratifier le traité.

1999 est en raison de la richesse même du calendrier européen, l'année idéale pour poser les vraies questions : qu'est-ce qui distingue l'Europe du reste du monde ? La géographie de l'Europe fera-t-elle son histoire ? En quoi l'Europe offre-t-elle un grand projet politique à chacun de ses habitants, à chacun de ses Etats et au monde entier ? La réponse tient en trois mots : la paix, la liberté, la justice.

La justice, c'est la solidarité, la protection sociale, la sécurité, l'universalité et l'indivisibilité des droits, la lutte contre l'exclusion. La liberté, c'est la consolidation de la démocratie -et quel plus bel hommage à l'Europe que la volonté, exprimée par les jeunes démocraties de l'Est, de la rejoindre ? La paix, enfin, fut la motivation première de la construction européenne ; nous semblons l'oublier par habitude, la négliger alors que la guerre, enfant du nationalisme, est à nos portes dans l'ex-Yougoslavie.

De Jaurès à Mitterrand, en passant par Blum et Briand nous avons toujours voulu l'Europe pour étouffer le nationalisme et empêcher la guerre, et on ne dira jamais assez ce que nous devons aux pères fondateurs Jean Monnet et Robert Schuman.

Le traité d'Amsterdam devait créer les meilleures conditions pour faciliter l'élargissement par une réforme des institutions. Cet objectif n'a pas été atteint. Ce progrès indispensable justifie l'article 2 du projet.

Mais le traité comporte des avancées. A compter d'Amsterdam, l'Europe ne sera plus seulement la PAC, les politiques régionales et des directives éparses, mais la priorité à l'emploi, la politique sociale, le développement durable, le service public, la santé, la protection des consommateurs, la lutte contre toutes les discriminations, un espace de liberté, de sécurité et de justice.

Peut-on imaginer meilleur dessein, plus propre à mobiliser la jeunesse ? Les responsables et militants de l'Europe n'auront accompli leur mission que lorsque les citoyens se seront appropriés cette grande idée. Certes nous sommes loin du compte. Nous nous heurtons au double défi de la réforme institutionnelle et de l'élargissement, qui pourrait dénaturer l'idée d'Europe sans cette réforme. Aussi faut-il dire aux pays candidats qu'ils doivent rejoindre l'Union sur des bases politiques et non pour des motivations partielles ou immédiates. C'est ce qu'ont su faire, au sortir de dictatures, la Grèce, l'Espagne et le Portugal. C'est ce qu'on n'aperçoit pas toujours chez nos amis anglais ou suédois, même s'il est probablement décisif que Tony Blair ait déclaré récemment que pour égaler les Américains, l'Europe devait être capable d'agir sur le plan militaire.

1999 doit être l'année des décisions européennes. A l'aube du XXIème siècle, nous saurons si l'Europe est devenue l'affaire des citoyens ou si elle reste celle des spécialistes. Pour l'instant ses complexités, le peu d'intérêt des médias, sa langue même font que la construction européenne est l'affaire d'initiés et que ses aspects les plus positifs sont largement méconnus. Il faut changer l'information, les processus de décision, l'enseignement, les mentalités, pour une approche nouvelle de l'idée européenne.

L'Europe est déjà dans la vie quotidienne, même si les citoyens ne le savent pas clairement. On circule librement, on travaille, on étudie à l'étranger. L'Europe des consommateurs et des services publics, des solidarités, celle de la liberté, de la sécurité et de la justice que prévoit le traité, a besoin pour bien fonctionner d'une harmonisation par le haut du droit d'asile et des politiques d'immigration. Mais elle est déjà une réalité pour chacun de ses citoyens.

J'insiste pour que la coopération judiciaire progresse plus rapidement afin que soient assurées liberté et sécurité. Gouvernements et Parlements doivent y veiller.

Il y a 70 ans Alexis Léger -Saint-John Perse- évoquait "l'heure décisive où l'Europe attentive peut disposer elle-même de son propre destin. S'unir pour vivre et prospérer : telle est la stricte nécessité devant laquelle se trouvent désormais les nations d'Europe".

Face à la seule hyperpuissance, profitons de cette étape modeste -la ratification d'un traité insuffisant- pour aller de l'avant, faute de quoi les Quinze risquent de demeurer un club de puissances moyennes. Pour l'Europe, ne soyons pas réalistes ou sceptiques, soyons déterminés. Bâtir ce que François Mitterrand et Jacques Delors appelaient l'Europe-puissance, passe par la volonté politique. Elle anime le groupe socialiste qui votera ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Edouard Balladur - Depuis un demi-siècle chacune à leur tour, les deux grandes tendances de l'opinion publique ont fait avancer l'Europe, souvent en menant à bonne fin des projets entrepris par l'autre.

Est-ce à dire qu'il y a dans notre pays une politique européenne unique que chacun, à tour de rôle, est comme obligé d'avaliser ? Je ne le crois pas. Qu'il me suffise de rappeler l'échec de la CED en 1954 ; les craintes que suscita la politique dite de la chaise vide au temps du général de Gaulle, nécessaire à la mise en oeuvre de la politique agricole commune ; la critique de la politique monétaire menée depuis une douzaine d'années rendue à tort responsable d'une moindre croissance, les débats d'aujourd'hui sur l'avenir des institutions. Non, la politique européenne n'est pas le domaine de l'unanimité, il y a des courants divers qui traversent d'ailleurs les deux grandes tendances de l'opinion.

De grands espoirs avaient été placés dans la négociation du traité : on en attendait une réforme des institutions européennes, une révision des modalités de la politique étrangère et de sécurité commune, une extension du champ des politiques communes, un examen approfondi de la hiérarchie des actes communautaires, une refonte de la procédure budgétaire et, plus généralement, des méthodes de prise de décision au sein de l'Union européenne, des progrès dans la protection des libertés fondamentales et de l'environnement.

Comme il était prévisible, on en attendait tellement que nombre de ces espoirs ont été déçus.

Finalement, le traité constitue un ensemble composite, comprenant un certain nombre de protocoles et de déclarations diverses.

Ces textes ont pour principal mérite de renforcer la coopération des Etats-membres dans le domaine de la PESC et, en matière de libre circulation des personnes, d'ouvrir la voie à une politique commune où les décisions pourront être prises à la majorité si, au bout de cinq ans, le Conseil, statuant à l'unanimité, en décide ainsi.

De même, une importance plus grande est enfin reconnue au principe de subsidiarité et les normes européennes prendront davantage la forme de directives que de règlements, ce qui préserve mieux le rôle et la place des Etats membres.

Enfin, il faut se réjouir que le traité consacre le compromis de Luxembourg sur la défense des intérêts vitaux.

C'est donc un bilan substantiel. En somme, les lacunes du traité sont surtout frappantes par rapport aux attentes. Quelles sont-elles ?

D'abord : les problèmes institutionnels sont loin d'être réglés. C'est une grande déception : les Etats-membres ne sont pas d'accord entre eux sur l'Europe qu'ils veulent.

Le traité ne tranche pas entre trois options : le fédéralisme, la coopération intergouvernementale, l'Europe à la carte. Il n'engage pas la construction européenne dans la voie fédérale et rien dans le traité, ni dans les textes annexés, ne prévoit une prétendue supériorité du droit communautaire sur la Constitution des Etats.

Il n'engage pas davantage l'Union dans la voie d'une protection renforcée de la souveraineté des Etats-membres ni dans celle d'une "Europe à la carte". Autrement dit, il ne compromet nullement l'avenir, mais il ne le dessine pas davantage. Sur bien des points, il le laisse ouvert.

En second lieu, les améliorations apportées à la PESC sont modestes. Une défense commune reste un objectif lointain, comme l'intégration de l'UEO.

Troisième et dernière lacune : ni le traité ni les protocoles et déclarations joints ne tirent la moindre conséquence de la mise en place de l'euro ni n'éclairent sur les responsabilités des gouvernements à l'égard de la Banque centrale européenne. Surtout, alors qu'a disparu le taux de change entre les monnaies, recours depuis l'origine pour tout ajustement, rien n'est dit des modifications à apporter aux législations nationales en matière fiscale et sociale.

S'il fallait résumer d'un mot la portée exacte de ce traité, je dirais qu'il marque une étape, et seulement une étape, vers un avenir qui reste incertain.

Serait-ce que les gouvernements français, sous l'autorité du Président de la République, ont eu tort de le négocier et de le signer, comme le disent parfois ceux qui voudraient pour l'Europe des progrès plus rapides ? En aucune sorte : une négociation à quinze ne permet à aucun gouvernement d'imposer son point de vue à tous les autres. Ce traité est comme tous les traités un compromis et la France a eu raison de le signer. Malgré ses lacunes, d'espace économique et monétaire, l'Europe devient un espace humain, doté d'une politique commune en matière d'immigration, de contrôle aux frontières et de droit d'asile. Aussi, cohérent avec lui-même et solidaire de l'action du Président de la République, le groupe RPR votera-t-il sa ratification.

Est-ce à dire que, satisfaits de ce qui a été accompli, nous sommes sans inquiétude pour le présent et sans espérance pour l'avenir ? Certainement pas.

Monsieur le ministre délégué, vous ne serez pas surpris que, s'agissant de ce qu'exige la mise en oeuvre de ce qui a déjà été décidé, j'évoque ici votre politique intérieure : l'Europe monétaire suppose un certain degré d'harmonisation fiscale dont nous sommes très loin. La France est l'un des pays où les charges collectives sont les plus lourdes et les prélèvements publics rapportés à la richesse nationale les plus importants. Comme la Commission vient de le constater, la consolidation de nos finances publiques reste médiocre. Quant à notre déficit, il a été en 1998 le plus élevé de l'Union et a toutes chances de le rester en 1999. Enfin, les indispensables réformes de structure tardent, ou viennent à contre-courant : je pense ici à la réduction autoritaire de la durée du travail.

En deuxième lieu, qui dit contrôle commun aux frontières dit nécessairement une certaine harmonisation de la politique sociale, de l'organisation de la protection sociale et de son financement, faute de quoi des écarts de productivité et des mouvements de population risqueraient de déséquilibrer l'une ou l'autre des sociétés européennes.

En troisième lieu, l'euro n'est pas une fin en soi, même si c'est un puissant moteur de croissance. Il est vrai qu'après avoir soulevé l'enthousiasme, il se révèle aujourd'hui moins fort qu'on ne le prédisait. La raison essentielle est le doute sur la croissance en Europe et l'euphorie américaine. La monnaie unique doit impérativement aller de pair avec une politique économique décidée en commun, permettant de développer la croissance et l'emploi par tous les moyens disponibles. L'Europe doit cesser de donner une impression d'impuissance face à l'actuel ralentissement de l'activité. Nous ne débattons que trop entre libéralisme et keynésianisme, entre gestion monétaire orthodoxe et relance budgétaire, entre baisse des impôts et augmentation des dépenses publiques. Il faut sortir des tergiversations et montrer que l'Europe est capable d'une politique économique commune, fondée sur la baisse des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires, et sur l'assouplissement des réglementations. C'est ce qu'attendent les peuples et la réduction du chômage est à ce prix.

C'est aux gouvernements à prendre leurs responsabilités, à décider qui a le pouvoir économique en Europe, et quel est le rôle exact du Conseil de l'euro face à la Banque centrale européenne. Or, sur ce point, nous ne sommes pas éclairés.

Enfin, la discussion de l'agenda 2000 oblige l'Europe à arrêter son programme de recettes et de dépenses pour les cinq années qui viennent. Elle doit le faire sans augmenter la pression fiscale : nous sommes hostiles à un nouvel impôt baptisé européen. Elle doit en outre préserver les politiques communes, et notamment les principes de la politique agricole.

Mais nous ne pouvons nous borner à tirer les conséquences de ce que nous avons déjà décidé en matière monétaire et sociale, ni nous contenter d'un grand marché commercial à monnaie unique et aux frontières mieux contrôlées. Il est de notre intérêt d'aller plus loin car notre association démultiplie nos puissances nationales respectives. Il y va aussi de notre dignité : l'Europe ne doit plus se laisser imposer par d'autres le sens de sa politique économique, diplomatique ou militaire. Elle doit devenir plus responsable d'elle-même. Bref, il faut qu'à sa puissance économique et monétaire retrouvée corresponde sa puissance politique. Cela emporte toute une série de conséquences.

En premier lieu, nous devons commencer sans tarder les négociations sur la réforme des institutions, en vue de les simplifier et de le clarifier, de les rendre pour efficaces et plus démocratiques. Il faut, tout d'abord, que l'on décide de la façon dont seront prises les décisions. Ne nous enfermons pas dans un débat sur la fédération ou la confédération : comment faire entrer l'Union européenne dans ces schémas anciens ? Elle est à bien des égards, une création institutionnelle originale où coopération intergouvernementale et supranationalité se combinent en un modèle très particulier, mais efficace. Qui imagine sérieusement qu'on puisse fondre nos vieilles nations dans un ensemble où règnerait sans restriction la règle de la majorité, qui est à mes yeux le critère même du fédéralisme ? L'Union de demain ne reproduira ni le fédéralisme américain, ni la confédération suisse ou germanique, encore moins l'ancien empire austro-hongrois !

Aujourd'hui, les décisions sont prises à la majorité au Parlement européen, à la Commission, au Conseil de la Banque centrale et, pour bien des questions, au Conseil des ministres ; dans quelques domaines, elles sont prises à l'unanimité au même Conseil des ministre ainsi que, généralement, au Conseil européen. Demain, elles devront, me semble-t-il, être prises à la majorité qualifiée le plus souvent possible dans le domaine économique et social, et à l'unanimité dans le domaine diplomatique et militaire. Nul Etat n'acceptera d'être, contre sa volonté, engagé dans une guerre, fût-elle décidée par ses partenaires. Imaginerait-on la France obligée par la majorité de ceux-ci à participer au frappes aériennes contre l'Irak.

Les institutions de l'Europe doivent être plus démocratiques. Pour cela le système actuel de pondération des voix, exagérément défavorable aux nations les plus peuplées, doit être revu au sein du Conseil des ministres. Le Président du Conseil européen devrait être élu par ses pairs pour une durée de deux ans, par exemple. Nous n'acceptons pas que le Président de la Commission soit, à l'occasion des élections européennes, désigné en fait par l'ensemble des peuples européens. Ce serait remettre en cause tout l'équilibre de l'Union. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

La Commission devrait avoir une composition plus ramassée et comporter au maximum vingt membres, les pays qui n'y seraient pas représentés ayant éventuellement le droit de désigner un Commissaire adjoint.

Les Parlements nationaux devraient utiliser pleinement les pouvoirs qui leur sont d'ores et déjà reconnus, qu'il s'agisse de décisions exécutives ou législatives.

Enfin, afin d'assurer le respect du principe de subsidiarité, il serait utile d'élaborer un code des réglementations européennes, afin que chacun sache quels sont ses droits, ses compétences et ses devoirs. Administrations, Gouvernements et juridictions pourraient ainsi agir en toute sécurité juridique.

D'autre part, les institutions de l'Europe pourraient être, dans une période de transition qui risque d'être longue d'ailleurs, à géométrie variable. Comme l'a dit à juste titre le ministre cet après-midi, on peut en effet parfaitement concevoir, comme je l'avais proposé en son temps, qu'elles soient organisées en cercles de composition et de compétences variables. N'est-ce pas d'ailleurs le cas aujourd'hui ? Tous les Quinze n'ont pas souscrit aux mêmes obligations et il est peu vraisemblable qu'ils y parviennent rapidement.

Cette réforme des institutions politiques, pourquoi la faire ? Pour que l'Union fonctionne mieux et aussi pour franchir de nouvelles étapes, essentiellement celle de l'Europe de la défense. La souhaiter, ce n'est pas remettre en cause la vitalité du lien militaire euro-américain, c'est vouloir pour l'Europe l'autonomie stratégique dont elle est aujourd'hui dépourvue.

Nous participons à une alliance militaire sous commandement américain qui assure théoriquement, face à toute menace, une riposte rapide et automatique. Cette intégration doit-elle rester la seule garantie de l'équilibre du continent européen ? Ce serait continuer d'appliquer les règles d'un jeu aujourd'hui disparu, au mépris de la réalité. Il nous faut à la fois maintenir l'Alliance atlantique et vouloir faire émerger une Europe de la défense. Le choix n'est pas entre l'Alliance et l'Europe, mais d'une Europe forte dans une Alliance rénovée.

Rester sous l'aile américaine, s'y complaire et s'en contenter, c'est pour les Européens se provincialiser, quand il leur faut au contraire se tourner vers l'extérieur et résoudre eux-mêmes leurs problèmes, en ex-Yougoslavie aujourd'hui, demain peut-être dans les Balkans. On imagine mal que l'Europe puisse défendre sa position et ses valeurs si elle n'a pas la volonté politique de se doter de la puissance militaire sans laquelle, en dernier ressort, personne ne compte. Cessons de tabler exclusivement sur autrui, et sachons prévoir : l'impréparation a toujours coûté beaucoup plus cher que l'effort militaire que l'on a voulu éviter (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF).

Je sais que la voie est difficile et que tous nos partenaires n'ont pas nos exigences pour l'indépendance de l'Europe. Cependant, il ne faut pas renoncer. Nous pouvons parfaitement instituer entre les pays européens qui le désireraient un cercle de défense ouvert à tous, dont l'objectif serait de mettre en commun nos moyens militaires. Cela ne pourrait se faire que dans un cadre intergouvernemental, et cela suppose de progresser dans la définition de positions communes en matière de politique étrangère.

N'ayons pas peur de ne pas toujours progresser unanimement. L'accord de Schengen, institué entre quelques-uns puis étendu à presque tous, justement par le traité d'Amsterdam, nous montre la voie. Nous pouvons, dans un premier temps, créer ce "Schengen de la défense". Cela suppose, bien évidemment, d'aboutir à la fusion entre l'UEO et l'Union européenne dont on parle depuis de si longues années ; cela suppose également l'institution d'une agence européenne d'armement et d'une cellule de planification qui joue pleinement son rôle au sein de l'OTAN.

L'objectif doit être de doter l'Europe des moyens techniques, industriels et logistiques permettant une action indépendante, en fonction de ses propres décisions, sans dépendre d'une volonté extérieure.

Troisième effort : je le répète après bien d'autres, l'Europe ne doit pas avoir un contenu uniquement économique et financier, elle doit avoir aussi un contenu social. La chose est certes difficile étant donné la généralisation de la concurrence : nous vivons en effet dans les sociétés, certes les plus protectrices, mais dont les coûts collectifs sont extrêmement élevés. C'est pourquoi nous approuvons l'idée d'un pacte européen pour l'emploi, à condition, bien entendu, qu'il ait un contenu réaliste et ne consiste pas à prétendre étendre à d'autres des mesures autoritaires de réduction de la durée du travail, dont on fait aujourd'hui application dans notre pays, et dont les autres ne veulent pas (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Alain Barrau - Ce n'est pas ce qu'ils disent !

M. Edouard Balladur - Certes, la France doit préserver l'originalité de sa politique et de son message ; mais nous n'avons pas toujours nécessairement raison contre le reste du monde !

M. Hervé de Charette - Très bien !

M. Edouard Balladur - Mais la recherche de la compétitivité ne justifie pas tout, et il faut sauvegarder le modèle européen, celui qui fait de l'homme la finalité de toute chose. N'oublions jamais ce principe de base de la philosophie humaniste : "L'homme n'est pas une matière première qui devrait coûter un prix minimum" (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Quatrième effort : l'élargissement, nécessité morale et politique. C'est le général de Gaulle qui, le premier, avait parlé d'une Europe "de l'Atlantique à l'Oural". Que de critiques et que de dérision avaient accueilli ses propos, alors que le rideau de fer divisait l'Europe en deux, situation que l'on croyait alors éternelle ! Vingt ans après, le système soviétique s'effondrait et 100 millions d'Européens se tournaient vers nous, confiants dans nos recettes de prospérité, adhérant à nos valeurs de civilisation. Allons-nous les décevoir, les laisser dans la pauvreté et l'inquiétude du lendemain alors que la situation de la Russie est loin d'être stabilisée et que cette incertitude fait peser des risques immenses sur la sécurité de l'Europe ? Allons-nous tenir à l'écart plus longtemps ces peuples pour lesquels pendant un demi-siècle, l'adhésion secrète aux principes fondateurs de notre civilisation a été une puissante raison de vivre ? Allons-nous ignorer plus longtemps de quels trésors intellectuels, spirituels et moraux, ils sont dépositaires ? Ce serait irresponsable ; pire, ce serait immoral. C'est pourquoi l'élargissement ne doit pas être retardé, même s'il a un prix et il en a un ; tout le monde doit être prêt à faire les concessions indispensables. Nous n'aurons réussi vraiment que lorsque nous aurons unifié l'Europe.

A quelle date y procéder ? On fixe souvent comme préalable la réforme des institutions au motif que cette Union européenne deviendrait impossible à gouverner si le nombre de ses membres devait croître. L'argument est loin d'être sans portée. Mais si les Quinze ne parvenaient pas à s'accorder sur la réforme des institutions, pendant de longues années, l'élargissement ne devrait pas être, pour ce motif, indéfiniment repoussé. C'est dans cet esprit que nous acceptons l'amendement du Gouvernement ajoutant un article 2 au projet de loi de ratification.

Depuis un demi-siècle, la construction de l'Europe avance, les structures intérieures de chacun de ses membres sont modifiées en conséquence, et puis l'Europe avance à nouveau. Chaque progrès est une puissante incitation au changement et à la réforme intérieure. L'étape d'aujourd'hui franchie, il nous faudra aller plus loin. Mesurons notre responsabilité.

L'Europe est à la croisée des chemins. Avec 350 millions d'habitants sur les 6 milliards que compte notre planète, l'Union conserve un poids considérable, mais qui est appelé à diminuer, relativement, dans les années qui viennent. Elle ne peut donc rester au premier rang sans conjuguer les forces de toutes les vieilles nations européennes qui ont tant de mal à soutenir la compétition des Etats-Unis et de l'Asie. On a voulu que l'Europe recherche la prospérité, d'abord grâce à un grand marché sans frontières, puis grâce à une stabilité monétaire dont la monnaie européenne est l'étape ultime. Cela ne suffit pas : il lui faut également, non seulement assurer sa défense, mais aussi viser à la puissance. Quels que soient les réserves et les doutes, l'Europe ne sera véritablement indépendante que si elle l'est non seulement sur le plan économique et monétaire, mais aussi sur le plan politique et militaire.

Les Etats européens le voudront-ils ? Les Etats-Unis d'Amérique le voudront-ils ? A la France de s'y employer. Elle peut et elle doit prendre l'initiative de proposer des solutions nouvelles.

La situation actuelle ne saurait durer sans danger. La modifier demandera du temps, et beaucoup de volonté car la défense touche à la mission fondamentale des Etats qui est d'assurer la sauvegarde des nations. Mais, comme dans le domaine monétaire, il s'agit pour l'Europe d'exister et pour les nations de se renforcer en coopérant mieux.

L'ordre consacré à Yalta n'existant plus, nous devons tout faire pour éviter de revenir à l'ordre qui avait été instauré à Versailles, vingt-cinq ans plus tôt, et qui renfermait tous les germes de la deuxième guerre mondiale. Aujourd'hui, nous voyons quels sont les risques, dans les Balkans par exemple. L'oppression soviétique avait étouffé par la violence un grand nombre de conflits nationaux, raciaux et sociaux : voici qu'ils renaissent nombreux. Si l'on n'instaure pas un nouvel ordre européen fondé sur la paix et le respect mutuel, alors un jour, n'en doutons pas, il y aura une nouvelle explosion. Pour l'éviter, quelle meilleure garantie qu'une Union européenne forte, qu'un engagement de tous de régler par la négociation, comme le prévoyait le pacte de stabilité, les litiges relatifs aux frontières et aux minorités ?

Les nations d'Europe préfèrent-elles se voir imposer leurs décisions par une tutelle extérieure ou veulent-elles, en s'unissant étroitement, décider elles-mêmes pour elles-mêmes ? Telle est la seule question qu'il faille se poser. Les avantages de l'Union sont évidents sur le plan commercial, sur le plan monétaire, sur le plan social, sur le plan militaire. Nous ne devons pas hésiter, car chacune de nos nations, loin d'être amoindrie par l'Europe, verra son influence, sa force, sa solidité démultipliées. Ne restons pas prisonniers d'une conception archaïque de la souveraineté.

M. Hervé de Charette - Très bien !

M. Edouard Balladur - Grâce à l'euro, en partageant nos souverainetés, nous comptons désormais davantage sur la scène monétaire mondiale ; grâce au grand marché, en partageant nos souverainetés, nous comptons davantage sur la scène commerciale et nous pouvons mieux défendre nos intérêts ; grâce à la politique étrangère et militaire commune, nous serons plus forts, mieux écoutés, plus influents et nous ne dépendrons de personne d'autre que de nous-mêmes pour décider.

M. Hervé de Charette - Espérons-le !

M. Edouard Balladur - Voilà pourquoi, en approuvant la ratification du traité d'Amsterdam, nous exprimons le souhait que, sans tarder, le Gouvernement définisse le visage d'une Europe indépendante qui préserve et renforce nos nations et qui leur permette de s'affirmer davantage. Nous savons que c'est le voeu du Président de la République, voeu réaffirmé cet après-midi même ; nous souhaitons que ce soit aussi celui du Gouvernement. Nous attendons maintenant que vous le démontriez.

Malgré la prospérité que nous connaissons aujourd'hui à l'ouest, le XXème siècle a été terrible pour l'Europe. Elle dominait le monde au XIXème siècle, au prix, il est vrai, de combien d'injustices, de combien de violences. La première guerre mondiale, véritable guerre civile, comme le disait Paul Valéry, a mis fin à sa domination universelle ; la deuxième guerre mondiale l'a divisée et l'a fait passer sous la tutelle de deux superpuissances, étrangères à ses intérêts véritables et durables.

Il ne s'agit pas, pour l'Europe du XXIème siècle, de retrouver l'Europe du XIXème siècle, mais de faire qu'elle s'organise, qu'elle s'unisse, qu'elle décide elle-même de son destin et pèse sur les affaires du monde. En somme, qu'elle soit indépendante. Tel est l'ambition que nous devons nous assigner pour la prochaine décennie. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF)

M. Jean-Claude Lefort - Puisque la voie référendaire n'a pas été retenue alors qu'elle correspondait le mieux à nos institutions ainsi qu'à l'impérative politique de rapprocher notre peuple de la construction européenne, nous voici réunis pour ratifier ou pour ne pas ratifier le traité d'Amsterdam.

Quel paradoxe : cette ratification ne suscite qu'indifférence dans notre peuple tandis que le débat sur la politique agricole commune amène à se demander si la seule politique européenne existante doit subsister.

Dans le même temps, le besoin d'une politique de gauche en Europe s'affirme et des voix s'élèvent contre une Europe qui déciderait à 80 % des lois à appliquer dans l'ensemble des Etats membres. Comment dès lors ratifier le traité d'Amsterdam, qui consolide le traité de Maastricht qui lui-même prolongeait l'Acte unique ?

Et que nous valent les politiques suivies sous ces auspices ? On sait que l'Europe compte, officiellement, 18 millions de chômeurs et 50 millions de pauvres. La construction européenne résultat de ces traités successifs n'y a-t-elle pas sa part de responsabilité ? A l'évidence, un bilan s'impose.

Selon l'étude "perspectives économiques" de l'OCDE, alors que l'Union européenne devrait apporter un plus, la croissance moyenne des pays membres est restée inférieure à celle du Japon et des Etats-Unis de 1987 à 1997. Et il en va de même pour les investissements.

Par ailleurs, les tendances relevées de 1985 à 1997, montrent que l'emploi total dans l'Union a augmenté trois fois moins que dans la moyenne des pays de l'OCDE et deux fois moins qu'aux Etats-Unis. Le chômage, quand à lui, est deux fois plus élevé dans l'Union qu'aux Etats-Unis et trois plus qu'au Japon.

S'agissant, enfin, de l'inflation dont la maîtrise a été pourtant drastiquement recherchée, l'Union européenne se situe dans la moyenne des pays OCDE, sans plus.

Que vaut une politique européenne sans corrélation entre intégration et performances économiques et sociales ? Quand l'Europe n'apporte pas le mieux-être promis, c'est l'idée européenne elle-même qui est minée.

Le traité d'Amsterdam porte-t-il remède à ces maux ? Revient-il sur les critères de convergence qui sont à la base du pacte de stabilité, le statut et les missions de la Banque centrale européenne ?

Une résolution de notre assemblée, au moment du passage à l'euro, préconisait à tout le moins un contrepoids politique face à la Banque centrale dont le traité de Maastricht impose une stricte indépendance et à laquelle il fixe comme objectif premier la maîtrise de l'inflation et non la croissance et l'emploi. Or la monnaie n'est qu'un moyen, non un but en soi.

N'a-t-on pas entendu, à gauche, d'autres voix que la nôtre s'élever contre le pacte de stabilité considéré comme un Maastricht II ? Vous-mêmes, Monsieur le ministre, n'écriviez-vous pas que son adoption "sans ratification populaire et toujours sans mettre en place un gouvernement économique, donc sans aucune légitimité démocratique" était parfaitement critiquable !

Que retrouve-t-on de tout cela dans le traité d'Amsterdam ? Rien !

Certes, un volet emploi -et c'est positif- a été introduit in extremis sous l'impulsion du gouvernement français actuel.

MM. Alain Barrau et Jean-Louis Idiart - Très bien !

M. Jean-Claude Lefort - Pour devenir un pacte de croissance et d'emploi, il doit donner lieu à de vraies initiatives européennes, qu'il s'agisse des financements, des taux d'intérêts différenciés pour favoriser l'emploi, du lancement de grands travaux et d'un emprunt européens pour l'emploi.

Au lieu de cela, au nom de la "bonne gestion financière", la Commission demande à l'Italie de revoir un budget qui repose sur des prévisions de croissance jugées trop optimistes. Quant à la France et l'Allemagne, qui prévoient la réduction de leurs déficits à environ 1 % pour 2002, elles sont considérées comme les "mauvaises élèves de l'Europe" parce qu'elles ne parviennent pas à l'équilibre budgétaire, un nouveau dogme communautaire.

L'emploi est corseté par les dogmes libéraux de "compétitivité", "d'employabilité" ou de "modération salariale".

Quant à l'intégration de la charte sociale, déjà, en 1989, elle constituait une version au rabais des propositions du Conseil économique et social et des recommandations de l'Organisation internationale du travail. De plus, aucun instrument n'est envisagée pour tirer vers le haut les droits sociaux, le droit du travail, les droits syndicaux.

Vraiment, on ne peut à la fois vouloir une Europe de gauche et soutenir Amsterdam, les propos de M. Balladur viennent encore de le confirmer.

Sur l'idée européenne elle-même, ce n'est pas l'article 2 ajouté à ce projet qui peut donner le change. Pourquoi être si vague ? Pourquoi parler d'une "union plus efficace et plus démocratique", -ce qui ne peut que convenir à tout le monde-, alors que la France, la Belgique, l'Italie, ont ajouté un protocole faisant de la majorité la règle sur un maximum de sujets ! Quel est donc le dessein que nous ne saurions laisser voir à notre peuple ? Derrière ce débat théorique, la ligne de force est claire, elle est fédéraliste.

Et si le fédéralisme est l'exact contraire du nationalisme, ils se nourrissent mutuellement. Ils sont aussi dangereux pour l'Europe. Refuser le moindre partage de compétence, ou demander un partage de toutes les compétences revient au même : c'est l'Europe impossible.

A quand un traité qui donne au principe de subsidiarité toute sa valeur ? C'est en son nom que l'on vide la nation de ses compétences, ce qui est propice au repli nationaliste.

Ce dont deux façons de défaire l'Europe : par l'explosion du refus et par l'implosion des contradictions internes.

Cela empêche en outre l'Europe de s'élargir à l'Est.

Pour montrer qu'elle est un bien nécessaire, il convient que la politique retrouve la primauté sur les seuls facteurs économique, financier et monétaire.

Pour que l'Europe reste une idée neuve, il faut exprimer l'exigence autre : celle d'une Europe sociale, démocratique et pacifique associant les nations européennes, sans les fusionner, autour de grands projets communs et acceptés.

Dans notre monde globalisé, l'Europe doit apparaître comme réalisant l'union dans le respect des diversités, afin de préserver son modèle social.

Il faut l'Union européenne et non la fusion.

L'Europe a donc besoin d'un nouveau traité, qui s'oppose à celui d'Amsterdam.

Refuser Amsterdam, c'est faire oeuvre utile pour une Europe de gauche comme pour l'idée européenne elle-même. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

M. François Bayrou - Il fut un temps, pas si lointain, où demeurait ici un certain suspens sur la ratification du traité d'Amsterdam. Nous n'en sommes plus là : c'est à une large majorité que l'Assemblée nationale votera le projet de loi de ratification. Pourtant, que n'a-t-on entendu à cette tribune ! Ce traité serait le plus pauvre -selon la commission des affaires étrangères-, le plus mauvais -selon M. Vauzelle-, le pire -selon M. Lang- de l'histoire de la construction de l'Europe. Pourquoi ce texte peu apprécié va-t-il être largement approuvé ?

La première raison tient à l'engagement des deux majorités : le traité est issu d'une disposition de l'article N du traité de Maastricht, préparé par une majorité de gauche sous l'autorité de M. Mitterrand ; il a été négocié par le gouvernement d'Alain Juppé, Hervé de Charette étant ministre des affaires étrangères, sous l'autorité du Président de la République, Jacques Chirac ; et c'est le Conseil européen d'Amsterdam, en juin 1997, associant au Président Chirac le nouveau gouvernement de M. Jospin qui décida d'en adopter le texte.

Cela montre une nouvelle fois qu'il est vain de vouloir regarder la construction européenne avec les lunettes de notre seule politique intérieure, comme le Président de la République lui-même l'a souligné dans son message. L'Europe n'est pas l'affaire d'un camp contre l'autre, de la droite contre la gauche ; c'est une grande affaire nationale, comme cela a été largement démontré lors du référendum sur le traité de Maastricht. C'est même la seule grande question politique qui a su nous obliger à dépasser nos frontières habituelles ; il est bien que soit ainsi créée une solidarité, au travers du temps, entre les bâtisseurs d'Europe, à quelque camp qu'ils appartiennent. C'est comme cela que l'Europe s'est faite et qu'elle devra continuer à se faire (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

La deuxième raison est qu'aucun des principaux responsables publics attachés ou ralliés à l'idée européenne n'a voulu prendre la responsabilité d'un coup d'arrêt au processus de construction de l'Europe : nous voterons ce texte d'abord parce qu'il participe, même modestement, à la seule grande aventure humaine du siècle.

Nous le voterons aussi parce qu'il apporte des progrès, le principal étant la communautarisation partielle du troisième pilier relatif à la sécurité et aux affaires intérieures. L'efficacité et la cohérence justifient la perspective de définition à la majorité qualifiée des politiques d'immigration, d'asile et de contrôles aux frontières ; il faudra que cette évolution se poursuive en matières pénale et policière. Aujourd'hui, la lutte contre la criminalité organisée relève de la compétence des Etats : c'est absurde ; dès lors que le crime international, par définition, ignore les frontières, il faut que l'Union européenne se dote des armes nécessaires à la lutte contre les mafias. C'est pourquoi nous souhaitons la transformation d'Europol en véritable police fédérale européenne, sorte de FBI pour l'Union (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Plus symbolique, le titre sur l'emploi appelle à la coordination des politiques nationales ; ce n'est pas la grande avancée que nous souhaitons, mais c'est un premier pas.

En s'intéressant aux domaines de la sécurité et de l'emploi, le traité d'Amsterdam répond à la préoccupation de réorienter l'Union vers les préoccupations des peuples : c'est ce que la majorité des parlementaires veut souligner. Surtout, elle a conscience de l'impact négatif sur l'opinion européenne qu'aurait le rejet d'un texte difficilement négocié : si c'est la marche qui compte, on ne l'interrompt pas, même si l'étape est moins fructueuse qu'on ne l'aurait espéré.

Il fallait cependant marquer notre insatisfaction : le président Valéry Giscard d'Estaing a donc proposé d'adjonction d'un article additionnel indiquant que l'élargissement ne pourrait être décidé que lorsque serait intervenue une étape supplémentaire et décisive en matière institutionnelle. Nous nous réjouissons que le Gouvernement ait repris cette idée.

Il importe qu'à l'occasion de ce débat nous nous expliquions sur notre vision de l'Europe. Pour beaucoup de Français, en effet, l'Europe est obscure. C'est de notre faute : nous avons fait de sa construction un débat pour initiés. Cela arrangeait les uns que n'apparaisse pas trop la contradiction entre des discours nationaux et une pratique communautaire. Les autres considéraient fort commode de disposer d'un bouc émissaire bruxellois : on pouvait être raisonnables à Bruxelles et démagogues à domicile sans grand inconvénient. Ce sont parfois les mêmes qui ont exigé de Bruxelles des réglementations sur le fromage, pour que nos chefs d'oeuvre gastronomiques soient exportables, ou sur la chasse, pour une politique cohérente de l'environnement, et qui dénonçaient sur nos tréteaux électoraux les décisions qu'ils avaient eux-mêmes appelées de leurs voeux. Aucune politique n'aura comme la politique européenne donné lieu au double langage.

Même les partisans de la construction européenne se sont accommodés pendant longtemps de ce clair-obscur : ils redoutaient la rude simplification de l'opinion publique sur les sujets européens et s'inquiétaient que ne soit remise en cause la délicate horlogerie de la matière communautaire. Mais le moment vient où il faut que nous sortions de l'ambiguïté.

L'Europe ne peut pas rester au milieu du gué. Jamais nous n'avons été si proches de lui donner les armes de la puissance. Pourtant, jamais nous n'avons été si près de la voir échouer.

La monnaie unique était une des deux conditions nécessaires à l'avènement de l'Europe. La deuxième est l'union politique, construite, comme le dit le président Giscard d'Estaing reprenant le mot de Montesquieu, par une démarche fédérative, vision d'une vraie fédération en train de s'édifier.

En France, on n'ose pas employer les adjectifs "fédéral" ou "fédératif", ni le mot "fédération". Pourtant, ces mots ne sont pas vides. Pour nous, la démarche est fédérale sur les sujets communautaires, dès lors qu'une autorité commune, légitime puisque procédant de la démocratie des peuples de l'Europe, se voit reconnaître un rôle d'expression et d'entraînement qui permet de dépasser les divergences naturelles entre les intérêts contradictoires des Etats. L'Europe est déjà fédérale. C'est ainsi qu'est évidement fédérale l'autorité de la banque centrale sur l'euro. C'est également ainsi qu'il manque un contrepoids politique à cette autorité fédérale.

Dans les matières qui concernent notre avenir commun, cette autorité commune n'aura de véritable légitimité qu'à partir du moment où elle agira sous le contrôle des citoyens européens. Mais pour que ce fédéralisme soit démocratique, il faut d'abord que les citoyens connaissent ceux qui les gouvernent, qu'ils exercent et influent sur leur désignation, soit directement soit par élus interposés. Or, les français pas plus que les autres citoyens européens ne connaissent ni l'étendue des pouvoirs, ni les personnalités, ni les modes de désignation de ceux qui exercent en leur nom les pouvoirs européens.

Voilà pourquoi l'époque des traités pour construire l'Europe devrait s'achever avec Amsterdam. Nous ne sommes plus des étrangers les uns pour les autres : nous sommes des concitoyens de la même union. Nos destins sont désormais intimement mêlés. Voilà pourquoi il faut une constitution de l'Union européenne, lisible par tous et commune à tous, une loi fondamentale qui fixe l'architecture de la maison commune, et non l'obscurité d'un traité dans les arcanes desquels se perdent même les professeurs de droit (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Pour nous, le traité d'Amsterdam doit être le dernier traité européen. Il est le dernier de l'époque où se construisait l'Europe des Etats par les Etats, pour les Etats. Le temps est venu d'y ajouter l'Europe des peuples, par les peuples et pour les peuples. Les traités sont affaire de diplomates. Les citoyens ont besoin d'une Constitution (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Une constitution, c'est aussi un moyen de fixer, aux yeux des citoyens, la notion de subsidiarité. Notre temps requiert à la fois la proximité et la puissance : la proximité pour tout ce qui touche à la vie de tous les jours, à l'administration, au respect des traditions, des cultures, des langues ; et la puissance exercée en commun pour la monnaie, pour les grands traits de la politique économique, industrielle et de recherche, pour peser sur la scène du monde, pour construire une défense forte, opérationnelle et respectée. Le partage entre le domaine de la puissance fédérale et la proximité de la décision n'est ni clair ni construit. La constitution européenne, le jour où nous aurons la volonté de l'écrire, devra fixer les règles de la subsidiarité, de la décentralisation européenne, la conséquence même, à nos yeux, de son avenir fédéral.

Le vote à la majorité qualifiée est indispensable. Une nouvelle pondération des voix en est la condition. Mais elle ne suffira pas tant qu'il n'y aura pas, comme dans toute démocratie, des personnalités, procédant du suffrage, pour incarner une politique et en répondre devant les opinions publiques. La présidence épisodique, pour une durée de six mois, revenant tous les sept ans et demi et moins souvent encore si l'élargissement se réalise, ce n'est pas la démocratie : il faut une autorité européenne élue pour être la voix et le visage de l'Europe. On peut hésiter entre une présidence du Conseil et une présidence de la Commission. Notre option est celle d'une démocratisation de la Commission, trop souvent taxée de bureaucratie anonyme et lointaine.

En tout état de cause, le président de l'Union devra, d'une manière ou d'une autre, recevoir l'onction du suffrage. La garantie de sa légitimité, la condition de sa responsabilité, c'est son élection par un congrès européen composé, à parité, par le parlement européen et par les parlements nationaux et, un jour peut-être, par les peuples eux-mêmes (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). Ce préalable démocratique étant posé l'Europe pourra enfin devenir solidaire au sein de l'Union et puissante à l'extérieur.

Nous avons besoin d'un modèle social européen. La diversité des pratiques et des habitudes, regroupées autour des modèles scandinave, latin et anglo-saxon, ne sauraient gommer l'existence de préoccupations sociales communes à l'ensemble des Etats membres. C'est en Europe que l'on reconnaît droits et protections aux salariés. C'est en Europe que l'intermédiation syndicale est reconnue comme une des sources principales du droit du travail. C'est en Europe que la protection sociale assure à ses bénéficiaires une protection sans équivalent dans le monde. Au-delà des différences, des divergences mêmes qui peuvent exister entre ces trois modèles, c'est au fond une même conception de la personne que nous partageons : l'idée qu'elle n'est réductible ni aux seuls intérêts du marché ni aux seules contraintes de l'Etat. Partons de cette vision commune pour aller vers le mieux-disant social communautaire, comparons les mérites respectifs de nos systèmes de protection sociale ou de nos législations du travail. L'Europe doit devenir ce champ d'expérimentations que le cadre trop rigide des Etats interdit toujours. La vocation fédérale de l'Union ouvre nécessairement la voie de la contractualisation, de l'expérimentation et de la souplesse. Elle ne saurait perdurer sans s'accompagner d'une profonde décentralisation. Le principe de subsidiarité est un principe d'efficacité.

Quant au renforcement de la politique étrangère et de sécurité commune, c'est une nécessité née d'un refus : le refus de voir les seuls Etats-Unis assumer le rôle de gendarmes du monde, selon leurs propres règles et intérêts. Nous avons vécu comme une humiliation le dernier épisode du Kosovo, où les puissances européennes ont semblé incapables de faire entendre leurs voix en l'absence de Madame Allbright (Murmures sur les bancs du groupe socialiste).

L'absence de l'Union, difficile à comprendre sur la scène du monde, est inacceptable sur la scène européenne. L'Europe ne pourra indéfiniment continuer à assumer, seule, le coût financier des décisions prises par d'autres. Inexistante du fait de l'orgueil des Etats qui ne peuvent se résoudre à leur statut de puissance moyenne, la politique étrangère et de sécurité européenne devra naître de ce même orgueil de vouloir peser à nouveau sur le destin du monde.

Cet effort est urgent. L'Europe est au milieu du gué. Certains proposent qu'elle revienne sur la rive qu'elle a quittée, vers l'Europe des Etats. Je crois qu'ils se trompent, mais leur logique a son sens. D'autres se satisfont du chemin parcouru et se proposent de ne plus guère en bouger. Je crois aussi qu'ils se trompent et qu'ils sous-estiment le danger. Nous, nous croyons qu'il faut aller de l'avant et atteindre l'autre rive, celle d'une Europe enfin créée, entendue, respectée et solidaire.

Je le dis à M. de Villiers : cette Europe révélée à elle-même n'est pas la négation des nations, des cultures, des langues nationales. Elle est le seul moyen dont disposent les nations pour retrouver les attributs de la puissance confisquée, de la puissance interdite, de la puissance désormais hors de portée des Etats. Nous ne confondons pas la réalité nationale et la solitude impuissante de l'Etat-nation.

Si nous manquions à notre obligation, nous verrions s'exprimer des forces, jusque-là muselées, mais dont on voit la résurgence, et qui finiraient par avoir raison du projet européen. Ces forces de décomposition, j'en vois quatre : l'absence de réforme de nos institutions ; une pratique budgétaire contraire à l'esprit européen ; le triomphe du modèle de concurrence sauvage entre le Etats ; un élargissement mal maîtrisé.

Nos institutions ne supporteront pas longtemps le statu quo. Le maquis institutionnel des droits de vote tels qu'ils sont et de la composition de la Commission telle qu'elle est fait courir un risque de dérive très important.

La pratique budgétaire dans laquelle nous sommes entrés condamne l'Europe. La politique du "juste retour" inaugurée par Mme Thatcher est devenue une règle quasi-générale. "A chacun son chèque !", ou "tout ce que j'ai donné, il est normal que je le retrouve !", ce n'est pas une pratique communautaire : c'est la fin de la communauté et la fin de solidarités, notamment en direction des régions en crise, et des agriculteurs européens, et José-Maria Aznar a raison de le dire avec force.

C'est, en outre, une politique à courte vue. C'est bien le budget européen qui a financé l'essentiel du pont Vasco de Gama à Lisbonne, mais ce sont des entreprises françaises qui l'ont réalisé. Et plus le niveau de vie des pays les moins riches augmentera, plus nous serons à l'abri du dumping social et des chocs "asymétriques" -comme disent les économistes- dont nous risquons un jour ou l'autre de faire les frais. La réunification de l'Allemagne, fut-elle un gain ou une perte pour le reste de l'Europe ? Pour nous, elle fut un gain. La dénationalisation des contributions au budget européen s'imposera à tous, un jour ou l'autre, par transfert d'une ressource qui deviendra propre à l'Union, sans augmenter la dépense publique, mais sans que chacun puisse trouver prétexte à réclamer son chèque en retour.

L'Europe a besoin de prospérité, d'assouplissement. Mais elle a besoin aussi d'un modèle social qui s'oppose à tant de dérives comme celle de l'assistance qui marginalise des citoyens nombreux ; un modèle social fondé sur le travail, sa reconnaissance et sa multiplication, qui s'oppose aussi à une dérive ultra-libérale d'arbitrages toujours rendus en faveur des forces financières et non pas en faveur de la solidarité et du travail. Ce modèle social, cette troisième voie, justifie la construction européenne. C'est parce que l'Europe est la seule puissance capable de dialoguer avec les marchés sans être soumise à leur arbitrage que nous avons voulu la construire. Le monde du sport et notamment du football offre l'illustration de ce que l'Europe devrait être si elle portait un modèle de société et ne voulait pas le laisser pervertir par la seule loi de l'argent (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Enfin, il y a un risque sérieux si l'élargissement n'est pas maîtrisé. L'élargissement aux pays victimes du communisme, est un dû des chanceux de l'histoire à leurs frères malchanceux. Ces pays n'ont pas été communistes parce qu'ils l'ont choisi, mais parce qu'un inique partage du monde les a abandonnés à la puissance soviétique (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). Ils ont des droits sur nous. Mais nous avons un devoir : que ce droit ne s'exerce pas dans des conditions qui ruinent définitivement la maison dans laquelle ils souhaitent entrer. La réforme, c'est la condition de la survie de l'Europe.

Si nous demeurons au milieu du gué, le pire est probable. L'Europe, dotée d'une monnaie commune, mais privée des conditions qui permettent l'exercice d'une authentique volonté politique deviendra ce que ses ennemis voulaient qu'elle soit : une zone de libre-échange, où se donneront libre cours les concurrences nationales.

Son destin va se jouer dans les mois qui viennent. Puisse la ratification du traité d'Amsterdam être le dernier des prolégomènes à la naissance de l'Europe unie, dotée de volonté et de raison, protectrice de la réalité nationale, défenseur d'un modèle de société qui fasse du siècle qui vient le siècle de l'Europe ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

M. Gérard Charasse - Le traité d'Amsterdam représente, pour les radicaux de gauche, un pas supplémentaire vers la construction d'une Europe fédérale, que nous appelons de nos voeux depuis longtemps avec Pierre Mendès France et Maurice Faure. Certains Européens convaincu ont raillé ces textes qui semblaient mettre en place une Europe trop éloignée des citoyens. Avec le traité d'Amsterdam, l'Europe est en marche et elle sera d'abord, construite pour ses enfants. Parmi tous les points abordés, je privilégierai l'emploi, les dispositions sociales, la sécurité.

L'emploi restera, à l'évidence, du domaine des Etats. Nous continuerons, au sein de la majorité plurielle, à soutenir un Gouvernement dont les efforts considérables sont suivis de résultats. Mais le traité encadre les politiques de l'emploi des Etats. Il rappelle qu'il est indispensable d'atteindre un niveau d'emploi élevé. On a protesté ici contre les dispositions économiques et monétaires du traité de Maastricht. Par ses mécanismes précis, le traité d'Amsterdam fait de l'Europe la gardienne d'une politique globale de l'emploi. Il définit l'emploi comme une matière d'intérêt commun ; il vérifie que l'objectif emploi est atteint lors de la mise en oeuvre de toutes les autres politiques communes ; il prévoit un suivi constant de cet objectif ; chaque année, ces éléments sont rendus publics sur la base d'un rapport adopté au plus haut niveau.

Enfin, le Conseil des ministres examinera les actions en faveur de l'emploi et l'Europe pourra adopter des mesures incitatives pour le financement d'actions pilotes. Qui pourrait désormais dire que l'Union est uniquement celle des marchés ?

C'est aussi l'Europe sociale qu'Amsterdam continue de construire. L'accord sur la politique sociale européenne n'engageait que onze Etats. Avec l'élargissement ils furent quatorze ; avec l'arrivée au pouvoir des amis travaillistes tous les Etats membres y souscrivent désormais. Le texte peut être mis en oeuvre. Ses directions sont confirmées en ce qui concerne la Sécurité sociale, la protection des demandeurs d'emploi, le dialogue social, l'immigration et les charges sociales. Plus particulièrement, le traité renforce l'égalité entre hommes et femmes au travail.

D'autre part, y est inséré une clause concernant la non-discrimination qu'un de nos collègues défend depuis fort longtemps.

Le traité donne également un nouvel élan pour améliorer la sécurité quotidienne et la lutte contre la criminalité. Les radicaux n'ont jamais cru à la sécurité par le morcellement des territoires ou les entraves à la liberté de circulation. En revanche créer un grand espace où l'on circulerait librement en toute sécurité, est un défi qu'il nous semble possible de relever. Amsterdam y contribue de manière significative en renforçant Europol, en facilitant les modalités d'extradition de criminels entre Etats et en prévoyant l'adoption de sanctions minimales communes applicables aux délits les plus graves, criminalité organisée, terrorisme et trafic de drogue.

Qui peut encore dire que l'Europe n'avance pas ?

Enfin le traité confirme l'Union comme un partenaire de premier plan en matière de politique étrangère, ce qui simplement, garantit la paix.

La PESC conformément à la Charte des Nations Unies, est désormais inspirée par le principe d'intégrité territoriale.

Les Quinze vont pouvoir mener des missions de secours humanitaire et de maintien de la paix, celles que l'on appelle "les missions de Petersberg". La méthode de décision a également été revue.

La PESC gagne aussi en cohérence et en crédibilité car sa présidence sera désormais confiée à l'Etat membre exerçant la présidence de l'Union ; elle disposera d'un haut représentant, et d'une cellule de planification de la politique et d'alerte rapide.

L'adoption du traité renforcera donc le deuxième pilier. Au moment où nous nous interrogeons sur l'avenir de l'OTAN, cette position offensive de l'Union ne peut que servir la paix.

Reste néanmoins à réfléchir à l'intégration de l'UEO qui a été renvoyée à plus tard. D'autre part trop de décisions seront sacrifiées sur l'autel de l'unanimité, en particulier la clause de flexibilité.

Ce traité, même s'il est loin d'être totalement satisfaisant pour les adeptes d'une vraie Europe sociale, d'une Europe politique fédérale, d'une Europe ouverte et citoyenne, est un pas important sur le long mais bon chemin vers une Europe humaniste. Les radicaux voteront le texte.

La séance, suspendue le mercredi 3 mars à 1 heure, est reprise à 1 heure 10.

Mme Nicole Ameline - Depuis 1989 et la chute du Mur de Berlin, nous avons changé de siècle. Le temps n'est plus où notre continent partagé était le champ d'affrontement entre l'Est et l'Ouest. Auparavant, il avait été le théâtre de conflits incessants : jamais unie durablement, l'Europe l'avait toujours été par la force. La transition que nous vivons aujourd'hui, avec l'émergence de nouvelles démocraties désireuses de se joindre aux anciennes en pleine évolution, est donc sans précédent : plus qu'un élargissement, c'est l'unité retrouvé du continent, dans un esprit de démocratie.

Tout cela va déterminer l'Europe de l'an 2000. Or il est frappant de voir combien le traité qui nous occupe est en décalage profond par rapport à ce mouvement, en dépit des progrès qu'il marque pour la PESC, pour la communautarisation du troisième pilier et pour l'efficacité des processus de décision. C'est donc en pensant à Jean Monnet, pour qui il était exclu de s'arrêter quand le monde autour de soi est en mouvement, que nous approuverons ce progrès limité mais concret.

En effet, ce qui est en jeu aujourd'hui, c'est à la fois la restructuration interne de l'Union et le renforcement de son rôle dans le monde. La première passe par une réforme des institutions : chacun voit bien que la loi du nombre est devenue contre-productive et que les dysfonctionnements aggravés au fil des élargissements, de l'inflation législative et réglementaire et de la complexification des procédures, risquent véritablement d'enrayer la mécanique européenne. Mais, cette réforme change de dimension si on l'intègre dans la perspective de l'élargissement : nécessaire à ce dernier, elle ne doit pas le retarder. Nous sommes donc très favorables à l'amendement proposé par le Gouvernement, sur les instances de M. Giscard d'Estaing en particulier. Il est de l'intérêt de tous les membres actuels ou futurs de l'Union que le cadre et les règles du jeu soient parfaitement établis pour les prochaines adhésions. Cette réflexion ne peut que précéder l'élargissement, par conséquent, même si rien n'exclut d'y associer ceux qui partageront demain notre destin. Il faut donc établir une méthode et un calendrier. J'ai noté que des initiatives devaient être prises dans les semaines et les mois à venir, mais il est essentiel que la France reste, avec l'Italie et la Belgique, à l'avant-garde du mouvement.

Si l'action européenne de la France s'inscrit dans la continuité, comme le Président de la République vient de le rappeler avec force, il est clair que la question centrale pour les années à venir est de déterminer quelle Europe nous voulons. Politique, le projet européen obéit à quatre exigences : réussir l'élargissement et la réunification du continent ; créer un espace de liberté, de sécurité, de stabilité, de paix et de prospérité économique ; rendre plus efficaces et démocratiques nos institutions ; enfin, préserver la diversité des traditions et des cultures.

Ce qui nous sépare, Monsieur le ministre délégué, c'est que, pour nous, le renforcement indispensable de l'union politique ne peut se résumer à la transposition de nos modèles nationaux. Nous refusons toute dérive vers un super-Etat, dans la mesure où nous souhaitons réduire le poids de ce même Etat à l'échelon national. De la même façon, nous refusons le super-impôt européen auquel vous semblez favorable, tout comme nous voulons réduire le poids des charges et des prélèvements dans notre pays. Là où vous préconisez un élargissement des compétences européennes, nous condamnons l'interventionnisme croissant des institutions. Et quand vous prônez l'Europe de l'emploi, nous déplorons que nos entreprises soient insuffisamment soutenues dans leurs efforts de compétitivité. Nous sommes clairement pour une Europe recentrée sur ses missions essentielles, gagnant ainsi en autorité alors qu'à vouloir s'occuper de tout, elle ne serait plus capable de rien.

Je crains qu'à l'inverse de la philosophie de Condillac qui visait à animer les statues, cette logique conduise à la paralysie. Il faut privilégier une architecture européenne souple, appuyée sur la redéfinition du partage des compétences, sur une nouvelle pondération des voix au sein du Conseil et sur une plus grande implication des parlements nationaux. L'Europe a, en effet, autant à gagner du renforcement de sa présence dans le monde que de sa réorganisation interne. J'en veux pour exemple la PESC : l'Europe ne peut plus se contenter de se taire d'une seule voix, ni se satisfaire d'être politiquement et militairement absente de la prévention et du règlement des conflits. Or le traité d'Amsterdam renforce ses possibilités d'action en mettant à sa disposition de nouveaux instruments. On ne peut que s'en féliciter, à quelques mois de la célébration du 55ème anniversaire du Débarquement sur les plages de Normandie, anniversaire qui marque la plus longue période de paix de notre histoire.

Outre ses dimensions politique et économique, l'Europe a une dimension sociale bien sûr, mais aussi spirituelle. A ce titre, sans être un modèle, comme le rappelle le Président Havel, l'Europe a des valeurs à exporter : valeurs que sont la liberté, la paix et la démocratie. Cet héritage commun devra nous guider dans la poursuite de l'édification européenne, que nous devons mener avec autant de pragmatisme que d'humilité car, comme le souhaitait déjà le général de Gaulle, il n'est pas de formule magique qui permette de construire l'Europe. Soyons donc réalistes : ensuite seulement nous pourrons nous bercer de contes (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Mme Monique Collange - L'Union européenne, née pour assurer paix, sécurité et prospérité à tous les citoyens, compte à son actif des résultats importants, dont le lancement de l'euro. Cependant, les objectifs qu'elle poursuit ne répondent pas encore aux attentes de nos concitoyens. L'Europe a besoin d'un lifting, d'une réforme radicale.

Le 18 janvier déjà, à une très grande majorité, nous nous sommes prononcés en faveur de la modification de notre Constitution en vue de ratifier ce traité. Mais, même si le résultat du scrutin ne sera pas une grande surprise, je souhaite, en m'appuyant sur le volet social, vous exposer les raisons pour lesquelles nous devons voter pour cette ratification.

Nous savons tous que le lien entre progrès économique et progrès social est un élément de l'identité européenne dont on trouve trace dans les traités communautaires depuis l'origine, tant dans le traité relatif à la CECA, qui fait une large place à la consultation des organisations syndicales, que dans le traité de Rome, qui pose le principe de l'égalité entre hommes et femmes et qui institue un "fonds social".

La politique sociale, au-delà des oppositions traditionnelles entre syndicats de salariés et organisations patronales, a toujours fait l'objet d'un consensus, hormis lors des débats sur le projet de charte sociale adoptée en 1989, et plus encore sur le chapitre social du traité de Maastricht qui avait fait apparaître une divergence de vues entre le Royaume-Uni et ses onze partenaires. Pour la première fois dans l'histoire de la Communauté, la politique sociale provoquait une crise majeure.

Les choses ont considérablement changé comme le montre l'attitude de l'ensemble des partenaires face à la volonté de la France de voir mettre en place une politique sociale et d'inclure un chapitre sur l'emploi dans le traité d'Amsterdam.

Pourtant, force est de constater que la ratification suscite encore de nombreuses interrogations légitimes puisque ce traité reste imparfait. Mais ne nous y trompons pas : sa ratification est nécessaire, et la refuser serait suicidaire.

La France ne peut rester au bord du chemin. Elle est un des moteurs principaux de la construction européenne. Y renoncer aujourd'hui reviendrait à faire une croix sur les innombrables progrès réalisés depuis cinquante ans à son initiative.

La ratification marquera une étape importante, par laquelle nous établirons que l'Europe ne se résume pas à l'euro et que nous avons maintenant les moyens d'affirmer une volonté politique face aux marchés financiers.

Le gouvernement de Lionel Jospin a su, avec intelligence, réaffirmer ce que devait être la construction européenne. Il a été écouté et c'est ainsi qu'ont pu être mises en valeur certaines dispositions du traité, notamment celles qui concernent les droits des citoyens, l'emploi et les questions sociales.

Enfin, l'Europe se recentre sur sa vocation première, celle d'un projet politique ; enfin, des marges de manoeuvre existent !

Le traité comporte des avancées encore insuffisantes certes, mais qui offrent un espoir et, surtout, la possibilité de faire davantage. Les mesures et les orientations définies doivent nous permettre de faire progresser l'Europe sociale, tant attendue par nos concitoyens, qui ne peuvent plus accepter dix-huit millions de chômeurs. Il n'y a certes pas de quoi pavoiser, mais des orientations politiques communes et des lignes directrices sont tracées par pays, en ce qui concerne l'emploi et ce chapitre, incorporé au traité, marque un nouveau départ.

Chaque Etat membre reste maître de sa politique, mais il l'inscrira désormais dans une stratégie européenne coordonnée. Le social rejoint ainsi l'économique, enfin placés sur un pied d'égalité. Enfin la recherche d'un haut niveau d'emploi s'inscrit parmi les grands objectifs de l'Union.

Bien sûr, ces quelques articles nouveaux ne suffiront pas à résoudre le problème du chômage mais je suis convaincue que coordonner les meilleurs politiques et favoriser le débat, à l'échelle européenne, entre les partenaires sociaux c'est améliorer durablement la situation de l'emploi.

L'autre priorité, indissociable de l'emploi est celle des droits sociaux, qui figurent désormais dans le préambule du nouveau traité, ce dont nous nous félicitons. Mais plus significative encore est l'intégration, dans le corps du traité du protocole sur la politique sociale issue de Maastricht.

Ces questions fondamentales doivent maintenant être abordées par les partenaires sociaux et par les autorités publiques, à tous les niveaux.

La lutte contre l'exclusion et la pauvreté, qui concerne des dizaines de millions de personnes, doit nécessairement compléter les efforts menés pour relever ces défis. Le traité d'Amsterdam donne des gages à ce sujet puisque la lutte contre l'exclusion sociale trouve enfin une base juridique, grâce à laquelle des mesures incitatives pourront être mises en oeuvre.

De même, des mesures visant à faire respecter le principe de l'égalité des chances et de traitement entre les hommes et les femmes pourront être adoptées, et tout ressortissant de l'Union pourra saisir la Cour de justice s'il considère qu'un Etat membre viole ses droits fondamentaux.

Les principes de liberté, de démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui fondent l'Union en seront renforcés. Le traité de Maastricht a conféré à chaque citoyen ayant la nationalité d'un Etat membre des droits précis que le traité d'Amsterdam renforce, notamment par l'introduction d'une clause visant à combattre toute discrimination. En fait, le traité nous permet de repenser les moyens de l'égalité sociale. Il reconnaît, en outre, le rôle des services publics, synonyme de cohésion sociale et territoriale, qui s'inscrivent désormais dans le cadre des "valeurs communes de l'Union"

L'idée européenne ne doit plus être synonyme de la réduction des déficits au seul prix du chômage. Une approche sociale progressiste s'impose pour assurer la pérennité de la construction européenne. Le traité d'Amsterdam nous offre cette possibilité.

S'il est vrai que, jusqu'à présent, nous nous sommes seulement efforcés d'atténuer les effets déstabilisateurs de la construction européenne sur les mécanismes nationaux de régulation, il est grand temps de travailler autrement. J'ai la réelle conviction que ce traité nous le permettra. Il nous reste à améliorer cet outil, et à élaborer en commun un nouveau modèle de développement. A nous de le conquérir, à nous de le faire vivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Guy Hermier - Après Jean-Claude Lefort je tiens à insister sur les raisons qu'a le groupe communiste, dans sa diversité, de voter contre la ratification du traité d'Amsterdam.

Le Gouvernement a commis une erreur lourde de conséquence en signant, à l'été 1997, le projet de traité qu'il soumet aujourd'hui à la ratification de notre Assemblée. Cette décision allait à l'encontre des engagements pris pendant la campagne électorale, engagements que la situation politique nouvelle, en France et en Europe, aurait dû conforter.

La question n'est évidemment pas de savoir si l'on est "pour" ou "contre" la construction européenne. J'ai, pour ma part, la conviction que l'Europe est une nécessité. Les nations européennes restent un lieu central d'expression et d'exercice de la citoyenneté mais, face à la concentration du capital elles sont confrontées à l'érosion de leur indépendance.

L'Europe peut être, pour les peuples qui la composent un moyen de retrouver cette part de souveraineté qui leur échappe, de se réapproprier les choix dont dépend leur destin.

Encore faut-il, face aux désastres sociaux et aux fragilités financières de l'Europe libérale, faire prévaloir le choix d'une avancée sociale et démocratique de l'Europe. Tel n'est pas le sens du traité d'Amsterdam.

Il comporte, certes, quelques timides et parfois discutables dispositions en matière d'emploi, de politique sociale et étrangère ; il étend le pouvoir de co-décision du Parlement européen ; il engage un transfert de compétences dans le domaine de la circulation des personnes au sein de l'Union, mais son adoption est indissociable du pacte de stabilité qui vise à pérenniser les critères de convergence édictés par le traité de Maastricht pour le passage à la monnaie unique, avec les conséquences que l'on sait en termes de rigueur budgétaire, de discipline monétaire et leurs corollaires, le chômage, la précarité, la flexibilité sociale.

Cette constitutionnalisation de la politique économique libérale est d'autant plus grave que le traité d'Amsterdam fait l'impasse sur la réforme des institutions qui était pourtant son objet. Il laisse le champ libre à une banque centrale européenne sans aucune légitimité démocratique.

Il comporte enfin le risque qu'avec l'élargissement l'Union se transforme en une simple zone de libre-échange.

Le traité d'Amsterdam s'inscrit donc dans le droit fil d'une construction européenne profondément marquée par les choix libéraux et source d'un véritable déficit social et démocratique. Monsieur le ministre, il ne fallait pas signer ce traité, il ne faut pas le ratifier.

La poussée social-démocrate, le désarroi de la droite libérale, le regain du mouvement social ont sensiblement changé la donne politique en Europe. Cela se traduira-t-il par un social-libéralisme prônant la poursuite de la logique du marché, de la libre concurrence, du recul de l'espace public et limitant l'intervention publique à la régulation a minima des relations sociales afin d'éviter les réactions les plus explosives ? Ou bien s'engagera-t-on dans une voie plus radicalement transformatrice de la construction européenne ?

Continuera-t-on à accepter le découplage meurtrier entre l'économique et le monétaire d'une part, le social et le politique de l'autre ? Va-t-on au contraire affirmer, dans le respect des identités nationales, un pôle politique européen profondément démocratisé, sans lequel il n'y a pas d'efficacité ni de contrôle de la Banque centrale européenne ?

En refusant de ratifier le traité d'Amsterdam, nous faisons le choix d'une réorientation progressiste de la construction européenne, le choix d'une Europe sociale, démocratique et solidaire, car ce qui vaut pour l'Europe vaut pour la France (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Michel Suchod - Après le débat sur la souveraineté du 18 janvier, nous abordons le débat de fond sur le traité d'Amsterdam lui-même.

Je suis fasciné que ce traité puisse avoir d'aussi chauds partisans, des zélotes, des grands prêtres qui le desservent comme ils ont desservi Maastricht. Excès d'honneur...

Pour autant, je ne tomberai pas dans l'excès d'indignité, même si un membre du Gouvernement -un ministre de nos amis, comme l'on dit- a pu déclarer à Perpignan le 24 août 1998 "ce traité n'est-il pas trop nul pour qu'on le combatte ?"...

La tare majeure, le péché originel du traité est d'être absolument détourné de ses objectifs, pourtant clairement fixés par le Conseil de Florence des 21 et 22 juin 1996.

Le premier était de rapprocher l'Union de ses citoyens. Je ne parle pas de la renumérotation des articles, apte à rendre le traité plus lisible, mais de cet exercice formel, la construction d'un catalogue de grands principes, abondamment réaffirmés depuis 1789... Même les dispositions relatives à l'emploi restent largement incantatoires, mais n'est-ce pas le cas à chaque fois que l'on aborde un sujet sérieux ?

Deuxième objectif : construire un espace de sécurité, de justice, de liberté. Les risques sont là réels avec les procédures mises en place, les propositions qui sont faites, comme les quotas en cas d'afflux massif de population étrangère, le passage dans 5 ans à la majorité qualifiée.

A-t-on sur ces sujets une vision commune ? A-t-on réfléchi aux politiques d'immigration communes, au droit de la nationalité -je salue à ce propos la réflexion de nos amis allemands sur le droit du sol. Non, bien sûr, puisque c'est au sommet de Tampere, le 15 octobre, que l'on se penchera enfin sur la Jaï -justice et affaires intérieures.

Je serai bref sur le troisième objectif : renforcer et élargir la portée de la PESC. M. Long qualifiait dimanche le futur M. PESC de "ministre de affaires étrangères de l'Europe". Qu'en pense M. Védrine ? Mieux vaudrait d'abord élaborer un véritable projet politique. Faut-il camoufler sous des discours d'apparence européiste un soutien évident à la mise en oeuvre de la politique américaine...

L'objectif essentiel du traité, la réforme des institutions, est encore une fois repoussé. La mécanique prévue pour 6 puis 9, puis 10, puis 12 est usée. Elargir encore l'Union dans ces conditions serait impossible. Or, le traité se contente d'une nouvelle fuite en avant en prévoyant dans un protocole additionnel un dispositif permettant d'admettre cinq nouveaux membres sans réforme préalable.

Pour toutes ces raisons, nous ne ratifierons pas ce traité.

Cependant, nous souhaitons que ce cycle négatif entamé avec le traité de Maastricht s'achève au plus vite. Je suis parmi les plus chauds partisans d'une nouvelle politique européenne.

Pourquoi ne pas établir avec la nouvelle Allemagne une vraie politique de croissance et d'emploi ? Pourquoi ne pas donner à la banque centrale de Francfort la mission non seulement de maintenir la monnaie mais aussi de préserver l'emploi ? Pourquoi ne pas réfléchir ensemble aux institutions de demain et aux politiques communes aptes à fonder l'Union du XXIème siècle en rapprochant la construction européenne des citoyens ?

Pour un tel nouveau cycle, le Gouvernement pourrait compter sur mes amis du Mouvement des Citoyens (Applaudissements sur quelques bancs du groupe communiste)

M. Alain Barrau - La gauche française dans sa diversité doit contribuer au progrès d'une Europe qui se mobilise contre le chômage et dont le modèle social se distingue de celui des Etats-Unis. Le traité d'Amsterdam permet-il d'aller dans ce sens ?

Le nouveau gouvernement français devait-il ratifier un traité négocié par son prédécesseur de droite et qui reprenait le pacte de stabilité de l'accord de Dublin ? Il a eu selon moi raison de considérer qu'il s'agissait d'un engagement de la France et de consacrer ses efforts à faire en sorte que l'énergie consacrée précédemment à la construction communautaire soit désormais mobilisée sur un objectif qui doit réunir la majorité plurielle : faire en sorte que l'Europe fasse de la lutte contre le chômage une priorité.

Le travail a payé et l'inscription d'éléments du pacte pour l'emploi a ensuite permis le sommet de Luxembourg. Une nouvelle mécanique était ainsi enclenchée.

Des instruments sont nécessaires ; j'invite ceux qui s'intéressent à cette question à examiner ce qui se dit et se fait en matière de financement des grands travaux européens ou de baisses de TVA ciblées. Cette réorientation n'est pas au centre du traité d'Amsterdam mais elle est pour celui-ci un atout.

En matière institutionnelle, l'apport du traité d'Amsterdam n'est pas à la mesure de ce que nous souhaitions, mais il n'est pas nul : le renforcement du Parlement européen dans la procédure de codécision, le rôle donné aux Parlements nationaux constituent des pas en avant, même si l'on est encore loin du niveau de démocratie nécessaire.

Plus vite nous réglerons ces questions institutionnelles, mieux cela vaudra ; il ne faudrait pas laisser croire que la France les mettrait en avant pour retarder l'élargissement : la réforme institutionnelle est nécessaire dès à présent, à quinze. Il me semble en particulier qu'il faudrait renforcer le rôle du Conseil.

Enfin, j'ai du mal à comprendre comment le traité d'Amsterdam, qui à l'évidence constitue une avancée sur les questions d'environnement, n'est pas soutenu par certains collègues de la majorité plurielle qui sont sensibles à ce sujet.

L'Alliance cherche une tête de liste ; la majorité plurielle, de son côté, a droit au débat ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Marie-Hélène Aubert - C'est une spécialité -peu glorieuse- de notre pays d'être parmi les derniers à ratifier les traités et grandes conventions internationales. Nous sommes aujourd'hui appelés à nous prononcer par oui ou par non sur un traité aussi jargonnant que celui de Maastricht, et que tout le monde s'accorde à trouver bien faible. Fatigués de ces simulacres de démocratie, les Verts ont décidé d'exprimer leur refus d'une politique de petits pas aussi laborieuse qu'inefficace. Et la démagogique déclaration du Président de la République sur un paradis européen qui ne coûterait pas un centime de plus ne paraît pas de nature à relancer le débat...

Citoyens du monde, résolument pro-européens, les Verts ont voté sans hésitation pour le passage à l'euro et la modification de la Constitution qui permet les transferts de souveraineté. Mais ce ne sont que des outils, qui peuvent être utilisés pour le meilleur comme pour le pire.

L'Europe est le fruit de la volonté de quelques responsables politiques et de quelques hauts fonctionnaires, dont on oublie souvent qu'ils travaillent sous mandat des gouvernements. Son développement s'est fait hors de tout processus démocratique, par une gestion technocratique des dossiers. Nous avons besoin d'une véritable Constitution européenne et d'un débat très large sur le projet européen. L'article 2, proposé par le Gouvernement sur la suggestion des parlementaires est un peu dérisoire.

Par ailleurs, le traité d'Amsterdam permet-il de construire une Europe sociale, écologique, capable d'affirmer son souci d'un développement humain, face à un libéralisme qui sacralise le marché ? L'Europe veut-elle s'adapter par avance aux diktats d'une organisation mondiale du commerce, qui est de plus en plus une organisation commerciale du monde, imposée par les lobbies américains, ou est-elle capable d'imposer des règles sociales et environnementales harmonisées par le haut ?

La discussion en cours sur l'Agenda 2000 et la réforme de la PAC ne laisse augurer rien de bien enthousiasmant. Chaque Etat, y compris la France, n'a de cesse de prôner la rigueur budgétaire et le juste retour de sa contribution, tout en s'accrochant à ses acquis. Comment croire qu'une Europe forte, solidaire, développant des politiques communes, pourrait se faire à budget constant ?

Ce n'est qu'en refondant démocratiquement les institutions et en donnant à l'Union des objectifs clairs qu'il sera possible de l'élargir rapidement aux pays candidats qui respectent les droits de l'homme. Il y a urgence, car les menaces de conflits sont nombreuses. Notre pingrerie et notre aveuglement coûteront encore plus cher demain, en argent et en vies humaines. Combien faudra-t-il de Kosovo pour que nous le comprenions ?

Le seul élargissement réussi sera-t-il celui de l'OTAN, qui consiste à imposer l'achat d'armes américaines à des pays qui ont pourtant bien d'autres priorités ?

Bien sûr, certaines dispositions de ce traité sont encourageantes. Mais, l'Europe a davantage besoin d'élan, de volonté politique et de générosité que de textes souvent incompréhensibles. Il est temps de répondre aux aspirations des citoyens européens. Nous avons une chance historique à saisir, alors que 13 pays sur 15 sont gouvernés par des majorités socialistes ou social-démocrates, avec le soutien ou la participation des Verts. Dans le contexte précédent, dominé par une droite néo-libérale, le traité d'Amsterdam, comme celui de Maastricht, pouvait apparaître comme mieux que rien ; dans le contexte d'aujourd'hui, c'est plutôt un coup pour rien.

A quand un nouveau traité fondateur pour les Etats-Unis des citoyens d'Europe ? Alors, laissons tomber Amsterdam, et construisons enfin une Europe à visage humain ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe communiste)

M. Julien Dray - La festive naissance de l'euro n'y aura rien changé : pas plus aujourd'hui que lors de la révision constitutionnelle, je ne parviens à me persuader qu'il faut ratifier le traité d'Amsterdam.

La monnaie unique n'est qu'un instrument ; ce qui importe, c'est la façon dont l'euro sera utilisé. Or, force est de constater que rien ne différencie sa gestion de celle du mark et du franc.

La politique de change et de taux d'intérêt qui est en vigueur depuis plus de dix ans a fait maintes fois la preuve de son inefficacité face au chômage. Fondée sur la doctrine de l'inflation zéro, version excessive et rejeton illégitime du monétarisme, et associée au conservatisme budgétaire du pacte de Dublin, elle bride les potentialités de croissance du continent.

Or, ce qui était jusqu'alors présenté à tort comme la seule option possible pour parvenir à l'unification monétaire, devient, avec le traité d'Amsterdam, la seule politique possible ad vitam aeternam.

Car c'est bien le traité d'Amsterdam qui met en place cette constitution économique indépassable, composée du sacro-saint principe d'indépendance de la Banque centrale et du mécanisme ultra-contraignant du pacte de stabilité budgétaire ! C'est encore lui qui ne prévoit, pour tout pouvoir politique qu'un fantomatique et confidentiel "conseil de l'euro" entérinant ainsi le vide démocratique européen.

Ces règles rigides n'ont qu'une finalité : libérer la sphère économique et financière de toute règlementation sociale, en interdisant l'utilisation des instruments de politique économique. Or, je suis de ceux qui pensent encore que la croissance et l'emploi dépendent directement de la politique macro-économique, c'est-à-dire des orientations monétaires et budgétaires. Ces deux leviers étant paralysés, l'un par le principe même d'indépendance de la Banque centrale, l'autre par le mécanisme des 3 %, il devient donc illusoire de prétendre faire face au chômage de masse.

Le sommet européen de Luxembourg en est l'aveu, car son élément novateur n'est pas tant qu'il y ait été question de l'emploi en Europe, mais que celui-ci soit envisagé indépendamment de la politique économique. Ainsi, la détermination du niveau des déficits et des taux d'intérêts est de compétence européenne, dans le respect de l'indépendance et du pacte de stabilité bien entendu, tandis que l'emploi, relevant prétendument des politiques sociales, reste de compétence nationale. En d'autres termes les Etats-Nations ont la responsabilité de la lutte contre le chômage, mais les traités leur retirent leur souveraineté monétaire et budgétaire qui leur permettrait justement de mener une politique économique favorable à l'emploi.

Nous ferions une erreur en attribuant cet apparent non-sens économique aux balbutiements de l'UEM : la séparation entre l'économie et le politique d'bord, entre l'économie et l'emploi ensuite, est volontaire. Elle est l'expression d'un projet de société dont les fondements idéologiques sont clairement libéraux.

En élaborant ce modèle de la séparation symbolisé par la coexistence d'Amsterdam et de Luxembourg, les forces économiques dominantes sont en mesure de proclamer que le chômage n'est plus la conséquence d'un dysfonctionnement de l'économie mais celle d'un dysfonctionnement du marché du travail, voire d'une inadaptation du salariat. La route est ainsi libre pour des politiques dites de "réformes structurelles", appellation socialement correcte de la flexibilité. Les conclusions du sommet d'Amsterdam et du sommet social de Luxembourg prévoient d'ailleurs que les Etats devront "renforcer l'adaptabilité de leur main-d'oeuvre" et "moderniser leurs systèmes de protection sociale pour qu'ils pèsent moins sur le coût du travail". On encense ceux qui, en Europe, ont d'ores et déjà opté pour un tel projet de société. On érige en modèle le système hollandais, qui considère 10 % de la population active comme handicapée pour faire baisser les statistiques du chômage. On vante la "troisième voie" britannique qui tolère que l'on puisse travailler 70 heures par semaine !

C'est cette vision du monde, qui aboutit à la constitution d'un marché du travail jetable, que l'on nous propose d'avaliser en ratifiant le traité d'Amsterdam. Et c'est cela que je me refuse à faire, car une telle logique est aux antipodes de l'idée que je me fais du modèle social européen, protecteur des salariés, et bénéfique à la croissance comme à l'emploi.

Un tel modèle social ne pourra exister que si émerge enfin un véritable pouvoir politique européen, qui ait autorité sur la sphère économique et sociale. Perspective lointaine, certes, mais non inaccessible, car je vous invite tous à vous poser cette simple question : au nom de quelle bizarrerie de l'esprit serait-il plus difficile de construire un pouvoir politique démocratique que de remettre sans contrôle à quelques banquiers élus par personne des pouvoirs équivalents à ceux d'un conseil des ministres ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

Mme Béatrice Marre - Nul n'ignore que la majorité est plurielle et que le parti socialiste est pluraliste. Guy Hermier, d'abord, puis Julien Dray, dans son langage direct, viennent de nous le rappeler.

Je crois toutefois que ce dernier, une fois de plus, entretient la confusion en attribuant au traité d'Amsterdam ce qu'il ne comporte pas -le pacte de stabilité- et en oubliant au passage, d'une part que le sommet d'Amsterdam a permis à la majorité nouvellement élue de rééquilibrer la construction européenne en faveur de l'emploi et d'autre part que l'indépendance monétaire n'est que l'application du traité de Maastricht qu'il avait, en revanche, accepté. La seule critique pertinente que l'on puisse relever dans vos propos, cher Julien, concerne le déficit démocratique de l'Europe, que ne comble pas le traité, même s'il comporte des avancées dans ce domaine.

Deux des trois volets essentiels du traité d'Amsterdam réaffirment la volonté commune d'instituer une Union plus proche des citoyens, notamment par la mise en place d'un nouvel espace de liberté et de sécurité et par le renforcement considérable des pouvoirs du Parlement européen. J'aborderai, pour ma part, un aspect peu évoqué jusqu'ici : celui de la cohérence des nouvelles politiques communautaires avec les préoccupations des citoyens européens, et j'illustrerai mon propos par trois exemples : l'environnement, la santé publique, l'égalité entre les hommes et les femmes.

S'il est indéniable que les Etats membres ont manifesté, notamment depuis l'Acte unique, un certain intérêt pour les enjeux environnementaux et de santé publique, il aura fallu attendre une douzaine d'années pour qu'ils soient élevés au rang d'objectifs de la Communauté européenne, consacrés comme tels par le traité d'Amsterdam.

L'une des raisons de la réforme de la PAC est d'ailleurs la nécessité de rééquilibrer notre principale politique commune en mettant l'accent sur le développement rural et sur la préservation des ressources naturelles. Je comprends donc mal, mon cher Julien, comment on peut refuser de reconnaître la place nouvelle réservée, dans ce traité et dans les autres débats communautaires, aux aspirations des citoyens.

Le traité d'Amsterdam fait référence au développement durable dès son Préambule et dans le nouvel article 1er du traité sur l'Union européenne. Il amende les articles 2 et 6 du traité sur la Communauté européenne pour intégrer la protection de l'environnement dans toutes les politiques communautaires et, surtout, dans le champ de la codécision avec le Parlement européen.

Dans un second domaine, qui correspond aussi à une préoccupation croissante des citoyens européens, celui de la santé publique et de la protection du consommateur, le traité d'Amsterdam comporte, également, des avancées importantes. Consacrée comme objectif général par l'article 129 nouveau du traité sur la Communauté européenne, la protection de la santé publique devra également être assurée dans la définition et la mise en oeuvre de toutes les politiques et actions de l'Union européenne.

Enfin, le principe de l'égalité des chances et de traitement entre les femmes et les hommes en matière de travail et d'emploi peut désormais, grâce à l'article 141 nouveau du traité d'Amsterdam, faire l'objet, pour sa mise en oeuvre, de mesures spécifiques, et ce, une fois encore, dans le cadre de la procédure de codécision. Sur ce sujet, d'ailleurs, le Président de la République a pris une position tout aussi claire que celle qu'il vient de réaffirmer, cet après-midi en faveur de la construction européenne.

Pour toutes ces raisons, je crois la ratification du traité, si modeste et peut-être médiocre qu'il soit, nécessaire et souhaitable, afin de permettre à l'Union européenne de poursuivre sa marche vers l'Europe sociale et politique que nous appelons de nos voeux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Paul Dhaille - L'Assemblée nationale s'apprête à ratifier le traité d'Amsterdam. Le texte de celui-ci est à ce point illisible que le débat s'est déplacé de son contenu concret vers des positions de principe.

Les socialistes ont toujours été européens. Il faut le répéter : la construction européenne est un gage de paix, même si l'Europe fait douter de sa capacité à agir de façon cohérente sur la scène internationale. Nous n'avons cessé de dire, en outre, que l'Europe est le cadre pertinent pour lutter contre les effets dévastateurs de la mondialisation et contre la propagation du modèle ultra-libéral anglo-saxon. Mais force est de reconnaître qu'elle n'y a guère réussi : dérégulation et flexibilité ont entraîné, comme ailleurs, chômage, exclusions et injustices.

Négocié par l'ex-majorité de droite, le traité d'Amsterdam s'inscrit dans une perspective libérale même si le gouvernement de Lionel Jospin a obtenu d'y faire figurer deux nouveaux chapitres sur la politique sociale et l'emploi. Ces dispositions sont positives à maints égards, mais le problème est que tout ce qui met en concurrence les salariés européens entre eux est exclu du champ communautaire, et en particulier les charges fiscales et sociales. Or, c'est justement sur ces points que la concurrence est la plus vive entre pays européens, concurrence que les patrons ont bien intégrée dans leur stratégie. Les délocalisations ne relèvent pas du fantasme. Il est donc dérisoire de croire que les dispositions sociales du traité aient une efficacité quelconque pour lutter contre le dumping social et le démantèlement du modèle social en Europe.

Pour l'emploi, la flexibilité est au coeur de la politique communautaire. Selon le premier paragraphe du titre VIII, articles 125 à 130, les Etats membres et la Commission s'attachent à élaborer une stratégie coordonnée et en particulier à promouvoir une main-d'oeuvre qualifiée et susceptible de s'adapter à l'évolution de l'économie, en vue de la rentabilité ! Elégante façon de défendre l'extension de la flexibilité synonyme de précarisation croissante des salariés. Déjà le sommet de Luxembourg en 1997 traçait les lignes directrices de cette politique de l'emploi qui se résume à : employabilité, esprit d'entreprise, capacité d'adaptation et égalité des chances. Le choix de ces termes augure mal de la politique économique que comptent mener les pays de l'Union.

Les prescriptions de politique économique et monétaire -titre VII, articles 98 à 124- sont dans la droite ligne du traité de Maastricht. Les critères de convergence n'ont en fait rien de transitoire. La rigueur et la stabilité des prix figurent ainsi dans le volet économique. Le traité d'Amsterdam ne modifie pas le traité de Maastricht qui formalise le libéralisme comme vérité indiscutable. En revanche rien n'est prévu pour faire de l'euro un instrument de relance et le Conseil de l'euro n'est pas mentionné. Il a un caractère purement formel. Quant au pacte de stabilité qui établit à 3 % de déficit public le plafond absolu et prévoit des sanctions financières en cas de non-respect, sans être intégré dans le traité, il a été adopté dans les conclusions de la présidence. Certains demandent même l'intégration du pacte de Dublin dans le traité.

Un volet social plein de bonnes intentions mais qui exclut l'essentiel ; un volet emploi qui ne correspond pas à notre conception du monde du travail ; un volet économique qui fixe les 3 % du déficit public comme toujours indépassable ; un volet institutionnel totalement absent. Devant ce constat, que faire ?

Voter contre serait mêler nos voix à celles des nationalistes. Or nous avons voté la réforme de la Constitution et nous pensons que l'Europe est le cadre pertinent des luttes sociales face à la mondialisation de l'économie. Voter contre ce serait condamner l'action du Gouvernement qui, défendant un traité qu'il n'a ni négocié ni souhaité, va infléchir la politique européenne. Voter pour serait laisser penser que nous cautionnons le cours de la politique européenne exprimé par le traité d'Amsterdam qui reste fondé sur l'idéologie libérale. Aujourd'hui socialistes et sociaux-démocrates gouvernent en Europe. Mais les victoires électorales ne sont pas toujours des victoires politiques. Les Européens votent à gauche mais l'Union européenne reste profondément libérale. Le contenu du traité d'Amsterdam ne dément pas ce constat paradoxal.

Mme Marie-Hélène Aubert - Très bien !

M. Gérard Fuchs - Plutôt que de revenir sur les raison de voter le traité, j'insisterai sur la réforme institutionnelle qui en est finalement la grande absente. Cette situation sera de plus en plus grave et il faut y porter remède.

Pourquoi construire l'Europe ? Pour exercer en commun nos souverainetés nationales lorsque nous ne parvenons plus à les exercer seuls. Encore faut-il qu'il existe une capacité de décision collective, sinon il ne sert à rien de prendre la décision à Bruxelles plutôt qu'à Paris. On parle beaucoup de transparence. Elle serait néfaste à l'Union européenne si elle devait simplement révéler son inefficacité. J'ai peur que ce soit un peu le cas.

Avoir une capacité de décision, c'est pouvoir décider à la majorité. En effet, l'unanimité est synonyme de paralysie. J'en prendrai deux exemples. Il existait en 1981 un projet de directive sur les comités européens d'entreprise. Elle est restée sur la table jusqu'en 1993 faute de réunir l'unanimité. Avec le traité de Maastricht et le protocole social, permettant de décider à la majorité dans ce domaine, en moins de dix huit mois furent créés des comités d'entreprise européens dont le bilan est positif.

De même il existe depuis 1989 un projet de directive instituant une retenue à la source sur les revenus financiers. Dix ans plus tard rien n'est fait et j'ai peur que tant que l'unanimité subsistera on ne parvienne à aucun résultat. Avec l'unanimité, c'est le moins disant qui fait la loi collective. Je suis donc fermement convaincu qu'après Amsterdam un nouveau traité est nécessaire pour introduire un vote à la majorité systématique, avec ces nuances -majorité plus qualifiée en matière fiscale, abstention constructive sur la défense.

J'attache une grande importance à l'article 2 du projet. S'il n'est pas juridiquement contraignant, il est politiquement essentiel car il affirme notre volonté d'aller au-delà d'une Europe du marché, vers une Europe politique sans laquelle les souverainetés nationales seront de plus en plus illusoires, sans laquelle demain les financiers nous gouverneront (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

MOTION D'AJOURNEMENT

M. le Président - J'ai reçu de M. Sarre et d'un certain nombre de ses collègues une motion d'ajournement déposée en application de l'article 128 alinéa 2 du Règlement.

M. Georges Sarre - Ce texte résultat d'un compromis hasardeux, comme tout texte élaboré par défaut, va dans la mauvaise direction. Négocié de manière calamiteuse par le gouvernement Juppé, le traité d'Amsterdam est le produit de l'échec de la CIG qui devait travailler à la fois sur l'élargissement et sur l'approfondissement de l'Union.

Pour être clair il faut dire aux Français que les marges de manoeuvre de notre pays vont singulièrement se restreindre si ce traité est ratifié. La logique du traité d'Amsterdam c'est la fuite en avant, agrémentée par la diabolisation de la dépense publique instituée par le pacte de stabilité. Ainsi les instruments traditionnels de la politique économique échappent un à un au Gouvernement, c'est-à-dire au contrôle des élus.

L'inspiration libérale et la logique fédérale du traité sont aujourd'hui dépassées. Les peuples d'Europe, à commencer par le nôtre, aspirent à plus de cohésion sociale et à la responsabilité des gouvernants. Il n'existe pas, à l'heure où nous parlons, de peuple européen. Cela rend inacceptable toute atteinte à la souveraineté nationale sans contrôle démocratique et toute fuite en avant vers le fédéralisme. La réorientation de la construction européenne vers un renforcement de la coopération entre Etats-nations européens est plus que jamais nécessaire.

En l'absence d'un peuple européen, seul le peuple Français est à même de consentir a des abandons de souveraineté.

Le traité d'Amsterdam, dans le droit fil du traité de Maastricht, ouvre la voie à une Europe fédérale. Or ses institutions, le Parlement et le Conseil, n'ont pas légitimité pour parler au nom d'un peuple européen mythique, et la Commission et la Cour de justice ne sont pas issus du suffrage universel. Renforcer les pouvoirs de ce type d'institutions serait illusoire tant qu'il n'existe pas une communauté de citoyens au niveau européen. Mais on ne décrète pas l'existence d'un peuple européen en signant des traités, et en les ratifiant sans débat et en catimini par la voie parlementaire.

Actuellement, seule la nation offre le cadre légitime de la démocratie et de l'expression des solidarités collectives. Il n'y a pas de conscience au niveau européen d'appartenir à un même peuple, particulièrement dans les milieux populaires. C'est ce qui explique la coupure entre le peuple français qui adhère spontanément à l'idée de nation et des élites acquises à la mondialisation libérale et à sa variante européenne organisée par les traités de Maastricht et d'Amsterdam.

Oui, la démocratie est quelque chose qui tient du miracle ! Il arrive qu'on s'y plie à une majorité de quelques voix seulement. Mais ce n'est possible que dans le cadre d'une nation, là où il y a un peuple animé d'une volonté de vivre ensemble. Croire qu'autre chose est viable est se leurrer. Construire une conscience européenne exige du temps et il faudrait surtout que l'Europe apparaisse sous un jour plus positif aux yeux du plus grand nombre. Ce n'est pas l'Europe boutiquière, qui s'incarne dans les critères de Maastricht, dans le pacte de stabilité, dans la remise en cause des services publics et la concurrence généralisée, ce n'est pas cette Europe fouettarde, dure aux faibles et douce aux puissants, qui peut engager les peuples dans les voies d'un destin commun. Si l'Europe de la finance avance à grands pas, celle de l'éducation, de la culture et même de la citoyenneté reste à quai. Mieux vaut donc partir du réel et constater que l'espace national est le seul pertinent pour le débat public. N'en déplaise aux tenants de l'idéologie dominante, la France n'est pas une vielle lune : un récent sondage du magazine Phosphore montre que les jeunes de 18 à 25 ans se sentent avant tout Français et que 7 % seulement se définissent d'abord comme Européens.

Cette idée, selon laquelle la légitimité réside essentiellement dans la nation, est si vrai que beaucoup hésitent à abandonner leur mandat de député français pour un mandat de député européen. M. Giscard d'Estaing lui-même n'a-t-il pas quitté Strasbourg pour revenir siéger à Paris ? Le Mouvement des citoyens maintient ainsi entière sa critique contre un processus qui consiste à tenter de créer sans le dire une nation européenne sans que les peuples aient réellement les moyens de peser et de décider. Nous maintenons aussi notre critique de fond contre l'euro, personne ne nous ayant démontré qu'il n'y avait pas de risque à construire une identité politique sur une monnaie. La brutalité des rapports économiques et sociaux nés de l'unification monétaire allemande devrait inciter à beaucoup de modestie ceux qui parient sur les bienfaits de l'union monétaire à onze : comment croire que la vie à l'intérieur de la zone euro ne sera qu'un long fleuve tranquille ?

Les actuelles contradictions sur la PAC, les difficultés qui vont venir à propos des fonds structurels et le renégociations des contributions au budget communautaire démontrent que la réalité des nations continue de s'imposer en Europe. Si les gouvernements l'oubliaient, la rue ne manquerait pas de le leur rappeler !

Le traité d'Amsterdam propose de communautariser la politique d'immigration, sans aucun rapprochement préalable des législations. Ce sujet empoisonne depuis trop d'années le débat politique en France, avec la double surenchère d'une fraction de la droite courant après les voix du Front national et d'une partie de la gauche. Grâce à une politique équilibrée, le gouvernement de Lionel Jospin est en passe d'apaiser ces passions malsaines. Mais qu'en sera-t-il lorsqu'après la période transitoire de cinq ans, les Français s'apercevront que ce n'est plus la loi française qui s'applique en la matière ? Qui peut croire que l'Irlande et la France peuvent avoir la même politique d'immigration ? Comment ne pas craindre une flambée nationaliste ? Comment mettre en place des politiques communautaires alors que les traditions d'intégration sont souvent très différentes d'un Etat à l'autre ? Notre laïcité, par exemple, n'est pas un principe répandu en Europe.

Là où la souveraineté nationale est en jeu, le peuple doit pouvoir se prononcer. C'est ce qui justifiait le recours au référendum pour modifier la Constitution. Il n'y a que le peuple qui puisse consentir des abandons de souveraineté majeurs et la procédure parlementaire n'a été qu'une façon d'escamoter ce qui aurait dû être un grand débat national. Le Président de la République qui s'est exprimé aujourd'hui sur sa conception de l'Europe, n'aurait-il pas mieux fait de donner la parole au peuple ? Est-il meilleure source de légitimité ? Qui disait autrefois que "le Congrès c'est bon pour les réformettes ?"

Le traité d'Amsterdam ne répond pas aux enjeux d'aujourd'hui car il reste pris dans le carcan du pacte de stabilité. Il ne résout pas la question, cruciale pour l'Europe, de la réforme de ses institutions. Et pourtant la vocation de l'Union n'est-elle pas de s'ouvrir à de nouveaux pays ? Comment croire que les institutions qui ont déjà du mal à fonctionner à quinze seront efficaces à vingt ? La réforme du financement de l'Union n'est pas davantage résolue par le traité. Celui-ci organise en revanche toujours plus de transferts de souveraineté. Loin de donner un nouveau souffle à l'Europe, il confirme les dogmes du Pacte de stabilité et l'indépendance de la BCE.

Au lieu de s'attaquer aux difficultés, il s'emploie à "communautariser" un certain nombre de prérogatives traditionnelles des Etats. Toute définition de ceux-ci retient la frontière et sa maîtrise comme un critère déterminant : une communauté qui perd le pouvoir de déterminer qui a le droit de pénétrer sur son sol, n'est donc plus réputée former un Etat. Voilà encore un attribut majeur qui disparaîtrait après la monnaie ! Avouez qu'en l'espace de quelques années cela commence à faire beaucoup...

La "communautarisation" consiste à prendre à la majorité du Conseil des décisions qui exigeaient auparavant l'unanimité. Autrement dit, des Etats-membres mis en minorité devront appliquer des décisions qu'ils n'auront pas voulues, touchant des domaines essentiels tels que l'immigration ou le droit d'asile. Le traité d'Amsterdam avance masqué sur ces sujets en ménageant une période transitoire de cinq ans. Mais qu'après ces cinq ans, le Conseil décide à l'unanimité de passer à la règle de la majorité qualifiée et la charge de la preuve est renversée. Ce n'est plus à l'édifice européen de faire les preuves de son aptitude à la gestion de grandes politiques publiques, c'est à l'Etat-membre de prouver et de maintenir sa compétence. Ce mécanisme pervers ne peut qu'alimenter la résignation et le conformisme.

Le domaine du droit n'est pas épargné. Le protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité réaffirme l'intangibilité des "principes mis aux point par la Cour de justice en ce qui concerne la relation entre le droit national et le droit communautaire". Le droit communautaire prétend ainsi se constituer en ordre juridique autonome dont l'invocation en droit interne est directe et uniforme dans tous les pays membres. Dorénavant compétente pour juger d'éventuelles discriminations dont seraient victimes des résidents sur le territoire d'un Etat de l'Union, la Cour de Luxembourg pourrait par exemple remettre en cause la jurisprudence de notre Conseil d'Etat sur le principe d'égalité. Le juge européen considérait que le traitement identique de situations différentes peut constituer une discrimination, à quand la victoire du principe d'équité sur l'égalité ? Faudra-t-il effacer ce dernier mot du fronton de nos mairies ?

On veut nous faire croire qu'il n'y a rien de plus urgent que de fonder une politique étrangère et de sécurité commune. Les derniers raids anglo-américains sur l'Irak ont pourtant démontré combien les divergences étaient fortes, entre la participation britannique, le soutien mesuré des Allemands, la désapprobation feutrée des Français et la nette prise de distance des Italiens. Alors que la plupart de nos partenaires considèrent que l'OTAN sous commandement américain doit demeurer l'instrument de défense de l'Europe, la France se doit de conserver une capacité diplomatique et militaire indépendante. Notre pays, par exemple, ne pourra s'en remettre à la PESC pour défendre la francophonie.

Nous sommes pour des coopérations renforcées, qui rendent tout leur rôle aux Etats-nations. Ni le traité d'Amsterdam ni le pacte de stabilité ne sont en mesure de réorienter la construction européenne. Les défis ne manquent pourtant pas, à commencer par le chômage, mais ce n'est pas en prolongeant le dogmatisme maastrichien qu'on se donnera les moyens de réagir.

Le traité réaffirme la mise sous tutelle budgétaire des Etats. La volonté de maîtriser les investissements publics est devenue un dogme et un mécanisme de sanctions automatiques en cas de dépassement vient encadrer la capacité d'intervention et de régulation des Etats. Là encore, il s'agit d'une perte substantielle de souveraineté. De plus, sur le plan économique, un strict équilibre budgétaire n'a pas de sens, puisque l'excès de la part des dépenses publiques dans le PIB s'explique généralement par l'insuffisance de croissance et donc d'emploi. Il est évident qu'un Etat doit pouvoir emprunter pour financer ses investissements.

Aujourd'hui les circonstances sont favorables pour réorienter la construction européenne puisque onze des quinze pays de l'Union ont un gouvernement de gauche. Des accords sont possibles tant sur les instruments que sur les objectifs. Les instruments existent : ce sont le principe de subsidiarité rendant la primauté aux Etats et le compromis de Luxembourg. L'issue au marasme actuel se trouve dans des coopérations renforcées entre les Etats et non pas dans une Europe fédérale ni même une fédération d'Etats-nation. L'histoire montre que les points d'accord sur des fondements réalistes sont possibles.

Le principe de subsidiarité, qui aurait pu être un outil permettant de limiter les abandons de souveraineté est devenu, par le biais du protocole contenu dans le traité d'Amsterdam, un verrou qui protège les abandons précédents, consacrés "acquis communautaires". Nous proposons que le principe de subsidiarité soit renversé et que les institutions européennes deviennent subsidiaires par rapport aux nations. C'est au Parlement français de définir la subsidiarité et il pourrait voter de véritables mandats de négociation impératifs.

Enfin, le compromis de Luxembourg, qui garantit à un Etat de ne pas être obligé de mettre en oeuvre une décision contraire à un de ses intérêts essentiels, doit être compris, lui aussi, comme un acquis communautaire. Loin d'empêcher le fonctionnement de l'Europe, il offre les garanties dont les Etats et les peuples ont besoin.

Le traité d'Amsterdam n'a pas d'ambition. Comment, du reste, croire à une fédération sans budget fédéral ? Il faut lui substituer le volontarisme des nations, seuls cadres d'exercice de la démocratie. Elles seules peuvent donner un contenu à une Europe qui doit rester celle des peuples.

La coopération renforcée entre Etats a donné par le passé de brillants résultats. Le seul exemple d'Ariane montre bien les possibilités d'une coopération intergouvernementale sans lien avec les institutions communautaires.

Le contexte actuel est favorable à une relance sur des fondements réalistes. Quoique difficile, le lien franco-allemand en est le moyen privilégié. D'autres coopérations renforcées peuvent voir le jour, à commencer par l'indispensable lutte pour la croissance et contre le chômage, alors que près de 17 millions d'Européens sont sans emploi.

Un dialogue constructif mais sans concession avec la nouvelle équipe dirigeante allemande peut aboutir à la réorientation souhaitée. Une instance politique représentative doit piloter les politiques économiques dans le souci de l'intérêt général, adopter un Pacte de solidarité et de croissance et instaurer une parité réaliste entre euro et dollar.

En premier lieu, l'emploi doit être élevé au rang d'une politique macroéconomique, avec des objectifs quantifiés et des engagements contraignants.

Ensuite, le pacte de stabilité doit faire la place à un pacte pour la croissance et l'emploi en rendant leur marge de manoeuvre aux budgets nationaux. Là encore, le contrôle démocratique est indispensable.

Il y a d'ailleurs une profonde contradiction à vouloir encadrer les budgets nationaux en l'absence d'un budget fédéral conséquent. Comment un pays pourrait-il mener à bien une politique de stabilisation alors que le budget fédéral est de 1,2 % du PNB ? D'une part, la relance budgétaire est quasi-interdite ; d'autre part, le budget commun est tellement dérisoire qu'il rend illusoire tout mécanisme de transfert.

Enfin, il faut bien constater que l'indépendance de la Banque centrale est un frein aux politiques de croissance. La priorité des priorités demeure que la volonté des peuples pèse démocratiquement sur les orientations de politique monétaire. Permettre au Conseil de formuler, à la majorité qualifiée, des recommandations sur les politiques de l'emploi menées par les Etats est bien dérisoire en face du problème posé. Une politique d'euro fort, menée selon des considérations idéologiques, serait le meilleur moyen de pénaliser nos entreprises.

Il faut placer l'exigence de l'emploi au coeur de la construction européenne et, pour cela, inscrire dans les statuts de la BCE le devoir de défendre la croissance et le plein-emploi, au moins au même titre que la lutte contre une inflation qui a disparu.

Aussi, avant de nous en remettre à une construction politico-administrative ayant pour effet immédiat d'entamer la souveraineté nationale sans nous garantir de compensations en retour, je demande le temps de l'examen et de la réflexion. Le traité d'Amsterdam n'est pas utile à l'Europe. Il cristallise une conception aujourd'hui dépassée. La France et ses citoyens ne peuvent demeurer dans un entre-deux imprécis, entre un cadre politique légitime et une sorte d'empire oligarchique qui ne dit pas son nom.

Depuis que ce traité a été négocié, du temps s'est écoulé. L'attente de nos concitoyens est aujourd'hui de "faire retour à la République" et, moins que jamais, de persister dans une course inadéquate vers l'Europe fédérale et utopique. L'Europe ne doit plus servir de prétexte à l'expansion sans frein du libéralisme. Au contraire, s'il doit y avoir une union européenne sans cesse croissante, ce doit être celle des politiques qui réduisent le chômage et qui renforcent la cohésion des sociétés.

C'est pourquoi je vous demande d'ajourner l'examen de ce projet de loi de ratification d'un traité dépassé et désormais inutile.

M. Jean-Pierre Michel - Très bien !

M. Gérard Fuchs - Je remercie en premier lieu M. Sarre de nous avoir rappelé que le pacte de stabilité ne fait pas partie du traité, contrairement à ce que certains orateurs ont affirmé à tort.

Si, d'autre part, la lutte contre le chômage est une priorité, elle ne résultera jamais d'un traité, mais d'une volonté politique clairement affirmée, et d'affrontements sociaux. Un traité est un cadre, dans lequel est ensuite mené une action politique.

Pour ce qui est de la souveraineté... franchement ! Pouvons-nous dire que la France a une pleine souveraineté en matière sociale quand ses entreprises délocalisent de Bourgogne en Ecosse au seul motif que les conditions qui leur sont faites y sont meilleures ? Ne gagnerait-elle pas à une harmonisation ? Pouvons-nous dire que la France dispose d'une pleine souveraineté en matière fiscale alors que tout gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, est contraint de s'interroger, avant d'instituer une taxe, pour savoir si cette démarche n'aura pas pour conséquence une fuite des capitaux vers des cieux fiscalement plus cléments ? Là encore, l'harmonisation ne serait-elle pas préférable ?

Pouvons-nous, encore, prétendre être indépendants en matière de défense, alors que nous avons constaté, pendant la guerre du Golfe, qu'un seul pays disposait des satellites nécessaires à la conduite des opérations ? Cet allié ne nous a jamais menti, certes non, mais nous a-t-il toujours dit toute la vérité ? Jamais non plus... Sans aucun doute, je préfère une souveraineté collective réelle à une souveraineté nationale formelle.

L'autre question soulevée par M. Sarre est de savoir s'il y a un peuple européen. Pour moi, la réponse est "non". Mais y a-t-il un citoyen européen ? Je pense que, progressivement, il y aura des citoyens européens, car nous construisons un espace dans lequel coexisteront citoyens français et citoyens européens, notions qui ne sont pas contraires. Cette coexistence aura l'effet bénéfique d'éviter le nationalisme -et qui pourrait se réjouir, en considérant la situation sur le territoire de l'ancienne Yougoslavie, de l'exaltation nationaliste ?

Pour ce qui est du référendum, c'est une bonne idée que d'y soumettre un traité lorsque celui-ci contient une idée centrale. C'était le cas, sans conteste, pour le traité de Maastricht qui instituait la monnaie unique. Aurait-il vraiment fallu appeler le peuple français à se prononcer sur le protocole social, sur l'inclusion dans le traité d'un chapitre sur l'emploi, sur la référence à un développement durable, sur la politique des consommateurs, sur la reconnaissance de la notion d'intérêt général ? Le Parlement a une légitimité, et un rôle, qui est de débattre des questions complexes : c'est pour cela qu'il a été mandaté. Le peuple n'en reste pas moins souverain.

Aujourd'hui, mercredi 3 mars, nous sommes le dernier des pays membres de l'Union à devoir encore ratifier le traité d'Amsterdam. Les parlementaires français sont certes des gens posés, qui ont besoin de temps pour asseoir leur réflexion. Mais s'il leur en fallait davantage encore, on finirait par penser qu'ils sont quelque peu lents d'esprit... ce qui ne les servirait pas, ni la France.

La vraie question posée par M. Sarre est de savoir si la nation est le cadre ultime du débat démocratique. Je ne le pense pas. Le parti socialiste parle, lui, d'une fédération d'Etats-nation, destinée à exercer en commun sa souveraineté. Il y voit la meilleure réponse à la mondialisation libérale. Nous pensons en effet qu'il existe une identité française, et nous ne souhaitons pas qu'elle soit mise en cause.

Nous sommes et Français et socialistes, c'est pourquoi nous sommes favorables à une fédération d'Etats-nations (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. René André - Le groupe RPR votera contre la motion d'ajournement.

J'ai assez peu apprécié, Monsieur Sarre que vous mettiez une fois de plus en cause la façon dont le traité d'Amsterdam a été négocié par le gouvernement Juppé. Chacun reconnaît que ce traité comporte des zones d'ombre et de lumière, mais s'il ne vous convenait pas, vous pouviez le renégocier. Ce débat ne mérite pas d'être obscurci par des considérations de politique intérieure.

Vous avez par ailleurs fait autant le procès de l'Europe que celui d'Amsterdam. Si certains d'entre nous ont partagé un temps vos opinions, nous avons évolué et nous considérons qu'à vous suivre la France se retrouverait hors jeu sur le terrain européen. Si l'on peut comprendre une certaine exaspération de nos concitoyens quant à la façon dont se construit l'Europe, vous suivre contribuerait à une attitude de rejet de la construction européenne.

Nous devons cesser de paraître subir l'Europe et faire savoir l'Europe que nous voulons, qui n'est pas nécessairement une fédération d'Etats nations. Pour notre part, nous sommes attachés à une Europe qui retienne la notion de nation.

Pour le RPR, la France ne doit pas être spectatrice de la construction européenne mais inspiratrice.

Parler de référendum s'apparente pour moi à une manoeuvre tant la multitude et la complexité des questions posées par le traité empêchent d'y recourir. S'il convient en effet que le peuple s'exprime sur ses engagements européens, il pourra bientôt le faire à l'occasion des élections européennes.

Vous avez évoqué votre attachement à la France, à la nation. Mais si nous voulons l'Europe, c'est précisément parce que nous entendons que la France continue à s'exprimer haut et fort au sein de l'Europe en tant que nation.

A vous suivre, nous ferions de l'Europe une zone de libre échange, telle que la souhaitent nos alliés britanniques, et nous laisserions les mains libres aux Américains. L'Europe politique est en train de se construire. Amsterdam en jette les premières bases.

Paraphrasant Sieyès parlant du Tiers Etat, je dirai que l'Europe n'est pas grand chose mais qu'avec de petits pas comme le traité d'Amsterdam, elle peut devenir, ce que je souhaite, un acteur majeur sur la scène internationale.

M. Pierre Lequiller - Le groupe Démocratie libérale votera contre la motion d'ajournement. C'est parce que nous sommes Français que nous sommes pro-européens. Il est dans l'intérêt de la France que l'Europe se construise -fasse entendre sa voix- et joue un rôle dans un monde unipolaire que dominent les Etats-Unis.

L'euro, j'en conviens, connaîtra des périodes fastes et d'autres, plus difficiles. Il permettra de peser sur les Etats-Unis. Il est aussi un formidable promoteur de la paix. Quel symbole : des peuples qui se sont autrefois déchirés ont désormais la même monnaie...

M. Jean-Pierre Michel - En Yougoslavie, la monnaie unique n'a pas empêché la guerre !

M. Pierre Lequiller - En ce qui concerne l'immigration, c'est le Président de la République qui a introduit le délai de 5 ans pour vérifier l'efficacité des mesures. Vous dites qu'Amsterdam ne sert à rien. Au contraire ! Il faut des frontières extérieures fortes pour pouvoir supprimer les frontières intérieures. C'est seulement par la concertation que l'on parviendra à combattre l'immigration clandestine, le terrorisme, le tourisme sexuel, le trafic de drogue.

Vous avez parlé de décision prise sans débat, en catimini. Si cette fois deux débats importants ont eu lieu...

M. Jean-Pierre Michel - On en mesure l'importance ce soir...

M. Pierre Lequiller - ...je considère que les problèmes européens sont insuffisamment traités ici. Le Bundestag a consacré des mois au débat sur l'euro. Il nous faudrait interroger plus régulièrement les ministres sur leur activité au sein du Conseil des ministres européens. Je propose donc que nous ayons tous les deux mois une séance de questions au Gouvernement sur ce thème.

La motion d'ajournement, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce matin, mercredi 3 mars, à 11 heures 15.

La séance est levée à 3 heures 15.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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